Chapitre 3. Le temps des changements. La période augustéenne (30 a.C. - 15/20 p.C.)
p. 177-250
Texte intégral
1L’époque augustéenne occupe une place particulière dans la périodisation archéologique. Elle est à la fois relativement aisée à reconnaître et difficile à saisir finement. En Gaule, les marqueurs augustéens sont assez abondants et bien caractérisés : nouveaux types d’amphores, de céramique fine, et surtout apparition de la sigillée italique, dont la diffusion en Gaule correspond presque exactement au principat d’Auguste. La commercialisation massive de la sigillée sud-gauloise (produite principalement à La Graufesenque) à partir de 15/20 p.C. permet de bien distinguer les contextes augustéens, qui en sont dépourvus, des contextes tibériens.
2D’un autre côté, les rythmes et les canaux de diffusion de ces produits ne sont pas les mêmes partout et l’on mesure mal les décalages temporels qui peuvent exister entre différentes régions. La chronologie de ces années repose principalement sur les importations, les productions locales restant généralement de piètres marqueurs. Les principaux sites de référence sont encore, de nos jours, les camps militaires augustéens sur le Rhin. En raison de la nature très particulière de ces sites, il existe une tendance de plus en plus forte à essayer de s’en détacher, pour trouver de nouveaux points de référence plus proches de la réalité civile1. Les contextes lyonnais s’imposent comme une de ces références et sont l’objet d’âpres débats chez les céramologues sur la datation de la sigillée italique, principalement pour les années 40 et 30 a.C., rendant flottante la chronologie de cette époque2. On pourra toujours arguer que ces batailles concernent des intervalles relativement courts sur le plan archéologique, de l’ordre de 5 à 10 ans, et qu’il ne sert à rien de “pinailler”. Rien de plus faux, quand on sait combien cette période a été riche en mutations ; la plus grande précision est requise dans les datations, si l’on veut intégrer de façon satisfaisante les données archéologiques à la discussion historique.
3Comme nous le notions plus haut, il est aujourd’hui illusoire de vouloir s’affranchir des camps rhénans comme points fixes de la chronologie augustéenne3. Ces sites ne vont pas sans poser de problèmes mais leur chronologie relative est bien assurée et l’on dispose de plusieurs dates dendrochronologiques qui permettent d’ancrer solidement la datation (30 a.C. au Petrisberg, 11-8/7 a.C. à Oberaden, 4/3 a.C. à Waldgirmes, 4/5 p.C. à Anreppen, ainsi que la fin probable de l’occupation principale de Haltern et Waldgirmes en 9 p.C.4). La succession rapide des établissements permet d’avoir, pour la région concernée, une bonne idée de l’évolution du vaisselier en sigillée italique. À bien y regarder, les contextes lyonnais ne sont pas moins problématiques : la lecture des données est orientée par la date de fondation de la colonie en 43 a.C. ; le statut même de l’occupation, une colonie de droit romain, est très particulier (et l’on peut se demander si les réseaux d’approvisionnement, voire l’identité des occupants, sont très différents de ceux des camps militaires) ; il n’est pas dit, vue la position “méridionale” du site, qu’il soit plus représentatif pour la Gaule du nord que les camps rhénans.
4Quoi qu’il en soit, il faut bien rappeler que ces débats ne s’appliquent qu’à un petit nombre de sites, pour lesquels on possède suffisamment de données archéologiques et historiques pour espérer arriver à un découpage fin de la période augustéenne. Dans l’immense majorité des cas, le problème ne se pose pas, car les importations sont trop peu nombreuses pour autoriser une grande précision. On doit alors se contenter d’une datation augustéenne large, souvent comprise entre 20/15 a.C. et 15/20 p.C., qui correspond à la diffusion exclusive de sigillée italique en Gaule interne5.
5Ce n’est pas ici le lieu de s’étendre longuement sur ces débats. Il était néanmoins nécessaire de répéter sur quoi se fonde la périodisation adoptée dans ce travail. Comme nous l’avons déjà rappelé, nous avons fait le choix de nous appuyer en premier lieu sur des données archéologiques stratifiées ; il est donc logique d’utiliser une périodisation basée sur des critères archéologiques. Les années étudiées ici correspondent à un horizon archéologique caractérisé par un certain nombre de marqueurs dont le principal est la céramique sigillée italique. Il se trouve que dans l’état actuel de la recherche, les bornes chronologiques de cet horizon correspondent presque exactement au principat d’Auguste, ce qui explique que nous parlions ici, par facilité, de période ou d’époque augustéenne.
6Nous avons retenu dans ces pages un découpage qui doit beaucoup aux camps rhénans, pour les raisons exposées plus haut. La date de 30 a.C. a été choisie par ce qu’elle est généralement acceptée comme le début de la diffusion des formes précoces de sigillée italique dans la zone étudiée, ce qui semble confirmé par les datations dendrochronologiques du Titelberg (31 a.C.) et du Petrisberg voisin (30 a.C.). Les années 15/20 marquent le début de la diffusion de la sigillée sud-gauloise ; il est impossible d’être plus précis et, sur le plan archéologique, la fin du principat d’Auguste se confond avec le début de celui de Tibère. Entre ces deux bornes, la période augustéenne a été divisée en trois, de façon classique : l’augustéen précoce de 30 à 15 a.C., l’augustéen moyen de 15 à 5/1 a.C. et l’augustéen tardif de 5/1 a.C. à 15/20 p.C.
7Cependant, il faut le répéter, les contextes sont rarement attribuables de façon claire à une de ces trois sous-périodes. Pour cette raison, il nous a semblé nécessaire de mener les analyses en deux temps. D’abord en prenant en compte l’ensemble des contextes augustéens, afin de définir les tendances générales de la période étudiée et, dans un second temps seulement, en distinguant les contextes de manière plus fine, afin de dégager les rythmes d’évolution. S’attacher uniquement aux contextes les mieux datés aurait conduit à se priver d’une masse très importante de données ; c’était se condamner à appuyer les démonstrations sur une base matérielle réduite et beaucoup plus fragile, en courant le risque de passer à côté de certains phénomènes – d’autant plus que les contextes les mieux datés sont essentiellement militaires et les moins bien datés essentiellement civils. Procéder en deux temps permet une analyse plus équilibrée sur tous les plans.
État de la circulation monétaire à l’époque augustéenne
8Les données recueillies sont très abondantes pour cette période, pour plusieurs raisons. D’une part, on dispose avec la sigillée italique d’un marqueur bien reconnaissable et typique de ces décennies, dont la typologie et la chronologie sont globalement bien connues6. Par conséquent, il a été plus facile de vérifier et d’intégrer des données de publication ancienne à notre travail, ce qui est presque impossible pour la période protohistorique. Phénomène qui va de pair avec le précédent, les importations sont plus abondantes à partir de la période augustéenne. D’autre part, la répartition géographique des données change considérablement et le centre de gravité (en nombre de monnaies par contexte) se déplace sur le Rhin. On note aussi l’apparition de contextes stratifiés en Belgique et aux Pays-Bas (dans ce qu’on appelle en anglais les Low Countries). Ce sont là deux marques de l’installation romaine dans ces régions et de leur militarisation massive, avec pour la première fois l’implantation de camps légionnaires occupés sur de longues périodes et par conséquent très riches en mobilier. Il faut donc avoir à l’esprit que si, d’un point de vue quantitatif, les données sont déséquilibrées vers le nord et vers l’armée, cela reflète avant tout l’état de la recherche.
L’irruption du numéraire romain
Quelles monnaies romaines ?
9Une mise au point préliminaire sur ce que nous avons enregistré ici comme monnaies romaines s’avère nécessaire. Si l’expression “monnaies romaines” ne pose pas de problème pour certaines émissions, d’autres cas sont plus complexe. Les métaux précieux font peu débat ; à l’époque républicaine comme impériale, l’iconographie, les légendes, la métrologie distinguent clairement frappes romaines et frappes indigènes. D’autre part, en Occident, nous ne connaissons pas de frappes locales en métaux précieux après la réforme monétaire augustéenne7. La question se pose en revanche pour les émissions en alliage cuivreux (que les numismates désignent improprement par le terme de “bronze”). Les frappes de l’atelier de Rome sont bien sûr les moins problématiques : il s’agit de la totalité des monnaies républicaines et de monnaies augustéennes clairement identifiables8. Mais la majorité des exemplaires trouvés dans la zone d’étude a été frappée sur le territoire gaulois. Le statut des différentes émissions concernées est plus ou moins clair9. Une première vague de production prend place à la fin des années 40 et surtout dans les années 30 a.C. dans plusieurs colonies romaines : Narbonne, Toulouse et surtout Vienne et Lyon10. Étant donnée leur métrologie, on a proposé de les identifier comme des dupondii. L’iconographie est proche de celle des as républicains : proue de navire au revers et portrait double au droit (sauf pour Narbonne). Pour Narbonne et Toulouse, l’attribution se base sur la distribution des découvertes, tandis que Vienne et Lyon sont identifiées par la légende de revers. On s’accorde à voir ces émissions comme des frappes coloniales11 et on y rattache généralement les premiers dupondii au crocodile de l’atelier de Nîmes (RPC, 522, dite Nîmes Ia ou Nîmes I lourd), proches par le poids et le module, bien que l’on date ces derniers des environs de 27 a.C.
10Le débat a été plus vif pour les émissions postérieures. Des frappes extrêmement abondantes reprennent à Nîmes puis à Lyon, alignées sur la nouvelle réforme monétaire augustéenne. À Nîmes, se succèdent trois groupes de dupondii au crocodile à l’iconographie très proches (RPC, 523 à 525, de Nîmes Ib, ou Nîmes I léger, à Nîmes III), tandis qu’à Lyon, les monnaies sont frappées en deux vagues, une première avant le changement d’ère (RIC, 229 et 230, série dite Lyon I) et une seconde entre 9/10 et 14 p.C. (RIC, 231 à 245, série dite Lyon II). Cette dernière série est la seule datée intrinsèquement par les légendes de droit. Les ateliers sont identifiés, pour Nîmes par la légende de revers (COL NEM), pour Lyon par l’iconographie du revers (l’autel du Confluent dédié à Rome et Auguste). On s’est beaucoup demandé quel était le statut de ces ateliers : colonial ou impérial ? Peu de chercheurs mettent en doute le caractère impérial de l’atelier de Lyon, qui frappait également des métaux précieux, mais le débat continue pour l’atelier de Nîmes12. Le principal argument pour un statut colonial réside dans la légende du revers, COL NEM, qui rappelle sans ambiguïté le statut de Nîmes à cette époque. Les partisans d’un statut impérial s’appuient sur la très large diffusion de ces dupondii, en particulier les Nîmes Ib (RPC, 523) que l’on retrouve par centaines dans les camps militaires augustéens du Rhin, dont on peut difficilement supposer qu’ils n’étaient pas approvisionnés par l’administration centrale (l’argument est également valable pour les monnaies de Lyon ; voir toutefois infra). À vrai dire, la documentation archéologique récente montre qu’il faut également se poser la question pour les dupondii de Vienne et Lyon frappés dans les années 30 (RPC, 517 et 514-515). En effet, ces monnaies sont très présentes dans les camps augustéens précoces et l’on peut maintenant identifier une phase d’approvisionnement antérieure à la diffusion des monnaies nîmoises13. Il faut donc se demander si le statut de la ville qui accueille l’atelier détermine vraiment le statut de l’atelier et de ses productions : la mention de la C(olonia) I(ulia) V(iennensis) (RPC, 517) ou de la Col(onia) Nem(ausus) (RPC, 522-525) peut-elle être interprétée dans ce sens ou ne s’agit-il en quelque sorte que d’une mention topographique14 ? Il nous semble difficile de trancher le débat. Au-delà des frappes monétaires, c’est toute une conception de l’administration de l’Empire qui est en jeu : quelle était l’autonomie des cités ? Quel était le degré d’intervention de Rome dans les affaires locales ? Selon qu’on privilégie une large autonomie locale ou un contrôle étatique ferme, on adoptera des positions différentes, sans que les données permettent réellement de choisir avec certitude. La présence importante (et souvent presque exclusive) des émissions concernées sur les sites militaires indique, sans doute possible, une intervention de l’administration impériale à un moment donné. Même si on préfère considérer ces monnaies comme des frappes provinciales, le fait est qu’elles semblent avoir été distribuées prioritairement à des serviteurs de l’État, militaires ou civils (voir infra).
11Ainsi, les frappes nîmoises, lyonnaises et viennoises peuvent être considérées comme “romaines” à plus d’un titre : non seulement leur iconographie et leur métrologie s’intègrent au système romain républicain, puis augustéen, mais leur utilisation semble d’abord concerner des usagers italiques ou très romanisés. Il est au contraire beaucoup plus difficile de caractériser un ensemble de petits bronzes, parfois qualifiés de “gallo-romains”, et que l’on retrouve à la fois dans le RIC dans le RPC et, pour l’un d’entre eux, dans les ouvrages de numismatique gauloise. J.-M. Doyen leur a consacré une étude récente et très poussée15. Les trois émissions concernées sont en laiton, avec un poids moyen compris entre 2,5 et 2,8 g. Deux d’entre elles portent au droit le portrait d’Auguste et le citent également dans la légende : le type RPC, 508 montre une aigle éployée au revers, tandis que le revers du RPC, 509 représente un taureau à gauche. L’émission la plus répandue (RPC, 506) est iconographiquement proche du RPC, 509, mais le portrait du droit n’est pas identifié et les personnages mentionnés au revers ne sont pas connus par ailleurs : Germanus Indutilli l(ibertus). Les trois émissions se succèdent dans le temps, vraisemblablement dans les deux dernières décennies avant notre ère, en commençant par les RPC, 506 pour finir par les RPC, 508. La distribution des RPC, 506 et 509 semble indiquer un atelier situé en Gaule Belgique (Reims selon J.M. Doyen), tandis que les RPC, 508 auraient une provenance plus méridionale.
12La parenté métrologique et chronologique peut justifier qu’on les étudie ensemble. Néanmoins, il faut distinguer le RPC, 506 à légende GERMANVS INDVTILLI L des autres émissions. En effet, le RPC, 508 comme le RPC, 509 mentionnent et désignent explicitement Auguste et rien dans l’iconographie ou les légendes ne permet d’attribuer les monnaies à un émetteur autre que le pouvoir impérial. Nous les avons donc comptabilisées avec les autres monnaies romaines. Au contraire, les deux personnages mentionnés dans la légende du RPC, 506, Germanus et Indutillus, sont vraisemblablement des indigènes qui ne possèdent pas la citoyenneté romaine. Il semble donc logique de considérer cette frappe comme une frappe indigène, malgré le caractère très romanisé de l’iconographie et l’emploi du laiton16. La datation augustéenne de ce type ne permet pas d’en faire une monnaie “romaine” et elle sera pour cette raison incluse dans les décomptes de monnaies gauloises. Il en sera de même pour les bronzes Scheers, 217, extrêmement fréquents sur les camps militaires, au point que l’on a pu se demander s’ils n’avaient pas été commandités par les Romains17. Malgré tout, il reste impossible de trancher et le caractère très indigène de ces pièces nous a conduit à les laisser au nombre des monnaies gauloises18.
Une circulation localisée, une pénétration tardive
13Le phénomène le plus marquant de cette période est assurément l’irruption, pour la première fois dans la circulation monétaire gauloise, de numéraire romain en grandes quantités (pl. h.-t. 2). Pour indéniable qu’il soit, il appelle un certain nombre de commentaires. La première nuance à apporter à la diffusion du numéraire romain est son caractère très partiel, déjà sensible sur la pl. h.-t. 2, où l’inégale répartition de la documentation ne permet toutefois pas de faire ressortir pleinement le phénomène. Si l’on s’attache uniquement à la proportion entre monnaies gauloises et monnaies romaines, il est immédiatement apparent que les monnaies romaines sont concentrées dans les régions qui deviendront ensuite les provinces de Germanie : dans la Suisse actuelle, le long du Rhin jusqu’à son embouchure (fig. 53). On note une pénétration vers la Gaule interne le long de la Meuse et de la Moselle et, dans une moindre mesure, par la trouée de Belfort.
14Cette concentration à la périphérie septentrionale de la zone d’étude est bien entendu liée à l’installation de nombreux camps militaires très tôt durant la période augustéenne et, en particulier, à partir de la grande offensive de 12 a.C. jusqu’à la défaite de Teutoburg en 9 p.C. (fig. 54). Il existe une tradition de recherche sur ces sites, qui explique en partie l’abondance de la documentation disponible. La rareté relative de la documentation en Gaule civile ne doit toutefois pas occulter la réalité de l’opposition entre zone militaire et zone civile ; elle la souligne au contraire de manière éclatante et nous tenterons d’expliquer plus loin les raisons d’une dichotomie aussi marquée.
15En outre, il faut noter que la pénétration du numéraire romain en Gaule intérieure semble avoir pris un certain temps. On peut essayer d’en mesurer le rythme à partir des contextes les mieux datés, en examinant successivement l’augustéen précoce, l’augustéen moyen, l’augustéen tardif et enfin, les contextes à cheval sur les époques augustéenne et tibérienne (fig. 55 à 58).
16Il faut lire la fig. 55 (contextes de l’augustéen précoce) en conjonction avec la fig. 29 (contextes datés La Tène D2b/augustéen) présentée au chapitre précédent. Entre 30 et 15 a.C., les monnaies romaines sont rares ou absentes de la plupart des sites et les quelques concentrations que l’on observe sont dues à une présence militaire romaine importante : c’est le cas pour le Petrisberg [B-075] comme pour le Titelberg [B-094]. Quant à Lyon [L-024], son statut de colonie romaine implique certainement un apport de population italique, dans laquelle la composante militaire a pu être importante.
17L’augustéen moyen (15 à 5/1 a.C.) voit l’installation de nombreux camps militaires, où le numéraire romain représente au moins trois quarts du total (fig. 56). En Gaule interne, le rapport est inverse : quand les monnaies romaines sont présentes, elles ne représentent jamais plus d’un quart du total. La situation évolue lentement à l’augustéen tardif (5/1 a.C. à 15/20 p.C.), où l’on note une proportion plus élevée à Arras [B-004], Besançon [B-014] et Mirebeau [B-062] (fig. 57). Mais ce n’est pas avant les dernières années du principat d’Auguste ou les premières de celui de Tibère que le numéraire romain pénètre réellement dans les contextes civils (fig. 58) : trois quarts des monnaies de Reims [B-077], deux tiers de celles de Feurs [L-029], tandis que les monnaies indigènes sont absentes d’Autun [L-002], dont la trame urbaine définitive semble être installée vers 10-15 p.C. seulement (avec une occupation plus légère dans les années qui précèdent).
18Ainsi, si l’époque augustéenne marque à n’en pas douter un tournant dans le renouvellement du stock monétaire, il est important d’avoir à l’esprit que l’on a affaire à une évolution lente, qui touche d’abord la périphérie du monde gaulois et ne devient tangible en Gaule interne qu’à partir de la fin du principat d’Auguste. Tout au long des cinq décennies étudiées dans ce chapitre, la circulation monétaire est dominée par les frappes indigènes et reste de ce point de vue très gauloise.
La circulation des frappes indigènes
19Il faut se garder de l’idée que la circulation des monnaies gauloises serait résiduelle à partir de l’époque augustéenne, parce que celle-ci verrait la diffusion importante de frappes romaines. D’une part, comme nous venons de le voir, ce numéraire nouveau ne pénètre pas réellement en Gaule interne avant les années 10/20 p.C. D’autre part, si l’on s’attache aux structures dans lesquelles ont été découvertes les monnaies, on note que 10,59 % des monnaies romaines et 15,71 % de monnaies gauloises proviennent de remblais ou de nivellements (considérés comme les contextes secondaires par excellence), mais que seuls 2,77 % des romaines viennent de sols ou de couches d’occupation (considérés au contraire comme des contextes primaires), contre 15,88 % pour les gauloises19. Ceci tient en partie à la nature des sites fouillés : les niveaux de sols ont souvent disparu dans les camps militaires, peu stratifiés, tandis qu’ils sont mieux conservés sur les sites civils, qui ont dans de nombreux cas connus une occupation plus longue. Cela n’en témoigne pas moins de l’utilisation, au sens fort du terme, des monnaies gauloises durant ces décennies. Par ailleurs, les données archéologiques montrent de façon indubitable que les frappes locales se sont poursuivies jusqu’à la période augustéenne, une idée maintenant bien acceptée par tous les chercheurs20. Mais la situation est diverse selon les métaux et selon les régions, à l’intérieur même de la zone d’étude. Nous avons rassemblé dans la fig. 59 les données dont nous disposons pour cette dernière.
Fig. 59. Chronologie des dernières frappes indigènes de la zone d’étude, d’après les contextes archéologiques.
Type | Zone de circulation privilégiée | Alliage | La Tène D2b | Fin | Aug. précoce | Aug. moyen | Aug. tardif |
Scheers, 80 | Belgium | Bronze |
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Regenbogen- | Rhénanie | Bronze |
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Scheers, 116 | Belgium | Bronze |
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Scheers, 164 | Belgium | Bronze |
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Scheers, 46 | Belgium | Bronze |
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Scheers, 89 | Belgium | Bronze |
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LT, 7005 | Centre Est | Bronze |
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LT, 7011 | Centre Est | Potin |
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Scheers, 139 | Gaule Belgique | Bronze |
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Scheers, 140 | Gaule Belgique | Bronze |
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Scheers, 158 | Gaule Belgique | Bronze |
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Scheers, 41 | Gaule Belgique | Argent |
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Scheers, 42 | Gaule Belgique | Argent |
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Scheers, 176 | Île-de-France | Bronze |
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Scheers, 28 | Île-de-France | Bronze |
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Scheers, 145 | Nerviens | Bronze |
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Scheers, 190/I-II | Nerviens | Bronze |
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Scheers, 170 | Rèmes | Bronze |
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Scheers, 27 (Ae) | Soissonnais | Bronze |
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Scheers, 27 (Ar) | Soissonnais | Argent |
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Scheers, 150 | Normandie | Bronze |
| ? | ? |
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Scheers, 109 | Belgium | Bronze |
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Scheers, 162/II | Trévires | Bronze |
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Scheers, 143 | Île-de-France | Bronze |
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Scheers, 217 | Gaule Belgique | Bronze |
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| ? |
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RPC, 506 | Gaule | Bronze |
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20D’après les contextes archéologiques dont nous avons connaissance, les années 40/30 a.C. sont les dernières à voir des frappes importantes et variées. On se situe à la charnière entre La Tène D2b et l’époque augustéenne et il est pour l’instant impossible de déterminer précisément quand débutent et s’achèvent ces émissions. La production de potin ne semble pas se poursuivre au-delà de La Tène D2b, en particulier pour les grandes séries à la grosse tête et Scheers, 186 au sanglier. De fait, la production monétaire n’est plus attestée dans le Centre-Est, à l’exception de la série TVRONOS/CANTORIX en bronze et en potin, dont la diffusion est limitée aux environs de Bâle et à la Franche-Comté actuelle. Au contraire, les émissions belges sont nombreuses, bien que localisées essentiellement dans la partie occidentale de la province (Picardie, Île-de-France, Soissonnais, Belgique actuelles). Quelques frappes en argent sont attestées, dont certaines sont très abondantes (Scheers, 41 et 42).
