Cn. Pompeius Magnus Cunctator ? La stratégie de Pompée face à César en 48 et le paradigme stratégique de la cunctatio chez Plutarque et chez Appien
p. 307-326
Texte intégral
1La défaite de Pompée face à César dans la plaine thessalienne de Pharsale a soulevé de nombreuses interrogations à travers les siècles. Comment le vainqueur de Mithridate, le conquérant de l’Orient, Pompée le Grand a-t-il pu être ainsi vaincu ? Ses trophées et ses victoires ont ébloui ses contemporains et expliquent leur incompréhension devant sa défaite. Certes, les qualités militaires d’un César qui sut habilement tresser ses propres lauriers fournissent une première explication objective, mais celle-ci ne saurait suffire tant étaient grands le renom et la gloire de Pompée, imperator victorieux sur terre et sur mer de si nombreux ennemis de Rome1. Notre principale source reste César lui-même et la reconstitution des faits est facilitée par cet exceptionnel témoignage de première main. Il ne faut cependant pas oublier que le Bellum ciuile reste un ouvrage de propagande destiné à valoriser son auteur au détriment de ses adversaires. Parmi les auteurs postérieurs, Appien et Plutarque, au iie s. p.C., complètent de manière détaillée le récit césarien, le premier dans son deuxième livre des Guerres civiles, le second dans ses Vies consacrées respectivement à César et Pompée. Ces sources postérieures sont évidemment influencées par l’image de l’imperator Pompée élaborée par César au fil de ses pages et nous y retrouvons de nombreux aspects de la propagande césarienne. Néanmoins, si ces auteurs connaissent et utilisent les ouvrages césariens, d’autres sources nourrissent abondamment leur œuvre, au premier rang desquelles il est possible d’identifier les livres perdus d’Asinius Pollion ou de Tite-Live2. Au-delà de leur influence narrative et de la part de réélaboration propre à chaque auteur3, un autre facteur peut avoir orienté leur appréciation des qualités militaires de Pompée et le jugement qu’ils portent sur sa stratégie. Certains éléments de la tradition historiographique romaine, principalement transmise par Tite-Live auprès duquel puisent aussi les auteurs postérieurs, ont également façonné leur appréciation des compétences militaires des imperatores romains. Ainsi, il peut être intéressant de s’interroger sur l’influence de la stratégie déployée face à Hannibal par le dictateur Q. Fabius Maximus Cunctator, véritable exemplum transmis par la tradition livienne4, évoquée par Plutarque dans sa Vie de Fabius et par Appien dans son Livre d’Annibal. De quelle manière cet exemplum a pu, parallèlement à la propagande césarienne, influencer leur perception de la stratégie de Pompée en Thessalie face à César ?
Le Bellvm civile et la stratégie de Pompée à Dyrrachium
2Dans un premier temps, l’influence des écrits de César et leur spécificité ne doivent pas être négligées. L’affrontement autour de Dyrrachium en 48, quelques mois avant Pharsale, illustre bien le décalage entre l’image de Pompée construite par le Bellum ciuile, largement reprise par la suite, et la réalité des faits telle qu’elle peut être reconstituée. L’analyse de cette première campagne permet de saisir les problèmes rencontrés par la suite pour évaluer les choix stratégiques qui mèneront les armées romaines dans la plaine de Pharsale. Le Bellum ciuile de César constitue une source incontournable sur les événements de Dyrrachium, comme pour le reste de la campagne. Il demeure cependant une œuvre de propagande dont les intentions politiques ont été bien analysées5 et où la figure de l’imperator Pompée et ses qualités de chef de guerre et de stratège sont subtilement remises en cause. A. Peer est ainsi revenue sur le caractère inattendu des succès tactiques pompéiens à Dyrrachium tels qu’ils sont rapportés par César6. M. Rambaud avait déjà souligné cette négation de toute disposition offensive des Pompéiens dans les Commentaires7. Seul véritable imperator face à son adversaire, qui doit tenter de ne pas perdre sa réputation et son crédit (Caes., Ciu., 3.55.2 : ut famam opinionemque hominum teneret), César possède toujours l’initiative et les actions de Pompée ne font que répondre à ses provocations. Quand celui-ci est salué comme imperator par ses hommes, César ajoute qu’il décide étrangement de ne pas mentionner ce titre dans sa correspondance, ni d’orner ses faisceaux de laurier (Ciu., 3.71.3). Selon A. Peer, César considère en effet ce titre comme une usurpation, sa défaite résultant davantage des erreurs de ses propres hommes que des actions adverses, ce que confirmerait implicitement l’étrange décision de Pompée8. Le Bellum ciuile dénonce ensuite l’excès de confiance et la suffisance des Pompéiens après un affrontement qui, selon le texte césarien, n’avait rien d’un proelium, d’une vraie bataille (Ciu., 3.72.1-3). César introduit également l’idée d’un Pompée timoré, craignant un piège, n’osant pas s’approcher des retranchements ennemis et ne sachant pas saisir la victoire (Ciu., 3.70.1). M. Rambaud considère ainsi que le texte césarien présente ce dernier comme “le tacticien de l’inaction et le stratège de la fuite”9. Cet élément de propagande qui a pour but de “rapetisser ce grand stratège” a bénéficié d’une postérité non négligeable. En effet, les sources littéraires postérieures sont toutes aussi sévères à l’égard de Pompée, tributaires d’une tradition peu clémente avec sa conduite de la campagne. Lucain affirme ainsi que la guerre aurait pu s’achever à Dyrrachium si un commandant de la trempe de Sylla avait mené les troupes pompéiennes (Luc. 6.299-313)10. Suétone rapporte à son tour des paroles cinglantes de César qui aurait déclaré, voyant que Pompée ne le poursuivait pas après l’avoir repoussé, que celui-ci ne savait pas vaincre (Suet., Iul., 36.2 : ubi pulsus non instante Pompeio negauit eum uincere scire). Il résume ainsi l’idée introduite précédemment par le Bellum ciuile et largement reprise par la suite. Ces mots se retrouvent également chez Plutarque (Pomp., 65.9), puis chez Appien (BC, 2.9.62), qui font dire à César que la guerre aurait pu se terminer alors si ses adversaires avaient eu un chef qui sût vaincre. L’ouvrage césarien est en effet une source essentielle chez Plutarque, qui le cite explicitement dans ses biographies, par exemple pour l’estimation des forces réunies à Pharsale (Cés., 42.4 ; