Du livre d’histoire à la classe : L’Égypte ancienne... en BD
p. 193-208
Texte intégral
1Des tombeaux chargés de mystères, d’inquiétants corps momifiés, des divinités anthropomorphes surmontées de têtes animales… Si l’Antiquité fascine dès le plus jeune âge et engendre de très nombreuses publications, c’est probablement dans l’Égypte pharaonique que les œuvres destinées à la jeunesse puisent l’une des parts les plus importantes de leur inspiration1. Le neuvième art2 n’est pas en reste puisque, depuis les aventures de Blake et Mortimer dans Le Mystère de la grande pyramide d’E. P. Jacobs publié dès 1950 jusqu’à la parution du quatrième tome du manga Reine d’Égypte de C. Inudoh en mai 2018, on ne compte plus les histoires illustrées qui prennent pour objet ou pour toile de fond l’Égypte ancienne3. Cette Égypte captée par les œuvres de jeunesse – et à travers elle l’atmosphère d’intrigue et d’exotisme qu’on lui prête – a évidemment vocation à plaire au lecteur, mais il arrive parfois de voir cette mission de divertissement doublée d’une volonté revendiquée d’instruire. Telle est la ligne éditoriale de la récente collection de docu-BD “Bulles d’histoire” lancée par Belin jeunesse, dont le volume intitulé L’Égypte ancienne… en BD (2017) constitue le point de départ de la présente réflexion4. La discussion des choix iconographiques opérés par l’auteure V. Koenig et les dessinateurs M. Duclos et J. Alvarez (1.), l’analyse des représentations de l’Égypte par le biais d’une utilisation originale de la fiction et des illustrations (2.), enfin l’exploration des possibilités générales d’utilisation de L’Égypte ancienne… en BD avec des élèves (3.) permettent une réflexion sur la réception de l’Antiquité dans les ouvrages de jeunesse et sur l’utilisation de ces derniers dans le cadre de scénarios pédagogiques adaptés. Dans cette optique, les confrontations entre cette BD et la récente synthèse historique proposée par D. Agut et J. C. Moreno-García, qui se fonde sur un large usage des illustrations et dont la lecture permet de discuter certaines modalités de transmission des avancées scientifiques depuis le livre d’histoire vers la BD puis vers la classe, émailleront cette contribution5.
Mises en fiction et simplifications historiques : capter l’Égypte ancienne
2La ludification propre aux œuvres de jeunesse ne constitue, dans L’Égypte ancienne… en BD, qu’une partie du travail accompli, au sens où s’y ajoute la nécessité de rendre son contenu intelligible et adapté au jeune lectorat. Si rigoureux soit-il, ce travail de simplification implique des choix et l’examen d’une vitrine subjective de l’Égypte ancienne occupera le premier temps de la réflexion : à quelles thématiques et à quels objets peut-on réduire “l’essence” de l’Égypte antique dans le but d’en transposer les réalités historiques d’une manière à la fois claire et accessible ? Ensuite, en partant de L’Égypte ancienne… en BD, mais sans s’y limiter, il s’agira ensuite d’interroger le rapport que les BD de fiction entretiennent avec l’histoire égyptienne afin de comprendre la façon dont elles peuvent venir s’éclairer et s’enrichir mutuellement.
Une vitrine subjective : l’essentialisation de l’Égypte dans la BD
3“Il est bien évidemment question de pyramides et de tombeaux, de sarcophages et de momies, de sphinx et de papyrus, c’est-à-dire des premières choses qui, avec force, viennent à l’esprit dès qu’on prononce le mot Égypte”, écrit J.-P. Corteggiani dans un article qu’il consacre à l’image de l’Égypte dans la bande dessinée6. Comment expliquer que certaines thématiques et certains objets soient à ce point chargés de sens qu’ils semblent synthétiser à eux seuls l’essentiel de l’Égypte ancienne ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que tout projet de vulgarisation scientifique impose, devant la tâche impossible de l’exhaustivité, des choix qui visent à simplifier la réalité historique. L’Égypte ancienne… en BD ne déroge pas à la règle puisque le récit s’articule autour de quelques thématiques et symboles incontournables de la mise en image et en fiction de la civilisation pharaonique.
4Cette Égypte de synthèse repose d’abord sur la figure de Pharaon, monarque centralisateur qui, coiffé du pschent – double couronne symbolisant l’union de la Haute et de la Basse Égypte –, s’informe depuis la salle du Trône des nouvelles de son royaume et dont les scribes (administrateurs, comptables, architectes) arpentent l’Égypte. Pharaon est aussi un roi de guerre : qu’il passe en revue ses armées, affirme sa présence sur le champ de bataille ou partage la victoire avec ses soldats, il est le protecteur qui veille sur l’intégrité et l’unité de l’Égypte (p. 15-25)7. Pharaon est enfin l’hôte généreux qui renvoie, par la richesse de ses banquets, l’image – chargée des poncifs orientalistes – d’une Égypte de la profusion (p. 34-37). La deuxième thématique mise en exergue est celle d’une Égypte laborieuse : loin du palais se dessine le quotidien d’un monde paysan (aux effectifs longtemps surévalués8) dont les activités sont rythmées par les crues du Nil (p. 38-51)9. Enfin, dieux et déesses égyptiens à l’aspect thérianthrope sont passés en revue dès les premières pages de l’album et le dernier chapitre revient sur les croyances des Égyptiens et sur les rites, gestes et lieux associés à la célébration des divinités (p. 10-11 et 52-57). Ces pages renvoient à des pratiques funéraires qui alimentent un imaginaire fécond depuis la découverte des premiers corps égyptiens au xixe siècle : du Roman de la momie de Théophile Gautier en 1857 au film La Momie d’Alex Kurtzman avec Tom Cruise en 2017, les momies sont des objets de fascination dont le succès ne s’est jamais démenti auprès du grand public et qui font la preuve d’un rapport d’attirance/répulsion interrogeant le rapport des Anciens, au moins autant que celui des Modernes, à la mort. Nul monstre de bandelettes ou de malédiction frappant les archéologues dans L’Égypte ancienne… en BD, puisque les planches rigoureuses de l’album abordent plutôt, à partir des connaissances actuelles sur les techniques de momification, les étapes très codifiées du passage du défunt vers l’au-delà10.
