Chapitre 4. Le temps de l’intégration. De Tibère à Claude (15/20 – 50/55 p.C.)
p. 251-328
Texte intégral
1Les décennies qui suivent le principat d’Auguste voient le numéraire indigène sortir progressivement de la circulation. L’évolution est néanmoins assez rapide, puisqu’on peut la considérer achevée au milieu du ier s. Par ailleurs, le choix d’étudier conjointement les règnes de Tibère, Caligula et Claude se justifie par la chronologie des “fossiles directeurs” de cette période. La plupart des auteurs introduisent une césure vers 40 p.C. qui marque, sur le plan archéologique, la fin de la période tibérienne et le début de la période claudienne (voir fig. 2 ; le règne de Caligula est trop bref pour être saisi dans la documentation archéologique, sauf dans des cas très particuliers, comme certains camps militaires1). Comme pour l’époque augustéenne, le site de référence est un camp militaire rhénan, le “camp de terre” (Erdlager) d’Hofheim am Taunus, dans la Hesse actuelle. On continue donc à utiliser, pour la céramique, la vieille publication d’E. Ritterling2. Le camp est daté traditionnellement entre 40 et 69/70 p.C. : il aurait été fondé au moment des campagnes contre les Chattes et détruit lors des événements consécutifs à la mort de Néron3. Mais un nombre croissant de chercheurs pense qu’il aurait pu être établi dès le règne de Tibère4. Aux dernières nouvelles, le mobilier des fouilles anciennes, conservé au Landesmuseum de Mayence, reste inaccessible pour des questions de gestion et de réorganisation des collections. Il est donc très difficile de vérifier cette hypothèse ; néanmoins, si elle s’avérait juste, cela aurait vraisemblablement pour conséquence de modifier de cinq à dix ans les chronologies utilisées actuellement5. Il nous a donc semblé plus prudent d’adopter une solution proche de celle de X. Deru, qui place son horizon IV entre 15/20 et 45/50 p.C., en abaissant légèrement la borne inférieure pour prendre en compte une quinzaine de contextes, civils comme militaires, ce qui permettait de couvrir également les dernières années du règne de Claude. À côté des cartes et graphiques synthétiques, couvrant la quarantaine d’années étudiées dans cette partie, nous en présenterons d’autres où nous distinguerons les contextes strictement tibériens ou strictement claudiens (c’est-à-dire, sur le plan archéologique, antérieurs ou postérieurs à 40 p.C.) d’une part et les contextes tibéro-claudiens d’autre part (c’est-à-dire chevauchant les deux règnes), qui ne sont pas rares. La documentation est un peu moins abondante que pour Auguste.
Un renouvellement total du stock monétaire
La disparition des monnaies indigènes
2Nous avons vu au chapitre précédent que tout au long de l’époque augustéenne, les monnaies gauloises continuaient à jouer un rôle majeur dans la circulation monétaire de Gaule interne (fig. 53). C’est seulement dans les contextes augusto-tibériens que l’on pouvait entrevoir l’amorce d’un déclin (fig. 58). La comparaison avec la situation tibéro-claudienne est éloquente : les pièces gauloises ne représentent plus que la portion congrue du stock monétaire, même dans la zone civile (fig. 81 et 82a et b). Si l’on s’attache à une chronologie plus fine, on voit que dans les contextes tibériens, les monnaies gauloises sont encore majoritaires sur quelques sites, les plus éloignés de la zone militaire (fig. 83). Mais les contextes tibéro-claudiens et claudiens montrent clairement que la pénétration du numéraire romain est achevée dans le deuxième quart du ier s. (fig. 84 et 85). La circulation des monnaies indigènes reste très régionalisée dans ces années (fig. 86). La localisation des dernières émissions gauloises en Gaule Belgique (Nord-Est) explique la part plus importante de ces frappes dans le Centre-Est : il s’agit principalement des bronzes Scheers, 217 (dits “atuatuques”) et RPC, 506 (à légende GERMANVS INDVTILLI L). Les potins ne se rencontrent plus guère en nombre qu’à Alésia [L-001] ; la domination sans partage des bronzes frappés est typique de la dernière phase des monnayages indigènes (fin La Tène D2b/époque augustéenne), qu’il n’est pas étonnant de rencontrer encore dans des contextes du deuxième quart du ier s. p.C. (fig. 87).
3La fig. 81 fait apparaître quelques sites qui semblent encore riches en monnaies gauloises. Deux régions sont concernées : d’une part l’Île-de-France et la Picardie actuelle, d’autre part une série de sites du Centre-Est, alignés sur un axe qui va de la Bourgogne à la Suisse. Cette impression est à nuancer. Dans le premier groupe, les quantités sont souvent faibles : une seule monnaie à Arras [B-004], Amiens [B-003], Estrées-Saint-Denis [B-040], Tigery [L-033], deux à Bennecourt [L-006] et Épiais-Rhus [L016]. À Paris [L-028], la majorité des pièces gauloises viennent des contextes tibériens ; l’unique contexte tibéro-claudien, daté entre 25/30 et 45/50, a livré deux monnaies romaines pour une gauloise (et encore s’agit-il d’un exemplaire du RPC, 506)6. Dans le second groupe, si l’on se concentre sur les contextes de la Suisse actuelle, on voit bien la diminution progressive de la proportion de monnaies indigènes (à partir d’un nombre déjà réduit) et leur disparition complète des contextes claudiens. Dans le Centre-Est français, bien que les données soient moins abondantes pour les contextes tibéro-claudiens et claudiens, il semble également que les monnaies gauloises disparaissent progressivement. Ainsi, à Alésia [L-001], si l’on suit l’évolution du stock monétaire à partir des fouilles les mieux documentées (le centre public et le théâtre), on note la progression du numéraire romain sous Tibère (phase 3 du centre public) et la disparition du numéraire indigène dans le deuxième tiers du ier s. (phases 2 et 3 du théâtre) (fig. 88).
4Au sanctuaire des Bolards [L-023], si les monnaies gauloises sont encore abondantes dans les phases de construction et d’occupation de la période II (entre 15/20 et 60/70), elles ont presque disparu dans la phase de destruction, datée 60/65 à 70/75, avec deux pièces sur 127. Par ailleurs, si l’on regarde les contextes des zones périphériques du sanctuaire (habitat, voirie) pour la même période II (entre 15/20 et 70/75), les monnaies gauloises n’y représentent que 11 pièces sur 64, contre 51 monnaies romaines et deux indéterminées8. Il n’est donc pas interdit de penser que les monnaies gauloises présentes à la période II sur le sanctuaire sont en partie résiduelles, provenant des remaniements des structures de la période I. À la fin du deuxième tiers du ier s. au plus tard, peut-être plus tôt au vu des contextes d’habitat, les monnaies gauloises ne sont plus utilisées sur le site.
5À Besançon [B-014], les données publiées de la fouille du parking de la Mairie ne permettent malheureusement pas de connaître les contextes précis de découverte des monnaies. Toutefois, une sériation sur les types monétaires gaulois identifiables dans les phases 1 à 6 montre un mélange assez important dans les phases les plus tardives, que nous interprétons comme le signe d’une forte résidualité (fig. 89)9. Ainsi, si on laisse de côté les monnaies locales qui forment le gros du stock (potin à la grosse tête, potin LT, 7011 et bronze LT, 7005 à légende TVRONOS CANTORIX), on constate que les monnaies présentes dans les contextes tibériens et claudiens ne sont pas forcément les plus récentes : le potin LT, 8319 peut être daté La Tène D1b/D2a et le potin Scheers, 187, attesté à la phase 5, de La Tène C2/D1a.
Fig. 89. Sériation des types de monnaies gauloises dans les phases 1 à 6 de la fouille du parking de la Mairie à Besançon.
Types | B-014-01 à 03 | B-014-04 | B-014-05 | B-014-06 | B-014-07 | B-014-08 | B-014-09 | B-014-11 |
Scheers, 186 | 1 |
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LT, 8329 |
| 1 |
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LT, 5550 |
| 1 |
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LT, 5542 |
| 1 |
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Série KALETEDOY | 2 |
| 2 |
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LT, 5629 | 1 | 2 | 2 |
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LT, 5611 |
| 3 | 3 |
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Scheers, 41 |
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| 1 |
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LT, 4353 |
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| 1 |
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Hybride (GT, A/LT, 5611) |
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| 1 | 1 |
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LT, 5508-5527 | 1 | 1 |
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| 1 |
ABT, 112-113 | 1 |
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| 1 |
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LT, 7011 | 1 |
| 4 |
| 3 |
| 1 |
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LT, 7005 | 2 |
| 3 | 1 | 2 |
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| 1 |
Type à la grosse tête | 6 | 4 | 5 | 4 | 2 |
| 2 | 2 |
LT, 8319 |
| 2 |
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| 1 |
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L LT T, 5538 |
| 1 | 3 |
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| 1 |
| 1 |
LT, 5138-5252 |
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| 1 |
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LT, 5594 |
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| 1 | 1 |
| 1 | 1 |
Scheers, 187 |
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| 1 |
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RPC, 506 |
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| 1 |
6Nous avons volontairement laissé à part le sanctuaire de Bois-l’Abbé [B-016], qui demande une analyse plus poussée car les quantités de monnaies gauloises y sont très importantes, même dans l’horizon 4 de la phase 1, daté entre 30/35 et 45/5010. Durant toute la phase 1, le rapport entre monnaies gauloises et monnaies romaines reste à peu près constant (autour de 80 % de monnaies gauloises, excepté à la phase 2 où le pourcentage monte jusqu’à 94 %). Nous avons essayé de déterminer le degré de similitude des quatre horizons de la phase 1, en nous demandant en particulier si les monnaies gauloises des derniers horizons, post-augustéens, pouvaient être résiduelles. En effet, si la minutie de la fouille du sanctuaire ne fait pas de doute (la mise en évidence de nombreux dépôts groupés le démontre), il reste vrai que les dépositions de la phase 1 viennent d’une épaisse couche de terre noire, dans laquelle M. Mangard a pu distinguer quatre horizons grâce à la stratigraphie mais surtout à l’étude du mobilier11. Dans ces conditions, des remaniements et des mélanges antiques ne sont pas à exclure et pourraient expliquer cette forte proportion de monnaies gauloises dans les horizons tardifs.
7Nous avons procédé à deux sériations, la première sur les types de monnaies romaines, la seconde sur les types de monnaies gauloises12. L’analyse des monnaies romaines montre une bonne cohérence avec les datations proposées par M. Mangard pour ces quatre horizons (fig. 90). L’as de Lyon I de l’horizon 1 est peut-être intrusif, à moins qu’il ne faille abaisser légèrement le terminus post quem choisi par l’auteur13. La part des Lyon I augmente ensuite régulièrement dans les contextes. On observe la même situation pour les Lyon II, dont le premier exemplaire en contexte apparaît dès l’horizon 2, avant qu’ils ne deviennent plus courants dans les horizons 3 et 4. Enfin, les monnaies de Claude apparaissent dans l’horizon 4. L’absence de monnaies de Tibère et Caligula n’est pas surprenante ; sous leurs règnes, les monnaies d’Auguste semblent avoir constitué la majorité des pièces en circulation (voir infra).
Fig. 90. Sériation des types de monnaies romaines dans les horizons de la phase 1 du sanctuaire de Bois-l’Abbé.
Type | B-016-01 | B-016-02 | B-016-03 | B-016-04 |
Auguste - denier | 1 |
| 2 |
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Octave - dupondius | 2 | 2 | 1 |
|
République - quinaire | 2 | 1 | 3 |
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République - as oncial | 1 | 3 | 4 | 3 |
République - denier | 29 | 4 | 6 | 2 |
Auguste - Lyon I | 1 | 2 | 8 | 4 |
Auguste - Lyon II |
| 1 | 4 | 1 |
Auguste - Monétaires II |
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| 1 |
|
Auguste - quinaire |
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| 2 |
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RPC, 508 |
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| 1 |
Claude - bronze |
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| 4 |
8La sériation sur les types de monnaies gauloises fait clairement apparaître deux phénomènes (fig. 91). D’une part, dans les quatre horizons, la majorité des dépositions est constituée par un noyau de monnaies locales (Scheers, 109, 110, 111, 163 ainsi que des bronzes ambiens dont la typologie est mal définie dans la publication, probablement des Scheers, 80) : 45 % du total des monnaies dans les horizons 1 et 2, 68 % dans l’horizon 3, 56 % dans l’horizon 4. Les proportions de chaque type varient sans qu’il soit vraiment possible de dégager une tendance. D’autre part, le nombre de types déposés décroît avec le temps : 36 types à l’horizon 1, 26 à l’horizon 2, 14 et 15 aux horizons 3 et 4. Si l’on regarde les provenances des types, les différences sont assez claires (fig. 92). Dans l’horizon 1, les provenances sont plus variées et plus “exotiques”, avec notamment une monnaie d’outre-Manche et une autre de la rive droite du Rhin (Allemagne actuelle). À l’horizon 2, on note un groupe important de pièces du centre de la Gaule, en particulier du Centre-Est. Au contraire, les horizons 3 et 4 sont très proches, la quasi-totalité des monnaies venant de Gaule Belgique.
Fig. 91. Sériation des types de monnaies gauloises dans les horizons de la phase 1 du sanctuaire de Bois-l’Abbé.
Type | B-016-01 | B-016-02 | B-016-03 | B-016-04 |
Scheers, 150 | 1 |
|
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LT, 7490-7565 | 1 |
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Scheers, 26 | 1 |
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Scheers, 25 (Ar) | 1 |
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Type à la grosse tête | 1 |
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Scheers, 151 | 1 |
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Statère indéterminé (Au) | 1 |
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Scheers, 172 | 2 |
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Scheers, 130 | 1 |
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Scheers, 27 (Ar) | 1 |
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Bretagne - monnaie en argent | 1 |
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Scheers, 146 | 1 |
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Deroc, E | 1 |
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Scheers, 25 (Au) | 1 |
|
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Scheers, 45 | 4 |
|
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Scheers, 191 | 1 |
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Scheers, 56 | 2 |
|
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|
Scheers, 155 | 1 |
|
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LT, 6342 | 3 | 12 |
|
|
LT, 9025 | 1 | 5 |
|
|
Série PIXTILOS | 1 | 1 |
|
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LT, 4525 | 2 | 1 |
|
|
LT, 4484 | 1 | 1 |
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|
Type à la tête diabolique |
| 1 |
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|
LT, 5075-5076 |
| 3 |
|
|
LT, 5138-5252 |
| 4 |
|
|
LT, 3900 |
| 1 |
|
|
LT, 5351 |
| 1 |
|
|
Scheers, 13 | 1 | 1 | 1 |
|
Obole massaliète |
| 1 |
|
|
LT, 5405-5411 |
| 3 |
|
|
LT, 5072 |
| 2 |
|
|
Scheers, 164 | 1 | 4 | 2 |
|
LT, 4599 |
| 1 |
|
|
Scheers, 190/III-IV | 1 |
| 1 |
|
LT, 4972 |
| 1 |
|
|
Scheers, 24 | 5 | 4 | 4 |
|
LT, 5550 | 7 | 3 |
| 1 |
Gaulois, indéterminé (Ae) | 6 | 6 |
| 4 |
Scheers, 41 | 5 | 30 |
| 2 |
Ambiens, divers (Ae) | 16 | 17 | 101 | 13 |
Scheers, 163 | 17 | 31 | 9 | 4 |
Gaulois, indéterminé (Ar) | 4 | 7 | 13 | 1 |
Scheers, 109 | 44 | 37 | 19 | 22 |
Scheers, 110 | 2 | 1 | 4 | 1 |
Scheers, 111 | 3 | 11 | 7 | 3 |
LT, 6088 |
|
| 1 |
|
Scheers, 27 (Ae) |
| 1 | 7 | 3 |
Scheers, 42 |
| 9 |
| 1 |
RPC, 506 |
|
| 4 | 2 |
Scheers, 110/111 |
|
| 1 | 1 |
Scheers, 187 |
|
|
| 1 |
LT, 7152-7153 |
|
|
| 2 |
Fig. 92. Provenance des types de monnaies gauloises dans les horizons de la phase 1 du sanctuaire de Bois-l’Abbé (les provenances incertaines ou indéterminées ont été exclues du calcul).
Provenance | B-016-01 | B-016-02 | B-016-03 | B-016-04 |
Allemagne | 1 |
|
|
|
Bretagne | 1 |
|
|
|
Centre |
| 1 |
|
|
Centre-Est | 4 | 9 |
| 1 |
Centre-Ouest | 2 | 3 | 1 |
|
Marseille |
| 1 |
|
|
Moyenne vallée du Rhône | 1 |
|
|
|
Nord-Est | 21 | 11 | 12 | 11 |
Nord-Ouest | 1 |
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| 1 |
TOTAL | 31 | 25 | 13 | 13 |
9Si l’on revient sur les résultats de la sériation en se concentrant plus particulièrement sur les types présents aux horizons 3 et 4, leur similitude est à nouveau apparente, avec huit types en commun (fig. 91). Cependant, alors que les types de l’horizon 3 sont presque tous présents à l’horizon 2 (seulement trois nouveaux types et un type présent à l’horizon 1 mais pas à l’horizon 2), on note à l’horizon 4 deux types nouveaux, mais trois présents aux horizons 1 ou 2 mais pas à l’horizon 3. Cela est d’autant plus frappant que les monnaies sont beaucoup moins abondantes dans l’horizon 4 et que les types qui ont “sauté” l’horizon 3 sont courants (Scheers, 41 et 42, LT, 5550 à légende TOGIRIX) et, pour l’un d’entre eux au moins (Scheers, 41), très abondant à l’horizon 2 (30 ex., soit près de 15 % des monnaies gauloises de l’horizon 2).
10Comment interpréter ces résultats ? Il y a très probablement un changement dans la population qui fréquente le sanctuaire entre les horizons 1-2 et 3-4 ; M. Mangard regroupe d’ailleurs les premiers sous une phase 1a et les seconds sous une phase 1b. À partir de l’horizon 3, la déposition concerne essentiellement des types locaux et semble montrer moins de dynamisme. Si les monnaies romaines montrent incontestablement une continuité des pratiques de déposition jusqu’au milieu du ier s., il nous semble qu’une partie des monnaies gauloises des phases tardives peut être considérée comme résiduelle, attribuable à des remaniements dans le sol antique : ainsi les monnaies en argent Scheers, 41, 42 et LT, 5550 présentes aux horizons 2 et 4 mais pas à l’horizon 3. La grande permanence du noyau dur des monnaies gauloises (Scheers, 109, 110, 111, 163, bronzes ambiens) tout au long de la phase 1 ne permet pas de déterminer si les monnaies présentes dans les horizons 3 et 4 sont résiduelles ou si elles ont réellement été déposées à ce moment ; la réalité se situe probablement entre les deux. Il faut aussi souligner le mode de déposition, vraisemblablement un sol “truffé”, pour reprendre l’expression de S. Izri14 : les monnaies étaient enfoncées de quelques centimètres dans le sol, isolées ou par petits groupes. Ainsi, l’importance quantitative des monnaies gauloises dans les horizons tardifs de la phase 1 du sanctuaire de Bois-l’Abbé s’explique en partie par des raisons taphonomiques et ne reflète pas, à nos yeux, leur importance réelle dans la circulation monétaire contemporaine. Dans toute la zone d’étude, l’époque tibérienne apparaît bien comme un moment de transition, qui voit la fin de la circulation des nombreuses pièces gauloises encore présentes dans le stock monétaire augustéen. Le dernier dépôt mixte, contenant monnaies gauloises et monnaies romaines, peut d’ailleurs être daté du règne de Tibère (fig. 63).
11Les données archéologiques ne permettent pas de penser que l’usage des monnaies gauloises s’est prolongé jusqu’aux environs de 70, comme on le trouve dans la bibliographie15. À l’appui de cette idée, on cite parfois la dernière phase du sanctuaire de Chilly, dans la Somme16. En effet, on a retrouvé une fosse S. 0, ovalaire, assez étendue en plan (250 x 180 cm) mais profonde de 25 cm au plus. Le remplissage est semblable au limon en place et l’on trouve au centre un trou de poteau de 1 m de profondeur et 15 cm de diamètre. La partie supérieure a été arasée par les labours et c’est la concentration de monnaies en surface qui en a permis la découverte. On compte en tout 38 monnaies (en comptant les monnaies de surface, qui ne sont pas distinguées dans la publication), toutes gauloises. Or la céramique, peu abondante, semble bien caractérisée et postérieure à Claude17. Il semble donc logique d’en déduire que les monnaies gauloises étaient encore utilisées sur le site pendant le règne de Néron. Pourtant, un examen plus précis nous semble montrer le contraire. Il faut noter tout d’abord que la chronologie des phases anciennes a été révisée depuis la publication de 1987. Le sanctuaire semble implanté dès La Tène D1a et non vers 75 a.C.18 Se pose donc un problème de continuité, bien que la phase 3 soit datée de l’époque augustéenne. Si l’on examine la chronologie des pièces retrouvées dans la fosse, on note une chronologie assez dilatée, de La Tène D1 à l’époque augustéenne (fig. 93).
Fig. 93. Date d’émission des monnaies gauloises de la fosse néronienne de Chilly (contexte B-023-04).
Datation des types monétaires | Nombre de monnaies |
Indéterminé | 3 |
La Tène C2/D2 | 1 |
La Tène D1 | 2 |
La Tène D2 | 2 |
La Tène D2 ? | 8 |
Transition La Tène D2a/D2b | 6 |
La Tène D2b | 10 |
La Tène D2b ? | 1 |
Fin La Tène D2b/augustéen précoce | 3 |
Augustéen moyen | 2 |
12Les monnaies de La Tène D2b sont majoritaires mais les monnaies de la transition La Tène D2a/D2b sont également nombreuses. Les monnaies augustéennes sont rares (deux bronzes à légende GERMANVS INDVTILLI L.), alors que c’est précisément dans le Belgium que la frappe monétaire connaît une phase augustéenne assez vigoureuse. La comparaison avec les différentes phases de Bois-l’Abbé est à cet égard très parlante : les monnaies postérieures à la conquête césarienne y sont massivement représentées et les frappes augustéennes en forment une grande partie, y compris dans la phase 2, datée entre 60 et 100 (sur les cinq monnaies gauloises identifiables, deux de La Tène D2b et trois de l’augustéen moyen)19. Pour toutes ces raisons et en se rappelant que la stratigraphie a été perturbée par les labours, nous avançons deux hypothèses : soit il s’agit d’un mélange de comblements (par ex., un comblement inférieur, d’où viendraient les monnaies, attribuables à la phase précédente, et un comblement supérieur d’où proviendrait la céramique20), soit on a balayé dans cette fosse, vers la fin du ier s., divers vestiges du sanctuaire. En effet, la céramique est “très fragmentée, et plusieurs tessons portaient des traces de feu21” et rien n’indique que le poteau ait encore été en place à cette époque. J.-L. Collart envisageait lui-même la possibilité d’un mobilier résiduel et c’est bien l’hypothèse que nous retenons.