21Les émissions datables avec précision de l’époque augustéenne précoce sont beaucoup plus rares et limitées au bronze. Il s’agit des séries Scheers, 109 à légende VIIRICIVS dans le Belgium, Scheers, 143 à légende EΠENOΣ en Île-de-France, Scheers, 162/II à légende CARINAS chez les Trévires21. Les dernières émissions sont à dater de l’époque augustéenne moyenne, avec le type RPC, 506 à légende GERMANVS INDVTILLI L., et les abondants bronzes Scheers, 217, dont les classes II et III sont produites dans la dernière décennie du ier s. a.C. et peut-être quelques années encore après le changement d’ère. Les Regenbogenschüsselsen en bronze, de type Bochum, sont datables de l’augustéen précoce ou moyen22. Il n’existe à notre connaissance aucune émission datable avec certitude de l’augustéen tardif. L’absence de contexte archéologique pour les séries Scheers, 214 et 215, dont la distribution est centrée sur l’Oise, interdit de les dater précisément ; elles ont pour prototypes respectifs les as à l’autel de Lyon et les bronzes RPC, 508 et 509. Pour la série Scheers, 214, on peut se demander si nous sommes vraiment fondés à la détacher des autres imitations à l’autel de Lyon, dont certaines sont postérieures de plusieurs décennies au prototype.
22On peut donc considérer qu’au changement d’ère, la production de monnaies gauloises a totalement cessé dans la zone étudiée, parfois depuis plusieurs décennies. Il faut noter qu’au-delà des disparités régionales, cette chronologie semble commune à l’ensemble du territoire gaulois. Ainsi, dans la Normandie actuelle, les dernières frappes débutent vers 30/20 a.C. et ne dépassent pas le tournant du siècle23. Sur la façade atlantique, les dernières frappes sont des petits bronzes épigraphes qui peuvent être datés de l’augustéen précoce et ne sont pas connus dans des contextes antérieurs à 30 a.C.24 Dans le Centre-Ouest, certaines émissions (y compris des potins) ne sont attestées qu’à l’époque augustéenne, qui marque également la fin des frappes25. En Auvergne, dans la vallée du Rhône et même en Gaule Narbonnaise, la production cesse au plus tard à l’époque augustéenne, exceptées certaines frappes coloniales (principalement Nîmes) ainsi que Marseille dont la tradition monétaire est beaucoup plus ancienne et s’inscrit dans un cadre civique de type grec26. Malgré ses particularités, la zone d’étude semble donc s’inscrire dans un cadre plus large, dont il faudra tenir compte. Quelles que soient les raisons de ce phénomène, il faut souligner une nouvelle fois combien l’époque augustéenne précoce et moyenne représente, dans plusieurs régions, une période de frappe monétaire amoindrie mais néanmoins vivace.
23Comme on vient de le voir, les dernières émissions de monnaies gauloises concernent principalement le bronze ; la frappe de l’argent ne semble pas dépasser les années 20 a.C. et les potins ne sont plus produits après La Tène D2b. On constate donc de façon logique une diminution de la part de potin dans les contextes augustéens (fig. 60), en Gaule Belgique comme dans le Centre-Est, phénomène encore plus marqué dans les contextes à cheval sur les principats d’Auguste et Tibère (fig. 61). Néanmoins, cela ne change pas l’équilibre général déjà observé pour les périodes précédentes, caractérisé par une partition entre une Belgique plus riche en bronze frappé depuis La Tène D2a et un Centre-Est marqué longtemps par un usage quasi-exclusif du potin, couplé à une meilleure représentation de l’argent (se reporter aux fig. 4 à 6 pour La Tène D1 et D2a, et aux fig. 23 et 24 pour La Tène D2b).
24On peut légitimement se demander la part que joue la résidualité dans la persistance de cette partition. Les sites du Centre-Est d’où viennent la majorité des potins contextualisés sont pour la plupart des oppida occupés depuis La Tène D1. En effet, les bronzes frappés provenant de sols ou de couches d’occupation sont plus nombreux que les potins (12,85 % contre 6,55 %). Mais la part provenant de remblais ou de couches de nivellement est sensiblement la même (11,90 % de potins contre 9,15 % de bronzes frappés)27. Il faut en conclure selon nous que l’utilisation du potin persiste bel et bien à l’époque augustéenne, malgré l’arrêt des émissions. La production abondante de chacun des grands types suprarégionaux (type à la grosse tête, Scheers, 186, mais aussi Scheers, 191) permet d’expliquer en partie leur présence dans le stock monétaire mais il ne faut pas non plus sous-estimer l’habitude qu’avaient les populations d’utiliser ces pièces depuis des décennies.
25Par ailleurs, l’époque augustéenne correspond à une régionalisation accrue de la circulation des monnaies indigènes (fig. 62, à comparer aux fig. 26 et 27). Dans le Centre-Est, la plupart des monnaies exogènes sont des frappes belges, ce qui s’explique par la vitalité de la production monétaire de Gaule Belgique au début de l’époque augustéenne. Au contraire, les monnaies du Centre-Est ne circulent presque plus en Belgique, à l’exception notable de Bois-l’Abbé [B-016], où l’on soupçonne une fréquentation militaire qui pourrait également expliquer la part très importante du numéraire d’argent sur le sanctuaire (fig. 60). Les pièces provenant d’autres régions sont peu nombreuses. La mise en place d’un cadre politique unitaire dans la zone étudiée et la construction d’infrastructures viaires sont loin d’avoir favorisé un brassage de la circulation monétaire, qui apparaît encore plus locale qu’auparavant. Comme pour la répartition des alliages monétaires, on se situe pleinement dans la continuité de La Tène D2b.
26L’examen de la circulation des monnaies gauloises et romaines à l’époque augustéenne permet donc d’affirmer que le changement majeur, constitué par l’apparition massive de numéraire romain et la fin des frappes locales, s’inscrit dans le cadre d’une circulation indigène héritée directement de La Tène D2b et qui apparaît bien vivante. Mais dans ce domaine également, le principat augustéen constitue assurément un tournant, comme le montre bien l’étude des dépôts comportant des monnaies gauloises (fig. 63). Sur les cinq dépôts contenant uniquement des monnaies augustéennes, ceux de Saint-Beuve-en-Rivière [SBR] et de Bâle [BSL] concernent des émissions précoces, tandis que ceux de Nimègue [NIJ-01] et Cologne [KOL-02] sont composés de Scheers, 217, ce qui n’est pas surprenant au vu de leur position géographique et de leur occupation militaire. On note également deux dépôts composés uniquement de RPC, 506, à Amiens [AMI-02] et Cocheren [COC]. Tous les autres dépôts comportent également des monnaies romaines. Il faut rappeler que les ensembles cartographiés ici sont d’abord datés du point de vue de leur composition interne, et pas par un contexte archéologique. Il est donc possible que nous ayons sous-estimé le nombre de dépôts augustéens (et par conséquent surestimé le nombre de dépôts de La Tène D2b aux fig. 25 et 49). Mais le sens de la carte reste clair : on ne thésaurise presque plus le numéraire gaulois à l’époque augustéenne et on ne le thésaurise plus du tout à partir de Tibère.
27L’arrêt de la production monétaire semble progressif et les données archéologiques vont contre l’idée d’une interruption brusque. De même, la pénétration des monnaies romaines se fait progressivement, avec un possible “coup de fouet” dans les dernières années du règne. Il faut garder cette dimension présente à l’esprit pour tenter d’interpréter les évolutions mises en évidence : on a plus l’impression d’assister au “changement dans la continuité” qu’à un grand chambardement. Les explications sont donc à chercher dans le domaine structurel plutôt que dans un événement précis.
Type et chronologie des occupations
28La concentration des monnaies romaines dans la zone rhénane semble indiquer qu’à l’époque augustéenne, la part de monnaies romaines et gauloises sur un site donné était liée au type d’occupation. Afin de tester cette hypothèse, nous avons décidé d’analyser les données au moyen d’une analyse factorielle des correspondances (abrégée AFC). On soumet à l’analyse un tableau croisé qui est ici celui des faciès de différents sites (les individus analysés correspondant aux lignes) selon les différentes autorités émettrices (les variables correspondant aux colonnes). Pour avoir une vision plus fine de la situation, nous avons distingué sept autorités émettrices (donc sept variables) : trois pour les monnayages indigènes (gaulois, grecs ou massaliètes, ibériques) et quatre pour les monnayages romains (républicain, colonial, impérial et indéterminé). Les monnaies dont l’émetteur reste indéterminé n’ont pas été prises en compte. Chaque ligne représente un site (donc un individu). Ce tableau est trop complexe ; il comprend trop d’individus et de variables pour être traduit tel quel dans un graphique en deux dimensions. Le but de l’AFC est de permettre une telle représentation graphique, en réduisant cette complexité28. L’AFC dégage les principes organisateurs du tableau de données, qui sont les axes factoriels. Le premier axe factoriel est celui qui permet de rendre compte du maximum de diversité et les axes vont ensuite décroissant. Chaque individu et chaque variable reçoivent une valeur pour chaque axe factoriel. On cartographie ensuite les résultats sous la forme d’un graphique en semis de points, en utilisant deux axes factoriels pour les valeurs x et y. On utilise généralement les deux premiers axes (x = premier axe factoriel, y = deuxième axe factoriel), car ils sont les plus représentatifs de la diversité des données d’origine. Le principe de lecture du graphique est simple : plus les points sont proches, plus les données sont similaires. Ceci est vrai pour les individus (dans notre cas, les sites voisins sur le graphique ont un faciès monétaire similaire), pour les variables (dans notre cas, les autorités émettrices voisines sur le graphique sont souvent découvertes ensemble sur les sites) et, enfin, pour les individus comparés aux variables (dans notre cas, les sites voisins sur le graphique de telle autorité émettrice se caractérisent par un faciès monétaire riche en monnaies de cette autorité). La principale difficulté de l’interprétation consiste à comprendre le principe organisateur de chaque axe factoriel : chronologique, géographique, typologique, social…29 La lecture du graphique peut être facilitée par l’utilisation de symboles pour représenter les individus, selon des variables annexes non prises en compte dans l’analyse : c’est ce que nous avons choisi de faire dans les graphiques qui suivent, en “coloriant” les individus selon le type d’occupation de chaque site. Pour une meilleure lisibilité, nous avons également distingué la carte des variables et les cartes des individus : tous les graphiques sont à la même échelle, ce qui permet une comparaison aisée.
29Les résultats ont été cartographiés selon les premier et second axes factoriels, qui représentent respectivement 57,22 % et 18,17 % des données, des valeurs élevées qui attestent de la fiabilité des résultats. Si l’on analyse la carte des variables (fig. 64), on remarque que l’axe 1 est très fortement structuré par l’opposition entre monnaies romaines d’une part (x négatif) et monnaies gauloises de l’autre (x positif). Les monnaies grecques ou massaliètes sont associées aux monnaies gauloises mais pèsent peu dans l’analyse. Les monnaies ibériques, quant à elles, ont des coordonnées très proches des monnaies romaines républicaines. Ceci confirme l’analyse de M. P. García-Bellido, selon laquelle la présence de ces monnaies dans les camps militaires est liée aux transferts de troupes depuis la péninsule Ibérique vers la région rhénane30. L’axe 2, moins structurant, est organisé sur une opposition chronologique : les variables qui caractérisent les phases les plus anciennes de la circulation sont en haut à droite (y positif) et l’on avance dans le temps en descendant vers la gauche (y négatif). La présence anecdotique des monnaies grecques et massaliètes semble donc être un souvenir du rôle qu’elles ont joué dans la circulation jusqu’à La Tène D1. Les monnaies gauloises ont une position médiane, qui s’explique aisément par leur abondance et par la poursuite de la production monétaire jusqu’au milieu de la période augustéenne. La position des monnaies romaines coloniales, avec une valeur plus élevée que celles des monnaies républicaines, s’explique selon nous par une circulation plus restreinte dans le temps, caractérisant l’augustéen précoce. Les monnaies républicaines, quant à elles, étaient déjà présentes à la période précédente et constituent en quelque sorte un bruit de fond permanent tout au long de l’époque augustéenne.
30La carte des individus (fig. 65), coloriée selon le type d’occupation des différents sites, fait clairement apparaître certaines corrélations. Comme indiqué plus haut, l’axe 1 structure fortement les données : l’opposition principale est bien entre monnaies gauloises et monnaies romaines. Pour simplifier la lecture, nous avons éclaté la fig. 65 en trois graphiques séparés (fig. 66 à 68), en distinguant les sites et les types d’occupation selon leur place sur le premier axe factoriel. Sans surprise, tous les camps militaires sont caractérisés par un faciès très romain. C’est également le cas des colonies (Lyon, Augst) et des fondations romaines récentes (Trèves et Waldgirmes) (fig. 66). À l’opposé, on trouve un faciès très indigène pour les sanctuaires, les établissements ruraux et les oppida dont l’occupation cesse sous Auguste (fig. 67). Enfin, les sites urbains civils (agglomérations secondaires et chefs-lieux, comprenant les oppida dont l’occupation se prolonge à l’époque impériale), ainsi que les rares sites funéraires, n’offrent pas de caractérisation claire et sont répartis sur la totalité de l’axe 1 (fig. 68).
31L’analyse par type d’occupation semble donc lier circulation monétaire et “mode de vie” : très romanisé dans les camps et les colonies, très indigène dans le monde rural et sur les sanctuaires et mixte sur les sites urbains, avec une certaine variété de situation. La disparité observée pour les chefs-lieux et agglomérations secondaires laisse toutefois entendre qu’un autre facteur est à l’œuvre. Si l’on reprend les résultats de l’AFC et que l’on examine de nouveau tous les sites civils (colonies, chefs-lieux, agglomérations secondaires, oppida, établissements ruraux et sanctuaires) en les coloriant non plus par type d’occupation, mais en fonction de l’existence ou non d’une occupation préaugustéenne, on note un lien indubitable (fig. 69) : les sites où les monnaies gauloises sont dominantes ont majoritairement été fondés avant Auguste, tandis que les fondations augustéennes sont plus riches en monnaies romaines. Ceci semble nuancer fortement l’usage prolongé du monnayage indigène que nous avons défendu plus haut et accréditer plutôt l’idée d’une résidualité importante. Il convient ici de regarder plus précisément la chronologie du phénomène et les sites concernés.
32Les fondations augustéennes dont il est question ici ne sont pas antérieures à l’augustéen moyen. À l’exception de Lyon, les premiers niveaux archéologiques attestés sur les sites les plus romanisés sont de la dernière décennie avant notre ère ; Augst et Waldgirmes ont livré des bois datés respectivement de 6 et 4 a.C. et le mobilier le plus ancien de Trèves est attribuable à l’horizon de Haltern. Dans la Belgique actuelle, Liberchies et Tongres ne sont pas antérieures à 15/10 a.C. En Suisse, le développement de Baden et Oberwinterthur est lié aux installations militaires de l’augustéen moyen et surtout tardif. La date précise de la fondation d’Autun est sujette à discussion mais le mobilier des fouilles récentes est au mieux de l’augustéen moyen, tandis que la mise en place de la trame urbaine définitive n’intervient que dans les dernières années de l’augustéen tardif. À Avenches, bien que l’on connaisse des structures de La Tène finale, la continuité d’occupation n’est pas réellement attestée.
33Sur tous ces sites, les monnaies gauloises sont effectivement très rares et montrent qu’elles ne faisaient pas partie du stock monétaire en usage au moment du changement d’ère. Mais il ne faut pas oublier non plus l’implication probable ou certaine de l’armée dans la construction de Waldgirmes, Liberchies et Tongres, ainsi qu’un apport possible de population extérieure dans les différentes colonies. La date de fondation, tardive, induit une rupture dans la continuité d’usage, certainement renforcée par un type de population moins familier des monnayages indigènes.
34Il est difficile de trouver un site civil fondé à l’augustéen précoce. C’est peut-être le cas de Paris, dont le mobilier stratifié ne permet guère, selon nous, de remonter avant 40/30 a.C., à l’exception d’une tombe trouvée aux jardins du Luxembourg et datable de La Tène D2b31. Le cas est incertain mais les monnaies gauloises sont très abondantes sur le site parisien, ce qui tendrait à montrer que dans les années 30/20 a.C. (alors qu’il existait des monnayages coloniaux romains), le numéraire indigène constituait encore la totalité du stock en circulation, sur un site de fondation récente. Il semble donc que ce ne soit qu’à partir de 15/10 a.C., c’est-à-dire dans les années où cessent les productions locales et où débutent les grandes émissions à Nîmes puis à Lyon, que les monnaies gauloises arrêtent d’être diffusées dans les nouvelles fondations urbaines. Outre la coïncidence temporelle, le type de population concerné joue selon nous un grand rôle. Comme nous l’avons noté plus haut, sur les sites occupés depuis l’époque laténienne, ces monnaies devaient rester très nombreuses, qui plus est entre les mains d’usagers habitués à leur aspect et à leur métrologie.
35Par ailleurs, la fig. 69 montre que le facteur chronologique ne permet pas de tout expliquer, puisque l’on trouve des fondations augustéennes avec une forte proportion de monnaies gauloises et des sites occupés depuis plusieurs décennies riches en monnaies romaines. La fig. 53 présentée plus haut fait clairement apparaître un facteur géographique important : plus on est proche de la zone rhénane, plus la proportion de monnaies romaines est importante. L’influence des camps est ici très sensible. La cartographie des sites en fonction de leur date de fondation montre que ce facteur géographique joue également pour les fondations augustéennes, qui sont situées pour la plupart à la marge de la zone d’étude, le long des voies de communications (Meuse, Moselle, coude du Rhin) (fig. 70). Ceci correspond également à la valorisation par les Romains de territoires devenus essentiels et dont certains étaient auparavant peu urbanisés (notamment la Belgique actuelle).
36La proportion entre monnaies gauloises et monnaies romaines dépend donc d’un ensemble de critères qui se recoupent tous en partie. Le premier critère est le type d’occupation, c’est-à-dire probablement le type de population concernée. Les camps et les colonies, où la population est italique ou très exposée aux usages romains, constituent un pôle privilégié d’usage du numéraire romain. Les populations rurales semblent être les moins exposées à ce dernier, ce qui se reflète également dans les trouvailles des sanctuaires catalogués ici. Le cas des populations urbaines est divers : plus que leur cadre d’habitat (qui n’est cependant pas neutre), deux autres critères sont ici en jeu : le degré d’éloignement des camps d’une part et l’existence d’une occupation préaugustéenne de l’autre. La continuité de l’occupation explique la présence de nombreuses monnaies indigènes et des utilisateurs associés, tandis que les camps agissent comme centres de diffusion de numéraire romain. Logiquement, beaucoup des fondations augustéennes sont proches des camps : les créations spontanées bénéficient de leur dynamisme économique, tandis que les créations planifiées répondent à des considérations stratégiques liées au contrôle des voies de communication et à l’approvisionnement de la zone militaire.
37Les différentes analyses montrent sans détour l’impact de Rome sur la circulation monétaire de cette époque. Mais qu’il s’agisse de la fin des frappes indigènes ou de la diffusion des monnaies romaines dans la zone civile, on ne retire jamais l’impression d’une volonté d’agir directement sur cet aspect des choses, on ne voit pas la trace d’une intervention directe sur les questions monétaires – si ce n’est, bien sûr, l’approvisionnement des camps pour permettre le versement de la solde. La cause de ces changements doit donc être cherchée ailleurs.
La marque de l’empire
38L’étude de l’administration provinciale gauloise à la période augustéenne est difficile à mener, mais on sait qu’il ne faut pas l’imaginer dès l’origine comme une imposante machine bureaucratique ; P. Garnsey et R. Saller utilisent l’expression de “gouvernement sans bureaucratie”, tandis qu’A. Bowman souligne la grande flexibilité des gouvernements provinciaux de cette époque32. Les sources sur la réorganisation de la Comata en trois provinces distinctes (Aquitaine, Lyonnaise et Belgique) sont assez peu explicites et il est difficile de proposer une chronologie précise de ces changements. On les place généralement aux dates auxquelles Auguste se rendit en Gaule, c’est-à-dire en 27 puis en 16-13 a.C.33 Les témoignages les plus explicites des changements administratifs ne sont pas antérieurs au milieu du principat d’Auguste34 : épisode de Licinius vers 15 a.C.35, puis, en 12, recensement et mise en place d’une assemblée fédérale, le concile des Gaules sis à Lyon (qui suppose que les cités aient été organisées)36. L’existence d’une province de Germanie à l’époque augustéenne est une question très débattue ; on considère généralement que les deux districts militaires de Germanie, attestés à la fin de la vie d’Auguste37, furent constitués en province sous Domitien seulement mais W. Eck soutient qu’Auguste créa une province de Germanie, abandonnée par Tibère38.
39Jusqu’à Tibère, les Trois Gaules semblent avoir été placées sous l’autorité d’un unique légat propréteur, qui fut souvent un membre de la famille d’Auguste39. (Le légat propréteur était cependant entouré de légats subordonnés, souvent choisis parmi ses proches40.) De même, les finances étaient gérées à l’origine par un seul procurateur. La Belgique en sera détachée sous Claude et le découpage sera pérennisé par Domitien avec trois postes de procurateurs : la Narbonnaise, la Lyonnaise avec l’Aquitaine et la Belgique avec les deux Germanies nouvellement crées41. Cette division des tâches montre que l’organisation financière augustéenne reposait sur un personnel trop restreint qu’il fut nécessaire d’élargir, notamment en individualisant la Belgique où était stationné l’ensemble des troupes.
La fiscalité
40Nous avons déjà évoqué plus haut l’organisation financière des provinces, l’existence d’une caisse provinciale et les alternatives qui pouvaient exister au tributum. La mise en place d’une véritable organisation fiscale est en effet un des traits marquants du début du principat42. La principale contribution que doivent les provinces gauloises à Rome sont les tributa, que J. France propose de traduire par “impôt provincial”. Ils sont “au cœur du système d’exploitation des provinces et [constituent] le prélèvement le plus significatif43”. Les tributa sont de deux types, le tributum soli (impôt foncier) et le tributum capitis (capitation). Contrairement à l’impôt actuel, il n’y a pas de relation directe entre les contribuables et l’administration responsable de la perception. Une somme globale est définie puis répartie entre les différentes entités qui composent le district financier : entre les différentes provinces le cas échéant, puis entre les différentes cités, en fonction de leur statut et des exemptions éventuelles. L’assemblée provinciale de Lyon semble jouer un rôle dans cette répartition, du moins au iie s.44 Un tel mode de prélèvement implique d’une part que les territoires concernés soient précisément bornés, d’autre part que l’on dispose de recensements suffisamment précis. Une fois prélevés, les impôts sont versés à la caisse provinciale, qui se trouve sous la responsabilité du procurateur financier.
41Si l’on n’a pas trace de bornage en Gaule, il est néanmoins certain qu’il accompagna les différentes opérations de recensement attestées par les textes en 27 et 12 a.C. par Auguste puis Drusus, puis par Germanicus en 14 p.C. On sait qu’Auguste avait nommé un procurateur financier pour ces provinces avant 15 a.C., un affranchi du nom de Licinius, probablement établi à Lyon, dont le nom nous est parvenu à cause de ses malversations45. Les sources concernant directement l’époque augustéenne sont maigres et le personnel est mal connu. Outre Licinius et les agents du Quarantième des Gaules, on connaît avant Claude quatre personnages ayant exercé en Gaule leurs fonctions sous les ordres du procurateur. Les deux exactores tributorum mentionnés par des inscriptions d’Avenches et de Bologne étaient chargés de recouvrer les arriérés auprès des cités46. Le dispensator ad fiscum de Lyon est un “trésorier-payeur-receveur” ; c’était donc lui qui recevait des cités les sommes dues au titre du tribut47. Une découverte récente nous fait connaître un nouveau dispensator anonyme à Cologne, qui exerça ses fonctions sous Auguste et Tibère48. Pour W. Eck, il s’agit d’un indice supplémentaire pour restituer une province de Germanie sous Auguste49. La datation du monument est obtenue par le croisement des données architecturales, épigraphiques et historiques ; on notera toutefois que l’inscription est très lacunaire (la précédente restitution la datait de l’époque néronienne), comme celles qui servent de parallèle50.