5À ces thèmes classiques répondent des codes iconographiques qui renvoient à une Égypte stéréotypée. L’image de l’Égypte est d’abord celle d’un milieu désertique traversé par un fleuve fertile et l’on sait que l’idée d’un royaume construit autour de et par son fleuve remonte au moins aux auteurs d’époques grecque et romaine, faisant de l’Égypte un “don du Nil”11. En dépit des connaissances actuelles sur les profondes transformations du Nil et de ses paysages au cours de l’histoire, l’idée d’un paysage nilotique immuable12 demeure vivace dans l’imaginaire et alimente une représentation de l’espace égyptien polarisé par “le désert où vivent les animaux sauvages” et “la vallée du Nil où vivent les Égyptiens (p. 8, soit la première planche de l’album). Cette Égypte désertique côtoie une Égypte d’abondance, marquée par une riche biodiversité : lorsque Pharaon pêche en famille, il évolue dans un univers verdoyant à la faune diverse, ce qui offre l’image d’une nature hostile maîtrisée par l’Homme et celle d’une faune qui est, depuis l’Antiquité, emblématique de l’Égypte13. À cette image d’abondance fait enfin écho le quotidien éprouvant du paysan Baki (infra), occupé aux travaux agricoles, à la récolte des fruits et des légumes, à l’élevage ou à la culture du papyrus (p. 40-46).
6Pyramides, temples, sphinx : l’Égypte subjective s’incarne enfin dans ses monuments. Le récit s’ouvre sur le plateau de Gizeh et ses pyramides, qui symbolisent la puissance et la pérennité du pouvoir pharaonique. Ailleurs, les colonnades en arrière-plan viennent suggérer le faste des palais royaux (p. 12-16, 22, 25, 27, 33 ou 37). L’acte de bâtir matérialise le pouvoir de Pharaon et permet d’honorer les dieux, comme le rappelle la belle double-page qui représente un temple égyptien avec son enceinte, son allée de sphinx, ses colonnes, son sanctuaire, et dont l’aspect général n’est pas sans rappeler le temple de Ptah à Memphis (p. 56-57). Le mythe d’une Égypte de pierre ne tarde toutefois pas à être battu en brèche : “la pierre est chère et lourde. On ne l’utilise que pour construire les tombes et les temples de dieux” (p. 48) déclare le personnage d’Inaros lorsqu’il construit sa maison de briques crues. Quels que soient les matériaux utilisés, demeure l’idée d’une maîtrise aboutie de techniques de constructions complexes, dont les scientifiques peinent encore à percer les mystères14.
7L’Égypte ancienne… en BD recourt donc aux éléments incontournables permettant de renvoyer à une Égypte essentialisée et autour desquels se construisent bon nombre d’œuvres fictionnelles qui prennent pour cadre le royaume de Pharaon. Fondée sur ce que l’Égypte offre de plus spectaculaire et de plus dépaysant aux yeux occidentaux, cette “vitrine subjective” est relayée par des médias toujours plus nombreux : ainsi le jeu à succès Assassin’s Creed Origins qui, sorti en 2017, propose une reconstitution de l’Égypte du milieu du ier siècle a.C. Bien que la période traitée soit éloignée de notre propos, une brève analyse de l’illustration de la jaquette du jeu se révèle riche d’enseignements. En face du personnage principal de l’aventure (le medjaÿ Bayek, représenté de dos) se déploie un véritable condensé de l’Égypte fascinante et imaginaire : aux constructions du plateau de Gizeh en arrière-plan et à un temple de Memphis surdimensionné répondent les dunes ensablées, les rives verdoyantes du Nil, les bateaux et animaux exotiques qui peuplent le fleuve, le tout étant exposé sur un fond bichrome qui évoque l’Égypte solaire de Râ et l’aspect sombre et mystérieux du royaume (fig. 1). Autant de codes qui, en condensant plusieurs millénaires d’histoire égyptienne en un seul montage, plongent immédiatement le joueur potentiel dans un environnement tout à la fois dépaysant et familier, car fondé sur les stéréotypes thématiques et iconographiques propres à la figuration de l’Égypte et qu’on retrouve dans L’Égypte ancienne… en BD.
De l’histoire égyptienne vers la fiction… et réciproquement
8Si la fiction peut s’emparer de pans entiers d’histoire, il convient toutefois de prendre la mesure du rapport qu’entretiennent histoire et fiction dans ce cadre, en considérant brièvement les objectifs, les modalités et les fonctions de leur interpénétration. En effet, la réalisation d’une œuvre de fiction historique soulève d’emblée une interrogation fondamentale : qui de l’histoire ou de la fiction, par sa position et son poids dans le récit, occupe la place principale ? L’histoire comme “toile de fond” ou l’histoire comme “motif principal”15 : tels sont les deux pôles principaux, mais non uniques16, de mise en fiction de l’histoire, qu’il est nécessaire d’interroger afin de mieux se dégager de la pesante et trompeuse catégorie de la “bande dessinée historique” et de mieux cerner la singularité du projet de L’Égypte ancienne… en BD.