La transition vers le numéraire romain
13L’analyse des contextes montre clairement que, dans la période étudiée, les monnaies romaines remplacent les monnaies indigènes d’une manière qui semble “naturelle”. Les remblais et nivellements, ainsi que les sols et couches d’occupation, deux catégories de structures que l’on retrouve sur tous les types de sites, livrent ainsi des pourcentages très proches de monnaies gauloises et romaines (et, pour ces dernières, quelle que soit leur datation) (fig. 94).
Fig. 94. Pourcentage de monnaies par période d’émission et par type de structure de découverte (époques tibérienne et claudienne ; les monnaies indéterminées ont été exclues du calcul).
Type de structure | Gauloise | Républicaine | Coloniale | Impériale |
Couche de construction | 32,43 | 1,23 | 14,29 | 4,08 |
Couche de destruction | 2,70 | 7,41 |
| 16,07 |
Couche indéterminée | 2,70 | 1,23 |
| 0,77 |
Sol/couche d’occupation | 13,51 | 13,58 | 14,29 | 14,54 |
Structures fossoyées | 10,81 | 25,93 |
| 26,02 |
Structures architecturales (TP, sablière, mur) | 2,70 | 3,70 |
| 3,06 |
Remblais/nivellement | 29,73 | 23,46 | 28,57 | 27,30 |
Voie | 5,41 | 2,47 |
| 1,53 |
Dépôt |
| 20,99 | 42,86 | 6,63 |
Nb total de monnaies | 37 | 81 | 7 | 392 |
14Dans les habitats, nous ne disposons pas de données permettant de suivre l’évolution de la répartition des monnaies sur un site, de La Tène finale jusqu’aux Julio-Claudiens. On observe toujours une concentration des trouvailles le long des voies et à l’avant des unités d’habitation. À Petinesca, pour la phase A (du tout début du règne de Tibère jusqu’en 50/60), la carte dressée par S. Frey-Kupper répond tout à fait à ce schéma22. Pour la phase A du faubourg d’Arroux à Autun, les concentrations existent mais sont moins marquées (fig. 95). De plus, des considérations topographiques ont pu jouer, puisque la zone vide de vestiges dans la moitié ouest du chantier forme une petite éminence où l’érosion a pu être plus importante. Par ailleurs, une petite partie des monnaies vient des rares structures augustéennes ; mais la majorité des découvertes est attribuable à l’occupation tibérienne. Malgré le peu de données utilisables pour la période étudiée ici et en tenant compte des considérations taphonomiques, la récurrence de cette distribution spatiale traduit à nos yeux un lieu privilégié d’utilisation du numéraire. Il est toutefois préférable de se tourner vers les contextes religieux et funéraires, mieux caractérisés, pour aborder le problème.
15Dans les sanctuaires du Centre-Est, S. Izri a montré la continuité des pratiques tout au long du ier s.23 Bien que le faciès des horizons 3 et 4 de la phase 1 soit en partie résiduel, nous avons vu que, sur le site de Bois-l’Abbé, les dépositions sont attestées avec certitude jusque sous Tibère (deux dépôts de deux monnaies romaines chacun dans l’horizon 3) et probablement jusqu’au milieu du ier s. (présence de quatre monnaies de Claude dans l’horizon 4). Sur le sanctuaire du Martberg, les offrandes monétaires sont bien attestées jusqu’à la même période, avec un déplacement des lieux privilégiés pour la déposition (entrée orientale de l’enclos et temple K jusque sous Auguste ou Tibère, alors que les monnaies de Caligula et Claude sont regroupées sur l’aire L/M), qui accompagne vraisemblablement une individualisation du rituel à l’époque romaine24. En effet, alors que les monnaies gauloises présentaient des déformations et des marques identiques, signe d’un rituel bien contrôlé et peut-être centralisé25, les marques sur monnaies romaines, que l’on retrouve également coupées en quatre, ne sont nullement uniformisées. Par delà ces différences, le numéraire reste un objet privilégié pour les dépôts.
16La continuité est également visible dans les dépositions de monnaies en contexte funéraire. Toutes les monnaies identifiables provenant de contextes funéraires sont romaines26. À cette époque, le phénomène reste marginal en Gaule ; seul le territoire des Trévires en livre, comme aux périodes précédentes, plusieurs attestations, sous Tibère comme sous Claude. Dans la phase R1 à Feulen, on compte quatre monnaies pour trois tombes sur un total de 15 (soit 20 % des sépultures) : deux pièces dans la riche tombe 118 (vraisemblablement masculine puisqu’on y trouve une pointe de lance et une dolabre), une dans la tombe 132 (où l’on ne compte que sept vases et des clous en fer dans le mobilier déposé) et une dans la tombe 159, incinération d’un adulte de 50-70 ans qui a livré trois vases, une fibule et deux miroirs en bronze, soit à nouveau un assemblage assez riche27. À Briedel, dans la phase 1, une monnaie dans un tumulus sur 13 (soit 7,69 %)28. À Matzerath, une monnaie dans le tumulus 129. À Nospelt-Krëckelbierg, deux as de Lyon I dans la très riche tombe 1, qui a livré entre autres un dépôt de 49 vases en sigillée italique30. À Wederath, le phénomène semble apparaître à la transition entre les phases GR2 (15 a.C. à 15 p.C.) et R1 (15 à 40 p.C.), alors qu’il était peu attesté à l’époque laténienne31.
17Ces dépôts apparaissent également dans deux autres zones. Le groupe situé en Suisse actuelle est assez important mais toutes les tombes ne répondent vraisemblablement pas à la même logique. Ainsi, les dépôts retrouvés à Avenches. Une ces tombes constitue le noyau du sanctuaire nord du lieu-dit “En Chaplix” ; les offrandes monétaires, qui sont postérieures à l’inhumation, y sont particulièrement abondantes32. La défunte, accompagnée d’un enfant, pourrait être originaire de Rhétie33. Les deux autres dépôts viennent du même secteur, de l’autre côté de la route. Il s’agit des restes de bûchers funéraires, retrouvés dans le cadre d’une nécropole, qui ont livré respectivement un as de Lyon I (st. 233) et trois monnaies de Caligula au nom d’Agrippa (st. 241)34. Dans les trois cas, il s’agit très clairement d’individus privilégiés, dont une, voire deux femmes, ce qui rappelle les dépôts d’Acy-Romance et de Dury aux périodes précédentes et surtout la situation dans certaines nécropoles de la région alpine (au nord comme au sud) avant le changement d’ère, où les dépositions monétaires (surtout les plus importantes) sont très souvent une caractéristique des tombes féminines35. C’est bien la tradition indigène qu’évoquent les auteurs de la publication pour interpréter ces dépôts36. Le phénomène semble d’ailleurs se retrouver à Wederath ; toutefois, l’absence de publication d’un phasage exhaustif de la nécropole empêche une trop grande précision. Si l’on se fonde sur la sélection de tombes faites par J. Kaurin pour sa thèse, qui prend en compte les ensembles les mieux préservés, on constate que pendant les phases GR1, GR2 et R1 (de 15 a.C. à 40 p.C.) les dépositions monétaires sont plus fréquentes dans les tombes féminines. À la phase R2 (40 à 70 p.C.), la pratique se banalise et les différences entre tombes féminines et masculines disparaissent (fig. 96).
Fig. 96. Évolution des dépositions monétaires dans la nécropole de Wederath des phases GR1 à R2 sur un échantillon de tombes (d’après Gelmacher 2004 et Kaurin 2009).
Phase | Nombre total | Dont tombes avec | Dont tombes féminines | Dont tombes masculines |
GR1-GR2 | 170 | 31 | 8 | 3 |
R1 | 72 | 17 | 8 | 4 |
R2 | 87 | 54 | 22 | 22 |
18Pour trois autres sites suisses comme pour l’unique attestation enregistrée pour le Rhin inférieur, les dépositions pourraient s’expliquer par la présence militaire. À Neuss, on trouve une monnaie dans la tombe 405 de la période 1b (pour deux tombes de la même période et un total de sept tombes préclaudiennes)37. À Vindonissa, pour la première phase d’occupation de la nécropole sud (Zeitstufe A), on a trouvé des monnaies dans deux tombes sur 19 (soit 10,53 % du total) : une dans l’incinération 94-276, deux dans l’incinération 98-138. À Bâle, les fouilles au Sankt Alban-Vorstadt 62 ont livré deux tombes du milieu du ier s., dont une incinération d’un jeune homme de 16-18 ans contenant une pièce de harnachement de cheval, un manche de rasoir, deux dés en os et deux monnaies, dont un quadrans de Caligula peu courant en Gaule39. Enfin, deux tombes de la nécropole “Römermatter” de Petinesca : une probable bourse de cinq as des Monétaires et un as DAP de Tibère du type RIC, 72 dans la tombe 125, et deux sesterces de Caligula (RIC, 36) dans la tombe 13940. Comme à Bâle, il s’agit de monnaies assez rares en Gaule et que l’on peut vraisemblablement associer à une circulation militaire : on sait que les as des Monétaires sont importés au début du règne de Tibère pour l’armée41 et les autres contextes enregistrés pour les sesterces et quadrantes de Caligula de mêmes types sont presque tous militaires42. G. Forni a montré qu’au début de l’Empire, les deux principaux bassins de recrutement légionnaire étaient la Gaule Narbonnaise et l’Italie du Nord43. L’essentiel des soldats connus pour les légions stationnées à Neuss (legiones I et XX Valeria Victrix) et à Vindonissa (legio XIII Gemina) jusqu’à la conquête de la Bretagne, viennent de cette dernière région44. Or A. Bonnet, et à sa suite J. Kaurin, ont récemment rappelé dans leurs travaux respectifs qu’en Italie, loin d’être systématique, la déposition monétaire dans les tombes est sujette à une grande variabilité géographique et se rencontre principalement au nord du Pô, quel que soit le rite employé45. Par ailleurs, il semble y avoir une forte continuité dans les pratiques entre l’époque républicaine et l’époque impériale, comme le montrent les dépositions multiples, associant argent et bronze, caractéristiques du nord de l’Italie, ainsi que l’incidence plus forte des monnaies dans les tombes féminines46. Ainsi, si les dépositions monétaires de Neuss, de Vindonissa et de ses environs sont probablement à interpréter comme une pratique importée par les militaires, il ne s’agit en aucun cas d’un marqueur ancien de romanité, comme l’historiographie ancienne a eu tendance à l’affirmer. Au contraire, il faut vraisemblablement considérer cet usage comme un “régionalisme” typique des anciennes régions celtisées du sud des Alpes.
Problèmes d’approvisionnement monétaire
19Pour être réelle, la domination des monnaies romaines pose deux grandes séries de problèmes. Tout d’abord, comment cette situation s’est-elle mise en place ? Pour que le changement se fasse de manière harmonieuse, il était nécessaire de mettre en circulation suffisamment de monnaies romaines, afin d’éviter tout situation de pénurie. À la suite de J.-B. Giard, on suppose généralement qu’il y eut “une pénurie de petite monnaie en Gaule au début du Haut-Empire”47, dont nous avons vu cependant qu’elle n’est pas attestée dans les données archéologiques à l’époque augustéenne48. Si l’on regarde l’évolution du stock monétaire de monnaies impériales d’après l’empereur responsable de l’émission, on constate que les monnaies augustéennes sont majoritaires tout au long de la première moitié du Ier s. (fig. 97 à 99). Il s’agit principalement des émissions de Lyon, en particulier des Lyon II frappés à la toute fin du principat d’Auguste. Dans les contextes tibériens, les monnaies de Tibère et de Caligula semblent apparaître d’abord dans la zone militaire et ne se sont pas encore diffusées en Gaule interne (fig. 97). Cependant, les cartes des contextes tibéro-claudiens et, dans une moindre mesure, claudiens, montrent au contraire une bonne diffusion de ces monnaies dans la zone civile (fig. 98 et 99).
20Quel modèle adopter ? Celui d’un approvisionnement aux camps militaires, avec diffusion de proche en proche depuis ces derniers (tel qu’on le connaît pour la majeure partie de l’époque augustéenne), ou celui d’un approvisionnement de la zone militaire comme de la zone civile (tel que nous l’avons proposé pour les monnaies de Lyon II) ? Poser cette question conduit nécessairement à aborder le problème des ateliers monétaires : la production était-elle très centralisée comme on le suppose généralement (les métaux précieux frappés à Lyon, le bronze à Rome), ou faut-il au contraire imaginer un système plus souple, comme semblent le suggérer un certain nombre d’indices ?
21Par ailleurs, si l’on ne trouve pas vraiment trace d’un usage différencié entre monnaies gauloises et monnaies romaines, qu’en est-il des différentes monnaies romaines ? Il semble que les différentes dénominations ne circulaient pas de la même façon (fig. 100 à 102). L’as constitue la dénomination de base, présente de manière universelle dans toute la zone d’étude (fig. 101). Au contraire, les multiples circulent plutôt dans la zone militaire (fig. 100). C’est particulièrement vrai pour le sesterce ; la meilleure représentation du dupondius dans le Centre-Est s’explique peut-être par la proximité avec la vallée du Rhône et la Narbonnaise, où les dupondii nîmois sont plus courants dans la circulation que les monnaies lyonnaises. À l’inverse, les divisionnaires sont surtout présents dans la zone civile (fig. 102). La rareté des quadrantes s’explique par des volumes d’émission très faibles ; par ailleurs, cette dénomination n’est pas frappée à Lyon, contrairement au semis. Les bronzes augustéens à l’aigle et au taureau (RPC, 508 et 509), dont la valeur fait débat, ont une répartition très semblable à celle des semisses. À nouveau, comment expliquer ces différences ? On peut certainement restituer une préférence des utilisateurs indigènes pour les petites dénominations, métrologiquement proches des derniers bronzes gaulois49. Mais à quel niveau de décision faut-il placer la prise en compte de cette préférence ? La zone civile a-t-elle drainé “naturellement” la petite monnaie ? Ou bien a-t-on sciemment organisé l’approvisionnement monétaire des zones civiles et militaires en fonction de besoins distincts, et à quel échelon administratif ? On le voit, les questions de production, d’approvisionnement et d’usage se recoupent. On se penchera d’abord sur l’organisation de la production, qui conditionne en partie les problèmes de distribution, avant d’étudier une possible prise en compte des préférences indigènes.
Quels ateliers monétaires en Gaule ?
22L’organisation de la production monétaire impériale au ier s. p.C. est un sujet qui fait débat parmi les chercheurs. Si on exclut les quelques frappes orientales pour se concentrer sur les ateliers occidentaux, on peut résumer comme suit le débat50 : à la suite d’une période d’expérimentation, Auguste décide de transférer l’ensemble de la production d’or et d’argent à Lyon, Rome gardant uniquement la frappe du bronze mais de manière non exclusive, puisque Lyon émet également des monnaies de bronze, avec une typologie qui lui est propre. Sous Tibère, Lyon arrête d’émettre le bronze, à l’exception d’une série très limitée de divisionnaires. On sait ensuite qu’après la réforme monétaire de 64, Lyon et Rome frappent toutes les deux des monnaies de bronze avec une typologie semblable, les monnaies lyonnaises se distinguant par un globe à la base de l’effigie impériale. L’emplacement de l’atelier pour les métaux précieux est discuté : pour certains, l’atelier aurait été transféré de Lyon à Rome au début du règne de Caligula51 ; pour d’autres, la production serait restée à Lyon jusqu’à Néron52. Mais on reste dans une alternative, Lyon ou Rome : quel que soit l’atelier choisi, on se trouve dans une conception très centralisée de la production monétaire.
23Deux éléments jettent le doute sur cette reconstruction. D’une part, les découvertes de coins monétaires, assez abondantes en Gaule mais jamais à Lyon, tandis qu’on ne connaît qu’un seul coin monétaire en Italie (à Ostie), pour une émission que tout le monde s’accorde à attribuer à Lyon53… D’autre part, pour le bronze, les analyses métalliques de J.-N. Barrandon, combinées aux analyses stylistiques de P.-A. Besombes, semblent avoir confirmé ce que plusieurs auteurs soupçonnaient déjà, à savoir l’existence d’ateliers monétaires impériaux dans les provinces occidentales sous Tibère, Caligula et Claude54. Ces découvertes remettent en question les monopoles lyonnais et romains et invitent à une vision beaucoup plus décentralisée de la production.
24En Gaule et pour la période qui nous intéresse ici, seul l’atelier de Lyon est attesté de manière certaine, par une inscription et par Strabon qui nous apprend que l’on y frappe l’or et l’argent55. Encore n’en connaît-on pas l’emplacement exact dans la ville, comme c’est le cas pour la plupart des ateliers d’époque romaine56. Par ailleurs, les découvertes de coins en Gaule sont particulièrement nombreuses si on les compare au reste du monde romain57.
25Ces trouvailles posent aux chercheurs de sérieux problèmes d’interprétation, d’autant qu’on s’accorde sur l’authenticité de presque tous les objets concernés. Soit on considère que les coins étant des objets de petite taille, aisément transportables, leur lieu de découverte ne donne pas nécessairement d’indication sur la présence d’un atelier. Même si on laisse ce dernier point en suspens, il reste à expliquer l’existence de ces coins. Soit on pense au contraire que le lieu de découverte signale la présence, dans un rayon plus ou moins important, d’un atelier monétaire. C’est la position adoptée par J.-B. Giard : la majorité des coins provenant de Gaule, il y voit le signe de la prééminence de l’atelier lyonnais pour l’or et l’argent. Pour expliquer la découverte de coins en Espagne et en Gaule, il accepte l’idée d’ateliers secondaires : le premier sous Auguste, pour frapper une partie des abondantes émissions au type des Caesares (RIC, 206-210), le second sous Tibère, pour les émissions à légende PONTIF MAXIM (RIC, 25-30)58 (à la même époque, A. Kunisz, s’appuyant sur des travaux plus anciens, reproposait également l’hypothèse d’ateliers secondaires, dépendant d’un atelier principal dont ils auraient obtenu les coins59). Toujours selon J.-B. Giard, les différents coins nous seraient parvenus parce qu’ils auraient été volés dans les ateliers ; les coins de Tibère, en particulier, viendraient d’un pillage d’atelier (plutôt du supposé atelier secondaire que de celui de Lyon) durant la révolte de 21. S. Estiot et I. Aymar reprennent l’hypothèse du pillage de l’atelier central de Lyon, qu’elles placent plutôt autour de 4060. De même, le coin d’Ostie aurait été pour Giard “emporté dans les bagages de quelque marchand italien peu scrupuleux qui avait noué des relations commerciales avec la Gaule61.” S. Estiot met en doute son authenticité comme sa provenance, remarquant que le coin a été vendu en Suisse à un musée suisse62.
26On notera que J.-B. Giard ne traite pas explicitement, dans la discussion, des coins de Caligula de Paray-le-Monial, dans lesquels il a pu rengréner des monnaies, et qu’il n’émet pas l’hypothèse d’un atelier secondaire pillé sous Caligula63. Quant aux coins claudiens de Soissons, il remet en doute leur caractère officiel. Toutefois, ces coins ont été perdus lors de la Première guerre mondiale et sont connus uniquement par des dessins. L’argument principal de J.-B. Giard serait la légende fautive sur le coin de Claude (TR POT final au lieu de TR P) ; mais le dessin ne nous semble pas assez précis pour pouvoir trancher. Alors même que l’on semble bien lire TR POT sur le dessin, O. Vauvillé, qui avait vu les deux coins et les considérait comme authentiques, donnait comme lecture TR P. On ne peut exclure, comme le remarque W. Malkmus, une mauvaise lecture de la légende. Le contexte archéologique ne permet pas de trancher, puisque les coins ont été trouvés dans une gravière, à 50 m d’une nécropole romaine qui semble en usage à partir de la fin du ier s.64
27L’hypothèse du vol des coins nous semble particulièrement peu satisfaisante. On connaît presque 30 coins en Gaule, d’Auguste à Néron : faut-il supposer que la chaîne de production était à ce point peu surveillée ? Car si les émissions d’Auguste au type des Caesares et de Tibère au type Pontif Maxim sont extrêmement abondantes (justifiant, aux yeux de J.-B. Giard, l’existence d’ateliers secondaires et un relâchement dans leur organisation), ceci est moins vrai des émissions d’aurei et de deniers de Caligula, frappés avec les coins de Paray-le-Monial.
28Les rares contextes archéologiques suffisamment documentés vont contre l’idée de coins dérobés. Peut-on vraiment croire que le soldat du Chassenard, enterré avec ses armes et son casque de parade vers 40/50 p.C., avait volé les quatre coins monétaires présents dans le mobilier funéraire65 ? Quant au coin de Windisch récemment découvert, dans le camp légionnaire, il nous semble difficile de considérer qu’il a pu servir à frapper de la fausse monnaie66. Sa datation à l’époque tibérienne est absolument certaine, puisqu’il provient de la deuxième phase de construction en bois du secteur Römerblick, datée entre 24 (dendrochronologie) et 47 (épigraphie), plus précisément de la couche d’incendie qui marque la fin de la phase et qui peut donc être placée vers 45 p.C. Mais tous les chercheurs ne s’accordent pas sur la nature des coins du Chassenard et de Windisch : en effet, ces derniers sont entièrement en fer et se présentent, pour les coins de revers, sous la forme de longs cylindres d’une quinzaine de cm, alors que tous les autres coins romains de la République et du Haut-Empire sont en bronze et que les coins de revers sont des petits objets tronconiques de 4 ou 5 cm, qui étaient fixés dans une châsse en fer67. Mais la découverte de Vindonissa est bien un coin monétaire, car l’objet porte des traces d’écrasement sur la face non gravée, qui attestent une utilisation assez courte68. H. Doppler et M. Peter tirent deux conclusions principales : premièrement, qu’il existe à cette époque deux types de coins dans les ateliers officiels (en bronze et en fer), deuxièmement, que la frappe des métaux précieux était décentralisée sous Tibère. Ils n’excluent pas que les coins du Chassenard et de Vindonissa proviennent du même atelier, qui aurait pu être situé dans le camp légionnaire, pour une production de courte durée. Dans les deux cas, on note un lien avec les officiers de l’armée romaine.