42Quelle forme prenaient les impôts ? On considère qu’Auguste doubla la somme de 40 millions de sesterces annuels fixée par César mais les sources sont particulièrement confuses à ce sujet ; un changement sous Tibère semble plus certain, si l’on considère qu’il supprima certaines exemptions51. Pour le reste, malgré des sources peu abondantes, les prélèvements demandés paraissent avoir été les mêmes que ceux décrits à la période précédente. R. Duncan-Jones a montré qu’on avait probablement surestimé la part d’impôts en espèces52. Si certaines contributions remplaçaient le tributum (comme dans le cas des Bataves), d’autres venaient s’y ajouter, que P. Herz a détaillées53. Parmi elles, les fournitures aux armées pesaient très lourd, comme l’a montré M. Reddé qui a repris la question d’un point de vue plus archéologique54. En effet, les infrastructures de la zone de stationnement militaire furent pendant plusieurs décennies impropres à subvenir aux immenses besoins de l’armée ; il fallait donc faire venir d’ailleurs le ravitaillement et l’équipement nécessaires. Deux citations de Tacite, non reprises dans son travail, viennent à l’appui de sa démonstration : à propos de la révolte de 14 p.C., Tacite écrit que “l’armée de Germanie […] s’appuyait sur les ressources des Gaules55” ; un peu plus tard, en 16, on lit que “les Gaules se lassaient de fournir des chevaux56”. Le caractère systématique de ces affirmations constraste fortement avec les envois spontanés de l’an 15, qui viennent des Gaules, des Espagnes et d’Italie et qui sont à l’évidence des contributions exceptionnelles à distinguer à la fois des tributa et de l’approvisionnement de l’armée rhénane57. Ces éléments montrent bien que ce dernier reposait largement sur les capacités productives des provinces gauloises. Dans le cas de ces prélèvements comme dans celui des tributa, c’est la cité qui constituait le cadre de référence ; dans les deux cas, le pouvoir romain s’appuyait certainement sur les mêmes documents officiels. Ainsi, même si elles étaient juridiquement distinctes, toutes ces charges doivent en réalité être considérées en même temps. On voit donc tout l’intérêt que pouvaient avoir pour les cités des contributions en nature, surtout si le système très injuste décrit par Tacite pour la Bretagne d’Agricola s’appliquait également aux Gaules58. On peut imaginer que les contributions financières aient été prises en charge prioritairement par les notables dont les avoirs en numéraire devaient être les plus importants, tandis que les contributions en nature pesaient davantage sur les producteurs et le monde rural59. La part des notables n’étant pas moins grande dans ce dernier, ceci pourrait expliquer le rôle moteur de deux nobles éduen et trévire dans la révolte de 21 et réconcilier partiellement les deux hypothèses rappelées par M. Reddé, celle de J. F. Drinkwater pour qui la révolte était due à un manque de liquidité et à la ruine des Iulii gaulois et celle de P. Herz qui a sa faveur60.
43Pas plus que dans les années précédant la réforme augustéenne, le lien entre fiscalité romaine et accroissement de l’usage monétaire n’est donc établi. Au plan archéologique, il se heurte à la faible représentation du numéraire romain en Gaule, déjà évoquée. Il n’est pas interdit de penser qu’on pouvait utiliser des monnaies indigènes mais on bute à nouveau, à partir de l’époque médio-augustéenne, sur l’amenuisement puis la disparition des frappes locales. Il ne semble donc pas que l’administration fiscale ait dynamisé la circulation monétaire mais elle a pu contribuer à la monétarisation dans des domaines moins concrets. D’une part, le témoignage de Suétone pourrait indiquer que les tributa étaient exprimés en sesterces ou en deniers. Même si on les réglait avec des frappes indigènes ou des versements en nature, il fallait donc en exprimer la valeur dans une unité monétaire romaine, ce qui a nécessairement contribué à familiariser une partie au moins de la population avec le nouveau système (rappelons que la réforme monétaire augustéenne était encore très récente). D’autre part, l’importance des sommes a pu contribuer au développement d’instruments financiers. C’est là une hypothèse très difficile à démontrer. On ne sait rien de la finance gauloise mais rien ne s’oppose à son existence sous une forme rudimentaire61. Deux inscriptions précoces du début de l’époque impériale sont ici d’un intérêt particulier. Il s’agit de deux épitaphes d’argentarii retrouvées aux environs de Mayence62 et à Bonn63. Les historiens divergent sur leur datation. Pour la première, J. Andreau propose le ier s. p.C., plus particulièrement les Julio-Claudiens, à partir du formulaire, tandis que, dans le CSIR, W. Boppert la date plus précisément du milieu du ier s. La seconde semble plus précoce : deux premiers tiers du ier s. pour J. Andreau, Tibère pour le CSIR. Les attestations épigraphiques de banquiers (argentarii, nummulari et coactores argentarii) dans les provinces gauloises et germaniques sont peu nombreuses : J. Andreau en relève 13, auxquelles il faut peut-être ajouter une inscription de Narbonne64. La chronologie des inscriptions citées est remarquablement précoce en regard des autres monuments des Trois Gaules, qui datent tous des iie et iiie s. Seules Nîmes et Narbonne offrent des attestations antérieures ou contemporaines. Leur localisation, à proximité de deux camps légionnaires, n’est pas anodine et atteste l’importance économique de l’armée, bien qu’il faille prendre en compte la rareté des inscriptions contemporaines en Gaule civile.
44On ne sait rien du banquier de Mayence, sinon qu’il s’agit d’un affranchi originaire de Pannonie65. Le banquier de Bonn (dont la fin de l’inscription est malheureusement perdue) est un Rème de statut pérégrin, ce qui atteste de la maîtrise par des indigènes de techniques financières romaines (ou similaires). Il est vraisemblablement venu exercer son métier sur le Rhin inférieur, plutôt qu’à Reims qui était pourtant la capitale provinciale. Selon J. Andreau, les argentarii sont des banquiers de métier, qui prennent des dépôts et prêtent de l’argent. Ils sont “spécialisés dans la finance privée” et sont ancrés localement ; leurs opérations sont donc “effectuées sur place ou à brève distance” : nouveaux indices que c’est dans la zone militaire qu’avait lieu le gros des opérations économiques66. La relative sophistication du monument de Sulla le Rème témoigne d’ailleurs de sa réussite.
Le poids de l’armée
45La conquête de la Germanie a entraîné le stationnement permanent de huit légions le long du Rhin, soit un effectif théorique de 44 000 citoyens romains (pour une légion de 5500 hommes). De plus, l’armée semble avoir été le principal réservoir de “fonctionnaires” dans les provinces impériales67. On a reconnu l’action de l’armée dans de nombreux travaux de Gaule interne68, preuve que la distinction entre zone civile et zone militaire ne doit pas être comprise de façon trop tranchée. Ainsi, le poids de l’administration romaine à cette époque, c’est d’abord celui de l’armée. Poids pour les provinciaux, comme nous l’avons vu plus haut, mais également poids pour l’État qui devait rémunérer les soldats de manière régulière : au iie s. p.C., R. Duncan-Jones estime que l’armée représentait environ 75 % du budget impérial, contre 7 à 9 % pour les “civilian employees”69. La part militaire était peut-être moindre à l’époque augustéenne (puisque c’est sous Domitien seulement que le quartum stipendium fut attribué), mais l’armée n’en restait pas moins le premier poste de dépense. Par ailleurs, il faut se garder d’oublier la présence d’auxiliaires de statut pérégrin mais plus ou moins familiarisés avec les pratiques romaines, en nombre au moins égal à celui des légionnaires. Comme on le voit, la présence militaire concerne de multiples domaines qu’il est impossible de traiter ici : nous nous contenterons d’aborder les aspects concernant la circulation monétaire.
46Le problème de la solde de cette armée est évidemment crucial. Nous laissons de côté ici les questions des salaires et des mécanismes administratifs, bien traités ailleurs70. De plus, les auxiliaires posent des problèmes spécifiques qui justifient qu’on les examine à part. Les lignes qui suivent ne concernent donc que les légions. Comme le rappelle R. Wolters, le degré de développement du système bancaire romain rendait nécessaire le paiement du stipendium en pièces de monnaie métalliques71. Ceci représentait des sommes extrêmement importantes, puisque la paie d’un simple légionnaire était à l’époque de 225 deniers et que la somme augmentait fortement lorsqu’on montait dans la hiérarchie. La paie annuelle d’une légion entière a été estimée à 1 642 000 deniers. Sur cette somme, une partie importante, peut-être les deux tiers, était gardée en retenues diverses ; il restait un peu plus de 547 000 deniers à verser en trois fois. Il faut toutefois noter que la majorité des soldats laissait cet argent dans les coffres du camp, ce qui pouvait réduire d’autant la quantité de numéraire nécessaire72. Après retenues, il fallait verser tous les ans à l’armée du Rhin un peu moins de 4 379 000 deniers, correspondant au tiers de la solde des huit légions.
47Le transport de telles sommes pose de sérieux problèmes logistiques qui dépendent largement du métal utilisé pour verser la solde : utilisait-on des monnaies en bronze, en argent, en or ? L’emploi des métaux précieux fait peu débat ; ce dernier porte plutôt sur l’emploi du bronze : servait-il à la solde ? Si oui, dans quelles proportions ? Le numéraire mis au jour par les fouilles étant massivement en alliage cuivreux, la plupart des chercheurs accepte qu’une partie au moins de la solde était versée en bronze. R. Wolters est au contraire fortement opposé à cette idée, inconcevable selon lui pour deux raisons. La première est juridique : les monnaies de Nîmes et de Lyon, qui constituent l’immense majorité des découvertes, seraient des frappes locales, échappant à la juridiction impériale73. Mais on ne peut suivre R. Wolters sur ce point. Nous avons déjà traité plus haut du statut des frappes au crocodile et à l’autel du Confluent : il est difficile de supposer un statut local/colonial à l’atelier de Lyon, notamment en raison de l’emploi des mêmes graveurs pour les métaux précieux et cuivreux. Quant à Nîmes, l’analyse de l’iconographie par A. Suspène montre une intervention impériale74. La répartition des découvertes plaide également en faveur d’un approvisionnement centralisé. En effet, les faciès des sites militaires contemporains ne présentent aucune différence majeure : en général, selon la chronologie, le stock monétaire est constitué en grande majorité de Nîmes I ou de Lyon I, avec une proportion plus ou moins grande de deniers et de quinaires romains. Les seules variations portent sur les monnaies “exotiques”, le plus souvent gauloises ou ibériques. Mais ces dernières constituent toujours une part très faible des découvertes.
48Le second argument argument avancé par R. Wolters est d’ordre pratique : le volume de numéraire en bronze à transporter poserait des problèmes logistiques trop importants75. En effet, les pièces retrouvées sont majoritairement des as et des dupondii : il faudrait 3600 as (soit environ 36 kg de bronze monnayé) ou 1800 dupondii (environ 24 kg) pour régler un an de solde sans retenues, soit 225 deniers (le calcul proposé ici est purement illustratif ; à notre connaissance, personne ne prétend que la solde aurait été versée ainsi). La même somme versée intégralement en deniers équivaudrait à moins de 900 g d’argent ; en aurei, à environ 70 g d’or. Comme on le voit, même si l’estimation de la capacité d’une charrette à bœufs proposée par R. Wolters semble assez basse (seulement 250 kg), son argumentation garde un certain poids76. On peut toutefois lui opposer deux séries de contre-arguments. La première porte sur la possibilité physique du transport et sur la réalité de ses difficultés, la seconde sur la structure et l’interprétation des découvertes archéologiques qui, nous l’avons dit, ont surtout livré des monnaies de bronze.
49Pour compliqué qu’il ait pu être, le transport de sommes importantes sur de grandes distances n’en était pas moins tout à fait possible77. Dans son article, R. Wolters ne mentionne pas la possibilité du transport maritime ou fluvial, pourtant attesté par les textes. Lors de la Seconde guerre punique, Rome expédiait la solde en Espagne depuis l’Italie. De même pour la guerre contre Jugurtha ou vraisemblablement pour la guerre en Judée en 70 p.C.78 Dans le cas de la Gaule, on sait l’importance de l’axe Rhône/Saône et du Rhin et de ses affluents (Meuse, Moselle mais aussi Lippe) dont les rives accueillaient l’immense majorité des établissements militaires augustéens et post-augustéens.
50D’autre part, nous surestimons peut-être la difficulté et les moyens nécessaires à de tels transports de fonds. Différents exemples postérieurs montrent que l’acheminement en numéraire des sommes nécessaires est longtemps resté la norme79. Pour l’Antiquité, des travaux récents sont venus rappeler que les transports terrestres pouvaient être relativement performants80. De plus, les distances à parcourir, sans être négligeables, n’étaient pas forcément très longues. Comme le note R. Wolters lui-même, il existait une caisse pour chaque province, d’où l’on prélevait les sommes nécessaires au stipendium81. Un mécanisme de transfert de fonds entre deux caisses provinciales permettait, le cas échéant, d’éviter un envoi depuis l’aerarium de Rome. Le transport des monnaies depuis les ateliers restait inévitable mais la caisse jouait un rôle d’intermédiaire et de redistribution qui facilitait le processus. À cet égard, le passage d’un approvisionnement nîmois pour les campagnes de Drusus à un approvisionnement lyonnais pour les campagnes postérieures, qui raccourcissait le trajet de 250 km, n’est pas anodin. On a vraisemblablement cherché à rapprocher le lieu de production des monnaies en bronze de la zone de distribution. Il ne peut s’agir ici que d’une décision publique, qui ne se comprendrait pas si les monnaies de bronze ne rentraient pas dans le versement de la solde. Le transport des fonds était en réalité un obstacle beaucoup moins important que ne le pense R. Wolters. De plus, comme il le note lui-même, le stipendium était payé en trois fois (janvier, mai et septembre), ce qui laissait la possibilité de convois plus petits, plus maniables, éventuellement plus rapides, tout en limitant les risques de perte et de vol82.
51La structure des découvertes numismatiques est également très parlante. On dispose pour les camps rhénans d’une succession très rapide, qui montre sans ambiguïté qu’à cette époque le stock monétaire était complètement renouvelé en dix à quinze ans. Malgré les remarques critiques de R. Wolters et P. Kehne, le modèle d’approvisionnement et de circulation des monnaies romaines proposé par D. Wigg-Wolf reste le plus solide. La dernière présentation qu’il en a faite avait pour but principal d’en montrer la validité chronologique, mais le modèle acquiert plus de cohérence si l’on considère que le bronze était employé pour régler tout ou partie de la solde83. Comme il l’a bien montré, la rapidité avec laquelle les monnaies de Nîmes, de Lyon et de Rome se succèdent n’est guère compatible avec le coin-drift, la diffusion de proche en proche depuis les lieux de production (en supposant qu’ils correspondent également aux lieux de mise en circulation). Il s’agit d’un phénomène tout à fait “artificiel”, d’une importation planifiée d’un numéraire mis en circulation dans les camps, à des centaines de kilomètres de son lieu de production. Vu leur nombre, il nous semble compliqué de supposer, à un moment où le pouvoir se centralise et se concentre autour de la famille impériale, que ces monnaies nîmoises et lyonnaises auraient été importées de façon privée par des “army leaders” pour être distribuées aux troupes84. Une telle hypothèse laisse d’ailleurs totalement irrésolus les problèmes de logistique : faut-il supposer qu’il était plus simple à de (très) riches particuliers qu’à l’État de faire venir ces monnaies depuis leurs ateliers ?
52À l’idée d’une solde réglée prioritairement en bronze, on peut encore opposer la part de numéraire en argent, généralement beaucoup plus importante sur les sites rhénans que dans l’intérieur de la Gaule (fig. 71 et 72). Ceci pourrait appuyer l’idée que la part des métaux précieux dans la solde avait été sous-estimée, à cause d’une surreprésentation du bronze dans les découvertes archéologiques. S’appuyant sur un article H.-M. Von Kaenel, R. Wolters soutient que les données de Kalkriese et Pompéi prouvent la non-représentativité des découvertes archéologiques sur les sites “normaux” et montrent que les métaux précieux constituaient en fait la majeure partie du stock monétaire (du moins en valeur)85. Il ne fait aucun doute que ce dernier aspect est vraisemblable, voire même probable. Mais la démonstration pèche selon nous sur plusieurs points. D’une part, parce que ces sites ont été touchés par des catastrophes, Kalkriese et Pompéi ne sont en rien plus “normaux” que Haltern, Oberaden ou Bibracte ; simplement, d’autres processus de sélection ont été à l’œuvre, qui sont à vrai dire autant, sinon plus difficiles à quantifier. Si nous ne connaissons pas la situation initiale, nous savons néanmoins que les monnaies de fouilles “normales” nous donnent une vision complètement écrêtée du stock monétaire, sans les dénominations les plus fortes. Pour Kalkriese et Pompéi, nous ne connaissons pas plus la situation initiale mais il nous est impossible de connaître précisément les perturbations contemporaines et postérieures, notamment les récupérations86. L’interprétation de ces données est donc fort complexe, d’autant plus qu’elles sont de qualité inégale, notamment à Pompéi où les découvertes anciennes sont nombreuses ; or on sait que les monnaies de bronze ont longtemps été de peu d’intérêt pour les antiquaires et les pilleurs.
53Rappelons également que l’armée qui fut battue à Kalkriese (dont nous acceptons l’identification avec le saltus Teutoburgensis), comprenait trois légions complètes, accompagnées non seulement des auxiliaires, mais également de l’état-major complet, conduit par le légat d’Auguste propréteur en personne. Par conséquent, le train de bagages (qui comprenait sûrement la caisse) devait être à l’avenant et l’armée devait transporter beaucoup plus de biens et de numéraire que dans une situation ordinaire. Ceci explique, selon nous, la part importante des métaux précieux dans le faciès monétaire du site, qui ne reflète pas la circulation quotidienne parmi les soldats du rang.
54Nous considérons donc que la quasi-totalité des monnaies retrouvées sur les sites militaires y sont parvenues de manière officielle, par le biais du versement du stipendium, ainsi que d’éventuels donativa. En termes de valeur, les paiements effectués en or et en argent étaient certainement plus importants. En termes de nombre, les monnaies en alliage cuivreux étaient sans conteste très largement majoritaires. Il est d’ailleurs logique que l’État se soit préoccupé également de l’approvisionnement en numéraire divisionnaire. Sans avoir développé de théorie économique au sens moderne, les Romains pouvaient toutefois déduire de manière empirique certains mécanismes de la circulation monétaire. Les soldats n’étant par définition pas des producteurs, il était évident qu’outre ce qui leur était fourni contre des retenues de salaire, ils dépendaient pour leur approvisionnement du marché libre, ce qui ne faisait que renforcer la nécessité de numéraire. D’autre part, dans une économie monétarisée, comme l’était forcément celle des villes et des camps, le manque de petite monnaie se faisait rapidement ressentir, ce que prouve en Italie le phénomène de découpe des as républicains, dont les contextes archéologiques montrent qu’il est beaucoup plus ancien que ne le supposait T. V. Buttrey87. Même s’il est possible de se passer de petite monnaie (par ex. en pratiquant un système d’enregistrement et de crédit, comme on “ouvre un compte” dans un bistrot), assurer un approvisionnement de divisionnaires permet d’éviter ce genre d’arrangements qui d’une part pouvaient devenir complexes, d’autre part étaient des sources potentielles de troubles entre soldats et marchands civils. Le pouvoir romain avait donc tout intérêt à inclure, dans ses envois de numéraire vers les camps, suffisamment de monnaies en alliage cuivreux. Du fait de leur faible valeur faciale, ces monnaies représentaient nécessairement une quantité importante des envois.
55Jusqu’à présent, nous avons uniquement traité le cas des légionnaires. Ces derniers étaient cependant loin de former la totalité des troupes disponibles. Le rôle des auxilia restait très important. En 23 p.C., Tacite écrit que les “trirèmes alliées, les ailes et les cohortes auxiliaires […] ne comptaient guère moins de force [que les troupes légionnaires]88.” On sait qu’à l’époque impériale, à partir de Claude au plus tard, les troupes auxiliaires sont devenues “professionnelles”, c’est-à-dire permanentes et rémunérées par Rome89. Après 25 ans de service, les pérégrins qui s’étaient enrôlés individuellement recevaient la citoyenneté90. Pendant le service, ils percevaient une solde ; pour son montant, on accepte le plus souvent la proposition de M. A. Speidel, pour qui elle s’établirait à 5/6 de la solde légionnaire91. Toutefois, on s’est assez peu interrogé jusqu’à présent sur les étapes qui ont mené à cette situation92. En effet, nous avons vu au chapitre précédent qu’à l’époque républicaine, les pratiques étaient toutes différentes : il était attendu que les communautés indigènes entretiennent intégralement les troupes fournies à Rome. Certains auxiliaires étaient payés sur des fonds romains durant la guerre civile93 mais il est difficile de dire s’il s’agit ou non d’une pratique courante pour l’époque ; il faut garder à l’esprit le contexte politique particulier de ces années. On considère généralement qu’Auguste réforma les troupes auxiliaires en même temps que les légions. On se fonde pour cela sur Suétone, qui écrit que “pour toutes les troupes de l’empire, il fixa de manière précise la durée du service et l’importance des primes”94. Mais Dion Cassius, rapportant le même épisode, précise que les mesures concernaient les citoyens95. Dans les sources littéraires, plusieurs passages des Annales de Tacite attestent du versement de stipendia à des auxiliaires après le changement d’ère96 (les occurrences manquent pour les années antérieures, sans qu’on puisse en tirer aucune conclusion).
56Toutefois, plusieurs textes nous incitent à penser qu’il y avait des auxiliaires autres que “professionnels” et que ces derniers étaient loin d’être majoritaires. On trouve au moins deux instances où les auteurs antiques avouent avoir du mal à quantifier le nombre des auxiliaires : Dion Cassius (53.24) pour Auguste en 6 p.C. et Tacite (Ann., 4.5.6) pour Tibère en 23. Pourtant, ce même Tacite (Ann., 1.11.4) écrivait qu’à sa mort, Auguste avait laissé un libellum, dont lecture fut faite au Sénat sur ordre de Tibère ; on y trouvait, entre autres, “le nombre des citoyens et des alliés sous les armes”. Cependant, il n’y a contradiction que si l’on considère que les auxiliaires sont alors composés uniquement, ou même majoritairement, de troupes professionnelles. Que ces dernières existent, on peut l’admettre et les identifier avec les auxilia qu’Auguste provinciatim distribuit en même temps que les légions, comme le rapporte Suétone (Aug., 49.1). Mais il est instructif d’analyser le vocabulaire employé par Tacite, comme l’a fait D. B. Saddington, qui note que “Socius is much more common” dans les Annales que dans les Histoires97. Plutôt que d’invoquer la date de composition des œuvres ou la variatio tacitéenne, on peut se demander si le caractère plus imprécis des descriptions dans les Annales ne reflète pas également une organisation militaire encore en gestation et si les nombreuses occurrences de socii ne trahissent pas la permanence de pratiques républicaines au début du ier s. p.C., comme c’est le cas dans la marine98. En particulier, l’emploi de “citoyens et alliés” plutôt que “légions et auxiliaires” dans la description du libellum laissé par Auguste, nous semble signifiant. On peut supposer qu’existait, pour chaque communauté soumise, une liste des mobilisables qui aurait servi à faire des levées selon les besoins de chaque province et de chaque campagne, ce qui expliquerait l’incapacité de Tacite comme de Dion Cassius à donner des effectifs précis pour les auxiliaires des époques tardo-augustéenne et proto-tibérienne. Et, comme sous la République, on peut imaginer que ces levées faisaient partie des réquisitions demandées par le pouvoir romain et qu’elles restaient à la charge des communautés concernées. Des levées temporaires sont d’ailleurs attestées en Gaules et dans les Germanies au début du règne de Tibère99.