9Comme toile de fond, l’histoire de l’Égypte insuffle de l’exotisme au récit et de l’épaisseur à l’intrigue. Les personnages de fiction sont ainsi généralement représentés dans un univers composé de toutes pièces, sans nécessairement entrer en interaction avec lui : c’est ce qui se passe dans Astérix et Cléopâtre (1965) puisque, si l’aventure se déroule dans un contexte historique et géographique délimité (l’Égypte du milieu du ier siècle a.C.), les aventures des Gaulois se situent dans une Égypte stéréotypée que les héros ne “rencontrent” pas véritablement. Réservoir d’altérité, cette Égypte-là a pour mission d’étoffer l’intrigue et de multiplier les décalages comiques entre la culture gauloise et celle d’un Orient fantasmé, ce qui explique en partie que l’on convie pour la première fois Astérix et Obélix hors d’Europe. L’Égypte comme toile de fond, c’est aussi celle des péripéties de Tintin dans Les Cigares du Pharaon (1955), où l’enquête du reporter se déploie dans une atmosphère d’intrigue et de mystère : “cette histoire de trafic de drogue pourrait bien se dérouler dans n’importe quel décor, mais elle serait moins exotique, c’est-à-dire moins séduisante aux yeux du lecteur”17.
10Face à cette tendance à utiliser l’Égypte comme simple décor, qu’il faudrait se garder d’ériger en modèle, mais dont l’importance est manifeste, l’ambition de l’Égypte ancienne… en BD est toute autre : fournir une entrée à la fois simple et ludique dans l’histoire de l’Égypte ancienne. Les rôles s’en trouvent ainsi en quelque sorte “inversés” par rapport aux œuvres citées précédemment, puisque le décor et l’histoire confèrent au projet toute sa substance. Plus qu’une imbrication entre personnages et contexte historique, on assiste à une forme de fictionnalisation de l’histoire (voir le résumé du récit infra), où la volonté de transmettre des connaissances prime, mais s’équilibre toujours avec le projet de rendre, par le récit, l’entrée dans l’histoire attrayante. La structure globale de l’œuvre révèle ainsi la volonté d’une instrumentalisation de la fiction et les scènes comme les personnages de fiction servent de liant au récit : leur capacité d’agglomérer des éléments de culture antique permet par exemple de fluidifier un exposé qui, notamment parce qu’il repose sur une documentation lacunaire, pourrait manquer d’efficacité sans le recours à l’imaginaire. Si les œuvres de littérature jeunesse s’emparent donc régulièrement de l’histoire égyptienne afin d’en faire un décor stimulant et stéréotypé dans lequel se déroulent les aventures des personnages, le projet de vulgarisation scientifique peut tout aussi bien conduire à insuffler des éléments de fiction au cœur du contexte que l’on décrit, notamment afin d’en faciliter l’accès. Dans cette optique, l’auteure et les dessinateurs de L’Égypte ancienne… en BD ne se limitent pas aux simplifications et aux retranchements inhérents à l’exercice de la vulgarisation scientifique, mais proposent une démarche originale qui articule histoire, fiction et images.
Raconter l’Égypte : l’histoire, des histoires et des images
11Discuter des modalités de présentation privilégiées par l’auteure et les dessinateurs afin de raconter une histoire de l’Égypte située à mi-chemin entre histoire et fiction conduit à aborder les manières dont certaines réalités historiques sont transposées dans la narration et dans les illustrations. Ici, ludification et objectif pédagogique s’équilibrent dans une mise en narration où la rigueur scientifique ne se dissout jamais dans l’originalité pédagogique. D'une part, afin d’éclairer les choix artistiques, et (donc) pédagogiques, sur lesquels reposent L’Égypte ancienne… en BD, il est en effet utile de prêter attention à l’articulation que les auteurs proposent entre narration, fiction et rigueur historique : au fil de la narration, l’inclusion de fictions attrayantes ou l’intervention de la chatte Mitet permettent de “faire du lien” et de conférer à cette leçon ludique une souplesse tout à fait adaptée au jeune lectorat. D'autre part, pour ce qui est des illustrations, le recours à des dessins qui reproduisent de véritables œuvres de l’art égyptien apparaît comme un gage de rigueur et donne lieu à la naissance d’un précieux “musée illustré”.
De petites histoires dans la grande : aborder l’Égypte avec souplesse
12Les choix narratifs adoptés pour aborder la plupart des thèmes de l’histoire de l’Égypte18 reposent sur deux principes directeurs que sont, d’une part, une focalisation sur la famille du pharaon Amosis puis sur celle du paysan Baki, d’autre part l’intervention d’une chatte‑narratrice prénommée Mitet. L’aventure commence en 1540, au début du règne d’Amosis, roi de Thèbes de 1550 à 1540 et Pharaon entre 1540 et 1525. Le choix de cette époque, qui permet d’éviter le stéréotype du pharaon traditionnellement incarné par Ramsès II (1279‑1213), fournit un point d’entrée pertinent dans l’ensemble de l’époque pharaonique, au sens où cette dernière est décrite à partir du cas d’un souverain qui, en plus d’occuper une place centrale dans une chronologie étendue depuis les années 3150 jusqu’au basculement définitif de l’Égypte dans la sphère d’influence romaine (30 a.C.), fut le roi de Thèbes sous lequel une bonne partie de l’Égypte fut unifiée19. Raconter, de manière romancée, la “journée type” du règne d’Amosis, qui peut à certains égards être considéré comme une fractale de la longue histoire de l’époque pharaonique (ce que le choix d’illustrations d’époques différentes confirme : infra), permet ainsi de s’intéresser à Pharaon. La question de la crue et des récoltes fait l’objet de la première discussion de Pharaon avec son vizir et ce thème revient à plusieurs reprises, souvent sous forme de dialogue (p. 14-16 et 22). Cette entrevue cède sa place à la mention de révoltes au Nord de l’Égypte, ce qui conduit les auteurs à proposer un portrait synthétique de Pharaon guerrier (supra). De même, le second chapitre s’ouvre avec une scène de chasse, à laquelle participent Pharaon et sa famille, ce qui est l’occasion de décrire la faune et la flore de l’Égypte. Enfin, la tenue d’un banquet au palais offre de revenir sur les compétences techniques (bijoux, parfums, musique) et culinaires de l’entourage du souverain.