29Si l’on se tourne vers les coins en bronze, il s’agit pour la plupart de découvertes anciennes, sans contexte archéologique précis. Toutefois, les coins augustéens de Nîmes, découverts dans la fontaine dite de Diane, permettent peut-être d’en proposer une interpétation. Le dossier en a récemment été repris par A. Suspène, M. Blet-Lemarquand et M. Amandry69. L’authenticité des coins ne fait aucun doute, puisque P. Le Gentilhomme et M. Dhénin ont pu y rengréner des monnaies. Les analyses métalliques des monnaies d’or augustéennes ont montré que ces deux coins, malgré leurs similitudes, avaient chacun servi dans deux ateliers différents, le premier identifié avec Lyon, le second avec un atelier espagnol indéterminé (Patricia ?). Ces différences de composition permettent a priori d’écarter l’hypothèse d’un atelier monétaire à Nîmes pour les métaux précieux. C’est le lieu de découverte qui permet de proposer une hypothèse satisfaisante sur leur présence dans cette cité : en effet, la fontaine de Nîmes faisait partie d’un vaste complexe identifié par P. Gros comme un Augusteum. Les auteurs proposent une déposition volontaire de ces objets portant l’effigie d’Auguste, vers 15 a.C., dans un lieu dédié au Prince ; le lien avec le voyage de l’empereur dans les provinces hispaniques et gauloises en 16-13 a.C., qui fut l’occasion de profondes réorganisations, y compris sur le plan monétaire, semble probable. Les coins, encore fonctionnels, auraient donc été volontairement consacrés.
30Notons que les autres coins antiques qui nous sont parvenus sont également fonctionnels et n’ont pas été rendus inutilisables par martelage ou limage, ce que la plupart des chercheurs supposent être la pratique normale une fois l’émission terminée, afin de se prémunir du risque de frappes frauduleuses70. Puisqu’il faut, à notre avis, écarter l’hypothèse de coins volés (du moins éviter de la généraliser à l’ensemble du corpus), on peut se demander si les coins romains qui nous intéressent ici n’ont pas été conservés intentionnellement. Les coins de Nîmes sont un cas très clair de déposition en contexte religieux. Peut-être faut-il imaginer qu’il en est de même pour les coins julien-claudiens qui nous sont parvenus : ainsi, la découverte de Paray-le-Monial, isolée de tout contexte archéologique, ou bien celle des coins augustéens de l’aven de Creissels, qu’il faut peut-être voir à la lumière des dépositions protohistoriques en grottes, plutôt que comme un dépôt de faux-monnayeur71.
31L’exemple du Chassenard, si l’on accepte qu’il s’agisse bien de coins, montre que ces objets pouvaient devenir des possessions privées. On peut donc tout à fait imaginer qu’après utilisation, les coins pouvaient être cédés à certaines personnes soigneusement choisies, comme “Prestigeobjekte”, ce qui expliquerait leur déposition en contexte funéraire ou religieux. La concentration de ces objets en Gaule pourrait signifier que les coins dont on n’avait plus l’utilité étaient octroyés à des Gaulois fortement intégrés, afin de contribuer à entretenir leur prestige et à maintenir leur ancrage local. On remarquera que la très grande majorité des découvertes se trouve dans le Centre-Est, sur les territoires des Éduens (dix ou 11 ex., sans compter la mention manuscrite de sept coins à Autun) et des Lingons (sept ex.), deux cités fédérées. Ceci expliquerait aussi les continuités possibles avec des pratiques de déposition de l’âge du Fer.
32Malgré son caractère hautement hypothétique, si l’on accepte cette interprétation des découvertes de coins en Gaule, quelles indications peut-on en tirer sur l’organisation de la production monétaire ? L’absence de des coins julio-claudiens en Italie plaide plutôt pour une production organisée autour d’un atelier principal à Lyon. Cet atelier était-il unique ? Rien ne permet, à nos yeux, de résoudre le problème une fois pour toutes : les deux organisations restent possibles, à savoir un atelier unique, ou plusieurs ateliers, peut-être organisés autour d’un atelier principal. Mais si l’on adopte la position de J.-B. Giard sur les ateliers secondaires, il faut aller au bout de son raisonnement : si les coins augustéens et tibériens sont l’indice d’ateliers secondaires, pourquoi pas ceux de Caligula, comme le suggéraient récemment M. Amandry et déjà en 1903 J. Déchelette72 ? Et pourquoi pas ceux de Soissons ? Si l’on suit cette idée, on ne peut manquer de noter l’environnement militaire de plusieurs découvertes. Dès 1977, M. Reddé rapprochait les coins de Soissons du camp d’Arlaines73. Les coins du Chassenard, comme nous l’avons vu, proviennent de la tombe d’un officier, probablement auxiliaire. La trouvaille de Windisch, à l’intérieur d’un camp légionnaire, est tout aussi explicite. La concentration des découvertes gauloises sur le territoire de cités fédérées peut également être interprétée dans ce sens.
33Il serait utile d’essayer de déterminer l’existence de plusieurs productions grâce à des analyses métalliques, telles que celles menées sur les monnayages d’or évoquées plus haut74. Mais les quelques résultats actuellement disponibles ne permettent pas de conclure, en l’état, à l’existence de plusieurs ateliers : il faudrait élargir l’enquête et multiplier les analyses pour vérifier si ces groupes correspondent à une réalité ou s’ils ne sont dus qu’à un hasard d’échantillonnage75.
34C’est précisément grâce à de telles analyses de composition que la question des ateliers a pu progresser pour le monnayage de bronze, car on ne connaît pour la période qui nous intéresse aucun coin ayant servi à frapper ces pièces. Pour autant, ce sont les analyses charactéroscopiques qui ont prouvé l’existence sous Auguste d’un atelier dit auxiliaire pour les monnaies de Lyon I76. En effet, les deux ateliers (Lyon et “auxiliaire”) forment deux groupes stylistiques cohérents et bien identifiés. À partir de Tibère, les émissions à l’autel de Lyon se font très rares et on considère donc que la frappe du bronze se trouve à nouveau concentrée à Rome, dans la continuité des dernières émissions augustéennes (RIC, 469-471). Cependant, les émissions très abondantes de Tibère (au nom du Divus Augustus Pater, ou DAP, et notamment l’as RIC, 81 au type PROVIDENT), Caligula (en particulier les as RIC, 38 à légende VESTA et RIC, 58 au nom d’Agrippa) et Claude, présentent une très grande variété stylistique, dont on a déduit une multiplicité de centres d’émissions, en contradiction avec l’idée d’une centralisation de la production à Rome77. En conséquence, les chercheurs se sont beaucoup interrogés sur le statut de ces monnaies : si certaines pièces sont clairement, par le style et par la métrologie, des imitations locales (dont nous traiterons plus loin), d’autres respectent tous les critères permettant d’identifier les émissions officielles (correction de la légende et du type, utilisation du métal adéquat, métrologie conforme au modèle théorique) mais sont d’un style plus brut, moins soigné, que les émissions attribuées à Rome. L’idée d’ateliers officiels situés dans les provinces a été avancée depuis longtemps78 mais n’a pas été retenue par les catalogues de référence d’usage courant, qui ont continué à attribuer la totalité des émissions de bronze à Rome79. La discussion s’est concentrée principalement sur les monnaies au nom de Claude, car il a été très vite établi (notamment par l’analyse charactéroscopique) que la plupart des imitations, même de types plus anciens, n’étaient pas antérieures à son règne. Si la définition des monnaies officielles, basée principalement sur des arguments stylistiques, ainsi que leur datation, pouvaient varier selon les chercheurs, leur attribution au seul atelier de Rome faisait toujours consensus.
35Pour la Gaule, ce sont les études de J.-B. Giard qui ont fait et continuent à faire autorité80. Selon lui, les provinces gauloises ont souffert, jusqu’à la fin du ier s., d’une pénurie chronique de petite monnaie à partir du moment où “les Gaulois furent contraints de cesser leur monnayage pour adopter la monnaie romaine”, moment qu’il place à la fin du ier s. a.C.81. Afin de pallier le manque de numéraire, les populations locales auraient eu recours à la pratique de l’imitation, qui connut un pic sous le règne de Claude, avant que ce dernier ne rouvre l’atelier de Rome en 50, pour remettre de l’ordre dans une situation devenue chaotique82. La situation se serait ensuite progressivement assainie, à part un nouvel “abcès” en 68/69, avant de se rétablir sous les Flaviens. Sur les imitations claudiennes, son analyse n’est pas exempte de problèmes. Les monnaies de bon poids et de style correct sont interprétées comme le produit d’officines locales tolérées voire autorisées par le pouvoir officiel à cause de la situation de pénurie. J.-B. Giard écrit que “certaines imitations sont en effet si bien faites qu’on en a déduit que le gouvernement impérial dut s’en remettre alors à des officines locales du soin de fabriquer des monnaies divisionnaires de cuivre et d’orichalque (sesterce, dupondius, as, quadrans). Plusieurs de ces officines auraient appartenu à l’armée romaine, mais, en dernière analyse, il n’est pas impossible que l’atelier impérial de Lyon ait lui-même frappé des monnaies qui, s’écartant des normes officielles, ressemblent à s’y méprendre aux imitations83.” Ainsi, l’alternative proposée implicitement par J.-B. Giard est paradoxale : soit des imitations en quelque sorte officielles, puisque frappées par des officines militaires ou dont le pouvoir autorisait presque l’existence, soit la production d’un atelier impérial situé à Lyon, dont l’organisation aurait été à ce point relâchée qu’on y frapperait directement, pour ainsi dire, des imitations. J.-B. Giard lui attribue pourtant toute la production julio-claudienne d’or et d’argent.
36Les analyses métalliques de J.-N. Barrandon et numismatiques de P.-A. Besombes ont permis de clarifier la situation84. Les imitations manifestes sont caractérisées par un taux de zinc plus élevé que pour les autres productions85. Ces dernières se répartissent en plusieurs groupes très cohérents, qui permettent d’isoler très clairement les productions de Rome d’une part (riches en nickel) et d’ateliers provinciaux de l’autre (riches en argent), dont on peut considérer l’existence comme certaine86. Sans entrer dans le détail des attributions proposées par P.-A. Besombes pour les ateliers provinciaux, notons qu’un atelier gaulois, vraisemblablement situé à Lyon, est quasiment assuré (monnaies “à la grosse tête” et “à la petite tête” dans son classement)87.
37Les monnayages de Tibère et Caligula n’ont pas fait l’objet de programmes d’analyses aussi poussés que celui de Claude. Un article récent de J.-N. Barrandon, A. Suspène et A. Gaffiero a permis de montrer que la frappe des as tibériens au nom du Divus Augustus Pater était étalée sur la totalité du règne et que certaines pièces avaient vraisemblablement été émises dans un autre atelier que Rome, sans qu’il soit possible pour l’instant de le localiser88. Pour Caligula, F. Koenig avait émis, sur la base d’analyses stylistiques et métrologiques, l’hypothèse d’un second atelier, qu’il situait toutefois à Rome89. Les analyses de J.-N. Barrandon et P.‑A. Besombes ont montré l’existence d’un groupe cohérent de monnaies, dont la composition métallique est semblable à celles des ateliers provinciaux claudiens (proportion plus élevée d’argent) et qui se distingue très bien des productions romaines90. P.-A. Besombes propose d’attribuer ces frappes à Lyon, à cause de la présence d’éléments-trace d’antimoine et d’arsenic, comme dans les dernières frappes augustéennes et tibériennes à l’autel de Lyon. Les auteurs du récent ouvrage sur Bliesbruck-Rheinheim proposent l’existence de deux ateliers en Gaule, le premier à Lyon et le second, qualifié de “belgo-romain”, peut-être situé à Trèves91. Dans l’ensemble, les analyses confirment donc l’intuition de D. Mac Dowall en 1992, qui attribuait à un ou plusieurs ateliers provinciaux occidentaux une grande partie des monnaies de Tibère, Caligula et Claude trouvées à Nimègue92.
38À la lumière des différentes analyses résumées ici, on peut considérer comme acquise la présence d’ateliers monétaires officiels dans les provinces occidentales. La vague d’imitations du milieu du ier s. n’a rien de la déferlante identifiée auparavant93. La comparaison entre les analyses des monnaies du Tibre d’une part et celles de plusieurs gisements gaulois de l’autre (Oedenburg pour Tibère, Saint-Léonard et La Vilaine pour Caligula et Claude), montre sans ambiguïté que Rome était approvisionnée exclusivement par son atelier, tandis que les provinces occidentales l’étaient de façon préférentielle par le ou les leurs. Le stock monétaire gaulois est cependant plus hétérogène que le stock romain : les monnaies de Rome semblent trop nombreuses pour être toutes arrivées par coin-drift et il y a vraisemblablement eu des envois depuis la capitale. Le problème de la localisation des ateliers provinciaux n’est pas résolu. Une partie de la production vient vraisemblablement de Gaule : on observe en effet une continuité dans le métal employé entre certaines frappes augustéennes, tibériennes et néroniennes dont l’attribution à Lyon est assurée, et les frappes provinciales de Caligula et Claude dont la localisation est incertaine94. L’hypothèse d’un (second ?) atelier gaulois situé ailleurs qu’à Lyon n’est toutefois pas à exclure totalement95.
Un approvisionnement différencié ?
39Les analyses (à la fois métalliques et stylistiques) sont malheureusement concentrées sur trop peu de sites pour que l’on puisse déterminer finement les mécanismes de distribution : l’approvisionnement de l’armée continue-t-il à jouer le rôle principal ? Ou bien certaines productions étaient-elles destinées aussi, voire prioritairement, à la zone civile ? Pour tenter d’aborder le sujet, il faut se contenter pour l’instant de la distribution des différents types iconographiques et des différentes dénominations. En raison des bornes chronologiques choisies dans ce travail, nous nous concentrerons sur le règne de Tibère ; en effet, ce n’est généralement qu’après plusieurs années de circulation que les monnaies nouvelles deviennent visibles dans les contextes archéologiques, et l’étude des productions claudiennes nous entraînerait donc trop loin.
40Au sein des frappes tibériennes, les as au nom du Divus Augustus Pater forment l’immense majorité des découvertes, mais nous avons vu qu’il est impossible, en l’état, d’en déterminer les provenances ; les autres as, frappés à Rome, se concentrent sur les sites militaires (fig. 103). On peut donc supposer qu’une partie des DAP sont de production romaine mais sans pouvoir en déterminer la proportion.
41Quant aux productions lyonnaises à l’autel de Lyon, elles sont peu abondantes sous Tibère ; cependant, alors qu’on ne reconnaissait jusqu’à présent que des semisses ou quadrantes (RIC, 32), la publication des dépôts de Saint-Léonard et de la Vilaine a définitivement prouvé l’existence d’as au nom de Tibère Auguste (RIC, 31), souvent remise en doute96. Il s’agit vraisemblablement d’une production très restreinte : à Saint-Léonard, il y a 2982 as au nom de Tibère César, pour seulement 5 as au nom de Tibère Auguste, à la Vilaine, 1740 pour 5 également, soit un rapport d’environ 470 Tibère César pour 1 Tibère Auguste97. La proportion est plus équilibrée pour les divisionnaires : à Saint-Léonard, on compte 278 semisses au nom de Tibère César contre 24 au nom de Tibère Auguste, dans la Vilaine, 253 contre 33 (imitations exclues), soit plus ou moins un rapport de 10 à 1 entre Tibère César et Tibère Auguste98. On peut être sûr que certaines monnaies identifiées comme des Lyon II augustéens, à l’effigie de Tibère César (principalement du type RIC, 245/246), sont en réalité des monnaies de Tibère Auguste. Par ailleurs, comme on le voit, les semisses de Tibère Auguste sont beaucoup moins rares qu’on ne l’a cru99. Il est intéressant de constater que l’on a produit beaucoup plus de divisionnaires que d’unités ; à notre connaissance, cette situation n’a pas de parallèles dans les frappes julio-claudiennes. Or la comparaison, sur un échantillon de sites gaulois, des différentes dénominations de Lyon II (qui englobent vraisemblablement les monnaies à l’autel de Tibère Auguste mal identifiées100), montre très clairement que les semisses sont beaucoup plus courants dans la zone civile que dans la zone militaire (fig. 104101 ; voir également la fig. 102). En Gaule interne, seules les trouvailles de Saint-Léonard et de la Vilaine présentent un profil similaire à celui des sites rhénans ; la comparaison renforce l’hypothèse militaire, évoquée par P.-A. Besombes pour expliquer le faciès particulier de ces gisements. Pour notre zone d’étude, les monnaies en contexte archéologique donnent une image similaire (fig. 105).
42L’interprétation d’une telle répartition nous met face à une alternative : doit-on l’expliquer par un approvisionnement différencié, ou bien le choix des utilisateurs a-t-il “fait le tri” ? La majorité des indices nous semblent en faveur de la première hypothèse. Ainsi on note, en valeur absolue, plus de semisses à La Villeneuve-au-Châtelot et à Alésia qu’à Windisch, alors même que l’échantillon de Lyon II est environ quatre fois plus important sur ce dernier site (seulement 65 semisses sur près de 900 monnaies). À l’inverse, les grosses dénominations sont peu présentes en Gaule interne, même sur un des échantillons les plus importants comme celui d’Alésia (266 monnaies dont seulement huit dupondii, alors qu’on en dénombre 23 à Augst pour un échantillon comparable de 293 monnaies et trois à Reims pour seulement 22 Lyon II). Sur le camp militaire d’Aulnay-de-Saintonge, on compte 33 semisses pour 29 as : le profil y est tout à fait semblable à celui des sites civils voisins et nullement à celui des camps militaires rhénans contemporains. Le mobilier du camp est tibéro-claudien ; on considère généralement qu’il a été fondé suite à la révolte de 21, occupé par des vexillations de l’armée de Germanie supérieure et qu’il a été abandonné en 43 au plus tard102. Malgré les incertitudes sur la fin de l’occupation, Aulnay offre donc un bon repère chronologique : aux environs de 40, dans le nord de l’Aquitaine, les semisses sont extrêmement bien représentés. Étant donnés leur nombre et leur proportion (40 à 50 % des Lyon II sur de nombreux sites), peut-on envisager une diffusion de proche en proche très rapide depuis l’atelier, qui en 20 ans aurait drainé la majorité des semisses sur la Lyonnaise, le nord de l’Aquitaine et le sud de la Gaule Belgique, tandis que la zone militaire en aurait été privée ? Cela nous semble improbable. D’une part, la circulation monétaire de l’âge du Fer est très régionalisée, comme nous l’avons vu plus haut103. D’autre part, la comparaison avec la diffusion d’autres types dont la distribution initiale était exclusivement rhénane, comme les Nîmes I ou les monnaies frappées à Rome au nom des Monétaires, montre qu’elles ne pénètrent jamais réellement dans la circulation de Gaule intérieure104. Or l’hypothèse d’une diffusion de proche en proche suppose une circulation monétaire très fluide et des déplacements de monnaies sur des distances assez importantes. Nous n’avons aucune trace de banquiers ou de changeurs qui auraient pu faciliter ou accélérer le processus105.
43On pourrait justifier la concentration des multiples (dupondii, sesterces) dans la zone rhénane, alors que les sous-multiples (semisses, quadrantes) sont mieux représentés en Gaule intérieure, par des prix plus élevés dans la zone militarisée, dus à la présence d’une population non productrice, au pouvoir d’achat plus important que la moyenne et régulièrement approvisionnée en numéraire. Bien qu’il n’existe aucune source écrite pour la région qui nous occupe, le phénomène est possible106. Si l’on accepte sa réalité, on pourrait donc supposer un besoin moindre en petite monnaie dans les zones de stationnement des militaires, reflété par la rareté des semisses et quadrantes. Il faut cependant tenir compte du fractionnement des monnaies, dont nous avons vu qu’il était déjà attesté en Italie à partir du deuxième quart du ier s. a.C.107 Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le fractionnement est beaucoup moins attesté en Gaule interne que sur le Rhin. Il est difficile de dire si l’on a affaire à une pratique importée ; on connaît des cas de monnaies gauloises coupées, et il semble assez naturel de couper un objet dont la valeur est connue afin d’obtenir des objets de valeur moindre. Quoi qu’il en soit, si l’on compare la carte de répartition des monnaies romaines impériales en bronze par dénomination (pl. h.-t. 3a et b), avec la carte de répartition par valeur réelle (la valeur de la dénomination concernée étant pondérée selon le fractionnement observé) (pl. h.-t. 4a et b), il est clair qu’on coupait fréquemment des as et des dupondii dans la zone rhénane108. Par ailleurs, la confrontation entre la répartition des sous-multiples de l’as et celle des monnaies fractionnées semblent montrer deux distributions largement exclusives (fig. 102 et 106). Dans notre zone d’étude, à l’époque tibéro-claudienne, les monnaies coupées sont très rares en Gaule interne, contrairement aux semisses ; la situation semble inverse sur le Rhin. Comme on pouvait s’y attendre, le fractionnement était donc motivé par une présence insuffisante de petit numéraire, dont le besoin se faisait ressentir aussi sur les sites rhénans109.
