Chapitre IV. Atelier local et apports extérieurs
p. 211-214
Texte intégral
1Une grande partie de l’histoire de la décoration architecturale de Xanthos nous échappe. L’époque classique est quantitativement bien représentée puisque la plupart des édifices en élévation sur le site datent de cette période. Il ne s’agit cependant que de tombes, ou de monuments funéraires, et le répertoire décoratif utilisé à cette époque et sur ce type d’édifice est spécifiquement lycien (à l’exception des reliefs qui n’entrent pas dans le cadre de cette étude). Il semble que, au ve siècle, les habitants de Xanthos se soient contentés de la formule sans doute indigène qui consistait à rendre dans la pierre le détail des assemblages de bois. En dehors des rangées d’oves superposées que l’on trouve sur le monument G, la décoration “végétale” est absente et il faut attendre la construction du monument des Néréides pour que fassent irruption à Xanthos des formules décoratives depuis longtemps utilisées en Grèce et en Asie Mineure. Si l’on peut penser que le monument des Néréides sur son haut podium aurait été considéré comme une barbarie par les Grecs, on peut être tout aussi certain que les Xanthiens ont été surpris par ce monument d’un nouveau type. D’ailleurs, de façon assez surprenante à une époque qui précède de peu l’avènement d’Alexandre le Grand et l’hellénisation complète de l’Asie Mineure, le monument des Néréides n’a pas eu de postérité à Xanthos et les dynastes ou personnalités de la ville du ive siècle ont préféré la tradition et choisi de se faire construire des tombeaux “lyciens”1. Il est probable que ce retour aux sources, ou ce recul, en traduise un autre et que la période de gloire de la ville ait pris fin au tournant du Ve et du IVe siècles avec le dynaste Arbinas.
2Nous n’avons pas idée de l’apparence qu’avaient les édifices hellénistiques de Xanthos et les quelques blocs décorés attribuables à cette période ne nous renseignent guère. Ce vide est d’autant plus saisissant que c’est alors que le sanctuaire de Léto connaît sa période la plus florissante. Pour l’époque romaine, nous ne pouvons raisonner sur le répertoire décoratif qu’à partir d’exemples datables au plus tôt du iie siècle p.C., ce qui empêche d’imaginer de quelconques filiations. Il est cependant intéressant de constater que, même si le matériel est assez homogène et se conforme dans l’ensemble aux modes contemporaines, on peut quand même dégager certaines spécificités de la décoration architecturale de Xanthos à l’époque romaine.
3— A une époque où l’ordre corinthien règne en maître dans toute l’Asie Mineure, les Xanthiens utilisent des chapiteaux à acanthes et godrons dérivés du type pergaménien. Or, Xanthos n’a jamais été sous la domination de Pergame et l’on peut se demander par quel chemin ce type de chapiteaux est arrivé en Lycie. On sait qu’après 188 a.C. la côte pamphylienne dépend de Pergame. On a vu qu’on trouvait à Pergé, au nymphée F3 daté de la fin de l’époque hadrianique, des chapiteaux à acanthes et godrons assez comparables à ceux de Xanthos. D’autres indices parlent en faveur d’une influence de Pergé sur l’architecture et la sculpture2 à Xanthos au iie siècle p.C. et il est vraisemblable que l’adoption à Xanthos de ce type de chapiteaux est due à celle-ci.
4— Le motif décoratif de l’acanthe, extrêmement répandu dans tous les sites d’Asie Mineure à l’époque romaine, a pris à Xanthos des formes particulières. En effet, à côté des acanthes de tradition “classique”, on rencontre sur le site trois types d’acanthes pour le moins rares.
5Les acanthes tournoyantes du théâtre, si elles montrent qu’on connaissait à Xanthos ce motif assez emblématique de l’art sévérien, révèlent aussi que les sculpteurs ont adapté le motif en le plaçant au bas des fûts, alors qu’il orne en général les chapiteaux. Il est possible que Pergé ait encore une fois joué un rôle dans l’introduction de ce motif à Xanthos car on y trouve des acanthes tournoyantes analogues mais employées sur les chapiteaux du théâtre.