13Cette mise en fiction, qui tente de “capter” l’Égypte dans le récit d’une “journée royale”, ne se limite pas au seul Pharaon. Le passage en revue des scribes au service du monarque permet ainsi de considérer les interactions entre les personnes au service du souverain et la population autant que d’insérer un exposé synthétique sur l’horizon culturel et intellectuel des Égyptiens (p. 23-27). Dans une optique analogue, le troisième chapitre substitue à une lecture “descendante” de la société une analyse “ascendante” fondée sur la description de la vie quotidienne du paysan Baki et de sa famille20. Assumé comme tel21, ce parti pris historiographique et narratif, là encore fondé sur un récit fictionnel, permet d’informer le lecteur sur les réalités concrètes de l’agriculture, de l’élevage, de la transhumance, de la confection des papyrus, de la construction des maisons ou encore de l’activité des artisans. Cela étant, cet angle de vue “ascendant” n’occulte jamais le rôle central de Pharaon, omniprésent dans la vie de Baki : la brutale collecte d’impôts par les scribes ou l’évocation d’un souverain heureux de récupérer le bénéfice de l’élevage renvoient ainsi à la présence ontologique du souverain, élément qui est sans doute fondé historiquement (p. 41, 44, 48 et 50)22.
14La fin de l’ouvrage se détache de la narration fictionnelle23 afin de décrire, dans une optique plus nettement didactique et à renfort de choix graphiques bienvenus24, la vie religieuse, mortuaire et monumentale de l’Égypte pharaonique (p. 51-67). Il faut alors remarquer que l’importance prise par la chatte Mitet dans la narration, identifiable dès la première case, atteint un degré supérieur dans cette dernière partie, comme si le recours à ce personnage fictif, par ailleurs incarnation topique de l’Égypte, visait à maintenir une souplesse d’exposition destinée à capter le jeune lectorat. L’intervention de ce personnage, qui s’insère dans le récit sans en interrompre le déroulement, permet ainsi d’insérer de fréquents éléments d’humour25 et de prêter à Mitet des commentaires plus strictement informatifs qui seraient, formulés par d’autres biais, sans doute plus arides26. Mitet semble ainsi accompagner puis prendre le relai des petites histoires qui servent à restituer la grande histoire.
15L’aventure se termine sur une case où l’on retrouve le félin et la famille de Baki : de manière topique, tous les personnages sont représentés dans un champ, avec des palmiers, le Nil ou une barque en arrière-plan, soit autant de signes (icono)graphiques habituellement mobilisés pour dépeindre l’Égypte (supra). Il ne faudrait toutefois pas conclure à un usage seulement stéréotypé des images dans cette BD, ne serait-ce que parce que l’entreprise de sensibilisation aux réalités historiques de l’Égypte repose sur la reproduction d’objets historiques qu’un œil averti sait repérer et dont les vertus pédagogiques sont essentielles.
16Les vertus pédagogiques d’un “musée illustré”
17Le passage en revue de quelques œuvres de l’art égyptien, dans lesquelles les égyptologues puisent une bonne partie de leurs connaissances, révèle la volonté de l’auteure et des dessinateurs de L’Égypte ancienne… en BD de se placer au ras de la documentation et de proposer un “musée illustré”. Une telle opération est explicitement réalisée dans le cas de la pyramide d’Ounas (2375-2345), monument bien connu des égyptologues et qui fournit la plus ancienne attestation des “Textes des Pyramides”, ces documents permettant de saisir avec une relative précision la vie politique et administrative du iiie millénaire.
18La remarque peut aussi être formulée dans le cas de Pharaon : le début de la partie de chasse d’Amosis est un clin d’œil au “Ramsès II à Qadesh” du temple d’Abou Simbel (première moitié xiiie siècle) (fig. 2a et fig. 2b).
19Dans le cas de ces œuvres célèbres, se met en place un véritable jeu d’intericonicité (qui répond au même principe que l’intertextualité, mais porte sur les images27) qui fait appel à une culture graphique commune et permet de dépasser la seule vocation informative de l’image en venant provoquer une curiosité qui conduit à retrouver quelles images “réelles” ont pu inspirer les auteurs d’une BD28. À l’instar des narrations fictionnelles évoquées plus haut, d’autres œuvres, moins connues du grand public cultivé, permettent d’aborder la vie quotidienne de strates plus modestes de la société égyptienne. L’exemple le plus flagrant de cette démarche historique, pédagogique et visuelle est sans doute la figuration des activités de pêche, qui consiste en une reproduction extrêmement fidèle d’une pièce de mobilier retrouvée dans la tombe de Meketrê à Deir el-Bahari (fin iiie-début iie millénaire) (fig. 3a et fig. 3b).
20De même, la figuration du chadouf (fig. 4a) tire sans doute partie de ses traits d’une peinture murale (fig. 4b) de la nécropole de Deir el-Medineh (xiiie siècle), alors que la représentation d’un joueur de tambourin s’inspire peut‑être d’un type de statuette proche de celle qui est conservée au Musée du Louvre (xviie/xvie siècle)29. En tirant ainsi le meilleur profit de la documentation, les auteurs de L’Égypte ancienne… en BD confèrent une épaisseur historique bienvenue à la description de l’Égypte pharaonique qui est ici proposée. Ils ajoutent une véritable valeur graphique et pédagogique à la BD et en permettent ainsi un usage tout à la fois plaisant dans le cadre récréatif et rigoureux dans le cadre scolaire.
21En effet, l’utilité pédagogique des petites histoires et de la reproduction de véritables objets de l’art égyptien font de cet ouvrage un précieux outil pour transmettre les acquis de l’égyptologie la plus récente à un jeune lectorat ou à des élèves du secondaire. Dans ce processus de transmission, l’enseignant joue un rôle pivot qui ne saurait être négligé et sur lequel il convient de terminer, en élargissant parfois notre réflexion à l’usage général de la BD dans l’enseignement de l’Antiquité auprès des élèves de sixième.