44Si la distribution des monnaies divisionnaires, principalement des semisses à l’autel de Lyon, avait touché la zone militaire à la même échelle que la zone civile, on devrait donc retrouver ces pièces dans des proportions similaires. En effet, puisqu’elles répondaient à une demande réelle, elles auraient dû rester en circulation dans leur région de distribution. Dans ces conditions, il nous semble préférable de supposer que les semisses ont été diffusés prioritairement dans les zones civiles plutôt que dans les zones militaires, selon des circuits officiels. À nouveau, si l’on refuse cette solution, il faut restituer des flux monétaires de grande ampleur, qui nous semblent difficiles à envisager au vu de notre documentation. Il reste à poser le problème d’une possible préférence des Gaulois pour des petites dénominations, qui sous-tend l’hypothèse selon laquelle la concentration des semisses dans la zone civile est due à une demande des usagers, mais qui est également présente dans l’hypothèse d’un approvisionnement par l’État. Pourquoi en effet inonder la Gaule civile de semisses plutôt que d’as ? Si l’on pense à des congiaires, était-ce une manière de faire des économies110 ? Ou bien a-t-on pris en compte la situation régionale en mettant en circulation des monnaies dont la métrologie était proche de celle des derniers bronzes gaulois ? L’étude des imitations d’époque claudienne est ici nécessaire, afin de déterminer quel rôle ont pu jouer les préférences locales.
Persistance de pratiques indigènes ?
45Bien que les dernières monnaies gauloises cessent d’être utilisées dans le premier tiers du ier s. p.C.111, plusieurs chercheurs ont noté, au-delà de cette période, une continuité avec l’âge du Fer dans les usages monétaires en Gaule et en particulier une préférence pour les petites dénominations. S’appuyant entre autres sur un important article de D. Nash et sur ses propres travaux sur la Gaule du Nord-Est, D. Wigg-Wolf a récemment synthétisé les différentes données disponibles112. Pour l’argent, il a pu montrer que les quinaires romains, dont la métrologie est semblable à celles des deniers gaulois, étaient beaucoup plus abondants sur les sites civils ou indigènes que sur les sites militaires113. Nos données pour les règnes de Tibère à Claude sont peu abondantes mais semblent confirmer ses conclusions : les quelques quinaires comme les derniers deniers gaulois se retrouvent plutôt en Gaule interne que le long du Rhin (fig. 107).
46Son attention s’est surtout concentrée sur le bronze, particulièrement sur les imitations claudiennes dont il a été question plus haut. Pour le problème qui nous intéresse ici, le monnayage de bronze présente en effet plus d’intérêt que celui en argent : le second n’est plus produit localement, contrairement au premier. Déterminer qui produit les imitations en bronze et pourquoi est donc d’un intérêt majeur. Avant de commenter les résultats auxquels D. Wigg-Wolf est parvenu, il faut rappeler les limites qui existent à la discussion. L’idée qu’après Auguste la frappe du bronze était concentrée à Rome a conduit les numismates à classer toute monnaie “déviante” comme imitation. Malheureusement, les publications sont souvent dépourvues de clichés, ce qui rend toute vérification impossible sans revoir la pièce – si c’est encore possible et si l’état de la monnaie le permet. Par ailleurs, les données métrologiques ne sont généralement pas précisées ; or elles peuvent constituer un critère déterminant pour juger de la réalité du phénomène même sans photographie. Mais même lorsqu’on dispose de tous les détails requis, l’identification des imitations n’est pas toujours aisée. Ainsi, dans la publication récente et abondamment (mais non exhaustivement) illustrée des trouvailles de Bliesbruck-Rheinheim, certaines monnaies de Claude, voire de Lyon II, classées comme imitations d’après leur métrologie, présentent à nos yeux un style tout à fait adéquat pour des frappes officielles114. Toutes les conclusions auxquelles nous pouvons aboutir sont donc fortement conditionnées à la fois par la quantité et la qualité des données disponibles, très variables selon les sites, et par la façon dont les auteurs des publications envisagent la production monétaire julio-claudienne.
47D. Wigg-Wolf a pu travailler sur deux ensembles où ne se posait aucun de ces problèmes115. D’un côté, les monnaies de Claude trouvées dans le Tibre, dont on est sûr qu’elles ont presque toutes été frappées à Rome116. De l’autre, des imitations “barbares” provenant principalement de la région rhénane et qu’il a en grande partie eues entre les mains : le style est tel qu’aucun utilisateur antique n’aurait pu les confondre avec des frappes officielles117. Il commence par rappeler que, sur le Rhin moyen, la plupart des imitations au type de l’autel de Lyon sont attribuables à l’époque claudienne, comme le montrent les liaisons de coins avec des copies d’as de Claude118. Puis, à partir de la distribution des poids de ces deux ensembles, il montre que malgré le soin moyen apporté à leur aspect, la métrologie des imitations est étroitement contrôlée. Son échantillon de 54 pièces présente un poids moyen de 3,81 g, et la majorité des pièces pèse entre 3,5 et 4,5 g. Récemment, les auteurs de l’ouvrage sur Bliesbruck sont arrivés à des conclusions similaires, comme J.-M. Doyen pour Reims, qui propose de qualifier cette production de “pseudo-as”119. L’opinion de D. Nash, qui constatait vingt ans plus tôt que “a large proportion of barbaric asses of Claudius fall around or above the weight of the semis120”, semble donc se vérifier. Enfin, à nouveau grâce à l’étude des coins, D. Wigg-Wolf montre qu’il faut supposer une origine civile plutôt que militaire à cette production121. Sur ce point, il rejoint à nouveau D. Nash, qui allait jusqu’à interpréter ces pièces comme les dernières frappes gauloises indigènes122. Il se demande donc, en conclusion de son article, comme interpréter le phénomène : faiblesse de l’offre en petite monnaie ou hausse de la demande ? Ou bien les deux à la fois ?
48Comme on le voit, une bonne compréhension des imitations claudiennes est indispensable pour mieux saisir les dynamiques économiques et culturelles à l’œuvre au milieu du ier s. Quelle est tout d’abord l’extension géographique du phénomène ? D. Nash pensait que les imitations légères, alignées sur un demi-as, circulaient principalement “in areas nearer [than Central Gaul] to the army123”. Les travaux de D. Wigg-Wolf sont trop concentrés sur le Rhin moyen pour vérifier la justesse de l’hypothèse. La chronologie de leur apparition, jusqu’à présent fondée sur des critères numismatiques, doit également être confrontée aux données archéologiques. Il faudra enfin aborder la question des producteurs : civils ou militaires ? Comme D. Wigg-Wolf, nous nous limiterons aux seuls as ; c’est en effet, dans leur immense majorité, la dénomination copiée par les imitations claudiennes.
49Les quelques imitations en contexte archéologique pour lesquelles nous disposons du poids confirment la chronologie généralement acceptée. En effet, si les imitations que nous appellerons ici “lourdes” (poids supérieur à 5 g, pour une pièce entière) sont présentes de façon continue dès l’époque augustéenne124, les imitations “légères” (poids inférieur à 5 g) n’apparaissent pas avant la fin du règne de Tibère. L’exemplaire le plus précoce est une imitation de Lyon II de 4,04 g au camp B d’Oedenburg, occupé entre 18/19 et 30/35 p.C.125 On trouve ensuite une imitation d’as de Tibère (RIC, 81) à Augst, dans un contexte daté entre 20 et 50126. Il est difficile de conclure à partir de deux exemplaires ; si le gros des imitations “légères” doit indubitablement être placé sous Claude, il faut néanmoins envisager, sur la base de la monnaie d’Oedenburg, que le phénomène ait débuté dès la fin du règne de Tibère. Pour les exemplaires retrouvés en contexte, la comparaison entre la distribution des poids selon la datation du contexte et selon le prototype copié, montre que ce dernier n’a pas d’incidence : on trouve des imitations légères d’Auguste, Tibère et Caligula comme de Claude (fig. 108 et 109)127. Ainsi, il est bien légitime d’étudier les imitations “légères” comme un groupe particulier et bien cerné chronologiquement ; les imitations “lourdes” regroupent, quant à elles, des exemplaires issus de plusieurs époques différentes. Pour ce dernier groupe, un exemplaire de Colchester, issu des mêmes coins que des pièces de Saint-Léonard, la Vilaine, Saint-Maur-des-Chaussées et Condé-sur-Aisne, a été trouvé dans un contexte daté 44/49 p.C., ce qui prouve que la production et la circulation des pièces du groupe “lourd” sont intervenues très tôt dans le règne de Claude128.
50L’étude de la répartition géographique des imitations “légères” ne peut se faire qu’à partir d’ensembles importants. En effet, la consultation des publications montre qu’elles sont presque toujours présentes mais dans des effectifs très variables. Il faut donc disposer de données pondérales suffisamment nombreuses pour mener une étude statistique et déterminer si les imitations “légères” ont réellement un poids sur le site étudié. Les analyses qui suivent ne prétendent pas à l’exhaustivité et cherchent seulement à cerner, dans ses grandes lignes, l’extension du phénomène. Nous avons examiné la répartition des poids des pièces identifiées comme imitations sur six sites localisés dans la zone d’étude (Alésia, Condé-sur-Aisne, Reims, Bliesbruck-Rheinheim, Oedenburg et Albaniana), que nous avons complétés avec trois sites extérieurs (Colchester, Toulouse et Saint-Bertrand-de-Comminges)129. Nous ferons également référence à d’autres sites, à l’intérieur comme à l’extérieur de la zone d’étude, dont le corpus est trop restreint pour faire une étude détaillée, ou pour lesquels l’ensemble des données n’est pas présenté. Les monnaies prises en compte sont toutes celles classées comme imitation (parfois “fabrique locale” ou “atelier local”), ayant comme prototypes des monnaies d’Auguste à Claude. La fig. 110 et le diagramme en boîtes associé, communément appelé “boîte à moustaches” (fig. 111), laissent d’emblée apparaître la variété de situations130.
Fig. 110. Tableau récapitulatif des données pondérales des imitations sur un échantillon de sites.
Site | Valeur min. | Médiane | Valeur max. | Moyenne | Écart-type | Nombre de monnaies |
Alésia | 2,42 | 6,66 | 12,85 | 7,08 | 2,47 | 105 |
Condé-sur-Aisne | 1,89 | 5,48 | 10,77 | 5,56 | 1,70 | 223 |
Reims | 3,33 | 4,01 | 6,60 | 4,52 | 1,18 | 18 |
Bliesbruck | 2,13 | 4,53 | 9,00 | 4,81 | 1,53 | 55 |
Oedenburg | 1,90 | 4,16 | 9,34 | 4,95 | 1,70 | 139 |
Albaniana | 1,71 | 6,16 | 8,79 | 5,84 | 2,01 | 51 |
Colchester | 3,16 | 6,67 | 11,41 | 6,83 | 1,91 | 94 |
Toulouse | 4,00 | 8,08 | 9,55 | 7,53 | 1,63 | 28 |
Saint-Bertrand-de-Comminges | 5,11 | 8,82 | 13,62 | 8,74 | 1,80 | 73 |
51À Bliesbruck et Oedenburg, les deux sites les plus proches de la région étudiée par D. Wigg-Wolf, les données se distribuent comme dans l’échantillon étudié par ce dernier131 (fig. 112). La moyenne est plus élevée mais le mode, autour de 3,5/4 g, est identique, avec le même étalement vers les valeurs hautes. Comme nous le verrons plus loin, les liaisons de coins confirment que l’on a affaire au même type de production.
52Plus on s’éloigne de la région rhénane, plus les imitations “légères” se font rares. À Alésia et à Condé-sur-Aisne, le mode se situe entre 5 et 6 g (fig. 113). Sur le premier site, on note plus de pièces au poids élevé (supérieur à 9 g) : on peut penser que ce sont des productions des ateliers provinciaux, encore considérées au moment de l’étude comme des imitations. Ceci explique une moyenne et une médiane plus élevées à Alésia qu’à Condé, alors que le graphique souligne la similitude de la distribution. Les imitations en général semblent absentes à La Villeneuve-au-Châtelot (à cause de la nature du site ?)132. Au contraire, dans le secteur d’habitation de Ville-sur-Lumes, les imitations légères semblent mieux représentées, mais l’échantillon est très réduit (cinq pièces seulement)133. À Reims, malgré la proximité avec Condé-sur-Aisne, les données ressemblent à celles de Ville-sur-Lumes et du groupe rhénan. L’échantillon est plus restreint (18 pièces) mais la distribution est très cohérente et montre une domination indiscutable du groupe “léger” (fig. 112).
53Sur les trois sites les plus éloignés de la Gaule du Nord-Est, les données pondérales font clairement apparaître l’absence d’imitations légères (fig. 114). À Saint-Bertrand-de-Comminges, les imitations sont vraisemblablement rarissimes, même si l’absence de clichés ne permet pas de se faire une opinion définitive. À Colchester, la majeure partie des pièces classées comme imitations sont en fait des productions officielles mais provinciales, comme le montrent les illustrations. Les “vraies” imitations sont relativement lourdes et certaines présentent des liaisons de coins avec des trouvailles gauloises de l’Ouest de la Gaule134. Les imitations de Saint-Léonard et de la Vilaine ont également un poids moyen et une médiane beaucoup plus élevés que sur le Rhin (fig. 115). À Toulouse, la distribution des poids est proche de celle de Colchester (fig. 114) ; l’absence d’illustrations ne permet pas de juger de la proportion respective des imitations et des productions provinciales officielles.
Fig. 115. Tableau récapitulatif des données pondérales des imitations des dépôts de Saint-Léonard et de la Vilaine, par type (données : Besombes 2003-2004, 177-178 et Besombes & Morin 2005-2006, 34).
Site | Type | Nombre | Moyenne | Écart-type | Médiane | Mode |
Saint-Léonard | Auguste, RIC I, 230 | 58 | 6,86 | 1,58 | 6,47 | 6,57 |
Saint-Léonard | Tibère, RIC I, 81 | 58 | 7,43 | 1,6 | 7,3 | 6,42 |
Saint-Léonard | Caligula, RIC I, 58 | 65 | 7,75 | 1,78 | 7,88 | - |
Saint-Léonard | Caligula, autres as | 69 | 8,64 | 1,24 | 8,7 | 9,87 |
Saint-Léonard | Claude, as “grosse tête” | 1153 | 8,16 | 1,39 | 8,21 | 8,25 |
Saint-Léonard | Claude, as “petite tête” | 1181 | 7,97 | 1,46 | 8,66 | 7,99 |
Vilaine | Claude, as, 1er et 2e portraits | - | 8,53 | 1,39 | 8,25 | 8,46 |
Vilaine | Claude, as, 3e portrait | - | 8,55 | 1,29 | 9,03 | 8,58 |
54Les imitations “légères” semblent bien avoir une zone de distribution circonscrite à une région rhénane étendue. Les différences entre Condé-sur-Aisne et Reims, distantes seulement d’une quarantaine de km, illustrent la part décroissante des imitations “légères” lorsqu’on s’éloigne du Rhin. Les données pondérales d’Oedenburg, de Bliesbruck et du Rhin moyen forment un tout cohérent ; il faut également inclure le Rhin inférieur, mais les données d’Albaniana y montrent une situation plus contrastée (fig. 113). On note en effet deux pics : le premier entre 6,5 et 9 g, comme à Colchester, et le second, moins important, autour de 3,5/4 g, comme sur le Rhin supérieur et moyen. Les liaisons de coins donnent une image similaire.
55Nous avons pu compléter la distribution pour l’un des groupes de coins identifié par D. Wigg-Wolf (fig. 116 et 117). On compte au total 11 pièces, toutes liées par le coin de droit mais présentant trois coins de revers différents, probablement issus du même graveur : on remarque en effet, sur les coins de revers R2 et R3, le même S rétrograde135. Le poids oscille entre 1,84 et 5,42 g, pour un poids moyen de 3,51 g. Dix monnaies sont localisées, toutes le long du Rhin, entre Xanten au nord et Oedenburg au sud, avec une concentration sur le Rhin moyen, peut-être due à une meilleure couverture de la région par D. Wigg-Wolf (fig. 118). Les trois revers semblent avoir des distributions différentes, mais l’échantillon est faible. À notre connaissance, aucune ne vient d’un contexte archéologique bien daté, mais le prototype du revers R3 place la production à l’époque claudienne.
Fig. 116. Catalogue d’un groupe d’imitations claudiennes liées par un même coin de droit.
N° | Lieu de découverte | Bibliographie et crédits de clichés | Droit | Revers | Prototype du revers | Poids en g | Axe |
a | Badenheim | Inédit, doc. D. Wigg-Wolf | D1 | Indét. | Indét. | 1,84 | 5h |
b | Bliesbruck | Gricourt et al. 2009, n°117 | D1 | R1 | Autel de Lyon | 3,19 | 12h |
c | Martberg | Wigg 1996, 436, plate 1, i ; Wigg-Wolf, éd. 2005, 4001,1, n°352 | D1 | R1 | Autel de Lyon | 5,42 | - |
d | Xanten | Wigg 1996, 436, plate 1, j | D1 | R1 | Autel de Lyon | 4,48 | 11h |
e | Xanten | Inédit, doc. D. Wigg-Wolf | D1 | R1 | Autel de Lyon | 1,86 | - |
f | Mayence | Inédit, doc. D. Wigg-Wolf | D1 | R2 | Tibère, RIC, 81 | 4,13 | 2h |
g | Martberg | Wigg 1996, 436, plate 1, k ; Wigg-Wolf, | D1 | R2 | Tibère, RIC, 81 | 3,36 | - |
h | Mayence | Wigg 1996, 436, plate 1, l | D1 | R3 | Claude, RIC, 100 | 4,38 | 5h |
i | Strasbourg | Inédit, doc. S. Martin | D1 | R3 | Claude, RIC, 100 | 3 | 6h |
j | Oedenburg | Inédit, doc. S. Martin | D1 | R3 | Claude, RIC, 100 | 3,54 | 11h |
k | Non localisé | Giard 1975, n°113 | D1 | R3 | Claude, RIC, 100 | 3,46 | - |
56Il faudrait reprendre l’étude des monnaies d’Alésia et de Condé-sur-Aisne, afin de déterminer à quoi correspond le groupe de pièces pesant entre 5 et 6 g : s’agit-il d’une production d’imitations sur un autre étalon pondéral ? Si cette hypothèse est correcte, l’échantillon de monnaies de Condé illustré dans la publication montre une production très différente : les pièces les plus “barbares” ont souvent des poids qui les rattachent au groupe “léger”, tandis que les pièces les plus lourdes respectent beaucoup mieux l’iconographie officielle. A-t-on essayé de faire de la fausse monnaie, destinée à tromper l’utilisateur ? Ou bien les mêmes motivations ont-elles guidé les producteurs, mais avec une situation régionale et des besoins distincts ?
57En rassemblant les études de coins de D. Wigg-Wolf et celles de J.-B. Giard136, il apparaît que les différentes productions identifiées ont des aires de distribution distinctes. Nous n’avons pas trouvé de recoupements entre les productions “légères”, centrées sur le Rhin, et les productions “lourdes”, que l’on retrouve en Bretagne, dans l’Ouest de la France et jusqu’à Condé-sur-Aisne137. Les différents groupes semblent donc circuler assez largement, mais de façon exclusive. Qui sont les agents de leur dissémination ? Les militaires jouent vraisemblablement un rôle important, pour le groupe “lourd” (que l’on retrouve de part et d’autre de la Manche dès le début de la conquête de Bretagne) comme pour le groupe “léger” (sur les dix exemplaires localisés à la fig. 118, six viennent de camps ou d’agglomérations d’origine militaire). Pour autant, l’existence d’un lien avec l’armée ne la désigne pas comme productrice : comme avec les bronzes Scheers, 217 à l’époque augustéenne, les soldats peuvent avoir utilisé massivement des imitations produites localement par des civils. Par ailleurs, l’incompréhension manifeste des producteurs devant les légendes des prototypes est un argument fort pour les identifier à des indigènes peu ou pas alphabétisés plutôt qu’à des soldats, en tout cas des légionnaires138.
58À nos yeux, les données numismatiques et archéologiques permettent de circonscrire les imitations “légères” à une période et à une zone précise : les bords du Rhin pendant les années 40 et 50. On ne peut pas considérer le phénomène comme typique de la population gauloise dans son ensemble ; au contraire, il répond aux besoins d’une région bien délimitée, occupée à la fois par des militaires et des civils, ce qui nous interdit toute identification définitive des producteurs de ces pièces, bien qu’une origine civile et indigène soit plus probable. Comment l’expliquer ?
59Il faut selon nous revenir à l’approvisionnement des différentes régions en monnaies divisionnaires. Nous avons vu plus haut que les semisses et quadrantes se trouvaient surtout dans la zone civile et que la zone militarisée semblait avoir compensé leur absence en recourant au fractionnement. Or, sur les sites militaires où il est possible de suivre l’occupation de façon continue entre Tibère et Néron, la proportion d’imitations semble varier en fonction du nombre de monnaies fractionnées139 (fig. 119 et 120). Sur le Rhin supérieur, c’est particulièrement net entre Trebur-Geinsheim et Wallerstädten d’une part, daté par le mobilier numismatique entre Tibère et Caligula, et Hofheim et Rheingönheim d’autre part, fondés vers 40 au plus tard et abandonnés vers 70. Sur le Rhin inférieur, la comparaison entre Velsen 1, occupé sous Tibère, et Albaniana et Zwammerdam, occupés à partir des années 40, est également très parlante, tout comme les données issues des différents chantiers du camp d’Alteburg à Cologne.
Fig. 119. Proportion de fractions et d’imitations de monnaies impériales en bronze, sur plusieurs camps militaires du Rhin supérieur, entre Tibère et Néron.