57Il est donc impossible, en l’état actuel des données, de tenter une évaluation du poids financier représenté par les auxiliaires “professionnels” à la solde de Rome, car on ne peut évaluer leur nombre par rapport aux autres types de troupes non-légionnaires. Ce poids devait selon nous rester assez faible et la mise en place du système impérial ne fut vraisemblablement achevée que dans la seconde moitié du ier s. p.C. Le principal changement de cette période réside plutôt dans le transfert de l’ensemble des troupes, légionnaires et auxiliaires, de la Gaule interne vers le Rhin. Sans nécessairement que les militaires aient été complètement absents de l’arrière-pays, la nécessité de faire intervenir les troupes rhénanes lors de la répression de la révolte de 21 montre toutefois que les éventuelles garnisons y étaient très faibles.
58Les troupes dont Rome assurait la solde la recevaient de manière régulière. Nous savons par les textes que le stipendium légionnaire était versé en trois fois durant l’année ; par ailleurs, il aurait été suicidaire pour le pouvoir romain de manquer à ses devoirs : la révolte des armées du Rhin et du Danube en 14 p.C. en est une illustration. Il ne faut pas non plus sous-estimer le caractère symbolique de l’opération, bien rappelé par F. Cadiou pour l’époque républicaine et encore très présent à l’époque impériale100. Il est facile d’imaginer les conséquences que de tels versements ont pu avoir sur le stock monétaire régional : l’abondance des découvertes de monnaies sur les sites militaires en atteste. Sur le plan économique, la solde offrait aux légionnaires un pouvoir d’achat important et l’implantation d’un camp était un facteur de développement économique indéniable, dont l’expression la plus manifeste sur le plan archéologique est la création d’agglomérations civiles autour des camps101. Il est difficile de quantifier les parts respectives du marché et de l’État dans l’approvisionnement, mais nous suivrons ici l’opinion dominante, exprimée entre autres par L. Wierschowski et A. Tchernia, qui veut que “l’approvisionnement de l’armée ait été organisé dans le cadre d’un commerce libre102.” La similitude qu’on observe souvent entre le mobilier des camps et celui des agglomérations liées montre l’intégration économique des deux milieux, qui se comprend d’autant mieux dans le cadre d’un approvisionnement libre, les civils profitant “forcément […] un peu de ces courants commerciaux103.”
59Malgré l’importance des versements aux militaires, le faciès monétaire des sites de Gaule civile, y compris de Reims, capitale de la Gaule Belgique, prouve que la zone civile a été très peu affectée (pl. h.-t. 2) Les cartes montrent très nettement que l’approvisionnement en numéraire a touché directement les camps ; seule une petite partie des monnaies s’est ensuite diffusée aux alentours, mais dans un périmètre somme toute restreint. De même, les dépôts de l’époque augustéenne sont très clairement concentrés sur le limes (fig. 63 et 73). Il faut selon nous en tirer une conclusion claire : Rome ne se préoccupait en rien d’alimenter la masse monétaire en circulation dans les zones civiles, son seul souci était de payer ses troupes. Il faut donc nuancer la contribution de l’armée au développement des marchés et d’une économie monétarisée. Son pouvoir économique est indéniable mais sa zone d’influence est restreinte à la périphérie immédiate des camps et à quelques grands axes de circulation. Par ailleurs, l’absence d’approvisionnement monétaire dans les zones non militarisées semble montrer que la politique économique de l’État romain se limitait aux domaines qui le touchaient directement. À moins de dysfonctionnements importants mettant en péril la machine impériale, le reste n’entrait pas dans son domaine de compétence ; de nombreux aspects de la vie économique et sociale étaient ainsi du ressort des civitates, comme le montre l’organisation de la fiscalité à cette époque.
Municipalisation et frappes monétaires
60Les développements qui précèdent ont déjà fait apparaître le caractère central du cadre civique dans les différents processus à l’œuvre. L’organisation des communautés en civitates est en effet la pièce maîtresse de l’administration du territoire provincial. Cette situation, que l’on désigne parfois sous le terme de municipalisation, n’est pas propre à la Gaule mais concerne la totalité de l’empire : comme l’ont souligné de nombreux auteurs, la civitas, qu’on pourrait définir comme une communauté humaine (le corps civique), inscrite dans un territoire bien délimité et organisé autour d’un centre urbain principal (le caput civitatis)104, est la cellule de base de l’administration provinciale105.
61À l’époque augustéenne, et à l’exception des colonies de Lyon, Nyon et Augst, toutes les cités des Trois Gaules semblent avoir été de statut pérégrin, la plupart étant stipendiaires et quelques-unes libres ou fédérées106 (bien que très argumentée, la récente proposition d’A. Hostein, pour qui les Éduens auraient bénéficié du ius latinum dès l’époque augustéenne précoce, n’emporte pas encore l’adhésion des chercheurs et nous ne la retiendrons pas ici107). Il est difficile de dire à partir de quand les communautés gauloises furent organisées en cités, même si c’est vraisemblablement pendant le séjour d’Auguste de 16-13 a.C. qu’il faut placer l’organisation définitive. César emploie déjà le terme de civitas pour les désigner, mais il ne faut probablement pas prendre le terme dans son sens juridique strict108. Néanmoins, on le voit déjà réorganiser des territoires dans la Guerre des Gaules et il ne fait pas de doute que ces communautés étaient fortement structurées. On peut penser que le tributum de 40 millions de sesterces était réparti entre elles dès la fin du conflit. La structuration en civitates était achevée dans les premières années de notre ère, comme l’a noté M. Reddé109. Par ailleurs, il faut en partie déconnecter la question de la municipalisation de celles de l’urbanisation et de la monumentalisation des chefs-lieux de cité. Le fait que pour les Anciens, la polis grecque et la civitas latine soient fortement liées à un idéal urbain, a obscurci le débat contemporain qui n’a pas suffisamment dissocié “les approches politico-institutionnelles” et “ les aspects urbanistiques”110. Cela s’est traduit entre autres par l’établissement de chronologies trop hautes de quelques années (voire de quelques décennies) pour la plupart des villes de Gaule et par la prolifération de datations augustéennes, que les nouvelles fouilles et la révision des opérations anciennes permettent maintenant de rectifier. Notre vision du phénomène et notamment de ses rythmes en a été fortement affectée. Mais on admet désormais plus volontiers, d’une part, qu’il existe très souvent un décalage entre la fondation ou refondation d’une ville, son occupation effective et sa monumentalisation, d’autre part, que le lien entre statut juridique de la communauté et monumentalisation du chef-lieu n’est pas mécanique111. Bien qu’une synthèse reste à faire sur le développement des capitales de cité, lorsque l’archéologie atteste d’une création ou d’une restructuration augustéenne, celle-ci n’est pas antérieure à l’augustéen moyen et doit souvent être attribuée à l’augustéen tardif.
62Ceci semble confirmer l’importance du séjour d’Auguste en Gaule dans les années 16-13. On peut répartir les mesures prises à ce moment en deux ensembles. Le premier grand volet concerna la réorganisation de l’occupation militaire des provinces gauloises. Plus que la division de la Comata en trois provinces (puisqu’elles restèrent dans un premier temps sous le gouvernement d’un seul légat et d’un seul procurateur), le second volet correspond à la municipalisation définitive des communautés gauloises. Toutes ces mesures forment un système, dont la cohérence est d’autant plus grande si on accepte que le ravitaillement de l’armée rhénane dépendait largement des cités de Gaule interne. L’installation de civitates et la définition précise du statut et des obligations de chacune permettaient de simplifier et de rationaliser leur exploitation. Cela permettait également un meilleur contrôle de ses communautés, en désignant clairement qui parmi les notables pouvait être l’interlocuteur du pouvoir romain ; le conseil des Gaules installé à la même époque à l’autel du Confluent regroupait les dirigeants des différentes cités des Trois Gaules en une structure unique (ce qui montre à nouveau que la division en trois provinces était d’importance secondaire). Les colonies d’Augst et de Nyon pourraient également avoir été fondées à cette époque et non dans les années 40 a.C.112. On suivra donc X. Lafon lorsqu’il écrit que les Trois Gaules sont largement une “construction romaine”113.
Adhésion des élites aux modèles impérial et civique
63Sans sous-estimer la lourdeur des contributions fiscales diverses au pouvoir romain ou l’apparition d’une architecture monumentale, il nous semble toutefois que ce ne sont pas là les conséquences principales de la municipalisation des Gaules. Plus fondamentalement, la mise en place de civitates au sens romain du terme a constitué un tournant majeur dans la façon d’exercer le pouvoir. En effet, bien que nous ayons affaire à des cités pérégrines, il ne fait pas de doute que le modèle était bien celui de la cité gréco-romaine. Sur le plan “physique”, le territoire était précisément borné, organisé autour d’un chef-lieu urbanisé unique. Par ailleurs, au début de notre ère, peu de Gaulois étaient citoyens romains ; les attributions étaient majoritairement viritanes et le droit latin ne fut attribué que graduellement aux cités des Trois Gaules114. Or la possession de la citoyenneté romaine entraînait des privilèges non négligeables et bien identifiables. Ceci devait donc provoquer une émulation dans les élites locales, afin d’obtenir un meilleur statut juridique non seulement pour elles, mais également pour les communautés dont elles faisaient partie et dont elles constituaient la classe dirigeante.
64Il est certain qu’il y eut une grande continuité entre La Tène finale et l’époque romaine dans les familles qui exercèrent le pouvoir. Les généalogies dont nous disposons pour le début de notre ère remontent à l’époque césarienne et Caius Iulius Rufus ne craignait pas d’afficher les noms gaulois de ses aïeux sur l’arc de Saintes, dédié à Tibère, Drusus et Germanicus115. L’opinion de J. F. Drinkwater, selon laquelle la guerre des Gaules avait profondément renouvelé l’aristocratie indigène, doit donc être sérieusement nuancée116. Le fait que certaines cités aient conservé une nomenclature gauloise pour leur magistrature suprême est également révélateur117. Néanmoins, les conditions avaient complètement changé. L’autonomie de la civitas ne signifiait pas son indépendance et il y avait un échelon supérieur auquel elle était clairement subordonnée, à savoir Rome, désormais bien incarnée dans son empereur et plus uniquement dans un gouverneur. Par conséquent, l’exercice du pouvoir ne se déroulait plus seulement à l’échelon local/régional. S’y surimposait un horizon impérial, qu’on pouvait choisir ou non de viser ; la seconde option était évidemment souhaitable si l’on voulait consolider son emprise sur “son” territoire. Il n’y a pas lieu, à notre avis, de mettre en doute la fidélité des élites gauloises au nouveau pouvoir impérial : l’absence de révolte en Gaule interne à l’époque augustéenne suffit à l’attester. Le “service militaire” dans l’armée romaine ou comme commandant d’une troupe indigène n’était pas uniquement la perpétuation d’une idéologie martiale laténienne. Les nobles gaulois qui choisissaient cette voie étaient en dernier lieu subordonnés à des officiers romains. Aux époques césarienne et triumvirale, peut-être encore augustéenne, leurs troupes furent employées sur tout le pourtour méditerranéen et ils firent l’expérience physique de “l’horizon impérial”. Par ailleurs, l’exercice de certaines fonctions permettait une forte promotion sociale, en particulier l’accession à l’ordre équestre. C’est le cas notamment de la praefectura fabrum et du tribunat militaire, attestés épigraphiquement à l’époque augustéenne ou proto-tibérienne pour les Iulii de Saintes118. À vrai dire, il devenait impossible de se contenter de l’échelon local ; cela aboutissait immanquablement à un déclassement aux profits des aristocrates qui avaient fait le choix d’une carrière “internationale”. L’évolution des carrières des primores étudiés par Y. Burnand montre la part grandissante des fonctions municipales entre l’époque tardo-républicaine et le milieu du ier s. p.C. (fig. 74). Si la proportion de notables exerçant les militiae reste à peu près constante, celle des notables exerçant des magistratures civiques dans leur communauté augmente fortement entre la fin de la République et le ier s. p.C. Ceci s’explique en partie par nos sources, qui croissent avec le temps, mais reflète bien, à nos yeux, l’importance du moment augustéen dans la structuration du territoire gaulois en cités, y compris en Narbonnaise, et l’adaptation rapide (parce que nécessaire) des aristocraties locales à ce nouveau modèle.
Fig. 74. Exercice des milices et des magistratures civiques par les primores Galliarum entre la fin de la République et le milieu du ier s. p.C. (données : Burnand 2006, notices 1 à 56).
Datation | Nombre total de primores | Dont sénateurs | Ayant exercé au moins une milice | Ayant exercé au moins une magistrature civique | Ayant été prêtre à l’autel du Confluent | Sans information |
Fin République | 7 | 2 ? | 5 | 2 |
| 2 |
Début Auguste | 5 | 0 | 4 | 3 |
| 1 |
1er quart ier s. | 10 | 0 | 8 | 5 | 2 | 2 |
2e quart ier s. | 34 | 7 | 24 | 15 |
| 2 |
Cadre civique et frappe monétaire
65C’est bien dans l’adoption d’un cadre civique et les modifications qu’il suppose dans l’exercice du pouvoir qu’il nous faut chercher les raisons de la fin des frappes monétaires en Gaule. Les contributions les plus récentes sur le sujet se trouvent dans deux volumes publiés en 2005, le premier traitant spécifiquement du domaine celtique, le second des monnayages provinciaux en général119. Le premier point qui ressort de ces lectures est un consensus des chercheurs contre l’idée d’une intervention impériale, qui aurait mis fin aux monnayages d’Occident. En effet, on s’expliquerait mal les différences entre Orient et Occident ; au contraire, si la persistance de frappes monétaires locales avait constitué un problème, celui-ci aurait été plus important en Orient où les émissions monétaires étaient un symbole clair d’autonomie civique (voir infra). De plus, dans les provinces occidentales, la fin des frappes locales fut étalée dans le temps. Il est donc difficile de restituer une interdiction générale de la part du pouvoir romain, qu’aucun texte littéraire ou épigraphique ne vient soutenir. Le pouvoir impérial n’y avait d’ailleurs pas vraiment intérêt : P. Weiss a souligné que les monnayages de cités, par l’expression des valeurs civiques et des valeurs impériales, avaient “a very strong stabilizing effect” et que les bénéfices politiques pour Rome étaient très grands120. On s’accorde donc à penser que les monnayages locaux sont “morts de leur belle mort”.
66Pour quelles raisons internes aux sociétés provinciales ces dernières ont-elles cessé de battre monnaie ? C. Howgego et A. Burnett ont proposé une raison culturelle, qui expliquerait la différence entre Orient et Occident et qui tiendrait précisément à la tradition civique des provinces grecques121. Il y avait dans ces dernières la volonté de s’enraciner dans la tradition, dans l’histoire de sa cité, qui n’était pas étrangère à la conscience d’une certaine supériorité culturelle et à la mentalité agonistique qui se traduisait par la compétition entre cités. On valorisait donc tout ce qui soulignait l’autonomie civique, entre autre la frappe monétaire qui en était un symbole puissant dans la tradition gréco-romaine. Ceci explique le maintien d’émissions jusqu’au iiie s. p.C. Au contraire, dans les provinces occidentales, on cherchait à s’intégrer dans l’empire en se fondant dans les modèles romains et en recherchant des promotions à l’intérieur du système (accès à la citoyenneté pour les individus, accès à un statut privilégié pour les cités). Les traditions pré-romaines étaient, notamment dans le domaine celtique, entachées des préjugés gréco-romains sur les barbares et l’on était encore moins enclin à en faire la promotion du fait de l’absence d’un modèle civique, au sens où entendaient les Romains122. Ceci se traduisait donc par l’adoption des modes d’expression de la romanité des Romains eux-mêmes, y compris pour le numéraire. De fait, sur le plan numismatique, on note une tendance très sensible à l’utilisation d’une métrologie et d’une iconographie très proches des monnaies romaines contemporaines. La même année que C. Howgego et A. Burnett, J. van Heesch a proposé pour la Gaule un modèle identique, associant “ce phénomène au degré de romanisation des élites gauloises” et insistant sur le lien avec le développement contemporain de l’urbanisation123.
67Toutefois ce raisonnement ne peut être appliqué que très partiellement aux provinces gauloises. Celles-ci n’ont en effet pas développé de monnayage provincial à la même échelle que l’Espagne ou que l’Afrique ; il suffit pour s’en rendre compte de consulter le premier volume du RPC : à titre indicatif, on compte, pour la période allant de 44 a.C. à 69 p.C., 84 pages pour la péninsule Ibérique, 34 pour l’Afrique mais dix seulement pour la Gaule (avec une majorité de frappes en Narbonnaise). Dans les Trois Gaules, le monnayage provincial n’a pas disparu, il n’a en réalité jamais débuté. Comme nous l’avons vu, les noms de cités n’apparaissent dans les légendes qu’après la conquête césarienne124. Mais les frappes explicitement civiques sont rarissimes et se trouvent uniquement chez les Lexoviens et les Aulerques Éburovices125. Ce sont d’ailleurs celles qui se rapprochent le plus des frappes ibériques ou africaines contemporaines, par la métrologie, par la présence d’une légende développée en latin nommant la communauté émettrice, par la mention de magistrats ; la légende va jusqu’à préciser la dénomination, ce qui est beaucoup plus rare. L’iconographie des bronzes lexoviens est fortement romanisée : une aigle de face, parfois combinée à une fleur qui peut évoquer l’âge d’Or augustéen, comme le souligne P.-M. Guihard. Ce dernier date les émissions des Aulerques entre 40/30 et la fin du ier s. a.C., tandis que celles des Lexoviens seraient légèrement postérieures, entre 30/20 et la fin du ier s. a.C. Les contextes archéologiques sont malheureusement peu nombreux ; sur la base de la métrologie, nous aurions tendance à placer les émissions aulerques en dernier. En effet, la classe III du bronze BAE-9a indique en légende qu’il s’agit d’as, tandis que les bronzes lourds lexoviens BL/M-16a sont des semisses. Or les deux présentent le même poids moyen, autour de 6,9 g, ce qui donne pour un as lexovien un poids théorique proche de 14 g, qui pourrait être rapproché des émissions de Narbonne et des dupondii lourds de Nîmes126. L’as aulerque à 6,9 g est quant à lui plus proche des émissions postérieures de Lyon, bien qu’un peu léger127. Si notre raisonnement, très hypothétique, est correct et que les trois classes du bronze BAE-9a sont contemporaines, cela ferait de ces pièces une des toutes dernières émissions gauloises, de peu antérieure au changement d’ère.
68Cependant, ces séries exceptées, les dernières frappes locales d’époque augustéenne ne montrent pas de différences fondamentales avec celles de La Tène D2. Les frappes des Lexoviens et des Aulerques Éburovices laissent plutôt l’impression d’une expérimentation avortée des tout premiers temps de la municipalisation. À cette occasion, quelques communautés auraient pu mettre en place des frappes monétaires publiques de caractère civique. Mais la greffe ne prit pas et toutes les émissions cessèrent quelques années plus tard. C’est pour nous une indication que, jusqu’à la fin, la plupart des émissions furent des émissions privées, aux mains d’individus et non de communautés128. Surtout, il faut remarquer que la fin des émissions locales est contemporaine de la municipalisation augustéenne. Loin d’avoir stimulé la production, l’adoption d’un statut civique semble au contraire l’avoir achevée, dans tous les sens du terme. Pourquoi ? Précisément parce qu’en Gaule, les frappes monétaires n’étaient pas des frappes civiques au sens gréco-romain. Pour cette raison, on ne peut pas adopter tel quel le modèle Howgego/Burnett/van Heesch. Il faut d’ailleurs noter qu’en Gaule, la majorité des frappes locales cesse bien avant que les monnaies nîmoises et lyonnaises n’irriguent l’ensemble du territoire. Les monnaies gauloises ne se sont pas effacées devant les monnaies romaines, qu’on aurait massivement adoptées précisément pour leur caractère romain. Arrêter de considérer les émissions gauloises comme des émissions civiques permet de résoudre cette difficulté. Avec l’adoption du statut civique, les notables durent adapter la façon dont ils exerçaient le pouvoir129. Bien qu’ils aient gardé une tradition militaire, celle-ci s’exprimait désormais dans le cadre de l’armée romaine ou, du moins, en rapport avec cette dernière et le versement de la solde aux troupes qu’ils commandaient leur a progressivement été retiré, ce qui a certainement constitué un motif d’abandon des frappes. Par ailleurs, sans que les réseaux de clientèle aient nécessairement disparu, la mise en place d’une communauté civique supposait que les actions des notables à la tête de la cité profitassent à tous les membres de cette communauté. On peut donc imaginer que ces aristocrates, au lieu de consacrer une partie de leurs richesses à la frappe monétaire, la redirigèrent vers d’autres formes plus proches de l’évergétisme hellénistique et romain – sans compter sur les tributa qu’il fallait désormais verser et qui durent peser sur leurs capacités financières. La monumentalisation des nouveaux chefs-lieux (parfois des anciens) a dû demander des ressources importantes car tout ne fut pas subventionné par le pouvoir impérial. Que l’on songe seulement aux demeures luxueuses de Bibracte, à la réfection des muri gallici mentionnés plus haut ou à l’arc de Saintes, daté de 18/19 p.C.
69La comparaison avec les domaines hispanique, africain et britannique fait bien apparaître le lien très fort entre statut civique et maintien des frappes monétaires. La péninsule Ibérique a vu la constitution d’une des premières provinces ultramarines romaines ; par ailleurs, les peuples indigènes avaient fait pour s’organiser “le choix ancien de la cité de type méditerranéen”, comme le rappelle N. Barrandon130. Les frappes d’époque romaine prennent la suite d’importantes frappes indigènes, la plupart initiées au iie s. a.C., en toute autonomie vis-à-vis du pouvoir romain (mais sans doute avec son accord tacite)131. Étant donnée l’organisation politique en vigueur, il est probable que ces émissions prenaient déjà place dans un cadre civique. Or c’est précisément dans la péninsule Ibérique que les frappes provinciales se maintinrent le plus longtemps en Occident, jusque dans les années 40 p.C., avec la production la plus abondante.
70En Afrique, la tradition est différente132. Les monnayages antérieurs à la constitution de la province en 146 a.C. sont dus à Carthage ou à des royautés hellénistiques. Entre 146 et l’époque césaro-augustéenne, les émissions sont peu abondantes : quelques frappes définies par J. Alexandropoulos comme poliades et, surtout, celles des rois numides plus à l’ouest. C’est seulement sous Auguste qu’on observe un développement, au demeurant très limité, de monnayages civiques. Mais, outre des volumes d’émission qui paraissent faibles voire très faibles, dans la moitié des cités concernées les frappes s’arrêtent également au cours de la période augustéenne. Dans les autres, elles n’excèdent pas le règne de Tibère. Avant l’époque césarienne, tout le territoire provincial appartenait à l’ager publicus, à l’exception de sept civitates liberae et immunes. Le statut civique était donc peu répandu mais néanmoins connu depuis le milieu du iie s. a.C. Parmi ces sept cités libres, seule Hadrumète semble avoir frappé monnaie avant l’époque impériale. La situation changea radicalement avec Auguste, qui continua l’œuvre entamée par César : il déduisit plusieurs colonies, attribua le statut de municipes à au moins trois cités et celui de cité pérégrine à de nombreuses communautés. Il est donc tentant de voir là la cause de la brève floraison des monnayages civiques africains, qui ne concerne apparemment que des cités au statut privilégié (cités libres, municipes ou colonies). La promotion ou la confirmation du statut civique aurait été marquée par des émissions monétaires, qu’on ne peut qualifier de commémoratives133 mais qui, de fait, ne durèrent pas. En effet, dans l’optique gréco-romaine, frapper monnaie est un signe de cette autonomie civique nouvellement acquise. Cependant, précisément parce qu’il ne s’agissait pas là d’une habitude profondément ancrée, la pratique cessa rapidement.