De la bande dessinée à la classe, en passant par l’enseignant
22Souligné dès 1970 par A. Roux dans un ouvrage fondateur intitulé La Bande dessinée peut être éducative, puis confirmé par la tenue du premier colloque international sur “Bande dessinée et éducation” en 1977, le fort potentiel pédagogique du neuvième art est officiellement reconnu en France en 1995-1996, lorsque plusieurs titres de BD font leur entrée en tant que ressources d’accompagnement des programmes de collège. Bien qu’il s’agisse d’une “intégration en trompe-l’œil”30 et que la déconsidération dont pâtit la BD soit encore visible dans les programmes comme dans la plupart des manuels31, on remarque un intérêt grandissant des enseignants pour ce médium, dont les avantages sont nombreux, en particulier en classe d’Histoire-géographie : il est ainsi devenu courant de s’immerger dans les mondes antiques par la lecture des Voyages d’Alix de Jacques Martin, de suivre le parcours et le vécu des esclaves au xviiie s. grâce aux Passagers du vent de François Bourgeon, d’entrer au cœur de la Grande Guerre à travers l’œuvre de Jacques Tardi ou d’évoquer la Shoah par le biais de Mauss d’Art Spiegelman32. Exploitant pleinement ce potentiel pédagogique qui caractérise cet art séquentiel, L’Égyptienne ancienne… en BD mêle textes, images et narrations afin de proposer une entrée originale dans un monde peuplé d’habitants aux quotidiens variés et de faire prendre aux lecteurs la mesure d’une profondeur historique et humaine que l’étude de l’Égypte ancienne par le biais de la statuaire et/ou du paysage monumental peut parfois minimiser. Cependant, la force pédagogique de L’Égypte ancienne… en BD ne saurait être réduite à cette seule dimension, puisque le projet ludique de l’œuvre, rendu visible par le choix du médium et par le travail de fictionnalisation, s’accompagne d’une véritable volonté pédagogique, évidente au regard des thématiques abordées et des points de culture qui parsèment le récit. Il faut alors s’interroger sur la façon dont cette BD peut être utilisée par l’enseignant avec ses élèves, afin d’en exploiter tout le potentiel pédagogique et, ainsi, éviter l’écueil qui consisterait à la réduire à sa seule vocation illustrative.
Une histoire vivante de l’Antiquité égyptienne
23L’Égypte ancienne… en BD donne à voir ce qui n’est plus visible et permet au lecteur de concevoir l’inconnu comme l’incertain. En s’appuyant sur les connaissances archéologiques les plus récentes, cette bande dessinée propose une reconstitution simple de l’Égypte antique, où l’imagination contrôlée des dessinateurs permet l’immersion du lecteur – d’emblée familiarisé avec l’époque qu’aborde l’œuvre –, tout autant qu’elle offre un accès presque “direct” à la connaissance historique33. Les éventuels inconvénients des manuels du secondaire, souvent pourvus d’une suite d’illustrations non pas toujours reliées entre elles, se voient ici neutralisés par un univers visuel dont la crédibilité et la rigueur se fondent sur l’habile insertion (voire sur la reproduction) de certaines scènes ou objets inspirés de vestiges historiques (supra). Ainsi traitée, l’image favorise une histoire “vivante” (au sens de véritablement incarnée) de l’Antiquité égyptienne. Le rôle joué par l’album dans la restitution des dynamiques historiques et humaines réside aussi dans l’effort de narration, puisque, normalement figés dans la pierre, les anciens Égyptiens s’animent et renvoient l’image d’une société vivante : Pharaon, habituellement abordé par le biais de statues et sarcophages hiératiques, est ici présenté sous son aspect sacré (le souverain, le chef de guerre) autant qu’humain (le père de famille, l’amateur de banquets), les deux aspects étant liés (on notera ainsi que Pharaon fustige le manque d’ardeur de son fils à la chasse à la p. 31). De même, aborder le monde paysan à hauteur de personnages permet d’en dépeindre les particularités et les problématiques, le récit venant rappeler l’importance de la vallée du Nil comme un espace vécu et perçu34. Enfin, en optant pour la fiction, les auteurs donnent de l’épaisseur au quotidien des Égyptiens, permettant aux lecteurs de les suivre dans leurs discussions, leurs repas, leurs disputes, etc. : cette mise en intrigue, aussi simple soit-elle, donne vie à l’Égypte.
24“Montrer et dire”35 l’Égypte antique, tel est donc l’objectif double de cet album, qui sait tirer profit des avantages pédagogiques que présente le support de la bande dessinée afin de faciliter l’entrée des lecteurs dans une période historique. Malgré cette richesse indéniable, le recours à la bande dessinée en classe “se heurte invariablement à un problème de taille : celui de la transposition didactique”36 : avec quoi remplir les cases et les planches pour que le support soit utilisable dans le cadre de scénarios pédagogiques ? C’est à cette question que l’auteure de l’Égypte ancienne… en BD a tenté de répondre, en se livrant, en amont de la réalisation de son album, à une réflexion didactique qui aboutit à une transcription illustrée des contenus du programme de sixième, dont tout enseignant peut s’emparer pour aborder l’Égypte en classe.
L’Égypte ancienne… en BD dans la classe : au-delà de l’illustratif
25Dans le cadre du premier thème d’histoire du programme de sixième, l’étude des premiers États et des premières écritures peut conduire les enseignants à aborder l’Égypte antique, sujet séduisant qui retient généralement l’attention des élèves. Ces derniers sont amenés à comprendre l’organisation de l’Ancien Empire égyptien comme une nouvelle forme d’autorité politique et d’organisation juridique et administrative, qu’il faut lier à l’apparition des premiers hiéroglyphes, attestés dès la fin du ive millénaire37. Une lecture attentive de L’Égypte ancienne… en BD permet de déceler plusieurs thèmes qui entrent directement en résonnance avec ces programmes et qui sont ainsi à même de venir alimenter l’acquisition des connaissances et compétences des élèves.