Numéro | Site | TPQ | TAQ | Nb de monnaies de bronze impériales | % de fractions | % d’imitations certaines | % d’imitations possibles |
B-073-01 | Oedenburg. Camp B | 20 | 30/35 | 27 | 33,33 | 7,41 |
|
B-073-02 | Oedenburg. Camp A | 40 | 70 | 60 | 21,67 | 20,00 |
|
B-102-15 | Vindonissa. Zentralgebaüde 2004 | 15 | 30/35 | 9 | 33,33 |
|
|
B-102-16 | Vindonissa. Zentralgebaüde 2004 | 30/35 | 50/55 | 10 | 30,00 | 10,00 |
|
B-102-17 | Vindonissa. Zentralgebaüde 2004 | 30/35 | 40/45 | 23 | 26,09 | 4,35 | 4,35 |
B-102-18 | Vindonissa. Zentralgebaüde 2004 | 50/55 | 75 | 14 | 7,14 |
| 14,29 |
B-102-19 | Vindonissa. Zentralgebaüde 2004 | 40/45 | 70 | 6 |
|
|
|
G-018-01 | Trebur-Geinsheim. Camp | 20 | 40 | 118 | 33,05 | 1,69 |
|
G-022-01 | Wallerstädten. Camp | 20 | 40 | 37 | 18,92 | 8,11 | 16,22 |
G-010-01 | Hofheim. Erdlager | 30/40 | 70 | 747 | 5,22 | 26,91 | 5,09 |
B-078-01 | Rheingönheim. Camp | 40 | 70/74 | 102 | 0,98 | 25,49 | 0,98 |
Fig. 120. Proportion de fractions et d’imitations de monnaies impériales en bronze, sur plusieurs camps militaires du Rhin inférieur, entre Tibère et Néron.
Numéro | Contexte | TPQ | TAQ | Nb de monnaies de bronze impériales | % de fractions | % d’imitations certaines | % d’imitations possibles |
B-028-01 | Cologne. Alteburg 1995/96 (phase 1) | 15 | 40/45 | 17 | 58,82 |
|
|
B-028-02 | Cologne. Alteburg 1995/96 (phase 2) | 40/45 | 60/70 | 10 |
| 10,00 | 10,00 |
B-028-03 | Cologne. Alteburg 1995/96 (phase 3) | 60/70 | 90 | 14 | 7,14 | 14,29 |
|
B-028-04 | Cologne. Alteburg 1998 (phase 1) | 15 | 40 | 3 | 100,00 |
|
|
B-028-05 | Cologne. Alteburg 1998 (phase 2) | 40 | 50/60 | 6 | 50,00 |
|
|
B-028-06 | Cologne. Alteburg 1998 (phase 3) | 50/60 | 70 | 8 |
| 12,50 |
|
G-019-01 | Valkenburg. Castellum (période 1) | 39/40 | 41/42 | 26 |
| 3,85 |
|
G-019-02 | Valkenburg. Castellum (période 1a) | 41/42 | 47 | 5 |
|
|
|
G-019-03 | Valkenburg. Castellum (période 2/3) | 47 | 69 | 19 |
|
|
|
G-020-01 | Velsen 1. Camp | 15 | 39 | 199 | 10,55 |
|
|
G-001-01 | Albaniana. Castellum | 40 | 100 | 515 |
| 10,87 | 0,19 |
G-023-01 | Zwammerdam. Castellum (période I) | 47 | 69 | 37 |
| 5,41 |
|
60Nous faisons donc l’hypothèse que les imitations d’époque claudienne répondent aux mêmes motivations que les monnaies fractionnées et visent à combler un manque de petite monnaie. Les as de Lyon II sont beaucoup moins coupés que ceux de Lyon I : sur les 238 ex. que nous avons enregistrés, le fractionnement en touche moins de 8 %, contre un peu plus de 25 % des 1983 Lyon I. La plupart de ces derniers furent vraisemblablement coupés à l’époque augustéenne. Par ailleurs, les contextes archéologiques montrent que la part des Lyon I dans le stock monétaire, qui reste stable sous Tibère et Claude, décline après le milieu du siècle (fig. 121). On peut donc penser qu’à partir de cette période, les monnaies fractionnées ne furent plus assez nombreuses pour répondre à la demande et que les utilisateurs durent chercher d’autres solutions, puisque la production et l’approvisionnement en semisses ou quadrantes officiels restaient nuls. On peut se demander pourquoi la pratique du fractionnement ne s’est pas perpétuée au-delà d’Auguste ; bien que nous n’ayons aucune réponse à apporter pour l’instant, il faut noter que son arrêt n’est pas propre à la Gaule et semble général dans les provinces occidentales140.
Fig. 121. Proportion de monnaies de Lyon I dans les contextes post-augustéens.
Contextes | Nombre de monnaies romaines en bronze | Dont impériales | Dont Lyon I | Dont Lyon I fractionnés |
Tibérien | 438 | 410 | 70 | 18 |
Tibérien/claudien | 237 | 203 | 26 | 9 |
Claudien | 238 | 200 | 33 | 10 |
Claudien/Néronien | 1352 | 1147 | 51 | 5 |
Néronien | 120 | 102 | 2 | 0 |
61Dans ces conditions, il faut se demander si l’on peut réellement considérer l’importante production d’imitations claudiennes comme “the last Celtic coinages”, pour reprendre l’expression de D. Wigg-Wolf. Comme il le supposait, on peut vraisemblablement en attribuer la production aux populations civiles, bien que les données archéologiques ne permettent aucune certitude à ce sujet. Mais l’équation “civil = indigène” pose problème, car au milieu du ier s., les canabae sont déjà bien implantées (voir par ex. à Oedenburg, où l’agglomération civile se développe presque dès la fondation du camp) ; sans en exagérer la romanité, la population y était certainement plus mixte qu’ailleurs, et on ne peut exclure que certaines pièces y aient été produites. Par ailleurs, la métrologie des imitations “légères” s’inscrit pleinement dans le système monétaire romain et sa production semble répondre au besoin en petite monnaie de la zone la plus militarisée de tout l’Empire. Sont-ce réellement les préférences indigènes qui ont dicté le choix de la métrologie ? Le goût pour des dénominations de faible valeur a dû jouer, comme le montre la forte proportion de quinaires sur les sites non militaires141. Mais nous serions enclin à penser que c’est principalement le besoin de petite monnaie, généré par un approvisionnement inadéquat, qui a entraîné la production de ces pièces, rendue nécessaire par une monétarisation importante des échanges dans cette région. Les fig. 106 et 122 font d’ailleurs apparaître que le fractionnement comme les imitations sont plus courants sur le Rhin supérieur que sur le Rhin inférieur. Est-ce la trace d’une habitude d’échanges monétaires mieux ancrée et plus ancienne dans la première région ? En effet, il faut rappeler que le Rhin inférieur ne semble pas connaître de production monétaire propre avant la conquête césarienne.
62Enfin, faut-il penser que ces émissions ont été commandées par des entités publiques (villes ou civitates), comme le pensent D. Nash et J.-M. Doyen142 ? Le fait que les imitations se concentrent dans la zone militaire et semblent prendre la suite du fractionnement plaide contre cette hypothèse. Par ailleurs, au-delà d’éventuels problèmes juridiques, pour lesquels les sources écrites ne permettent pas réellement de trancher143, nous avons vu que les frappes civiques n’ont jamais réussi à s’implanter en Gaule sous Auguste. Peut-on alors en imaginer une résurgence après 40 ans d’interruption, ou plutôt de non-existence, au moment-même où ces frappes cessent définitivement dans le reste de l’Occident romain ? Cela nous semble difficilement envisageable, tout comme la solution proposée par J.-M. Doyen (en quelque sorte, une “externalisation” des frappes par les villes). Dans l’état actuel des données, nous ne chercherons pas à identifier précisément les responsables de ces émissions, qui nous paraissent toutefois ressortir d’initiatives privées plutôt que de frappes ou de commandes publiques.
Contre une vision primitiviste
63Les analyses qui précèdent posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Quels étaient les ateliers monétaires ouverts entre Tibère et Claude ? Lyon fut probablement chargé de la majorité de la production d’or et d’argent, mais il pourrait y avoir eu d’autres ateliers. Rome n’était certainement pas la seule à approvisionner les provinces occidentales en monnaies de bronze mais on ne sait pas vraiment où placer les autres lieux de productions : vraisemblablement un atelier gaulois à Lyon et au moins un atelier espagnol sous Claude. Mais l’atelier lyonnais était-il le seul en Gaule ? Comment les différents ateliers se partageaient-il l’approvisionnement des différentes provinces ? On ne dispose pour l’instant que de données très lacunaires et surtout pour le règne de Claude : sans surprise, le ou les ateliers gaulois semblent s’être chargés de la Gaule, tandis que les frappes espagnoles circulaient surtout en Espagne. Les productions de Tibère et Caligula sont trop mal caractérisées pour qu’on se prononce, même si un consensus se fait jour pour un ou des ateliers gaulois.
64Outre la localisation de l’atelier, peut-on identifier d’autres facteurs qui régissaient la distribution ? Dans la zone d’étude, la répartition des différentes dénominations est en effet hétérogène : les “grosses coupures” sur le Rhin, la petite monnaie en Gaule interne. La réponse à cette question est très fortement conditionnée par la vision qu’on adopte de la circulation monétaire. Soit on accepte une vision “libérale” : la distribution a été homogène et c’est dans un second temps que les besoins des usagers ont conditionné la circulation monétaire et ont séparé les petites pièces des grosses. Cette solution suppose une grande vitalité économique et une circulation monétaire très dynamique qui contraste avec la forte régionalisation de la circulation monétaire à l’âge du Fer. Soit on préfère une vision “étatiste” : la distribution a été décidée en amont et les différentes pièces envoyées dans les régions choisies d’où elles ne sont plus sorties, en raison d’une circulation monétaire limitée et peu dynamique. Notre préférence va sans conteste à cette seconde solution, qui s’accorde à nos yeux beaucoup mieux avec les données. Elle n’est cependant pas sans problème : comment expliquer, par ex., la distribution des Lyon II et en particulier des semisses ? On ne trouve aucune correspondance avec les limites de provinces (fig. 123)144. L’opposition entre les deux districts de Germanie et le reste des provinces gauloises semble assez nette, mais brouillée cependant par les dépôts de Saint-Léonard et de la Vilaine, ainsi que par la différence de faciès entre Reims et Condé-sur-Aisne, pourtant très proches. De même, Besançon et Mandeure se distinguent nettement de sites suisses et rhénans tout proches. Est-ce là l’indice que les districts de Germanie jouirent très tôt d’une autonomie administrative de fait ou de droit ? Seule une enquête plus précise et de plus grande ampleur permettrait d’aborder correctement le problème.
65On se retrouve au final devant une alternative. Soit on accepte que Rome ait à un moment pris en compte les réalités locales pour organiser l’approvisionnement monétaire. Aussi empirique qu’ait été la démarche, peut-être motivée par des considérations extra-économiques, on aurait là un démenti à l’idée traditionnelle (et vraisemblablement justifiée dans nombre de cas) que le pouvoir romain ne se souciait pas de l’état de la circulation monétaire, sauf en cas de crise majeure. Soit on juge que c’est la “main invisible du marché” qui a fait le tri, ce qui suppose des échanges monétaires vigoureux et bien enracinés. L’intervention de manieurs d’argent, qui auraient pris en charge la distribution des pièces (pour l’État ou pour leur propre compte), n’est pas attestée ; mais elle ne réglerait en rien le problème et serait au contraire un nouveau témoignage en faveur d’une organisation économique complexe. Quelle que soit la solution adoptée, elle nous oblige à renoncer à une vision trop primitiviste de l’économie de cette époque.
Monétarisation de la société
66Le récit de Tacite constitue l’unique source qui nous soit parvenue sur la révolte de 21, souvent dite “de Florus et Sacrovir”145. Revenir sur ses causes permet d’introduire le problème de la monétarisation de la Gaule sous Tibère et sous Claude. En effet, les motivations économiques sont explicitement mises en avant par Tacite. Plus particulièrement, l’hypothèse d’une crise de liquidités, c’est-à-dire d’une pénurie de numéraire directement accessible, qui aurait empêché les paiements et notamment le remboursement des dettes, revient régulièrement dans la bibliographie. Bien qu’on se situe à une échelle différente, cette idée rejoint celle avancée par J.-B. Giard, d’une pénurie de petite monnaie en Gaule jusque sous les Flaviens, dont nous avons déjà eu l’occasion de dire qu’elle nous semblait fausse pour le principat d’Auguste146. Il nous faut maintenant analyser les données à notre disposition pour les règnes suivants.
Les causes économiques de la révolte de 21 : hypothèses traditionnelles
67Des différentes hypothèses sur les motifs du soulèvement de 21 avancées depuis la fin du xixe s., l’idée d’une révolte “nationaliste” a été abandonnée et on ne retient plus guère désormais que les causes économiques147. Comme le note M. Reddé dans un article récent, la version qu’en a donnée le célèbre article de J. Drinkwater sur les Iulii gaulois a connu une grande postérité148. En réalité, ce dernier auteur y reprend une vieille idée développée par A. Grenier dès 1936149. Dans son article, le savant français interprétait la crise de 21 comme un prodrome provincial à la crise italienne de 33, que venait d’étudier T. Frank150. C’est à l’occasion de cette dernière que Tacite parle d’une inopia rei nummariae, conséquence et non cause de la crise151. Au contraire, T. Frank soutient que le déclenchement de la crise serait dû à une contraction de la masse monétaire en circulation, causée par un volume insuffisant de nouvelles émissions et de dépenses publiques à partir de 10 ou 9 a.C. Pour A. Grenier, qui souscrit à cette thèse, la Gaule se transforme profondément à l’époque augustéenne, sous l’impulsion du pouvoir romain qui finance énormément de constructions, pousse les cités à en faire autant, incite les aristocrates à vivre “à la romaine”, en particulier en se faisant construire des domus, “de même que Louis XIV invitait sa noblesse à quitter ses châteaux forts pour se construire des hôtels soit à Paris, soit dans les capitales de province152.” La contraction de la masse monétaire disponible aurait commencé à détériorer cette situation de “boom économique”, qui se serait transformée en crise avec une mesure de Tibère rapportée par Suétone. Ce dernier écrit que “dans les Gaules, dans les Espagnes, en Syrie et en Grèce, de grands personnages se virent confisquer leurs biens sur les accusations les plus impudentes et les plus futiles : par exemple, le seul crime reproché à certains d’entre eux fut qu’ils gardaient en argent une partie de leur avoir ; on retira même à un très grand nombre de villes et de particuliers leurs anciennes franchises, le droit d’exploiter leurs mines et d’utiliser librement leurs revenus ; mieux encore, Vonones, le roi des Parthes, qui, chassé par son peuple, s’était réfugié à Antioche avec ses immenses richesses, comme sous la protection du droit romain, fut, contre le droit des gens, dépouillé et mis à mort153”. Selon A. Grenier, l’impossibilité pour les cités d’utiliser leurs propres revenus pour rembourser leurs dettes aurait reporté la charge sur les élites locales et les aurait ruinées, d’autant plus que le taux d’intérêt, bas sous Auguste, serait remonté à un niveau élevé. Les Iulii gaulois auraient également perdu leur immunitas, ce qui les aurait poussés à se soulever contre le pouvoir romain.
68Il convient en premier lieu de déterminer l’ampleur de la révolte. Prévaut généralement l’idée d’un soulèvement général, coordonné par deux citoyens romains d’origine gauloise, le Trévire Iulius Florus et l’Éduen Iulius Sacrovir154. L. Bessone a remis en cause le caractère organisé et systématique de l’épisode155. Il a pointé les inconsistances du récit de Tacite, s’appuyant entre autres sur le contraste entre le paragraphe 40, où l’historien latin décrit une rébellion généralisée, et le paragraphe 44, où il rapporte les réactions à Rome en semblant indiquer qu’il s’agit de troubles mineurs ; il a également rappelé que Tacite est le seul à nous faire connaître l’épisode, auquel ni Suétone, ni Dion Cassius, ni les Tables claudiennes ne consacrent une ligne. Pour L. Bessone, il faut restituer un enchaînement de soulèvements de peu d’ampleur : d’abord les Andécaves, suivis des Turons, puis les Trévires et enfin les Éduens. La déconstruction du texte de Tacite est peut-être un peu trop poussée, car une inscription au moins semble confirmer que le mouvement a touché un grand nombre de cités. On connaît en effet pour la Gaule deux inscriptions d’exactores tributorum, toutes deux julio-claudiennes. La première concerne la seule cité des Helvètes et provient d’Avenches156 ; la seconde provient de Bologne et mentionne un exac(tor) tribut(orum) civitat(ium) Galliarum de rang équestre, dont S. Demougin date le cursus avant Claude157. J. France rappelle que l’exactor est chargé de percevoir les arriérés d’impôts et fait remarquer que leur datation rapproche les deux inscriptions, qu’il propose de mettre en rapport avec la révolte de 21. Il note que la seconde offre un rare cas d’exactor non servile, qui plus est avec une juridiction très étendue, ce qui montre vraisemblablement qu’un grand nombre de cités était fortement endetté158. Même si on accepte que la révolte ne fût pas généralisée, ses causes, sur lesquelles nous reviendrons, semblent bien l’avoir été. Il n’y a donc pas lieu de douter de la réalité de la crise gauloise de 21, peut-être minime à l’échelle de l’empire mais importante dans l’histoire provinciale.
“Inopia rei nummariae” ?
69Si cette révolte est souvent considérée comme un signe précurseur de la crise de 33, c’est que la plupart des chercheurs ont accepté l’idée d’une raréfaction généralisée du numéraire disponible. Pour appuyer son idée, T. Frank se fondait sur le décompte des émissions monétaires d’Auguste et de Tibère d’après les travaux qui lui étaient disponibles, à savoir les catalogues des monnaies du British Museum. M. Giacchero, sous une forme plus développée mais utilisant en réalité exactement les mêmes données, arrivait logiquement aux mêmes conclusions159. Elle allait en cela contre le jugement de M. Crawford qui, en 1970, réglait l’affaire d’un lapidaire “There are no grounds for the old view of the story as evidence for a general currency shortage and its remedy.160” Il était suivi en 1976 par C. Rodewald, qui réfutait également l’idée d’une grande crise de liquidités et insistait plus particulièrement sur le problème de méthode à la base de l’étude de T. Frank (et de celle, alors à paraître, de M. Giacchero) : le seul décompte des émissions est notoirement insuffisant pour évaluer le volume de pièces émises161. Cependant, tout en acceptant ces critiques, E. Lo Cascio a lui-même combattu les conclusions de C. Rodewald et argumenté en faveur d’une “fame di moneta” qui se serait développée progressivement à partir de la fin du principat augustéen162. En dernier lieu, A. Tchernia en accepte également l’idée, en rappelant qu’ “on ne peut cependant évaluer le degré [de ce resserrement monétaire]163.” Toute évaluation est soumise à un travail numismatique fastidieux, qui n’a pas été réalisé pour la période qui nous intéresse. Il convient toutefois d’en présenter ici à la fois la théorie et les quelques données disponibles.
70Malgré ses défauts, la seule méthode disponible, et la seule valable à l’heure actuelle, consiste à faire la recension la plus complète possible des coins monétaires utilisés pour la série étudiée. Une fois cette étape réalisée, on estime, à partir du nombre de coins trouvés et du nombre d’exemplaires frappés par chaque coin, le nombre total de coins utilisés pour l’émission (en général, on compte prioritairement les coins de droit, moins nombreux). Pour arriver au volume de l’émission, on multiplie ce total par le nombre moyen de monnaies frappé par chaque coin ; on dispose pour ce dernier de plusieurs estimations et le volume restitué de l’émission dépendra de l’estimation choisie, dans la partie basse ou dans la partie haute de la fourchette164. Le processus est très long, car le meilleur outil pour déterminer des identités de coin reste l’œil humain ; les procédés de classements automatiques à partir d’images (en deux ou en trois dimensions) restent pour l’instant expérimentaux et ne se sont pas généralisés. Par conséquent, les études de coins restent souvent partielles. Dans la pratique, on sait que le travail de recension s’achève lorsqu’on découvre de moins en moins de nouveaux coins et que l’on retrouve des exemplaires frappés avec des coins déjà enregistrés.
71Comme le notaient justement T. Frank et M. Giacchero, les frappes en métaux précieux des dernières années d’Auguste et du règne de Tibère sont marquées par une grande pauvreté de types, puisqu’on en compte principalement deux, attribués à Lyon. Pour Auguste, les frappes au nom de Caius et Lucius César, dont on date le début de 2 a.C. tandis que la fin est moins bien établie : soit dès 4 p.C., à la mort de Caius, soit en 14 seulement, car les émissions apparaissent très importantes165. Sous Tibère, la quasi-totalité des frappes sont au type Pontif Maxim, qui avait été introduit par Auguste à la toute fin de sa vie166. Ce bref décompte cache en réalité des émissions extrêmement abondantes, comme n’ont pas manqué de le noter plusieurs travaux167. Les articles les plus récents omettent toutefois de mentionner les études de coins réalisées par J.-B. Giard et publiées dans l’ouvrage consacré aux frappes de l’atelier de Lyon, des origines à Caligula168. Malgré son ampleur, il est vite apparent que pour les émissions citées, très abondantes, le décompte des coins est loin d’être exhaustif. Ainsi, pour les émissions augustéennes au nom des Caesares, J.-B. Giard a examiné plus de pièces en or que de pièces en argent, alors que nous conservons beaucoup plus d’exemplaires de ces dernières. Pour autant, son travail reste très instructif. Pour ces monnaies, son catalogue répertorie 54 exemplaires, chacun étant issu d’une combinaison de coins différente (soit 54 coins de droit et le même nombre de coins de revers). Pour les monnaies de Tibère au revers Pontif Maxim, il a trouvé 122 combinaisons pour 124 pièces étudiées (la combinaison D83/R75 est attestée deux fois et le coin de droit D125 est utilisé avec deux coins de revers différents). Dans les deux cas, il est évident que le travail déjà impressionnant de J.-B. Giard n’a produit qu’un catalogue des coins embryonnaire et que ces deux séries ont connu un volume d’émission gigantesque169. Même en tenant compte de l’exportation d’une partie de la production en dehors de l’empire170, les quantités en circulation devaient rester assez importantes et il ne faut peut-être pas surestimer l’ampleur de l’inopia rei nummariae, dont A. Tchernia, à la suite de R. Wolters, souligne qu’elle n’est pas donnée comme une des causes de la crise de 33171. Par ailleurs, il faut tenir compte des différentes situations régionales. Même en acceptant que Tibère ait moins dépensé que son prédécesseur et donc mis en circulation une quantité moindre de monnaies, la “politique d’austérité” ne touchait pas tous les domaines. Si Tibère espérait faire des économies sur la prime de congé172, la solde de l’armée continuait à être versée de manière régulière : passée la révolte de 14, les textes ne mentionnent aucun grief sur le sujet. On peut donc supposer que les provinces militarisées, comme la Gaule Belgique, étaient moins sujettes à la pénurie de numéraire que les provinces inermes173. Bien que leurs stèles soient sûrement postérieures à 21, les deux argentarii de Bonn et Mayence pourraient aussi en être l’indice.
72Les contextes archéologiques nous donnent quelques indications sur la situation gauloise. Il faut préciser immédiatement que l’archéologie ne permet pas de documenter l’ensemble des transactions monétaires ; toutes les opérations financières qui n’impliquent pas de support pérenne sont pour nous perdues. Les contextes nous donnent accès principalement aux manipulations quotidiennes de numéraire, quelle que soit la richesse des contextes, et pas aux finances des aristocrates ou des cités qui sont, du moins d’un point de vue quantitatif, les premières concernées en tant de crise. On peut supposer toutefois qu’une contraction sévère de la masse monétaire se reflèterait dans les découvertes, en particulier pour le monnayage d’or et d’argent. De plus, nous traiterons ici l’époque tibéro-claudienne comme un bloc, car il est impossible de distinguer avant/après 21 ou avant/après 33. À l’exception de quelques valeurs très élevées à Augst, l’indice d’usage monétaire pour les périodes tibérienne et claudienne est un peu plus faible que celui de la période augustéenne (fig. 124, à comparer à la fig. 76). Il s’agit presque exclusivement de contextes d’habitat, d’un niveau socio-économique bas ou moyen. D’autre part, la pétrification et l’installation de sols maçonnés sur certains sites (par ex., le Parking de la Mairie à Besançon) sont des facteurs défavorables à la perte de monnaies. Néanmoins, il s’agit toujours de contextes urbains, milieu propice à une monétarisation plus élevée. L’idée d’une décroissance de la masse monétaire semble donc justifiée, appuyée par un nombre de dépôts moindre sous les règnes de Tibère et de Claude (fig. 125, à comparer à la fig. 73).
Fig. 124. Tableau des indices pour les contextes étudiés (époques tibérienne et claudienne).
Chronologie | Site | Nombre monnaies | Surface en ha | Durée | Indice |
Tib./Claud. | Alésia. Théâtre (phase 2) | 1 | 0,177 | 13,5 | 0,42 |
Tib./Claud. | Augst. Insula 22 (Strasse, Schicht 15) | 1 | 0,036 | 20 | 1,39 |
Claude/Néron | Augst. Insula 36 (Bauzustand B, jüngste phase) | 1 | 0,030 | 20 | 1,67 |
Claude | Augst. Kaiseraugst-Äussere Reben/“Hockenjos” (phase 1c) | 1 | 0,008 | 20 | 6,25 |
Tib. | Augst. Theater (phase 2) | 2 | 0,002 | 20 | 45,45 |
Claude | Augst. Theater (phase 3) | 3 | 0,003 | 25 | 48,00 |
Claude/Néron | Augst. Theater (phase 5) | 5 | 0,003 | 20 | 89,61 |
Aug./Tib. | Autun. Faubourg d’Arroux (phase A) | 44 | 0,350 | 55 | 2,29 |
Claude | Autun. Faubourg d’Arroux (phase B) | 22 | 0,350 | 20 | 3,14 |
Tib. | Avenches. Insula 20 (horizon 2) | 3 | 0,025 | 25 | 4,80 |
Tib./Claud. | Baden. Du Parc/ABB (älteste Siedlungsspuren und ältere Holzbauten) | 4 | 0,135 | 27 | 1,10 |
Claude/Néron | Baden. Du Parc/ABB (jüngere Holzbauten) | 14 | 0,135 | 20 | 5,19 |
Tib./Claud. | Besançon. Parking de la Mairie (phase 6) | 28 | 0,400 | 45 | 1,56 |
Tib./Claud. | Lausanne. Chavannes 11 (horizon 5) | 47 | 0,160 | 30 | 9,79 |
Tib./Claud. | Paris. 14 rue Pierre et Marie Curie (état 4A) | 3 | 0,111 | 20 | 1,35 |
Tib. | Paris. 14 rue Pierre et Marie Curie (état 4B) | 4 | 0,111 | 15 | 2,40 |
73La distribution des monnaies romaines par alliage (or/argent/bronze) et par type de site montre également une proportion de métaux précieux moins élevée qu’à l’époque augustéenne (fig. 126). On fera abstraction ici de la catégorie “site de bataille” dans les contextes augustéens, qui regroupe les seules découvertes de Kalkriese. De même, le pourcentage important de monnaies d’argent dans les contextes tibéro-claudiens d’agglomérations secondaires est dû à un dépôt de deniers retrouvé à Melun174, tandis que les dépositions de Bois-l’Abbé expliquent l’abondance d’argent dans les contextes de sanctuaire. Toutefois, si l’or et l’argent sont moins courants dans les contextes tibéro-claudiens que dans les contextes augustéens, la structure des découvertes reste parallèle : l’or se retrouve en priorité dans les camps et dans les capitales de cité, et l’argent est présent dans des proportions similaires quel que soit le type de site. Ainsi, si les métaux précieux se raréfient, la baisse n’est pas spectaculaire. Paradoxalement, c’est sur les sites militaires qu’elle est le plus marquée, alors que le pourcentage d’or et d’argent reste constant sur les sites civils, qui devraient logiquement être les plus touchés (fig. 126). De même, nos développements sur les imitations claudiennes nous semblent montrer que la masse de bronze en circulation jusque dans les années 40 p.C. répondait aux besoins. En effet, si nos analyses sont justes, la production de ces imitations serait consécutive à un approvisionnement insuffisant en petite monnaie, jusque là pallié par la présence de pièces fractionnées. La disparition de ces fractions semble avoir déclenché la vague d’imitations dans un délai assez bref. Si la réaction à un besoin de petites dénominations a été aussi vive, n’en aurait-il pas été de même pour un manque de monnaies en général ? Les imitations “légères” sur lesquelles nous nous sommes attardé semblent concentrées dans la zone rhénane. Mais nous avons également vu qu’il existait des imitations “lourdes”, courantes dans l’Ouest de la Gaule, que l’on retrouve également en Bretagne et dont la chronologie est similaire. Partout, les imitations antérieures à Claude sont relativement rares, ce qui, au vu de la situation postérieure, serait paradoxal dans une période de pénurie comme de monétarisation croissante. Tous ces indices invitent à relativiser l’ampleur de la contraction monétaire, qui ne peut être considérée comme la seule cause des événements de 21. Le réexamen des autres sources affaiblit encore la thèse défendue par J. Drinkwater à la suite d’A. Grenier.
Fig. 126. Distribution des monnaies romaines par alliage et par type de site, aux époques augustéenne et tibéro-claudienne.
Chronologie | Type de site | Nombre de monnaies | % Au | % Ar | % Ae |
Auguste | Site de bataille | 1103 | 0,91 | 49,86 | 49,23 |
Auguste | Camp militaire | 3153 | 0,19 | 14,37 | 85,44 |
Auguste | Agglomération militaire | 86 |
| 15,12 | 84,88 |
Auguste | Colonie | 296 | 0,68 | 5,74 | 93,58 |
Auguste | Chef-lieu de cité | 65 | 12,31 | 7,69 | 80,00 |
Auguste | Oppidum | 149 |
| 7,38 | 92,62 |
Auguste | Agglomération secondaire | 50 |
| 6,00 | 94,00 |
Auguste | Nécropole | 4 |
|
| 100,00 |
Auguste | Sanctuaire | 32 |
| 18,75 | 81,25 |
Chronologie | Type de site | Nombre de monnaies | % Au | % Ar | % Ae |
Tibère à Claude | Camp militaire | 679 | 0,29 | 7,81 | 91,90 |
Tibère à Claude | Agglomération militaire | 24 |
| 8,33 | 91,67 |
Tibère à Claude | Colonie | 37 |
| 2,70 | 97,30 |
Tibère à Claude | Chef-lieu de cité | 45 | 17,78 | 8,89 | 73,33 |
Tibère à Claude | Agglomération secondaire | 136 |
| 19,85 | 80,15 |
Tibère à Claude | Établissement rural | 8 |
|
| 100,00 |
Tibère à Claude | Nécropole | 19 |
|
| 100,00 |
Tibère à Claude | Sanctuaire | 77 |
| 22,08 | 77,92 |
Situation financière des cités gauloises
74Comme nous l’avons vu, ce dernier éclairait le récit tacitéen par un passage de la Vie de Tibère de Suétone175. Cependant, ce texte est d’usage difficile car il reste très vague. Comme le notait A. Grenier lui-même, Suétone ne donne aucun repère chronologique ; seule la mort de Vonones peut être placée en 19 p.C., mais il est impossible d’en tirer quelque indication sur les autres mesures. La géographie est tout aussi vague. Sur le plan grammatical, rien ne permet de rapporter le “très grand nombre de villes et de particuliers” aux différentes provinces énumérées à la phrase précédente. On note d’ailleurs un crescendo dans tout le paragraphe 49 : d’abord un personnage romain “des plus riches” ; puis une femme “de la plus haute naissance” ; puis les “grands personnages” des provinces ; puis les villes et les particuliers, atteints dans leur privilèges publics et non plus pour leur patrimoine privé, et, enfin, un roi, c’est-à-dire un personnage singulier mais que sa fonction rend public, qui était “comme sous la protection du peuple romain” et dont le meurtre doit presque être considéré comme un sacrilège, achevant ainsi l’énumération sur une nuance religieuse. Cette montée en déshonneur est bien marquée par les conjonctions qui articulent les différents segments de la phrase : rien entre le premier et le second, puis praeterea, suivi d’etiam, pour finir sur sed et. De même, on notera l’opposition bien marquée entre Occident et Orient, chacun caractérisé par deux termes liés par et, tandis que les deux moitiés sont disjointes par le –que : Galliarum et Hispaniarum Syriaeque et Graeciae. L’opposition est encore renforcée par l’usage de pluriels dans le premier segment, de singuliers dans le second ; le balancement est si net qu’on peut se demander à quel point il n’est pas purement rhétorique. Il nous semble donc impossible de tirer un tableau précis de la situation provinciale à partir de la phrase de Suétone. Si l’on accepte la réalité des mesures qu’il décrit (et qui ne touchent pas toutes les cités ni tous les particuliers), il n’y a aucune raison d’en exclure les Gaules. Mais parce que ces dernières sont citées dans la phrase qui précède, il ne faut pas en conclure qu’elles ont été plus durement touchées que les autres ou l’ont été de manière systématique. Rien n’assure, en particulier, que toutes les cités gauloises aient perdu leur immunitas fiscale sous Tibère, comme on le pense souvent176. Par ailleurs, dans le texte de Tacite, la mention de la “foule des débiteurs et des clients177”doit être lue à la lumière de César, qui utilise la même formule pour qualifier les dépendants d’Orgétorix : “il fit venir aussi tous ses clients et ses débiteurs, qui étaient en grand nombre178.” On ne peut donc faire une lecture purement économique du terme d’obaeratus, qui doit être replacé dans le contexte social gaulois, héritier des pratiques laténiennes179.
75De même, les recherches récentes ont rendu caduques les données sur lesquelles s’appuyaient A. Grenier. D’une part, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, le développement et la monumentalisation des villes gauloises ne sont généralement pas antérieurs aux années 15/10 a.C. et doivent plutôt être attribués aux toutes dernières années du principat, dans les années 10/15 p.C.180 La pétrification elle-même est souvent encore postérieure. Il faut donc fortement minimiser l’accroissement de la masse monétaire lié au “boom économique” qu’aurait connu la Gaule à l’époque augustéenne : s’il a eu lieu, c’est d’abord dans les zones militarisées et la Gaule interne n’a été touchée que très tardivement. D’autre part, rien n’accrédite l’idée d’une ruine des Iulii gaulois au ier s. p.C., comme l’a montré A. Hostein181. L’exemple de Iulius Sacerdos, mis à mort par Caligula à cause de son homonymie avec un autre gaulois très riche, montre que les Iulii n’avaient perdu ni le pouvoir politique, ni le pouvoir économique182. Pour le ier s., le seul sénateur issu des Trois Gaules qui est répertorié par Y. Burnand et dont on connaisse le nom, est C. Iulius Vindex, originaire d’Aquitaine183. Il fallait d’ailleurs, pour entrer au Sénat, disposer du cens nécessaire ; les mesures de Claude, qui ont concerné en premier lieu les Éduens, s’expliqueraient mal si toute l’aristocratie gauloise fidèle à Rome avait été ruinée184.
76Pour toutes ces raisons, l’explication avancée par P. Herz et reprise par M. Reddé, que nous avons déjà évoquée au chapitre précédent, semble mieux rendre compte de la réalité de la crise185. En plus du tributum au sens strict, les cités gauloises devaient assurer une série de contributions en nature, destinées en particulier à alimenter la pléthorique armée du Rhin. Les recherches archéologiques ont en effet montré que les régions où stationnait cette dernière ne disposaient pas des infrastructures permettant d’assurer son ravitaillement, dont la charge retombait donc sur les provinces gauloises. On comprend mieux ainsi la phrase de Tacite : “Il n’y eut presque pas de cité où ne fussent jetés les germes de cette rébellion186”, alors même que la suite du texte montre une révolte limitée sur le plan militaire. L. Bessone pensait que les mesures claudiennes témoignaient de la fidélité des élites à Rome187 ; on notera aussi que la cité des Turons est qualifiée de libera sur une inscription datée du règne de Claude, alors qu’elle est stipendiaire dans les listes de Pline188. Cette solution permet également d’écarter toute une série de problèmes. Premièrement, celui de la supposée faiblesse de la somme du tribut (40 millions de sesterces annuels), même si on admet qu’elle fut doublée sous Auguste (ce qu’aucun texte ne dit clairement189) : le tribut ne constituait qu’une partie des contributions dues. Deuxièmement, celui des communautés imposées : comme on l’a vu, la perte générale de l’immunitas par les cités gauloises n’est pas attestée explicitement par nos sources et repose sur une construction qui nous semble fragile. Chaque cité était traitée comme une entité singulière et deux cités privilégiées comme celles des Éduens et des Trévires ont pu être exemptes de tribut, mais lourdement mises à contribution pour le reste, précisément à cause de leur statut particulier. Pour ces deux raisons, on peut continuer à considérer le soulèvement de 21 comme une révolte anti-fiscale, à conditions d’entendre ce terme de manière large, en y incluant l’ensemble des prélèvements dus à Rome, dont certains avaient peut-être été perçus par les élites gauloises comme temporaires – à tort190. Troisième problème, enfin, celui de la monétarisation généralisée que suppose l’idée d’une crise de liquidités. Les données archéologiques ne permettent pas d’affirmer, comme le faisait A. Grenier, qu’une forte expansion économique à la période augustéenne aurait vu les cités dépenser et s’endetter massivement ; la situation fut certainement contrastée d’un peuple à l’autre. De plus, si la constitution des communautés indigènes en civitates implique une modification dans l’exercice du pouvoir par les aristocrates, les cadres sociaux restent imprégnés des réalités préromaines, même dans les communautés les plus ouvertes à l’influence romaine. Dans ces conditions, le rôle de la monnaie a dû rester sensiblement identique, ce qui semble confirmé par les contextes archéologiques. Par ailleurs, même si l’idée est communément acceptée, il n’est pas prouvé que l’ensemble des impôts dût être réglé en numéraire. R. Duncan-Jones pense que la part des impôts en nature a été sous-évaluée191. L’exemple breton, cité par M. Reddé, montre bien comment une imposition en nature pouvait entraîner des dettes importantes192.
Des besoins accrus en numéraire sous Claude ?
77L’hypothèse d’une inopia rei nummariae en Gaule doit être rejetée pour l’époque tibérienne. S’il semble bien y avoir eu une contraction de la masse monétaire en circulation, elle est restée limitée et ne saurait justifier les mouvements de révolte de l’année 21. Les monnaies en circulation, telles qu’on les perçoit à travers les découvertes archéologiques, semblent avoir correspondu aux besoins de la population. La multiplication des imitations à partir de Claude oblige toutefois à se demander si la situation n’a pas évolué au milieu du ier s. Nous avons déjà évoqué ce problème plus haut, ainsi que l’alternative posée par D. Wigg-Wolf : faut-il expliquer les imitations claudiennes par une pénurie de monnaie (donc par une nécessité de reconstituer le stock monétaire) ou par un besoin accru de la part des populations (donc par un besoin d’augmenter le stock monétaire disponible) ? Du reste, les deux ne sont pas incompatibles, les deux mouvements ayant pu se produire de manière simultanée. Nous avons vu que le groupe des imitations “légères” semblait correspondre plutôt à la première branche de l’alternative, à savoir compenser un manque de petite monnaie causé à la fois par un approvisionnement trop faible et par la fin du “cycle de vie” des monnaies augustéennes fractionnées. La zone de circulation des imitations “légères”, par ailleurs, est en principe bien approvisionnée en numéraire grâce à la solde militaire193. Mais la production des imitations “lourdes”, courantes en Gaule occidentale, est contemporaine de la production et de la mise en circulation de ses prototypes, à tel point que P.-A. Besombes pense que l’ampleur de la production officielle a suscité la vague d’imitations194. Mais une brusque mise en circulation de monnaies nouvelles aurait-elle pu entraîner immédiatement un accroissement des besoins en numéraire ? Cela semble peu probable : on attendrait plutôt que la “fame di moneta” se fasse ressentir après quelques années, une fois entamée la décroissance du stock en circulation. Les imitations “lourdes” sont-elles la manifestation de la contraction de la masse monétaire sous Tibère, que l’apport claudien n’aurait pas suffi à compenser ? Nous aurions alors tort de soutenir, comme nous l’avons fait plus haut, l’ampleur modérée de l’inopia rei nummariae tibérienne, à laquelle nous continuons de croire. Faut-il tout simplement penser que les imitations “lourdes” sont un travail de faussaires, au sens plein du terme ? La qualité d’une partie de la production, dont la métrologie est proche des pièces officielles, le laisse en effet penser. Les producteurs auraient donc cherché à réaliser un profit, en copiant les dernières monnaies mises en circulation, auxquelles les utilisateurs étaient moins habitués ; de plus, les imitations auraient pu se fondre dans la masse des nouvelles monnaies officielles. Il est difficile, et sûrement illusoire, de choisir définitivement une des solutions, car les imitations constituent des productions variées, souvent régionales, voire locales, qui ont pu répondre à des motivations variées.
78Les autres sources ne sont guère plus explicites. On pourra évoquer à nouveau les deux banquiers rhénans mais leurs stèles sont justement localisées dans la zone militaire et pas dans la zone civique. L’épigraphie religieuse offre un dossier intéressant. Bien qu’hors de la zone d’étude, car situé dans la cité de Vienne, il est nécessaire de le présenter rapidement. En effet, sa richesse en fait un cas rare, et il est à ce titre utilisé par O. de Cazanove dans deux articles pour illustrer la mutation des pratiques religieuses, en Gaule mais également dans le monde romain en général195. Il s’agit des graffiti, retrouvés dans la couche de destruction de la phase 1 du sanctuaire de Châteauneuf en Savoie, sur des enduits peints qui venaient vraisemblablement des parois extérieures de la cella196. C’est principalement le graffito 1, B (ILN 5, 471), un des plus complets, qui a retenu l’attention. B. Rémy le traduit ainsi : “… Une fois que j’aurai … deniers …, alors je déposerai un don à l’aide de douze deniers et demi … je sacrifierai à Mercure cinq deniers et à Maia, je sacrifierai deux deniers et demi.” La datation du graffito 1, B, que S. Estienne et O. de Cazanove placent au début du ier s. p.C., nous semble un peu haute. En effet, le début de la phase 1 est daté par un dépôt votif au centre de la cella, qui a livré un dupondius de Nîmes III (RPC, 525), frappé entre 10 et 14 p.C.197 La construction du site remonte donc à la toute fin du principat d’Auguste ou au début du celui de Tibère. La fin de la phase 1 est fixée à partir des 11 monnaies provenant de la couche de destruction, dont les plus récentes sont de Titus et Domitien (deux ex. chacun, malheureusement non décrits). La destruction n’est donc pas antérieure à 81 mais a pu intervenir plus tardivement. En tout état de cause, le graffito 1, B se situe dans cette fourchette. Il nous semble toutefois peu probable qu’il date des premières années du sanctuaire. En effet, on trouve sous notre texte un premier texte A (graffito 1, A = ILN 5, 490), qui a vraisemblablement été barré au moment de la rédaction du texte B, étant donné la disposition de ce dernier (qui commence au-dessus du texte A et finit à côté). On peut émettre deux hypothèses pour expliquer la situation : soit ce fragment d’enduit était à un endroit particulièrement prisé du mur ; soit la paroi était déjà chargée de graffiti et l’on devait écrire dans les interstices, ce qui nous semble plus probable. Si nous avons raison, le graffito 1, B doit plutôt être daté vers le milieu ou la fin de la phase 1, ce qui nous place au mieux au règne de Claude.
79Comme C. Mermet, B. Rémy interprète ce texte comme la preuve de dépositions en numéraire, qui semblent attestées par d’autres graffiti plus lacunaires, mentionnant des dénominations ou des chiffres198. On aurait là une illustration intéressante d’un besoin relativement important de numéraire car, sans être très élevées, les sommes ne sont pas négligeables et peuvent nécessiter beaucoup de pièces si elles sont payées en bronze (12,5 deniers équivalent à 50 sesterces ou 200 as). Cependant, S. Estienne et O. de Cazanove tiennent comme plus probable que les sommes mentionnées indiquent seulement la valeur monétaire de l’offrande, que le dédicant aurait par ailleurs déposée en nature199. Une telle interprétation invite à dissocier monétarisation et besoin de numéraire : le dédicant a pu amener, par ex., un chevreau, dont la valeur, évaluée par lui-même ou par un membre du clergé de Châteauneuf, était équivalente à la somme promise. Le processus peut se dérouler complètement dans la sphère de “l’économie naturelle”, tout en faisant référence à la monnaie et sans que celle-ci intervienne physiquement dans l’échange. D’autres graffiti mentionnent d’ailleurs des offrandes en nature200. Sans qu’on puisse tenir cette seconde hypothèse comme assurée, elle remet également en cause l’idée d’un accroissement des besoins gaulois en numéraire au milieu du ier s.
