Chapitre I. L’arc de Sextus Marcius Priscus
p. 27-29
Texte intégral
1Le premier monument étudié est l’arc de Sextus Marcius Priscus car il est le seul monument de Xanthos sûrement daté (pl. 1, fig. 1). La comparaison entre son entablement et celui des portiques de l’agora ouest constitue par ailleurs un facteur déterminant pour la datation de cet ensemble monumental qui est étudié en second. L’étude de l’ornementation montre que les autres monuments de la ville appartiennent à une phase de construction différente : le théâtre fournit le plus grand nombre de pièces décorées conservées ainsi que le répertoire décoratif le plus varié. La basilique civile est probablement contemporaine de la dernière phase du théâtre, comme semble l’indiquer la remarquable ressemblance entre les chapiteaux de pilastre des deux édifices. Nous ne possédons que peu d’éléments pour étudier les autres monuments de la ville, agora inférieure, nymphée et décumanus. On peut sans doute les attribuer à la fin du iie ou au début du iiie p.C., mais nous sommes tributaires de l’avancée des fouilles et, dans certains cas, des dégagements, pour proposer une datation plus précise. Le dernier édifice décrit, le dipylon, est sans doute le monument le plus tardif de Xanthos à l’époque romaine.
2Le petit arc dédié par le légat de Vespasien Sextus Marcius Priscus1 a été construit à l'intérieur et en retrait d'une des deux portes de la ville, la porte sud qui existait déjà depuis l'époque classique. Cette porte marquait l'entrée de la ville pour qui arrivait de la rive gauche du Xanthe sur laquelle se trouvaient, isolés de la ville par le fleuve, le Létôon, la forteresse hellénistique de Pydna2 et une des deux nécropoles romaines3, près de laquelle s'est installé le village moderne de Karaköy.
3L'arc de Xanthos a toujours été visible, mais n'a pas pour l'instant retenu l'attention des chercheurs. Il s'agit d'une construction assez modeste, que ce soit par ses dimensions ou sa décoration sculptée, mais ce petit édifice honorifique est le seul monument d'époque romaine de Xanthos daté avec précision, c'est-à-dire par une inscription qui le place dans les années 68-69 p.C. C'est dire qu'il prend une importance particulière dans le cadre de toute recherche sur l'architecture de Xanthos.
4L’édifice prend la forme d'un petit arc clavé à simple baie, construit en grand appareil à joints vifs fait d'assises de hauteurs irrégulières. Les blocs entrant dans la construction de l'arc ont été taillés dans le calcaire local. L'arc, en plein cintre, est extradossé. Il est composé de voussoirs trapézoïdaux à douelles courbes, comme c'est le plus souvent le cas4. Sur les onze claveaux que compte l'arc, trois sont des claveaux traversants, les autres sont aboutés. La tête des voussoirs possède une simple mouluration composée d'un bandeau au-dessus d'un cavet.
5L'entablement de l'arc est la partie de l'édifice qui nous intéresse plus particulièrement. Il se compose d'une architrave surmontée d'une frise dorique et d'une corniche de type ionique (pl. 53, fig. 136). Les regulae sont présentes sous la taenia, mais elles ne possèdent pas de gouttes. La frise présente une corona. Trois des métopes étaient ornées des bustes de Léto, Artémis et Apollon. Seule la tête de Léto, qui décorait la métope axiale, est restée en place. Les glyphes ont un sommet droit et sont de section triangulaire. Le sommet des demi-glyphes angulaires s’arrête horizontalement.
6La base de la corniche-sima qui couronne cet entablement “mixte” est décorée d’une mouluration en quart-de-rond. Le soffite du larmier est oblique. Le front du larmier est couronné par une sorte de baguette qui fait la transition avec la sima. Cette dernière, profilée en doucine, est munie de fausses gargouilles en tête de lion.
7On ne connaît pas d'aménagement exactement comparable dans la vallée du Xanthe5. La porte monumentale6 de la ville voisine de Patara (pl. 79, fig. 222) offre cependant un assez bon point de comparaison avec l'arc de Xanthos. Le monument, élevé en l'honneur de C. Trebonius Proculus Mettius Modestus, gouverneur de Lycie-Pamphylie, est daté vers 100 p.C. Il possède, comme l'arc de S. M. Priscus, un entablement mixte composé d'une architrave lisse, cette fois sans regulae, d'une frise dorique à métopes muettes et corona et d'une corniche de type ionique7.