26Au cœur du premier thème, qui traite de “La longue histoire de l’humanité et des migrations”, la construction de repères spatiaux et temporels attendus en fin de cycle 338 est d’autant plus importante que les longues temporalités de la Préhistoire et ses variations d’échelle (du monde au site préhistorique) sont difficiles à saisir pour les élèves. Malgré une nette compression chronologique – on quitte les millions d’années pour les millénaires, les siècles voire les années – et le recentrement géographique autour de l’Orient ancien, l’étude de l’Égypte permet de sensibiliser les élèves à la maîtrise de ces repères chronologiques et spatiaux : il suffit d’observer leur réaction lorsqu’ils découvrent que Cléopâtre est plus proche de notre époque que de la construction des pyramides de Gizeh pour mesurer la nécessité de ce travail de repérage dans le temps comme dans l’espace. Muni d’une carte et d’une brève frise chronologique de l’Égypte pharaonique – complétée par quelques dates-clés données en fin d’ouvrage – L’Égypte ancienne… en BD est donc tout d’abord riche d’outils proches de ceux que proposent les manuels et qui constituent autant de ressources pédagogiques pour la classe (p. 8-9 et 68-69)39.
27De surcroît, si le début du programme insiste sur la naissance de l’État comme nouvelle forme d’organisation politique, c’est aussi le cas de L’Égypte ancienne… en BD, qui accorde une place centrale à Pharaon et à la centralisation du pouvoir : la représentation du souverain dans la salle du Trône est l’occasion de passer en revue les différentes couronnes du pharaon, alors que l’évocation de son quotidien permet d’aborder le rôle administratif des scribes, puis de montrer Pharaon comme un roi guerrier (supra). Dans un second temps, la découverte du quotidien du paysan Baki présente le double intérêt de rendre visible la stratification de la société égyptienne et de rappeler le rôle des grands fleuves de l’Orient ancien – Tigre, Euphrate et Nil – dans la naissance des premières civilisations et dans la formation des premiers États au sein du Croissant fertile. La figuration des activités agricoles permet aussi de comprendre l’importance des crues du Nil dans le quotidien des paysans, et de les mettre en lien avec les premières formes de sédentarisation des communautés humaines abordées dans le sous-thème précédent, qui traite de la révolution néolithique. Objet central du premier chapitre, l’écriture est également évoquée à plusieurs reprises dans l’album : la présentation des travaux des champs permet une mise en image de la fabrication de feuilles à partir des tiges de papyrus ; la pratique de l’écrit est montrée dans le cadre de l’apprentissage des enfants et dans l’activité des scribes de Pharaon40. Considérer Pharaon comme un dieu vivant conduit enfin à aborder les pratiques funéraires des Égyptiens dans leur ensemble, depuis l’embaumement jusqu’à la construction des pyramides. Là encore, L’Égypte ancienne… en BD révèle son ambition pédagogique : l’évocation du travail des prêtres s’ouvre sur des planches qui décrivent en détail la préparation des momies, suivent le parcours du sarcophage, et resituent les pyramides dans leur fonction de tombeaux gigantesques, dont l’architecture a évolué au cours du temps (p. 58-63).
28Cet album semble donc avoir été pensé et réalisé en lien étroit avec le programme d’histoire de la classe de sixième et l’auteure, elle-même enseignante, a su proposer une histoire à la fois ludique et rigoureuse de l’Égypte, faisant ainsi de l’album un outil efficace à utiliser avec des élèves. Si cette réflexion didactique a bien été menée en amont, cette BD n’est pas pour autant “prête à l’emploi”, au sens où une lecture non problématisée la réduirait à sa seule valeur ludique et/ou illustrative. Travailler en classe autour de cette bande dessinée implique d’emblée une collaboration avec le professeur documentaliste, le fonds documentaire du CDI permettant d’évacuer le problème embarrassant de l’accès des élèves à l’œuvre. Il s’agira ensuite, en guise d’entrée en matière, de familiariser les élèves avec la lecture de la bande dessinée, la prise en main et l’utilisation d’un tel média n’allant pas nécessairement de soi pour tous. Au cours de la première séance, les élèves pourraient être organisés en “groupes d’experts”, formés en amont par l’enseignant, qui devra tenir compte des besoins et compétences de chaque élève. Ces “experts” se verraient attribuer des thèmes de travail (pouvoirs du Pharaon, métiers de scribes, vie dans la vallée du Nil, croyances des Égyptiens, etc.) qu’ils découvriraient à travers le parcours des personnages du récit. Un questionnaire permettrait aux élèves d’acquérir des connaissances, de s’initier au vocabulaire du chapitre et, ainsi, de devenir des “experts” dans leur thème. Au cours de la deuxième séance, les connaissances acquises devront être mises en commun : les élèves seraient amenés à échanger avec d’autres “experts” au sein de groupes hétérogènes dans lesquels figureraient au moins un membre de chaque groupe d’experts, de façon à ce que chaque groupe nouvellement formé puisse couvrir l’ensemble des thèmes abordés.