Conclusion du chapitre
80Le dossier épigraphique de Châteauneuf nous met face à une difficulté majeure. Rien ne permet vraiment de choisir entre les deux interprétations des graffiti. Paradoxalement, c’est certainement la seconde qui témoignerait d’une société profondément imprégnée du phénomène monétaire, où la monnaie est un instrument constant d’évaluation de la valeur, sans nécessité de recourir à ses manifestations physiques. La première hypothèse, celle de dépositions en numéraire, fait des inscriptions la simple traduction épigraphique de pratiques qui existaient déjà à l’âge du Fer. Nous touchons là aux limites de notre documentation, qui reste essentiellement archéologique et qui ne permet d’aborder que de manière partielle une réalité comme la monnaie. Au iie et au ier s. a.C., quand la frappe monétaire prend réellement son essor en Gaule, l’archéologie permet de restituer le développement de l’usage de la monnaie. Autour du changement d’ère, l’arrivée des monnaies romaines et leur cohabitation avec les monnaies gauloises permettent d’identifier des dynamiques, des flux de circulation. Après Auguste, nous devons faire face à la fois à la discontinuité d’occupation sur nombre de sites et à la disparition des monnaies gauloises, qui emportent avec elles certaines possibilités d’observation. On se retrouve avec des sites nouvellement occupés, au faciès monétaire composé uniquement de monnaies romaines, qui offre moins de prises, sans qu’une documentation écrite nouvelle vienne nous éclairer. Comment évaluer alors les progrès (ou les reculs) de la monétarisation ? Voir si elle s’accompagne d’un besoin croissant de numéraire ? Comme nous l’avons vu, les pistes d’études existent, mais la documentation est rarement univoque, d’autant plus que le savoir numismatique qui fonde l’étude de cette période connaît depuis une décennie de profonds renouvellements. Pour le domaine qui nous intéresse, essayons toutefois de cerner, dans ses grandes lignes, l’évolution que connaît la Gaule entre Tibère et Claude. Un fait est certain, c’est dans ces décennies que les monnaies gauloises cessent d’être utilisées et non sous Néron ou sous les Flaviens. En l’état actuel des données, on peut affirmer qu’au milieu du ier s., les monnaies gauloises ne jouent plus de rôle dans la circulation monétaire en Gaule du nord et en Gaule de l’est, et que l’on n’utilise plus que des monnaies romaines, républicaines, coloniales et surtout impériales. Les monnaies augustéennes constituent encore les frappes les plus communes et les plus utilisées, particulièrement les émissions de Lyon II dont la diffusion s’est largement faite sous le règne de Tibère.
81S’ouvre ici le royaume des conjectures, ce qui explique qu’on ne propose pas, comme au chapitre précédent, de modèle de circulation monétaire. Où étaient frappées ces monnaies ? Vraisemblablement dans plusieurs ateliers, dont la localisation reste incertaine sauf pour l’atelier de Rome. La Gaule semble avoir été approvisionnée par au moins un atelier, qu’il semble logique de placer à Lyon, mais peut-être plus. L’approvisionnement des provinces occidentales semble avoir été partagé entre différents centres de production, utilisant tous la même typologie et diffusant leurs pièces en priorité dans la province où ils étaient implantés. A-t-on approvisionné uniquement les militaires et autres serviteurs de l’État, comme cela semble avoir été le cas à l’époque augustéenne ? Plusieurs indices laissent penser le contraire, mais ils peuvent également être interprétés comme la marque d’une circulation monétaire très dynamique. Rien n’indique d’ailleurs que la contraction du stock monétaire sous Tibère, qui paraît plus faible qu’on ne l’a pensé, ait profondément affecté la vie économique des provinces gauloises. Dans ces conditions, il est évidemment périlleux de tenter une évaluation du degré de monétarisation de la zone d’étude. Le degré d’usage du numéraire, qui n’en recouvre qu’un aspect, semble similaire à celui de la période augustéenne ; on peut certainement exclure une baisse de la monétarisation. On se heurte pour le reste à un problème de sources, d’autant plus qu’on ne peut rien déduire de l’apparition d’inscriptions concernant notre sujet (argentarii de Bonn et Mayence, graffiti de Châteauneuf) car dans nos régions, l’épigraphie est pour ainsi dire inexistante sous Auguste. Malgré les différences selon les communautés, il faut rappeler que l’espace étudié connaît une urbanisation précoce (agglomérations ouvertes et oppida) et que chez certains peuples existait un système fiscal dont rien n’interdit de penser qu’il était développé201. Ce sont là des facteurs favorables, bien que non suffisants, à une économie monétarisée et il faut récuser la vision “primitiviste” que l’on trouve des Gaulois dans certains travaux récents202. Bien que ce soit un point difficile à prouver, nous sommes d’avis que la Gaule du Nord-Est connaissait déjà un taux de monétarisation relativement élevé dès la conquête césarienne, que l’occupation romaine a vraisemblablement fait progresser. C’est pourquoi une stagnation plutôt qu’une hausse de ce taux dans la première moitié du ier s. ne devrait pas être vue comme un coup d’arrêt au développement de ces provinces mais plutôt comme la stabilisation d’une situation de croissance amorcée plusieurs décennies plus tôt.
82Enfin, peut-on reconnaître des traces de pratiques indigènes persistantes qui viendraient nuancer la domination du numéraire romain ? La continuité d’usage avec les décennies précédentes semble totale mais on se place dans une évolution qui prend en grande partie racine dans les années postérieures à la conquête césarienne. Et si l’on semble trouver quelques traces d’une préférence pour les petites dénominations, on a peut-être surévalué la part indigène sur le sujet. Il est possible que les Gaulois n’aient pas donné une trop grande valeur identitaire et culturelle à la monnaie, ce dont témoignerait l’abandon des frappes, apparemment volontaire, dès Auguste, alors que les usages restent identiques : les Trévires, par ex., sont passés de monnaies indigènes aux monnaies romaines pour leurs dépositions funéraires, sans solution de continuité. Malgré toutes ces hypothèses, on peut se risquer à avancer, en guise de conclusion, une affirmation : au milieu du ier s., du point de vue de la circulation monétaire, et au-delà de leurs particularismes régionaux, les contrées gauloises étudiées ici apparaissent pleinement intégrées à l’Empire.
Notes de bas de page
1 Par ex. Albaniana : Kemmers 2004.
2 Ritterling 1913. On trouvera pour certaines catégories des équivalences typologiques avec des publications récentes : en particulier, pour la sigillée sud-gauloise, voir Py, éd. 1993 et Genin 2007 ; pour la céramique gallo-belge, Deru 1996. Les publications récentes sur Hofheim (Schaeff 2011 ; Mees 2013) concernent les occupations postérieures au camp présenté ici.
3 Schönberger 1985, 349 et 442 notice B29 (avec bibliographie antérieure).
4 A. Heising (comm. pers.).
5 Mais l’opération récente de la place de la Libération à Troyes a montré une grande cohérence entre données céramologiques et dendrochronologiques : Delor Ahü & Roms 2007.
6 Contexte L-028-13.
7 Contextes L-023-003 à -005.
8 Contexte L-023-006 à -015.
9 Les sériations présentées ici ont été réalisées avec le logiciel PAST (Hammer et al. 2001 ; Hammer 2012).
10 Contexte B-016-04.
11 Mangard 2008.
12 Nous ne présentons pas ici la sériation combinant monnaies gauloises et romaines : les résultats en sont similaires mais la lisibilité est moindre, en raison du plus grand nombre de types analysés.
13 Rappelons que jusqu’à van Heesch 1993, les Lyon I étaient traditionnellement datés entre 15 et 10 a.C. (on continue à trouver parfois cette vieille datation). Il n’est pas exclu que le terminus post quem de l’horizon 1 (contexte B-010-01) ait été fixé en 10 a.C. pour cette raison.
14 Izri 2011. Dans le Centre-Est, le rite est attesté à Mirebeau et Mandeure.
15 De manière plus ou moins explicite ; on lit souvent que c’est seulement sous Néron (avec la réouverture de l’atelier de Lyon) ou sous les Flaviens que les monnaies romaines s’imposèrent vraiment dans la circulation, ce qui implique qu’auparavant, le stock monétaire était constitué principalement de monnaies indigènes et/ou d’imitations. Voir par ex. Giard 1975, 91 ; Nash 1978a, 27 ; Delestrée 1999, 38 ; van Heesch 2005, 243‑245.
16 Contexte B-023-04 : Collart 1987 ; Delestrée 1996, 73 (“On est donc en présence d’un témoignage important de la circulation gauloise dans la deuxième moitié du ier siècle apr. J.-C.”).
17 Collart 1987, 81 fig. 8, n° 23-24 (non numérotés sur la planche). Les recherches récentes ont confirmé que ces jattes carénées, caractéristiques de la céramique commune à Amiens dans la seconde moitié du ier s., sont absentes du faciès de la première moitié de ce siècle : Dubois & Binet 1996 (notamment 343 et 344 fig. 13, n° 115-116) ; 2000.
18 Brunaux & Arcelin 2003, 54-55.
19 Contexte B-016-01 à -05.
20 Collart 1987 ne donne aucune précision sur la stratigraphie de la fosse.
21 Ibid., 85.
22 Zwahlen 2002, 131 fig. 108a
23 Izri 2011. Pour La Villeneuve-au-Châtelot, voir également supra notre fig. 79 : si les monnaies des successeurs d’Auguste sont moins abondantes, elles présentent toutes la même concentration à l’intérieur des enclos laténiens, attestant ainsi d’une continuité dans les dépositions.
24 Wigg-Wolf 2005a ; 2005b ; Nickel et al. 2008, 605-626.
25 D. Wigg-Wolf a pu, pour plusieurs monnaies gauloises, retrouver les deux moitiés d’une même pièce, fait rarissime qui atteste une découpe sur place.
26 À l’exception de trois bronzes ou potins à Avenches, sur la tombe du sanctuaire nord d’En Chaplix (contexte B-008-17) ; mais les dépositions y ont probablement débuté dès l’époque augustéenne.
27 Contexte B-041-02.
28 Contexte B-020-01.
29 Contexte B-059-01.
30 Contexte B-070-01.
31 Nous utilisons ici les deux thèses récentes de N. Geldmacher (2004) sur les tombes romaines et surtout de J. Kaurin (2009) sur les tombes laténiennes et du julio-claudiennes. Nous reprenons la sélection de tombes et le phasage de cette dernière. Voir nos remarques, supra, p. 241.
32 Voir un cas similaire à Goeblange-Nospelt (contexte B-044-01) : Metzler & Gaeng 2009.
33 C’est ainsi que les auteurs interprètent l’assemblage de fibules associé à la crémation (deux à ailettes, une à disque) : Castella & Flutsch 1990. Contexte B-008-17.
34 Contextes B-008-23 et -24 (Castella et al. 2002 ; sur les monuments, Flutsch & Hauser 2012).
35 Acy-Romance : contexte B-001-06 à -09 ; Dury : B-036-01. Pour la Transpadane, voir Piana Agostinetti 1987 ; dans la zone étudiée par cette auteur, les dépositions sont particulièrement fréquentes dans la région des Grands Lacs. En Transpadane, le phénomène perdure sous l’Empire : Bonnet 2004, vol. 1, 361. Pour la Suisse actuelle, voir Polenz 1982 ; Curdy et al. 2009 (en particulier les remarques d’A. Geiser aux p. 213-214) ; Frey-Kupper & Nick 2014.
36 Castella et al. 2002.
37 Contexte B-068-01.
38 Contexte B-102-30.
39 Contexte B-010-37.
40 Contextes B-074-10 et -11.
41 Wigg-Wolf 2007.
42 Camps d’Albaniana, Hofheim, Valkenburg et Rheingönheim (contextes G-001-01, G-010-01, G-019-01 et B078-01), ainsi qu’un exemplaire à Avenches sur le sanctuaire de la Grange des Dîmes (période 2), que S. Frey-Kupper interprète comme un dépôt votif (contexte B-008-16 ; Bossert et al. 2007).
43 Forni 1953, mis à jour dans id. 1992 ; pour Vindonissa, à compléter par Speidel 1996, 47-50.
44 D’après Forni 1992, pour les règnes d’Auguste à Caligula : legio I, cinq italiens et six gaulois ; legio XX Valeria Victrix, 17 italiens ; legio XIII Gemina, dix italiens.
45 Bonnet 2004, vol. 1, 347-376 et vol. 2, 139-150 ; Kaurin 2009, 203-205 (avec bibliographie antérieure).
46 Bonnet 2004, vol. 1, 356-359 ; sur le caractère féminin des dépositions, voir supra, note 35.
47 Giard 1975 ; la citation est le titre de l’article.
48 Supra, p. 235-237.
49 Sans être équivalents et sans qu’il soit vraiment possible, par la métrologie, de proposer une équivalence avec une dénomination romaine (voir les données présentées dans Scheers 1977).
50 Qu’on retrouve par ex. dans les introductions aux différents règnes du RIC et dans Giard 1983 ; 2000. Voir aussi la contribution de M. Amandry dans Chew & Beck, éd. 1991.
51 Position adoptée dans le RIC.
52 Position défendue entre autres par Giard 1983 ; 2000.
53 Inventaire des coins antiques dans Malkmus 2008. Le coin d’Ostie porte le numéro V-27a dans le catalogue (revers d’un aureus ou denier à légende PONTIF MAXIM) ; M. Amandry s’interroge sur son authenticité. M. Peter, que nous remercions, nous a signalé l’existence d’un nouveau coin de Tibère vendu par le Comptoir Général Financier (Paris), qui pourrait venir de Paray-le-Monial. La provenance est possible mais pas certaine, car le coin aurait “été retrouvé dans un buffet ancien situé dans une cave au hameau de “Pey” à Poule-les-Écharmaux (69)”. Voir http://www.cgb.fr/tibere-coin-monetaire,brm_325776,a.html (consulté le 22/01/2015).
54 Voir infra pour la bibliographie
55 CIL, XIII, 1499 = D. 2130, épitaphe d’un soldat de la cohorte XVII ad monetam (sur le sens de ce qualiticatif, voir en dernier lieu Le Bohec 1997) ; Str. 4.3.2. Voir maintenant Suspène 2014. Il faut y ajouter deux inscriptions précoces (première moitié du ier s. p.C.) mentionnant un aeq(uator) monet(ae) (CIL, XIII, 1820 = D. 1639 ; Repertorium, n° 3284) et un possible [mon]etalis [aequa]tor (AE 1995, 1092). Sur ces inscriptions, voir Tarpin 1995, en particulier 359-360 et fig. 4 et 9 (tous nos remerciements à A. Suspène pour nous avoir indiqué cette référence).
56 Voir Serafin 2001 et Burnett 2001 sur le sujet. Sur l’atelier de Rome, voir en dernier lieu Coarelli 2013, 149-184.
57 Voir la carte publiée dans Estiot & Aymar 2001, 91 fig. 13. À compléter par le coin de Windisch (Doppler et al. 2004) et par celui de Liberchies (Boffa 2010).
58 Giard 1983, 30-31 et 45.
59 Kunisz 1976, 30-32 (avec bibliographie antérieure).
60 Estiot & Aymar 2001-2002, 89-92.
61 Giard 1983, 31.
62 Estiot & Aymar 2001-2002, 90 n. 85.
63 Giard 1983, 30-31 et 49-53.
64 Sur les coins de Soissons, la publication initiale est Vauvillé 1908 (qui écrit en 562 : “En tout cas, ils ne paraissent pas être l’œuvre d’un faux monnayeur.”). Pour l’historiographie, Malkmus 2008, n° V-43 et V-44, 141-142. L’opinion de J.-B. Giard est exprimée en dernier lieu dans Giard 2000, 23-25. Sur la nécropole du lieu-dit “Les Longues-Raies” : Pichon 2002, 451-453, commune 722, notice 325.
65 Le terminus post quem est donné par deux deniers de Caligula à l’effigie du Divus Augustus ; mais cette date reste un terminus post quem et on ne peut exclure un enterrement un peu plus récent, d’autant plus que l’inventaire de cette découverte ancienne n’est pas exhaustif (voir les incertitudes sur les monnaies présentes dans la tombe : Amandry 1991, 94). Sur la découverte : Chew & Beck, éd. 1991 ; Kaenel 2002 ; Pernet 2010, 235. C’est à M. Amandry que l’on doit l’identification d’une paire de coins comme étant gravés au type tibérien Pontif Maxim, l’autre paire restant illisible. Ces coins ne sont donc pas mentionnés dans Giard 1983.
66 Doppler et al. 2004.
67 Voir l’inventaire et les descriptions de Malkmus 2008.
68 La découverte de nombreux coins celtiques ainsi que de coins romains tardo-antiques, en fer, montrent qu’il n’y a aucun obstacle technique sérieux à l’utilisation de tels coins : voir à nouveau Malkmus 2008. L’interprétation des coins du Chassenard comme “Prestigeobjekte” par Kaenel 2002, fondée sur l’idée qu’ils n’auraient pas servi à battre monnaie, doit être rejetée, d’autant plus que les dessins publiés dans Déchelette 1903 montrent également des traces d’écrasement.
69 Suspène et al. 2011.
70 Un doute subsiste pour les coins du Chassenard, mais leur mauvais état pourrait être dû à la corrosion du fer.
71 Sur Creissels : Labrousse & Vernhet 1973. La présence de plusieurs squelettes humains, d’une épée laténienne et d’un couteau dont la forme, selon les auteurs, “s’apparenterait plutôt à celle des couteaux de sacrifice” pourraient être des indices dans ce sens. À l’appui d’une officine de faux-monnayeurs, M. Labrousse et A. Vernhet invoquent d’une part l’existence d’ateliers similaires, mais bien postérieurs (époques modernes et contemporaines), dans les cavités du Larzac, d’autre part les caractéristiques des coins, dont ils proposent seulement des dessins. En effet, le champ autour de la partie gravée n’est pas plan et, surtout, ils interprètent ces pièces comme des coins mobiles (tenus par le monnayeur) plutôt que dormants (enchâssés dans l’enclume), ce qui est pourtant la norme pour les coins de droit. Seuls un examen précis et des analyses, à la fois métallographiques et de composition, permettraient toutefois d’établir avec certitude la nature et l’utilisation de ces coins.
72 Déchelette 1903, 255-256 ; Amandry 1991, 92.
73 Reddé 1977, 65.
74 Suspène et al. 2011. À l’IRAMAT, G. Sarah a mis au point un protocole d’analyse des monnaies d’argent par LA-ICP-MS (spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser) longuement présenté dans sa thèse (Sarah 2008, 20-185). À notre connaissance, les applications sur les monnaies antiques sont très peu développées ; à noter cependant une thèse de doctorat en préparation sur la République romaine, par C. Parisot que nous remercions, ainsi que C. Sillon, pour leurs éclairages sur le sujet.
75 Estiot & Aymard 2001-2002, 159-160. Au vu de leurs propres analyses, K. Butcher et M. Ponting semblent pencher pour un atelier unique d’Auguste à Claude, situé à Lyon : Butcher & Ponting 2005 ; 2011.
76 Doyen 2007, 51-57.
77 Pour l’historiographie de la question, on pourra se reporter aux pages correspondantes dans Besombes 2003-2004.
78 Par ex. Grant 1956, 108.
79 Voir par ex. le RIC et le BNC. Kaenel 1986 ne remet pas en cause ces attributions, sans exclure totalement la possibilité d’un autre atelier.
80 Outre les indications que l’on trouve dans les publications de découvertes ou dans les pages introductives des volumes du BNC, J.-B. Giard a exprimé le plus clairement ses positions dans Giard 1970 et surtout 1975 (Giard 1985, malgré son titre général, se concentre en réalité sur un groupe de sesterces liés par le coin de droit).
81 Giard 1975, 83.
82 Giard 1970, 42.
83 Giard 1970, 40 ; 1975, 85.
84 Besombes & Barrandon 2000 ; complété et modifié par Besombes 2003-2004. Malgré la richesse de ses apports, l’article contemporain de S. Klein et H.-M. von Kaenel est moins utile pour le problème que nous abordons ici (Klein & Kaenel 2000). En effet, l’intégralité de l’échantillon a été choisi dans les trouvailles du Tibre et presque toutes les pièces ont été frappées à Rome, comme le montrent les analyses (dont les résultats ont été confirmés et complétés par les études menées indépendamment à l’IRAMAT d’Orléans).
85 Besombes & Barrandon 2000, 165 fig. 1.
86 Ibid., 173 fig. 4. Klein & Kaenel 2000 avaient bien détecté des monnaies à la composition différente et donc classées comme imitations, dont quatre plus riches en argent : c’est précisément une des caractéristiques des ateliers provinciaux. Il s’agit des monnaies TM 442, 447, 448, 452 du groupe 4 de Claude (correspondant aux monnaies n° 184, 230, 232 et 307 dans Kaenel 1984).
87 Dans Besombes & Barrandon 2000, il proposait deux ateliers gaulois ; dans Besombes 2003-2004, il revient sur cette idée et pense plutôt à une succession chronologique (“grosse tête” puis “petite tête”).
88 Barrandon et al. 2010. Les monnaies analysées par Klein & Kaenel 2000 forment un groupe homogène, frappé à Rome. Dans le dépôt de Saint-Léonard, une monnaie au type RIC, 81 présentait un profil différent des as romains ; P.-A. Besombes proposait de l’attribuer à un atelier gaulois, mais il n’y a pour l’instant aucun argument décisif (Besombes 2003-2004, 21-22 et tableau p. 180, monnaie n° 149).
89 Koenig 1988, 30-32.
90 Besombes & Barrandon 2000 et surtout Besombes 2003-2004, 23-27. Un as au nom d’Agrippa (RIC, 58) retrouvé dans le Tibre et analysé par S. Klein et H.-M. von Kaenel, présente les mêmes caractéristiques (Klein & Kaenel 2000, monnaie TM 375, correspondant à la monnaie n° 356 dans Koenig 1988).