71En Bretagne enfin, la situation est encore différente. Les dernières frappes indigènes étaient fortement romanisées dans leur iconographie, à tel point que J. Creighton considère qu’elles témoignent de séjours en Italie des rois responsables des frappes (ce qui en fait de véritables “rois amis”, contrairement à l’opinion exprimée par le RPC)134. Mais les émissions monétaires semblent avoir cessé complètement avec la conquête claudienne135. Or l’organisation en communautés civiques était inconnue dans la région, au point que certains chercheurs britanniques ont pu – à tort et pour des raisons souvent extra-scientifiques – prétendre qu’elles n’y avaient jamais existé durant l’occupation romaine136.
72Les Trois Gaules présentent une situation intermédiaire. D’une part, il est certain que certaines communautés avaient adopté un système politique dont certains traits pouvaient faire penser à une organisation civique. Cette dernière n’était donc pas complètement étrangère, bien que moins familière qu’en Afrique ou surtout en Hispanie. Pour ces communautés, la transition vers la municipalisation dut entraîner moins de changements. D’autre part, la production monétaire ne cesse pas avec la conquête et nous avons noté plus haut quelques séries qui se rapprochent d’un monnayage provincial et dont il faut rappeler qu’elles semblent plutôt antérieures aux réformes augustéennes. Mais frapper monnaie n’était pas associé à la condition civique ; aucune monnaie gauloise ne commémore d’ailleurs explicitement l’accession au rang de cité ou l’obtention d’un statut privilégié. Les émissions cessèrent dès lors que leurs responsables jugèrent meilleur de faire leur promotion et d’asseoir leur pouvoir sur d’autres fondements.
Le désastre de Varus, moteur de la provincialisation ?
73Nous avons souligné à plusieurs reprises qu’il était difficile d’arriver à une périodisation fine de la période augustéenne. À la suite de nombreux chercheurs, nous voyons un tournant important dans la deuxième décennie avant notre ère, lié au séjour d’Auguste de 16-13 a.C., qui marque une réorganisation profonde de l’occupation militaire ainsi que les débuts réels de la municipalisation. Toutefois, il nous semble que les sources archéologiques permettent d’identifier un deuxième moment important, un “coup de fouet” dans l’intégration des Gaules au monde romain.
74En 9 ou 10 p.C., des émissions monétaires en bronze à Nîmes et surtout à Lyon reprennent, après plusieurs années d’interruption137. Dans les deux cas, l’iconographie du revers reste identique ; au droit, les légendes sont mises à jour. Mais les émissions lyonnaises se distinguent par deux traits importants. D’une part, elles ont une distribution beaucoup plus large que les dupondii nîmois, dont la circulation n’excède guère la province de Narbonnaise, alors que les monnaies lyonnaises couvrent les Trois Gaules. D’autre part, alors que Nîmes conserve la double effigie d’Agrippa et d’Auguste138, les monnaies que Lyon met en circulation sont dans leur grande majorité à l’effigie de Tibère139. Cette dernière apparaît également sur les aurei et deniers frappés en 13-14, dont la production semble avoir été plus limitée que celles des années précédentes140.
75Sans surprise, les monnaies de bronze de Lyon II constituent une part très importante du stock monétaire d’époque tibérienne en Lyonnaise, en Aquitaine et, dans une moindre mesure, en Belgique141. Toutefois l’étude des données archéologiques permet de montrer qu’on en rencontre déjà neuf exemplaires dans des contextes antérieurs à 15/20142 dans une grande partie de la zone d’étude, de Zurzach en Suisse à Bois-l’Abbé en Normandie143. Après cette date, leur nombre explose littéralement, puisque l’on compte 55 ex. supplémentaires dans des contextes antérieurs à 35. Cette distribution très large et très précoce est à notre connaissance sans parallèle, qu’il s’agisse des émissions contemporaines ou postérieures. Seules les Lyon I finissent par connaître une diffusion significative en Gaule interne, mais plusieurs décennies seulement après leur émission. Si on trouve quelques exemplaires dans des contextes antérieurs à 9/10 p.C., voire antérieurs au changement d’ère, ce n’est qu’autour de 15/20, soit en même temps que les Lyon II, que les Lyon I apparaissent réellement dans des contextes éloignés du Rhin144. Quant aux Nîmes I, aux monnaies au nom des Monétaires et aux frappes tibériennes au nom du Divus Augustus Pater, ces dernières pourtant très abondantes, elles restent concentrées sur le Rhin.
76Comment expliquer cet intérêt inédit et de courte durée pour l’approvisionnement de la Gaule civile ? Il faut pour cela le replacer dans un contexte plus large. En effet, durant les dernières années de la vie d’Auguste et le tout début du règne de Tibère, qu’il est malheureusement presque impossible de distinguer archéologiquement, on constate dans plusieurs villes un fort dynamisme dans le processus d’urbanisation, qui concerne autant les “villes nouvelles” que les anciens centres145. Dans la première catégorie, on peut mentionner Amiens. La première occupation est datable de l’augustéen précoce ou moyen mais il semble y avoir une phase de travaux importants vers 15 p.C.146 Une chronologie similaire peut être proposée pour Tongres, fondée à l’horizon d’Oberaden, mais avec implantation d’un bâti structuré “entre la fin du règne d’Auguste et celui de Tibère”, bien reconnu sur le site de la Kielenstraat147. On note un schéma semblable à Troyes sur le site de la place de la Libération, avec une chronologie peut-être légèrement différente : la première occupation est datée vers 20 a.C. mais la trame urbaine n’est pas antérieure à 5/10 p.C. au plus tôt148. À Autun, la fouille du Faubourg d’Arroux, encore largement inédite, a montré que la trame urbaine définitive de la ville n’était implantée qu’aux environs de 10/15 p.C., après une occupation augustéenne plus légère dont le début est mal fixé (dès 15/10 a.C. ? à partir du changement d’ère seulement ?). À Paris, l’analyse du mobilier, appuyée sur des datations dendrochronologiques, permet de dater la mise en place du parcellaire dans les dernières années d’Auguste149.
77Dans les agglomérations déjà existantes à l’époque laténienne ou pré-augustéenne, ces années constituent également une charnière. À Reims, la “deuxième partie du règne d’Auguste” semble un moment important dans le développement de la ville150. À Besançon, on note vers 15 p.C. un changement assez spectaculaire dans les modes de construction et d’occupation du sol, particulièrement visible sur les chantiers du parking de la Mairie et du collège Lumière151. À Lyon, les années 10/20 correspondent à une monumentalisation accrue : construction du pseudo-sanctuaire de Cybèle vers 10, du sanctuaire du Verbe incarné vers 20 et aménagements dans le secteur de l’autel du Confluent, avec notamment la construction de l’amphithéâtre qui semble avoir débuté très tôt dans le règne de Tibère152. L’essor d’Augst semble correspondre au déclin de Bâle à la fin de la période augustéenne153. Le phénomène ne concerne pas seulement les colonies ou les capitales de cité. À Jouars-Pontchartrain, juste en dehors de notre zone d’étude, le “premier réseau d’urbanisme [date] au plus tôt de la fin du règne d’Auguste”154. Les bâtiments publics d’Alésia subissent vraisemblablement des interventions à la même époque155. L’agglomération de Lausanne semble également connaître des remaniements importants à cette période156. À Mandeure, S. Blin a identifié un programme architectonique tardo-augustéen (mais il faut souligner qu’il s’agit d’une datation purement stylistique)157. Le sanctuaire des Bolards à Nuits-Saint-Georges est pétrifié vers 15/20 p.C.158
78Enfin, le phénomène ne semble pas limité à la Gaule septentrionale et orientale. Ainsi, les années 10/15 p.C. voient l’implantation d’une nouvelle trame urbaine à Fréjus159. En Aquitaine, mentionnons seulement Saintes, dont le fameux arc date de 18/19 ; l’étude des membra disjecta a toutefois permis de montrer l’existence de monuments décorés dans les décennies précédentes160. Par ailleurs, en Gaule, la majorité des hommages impériaux concernant Auguste, Tibère ou leurs héritiers peuvent être datés des dernières années d’Auguste ou du début du règne de Tibère161. Si les représentations monumentales de ce dernier y restent relativement rares162, son portrait a été très diffusé dans les provinces rhénanes grâce à des objets de petit format, essentiellement en verre : un châton de bague à Xanten et surtout six phalères en verre à Windisch, Cologne (deux ex.), Xanten, Nimègue et Vechten, alors que le corpus total des phalères s’élève seulement à 25 ex. dont seuls 12 sont localisés163. De toute évidence, l’élément militaire est ici capital. Si on garde à l’esprit que les provinces gauloises ont été les seules, avec l’Italie, à être approvisionnées massivement par des monnaies portant à la fois un portrait clairement identifiable de Tibère et une légende soulignant explicitement sa filiation et ses compétences militaires164, il est permis de penser que ces territoires ont fait l’objet d’une attention particulière, qui les distingue des autres provinces.
79Ce bouillonnement urbanistique et architectural et la reprise des frappes nîmoises et lyonnaises constituent pour nous deux faces d’un même phénomène et signalent une forte implication du pouvoir impérial dans les provinces gauloises. Nous proposons d’y voir les répercussions de la défaite de Teutoburg en 9 p.C. Le choc que constitua la clades Variana est bien attesté par les textes antiques. On connaît le fameux “Quintilius Varus, rends-moi mes légions !” rapporté par Suétone, qui n’est pas l’auteur le plus utile sur les conséquences du désastre ; il précise toutefois qu’Auguste “fit placer des sentinelles dans [tout Rome], afin de prévenir tout désordre et prolongea le commandement des gouverneurs de province, jugeant l’expérience et la pratique nécessaires pour contenir les alliés.165” Velleius Paterculus, pour sa part, insiste principalement sur l’action militaire de Tibère ; le premier mouvement de ce dernier, “envoyé en Germanie”, fut selon lui de “[renforcer] les Gaules”, preuve de l’importance qu’il y avait à assurer ses arrières. L’année suivante, Velleius écrit qu’il eut à “[rétablir] une situation très difficile en Gaule et [apaiser] par des mesures énergiques plus que par des châtiments les dissensions nées parmi les habitants de Vienne”166. C’est Dion Cassius qui offre le compte-rendu le plus long des réactions à la défaite mais le texte présente malheureusement des lacunes167. Il note qu’Auguste nourrissait des craintes pour les provinces germaniques et gauloises. La première peur était évidemment celle de l’invasion, de la Gaule mais surtout de l’Italie. Cependant, le texte de Velleius montre bien que la nouvelle de la défaite fut également l’occasion de troubles en Gaule et jusqu’en Narbonnaise. Sans en surestimer l’ampleur168, il est certain que le pouvoir romain avait quelque raison de nourrir des craintes sur les provinces gauloises.
80Les mesures prises pour stabiliser la situation furent de deux ordres. D’une part, on déclencha une nouvelle série de campagnes sous la direction de Tibère puis de Germanicus, qui durèrent de 10 à 16. Les auteurs insistent beaucoup sur cette dimension militaire et Dion Cassius consacre plusieurs lignes à l’effort de recrutement décidé par Auguste. La sévérité qu’il montra à cette occasion atteste de l’importance qu’il lui accordait. Une des fonctions des nouvelles émissions lyonnaises fut peut-être de financer cet important recrutement169. Néanmoins, il ne s’agissait plus de campagnes de conquête mais uniquement de représailles. En conséquence, Tibère empereur décida de l’abandon de la rive droite et fortifia la totalité du cours du Rhin et non plus le seul Rhin inférieur, dès 14 p.C., comme le montrent les dernières études sur Vindonissa, Oedenburg et Strasbourg170.
81D’autre part, la destruction de trois légions avec ses contingents auxiliaires, comme la pression que le nouvel “effort de guerre” n’a pas manqué de faire peser sur les populations locales171, nécessitaient de renforcer la légitimité du pouvoir romain à gouverner la Gaule et de renouveler la confiance des élites dans le système auquel on cherchait à les faire adhérer. De ce point de vue, la mise en circulation massive, dans la zone civile comme dans la zone militaire, de monnaies portant l’effigie de l’empereur régnant et surtout celle de son successeur désigné, personnellement en charge de la guerre en cours, n’est pas anodine. Le revers des monnaies de Lyon, de son côté, continuait à répandre l’image de l’autel du Confluent et la légende ROM ET AVG, symboles s’il en est de l’adhésion des Trois Gaules à l’ordre romain. Parallèlement, on pourrait avoir encouragé la propagation du culte impérial et le développement des centres urbains, dont la fonction de “vitrines de la romanité” devenait centrale. Rien n’atteste que l’urbanisation et la monumentalisation bénéficièrent systématiquement de financements impériaux. Au contraire, le Santon C. Iulius Rufus et son fils entreprirent la construction de l’arc de Saintes et de l’amphithéâtre de Lyon de sua pecunia, comme le précisent bien les inscriptions172. Toutefois, les monnaies de Lyon II pourraient être l’indice de subsides impériaux. En effet, l’État romain n’avait qu’un nombre limité de possibilités pour mettre son numéraire en circulation. La paye de ses serviteurs civils et militaires était le principal mais on a vu que les Lyon II sont comparativement peu répandus sur le limes et rien ne permet de supposer une augmentation importante des employés civils dans les Trois Gaules, pas plus que des distributions d’argent à la population, qui restent possibles173. Le pouvoir pouvait également “subventionner” des grands travaux, en réglant tout ou partie du salaire des ouvriers. Au vu des éléments analysés plus haut, c’est l’hypothèse que nous privilégions ici174.
82Le caractère impressionniste de nos sources confère un tour tout à fait conjectural à ces propositions. À défaut d’en avoir établi la vérité, nous espérons en avoir montré la vraisemblance. La défaite de Varus, en forçant le pouvoir impérial à une “campagne de promotion” destinée à assurer l’adhésion des populations provinciales, constituerait en tout état de cause une étape essentielle dans la municipalisation des Gaules175. En donnant un visage méditerranéen aux grands centres urbains, en incitant les aristocrates locaux à l’évergétisme, en diffusant pour la première fois à grande échelle un numéraire romain, elle pourrait avoir marqué l’affirmation définitive du modèle civique dans un grand nombre de cités.
Usage des monnaies dans la société gauloise
Le stock monétaire disponible : une situation de pénurie ?
83L’arrêt des frappes indigènes au cours du principat d’Auguste et l’approvisionnement notoirement pauvre en numéraire romain pose la question des espèces en circulation. Les réflexions de J.-B. Giard ont imposé l’idée que la Gaule aurait connu dès la toute fin du ier s. a.C. une pénurie de petite monnaie, palliée par des expédients de toute sorte : utilisation prolongée de monnaies gauloises, fractionnement et imitation des monnaies romaines176. Néanmoins ces affirmations ne se fondent pas sur les contextes archéologiques et il convient d’en vérifier l’exactitude.
84Les données soutiennent l’avis exprimé par D. Nash dès 1978, pour qui le fractionnement des monnaies romaines était principalement dû aux Romains eux-mêmes, tandis que les imitations sont d’abord un phénomène claudien177. En effet, nous avons vu que la présence de numéraire romain en quantité importante était largement conditionnée par la présence de militaires et d’employés civils impériaux, à qui il était destiné en priorité. Il est difficile d’interpréter les différences de fractionnement entre les sites, dont les effectifs varient grandement. Le phénomène va décroissant, puisque les 120 dupondii des années 30 a.C. provenant de contextes augustéens présentent un taux de fractionnement de 67,50 %, contre 38,77 % pour les 828 dupondii de Nîmes I, et 27,26 % des 1669 monnaies de Lyon I178. Quant aux imitations, elles restent à l’époque augustéenne un phénomène marginal, quel que soit la localisation ou le type d’occupation des sites étudiés ; on ne peut donc les considérer comme la réponse à un problème d’approvisionnement.
85Nous avons vu plus haut qu’il fallait fortement nuancer l’idée que les monnaies gauloises retrouvées dans des contextes de l’époque augustéenne étaient largement résiduelles179. De même, si on répartit par périodes de frappe les 1746 monnaies gauloises dont on peut préciser la chronologie et qui viennent de contextes augustéens, on constate que les monnaies de La Tène D2b et postérieures dominent très largement (fig. 75). Même si l’on ne tient pas compte des 909 ex. de Scheers, 217, frappés à époque augustéenne et retrouvés essentiellement sur les camps militaires, les monnaies les plus récentes continuent à être largement majoritaires. Si une prolongation de circulation est envisageable pour les pièces les plus anciennes, il n’y a toutefois pas lieu de supposer un recyclage généralisé du vieux numéraire.
Fig. 75. Répartition des monnaies gauloises retrouvés dans des contextes augustéens, selon leur période de frappe (les types mal datés ont été exclus du calcul).
Proposition de datation | Nombre d’exemplaires |
Chronologie longue | 172 |
Antérieur à La Tène D2b | 142 |
Transition La Tène D2a/D2b | 17 |
La Tène D2b | 268 |
Fin La Tène D2b/augustéen précoce | 140 |
Augustéen | 1007 |
TOTAL | 1746 |
86Rien ne permet à nos yeux de supposer une pénurie monétaire à l’époque augustéenne. Une telle conception suppose que l’introduction des monnaies romaines devait automatiquement faire sortir de la circulation le numéraire indigène, une idée que rien ne soutient. Au contraire, les besoins de la Gaule civile ne semblent pas avoir été pris en compte lors de la mise en circulation du numéraire romain (à l’exception possible des monnaies de Lyon II). Par ailleurs, si les émissions indigènes de grande ampleur cessent après l’augustéen moyen, il faut rappeler à quel point certaines ont pu être massives, continuant à alimenter le stock en circulation pendant de nombreuses années180. De plus, les dépositions dans les sanctuaires ne montrent pas de baisse sous Auguste, au contraire (voir infra). Il faut donc considérer que les quantités de monnaies en circulation répondaient aux besoins de la population.
La monnaie dans les habitats
87C’est pour l’époque augustéenne que les données permettant d’apprécier l’intensité de l’usage monétaire sont les plus nombreuses (fig. 76). Malheureusement, comme au chapitre précédent, les études de répartition spatiale ne sont possibles que dans un petit nombre de cas, pour Waldgirmes et pour deux sites déjà analysés : le secteur central du Titelberg, ainsi que la fouille du parking de la Mairie à Besançon. L’interprétation est compliquée par l’histoire des sites étudiés ici. En effet, des oppida comme Bibracte, Pommiers et le Titelberg entrent en déclin, tandis que de nombreux sites commencent au contraire une phase de croissance. Dans le premier cas, l’activité a tendance à décroître, alors qu’elle est encore balbutiante sur les sites nouveaux. Il faut aussi prendre en compte, après l’abondance qui caractérisait La Tène D2b, l’arrêt progressif des frappes gauloises et l’approvisionnement très modéré en monnaies romaines.
Fig. 76. Tableau des indices pour les contextes étudiés (époque augustéenne).
Chronologie | Site | Nombre monnaies | Surface en ha | Durée d’occupation en années | Indice |
Aug. | Arras. Baudimont II (phase I) | 51 | 0,230 | 30 | 7,39 |
Aug/Tib | Arras. Baudimont II (phase IIa) | 9 | 0,230 | 10 | 3,91 |
Aug/Tib | Augst. Insula 36 (Bauzustand A) | 2 | 0,030 | 25 | 2,67 |
Aug. | Augst. Theater (phase 1) | 1 | 0,002 | 10 | 60,61 |
Aug/Tib | Autun. Faubourg d’Arroux (phase A) | 44 | 0,350 | 55 | 2,29 |
Aug. | Besançon. Parking de la Mairie (phase 3) | 45 | 0,400 | 30 | 3,75 |
Aug tardif. | Besançon. Parking de la Mairie (phase 4) | 22 | 0,400 | 15 | 3,67 |
Aug tardif/Tib | Besançon. Parking de la Mairie (phase 5) | 26 | 0,400 | 5 | 13,00 |
Aug. | Bibracte. PC 1 (horizon 4) | 22 | 0,045 | 37 | 13,30 |
Aug tardif/Tib | Bibracte. PC 1 (horizon 5) | 9 | 0,075 | 23 | 5,22 |
Aug/Tib | Bibracte. PCo 1, secteur A (Bauhorizont 3) | 11 | 0,028 | 50 | 7,86 |
Aug/Tib | Bibracte. PCo 1, secteur B (Bauhorizont 3) | 39 | 0,022 | 50 | 36,11 |
Aug/Tib | Bibracte. PCo 1, secteur C (Bauhorizont 3) | 1 | 0,018 | 50 | 1,09 |
Aug. | Bibracte. Porte du Rebout (phase 6 nord) | 3 | 0,100 | 17 | 1,76 |
Aug. | Bibracte. Porte du Rebout (phase 7 nord) | 20 | 0,100 | 22 | 9,09 |
Aug. | Bibracte. Porte du Rebout (phase 8 nord) | 8 | 0,100 | 22 | 3,64 |
Aug. moyen | Lausanne. Chavannes 11 (horizon 3) | 10 | 0,160 | 15 | 4,17 |
Aug. tardif | Lausanne. Chavannes 11 (horizon 4) | 19 | 0,160 | 20 | 5,94 |
Aug. | Paris. 14 rue Pierre et Marie Curie (état 5) | 8 | 0,111 | 33 | 2,18 |
Aug. précoce | Pommiers. Oppidum (étape 6) | 5 | 0,014 | 30 | 11,66 |
Aug. | Titelberg. Centre de l’oppidum (GR1 et 2) | 266 | 0,220 | 47,5 | 25,45 |
Aug. moyen/tardif | Waldgirmes. Colonie (état 2001) | 226 | 2,828 | 13 | 6,15 |
Aug./Tib. | Zürich. Fortunagasse 28/Rennweg 38 (SP 4) | 3 | 0,020 | 40 | 3,75 |
88Au Titelberg, sur le secteur fouillé au centre de l’oppidum, les découvertes sont moins abondantes qu’à La Tène D2b. La structuration du secteur est beaucoup moins évidente mais on note à nouveau une très forte concentration dans les fossés bordant les voies (fig. 77). Il est malheureusement impossible de dégager une évolution entre les phases GR1 (augustéen précoce) et GR2 (augustéen moyen et tardif). Cette répartition en bord de voie se retrouve sur le site de Waldgirmes, pour lequel la situation est cependant particulière, puisqu’il semble avoir été détruit par ses occupants avant d’être abandonné ; les monnaies des fossés sont pour la plupart “in den oberen 30 cm der Zerstörungsschicht”181.
89Au parking de la Mairie à Besançon, les phases 3 et 4 sont dans la lignée de la phase 2 (La Tène D2b), bien que moins riches en monnaies, mais l’indice connaît un pic à la phase 5, qui voit la pétrification du quartier et l’implantation d’un grand bâtiment dont la vocation semble publique182. La répartition des monnaies à la phase 3 est très similaire à celle de la phase 1, organisée autour des deux groupes de maisons nord et sud183. Le secteur continue à avoir également une vocation artisanale (métallurgie).
90À Bibracte, trois secteurs différents sont étudiables. À la Porte du Rebout, l’indice plus élevé que l’on relève à la phase 7 du secteur nord doit être mis en rapport avec l’installation d’un habitat à vocation artisanale. Sur les fouilles allemandes de la Pâture du Couvent (PCo1), le secteur B reste le plus riche en monnaies. Situé en bordure de voie, il semble combiner à la fin de l’occupation fonction d’habitat et fonction commerciale. Le secteur A, où l’on trouve uniquement de l’habitat, a un indice moins élevé, tandis que le secteur C, uniquement artisanal, a un indice quasi-nul. Enfin, sur la domus de la PC1, on peut invoquer plusieurs explications pour la baisse de l’indice et, en premier lieu, le déplacement de l’essentiel des activités sur le site d’Autun. Mais nous ne pensons pas que cela soit le motif principal : rappelons que c’est à ce moment précis que l’on construit la domus à proprement parler. L’extension de la surface bâtie en dur ne favorise pas la préservation d’un mobilier abondant ; par ailleurs, nous avons affaire aux dernières phases du bâtiment, plus exposées aux pillages et aux récupérations antiques et postérieures.