6Les acanthes traitées à la façon de palmettes qui ornent le linteau de porte remployé dans la basilique épiscopale constituent très certainement un autre produit local. La mollesse du style dans lequel elles sont exécutées semble bien être la caractéristique d’un atelier qui n’aurait pas exercé en dehors de Xanthos.
7Les acanthes du chapiteau BN006, sans doute datable de la fin du iiie ou du début du ive siècle, présentent une particularité (incision en zig-zag sur la nervure axiale) que l’on ne retrouve, à ma connaissance, que sur des monuments très éloignés de Xanthos, à Split et à Rome3. Pour le moment, on ne voit pas comment expliquer cette parenté.
8— Le motif de la palmette prend lui aussi des formes différentes à l’époque sévérienne : au théâtre et sur le bloc CR050, les anthémions composés de palmettes droites, tout en se conformant au schéma utilisé pour la porte d’Hadrien à Antalya, sont très stylisés, notamment à leur base qui se présente comme un motif géométrique triangulaire aux extrémités recourbées en volutes. Cette interprétation qu’on pourrait qualifier d’abstraite du bandeau de serrage que l’on trouve souvent sur les palmettes est, à ma connaissance, sans parallèle en dehors de la Lycie.
9Les palmettes ouvertes du linteau de porte BE405 et de certains soffites des claveaux du dipylon sont simplifiées et stylisées à l’extrême et donnent l’impression d’un motif décoratif complètement désintégré dont les composants sont eux-mêmes devenus des motifs indépendants. Cette évolution des motifs est courante au cours du iiie siècle p.C., mais je ne connais pas de palmettes similaires en dehors de Xanthos.
10— L’idée de charger les godrons d’un décor supplémentaire, comme on le voit sur les architraves-frises du présumé nymphée, semble bien être aussi une spécificité xanthienne. En l’absence de parallèle exact, on ne sait pas à quelle influence attribuer l’introduction à Xanthos de ce type de décoration.
11— On constate enfin que, si les Xanthiens ont bien utilisé le trépan pour creuser les nervures des feuilles d’acanthe, ils n’ont pas cédé à la mode, de plus en plus suivie à partir de la deuxième moitié du iie siècle p.C., qui voulait que les contours des feuilles soient presque complètement dentelés. Les acanthes et les palmettes de Xanthos ne montrent presque jamais cette forme exagérément travaillée et totalement artificielle. La technique était pourtant connue, comme le prouvent un anthémion de palmettes de ce type réalisé sur le linteau d’une porte du théâtre et les feuilles d’acanthe tournoyantes qui ornent le bas des colonnes de celui-ci.
12On a signalé plus haut que le traitement des acanthes du linteau de porte BE405 trahissait probablement l’existence à Xanthos d’un atelier local. L’anthémion de palmettes qui orne le même linteau est, lui aussi, caractéristique de cette manière : les palmettes y sont très stylisées, mais en même temps traitées de la même façon peu énergique. On ne sait pas de quel édifice provient ce linteau de porte, mais il doit en tout cas avoir précédé de peu la construction du dipylon où l’on trouve les mêmes palmettes fermées, peut-être encore plus stylisées. La forme géométrique donnée aux palmettes et la médiocre qualité du travail plaident pour un style provincial, indice supplémentaire qui tend à confirmer l’existence d’un atelier local.
