Conclusion
p. 215-219
Texte intégral
1L’étude des vestiges et des blocs d’architecture errants ou remployés montre que l’époque hellénistique n’a pratiquement pas laissé de traces à Xanthos et il est impossible actuellement de se faire une idée de la topographie urbaine de la ville au moment où elle est ravagée par les troupes de Brutus. La description d’Appien nous apprend que la ville est fortifiée, qu’on y entre par une porte munie d’un genre de herse, que la rue qui passe sous cette porte mène à l’agora, proche de là, et que dans le voisinage immédiat de celle-ci et dans une position dominante, se trouve le Sarpedoneion. On sait qu’un théâtre hellénistique a précédé, sur le même emplacement, le théâtre romain. Un temple ionique, dont la frise est pratiquement jumelle de celle du temple d’Artémis du Létoon, s’élevait quelque part sur le site. Sur ces bases, on imagine une ville concentrée dans un périmètre assez restreint, mais protégée par un rempart dont on sait qu’il a atteint son extension maximale à l’époque classique1. Nous ne sommes malheureusement pas capables, à l’heure actuelle, de rapprocher des édifices précis de ceux mentionnés par Appien. Mais, si l’on en croit cet auteur, après le passage de Brutus, il ne reste plus rien de la ville que Marc Antoine appellera les Xanthiens à reconstruire2.
2Deux des monuments les plus typiquement romains de Xanthos, l’arc de S. M. Priscus et les thermes I sont élevés à l’époque flavienne, le premier à l’intérieur de la porte sud, le second, sur le grand espace plat au pied et au sud de l’acropole lycienne. Les thermes sont construits hors les murs, sans doute à la fois parce que la région est pacifiée et parce que l’approvisionnement en eau est facilité par la proximité du fleuve. De la même époque date un bouleuterion, construit sous Domitien. L’inscription découverte lors des fouilles du théâtre ne peut pas être mise avec certitude en rapport avec des travaux effectués dans celui-ci, mais on ne peut pas l’exclure. Si ces travaux ont eu lieu, ils ont été le fait d’un Fronto Neratius qui est peut-être le gouverneur de Galatie-Cappadoce en 79. L’étude des profils des blocs d’entablement de l’arc flavien et de l’agora ouest, ainsi que leur comparaison avec ceux d’autres ensembles monumentaux datés et caractérisés par l’absence de décor, montrent que les portiques de l’agora romaine sont probablement datables de la fin du ier siècle ou du tout début du iie siècle p.C. Les monuments du ier siècle p.C. sont, semble-t-il, tous concentrés dans le secteur situé à l’ouest du vallon et entourent l’acropole lycienne au sud, à l’est et au nord. Les quartiers d’habitation n’ont pas encore été localisés, mais on peut les imaginer dans le vallon, côté est de la rue qui venait de l’arc flavien et sans doute sur la pente sud de l’acropole haute. On peut donc penser que la reconstruction de Xanthos, ou en tout cas le premier grand programme d’urbanisation, s’est faite autour de son acropole lycienne, visiblement épargnée par Brutus et qui conservait encore à cette époque toute sa valeur symbolique.
3Les vestiges architecturaux présents de l’autre côté du vallon appartiennent à des programmes de construction visiblement différents et aucune des inscriptions dégagées à ce jour dans ce secteur n’est attribuable à l’époque flavienne. Les entablements des édifices actuellement connus sont composés d’architraves à fasces, frises et corniches modillonnaires, alors que, dans le secteur ouest, on a utilisé la formule architrave-frise et corniche ionique sans denticules. L’ornementation est très homogène et fait appel au répertoire décoratif habituel à partir du iie siècle p.C., en Asie Mineure, alors que les entablements de l’agora ouest ne portent pas de décor.
4On ne peut pas savoir exactement quand, ni pourquoi a débuté le grand programme urbanistique qui a concerné les secteurs de la ville à l’est du vallon. Les fouilles ne sont pas suffisamment avancées pour que l’on ait une idée claire des édifices déjà existants dans cette partie de Xanthos. Rappelons la découverte, dans cette partie de la ville, d’une inscription en l’honneur d’Antiochos III3, à proximité du “monument à dromos”, et d’une inscription datable de la première moitié du ier siècle a.C., remployée dans la basilique chrétienne de l’agora inférieure, qui semblent prouver que ce secteur était urbanisé avant l’époque romaine. Aucun édifice n’est conservé, mais, au moment où l’on commençait les travaux, le monument des Néréides s’élevait sur la plus méridionale des trois terrasses du sud de l’acropole haute et le monument à dromos dominait l’ensemble, au nord. Le cardo qui relie ces deux secteurs a probablement recouvert une voie existante, car l’idée d’une rue permettant de mettre en relation deux édifices d’une telle importance symbolique a dû s’imposer d’elle-même très rapidement. Le décumanus a, quant à lui, recouvert une voie peut-être en usage depuis l’époque archaïque et qui reliait en tout cas à l’époque classique la porte nord-est à l’acropole lycienne.