91Les données des autres sites ne s’inscrivent pas réellement dans une série, ce qui accroît la difficulté. À Lausanne/Chavannes 11 toutefois, on constate une augmentation régulière de l’indice depuis la phase 1, qui débute vers 40 a.C., jusqu’à la phase 4. À Arras, l’indice est plus important entre 20 a.C. et 10 p.C. qu’entre 10 et 20 p.C. ; les fouilleurs supposent une occupation militaire à la première phase mais le chantier n’a pas été publié de manière exhaustive. Enfin, à Augst, les fouilles du théâtre sont très riches en monnaies mais l’exiguïté de la fenêtre empêche toute interprétation satisfaisante des vestiges. La première phase de l’insula 36 dans la même ville est un habitat de statut moyen, avec des traces d’activités artisanales.
92Sans prétendre en faite une règle universelle, il semble que la présence d’une activité commerciale ou artisanale dans ou à proximité de la zone d’habitat entraîne un usage plus important de numéraire. Contrairement aux périodes précédentes, il est difficile de lier statut de l’occupation et richesse en monnaies. En restant très prudent, on pourrait avancer qu’après une intensification de l’usage à La Tène D2b, on observerait à l’époque augustéenne une “démocratisation”, c’est-à-dire un élargissement du nombre d’utilisateurs. L’intensité de l’usage monétaire est plus élevée dans les camps militaires (fig. 78), avec toutefois des variations sensibles qui tiennent aussi à la taphonomie : les sols des sites à occupation courte ont souvent disparu et le mobilier retrouvé dépend de la profondeur de conservation des structures en creux. Cet usage plus systématique des monnaies ne semble avoir d’incidence que sur les agglomérations limitrophes, puisque le numéraire romain ne pénètre pas de manière significative dans la zone civile. Pour l’époque augustéenne, on manque toutefois de données sur les canabae, dont l’installation est souvent légèrement postérieure184.
Fig. 78. Tableau des indices pour les camps militaires étudiés (époque augustéenne).
Chronologie | Site | Nombre monnaies | Surface en ha | Durée | Indice |
Aug. moyen | Oberaden. Camp | 147 | 4,485 | 4 | 8,19 |
Aug. moyen | Rödgen. Camp | 32 | 1,2393 | 5 | 5,16 |
Aug. moyen | Vindonissa. Breite 1996-1998 (2. HBP) | 7 | 0,240 | 10 | 2,92 |
Aug. moyen | Vindonissa. Dorfschulhaus (1. HBP) | 1 | 0,012 | 15 | 5,56 |
Aug. tardif | Vindonissa. Breite 1996-1998 (3. HBP) | 10 | 0,240 | 10 | 4,17 |
Aug. tardif | Vindonissa. Dorfschulhaus (2. HBP) | 2 | 0,012 | 15 | 11,11 |
Aug. tardif | Vindonissa. Dorfschulhaus (3. HBP) | 2 | 0,012 | 5 | 33,33 |
Aug. tardif | Vindonissa. Feuerwehrmagazin (Bauphase 1b) | 4 | 0,017 | 10 | 23,53 |
Aug. tardif | Vindonissa. Zentralgebaüde 2004 (BP 1) | 1 | 0,168 | 15 | 0,40 |
Les monnaies en contextes cultuels et funéraires
93On se situe ici très clairement dans le prolongement de La Tène D2b. Les nécropoles qui livrent des monnaies sont un peu plus nombreuses mais le développement est indépendant d’une hypothétique propagation du rite de “l’obole à Charon”. On retrouve trois nécropoles du pays trévire, où la déposition de monnaies est implantée de longue date : Lamadelaine au Titelberg, le Sampont et Hoppstädten-Weiersbach. Au Titelberg, on trouve à l’augustéen précoce un bronze gaulois dans une tombe féminine riche185, pour 13 sépultures à cette phase, soit 7,69 %. À Hoppstädten-Weiersbach, il s’agit d’un as de Lyon dans une incinération vraisemblablement masculine186 ; la phase compte 11 tombes, ce qui donne un pourcentage de 9,09 % pour la représentation du phénomène. Au Sampont, on trouve à nouveau deux as augustéens dans deux incinérations187, pour neuf tombes datées des phases GR1-GR2, ce qui donne une représentation plus importante, à 22,22 %. À Wederath, les dépositions se font plus importantes sous Auguste, mais il est difficile de dater précisément le phénomène à la phase GR1 (30 à 15 a.C.) ou à la phase GR2 (15 a.C. à 15 p.C.), voire au début de la phase R1 (15 à 40 p.C.). Nous utilisons ici la sélection d’ensembles et le phasage effectués par J. Kaurin pour sa thèse de doctorat188. Or dans ce travail, de nombreuses tombes attribuées aux phases GR1 ou GR2 sur la base du mobilier céramique et métallique doivent être rajeunies sur la base des monnaies, qui fournissent souvent un terminus post quem plus récent, soit à cause du type identifié, soit à cause de la présence d’une contremarque. On est donc en droit de se demander si les marqueurs céramiques et métalliques des phases GR1, GR2 et R1 en pays trévire oriental ne doivent pas faire l’objet d’une révision et d’un affinage. Pour le sujet qui nous concerne ici, on notera simplement que, si on suit le phasage de J. Kaurin sans le modifier, sur les 170 tombes qu’elle a sélectionnées, 31 ont livré une ou plusieurs monnaies. Sans commenter longuement cette proportion de 18,23 %, on se contentera de noter qu’elle est assez proche de celle observée au Sampont.
94Des dépositions concernent des tombes importantes et isolées. Il s’agit du tumulus de Namur, inhumation d’un individu mâle jeune avec un bronze Scheers, 217189, et de la tombe féminine de Dury, où la défunte a été enterrée avec un ensemble d’objets très proches de ceux qui caractérisent les tombes féminines d’Acy-Romance, dont quatre monnaies gauloises et un as de Nîmes190. Ces deux cas sont donc à interpréter, selon nous, dans la continuité des exemples protohistoriques. À Autun, dans la nécropole de Pont-l’Evêque, on a retrouvé un denier dans un épandage d’ossements, situé à l’intérieur d’un enclos funéraire qui regroupe la majorité des tombes augusto-tibériennes191. Pour Épiais-Rhus, le nombre total de tombes n’est pas connu, nous sommes donc dans l’impossibilité de dire si le phénomène de déposition monétaire était courant, bien que cela ne paraisse pas être le cas192. Ces deux derniers sites sont situés dans des régions où la pratique ne semble pas attestée antérieurement ; comme on le voit, ces exemples restent néanmoins isolés. Ainsi, à l’époque augustéenne, la déposition monétaire en contexte funéraire reste un phénomène très limité. Le statut du défunt en est vraisemblablement un des critères majeurs, peut-être également le sexe puisqu’on trouve plusieurs dépositions dans des tombes féminines riches.
95Dans les sanctuaires, la meilleure synthèse reste celle de S. Izri, sur laquelle nous fonderons nos observations193. L’importance des dépositions monétaires de La Tène D2b n’est pas remise en cause et S. Izri souligne “l’intensification et la diversification des pratiques rituelles” à La Tène D2b et l’époque augustéenne ; on observe cependant un certain nombre de modifications dans les rites. Comme les dépôts isolés (fig. 63 et 73), les dépositions primaires en fosse semblent disparaître, tandis qu’apparaît le “truffage” des sols, c’est-à-dire la déposition de numéraire, avec ou sans contenant, dans la couche superficielle du sol de sanctuaire. Le phénomène est attesté pour deux monnaies ou plus mais doit être restitué également pour des monnaies isolées194. Ces dernières ne sont donc peut-être pas toutes à attribuer au rite de jactatio, qui semble débuter à La Tène D2 et devient un mode de déposition majeur dès La Tène D2b sur de nombreux sites. L’apparition de dépôts de monnaies courantes, dont celui de La Villeneuve-au-Châtelot constituerait en quelque sorte le modèle, nous semble peut-être à nuancer195. En effet, depuis la publication de l’ensemble des monnaies du site, il n’est pas interdit d’y voir le regroupement d’offrandes dispersées. On y opposera avec raison le caractère systématique des mutilations ; cependant, celui-ci prouve le caractère centralisé de l’opération de burinage mais pas forcément une déposition massive en un épisode unique196. Au-delà de la diversité des pratiques, l’époque augustéenne semble caractérisée par une individualisation beaucoup plus marquée des pratiques rituelles : fin ou du moins baisse des dépositions collectives, affirmation de la jactatio et du “truffage”197. D. Wigg-Wolf a noté un phénomène similaire dans les mutilations du Martberg, entre La Tène D2b et l’époque tibérienne198.
96Plus qu’une éventuelle romanisation des pratiques (réelle mais dont S. Izri souligne qu’il faut l’aborder avec prudence et surtout en l’inscrivant dans une chronologie longue), c’est d’abord le caractère individuel des gestes qu’il faut selon nous retenir comme l’évolution majeure. Sans sous-estimer les facteurs pratiques, comme l’accès à un numéraire abondant, nous n’hésitons pas à la mettre en relation avec l’affirmation progressive du cadre civique étudiée plus haut. Si ce dernier contribue indubitablement à mieux circonscrire les communautés gauloises, dont le territoire devient figé, il suppose également, pour citer à nouveau les mots de M. Dondin-Payre, que “dans chaque cité, quel que soit son statut, les hommes libres [soient] enregistrés officiellement, quelle que soit leur condition civique individuelle199.” Il n’est pas question d’identifier un lien causal entre les deux phénomènes, d’abord pour des raisons chronologiques (puisque l’individualisation des rituels semble précéder la municipalisation), mais il s’agit de deux manifestations contemporaines de changements sociaux amorcés dans la seconde moitié du ier s. a.C.
97Il faut faire un sort particulier aux sanctuaires et autres sites dont les dépôts sont constitués majoritairement de monnaies romaines : en premier lieu La Villeneuve-au-Châtelot déjà citée et l’ensemble du puisard de Bourbonne-les-Bains, malheureusement de découverte ancienne, auxquels on peut ajouter les monnaies du gué de Condé-sur-Aisne et, hors de notre zone d’étude, les deux dépôts de Port-Haliguen (I et II, trouvés sur la même parcelle), avec ceux de Saint-Léonard et de la Vilaine à Rennes200. Seule La Villeneuve-au-Châtelot est un sanctuaire au sens strict, c’est-à-dire avec des structures en creux ou bâties matérialisant l’espace consacré. Le site est utilisé depuis La Tène moyenne sans interruption et le nombre de monnaies gauloises datables de La Tène D2b (environ la moitié du numéraire indigène) montre que les dépositions augustéennes sont dans la continuité de pratiques antérieures. Mais les monnaies nîmoises et lyonnaises sont particulièrement abondantes, notamment si on les compare aux bronzes RPC, 508 et RPC, 509, en principe beaucoup plus fréquents dans la zone civile. Leur déposition à l’époque augustéenne ne fait pas débat : d’une part, une bonne partie des monnaies a été trouvée groupée, dans un dépôt dont étaient exclus les bronzes Lyon II, pourtant courants201 ; d’autre part, l’étude de la répartition spatiale des découvertes par carré de fouille isole assez nettement les monnaies de Nîmes et de Lyon I des monnaies postérieures, qui tendent à se concentrer à l’intérieur de l’espace fossoyé, alors que les premières sont davantage présentes sur les bordures de la zone fouillée (fig. 79). La plupart des monnaies ont été mutilées, comme pour le dépôt de Port-Haliguen I. On donnait à l’origine une interprétation politique à ces déformations, maintenant abandonnée. Il semble plutôt qu’elles avaient pour but de consacrer définitivement les monnaies burinées ; leur enfouissement va dans le même sens.
98Les ensembles de Condé-sur-Aisne, Saint-Léonard et la Vilaine sont des dépôts aquatiques, vraisemblablement des monnaies jetées par les voyageurs au passage du gué. Ils couvrent donc un arc chronologique large mais leur composition permet de dire que la déposition avait certainement commencé avant ou à partir d’Auguste. Quant à Bourbonne-les-Bains, les monnaies ont été trouvées au xixe s. dans un puisard ; le contexte archéologique est donc inexistant, mais à nouveau la composition du dépôt est très clairement centrée sur l’époque augustéenne.
99Comment expliquer cette présence massive de numéraire lyonnais et nîmois, presque totalement absent dans les sites alentours ? Nous sommes hostile au recours systématique à l’hypothèse militaire pour expliquer toute manifestation inexpliquée de “romanité”, mais il faut bien reconnaître qu’il s’agit ici de la meilleure solution disponible. Comme nous l’avons vu plus haut, les monnaies de Nîmes I et de Lyon I n’ont pas été diffusées directement dans la zone civile ; au contraire, les découvertes sont concentrées sur le limes. Quand elle est connue, la nature des sites que nous venons de mentionner (sanctuaire, gués) ne justifie pas un approvisionnement monétaire particulier. Il faut donc supposer que les monnaies sont arrivées avec leurs utilisateurs, c’est-à-dire des militaires ou des civils au service de l’État. La présence de contremarques, un peu plus importante que sur les autres sites civils, soutient l’hypothèse militaire202. E. Sauer interprète d’ailleurs Bourbonne-les-Bains comme une station thermale destinée au repos des militaires rhénans, mais il faut préciser que sa proposition repose principalement sur le faciès monétaire du site. L’absence de contexte archéologique précis pour la plupart des dépôts interdit toute certitude. Si toutefois la solution militaire était la bonne, elle montrerait que même dans le domaine cultuel, les numéraires indigène et romain gardaient des utilisateurs différents – une publication précise et complète du sanctuaire de La Villeneuve-au-Châtelot fait ici cruellement défaut. Cette possible séparation reste difficile à interpréter, mais nous y verrions volontiers une simple question de disponibilité des monnaies romaines, plutôt qu’un quelconque “interdit culturel” que rien ne vient réellement soutenir.
Conclusion du chapitre
100Nous avons souligné à de nombreuses reprises combien la documentation numismatique reflétait le rôle charnière du principat augustéen en Gaule, dont on a depuis très longtemps reconnu l’importance. Il faut retenir deux évolutions principales, selon nous indépendantes mais qui ont entraîné une modification radicale du stock monétaire : d’une part la mise en circulation de quantités très importantes de numéraire romain, d’autre part la fin des frappes indigènes.
101La Gaule civile ne faisait pas partie des destinataires de ces monnaies romaines, émises pour la plupart dans les ateliers de Nîmes et de Lyon. Au contraire, Rome se souciait uniquement d’assurer la solde de ses employés et surtout des soldats de ses huit légions rhénanes. En cela, le pouvoir romain variait peu par rapport à la période précédente. Ses interventions dans la vie locale étaient limitées au minimum nécessaire pour asseoir son pouvoir et assurer paix et stabilité aux nouvelles provinces. La municipalisation était nécessaire, parce que le cadre de la cité définissait les obligations de chaque communauté envers Rome ; mais à moins qu’on ne le lui demandât, celle-ci n’intervenait pas dans les questions administratives. De même, les seules questions économiques auxquelles s’intéressait le pouvoir romain concernaient l’exploitation des territoires conquis, dont il tirait les ressources nécessaires à l’entretien de ses agents. Quant à l’armée, même si elle “gardait un œil” sur les Trois Gaules, elle se concentrait sur les tâches proprement militaires de conquête et de pacification de la Germanie. Cette politique laissait une large autonomie aux élites gauloises déjà en place. Les quelques données disponibles confirment la continuité du pouvoir dans ce domaine. La municipalisation, loin de bouleverser les équilibres existants, tend à les figer. Tout laisse d’ailleurs à penser que les notables gaulois en avaient bien conscience et manifestaient une grande loyauté envers le pouvoir impérial, qui en avait partiellement organisé le cadre en fondant des autels à Rome et Auguste à Lyon et à Cologne.
102D’autre part, comme nous l’avons vu, rien ne permet d’imputer l’arrêt des émissions indigènes à une décision romaine, nouvelle illustration de cette “neutralité” envers les affaires internes des communautés indigènes. Au contraire, il faut plutôt y voir un effet secondaire de la nouvelle organisation civique : en modifiant les relations de pouvoir à l’intérieur de la communauté (que les détenteurs du pouvoir ne changent pas n’implique pas qu’ils continuent à l’exercer de la même manière), la cité rendait obsolètes, pour les aristocrates gaulois qui en étaient responsables, les émissions monétaires, comme moyen d’asseoir leur domination. Il n’existait pas en Gaule une tradition ancienne de monnayage civique, ce qui explique la rapidité de la disparition des frappes indigènes.
103Nous avons tenté de modéliser la circulation des biens à l’augustéen moyen, en mettant l’accent sur la circulation monétaire (fig. 80). Notre proposition reprend en l’enrichissant un modèle proposé en 1999 par D. Wigg-Wolf pour une partie de la zone d’étude et que nous avons préféré à d’autres modèles qui en dérivaient203. Nous avons essayé de rendre compte de l’existence de deux sphères de circulation dont l’interpénétration est restée très faible tout au long de la période augustéenne. D’un côté, le numéraire romain touchait principalement la zone rhénane militarisée ; de l’autre, la Gaule civile utilisait principalement le monnayage indigène qui restait très abondant. Les monnaies gauloises qu’on retrouve à profusion sur les camps militaires sont d’un type particulier et leur circulation fut d’ailleurs relativement brève : si on fait abstraction des bronzes Scheers, 217, la part de numéraire indigène dans les camps est très limitée. Par ailleurs, la modélisation est compliquée par les difficultés d’identification des autorités émettrices indigènes, que l’on sait plurielles.
104Le cycle des monnaies romaines est assez clair. La caisse provinciale, sous l’autorité du procurateur financier des Trois Gaules, reçoit périodiquement du numéraire du ou des ateliers concernés. Ce numéraire sert presque exclusivement à payer le salaire des soldats et autres employés civils. Ces derniers le dépensent auprès des marchands qui peuplent les abords des camps (ou les villes). Eux-mêmes peuvent en faire passer une petite partie dans les zones plus éloignées mais les découvertes archéologiques montrent qu’il ne s’agit que d’une part minime du stock. Comment ces monnaies reviennent-elles dans la caisse provinciale ? Vraisemblablement par le biais des impôts réglés par les civitates, dont rien n’indique cependant qu’ils devaient être réglés exclusivement en numéraire, ni en numéraire romain. Les flux sont ici très difficiles à quantifier. Le cycle des monnaies gauloises est un peu différent, à cause de la multiplicité des émetteurs et de l’absence de centralisation financière. Les différents émetteurs mettent le numéraire en circulation (salaires ? distributions ?), principalement dans les zones civiles, bien qu’une partie des monnaies ait pu arriver directement dans les camps (bronzes Scheers, 217). La circulation de ces monnaies semble principalement locale, ce dont on ne s’étonnera pas étant donnée la diversité des autorités émettrices et de la métrologie. Comme à La Tène D2b, on se retrouve donc avec deux sphères de circulation bien distinctes, monnaies gauloises d’un côté, romaines de l’autre. C’est là une illustration très nette de la manière dont le pouvoir romain s’impliquait dans la vie économique des provinces : seulement lorsque cela le concernait directement. Par conséquent, s’il prenait à cœur de payer ses serviteurs, l’état de la circulation monétaire lui importait peu tant qu’elle n’était pas en crise.
105Par ailleurs, il est normal que la création et la dynamisation des marchés dues à l’installation d’une armée permanente n’aient pas entraîné un afflux massif de monnaies romaines vers la zone civile. Comme nous l’avons vu, la région du Rhin ne possède pas à cette époque les infrastructures adéquates pour nourrir les milliers de soldats qui y sont cantonnés. Il fallait donc importer les marchandises nécessaires, soit dans le cadre d’un approvisionnement public, soit dans le cadre du marché libre. Quelle qu’ait été la part de ce dernier, on peut penser qu’il s’agit d’un commerce important, qui a très certainement entraîné des déplacements de capitaux vers les régions productrices mais pas la dissémination rapide de monnaies depuis les camps204. Ce dernier phénomène serait compréhensible dans le cadre d’un petit commerce avec de nombreux intermédiaires, dont il nous semble peu vraisemblable qu’il ait joué un rôle important dans l’approvisionnement des armées. Comme le montre la présence d’activités artisanales dans les canabae, pour le petit commerce, c’étaient certainement les artisans qui se déplaçaient plutôt que les marchandises205.
106L’intensité de l’usage monétaire variait selon les contextes. Dans les camps, il était forcément élevé, puisque les soldats n’avaient pas d’autre choix que de passer par le marché. Les agglomérations civiles installées aux alentours présentaient un cas similaire ; leur situation dépendait aussi du développement des infrastructures productives, notamment agricoles, de la région. En Gaule civile, il faut très certainement distinguer villes et campagnes. Cela étant, la situation des différents centres urbains devait aussi changer selon le degré d’intégration des habitants avec les campagnes alentour ; en cas de lien fort, un certain nombre de personnes pouvait se passer du marché. À l’inverse, la présence importante de monnaies dans les différents sanctuaires, sans que ces derniers soient forcément liés à des agglomérations, montre une bonne pénétration du numéraire dans le monde rural, malgré la rareté des découvertes sur les sites d’habitat. Il n’en reste pas moins que le degré d’utilisation devait décroître à mesure que l’on s’éloignait des camps et des villes.
107Les dernières années du principat d’Auguste voient la mise en circulation de la deuxième série de monnaies à l’autel de Lyon (dites Lyon II), qu’il faut peut-être considérer, selon notre hypothèse, comme une des mesures prises en réaction au désastre de Varus. La situation que l’on observe durant cette courte période confirme et nuance l’analyse que nous venons de mener. D’une part, la diffusion de ces pièces montre que, contrairement aux autres frappes augustéennes, elles furent mises en circulation prioritairement dans la zone civile, probablement à partir des centres urbains. Cette rupture illustre bien le désintérêt qu’avait jusqu’alors le pouvoir romain pour l’approvisionnement en numéraire des régions non militarisées – désintérêt qui semble réapparaître dès Tibère. D’autre part, le choix iconographique (reprise du motif de l’autel de Lyon, droits majoritairement à l’effigie de Tibère) montre l’importance idéologique que le pouvoir accordait aux monnaies. La diffusion de cette série tardive permet d’éclairer les choix précédents (monnaies “au crocodile”, première série à l’autel de Lyon) : bien que ces pièces aient été destinées en premier lieu aux militaires (leur distribution ne laisse aucun doute à ce sujet), leur iconographie renvoie à une double réalité, impériale au droit et locale au revers, tandis que les monnaies contemporaines de Rome insistent au revers sur le rôle du Sénat et des magistratures républicaines et que le droit est également dévolu à l’empereur206. Par ailleurs, les zones de circulation de ces différents types sont bien distinctes : les monnaies de Nîmes et Lyon sont très rares en Italie et, inversement, les monnaies de Rome au nom des Monétaires ne seront courantes sur le Rhin qu’à partir de Tibère.
