En guise d’introduction. Naissance et développement de la littérature de jeunesse
p. 11-13
Texte intégral
1Le premier écrivain, français du moins, à s’adresser à un public d’enfants est Mme Leprince de Beaumont, dans son Magazine pour enfants (1758). Mais, à l’origine, triomphèrent auprès des jeunes lecteurs, des livres qui ne leur étaient pas destinés. Comme les Contes de Charles Perrault (1697) ou Robinson Crusoé de Daniel De Foe (1719). À partir duquel, en revanche, on va écrire toute une série de romans pour la jeunesse. Si Le Robinson suisse de Jean-Rodolphe Wyss (1812, traduit en français dès 1816) reste le plus célèbre, on pourrait citer une longue liste de robinsonnades : Le Robinson de douze ans : histoire intéressante d’un jeune mousse français abandonné dans une île déserte (Jeanne Sylvie Mallès de Beaulieu, 1820), Le Robinson des glaces (Ernest Fouinet, 1835), Le Petit Robinson des bois (Eugénie Foa, 1840), La Petite fille de Robinson (Comtesse de Germanie, 1844), Le Robinson allemand (Joachim-Heinrich Campe, 1853, aussitôt traduit en français), Le Robinson américain (Emma Faucon, 1860) ; Le Robinson du Bois de Boulogne (André Castillon, 1862), L’École des Robinsons (Jules Verne, 1882). Les Voyages de Gulliver (Jonathan Swift, 1726), traduits en français dès 1727, ne semblent pas, en revanche, avoir suscité autant d’émules.
2C’est qu’au xixe siècle tout un ensemble de conditions propices favorisent l’édition pour la jeunesse : progrès techniques en matière d’imprimerie (invention de la lithographie, utilisation de rotatives à partir de 1860), baisse des prix de revient… D’autant plus que, longtemps après les recommandations de Rousseau, on s’intéresse davantage aux enfants, la prospérité économique aidant, ainsi que l’exemple donné par la famille impériale, dont le rejeton, le prince Eugène Louis Napoléon, est très populaire.
3Le livre pour la jeunesse devient, comme il l’était déjà en Angleterre, en Allemagne et dans les pays nordiques, un marché très lucratif. Les collections se multiplient, ainsi que les journaux, qui arrivent d’Outre-Manche. Le Journal des enfants, fondé en 1836, par la romancière Eugénie Foa (1796-1852), publie immédiatement un roman qui allait demeurer longtemps, au moins jusqu’à l’après Deuxième Guerre Mondiale, le prototype du genre : Les Mésaventures de Jean-Paul Choppart, de Louis Desnoyers (1802-1868).
4C’est dans La Semaine des enfants, “Magasin d’images et d’histoires amusantes et instructives” (toujours instruire en amusant !) que paraissent les débuts des Nouveaux contes de fées pour les petits enfants, en 1857. Ils seront vendus en volumes dans la “Bibliothèque des Chemins de fer”, créée par Louis Hachette. Leur auteur ? L’épouse du directeur des Chemins de fer de l’Est, la comtesse de Ségur, née Rostopchine (1799-1874). Cette “Bibliothèque des Chemins de fer” deviendra la “Bibliothèque Rose illustrée” et la bonne comtesse se lancera dans la série des Petites filles modèles (1858) et autres Malheurs de Sophie (1864).
5C’est que le genre du conte était un peu tombé en désuétude malgré les tentatives de Charles Nodier, Alexandre Dumas et Alfred de Musset. Il faudra attendre Mme Guizot (Contes et Nouveaux contes à l’usage de la jeunesse, 1823) et Mme de Girardin (Contes d’une vieille fille à ses neveux, 1855) pour le voir reprendre des couleurs. Aidé par Dumas qui adapte les frères Grimm, dont les Contes sont publiés entre 1812 et 1822.
6Enfin vint Pierre-Jules Hetzel (1814-1886), qui prit le pseudonyme de Pierre-Jules Stahl pour écrire et adapter des romans pour la jeunesse. En 1837, il s’associe avec l’éditeur Paulin pour fonder une maison d’édition qui publiera les plus grands : Balzac (dès 1841), Stendhal (dès 1845), George Sand (dès 1851), Hugo (dès 1852, à Bruxelles), Dumas et Verne enfin. En exil à Bruxelles après le coup d’état napoléonien, il est rentré en France en 1859, après l’amnistie promulguée par Napoléon III.