8L'observation de l'entablement de l'arc de Xanthos permet de faire trois remarques. On constate tout d'abord que l'ordre dorique est encore employé vers la fin du ier siècle en Lycie, alors qu'on considère généralement qu'il se raréfie à la fin de l'époque hellénistique8. Il est à ce propos intéressant de comparer l’arc de Xanthos avec l’arc de Demetrios et Apollonios à Pergé9. Les piédroits de cet arc sont munis de demi-pilastres doriques sur lesquels reposent l’architrave, la frise à triglyphes et métopes et un “demi-fronton”. L’archivolte de l’arc s’appuie sur chaque demi-fronton. L’arc de Pergé est donc structurellement très différent de celui de Xanthos, mais il n’en reste pas moins que l’ordre dorique y est utilisé et à peu près à la même époque. L’inscription qui orne l’édifice permet en effet de le dater du règne de Domitien, entre 81 et 83-84 p.C.
9En second lieu, on constate que le parti pris à l'arc de Xanthos n'est pas sans rappeler les arcatures des passages voûtés donnant accès au diazoma du théâtre du Létôon, le sanctuaire extra-urbain de Xanthos, daté du iie siècle a.C. Ces arcatures, traitées en architraves ioniques, sont elles-mêmes surmontées, à l’entrée nord, d'une architrave ionique à trois fasces et d'une frise dorique dont les métopes sont décorées de masques. Au-dessus de la frise prend place une corniche “horizontale à soffite lisse”10. Cet aménagement particulier, qui associe un arc et une frise dorique, apparaît semble-t-il pour la première fois en Asie Mineure au théâtre du Létôon11. Ce n'est sans doute pas par hasard que les architectes de l'arc de Xanthos ont repris cette formule. Il semble assez logique que la porte sud de la ville, qui desservait presque exclusivement le sanctuaire du Létôon et qui était ornée des bustes de la triade apollinienne, rappelle par son aménagement décoratif une formule spécifique utilisée au théâtre du sanctuaire. On pense en effet que la “voie sacrée” qui menait de Xanthos au Létôon traversait le théâtre en utilisant le diazoma, c'est-à-dire en empruntant les passages voûtés. La décoration de l'arc de S. M. Priscus a sans doute été choisie pour faire écho à celle des arcatures du théâtre.
10La confrontation des profils montre enfin que les corniches de l'agora romaine, cette fois normalement associées à des architraves-frises ioniques, sont comparables aux corniches de l'arc et aussi aux corniches de la terrasse du Monument des Néréides, ce qui semblerait indiquer une certaine contemporanéité entre ces monuments (pl. 53 et 54).
Notes de bas de page
1 TAM, II, 270. Benndorf & Niemann 1884, 91-92.
2 Adam 1981.
3 Signalées dans Anatolia Antiqua VIII, 2000, 340-341.
4 Ginouvès 1992, 146.
5 Une autre porte monumentale se trouve à Phasélis, en Lycie orientale. Construite en l'honneur de l'empereur Hadrien, comme la porte d'Antalya, elle est d'un style tout à fait différent.
6 Ihḱ 2000, 81-82 et fig. 66.
7 L'association d'une frise dorique et d'une corniche ionique semble assez fréquente en Asie Mineure sous les Flaviens et au début du iie siècle. En dehors de Xanthos et Patara, on en a deux exemples à Hiérapolis, le premier à l'entablement de la rue à colonnades construite sous le proconsul S. Iulius. Frontinus (d’Andria 2004, 78-79) le second sur la tombe de Titus Flavius Deuxis datée de la fin du ier siècle, tombe construite à proximité de la porte monumentale de Domitien (d'Andria 2004, 66-67).
8 A ce sujet, Coulton 1983, 1-20.
9 Inan 1989, 237-244.
10 Moretti 1998, 55.
11 Bernard 2001, 364.
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