29Ensemble, ils seront confrontés à une tâche complexe : de la même façon que les bulles de la bande dessinée donnent la parole aux personnages, ils devront imaginer une conversation entre les différents personnages rencontrés au cours du récit, qui sont amenés à parler de leur quotidien et de leurs activités : on pourrait par exemple imaginer une audience accordée par Amosis au paysan Baki après une crue excessive ou encore une discussion entre Amosis et ses architectes en vue de la construction de sa pyramide à Abydos. Source de motivation, cet exercice permettrait aux élèves d’acquérir et d’utiliser leurs connaissances de façon concrète ainsi que de construire plusieurs compétences simultanément : organiser son travail dans le cadre d’un groupe, extraire des informations pertinentes, écrire pour structurer sa pensée ou encore s’approprier un lexique historique et géographique. Enfin, la dernière séance s’engagerait sur un temps de discussion, au cours duquel les élèves confronteront leurs productions, ce qui sera l’occasion de faire le bilan des connaissances acquises. À ce stade, la mise en parallèle de planches de la BD et de documents archéologiques permettra de sensibiliser les élèves au travail de l’historien, auquel ils auront déjà pu être initiés au cours des chapitres précédents sur la Préhistoire. Ces discussions et observations pourraient enfin aboutir à la réalisation commune d’une carte mentale reprenant les grands thèmes balayés lors de l’activité, de façon à proposer un bilan sur la façon dont s’organisaient les premières sociétés humaines de l’histoire, en replaçant éventuellement en perspective le royaume d’Égypte au sein de l’Orient ancien en général. Ainsi pensé et déployé sur trois séances, ce scénario pédagogique inviterait les élèves à se confronter à l’Histoire de façon concrète, en leur donnant l’occasion de mesurer l’épaisseur sociale et politique de l’une des premières formes d’États. Alors que la fiction et les illustrations de la BD sont à même de faire entrer de façon ludique les élèves dans une période historique précise, la rédaction d’un dialogue contextualisé confronte les élèves à une histoire vivante et en fait des acteurs de leurs propres apprentissages.
30Tout à la fois manuel scolaire illustré et fiction ludique, L’Égypte ancienne... en BD offre ainsi de multiples possibilités pédagogiques pour l’enseignant, dont le rôle d’intermédiaire entre la BD et la classe est fondamental afin de tirer le plus large profit du riche potentiel pédagogique présent dans l’album. À la condition de résoudre le problème de mise à disposition des albums aux élèves et de mener une réflexion pédagogique aboutie qui vise, de manière générale, à cerner les avantages et limites de l’usage de la bande dessinée en contexte pédagogique, L’Égypte ancienne... en BD permet de découvrir puis d’enseigner une histoire vivante, accessible, plaisante, mais également rigoureuse et informée, de l’Égypte pharaonique. La lecture de cette BD en miroir de l’ouvrage de D. Agut et J. C. Moreno-García – notamment l’analyse croisée de leurs illustrations – révèle enfin toute la difficulté qu’il y a à s’affranchir des représentations occidentales de l’histoire égyptienne, histoire dont les stéréotypes constituent d’utiles points d’appui lorsqu’il s’agit de préparer une leçon appréciée des élèves et propice à entretenir cette image fantasmée, dont la dimension est parfois psychanalytique, d’une Égypte des sarcophages et des momies. Les recherches récentes insistent pourtant sur la nécessité de quitter la confortable sphère des stéréotypes et de porter une attention nouvelle à des documents différents de ceux (littéraires et iconographiques surtout) qui ont été étudiés et réétudiés sans relâche depuis le xixe siècle au moins. La prise en compte croissante des apports de l’archéologie, notamment de la palynologie et de l’archéozoologie, permet par exemple d’attirer l’attention sur la profondeur sociale (les hiéroglyphes concernaient une infime part de la population, les bâtiments en pierre étaient bien moins nombreux que ceux qui étaient en briques crues), géographique (la momification n’était pas uniformément répandue et l’Égypte ne fut jamais unifiée, malgré la rhétorique de l’union des royaumes développée par les Pharaons) et chronologique (afin d’éviter la compression temporelle entre des millénaires qui n’ont parfois que peu en commun) d’une histoire égyptienne qui, créatrice de vocation chez les jeunes élèves, est encore très souvent lue par les enseignants comme par les égyptologues au prisme d’une égyptomanie dont ils entendent pourtant limiter les effets41.
Bibliographie
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RIC = Roman Imperial Coinage, XIII vol., Londres, 1923-.
Agut, D. et Moreno-García, J. C. (2016) : L’Égypte des Pharaons. De Narmer à Dioclétien. 3150 av. J.-C.-284 ap. J.- C., Paris.
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Arrivé, M. (2015) : “L’intelligence des images – l’intericonicité, enjeux et méthodes”, E-rea, 13.1 (consulté le 3 juillet 2018).
Bomel-Rainelli, B. et Demarco, A. (2011) : “La BD au collège depuis 1995 : entre instrumentalisation et reconnaissance d’un art”, Le français aujourd’hui, 172.1, 81-92.
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Canyissa, J. (2015) : “Entre historicisation et fictionnalisation : la mythification. Mythe et histoire dans l’Égypte d’Edgar Pierre Jacobs”, in : Gallego 2015, 41-47.
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Notes de bas de page
1 Sauf mention contraire, les dates de cet article s’entendent avant J.-C. Les auteurs remercient chaleureusement, pour leurs relectures critiques tout à fait complémentaires, Damien Agut et Aymeric Landot.
2 Voir la somme de Ory et al. 2012.
3 Sur l’Antiquité en BD, consulter Gallego 2015 (avec bibliographie). Sur l’Égypte en particulier, voir Groensteen 1998.
4 Les pages citées sans référence précise renvoient à cette bande dessinée. Que les éditions Belin et les illustrateurs de L’Égypte ancienne… en BD soient remerciés d’avoir bien voulu nous céder gracieusement les droits de reproduction des images de la BD.
5 Agut & Moreno-García 2016.
6 Corteggiani 1992.
7 Agut & Moreno-García 2016, 329-331.
8 Agut & Moreno-García 2016, 50-53.
9 Sur cette “crue qui rythmait l’année égyptienne”, Agut & Moreno-García 2016, 19-24.
10 Le traitement du corps du défunt et la disposition du sarcophage dans le caveau sous des pyramides permettent de suivre le parcours du défunt vers le Royaume des Morts jusqu’au Jugement illustré par une scène inspirée du papyrus du scribe Hounefer, montrant la pesée du cœur en présence d’Anubis, Maât, Thot et Osiris (p. 58-66).