5On ne peut pas encore précisément restituer les édifices qui s’élevaient sur les terrasses (agora supérieure, agora inférieure, basilique, présumé nymphée) mais l’étude de la décoration architecturale des blocs montre qu’ils appartiennent pour la plupart au plus tôt à la deuxième moitié du iie et au début du iiie siècle p.C. C’est donc cette séquence chronologique que l’on retiendra pour ce grand programme de construction, ou de reconstruction.
6Le terrible séisme de 141 p.C. qui a affecté l’ensemble de la Lycie a peut-être été le facteur déterminant pour la mise en œuvre de tels travaux. Les donations d’Opramoas de Rhodiapolis n’ont sans doute pas suffià le mener à bien et les travaux ont dû prendre beaucoup de temps, ou commencer assez longtemps après le tremblement de terre. Il semble qu’à partir du moment où les grands travaux d’urbanisme commencent à Xanthos, ils ne s’arrêtent plus, car, si l’on en juge par l’ornementation des monuments, c’est sans doute à l’époque sévérienne qu’il faut placer les dernières phases de construction de trois édifices majeurs de la ville : la basilique, le théâtre et, peut-être, le présumé nymphée4.
7Même si l’on peut se demander pourquoi une ville jusque-là assez limitée devrait s’étendre de cette façon, surtout après un tremblement de terre, on constate que Xanthos a trouvé les financements nécessaires pour mener à bien cette entreprise. On peut également penser que la population était en augmentation, puisque les thermes flaviens ne suffisaient plus et que l’on a construit les thermes II, dans le centre ville. Cette évidente période de prospérité semble a priori contredite par la médiocre qualité du travail architectural (notamment la quasi-disparition des scellements). Mais celle-ci est peut-être à mettre sur le compte de travaux que l’on devait réaliser rapidement, à la fois pour que la ville puisse à nouveau fonctionner et peut-être aussi pour rivaliser avec les autres cités. Le fait que les riches Xanthiens se fassent construire de grands hérôons et importent leurs sarcophages d’Attique précisément à cette époque montre d’ailleurs bien que la ville était prospère.
8A l’époque tardive, on construit un dernier édifice prestigieux, le dipylon, peut-être datable, d’après l’analyse stylistique, de la fin du iiie siècle. Pour la première fois à Xanthos, on remploie dans un édifice de prestige au moins un bloc plus ancien, phénomène que l’on constate dans la plupart des édifices post-sévériens d’Asie Mineure.
9D’après l’analyse stylistique des décors, les deux grandes périodes de prospérité pour Xanthos se situent donc à l’époque flavienne et à l’époque sévérienne. Et, une fois de plus, on constate sans surprise que Xanthos ne se démarque pas en cela des autres villes d’Asie Mineure.
10Dans la vallée du Xanthe, le ier siècle est un siècle de prospérité5, mais aussi de progrès. Le réseau routier mis en place sous Auguste, puis sous les Flaviens6 laisse un peu à l’écart la Lycie7, mais, sous Vespasien8, la vallée du Xanthe est dotée d’un aqueduc9 (Delikkemer). En même temps que l’eau courante, apparaissent les thermes : thermes I de Xanthos, thermes de Patara. En Lycie, on construit des thermes à Kandyba, Balboura, Simèna. Les bouleuterions de Pinara et Xanthos sont construits sous les Flaviens. Les arcs honorifiques de Xanthos et Patara datent respectivement de 68-69 et de 100.
11Pas plus que dans les autres villes de la vallée du Xanthe, on ne trouve à Xanthos de constructions importantes à l’époque d’Hadrien. On s’y attendrait pourtant, en raison du voyage de l’empereur en Asie Mineure qui le fait s’arrêter en Lycie en 129 p.C. Le seul édifice suscité par la visite impériale se trouve au Létôon. Autrefois appelé “nymphée hadrianique”, il s’agit en fait d’un portique en demi-cercle, appartenant à un ensemble monumental probablement dédié aux Nymphes10.
12Dans la vallée du Xanthe, on ne construit pas d’édifice prestigieux, mais des bâtiments utilitaires, les greniers de Patara, qui ont leur pendant exact à Andriakè, en Lycie orientale. La venue d’Hadrien est commémorée par un arc à Phasélis. Les édifices de l’époque d’Hadrien sont nombreux au sud-ouest de l’Asie Mineure, notamment en Pamphylie où l’on construit à cette époque par exemple la Porte d’Hadrien à Antalya, les thermes sud, le théâtre et l’arc au nord de la porte hellénistique de Pergé, les temples N1 et N2 à Sidé11.
13Aucun édifice datable à coup sûr de l’époque antonine n’a été identifié à Xanthos, bien que d’assez nombreux blocs d’architecture errants portent une décoration peut-être attribuable à cette période. Le temple dit “d’Apollon” de Patara est en général daté de l’époque antonine, mais sans qu’aucune étude complète ait été faite sur le sujet. Les réparations effectuées au théâtre de Patara datent du règne d’Antonin le Pieux12. Certains autres édifices de la vallée du Xanthe (temple de Tlos notamment) sont datés sans précision de la deuxième moitié du iie siècle p.C. Le manque d’études approfondies sur le sujet et l’état d’avancement des fouilles ne permet en général pas d’être plus précis. En Lycie, les portiques de l’agora d’Oenoanda sont datés d’Antonin le Pieux13. Dans les grandes villes de Pamphylie, de nombreux monuments (notamment le théâtre et le nymphée d’Aspendos, le théâtre de Sidé), ont été construits sous les Antonins, à partir de la deuxième moitié du iie siècle p. C., époque qui marque en Asie Mineure du sud-ouest le début d’une nouvelle période de prospérité14.