108Tout cela montre que si Rome n’avait qu’un souci modéré de la gestion du stock monétaire, elle accordait au contraire une grande importance à l’impact que pouvait avoir l’image monétaire, tant dans les camps que dans les régions démilitarisées. Même si les monnaies nîmoises et lyonnaises servaient principalement à des militaires italiens, leurs revers faisaient référence à la situation gauloise. Le caractère exclusif des aires de circulation est également frappant : le rôle des Alpes comme barrière est bien entendu déterminant. Mais les responsables des frappes et de la mise en circulation en avaient-il conscience lors de la conception des types monétaires ? Les monnaies frappées à Rome illustrent le partage du pouvoir entre le prince et les institutions héritées de la République ; cela se justifie par le thème de la Res publica restituta, qui impliquait un cadrage sur l’Italie, centre de l’empire et surtout siège de la communauté civique. Étendre ce thème iconographique aux monnayages frappés en Gaule aurait sûrement été déplacé (d’autant plus que les ateliers concernés ne semblent pas avoir été placés sous les mêmes autorités que celui de Rome). Pour autant, il est impossible de considérer les types monétaires de Nîmes et Lyon comme des pis-aller : le choix dut au contraire être très discuté, afin de coller au plus près à la situation gauloise, de même que les types de Rome s’inscrivaient pleinement dans l’action politique d’Auguste.
109L’archéologie montre de réelles différences entre les districts de Germanie et le reste des provinces gauloises, qui traduisent à n’en pas douter un vécu différent pour les populations concernées. Il faut cependant garder à l’esprit que la politique militaire menée sur le Rhin est indissociable de l’organisation en provinces et de la municipalisation de l’espace gaulois. Ensemble, elles forment le fil qui relie les différents phénomènes étudiés dans ce chapitre, qui pourraient sembler indépendants au premier abord mais qui ne sont que les diverses facettes d’une histoire commune. Le pouvoir impérial ne se désintéressait pas de la zone civile ; simplement, son attention portait en priorité sur les régions “à risque” et pendant la majeure partie du principat augustéen, la Gaule interne n’en fit pas partie.
Notes de bas de page
1 Voir par ex. Hanut 2000 ; 2004a.
2 Parmi les publications récentes, Barral & Fichtl, éd. 2012 fait le point sur La Tène finale et la transition vers l’époque augustéenne, avec en particulier la publication la plus complète à ce jour des contextes lyonnais du pseudo-
sanctuaire de Cybèle par A. Desbat (Desbat 2012 qu’on pourra compléter par id. 2005). Sur la chronologie des premières productions de sigillée italique, voir désormais Rivet 2014.
3 Voir supra, p. 27-29. On remarque d’ailleurs que F. Hanut, dans les articles cités, retombe sur le découpage chronologique des “horizons militaires”, avec quelques aménagements à la marge.
4 Sur ce dernier point, voir Schnurbein 2013.
5 Dans les Actes de la SFECAG, on trouvera plusieurs articles faisant le point sur différentes régions et qui illustrent la difficulté d’arriver à un découpage fin de l’augustéen en Gaule interne. Voir également Delor 2006 ; Delor Ahü & Mouton-Venault 2011.
6 Nous avons choisi de suivre Ettlinger et al. 1990, parfois complété par diverses publications postérieures.
7 Sur cette réforme, Kunisz 1976 reste important, à compléter par Wolters 1999. Sur sa genèse, Amandry 1986 ; 2008. Dans les publications récentes, voir en particulier Suspène 2009a ; 2009c.
8 Ces émissions augustéennes sont appelées “monnaies des Monétaires” (l’expression est plus usitée en anglais et en allemand qu’en français). On les trouve répertoriées dans le RIC, sous les numéros 323-336 et 341-349 (série I) 370-389 (série II) et 426-442 (série IV) ; les séries III (RIC, 420-425) et V (RIC, 443-468), composées uniquement de quadrantes, ne sont presque pas présentes en Gaule. Leur chronologie fait débat : de nombreux chercheurs considèrent que celle proposée dans le RIC et reprise de K. Kraft, largement adoptée depuis, n’est pourtant pas la plus vraisemblable : voir le résumé des débats dans RIC, 31-34, le long appendice de Kunisz 1976, 122-153, ainsi que Suspène 2009a. Si la question est en elle-même d’importance, elle reste annexe pour l’étude de la circulation monétaire en Gaule, où la plupart de ses monnaies arrivent très longtemps après leur émission.
9 Sur ce sujet, on pourra compléter les pages correspondantes du RIC et du RPC par Doyen 2007, 44-62 ; Amandry 2008 ; Besombes 2008 ; Suspène 2012.
10 Types RPC, 518 (Narbonne), 533 (Toulouse), 517 (Vienne) et 514-515 (Lyon). Nous ne prenons en compte ici que les frappes qui ont eu un impact important sur la circulation monétaire de la zone étudiée. Le type RPC, 533, autrefois attribué à Orange, a été rendu à Toulouse par Geneviève 2008 ; 2011.
11 Un consensus illustré par le fait qu’elles ne sont répertoriées que dans le RPC et pas dans le RIC.
12 Les frappes à l’autel de Lyon sont présentes seulement dans le RIC, contrairement à celles de Nîmes qui figurent à la fois dans le RPC (n° 522 à 525) et dans le RIC (n° 154 à 161). R. Wolters (2000-2001) est à notre connaissance le seul chercheur à mettre sérieusement en doute le caractère impérial de l’atelier de Lyon. Il propose notamment de déconnecter les frappes en métaux précieux (impériales) de celles en alliage cuivreux (locales). Mais les spécialistes de l’atelier lyonnais ont noté depuis longtemps que les mêmes graveurs de coins ont travaillé sur l’or, l’argent et le bronze, ce qui plaide fortement pour un atelier unique (voir Doyen 2007 pour un rappel des différents travaux, en particulier 52-53).
13 Bien mise en évidence pour Nimègue/Hunerberg (contexte B-069-01) dans Kemmers 2006 et que l’on retrouve sur un nombre non négligeable de sites, notamment sur les camps du Petrisberg (B-075-01), de Dangstetten (B-032-01) et d’Holsterhausen (G-011-01), sur les oppida de Sermuz (B-087-01) et du Titelberg (dans les contextes qui couvre la fin de La Tène D2b et le règne d’Auguste : B-094-02, -03, -05,-08 et -09), ainsi que dans les niveaux anciens de la colonie de Lyon (en particulier L-024-09 et -10). Voir supra, p. 150-155.
14 Suspène 2012, sur les frappes au crocodile de Nîmes, adopte une position nuancée, montrant l’implication selon lui indubitable des autorités locales, aussi bien que la marque évidente d’une intervention impériale.
15 Doyen 2007, 62-93 ; voir aussi Beliën 2009a.
16 Bayley 1998 a émis l’hypothèse, pour la Bretagne insulaire, d’une restriction de l’usage du laiton, qui aurait été réservé à des usages “officiels” (en particulier monnaies et équipement militaire). Mais l’interdiction, si elle a existé, semble être entrée en vigueur à la fin du ier s. p.C., moment où l’on voit disparaître les fibules en laiton. En Gaule, cet alliage apparaît avec les monnaies de Vercingétorix (Nieto 2004) et est utilisé pour quelques frappes gauloises postérieures à la conquête, notamment dans l’Ouest (Sarthre 2000).
17 Aarts & Roymans 2009.
18 Les toutes premières frappes (classe I) semblent prendre place dans les années 30/20 a.C. (Scheers 1996) ; le camp de Nimègue/Hunerberg livre les exemplaires stratifiés les plus anciens (contexte B-069-01, avec deux ex. de la classe I et un de la classe II. L’exemplaire d’Alésia issu des prospections récentes sur le siège nous semble intrusif : contexte L-001-11).
19 Sur un total de 614 monnaies romaines et 573 monnaies gauloises dont les sources permettent de préciser le type de structure de découverte. Ces totaux ne concernent que l’époque augustéenne.
20 En témoignent diverses contributions dans Metzler & Wigg-Wolf, éd. 2005. Les travaux de L.-P. Delestrée ont contribué de façon importante à l’imposer, bien qu’ils concernent principalement le Belgium.
21 On considère généralement que la légende fait référence à C. Carrinas en tant que gouverneur en 31/30 a.C. Mais certains pensent que la série est contemporaine des Scheers, 162/I à légende A. HIRTIVS : Metzler & Gaeng 2009, 518-519. De fait, les contextes archéologiques ne permettent pas de trancher réellement.
22 Roymans 2004, 67-101.
23 Guihard 2012, en particulier 131-148.
24 Comme nous l’a confirmé E. Hiriart, dont les recherches portent sur la circulation monétaire dans la vallée de la Garonne. Il s’agit des types à légende CONTOVTOS (LT, 4316), ANNICOIOS (LT, 4326), LVCCIOS (LT, 4340), VRIDO RVF (LT, 4335) et ATECTORI (LT, 4349).
25 Gruel et al. 2009 ; Troubady 2011, 196 fig. 222 et 201 fig. 226.
26 Respectivement Deberge et al. 2007 ; Feugère & Py 2011a ; Genechesi 2012.
27 Sur un total de 168 potins et 459 bronzes frappés dont les sources permettent de préciser le type de structure de découverte. Ces totaux ne concernent que l’époque augustéenne.
28 Nous ne rentrons pas ici dans les aspects techniques ; voir la bibliographie fournie par les travaux cités à la note suivante.
29 L’AFC est employée régulièrement en archéologie, moins en numismatique (à l’exception des analyses de composition). Pour une présentation générale appliquée à l’archéologie, on pourra consulter Cool & Baxter 1999 ; 2002. Pour une présentation des applications numismatiques : Lockyear 2007a ; 2007b ; 2012. Pour des applications à la Gaule : Gruel 2005a ; Gruel et al. 2009.
30 Voir principalement la monographie consacré au sujet : García-Bellido 2004.
31 Contexte L-028-17. Poux 1999 ; Poux & Robin 2000 ; Martin 2011a. Une fouille récente, qui a mis au jour des niveaux La Tène D2b/augustéen précoce, ne contredit pas la datation avancée ici : Busson 2013.
32 Garnsey & Saller 1994, 40-68 (avec une vision peut-être trop “minimaliste”) ; Bowman 1996. Sur les gouverneurs, leurs fonctions et l’administration qui les accompagnait, voir maintenant Bérenger 2014.
33 Sur le voyage de 27, D.C. 53.12 et 53.22 ; ce dernier passage est à mettre en relation avec Liv., Perioch., 134. Sur le voyage de 16-13, D.C. 54.22. Str. 4.1.1 attribue la division de la Gaule à Auguste mais sans en préciser la date. Sur les capitales de province et les sièges des procurateurs financiers, voir Haensch 1997, 65-76 (Germanie inférieure), 130-138 (Trois Gaules) et 149-153 (Germanie supérieure).
34 Parmi les synthèses récentes sur l’organisation des Gaules, outre celle de M.-T. Rapsaet-Charlier dans Lepelley, éd. 1998, on pourra consulter Ferdière 2005, 93-95 et 133-166 ; Goudineau 2007, 324-381.
35 D.C. 54.21. Sur cet épisode, voir infra.
36 Str. 4.3.2 ; Liv., Perioch., 137 ; CIL, XIII, 1668.
37 Tac., Ann., 1.31.2.
38 Voir en dernier lieu Eck 2011. Par ailleurs, le découpage des provinces tel que nous le connaissons semble remonter au début du règne de Tibère. Sous Auguste, les régions qui formèrent plus tard la province de Germanie supérieure paraissent avoir été rattachées à la Lyonnaise, comme l’ont montré Wightman 1977 ; Goudineau 2007, 472-493.
39 Szramkiewicz 1975 ; 1976 ; Thomasson 1984. Plus généralement, Hurlet 2012 ; Bérenger 2014.
40 Bérenger 2012.
41 Pflaum 1974, 9-45, pour l’évolution générale. Pour cet auteur, l’Aquitaine avait été rattachée à la Narbonnaise de Tibère jusqu’à Domitien ; il se fondait pour cela sur les inscriptions CIL, X, 3871 et CIL, XI, 6011, dont la lecture et la chronologie ont depuis été revues. Pour la première, voir Demougin 1992, n° 424 ; pour la seconde, ibid., n° 234, qui ne tient cependant pas compte de la nouvelle lecture proposée en 1985 (AE 1985, 375), dans laquelle l’Aquitaine disparaît au profit de la Pannonie. La création de la circonscription financière de Belgique est déduite des carrières de P. Graecinius Laco et Cornelius Tacitus (respectivement, Demougin 1992, n° 429 et 531), dont il faut toutefois noter qu’elles nous sont parvenues par des sources littéraires et non par un cursus épigraphique. Le procurateur financier de Belgique et des Germanies siège à Trèves ; celui de Lyonnaise et d’Aquitaine à Lyon : Haensch 1997, 74-76 et 135.
42 Sur la fiscalité en Gaule, nous suivons l’exposé général dans Ferdière 2005, 156-159, que nous complétons par les travaux de J. France (1993 ; 2000 ; 2001a ; 2001b ; 2001c ; 2003a ; 2003b ; 2006 ; 2007 ; 2009), dont certains concernent spécifiquement la Gaule et d’autres sont plus généraux.
43 France 2009, 142.
44 France 2003a.
45 Principale source : D.C. 54.21. Sur ce personnage : France 1993, 925-926 ; 2001c, 372-373 (avec bibliographie antérieure) ; Repertorium, n° 157.
46 France 2000, n° 35 (CIL, XIII, 5092) et 36 (CIL, XI, 707 = D. 2705) du catalogue, et p. 202. On a proposé une datation augustéenne pour l’inscription d’Avenches : France 2000, 376 ; Lieb & Bridel 2009 ; Pury-Gysel 2011, 76. Sans être impossible, il s’agirait d’un exemple très précoce pour la région.
47 France 2000, n° 11 du catalogue (CIL, VI, 5197) et p. 201-209.
48 AE 1984, 664 = AE 2004, 969 = IKöln² 267. Voir en dernier lieu Eck & Hesberg 2003.
49 Eck 2011.
50 CIL, XIII, 8266 et 8376.
51 France 2001c, 365-366 et n. 32-34.
52 Duncan-Jones 1990, 188-197.
53 Herz 1992.
54 Reddé 2011b.
55 Tac., Ann., 1.47.1 : ille [= per Germaniam exercitus] Galliarum opibus subnixus. Subnixus signifie “appuyé sur” au propre comme au figuré.
56 Ibid., 2.5.3 : fessas Gallias ministrandis equis.
57 Ibid. 1.71.2 : “D’autre part, pour réparer les pertes de l’armée, on vit rivaliser les Gaules, les Espagnes, l’Italie, chacune offrant ce qu’elle avait, des armes, des chevaux, de l’or.”
58 Tac., Ag., 19.4-5, ainsi que 31.2.
59 Il ne s’agit toutefois que d’un scénario envisageable parmi d’autres, comme nous l’a fait remarquer J. France, qui propose d’envisager, par ex., un tributum soli pesant sur les propriétaires fonciers et un tributum capitis pesant sur la masse de leurs dépendants.
60 Reddé 2011b, 505-508, discutant de Drinkwater 1983, 28-30 et Herz 1992. Voir également infra, p. 323-324.
61 On peut supposer que César aurait mentionné un système financier complexe chez ces peuples barbares. À l’inverse, il ne les dépeint jamais comme “arriérés”. Voir supra, p. 84-90.
62 CIL, XIII, 7247 = CSIR-D, 2/6, 40 : Capito / Arri l(ibertus) / argentarius / natione Pan/nonius anno(rum) / natus XXXV / hic situs est / Diomedes Arri / ser(vus) posuit. Voir aussi Andreau 1987, 289.
63 CIL, XIII 8104 = CSIR-D, 3/2, 2 : Sullae Senni f(ilio) / Remo argentar/io [… Voir aussi Andreau 1987, 290.
64 Andreau 1987, 320 tab. 31, avec ajout de AE 2002, 936.
65 Faut-il le rapprocher d’Arrius Varus, qui était en 69 p.C. primipile de la IIIe légion Gallica à Poetovio en Pannonie (Tac., Hist., 3.6.1) ? Auquel cas l’inscription se révèlerait trop tardive pour notre discussion mais constituerait un témoignage intéressant (bien qu’indirect) de l’implication de chevaliers romains dans les provinces.
66 Andreau 1987 (652 et 668 pour les citations) ; Andreau 2001, 65-99.
67 Rossignol 2009, 84-88. Nous employons ici le terme de “fonctionnaires”, bien qu’il ne soit pas adapté à la réalité romaine, pour désigner l’ensemble des personnes au service de l’État romain.
68 Voir différentes contributions dans Hanoune, éd. 2007.
69 Duncan-Jones 1994, 33-46. Le calcul prend en compte les troupes auxiliaires.
70 Sur la première question, Speidel 2009, 349-380 ; 2014. Sur la seconde, Rossignol 2014.
71 Wolters 2000-2001, 580. Plusieurs contributions récentes ont proposé de réévaluer le degré de développement de la vie financière dans le monde romain, qui aurait été beaucoup plus sophistiqué qu’on ne le pense habituellement : bibliographie et discussion dans Andreau 2010, 145-167, qui met en garde contre une modernisation excessive. Par ailleurs, la discussion concerne principalement les transactions privées.
72 Wolters 2000-2001, 580-581, à compléter par la contribution de P. Herz dans Erdkamp, éd. 2007, 306-322 (avec bibliographie), ainsi que Speidel 2009, 349-380 (passim).
73 Wolters 2000-2001, 84-585.
74 Suspène 2012.
75 Wolters 2000-2001, 580-581.
76 Ibid., 581, à comparer par ex. à Roth 1999, 211-212, pour qui 500 kg semble une charge normale.
77 Wolters 2006 fait le point sur les transports de fonds sous la République et le Haut-Empire. Cet article fait partie d’un dossier publié dans la RBN 152, qui constitue le meilleur recueil disponible sur les transports de monnaies depuis la Grèce antique jusqu’à l’époque contemporaine.
78 Espagne : Cadiou 2008, 502-524. Jugurtha : Sal., Jug., 36.1 et 86.1 (ce dernier passage est particulièrement explicite : “Après ce discours, Marius, voulant profiter de l’enthousiasme de la plèbe, se hâte de faire embarquer les vivres, la solde et tout le matériel (propere commeatu, stipendio, armis aliisque utilibus navis onerat) ; il donne ordre à son lieutenant A. Manlius de partir avec le convoi”) ; Jérusalem : J., BJ, 5.348-355.
79 Bompaire 2006 ; Meissonnier 2010.
80 Voir en particulier les travaux de G. Raepsaet (2002 ; 2008).
81 Wolters 2000-2001, 587 ; 2006, 44-49.
82 Voir à ce sujet Cosme 2014. À partir des papyrus de Doura, l’auteur y montre qu’au iiie s., chaque garnison envoyait un détachement (jusqu’à 30 hommes) auprès du procurateur afin de récupérer les fonds nécessaires au versement de chaque stipendium, estimés sur la base du stipendium précédent. Il s’agit selon lui de la procédure normale sous le Haut-Empire.
83 Voir en dernier lieu Wigg-Wolf 2007, avec bibliographie antérieure.
84 Une explication proposée d’abord pour certaines monnaies contremarquées, comme le rappelle R. Wolters (2000-2001, 585). Les mêmes questions se posent à leur sujet mais le problème est atténué par un nombre d’exemplaires beaucoup moins important.
85 Wolters 2000-2001, 586, citant Kaenel 1999, 370-375 (voir également Kaenel 2008, 237-240).
86 Pour Pompéi, voir sur ce point Allison 2004, 179-198. Les travaux récents montrent de plus en plus qu’une partie de la cité campanienne était abandonné ou faisait l’objet d’une occupation légère.
87 Buttrey 1972. Voir par ex. les contextes TJ et D du Capitolium de Cosa, datés entre 100 et 75 a.C. (trois demi-as : Buttrey 1980 ; Scott 2008), le contexte CM I/E de la zone au sud du forum de Luni, daté entre 100 et 50 a.C. (une fraction d’as : Frova, éd. 1977) et la phase 3 de l’atelier de Jesi, daté entre 100 et 40 a.C. (deux demi-as : Brecciaroli Taborelli, éd. 1996-1997).
88 Tac., Ann., 4.5.4.
89 Saddington 1982 ; Keppie 1998, 154-156.
90 L’octroi de la citoyenneté à la fin du service est attesté dès Auguste pour les auxiliaires et les marins (voir Speidel & Lieb, éd. 2007 pour les premiers ; Reddé 1986 pour les seconds), mais on considère généralement que la pratique ne devint systématique qu’avec Claude (voir références à la note précédente).
91 Speidel 2009, 349-380.
92 Les lignes qui suivent constituent dans une large mesure une version resserrée de l’argumentation développée dans Martin 2014. Nous nous permettons d’y renvoyer pour les détails de la démonstration.
93 Caes., Civ., 3.59 ; B. Afr., 8.5 et 9.1.
94 Suet., Aug., 49.3 : quidquid […] ubique militum esset, ad certam stipendiorum praemiorumque formulam adstrinxit.
95 D.C. 54.25. Le discours de Mécène (ibid. 52.27) est difficilement utilisable, car on sait ce qu’il doit au contexte de sa rédaction.
96 Tac., Ann., 2.9.3, 2.52.1, 13.55.1 et peut-être 4.73.8. Str. 4.5.3, à propos de la Bretagne, est d’interprétation plus difficile.
97 Saddington 1982, 27-45 (citation p. 45).
98 Reddé 1986, 492-502.
99 Tac., Ann., 1.56.1 et (moins assuré) 3.41.3.
100 Cadiou 2008, 502-524 pour le versement de la solde à l’époque républicaine. Pour l’époque impériale, voir l’épisode fameux du siège de Jérusalem déjà cité supra à la note 78.
101 Sur ce point, voir notamment Wierschowski 1984 ; Erdkamp, éd. 2002 ; Tchernia 2011, 133-155.
102 Selon la formule d’Andreau 2010, 194. On aura reconnu ici le débat entre les auteurs cités (ainsi que E. Lo Cascio ou B. Liou) et J. Remesal Rodríguez, dont les travaux portent principalement sur l’importation de l’huile de Bétique en Germanie. Outre sa monographie de 1986, on retrouvera les thèses de ce dernier dans Remesal Rodríguez 1999 ; 2002a ; 2002b. Le dernier article cité répond à Wierschowski 2001, qui constitue la réfutation la plus développée de Remesal Rodríguez 1986, suivie par Tchernia 2011, 323-334. Selon les chercheurs que nous suivons ici, le blé était fourni par l’État mais pas le vin ni l’huile, dont l’importation et la commercialisation étaient laissées à des négociants privés. La présence massive d’amphores vinaires et oléaires sur les sites rhénans serait donc la trace d’un commerce florissant dû à l’ouverture du marché militaire. Pour J. Remesal Rodríguez, au contraire, les amphores de Bétique démontrent l’existence d’un approvisionnement étatique pour l’huile, mais pas pour le vin, qui aurait été exclu du système annonaire parce que la vigne constituait la principale source de revenus de l’élite italienne et qu’Auguste n’aurait pas osé y toucher (Remesal Rodríguez 1999, 252-253) ; un des avantages de ce système, qui obligeait les soldats à accepter l’approvisionnement de l’État, aurait été de réduire encore davantage la part de numéraire nécessaire pour régler la solde : Remesal Rodríguez 1990. Mais le débat concerne principalement des périodes postérieures à celles étudiées ici.
103 Voir par ex. plusieurs contributions dans Rivet & Saulnier, éd. 2009, sur le thème “Sites militaires, sites civils : échange, influences et contrastes entre Strasbourg et Windisch.” La citation est d’A. Desbat, à la p. 283 du volume cité.
104 Le Roux 2012 rappelle toutefois que “l’existence du territorium était une simple nécessité pratique et les limites ou fines n’étaient pas des frontières symbolisant l’indépendance de la cité. En quelque sorte, l’existence des citoyens précède l’existence de la cité et justifie qu’elle prenne corps. Elle ne possède pas un territoire et n’agit que par l’intermédiaire des citoyens” (p. 33).