91 Gricourt et al. 2009, 556-562 et 566-567 (le texte semble avoir été rédigé avant la parution de Besombes 2003-2004, qui est absent de la bibliographie). La localisation de l’atelier “belgo-romain” reste très hypothétique : voir supra, p. 227
n. 125
92 Mac Dowall et al. 1992, 25-27.
93 Le site de Colchester est un exemple très parlant : alors que R. Kenyon (1987) voyait presque toutes les monnaies claudiennes comme des imitations (y compris celles retrouvées dans les contextes contemporains de la conquête), celles-ci sont en réalité rares.
94 Besombes & Barrandon 2000, 167 fig. 2, 170 fig. 3 et 173 fig. 4.
95 Les monnaies de Lyon I de l’atelier “auxiliaire” utilisent en effet le même métal que celles de Lyon même : Klein et al. 2012 (avec bibliographie antérieure). Dans cet article, les auteurs utilisent cet argument contre l’idée de deux ateliers distincts, mais les données synthétisées dans Doyen 2007 démontrent l’existence de deux productions totalement séparées et étanches, dont la distribution n’est pas similaire, ce qui rend hautement probable la présence de deux ateliers. K. Butcher et M. Ponting ont pu montrer, par ailleurs, que lieux de frappe et lieux de production des flans ne correspondaient pas nécessairement : Butcher & Ponting 2005 ; 2011.
96 Besombes 2003-2004 ; Besombes & Morin 2005-2006.
97 Ibid. Pour la Vilaine, les calculs ne prennent en compte que les monnaies actuellement conservées au musée de Bretagne, au musée du Mans et à l’Amelycor.
98 Voir note précédente.
99 Toutefois, comme nous le faisait remarquer M. Amandry, le nombre de coins de droit répertoriés pour les frappes au nom de Tibère Auguste reste faible. On ne peut donc restituer des frappes de même ampleur que celles de Lyon II, même si un travail de recension systématique des monnaies de Tibère Auguste permettrait certainement de réévaluer les volumes de production à la hausse.
100 De plus, si l’on se rappelle que les monnaies de Lyon II sont majoritairement des types RIC, 245 et 246, frappés en 13/14 p.C., leur diffusion est très largement tibérienne et contemporaine des frappes au nom de Tibère Auguste (RIC, 31 et 32).
101 Données de la fig. 104 : Saintes : Surmély 1990 ; Aulnay-de-Saintonges : Tassaux et al. 1983 ; Tours : Schiesser 2003 ; Corseul : Kerébel 2001 ; Alésia : Popovitch 1996 ; Autun : Chardron-Picault & Pernot, éd. 1999 et données inédites ; Bibracte : Gruel & Popovitch 2007 ; Besançon : Guilhot & Goy, éd. 1992 ; Mandeure : données inédites de M. Thivet, P. Nouvel et S. Izri ; La Villeneuve-au-Châtelot : Piette & Depeyrot 2008 ; Condé-sur-Aisne : Giard 1968 ; Saint-Léonard : Besombes 2003-2004 ; la Vilaine : Besombes & Morin 2005-2006 ; Reims : Doyen 2007 ; Bliesbruck : Gricourt et al. 2009 ; Strasbourg : Martin 2013a ; Oedenburg : Reddé, éd. 2011 ; Avenches : Kaenel 1972 ; Lausanne : Martin 1965 ; Augst : Peter 2001 ; Windisch : Kraay 1962 ; Mayence : Gorecki 2006 ; Neuss : Chantraine 1982 ; Asberg : Gorecki 1981 ; Tongres : van Heesch 1998. Nous remercions P. Nouvel et S. Izri de nous avoir communiqué et autorisé à utiliser les données de Mandeure.
102 Voir en dernier lieu la synthèse de P. Tronche dans Reddé et al., éd. 2006, 205-207. Une nouvelle étude des monnaies est en cours, mais le faciès semble similaire à celui des seules monnaies publiées en 1983 (Tassaux et al. 1983 ; V. Geneviève, comm. pers.). Les monnaies les plus récentes sont d’après P. Tronche les as DAP de Tibère (RIC, 81), qu’il date du début des années 30. Mais comme on l’a vu plus haut, ce type est frappé durant tout le règne de Tibère. Par ailleurs, la contradiction entre un faciès monétaire tibérien précoce et un faciès céramique allant jusqu’au début du règne de Claude disparaît si l’on replace Aulnay dans son contexte régional. En effet, si l’on compare le faciès d’Aulnay avec celui des couches 3 (datée entre 15/20 et 30/40) et 2 (datée entre 30/40 et 50/70) de Ma Maison à Saintes (Maurin, éd. 1989), et des phases 2-1b (datée 20-40) et 2-2 (datée 40-70) du quartier à l’ouest des thermes de Barzan (Bouet, éd. 2010), on note que les phases contemporaines d’Aulnay livrent principalement des monnaies de Lyon I et II et que les monnaies de Caligula et de Claude n’apparaissent que dans les phases postérieures à 30/40. L’absence de monnaies de Claude et surtout de Caligula n’est pas un argument fort pour remonter la date d’abandon et il vaut mieux s’en remettre aux données céramologiques. Par ailleurs, si la stratigraphie montre une occupation courte, il faut tenir compte du soin apparemment apporté à la construction et de la présence de trois stèles funéraires inscrites (CIL, XIII, 1121, 1122 et 1123), qui interdit de restituer un séjour “éclair”.
103 Supra, p. 41 et 42 fig. 7 ; p. 111-115 ; p. 192 et 195 fig. 62.
104 Le cas des Lyon I est compliqué par l’existence des deux ateliers, dont la distribution est différente : si l’atelier dit auxiliaire a clairement servi à alimenter les camps, comme l’a montré J.-M. Doyen, qu’en est-il des frappes proprement lyonnaises ? L’absence d’illustrations ou de références suffisamment précises dans nombre de publications empêche une approche fine du phénomène.
105 Mais absence de preuve n’est pas preuve d’absence. Il semble toutefois qu’on puisse, dans l’état actuel de la documentation, exclure une situation analogue à celle de l’Antiquité tardive, où les manieurs d’argent étaient “officiellement chargés d’acheter à la Monnaie les pièces nouvelles, et de les faire circuler”, comme l’a montré J. Andreau (1987, 86-91 et à nouveau 518) – une idée qu’on retrouve pourtant dans Harl 1996, 209.
106 Contrairement à celles de Vindolanda, les tablettes de Vindonissa ne nous livrent aucune donnée de ce genre (Speidel 1996). La base de données en ligne de W. Scheidel ne prend en compte que les sources littéraires (http://www.stanford.edu/~scheidel/NumKey.htm, consulté le 22/01/2015).
107 Voir supra, p. 218 n. 87.
108 Nous n’avons pas pris en compte les monnaies républicaines et coloniales, dont la valeur à l’époque impériale n’est pas connue précisément (surtout pour les premières) ; mais on les retrouve généralement fractionnées. Pour la même raison, nous n’avons pas tranché, pour les bronzes “gallo-romains” (RPC, 508 et 509), entre semisses et quadrantes.
109 On semble retrouver une situation similaire au sud des Alpes : si les quadrantes sont fréquents dans certaines régions (d’Italie mais aussi d’Illyrie), ce n’est pas le cas sur tous les sites et le fractionnement est proportionnellement inverse à leur présence (Kos 1986, 32-35). Pour la Gaule, Gricourt et al. 2009, 555, insiste également sur la demande en petite monnaie et sur l’importance du semis, mais les conclusions auxquelles arrivent les auteurs sont trop imprécises sur le plan géographique et nous semblent erronées sur plan chronologique (voir infra).
110 Sur ce point, voir supra, p. 235 n. 173.
111 Voir supra, p. 252-257.
112 Nash 1978a ; Wigg 1996 ; 1999.
113 Wigg 1999, 116-117.
114 Gricourt et al. 2009 : voir par ex. les monnaies n° 120, 128 (Lyon II) et 174, 180 (Claude).
115 Wigg 1996.
116 Kaenel 1984 ; Klein & Kaenel 2000.
117 Un échantillon est illustré dans Wigg 1996, 435-436.
118 Les imitations néroniennes constituent un phénomène distinct, comme le montre l’absence d’hybridation typologique ainsi que les données métrologiques rassemblées par J.-M. Doyen : Giard 1976 ; Wigg 1996, 428-429 ; Doyen 2007, 143-148.
119 Doyen 2007, 120-124 ; Gricourt et al. 2009, 561-562.
120 Nash 1978a, 26. D. Nash se fondait sur les travaux de J.-B. Giard.
121 C’est d’autant plus probable que son principal point de comparaison était la Bretagne ; or, comme nous l’avons vu plus haut à partir de l’exemple de Colchester, les imitations dites “militaires” sont en fait des productions des ateliers provinciaux. Voir également infra.
122 Nash 1978a.
123 Ibid., 27.
124 Contextes à terminus ante quem augustéen : un as des Monétaires à Lausanne (contexte B-053-14), trois Lyon I à Kalkriese (G-012-01) et un à Bois-l’Abbé (B-016-02). Contextes à terminus ante quem tibérien : un as à l’autel à Liberchies (B-055-02), deux autres à Bois-l’Abbé (B-016-03). Contextes à terminus ante quem claudien : un as des Monétaires à Avenches (B-008-03), un as à l’autel et un as claudien à Bois-l’Abbé (B-016-04), et un as à l’effigie d’Agrippa à Estrées-Saint-Denis (B-040-06).
125 Contexte B-073-01.
126 Contexte B-006-13.
127 Afin d’avoir une meilleure vision du problème et également d’élargir le corpus disponible, nous avons aussi pris en compte les contextes antérieurs à 70 p.C.
128 Crummy, éd. 1987, pl. 1, pièce n° 3 = pl. 5, n° 1. La pièce est liée aux monnaies répertoriées dans Giard 1970, sous les n° 256 à 261 (Giard 1970, n° 261 = Crummy, éd. 1987, pl. 5, n° 3).
129 Données pour Alésia : Popovitch 1996 ; Condé-sur-Aisne : Giard 1968 ; Reims : Doyen 2007 ; Bliesbruck-Reinheim : Gricourt et al. 2009 ; Oedenburg : Reddé, éd. 2011 ; Albaniana : données inédites de F. Kemmers ; Colchester : Kenyon 1987 ; Toulouse : Geneviève 2000 ; Saint-Bertrand-de-Comminges : Bost & Namin 2002. Nous remercions F. Kemmers de nous avoir communiqué et autorisé à utiliser les données d’Albaniana.
130 Le graphique en “boîte à moustache” permet de visualiser les principaux indicateurs de statistique descriptive. La “boîte” centrale contient 50 % des données (entre le premier et le troisième quartile), la “moustache” inférieure
131 matérialise les valeurs inférieures au premier quartile, la “moustache” supérieure les valeurs supérieures au troisième quartile. Plus la “boîte” est petite et les “moustaches” courtes, plus la dispersion autour de la médiane est faible et plus l’homogénéité du groupe selon la variable étudiée est forte.
Wigg 1996, 428 fig. 1
132 Piette, Depeyrot 2008.
133 Doyen 2010. Il s’agit des pièces n° 942 (3,17 g), 953 (2,82 g), 954 (5,32 g), 955 (6,21 g) et 956 (3,18 g).
134 Giard 1970 ; 1975.
135 Nous remercions vivement D. Wigg-Wolf de nous avoir communiqué ses données, certaines inédites, pour plusieurs des exemplaires catalogués ici.
136 Giard 1968 ; 1970 ; 1975.
137 À l’exception possible d’une monnaie de Condé-sur-Aisne (Giard 1968, n° 1418), liée à deux monnaies de Vindonissa (Kraay 1962, n° 3448 et 3449). Ces pièces sont classées comme imitations car, bien que du type RIC, 58 de Caligula, à l’effigie d’Agrippa, le portrait du droit est celui de Claude. Cependant, la gravure est de très bonne qualité. S’il s’agit bien d’imitations, elles sont à classer dans le groupe lourd, puisque la pièce de Condé pèse 8,97 g.
138 Si on suit l’opinion de W. Harris (1989, 253-255). M. Reddé a attiré notre attention sur la variété des situations possibles – et encore observées il y a quelques décennies en France lors du service militaire. Pour un dossier géographiquement et chronologiquement éloigné, mais néanmoins révélateur sur les degrés de literacy et les stratégies d’adaptation, dans un milieu qui mêle civils et militaires, voir Fournet 2003. La copie d’une légende monétaire n’en suppose pas la compréhension ; elle sera toutefois mieux réussie si on sait la déchiffrer, surtout s’il s’agit de fabriquer un coin en gravure directe, c’est-à-dire en inversant l’image.
139 Une idée déjà avancée par Nash 1978a, 25-26, mais sans y voir un lien aussi fort.
140 Voir par ex. Kos 1986, 37-39 pour la Slovénie actuelle.
141 Wigg 1999, 116-117.
142 Nash 1978a ; Doyen 2007, 123-125.
143 S’il est clair que des civitates pouvaient officiellement frapper monnaie, qu’en est-il des villes en tant que telles ? J.-M. Doyen, citant Grierson 1956, rappelle qu’on ne connaît pas de législation contre la fausse monnaie de bronze avant le ive s. Mais faut-il vraiment penser que tout le monde pouvait impunément produire de la monnaie en bronze ? Si oui, pourquoi alors ces productions ne sont-elles pas plus fréquentes ? Et pourquoi observe-t-on, sous Claude, l’apposition (non systématique) des contremarques BON ou PRO sur certaines imitations, à l’égal des pièces usées au point d’être lisses ?
144 Données : voir supra, p. 288 n. 101.
145 Tac., Ann., 3.40-47.
146 Voir supra, p. 235-237.
147 Sur les autres causes invoquées : Bessone 1978, 143-145 (avec bibliographie antérieure) ; Ferdière 2005, 173-175.
148 Reddé 2011b, 505, citant Drinkwater 1978 (voir également Drinkwater 1983, 28-30).
149 Grenier 1936, repris l’année suivante dans sa contribution à Frank, éd. 1933-1940, vol. 3, 514-518.
150 Frank 1935, dont la thèse est reprise à l’identique dans Giacchero 1979. Lo Cascio 1978b, 242, souligne le contexte historique dans lequel s’inscrivait T. Frank (la crise des années 1930) ; il est intéressant de noter que c’est dans les années 1970 que le sujet fut à nouveau étudié. Il ne nous a pas été possible de consulter les études suivantes : Wolters 1987 ; Arcuri 2014.
151 Un point souligné en dernier lieu dans l’étude qu’a consacré A. Tchernia à ce sujet (2011, 229-246). L’expression apparaît dans Tac., Ann., 6.17.1.
152 Grenier 1936, 377.
153 Suet., Tib., 49.2. Le texte latin de la totalité du paragraphe : Procedente mox tempore etiam ad rapinas conuertit animum. Satis constat, Cn. Lentulum Augurem, cui census maximus fuerit, metu et angore ad fastidium uitae ab eo actum et ut ne quo nisi ipso herede moreretur ; condemnatam et generosissimam feminam Lepidam in gratiam Quirini consularis praediuitis et orbi, qui dimissam eam e matrimonio post uicensimum annum ueneni olim in se comparati arguebat ; praeterea Galliarum et Hispaniarum Syriaeque et Graeciae principes confiscatos ob tam leue ac tam inpudens calumniarum genus, ut quibusdam non aliud sit obiectum, quam quod partem rei familiaris in pecunia haberent ; plurimis etiam ciuitatibus et priuatis ueteres immunitates et ius metallorum ac uectigalium adempta ; sed et Vononem regem Parthorum, qui pulsus a suis quasi in fidem p. R. cum ingenti gaza Antiochiam se receperat, spoliatum perfidia et occisum.
154 Voir par ex. Ferdière 2005, 173-175.
155 Bessone 1978.
156 CIL, XIII, 5092 ; France 2000, n° 35 ; Lieb & Bridel 2009.
157 CIL, XI, 707 = D. 2705 ; Demougin 1992, n° 373 ; France 2000, n° 36.
158 France 2001c, 376-378. L’interprétation de la mensa Galliarum mentionnée par l’inscription CIL, VI, 8581 (France 2000, n° 37) est beaucoup plus hypothétique : on pourrait y voir “un fonds spécial affecté à l’amortissement des dettes” mais l’inscription est datée par l’onomastique du début du iie s. et la création de la mensa pourrait être postérieure à 21.
159 Frank 1935 ; Giacchero 1979.
160 Crawford 1970, 46
161 Rodewald 1976.
162 Lo Cascio 1978a ; 1978b (citation 251).
163 Tchernia 2011, 241.
164 Sur les questions de quantification en numismatique, on pourra consulter Callataÿ 2006 (recueil d’articles publiés jusqu’en 2004) ; 2011.
165 Auguste, RIC, 206-212.
166 Tibère, RIC, 23-30.
167 Rodewald 1976, 8-11 ; Lo Cascio 1978b, 247.
168 Giard 1983.
169 La faiblesse de l’échantillon rend assez hasardeuse voire impossible toute estimation du nombre de coins originel selon les formules statistiques les plus usitées (pour ces dernières, voir surtout les travaux de W. Esty, en particulier Esty 1986 ; 2006 ; 2011). Mais il faut probablemement les chiffrer en milliers pour une série telle que les Pontif Maxim de Tibère.
170 En particulier vers l’Inde actuelle : Tchernia 2011, 289-315.
171 Ibid., 240.
172 Suet., Tib., 48.5.
173 Ce que semblent indiquer, pour l’or, les calculs de R. Duncan-Jones à partir des trésors : Duncan-Jones 1994, 113-125, en particulier 120-122 et tab. 8.6.
174 Contexte L-025-01.
175 Suétone, Tibère, 49 (texte latin cité supra à la note 153).
176 Par ex., Jacques & Scheid 2010, 229-230 ; Ferdière 2005, 157.
177 Tac., Ann., 3.42.2 : vulgus obaeratorum aut clientum.
178 Caes., Gal., 1.4.2 : omnes clientes obaeratosque suos, quorum magnum numerum habebat, eodem conduxit. Voir également ibid., 6.13.2 (Plerique, cum aut aere alieno aut magnitudine tributorum aut iniuria potentorirum prementur, sese in servitutem dicant nobilibus) et 6.15.2 (atque eorum ut quisque genere copissque amplissimus, ita plurimos circum se ambactos clientesque habet).
179 Textes commentés dans Lo Cascio 2009, 71-89, en particulier 77-83 (avec bibliographie antérieure à 1982, date de première publication de l’article ; l’auteur ne prend donc pas en compte Daubigney 1983 ; 1985 ; 1993, qui sont toutefois dans la lignée de Daubigney 1979). E. Lo Cascio note que le texte césarien (Caes., Gal., 6.13.2, cité à la note précédente) ne permet pas de dire que les obaerati gaulois se donnent in servitutem à leurs créanciers.
180 Voir supra, p. 232-233.
181 Hostein 2010.
182 Épisode rapporté par D.C. 59.22.4. Caligula, séjournant à Lyon, avait choisi ses victimes sur les listes censitaires de Gaule.
183 Burnand 2006, n° 82.
184 Les sources antiques ne mentionnent pas d’aide financière de Claude aux élites gauloises (alors qu’elles sont mentionnées pour la Bretagne par D.C. 62.2), même dans un texte aussi défavorable à l’empereur que l’Apocoloquintose de Sénèque.
185 Herz 1992 ; Reddé 2011b. Voir supra, p. 210-211.
186 Tac., Ann., 3.41.1 : Haud ferme ulla civitas intacta seminibus eius motus fuit.
187 Bessone 1978, 160-161.
188 CIL, XIII, 3076-3077.
189 L’idée semble remonter à C. Jullian, mais nous semble difficile à déduire des textes cités à l’appui (Vell. 2.39.2 et D.C. 54.21).
190 On pourrait ainsi expliquer la continuatio tributorum mentionnée par Tac., Ann., 3.40, plutôt que par l’idée que les Gaulois ne connaissaient pas d’impôts réguliers avant la conquête romaine (en ce sens, France 2001c, 375 et n. 97 et 98). Il faut également mentionner la position de P. Sánchez (2004), qui pense que le pouvoir romain pourrait avoir forcé les nobles indigènes à contracter des prêts pour financer la “mise aux normes” des nouveaux territoires, aggravant ainsi leur situation financière.
191 Duncan-Jones 1990, 188-197.
192 Reddé 2011b, 505, citant Tac., Ag., 19.4-5.
193 Les approvisionnements de l’armée sous Claude semblent d’ailleurs différenciés, selon qu’on se trouve dans les districts de Germanie supérieure, de Germanie inférieure ou en Bretagne : Kemmers 2004.
194 Besombes & Barrandon 2000, 186.
195 Estienne & Cazanove 2009, 23 ; Cazanove & Joly 2011, 666.
196 Première publication complète du dossier : Mermet 1993. Les inscriptions, commentées par Rémy 1999 et par les articles cités à la note précédente, ont été intégrées aux ILN 5 sur la cité de Vienne. Nous utiliserons ici la numérotation de Mermet 1993 (en indiquant la concordance avec les ILN) et le texte des ILN.
197 Dans Mermet 1993, la pièce est dite “à fleur de coin” malgré la corrosion, à cause de certains détails très fins et bien préservés. En l’absence de cliché, nous préférons de pas donner trop de poids à cette précision.
198 Graffiti mentionnant des espèces monétaires : 57 = ILN 5, 465 (?) ; 38 = ILN 5 482 ; 16 = ILN 5, 494 ; 60 = ILN 5, 511 (?). Graffiti mentionnant des chiffres : 14 = ILN 5, 472 ; 19 = ILN 5, 489 ; 40 = ILN 5, 491; 75 = ILN 5, 492 ; 74 = ILN 5, 493 ; 61 = ILN 5, 495 ; 45 = ILN 5, 502 (?) ; 60 = ILN 5, 511.
199 Estienne & Cazanove 2009, 23.
200 Rémy 1999.
201 Une des raisons du conflit entre Éduens et Séquanes sur le contrôle de la Saône était la perception des droits de passage (Str. 4.3.2). Chez les premiers, César mentionne explicitement la présence de vectigalia (Caes., Gal., 1.18.3). Le recensement des Helvètes auquel il eut accès montre qu’il n’y avait aucun “obstacle technique” à la réalisation de listes de contribuables (ibid., 1.29).
202 Par ex. Lo Cascio 1978a, 244, reprenant une opinion de A. H. M. Jones ; Delestrée 1999, 35 ; France 2001c, 375.
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