14L’époque sévérienne, qui semble actuellement la mieux représentée à Xanthos, ne l’est pas pour autant dans la vallée du Xanthe, du moins dans l’état de nos connaissances, en dehors des thermes de Tlos, ou encore des thermes d’Oenoanda et surtout du propylon qui leur est associé. En revanche, nombre d’autres villes du sud-ouest de l’Asie Mineure ont été dotées d’édifices prestigieux à l’époque sévérienne. C’est à ce moment que l’on a construit le nymphée F2, la porte sud et le propylon des thermes sud à Pergé ; le nymphée de Sidé date également des Sévères, ainsi que le temple P15 et le mausolée de la nécropole ouest. Le nymphée de Selge date probablement de la même époque16. Dans les villes plus lointaines de l’intérieur des terres, des édifices richement décorés sont élevés : les thermes de Sardes avec la Cour de Marbre, le temple d’Apollon et le bâtiment de scène du théâtre d’Hiérapolis, le nymphée de Laodicée du Lycos. Ces grandes constructions traduisent un dynamisme général et une abondance de biens dans lesquels s’insère parfaitement l’aménagement urbain de Xanthos.
15Cette prospérité est également illustrée par l’architecture funéraire. Bien que les nécropoles romaines de Xanthos n’aient pas été étudiées de façon exhaustive, on en connaît au moins deux hérôons. Le premier d’entre eux s’élevait à proximité de la porte sud et a complètement disparu. A l’intérieur de l’édifice se trouvaient quatre sarcophages de marbre richement sculptés, datables de la fin de la période antonine et du début du iiie siècle p.C. Un hérôon de même type se trouvait dans la nécropole orientale et a été construit visiblement à la même époque. On trouve d’excellents parallèles à ces tombes réservées aux hommes influents de la ville, à Patara. Le tombeau-temple de Marcia, qui renfermait des sarcophages importés d’Attique et de Dokymeion, ainsi que le tombeau-temple de la baie d’Akdam dans lequel on a également découvert des sarcophages attiques, montrent que la ville était très prospère dans le deuxième quart du iiie siècle p.C.17 On constate le même engouement pour les sarcophages de marbre à Myra, en Lycie orientale18. Cette homogénéité géographique montre bien que la Lycie connaît alors une période faste et que Xanthos suit le mouvement général.
Notes de bas de page
1 des Courtils 1994, 298.
2 Appien, BC, 4.10.76-80.
3 Bresson 2001, 235-241.
4 L’existence de cette fontaine monumentale pose la question de son alimentation en eau. Celle-ci était probablement assurée par le petit aqueduc encore conservé in situ, à quelques mètres au nord-ouest de l’édifice. On peut suivre le tracé de cet aqueduc (Cf. Burdy-Lebouteiller 1998), avec des interruptions, depuis le captage de la source qui l’alimente, jusqu’au nymphée. Le débit de l’ouvrage était cependant insuffisant pour alimenter toute une ville. Comme dans la plupart des autres sites antiques, les habitants de Xanthos avaient sans doute recours à l’eau conservée dans des citernes. On trouve d’assez nombreuses citernes sur le site, mais elles sont bien sûr impossibles à dater. Les grandes citernes disposées en file dans le soubassement de la basilique civile constituent un autre dispositif d’approvisionnement public en eau, dont on peut penser qu’il a fonctionné jusqu’à l’époque protobyzantine.
5 Sur la prospérité en Lycie à l’époque flavienne, Magie 1950, 530.
6 Sartre 1995, 189.
7 Les six villes les plus importantes de Lycie au début du ier siècle a.C., Xanthos, Tlos, Araxa, Pinara, Sidyma, Patara, étaient situées en bordure d’une grande voie, Magie 1950, 19 et 1373, no 11.
8 La première phase de construction est peut-être attribuable à Néron. L’ouvrage aurait été réparé sous Vespasien.
9 Farrington 1995, 54.
10 Communication orale de D. Laroche.
11 Strocka 1988, 291-307, Abb. 38-47.
12 Comme le montre l’inscription de Vilia Procula gravée sur le mur de scène du théâtre, TAM, II, 408.
13 Coulton 1986, 61-90.
14 Six villes lyciennes (Pinara, Araxa, Oenoanda, Kyaneai, Rhodiapolis, Phasélis) élèvent des monuments à Antonin “sauveur” ou “bienfaiteur”, Magie 1950, 632. Sur la prospérité de la Lycie à l’époque antonine, id. ibid., 657.
15 Mansel 1963, 89.
16 Yegül 1984, 651.
17 Ihḱ 2000, 44-48.
18 Wiegartz 1975, 161-251.
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