11 Par ex. Hdt. 2.5, Diod. 1.26.2 ou Str. 17.1.4.
12 Agut & Moreno-García 2016, 14-19 (dont 14-15).
13 Les voyages de l’empereur Hadrien (117-138 p.C.) ont occasionné l’émission de monnaies faisant référence aux provinces visitées. Sur une série de deniers de l’année 136, le revers évoque le passage de l’empereur en Égypte : à une allégorie de la province, figurée sous des traits féminins, tenant un sistre de la main droite et dont le bras gauche repose sur une corbeille de fruit, est associé un ibis : matérialisant l’exotisme, l’oiseau sacré est érigé en attribut de la province (RIC, n° 297).
14 Voir notamment le projet ScanPyramids lancé en 2015 par l’Institut H.I.P. et l’Université du Caire, dont l’objectif est de sonder de façon non invasive de grands monuments funéraires comme la pyramide de Khéops (http://www.scanpyramids.org).
15 Canyissa 2015, 42.
16 Il est des cas où fiction et Histoire sont entrelacées et où la force narrative et scénaristique de l’œuvre repose précisément sur cette imbrication. Voir ainsi, outre la série Rome (HBO), la récente BD Vindicta (2018) qui, réalisée par deux enseignants du secondaire, met en scène un chef gaulois fictionnel durant la guerre des Gaules. Dans ce cas, la fiction propose des “points d’ancrage où la réalité des faits et les expériences imaginaires se télescopent pour venir s’enrichir mutuellement : tandis que la fiction – et avec elle sa capacité de mise en intrigue et sa liberté narrative – anime les personnages historiques et comble les vides de nos connaissances sur la période, l’histoire factuelle confère à cette fiction une légitimité scientifique et l’érige en histoire qui aurait pu être” ; Bondoux 2018.
17 Canyissa 2015, 42.
18 Seuls quelques rares thèmes sont négligés, tel le débat autour de la construction des pyramides, la question des villes du pouvoir (Memphis, Thèbes) ou la démographie, sujet difficile à figurer autant qu’à saisir (Agut & Moreno-García 2016, 50-53).
19 Agut & Moreno-García 2016, 299-319 pour une restitution du contexte historique autour du règne d’Amosis.
20 Il s’agit d’un choix de placement du regard : des dominants vers les dominés (“descendant”) ou inversement.
21 L’auteure annonce une histoire où, “loin du palais de Pharaon, les paysans travaillent dur au rythme du Nil” (p. 38).
22 Sur la présence diffuse de Pharaon (à l’époque ramesside), voir Agut & Moreno-García 2016, 396-414.
23 À l’exception d’une habile mise en scène (p. 58-59) où les prêtres qui embaument un défunt se plaignent de ce que la momification est réservée à une élite socio-économique.
24 Ainsi l’utile double-page sur le cosmos divin (p. 52-53) ou celle qui figure le temple p. 56-57 (évoqué supra).
25 Par ex. p. 37, où Mitet déclare n’avoir rien mangé, alors qu’on la voit chaparder de la nourriture aux pages précédentes.
26 Sans souci d’exhaustivité : p. 17, 26-27, 51, 54-59 et 61-67.
27 Voir, sur ce concept, la mise au point d’Arrivé 2015.
28 Nous remercions Aymeric Landot d’avoir attiré notre attention sur ce concept.
29 p. 33, puis Agut & Moreno-García 2016, 292.
30 Voir la notice “enseignement : enseigner avec la bande dessinée” rédigée par N. Rouvière pour le Dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée dans la revue en ligne de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (www.neuviemeart.citebd.org).
31 Sur cette question, Bomel-Rainelli & Demarco 2011.
32 La multiplication des publications ponctuelles (Rouvière 2012) ou régulières (la collection “La BD de case en classe”), des ressources informatiques (le site Cases d’histoire, le blog Bulles en classe) ou des rencontres scientifiques (le 16 juin 2014 s’est tenu à l’ENS de Lyon une journée d’études intitulée “Enseignement et bande dessinée” et, plus récemment (en juin 2017), les 22e Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens ont consacré une journée à la thématique “Quelle place pour la bande dessinée dans le monde de l’éducation ?”) témoigne de l’intérêt général suscité par la dimension pédagogique de la BD.
33 C’est aussi le cas de la démarche suivie par le scénariste Silvio Luccisano dans les séries Le Casque d’Agris et Roma ab Vrbe condita, qui misent sur une étroite collaboration entre auteurs et scientifiques afin de donner naissance à des reconstitutions dessinées rigoureuses.
34 Ce qui renvoie directement à la notion d’“habiter”, au cœur du programme de géographie du cycle 3.
35 Pour reprendre l’intitulé d’un chapitre de McCloud 2007 (p. 146-169) dans lequel l’auteur interroge la façon dont les mots et les images peuvent se combiner dans la bande dessinée.
36 “Enseignement : enseigner avec la bande dessinée” (www.neuviemeart.citebd.org), cité supra.
37 Nous synthétisons ici les extraits du programme du cycle de consolidation (Bulletin Officiel Spécial, n°11 du 26 novembre 2015).
38 Les programmes rappellent en effet la nécessité pour les élèves de construire leur rapport au temps et à l’espace par le travail de compétences telles que “situer chronologiquement des grandes périodes historiques”, “utiliser des documents donnant à voir une représentation du temps”, “appréhender la notion d’échelle géographique” ou “mémoriser les repères géographiques liés au programmes et savoir les mobiliser dans différents contextes”.
39 À compléter, par ex., avec Agut & Moreno-García 2016, 49 et 801-806.
40 Respectivement p. 46, 25-27, 15-16 et 21-27.
41 Sur la nécessité de prendre ses distances vis-à-vis de cette lecture occidentalo-centrée et stéréotypée de l’histoire égyptienne, voir les réflexions récentes développées par D. Agut 2018.
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