13Les palmettes du théâtre et d’un bloc de couronnement remployé dans la basilique civile sont suffisamment caractéristiques et sans parallèle ailleurs, pour que l’on puisse penser qu’elles ont été élaborées localement. En effet, le seul endroit où l’on retrouve des palmettes du même type est le théâtre de Tlos. La ville romaine de Tlos est encore assez mal connue et son architecture peu étudiée et, en tout cas, pas publiée. On est cependant frappé, quand on se promène sur le site, de voir à quel point les quelques blocs d’architecture qui gisent en surface, notamment dans le secteur des thermes, ressemblent à ceux de Xanthos. Cette proximité des formes et des décors peut montrer que le même atelier a été actif dans les deux villes à l’époque sévérienne. Il est tout aussi intéressant de constater que, dans la ville proche de Patara, très importante à l’époque romaine, la situation ne semble pas comparable. Il faut là aussi attendre les résultats des études sur l’architecture de Patara à l’époque impériale, mais les blocs d’architecture que l’on peut voir sur le site montrent une décoration très différente.
14Les indices d’apports extérieurs dans la décoration architecturale de Xanthos sont extrêmement ténus, mais pointent tous dans la même direction. On a vu que le chapiteau corinthien le plus ancien découvert sur le site pouvait être rapproché d’un exemplaire découvert hors contexte dans l’agora de Sidé. L’association des acanthes et godrons dans la décoration des chapiteaux, d’inspiration pergaménienne, est sans doute une formule qui a transité par Pergé, ville placée dans la sphère d’influence de Pergame depuis l’époque hellénistique. Le théâtre de Pergé a peut-être fourni aux sculpteurs xanthiens le modèle des acanthes tournoyantes du théâtre de Xanthos. Les anthémions de palmettes lisses alternativement ouvertes et fermées qui décorent les simas sont dérivés de la décoration de la porte d’Hadrien à Antalya.
15Les diverses comparaisons que l’on peut faire entre les arrangements décoratifs montrent très souvent que les parallèles les plus proches se trouvent en Pamphylie. Il est assez logique de penser que Xanthos, à l’écart du réseau routier mis en place sous Auguste et développé sous Vespasien, a eu peu de contacts avec l’Ionie et les grandes villes grecques de la côte, alors que les communications avec la Pamphylie pouvaient se faire très facilement par mer, entre Pergé et Patara. On ne connaît actuellement pas de trace d’une intervention directe d’un atelier pamphylien à Xanthos, mais on peut penser que les grands sites pamphyliens ont été des modèles pour les artisans locaux qui en ont copié les motifs en les adaptant.
16Le fait que les contours des feuilles d’acanthe ne soient jamais excessivement travaillés au trépan, comme c’est l’usage pratiquement partout ailleurs à partir de la deuxième moitié du iie siècle, peut également s’expliquer par le fait que les sculpteurs xanthiens ont traité des motifs importés avec leur technique locale. On notera également que l’arrangement typiquement pamphylien des perles et pirouettes – alternant une paire de pirouettes et une pirouette seule entre les perles – n’a pas été utilisé à Xanthos.
17Au total, la décoration architecturale de Xanthos se conforme en général aux formules employées ailleurs. La forme spéciale de certains des motifs décoratifs utilisés, comme les acanthes ou les palmettes, reflète sans doute, plus qu’une tradition locale, le fait que les artisans ont adapté à leur savoir-faire des motifs utilisés dans des sites plus prestigieux.
18La décoration particulière du présumé nymphée pourrait indiquer qu’il y a eu recours à une équipe extérieure pour sa construction. Il est plus vraisemblable, du fait que nous n’avons aucun parallèle ailleurs pour la décoration utilisée, de mettre cet ouvrage sur le compte d’un atelier local.
19Nous ne disposons actuellement d’aucun indice permettant de conclure qu’un atelier étranger a été actif à Xanthos et il semble bien que les ressources internes de la ville aient été suffisantes à l’époque sévérienne pour mener à bien l’ambitieux programme de construction, ou de reconstruction, comprenant le théâtre, la basilique civile et, peut-être, le nymphée.
Notes de bas de page
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Architecture romaine d’Asie Mineure
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