105 Sur la cité et son importance dans l’organisation de l’empire, la synthèse la plus commode est Mann 2009 (avec son appendice historiographique, Dondin-Payre 2009), avec Dondin-Payre 2012, 55-56. Parmi les autres contributions sur la municipalisation, on citera Jacques 1990 ; Lintott 1993, 129‑153 ; Garnsey & Saller 1994, 49‑68 ; Le Roux 1998, 245‑317 ; Inglebert, éd. 2005, 63‑75 ; Jacques & Scheid 2010, 219‑272 ; Le Roux 2012. Sur le “quotidien municipal”, on dispose maintenant de nombreuses publications issues du programme de recherche initié par M. Cébeillac-Gervasoni. Pour la Gaule, on trouvera la majorité de la bibliographie dans Ferdière 2005 ; rappelons seulement le volume fondamental de Dondin-Payre & Raepsaet-Charlier, éd. 1999.
106 Contrairement à ce qu’écrit Dondin-Payre 2012, 55, toutes les cités de Gaule ne sont pas libres ou fédérées.
107 Hypothèse présentée dans Hostein 2010 ; 2012, 379-419. Outre le fait que ni Pline l’ancien ni Strabon ne leur attribuent ce statut, les deux arguments archéologiques invoqués ne semblent pas assez solides, comme l’a noté pour le premier d’entre eux M. Reddé (2011c, 948). D’une part, l’identification du bâtiment à plan basilical de la Pâture du Couvent à Bibracte fait débat et il ne faut peut-être pas y voir un bâtiment public (Marc 2011, avec bibliographie antérieure ; nous n’avons pas pu consulter Szabó 2012). D’autre part, la présence d’une enceinte à Autun, qui ferait que “la cité des Éduens serait, sous Auguste, la seule cité fédérée de tout l’Empire entourée d’une enceinte coloniale” (Hostein 2010, 65), n’est pas un argument définitif selon V. Barrière (dont la thèse de doctorat portait sur Les portes de l’enceinte antique d’Autun et leurs modèles (Gaule, Italie, provinces occidentales de l’Empire romain). Nous n’avons pu la consulter et nous le remercions d’autant plus d’avoir bien voulu nous éclairer sur le sujet). Par ailleurs, R. Neiss propose de dater l’enceinte romaine (non pétrifiée) de Reims (autre capitale d’une cité fédérée) de l’époque augustéenne, une datation qu’il déduit de l’adéquation entre la trame urbaine et le tracé de l’enceinte mais qui ne repose toutefois pas sur du mobilier archéologique stratifié (Neiss et al. 2007 ; Neiss 2010 ; Chossenot et al. 2010, 66-67). Sans nier le caractère particulier de la cité, il y a peut-être un effet des sources qui font apparaître Autun et le dossier des Éduens comme plus exceptionnels et isolés qu’ils ne le sont. Sur le plan archéologique, il faudrait en tout cas reprendre le problème de façon systématique, au moins à l’échelle de la Gaule toute entière.
108 Voir Fichtl 2004 (occurrences de civitas aux p. 165-166) ; Fichtl 2012a (occurrences de civitas aux p. 254-255).
109 Reddé 2011c, 948.
110 Lafon et al. 2011, 21-25 (citations p. 24).
111 Sur l’urbanisation, outre Lafon et al. 2011, on pourra voir Inglebert, éd. 2005, 67-76 et surtout la contribution de P. Gros aux p. 155-232. Sur la Gaule en particulier : Lafon 2006 ; Hanoune, éd. 2007 ; différentes contributions dans le premier volume de Reddé et al., éd. 2011. Le volume récent édité par A. Bouet et consacré au forum permet de faire le lien entre les questions de municipalisation et d’urbanisme (Bouet, éd. 2012).
112 Contribution de M. Poux dans Desbat, éd. 2005, 7-25. Pour Nyon, voir toutefois les derniers travaux parus, qui montrent la présence d’une occupation à La Tène D2b, sans qu’il faille automatiquement l’identifier à la colonie césarienne : Brunetti & Henny 2012.
113 Lafon 2009.
114 En dernier lieu, Kremer 2006, 159-167, qui s’appuie largement sur Chastagnol 1995, 181‑190 ; Dondin-Payre 1999 ; 2001.
115 CIL, XIII, 1036 = ILASantons 7.
116 Drinkwater 1978.
117 Comme le notait déjà Goudineau 2007, 375-376. Pour les différentes attestations, Dondin-Payre 1999 ; Lamoine 2009.
118 CIL, XIII, 1036 et 1042-1045 = ILASantons 7 et 18. Les personnages sont étudiés dans Burnand 2006 aux notices 17 et 18.
119 Metzler & Wigg-Wolf, éd. 2005 ; Howgego et al., éd. 2005.
120 Weiss 2005, 68. En 1976, A. Kunisz pensait pour sa part que le pouvoir impérial augustéen avait en quelque sorte “délégué” l’approvisionnement en numéraire divisionnaire aux ateliers locaux (Kunisz 1976, 33-36). Si l’on considère son opinion comme fondée (car elle pose notamment le problème du degré d’intervention de l’État), les considérations économiques qu’elle introduit sont tout à fait compatibles avec la volonté de “propagande” notée par P. Weiss.
121 Howgego 2005 ; Burnett 2005.
122 C’est l’hypothèse développée dans Woolf 1996 (nous remercions C. Howgego de nous avoir signalé cet article), qui est néanmoins à nuancer sérieusement, notamment pour les périodes précoces, car G. Woolf s’appuie en priorité sur des sources de l’Antiquité tardive. D’une part, les quelques généalogies d’aristocrates dont nous disposons, déjà mentionnées plus haut, ne rechignent pas à remonter aux ancêtres d’époque césarienne ou pré-césarienne. D’autre part, la (re)construction de muri gallici jusqu’à l’époque tibérienne est attestée dans au moins dux villes (Alésia et Vertault). Au début du ier s. p.C., le pouvoir des aristocrates comme l’expression de la communauté s’ancraient donc explicitement dans le passé laténien.
123 van Heesch 2005. Pas de proposition dans ce domaine dans Delestrée 1999 (republié à l’identique en 2005) ; voir aussi Wigg 1999. Une solution analogue à celle de J. van Heesch est adoptée par J. Alexandropoulos pour l’Afrique : Alexandropoulos 2000, 347-349 ; 2005 (212 : “le processus de romanisation des émissions montre une tendance à l’identification au modèle romain dont l’aboutissement est évidemment l’utilisation par les notables africains de la même monnaie que les habitants de Rome.”)
124 Voir supra, p. 117-119.
125 Guihard 2012, 131-157, types BAE-9a et BL/M-16a. Le cas des monnaies, vraisemblablement tibériennes, aux types RPC, 537, 538 et 5431, reste très problématique. Au revers du dernier type cité, on trouve la légende T A, pour laquelle les auteurs du RPC avancent prudemment un nouveau développement : T(reverorum) A(ugusta). Ce dernier est accepté sans réserve par D. Gricourt, qui place un atelier monétaire officiel “belgo-romain” dans cette ville (Gricourt et al. 2009, 558-559). Il convient d’être prudent car ces monnaies sont très rares. Le lien entre RPC, 537 et 538 est prouvé par des liaisons de coins, mais c’est uniquement sur des arguments stylistiques et iconographiques qu’on en rapproche le RPC, 5431. Or l’attribution géographique repose sur la découverte d’un unique exemplaire du RPC, 538 aux environs de Trèves. L’édifice est donc très fragile. Si toutefois le raisonnement de D. Gricourt est juste, on ne se trouve plus en face de frappes provinciales. S’il est erroné, il reste à déterminer leur statut exact (impérial ou provincial) et leur origine géographique, qu’on ne peut tenir pour assurée en l’état.
126 Respectivement RPC, 518 et 522 ; le rapprochement est fait par Scheers 2005, 78-79.
127 Si la lecture de la légende est correcte, ce qui semble être le cas ; le cliché publié (Guihard 2012, 374 n° 125) est peu lisible mais l’auteur est catégorique sur la lecture.
128 L’hypothèse de L. Lamoine, qui restitue dans toute la Gaule un magistrat monétaire (l’arcantodan) uniquement attesté par quelques légendes monétaires, ne nous semble pas probante (Lamoine 2009, 198-225).
129 Nous rejoignons en cela Woolf 2002, en nuançant, comme pour Woolf 1996 cité plus haut, sa vision “discontinuiste” : si les pratiques changent bien, il y a pour nous une forte continuité dans les familles qui exercent le pouvoir entre La Tène D2 et l’époque romaine.
130 Barrandon 2011, 25-27.
131 Bien que la perspective soit un peu différente, on trouvera un résumé commode, accompagné de la bibliographie jusqu’en 2006, dans Barrandon 2011, 57-66. Dans les travaux antérieurs, voir en particulier García-Bellido 1998.
132 Nous nous fondons pour les données numismatiques sur Alexandropoulos 2000 et le RPC. Sur l’Afrique républicaine, on dispose désormais de la thèse de B. Pasa (2011) ; pour la période impériale, nous nous en sommes tenu aux pages de C. Lepelley dans le volume qu’il dirigea (Lepelley, éd. 1998, en particulier 74-86).
133 Sauf dans de rares cas, comme à Zilil : RPC, 866.
134 Creighton 2000.
135 Historiographie et état de la recherche dans Leins 2012.
136 Mann 2009 ; Dondin-Payre 2009.
137 Nîmes III : RPC, 525. Lyon II : Auguste, RIC, 231-246 (= Giard 1983, n° 99-115 et Amandry et al. 2003, n° 111α). On considère que la reprise est concomitante dans les deux ateliers. La datation est fondée sur les acclamations impératoriales de Tibère, mentionnées par les frappes lyonnaises (de la cinquième à la septième) mais dont la chronologie précise fait débat (à un an près) : Kienast 1996, 78. Les différences de composition métallique avec les émissions antérieures vont dans le sens d’un arrêt des frappes pendant quelques années à Lyon (voir notamment Klein et al. 1012). Sur les Lyon II et leur datation, voir van Heesch 2000.
138 Selon P.-A. Besombes, une partie des Nîmes III serait à dater du début du règne de Tibère (Besombes & Barrandon 2001, 308-312). Toutefois, les arguments avancés n’emportent pas la conviction et nous ne le suivrons pas sur ce point.
139 Le type le plus courant est le RIC, 245, daté de 13-14. Les émissions contemporaines de Rome introduisent également le portrait de Tibère (RIC, 469-470), précisément en 10-11 p.C.
140 Auguste, RIC, 221-226 (= Giard 1983, n° 87-92 et Amandry et al. 2003, n° 88α). Pour l’ensemble de ces types, J.-B. Giard recense un total de 27 coins de droit et 25 coins de revers (les différents types, en or comme en argent, sont liés par des coins de droit et de revers ; un coin de droit est également commun avec une monnaie de type RIC, 220 = Giard 1983, n° 94, à légende PONTIF MAXIM).
141 Comme l’a bien montré van Heesch 2000.
142 Soit 10 ans au plus après la frappe, et certainement moins si on se rappelle que la grande majorité des trouvailles est constituée des RIC, 245/246, datés de 13-14.
143 Les contextes concernés sont : B-003-03 (Amiens) ; B-004-06 (Arras) ; B-016-02 (Bois-l’Abbé) ; B-019-01 (Braives) ; B-077-22 (Reims) ; B-102-09 (Vindonissa) ; B-107-01 (Zurzach, deux ex.) ; L-028-15 (Paris).
144 Contextes antérieurs au changement d’ère : B-014-05 (Besançon) ; B-016-01 (Bois-l’Abbé) ; B-060-04 (Mayence, deux ex.) ; B-091-01 (Speyer) ; B-094-09 (Titelberg, trois ex.) ; L-024-05 (Lyon). Tous les contextes antérieurs à 9/10 p.C. sont militaires ou proches du Rhin (Bad Nauheim, Cologne, Haltern, Holsterhausen, Kalriese, Marktbreit, Oberwinterthur, Vindonissa, Waldgirmes), à l’exception de Lyon (L-024-07 et -18, 14 ex. en tout) et Trèves (B-097-01, trois ex.) (on note également un ex. à Arras/Baudimont II – contexte B-004-03 – mais il s’agit selon les fouilleurs d’un contexte militaire). Les ensembles antérieurs à 15/20 p.C. sont plus nombreux et répartis plus largement dans la zone d’étude : B-006-09 et -27 (Augst, deux ex.) ; B-010-32 (Bâle) ; B-014-06, -07 et -12 (Besançon, quatre ex.) ; B-016-02 (Bois-l’Abbé, deux ex.) ; B-019-01 (Braives, deux ex.) ; B-030-01 (Dalheim, deux ex.) ; B-055-01 (Liberchies) ; B-077-07 et -22 (Reims, deux ex.) ; B-102-09, -20 et -26 (Vindonissa, trois ex.) ; B-107-01 (Zurzach, deux ex.) ; G-006-01 (Francfort, 11 ex.) ; G-015-01 (Porta Westfalica) ; L-017-01 (Fesques) ; L-024-08 (Lyon, trois ex.).
145 Comme le note rapidement Barral 2011, 211.
146 Bayard 2007. On possède des dates dendrochronologiques vers 10 a.C. pour le franchissement de la Somme sur le chantier de la ZAC Cathédrale ; des occupations antérieures ou contemporaines sont connues à la rue Haute des Champs et au square Jules Bocquet (faciès céramique pré-Oberaden).
147 Vanderhoeven 2007.
148 Delor Ahü & Roms 2007.
149 Busson 2007 ; Robin & Marquis 2007.
150 Neiss et al. 2007 ; Neiss 2010 ; Chossenot et al. 2010 (par ex., p. 70 : “Nous pouvons donc considérer que nous disposons d’un repère chronologique acceptable daté dans la deuxième partie du règne d’Auguste, pour ce qui présente toutes les caractéristiques apparentes d’une nouvelle fondation urbaine”). Voir toutefois Berthelot et al. 2013 : le plan en damier comme l’enceinte dite “augustéenne” semblent mise en place dans le dernier quart du ier s. a.C.
151 Barral et al. 2011.
152 Le Mer & Chomer 2007, en particulier 185‑187 ; Desbat 2012.
153 Deschler-Erb 2011a ; 2011b.
154 Blin 2007 (citation 192).
155 Grapin 2011, en particulier 188-189.
156 Berti Rossi & May Castella 2005.
157 Blin 2011.
158 Pommeret, éd. 2001, phase II.
159 Rivet 2000, 361-362 et 474-475.
160 Tardy 1989 ; 1994 ; Maurin 2007, 63-64.
161 Rosso 2006 ; 2009. On peut y ajouter l’inscription de Narbonne CIL, XII, 4333 = AE 1980, 609, datée de 12/13 p.C. et adressée au numen Augusti. Mais dans la majorité des cas, une datation aussi précise est impossible. Sur les représentations de Tibère, voir maintenant Hertel 2013 (cf. note suivante).
162 Dix selon Hertel 2013, alors que Rosso 2006 en répértorie 13. Si on suit les conclusions de D. Hertel, qui le date de 12, seul le pilier de Nimègue (AE 2000, 1010) est antérieur à l’avènement de Tibère.
163 Hertel 2013, cat. 163 (châton de Xanten), 167b (phalère, époque augustéenne) et 167i, m, o, q et u (phalères, époque tibérienne précoce). Les six autres phalères dont on connaît la provenance viennent d’Italie (trois ex. dont deux de Rome), de Burnum en Dalmatie, d’Istanbul et du Levant (peut-être de Syrie).
164 Il existe naturellement des frappes au nom et parfois à l’effigie de Tibère César ailleurs dans l’empire, y compris des émissions où il apparaît seul (la liste en est donnée dans le RPC : Burnett et al. 1992, 733, s. v. Tiberius, à compléter par Burnett et al. 1998 n° S-1420a (= S-5475) et S-5474) : la plupart sont localisées en Espagne et en Afrique (respectivement huit types) et sont moins courantes dans la partie orientale de l’empire (quatre types pour l’Achaïe et la Macédoine, deux en Asie mineure, auxquels il faut ajouter une dizaine de types pour la Crète, l’Achaïe, la Bythinie-Pont et la Syrie, dont la datation ou l’identification sont plus problématiques). Dans presque tous les cas, il s’agit vraisemblablement d’émissions assez faibles, dont moins de 25 ex. nous sont parvenus ; seuls le RPC, 215 (Tarragone) avec 76 ex. connus, le RPC, 1565 (Thessalonique) avec 56 ex. et le RPC, 2467 (Smyrne) avec 52 ex., se distinguent réellement. Celles qu’on arrive à dater sont presque toutes postérieures à 4 p.C., date du retour en grâce de Tibère. Mais aucune ne présente un portrait clairement identifiable de ce dernier, à l’exception des types RPC, 747 et 748 (Carthage) et 789 et 791 (Lepti Minus), qui sont également parmi les rares précisément datés par la titulature. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces quatre types datent de 10 ou 13 p.C. : mais à nouveau, ce sont vraisemblablement des émissions peu importantes (deux à trois ex. connus, sauf pour le RPC, 748, connu à 22 exemplaires), sans commune mesure avec les RIC, 469-471 frappés à Rome à la même époque, encore moins avec les monnaies lyonnaises.
165 Suet., Aug., 24. Le passage correspondant dans la vie de Tibère n’apporte pas grand-chose à notre propos : id., Tib., 17-19.
166 Vell. 2.120-121 (première citation en 2.120.1 : Mittitur ad Germaniam, Gallias confirmat ; seconde citation en 2.121.1 : cum res Galliarum maximae molis accensasque plebis Viennensium dissensiones coercitione magis quam poena mollisset).
167 D.C. 56.23-24.
168 Les recherches à Waldgirmes ont été l’occasion de réévaluer l’impact qu’a pu avoir le désastre de Varus. En effet, le site n’a pas livré de traces d’abandon précipité. Les archéologues responsables de la fouille, A. Becker et G. Rasbach, pensent que le retentissement fut surtout important sur le Rhin inférieur, où avaient lieu les combats (comm. pers.). Les changements qu’on peut observer ailleurs, loin d’être dictés par la panique, semblent au contraire avoir été raisonnés.
169 Comme nous l’a suggéré M. Reddé.
170 Hagendorn 2003 ; Reddé, éd. 2009 ; Martin 2013a ; Reddé à paraître. Faut-il attribuer le redécoupage des provinces de Belgique et de Lyonnaise, proposé par C. Goudineau (2007, 472-493), au même mouvement de réorganisation ? Certains chercheurs proposent une chronologie similaire pour la partition de l’Illyrie en deux provinces (Dzino 2010, 160).
171 Herz 1992 ; voir également supra, p. 210-211.
172 Saintes : CIL, XIII, 1036 = ILASantons 7. Lyon : AE 1959, 81 = ILTG, 217. Voir toutefois les remarques de Sánchez 2004, qui argumente en faveur d’une forte pression de Rome sur les notables locaux.
173 Il est tentant de faire le lien entre le congiaire attesté à Rome en 13 p.C., distribué par Auguste au nom de Tibère (Suet., Tib., 20.3), et les émissions de Lyon aux types RIC, 219-226 (or et argent) et 245-246 (bronze), datés par leur légende de 13/14 p.C. Les monnaies lyonnaises sont trop rares en Italie pour y avoir été massivement distribuées ; peut-on faire l’hypothèse d’un congiaire en Gaule ? Mais le bénéficiaire des congiaires est le peuple romain, or la citoyenneté romaine était vraisemblablement encore rare en Gaule à la fin du règne d’Auguste. À moins de supposer une distribution de numéraire aux rares citoyens, nécessairement membres des élites locales, qui auraient eux-mêmes redistribué ces pièces au reste de la population, en salaires ou en dons ? Sur les congiaires : Berchem 1939.
174 Sur le sujet, voir également van Heesch 2000, qui reste toutefois concentré sur la sphère militaire.
175 L’exemple d’Agricola en Bretagne montre bien l’importance que l’adhésion des élites indigènes revêtait pour Rome : Tac., Ag., 21.
176 Giard 1975. Dans les publications récentes, voir par ex. Delmaire 1996. L.-P. Delestrée mentionne régulièrement des “flans (ou as) non empreints” (par ex. Delestrée 1999, 38) mais il s’agit d’as républicains usés mal identifiés, comme le montrent très clairement les pièces illustrées dans Delestrée & Fournier 1978, 123 fig. 21.
177 Nash 1978a, 25-26. Nous ne pensons pas, toutefois, qu’il faille considérer les imitations comme des monnayages civiques.
178 Nous n’avons pas pris en compte ici les as républicains, dont beaucoup ont dû arriver en Gaule déjà fractionnés, ni les monnaies d’Octave frappées en Italie ou dans la péninsule Ibérique.
179 Supra, p. 182-196.
180 Pour prendre un exemple contemporain, il était encore courant, juste avant le passage à l’euro, de trouver en circulation des pièces de 1 franc frappées en 1960, quarante ans plus tôt, à plus de 400 millions d’exemplaires.
181 Becker & Rasbach 2001, 598-601, en particulier 600 fig. 3 (citation p. 601).
182 Guilhot & Goy, éd. 1992, 69 fig. 32.
183 Nous ne voyons pas de changement radical comme Guilhot & Goy, éd. 1992, 69.
184 Martin 2009b, 153-154.
185 Contexte B-094-13.
186 Contexte B-083-01 et -02.
187 Contexte B-048-01.
188 Kaurin 2009 (le livre qui en est issu n’avait pas encore paru lorsque ce manuscrit a été achevé : Kaurin 2015).
189 Contexte B-067-01.
190 Contexte B-036-01. Ce rapprochement était fait dans une publication dont nous avons malheureusement perdu la référence. L’opinion de J.-M. Doyen (2012, 102-104), pour qui il s’agit d’une tombe mérovingienne, ne peut être retenue. On trouve un autre exemple de tombe isolée, associée à un établissement rural et ayant livré une monnaie, à Conchil-le-Temple (Lemaire & Rossignol 1996 ; non enregistré dans notre corpus à cause du manque de précision chronologique).
191 Contexte L-002-04.
192 Contexte L-016-08.
193 Izri 2011, avec bibliographie antérieure.
194 Il a été observé à Baâlons-Bouvellemont, en cours d’étude par J.-M. Doyen (comm. pers.).
195 Zehnacker 1984 (publication du dépôt) ; Piette & Depeyrot 2008 (publication de l’ensemble des monnaies du site).
196 Izri 2011, 648, interprète d’ailleurs les mutilations “comme une pratique de régulation des actes individuels dans les sanctuaires”.
197 Izri 2011 note bien cette individualisation, notamment p. 649, mais ne s’y attarde pas assez à notre sens.
198 Wigg-Wolf 2005a ; 2005b.
199 Dondin-Payre 2012, 55.
200 Respectivement : Piette & Depeyrot 2008 ; Sauer 2005 ; Giard 1968 et 1969 ; Giard 1967 et Goulpeau 1985 ; Besombes 2003-2004 ; Besombes & Morin 2005-2006.
201 Il s’agit du dépôt étudié dans Zehnacker 1984.
202 Outre les publications d’origine, on consultera Werz 2009 pour les identifications, et Doyen 2007, 92-97, pour les comparaisons.
203 Wigg 1999. Ce modèle a notamment inspiré J. Heinrichs et J. Aarts : voir Aarts 2003. Les différents modèles proposés dans Harl 1996 concernent des périodes plus tardives.
204 Les tablettes de Vindolanda sont interprétées en ce sens par C. R. Whittaker (2002).
205 Voir par ex., pour les décennies postérieures, le cas de l’atelier de métallurgie d’Oedenburg au sortir du camp (Reddé, éd. 2011), ou des productions céramiques de Vindonissa (intervention de C. Schucany dans Rivet & Saulnier, éd. 2009, 283).
206 Voir Suspène 2009a (Rome) ; 2012 (Nîmes).
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