7En 1843, il avait lancé Le Nouveau Magasin des enfants. Vingt volumes jusqu’en 1857, aux jolies couvertures et qui, surtout, donnent la primauté à la qualité du texte. Le tout à l’usage des jeunes lecteurs. Car Hetzel a une idée fixe : remplacer “la littérature de gouvernante et de fruit sec qui nous suffisait autrefois par quelque chose de sain et de simple, qui pût tout au moins donner le goût du meilleur”. Il s’agit, comme le dit le “Prologue” des Nouvelles et seules véritables aventures de Tom Pouce, publiées sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, en 1844, “d’amuser en exerçant l’imagination au profit du cœur”.
8Le titre de la nouvelle série qu’il lance avec Jean Macé (qui fondera La Ligue de l’enseignement en 1886) est tout aussi explicite : Magasin d’Éducation et de Récréation. Mais l’éducation passe avant la récréation… Bref, le livre pour enfants se veut en quelque sorte un prolongement de la scolarité.
9Dès 1842, l’éditeur s’est découvert une âme d’écrivain. Il commence par des Scènes de la vie privée et publique des animaux qui paraissent à la fin de l’année, en même temps que Voyage où il vous plaira, qu’il cosigne avec Alfred de Musset. Ses contemporains ne tarissent pas d’éloges sur un homme dont on sait par une lettre à Jules Verne de janvier 1886, l’année même de sa mort, qu’il aurait voulu, lui aussi, se donner “le bonheur d’écrire”. “Mais, continue-t-il, de ce côté mon rôle est fini et j’y ai renoncé”. De fait, si l’éditeur a tué l’écrivain pour adultes, aujourd’hui bien oublié, l’éducateur a fait, du moins, germer et fleurir en lui le sens de l’adaptation, dont on a oublié de nos jours les deux sens. Adapter, c’est d’abord concevoir et écrire une littérature adaptée à la jeunesse et qui lui soit propre. Mais c’est aussi faire siens des romans étrangers qu’il faudra moins traduire – ce qui est le préalable ! – que d’adapter pour les jeunes Français de la seconde moitié du xixe siècle.
10Son œuvre éducative, qu’a couronnée l’Académie française, semble avoir répondu aux exigences morales de l’ensemble de la classe politique française, à gauche comme à droite. Hetzel aura réussi à prôner le respect de l’ordre sans renoncer au progrès, à ne pas confondre la bienfaisance et la justice, à pouvoir parler de Dieu sans donner dans la bondieuserie. Bref, sa morale s’appuie sur des exemples vivants, pour amener le jeune lecteur à une réflexion personnelle qui le guidera, peu à peu, sur les chemins de la raison. On reconnaît là quelques idéaux révolutionnaires, adouçis et adaptés à l’heureuse époque où l’École devient un enjeu national et un facteur essentiel dans la marche de l’Humanité vers le Progrès.
11D’où l’adaptation à ces exigences des grands romans étrangers réécrits. Le Robinson suisse (paru en 1812 sans nom d’auteur, puis en 1827 signé Johann-Rudolf Weiss) devient chez lui Le Nouveau Robinson Suisse, en 1864. Même chose pour Les Patins d’argent, publié en 1865 par Mary Dodge (1831-1905), adapté en 1875 et pour bien d’autres encore, comme les célèbres Quatre Filles du Dr March (Louisa May Alcott, 1832-1888), adapté en 1880. Sans oublier les créations originales d’Hetzel, comme Maroussia et Rose et ses sept cousins, qu’on peut lire encore de nos jours dans la Bibliothèque rose d’Hachette, version modernisée.
12Littérature enfantine ou littérature de jeunesse ? Il est difficile de trancher sinon par l’aspect péjoratif et légèrement méprisant qu’a pris le premier terme. N’oublions pas que Hetzel lui-même déclarait au général Trochu, dans une lettre du 14 juillet 1873 : “Dès le matin, j’écris pour les mioches, je mets du lait dans mon encrier. Si je fais de meilleurs petits garçons, ça fera de moins mauvais hommes”.
13Ce sont là des mots d’une brûlante actualité…
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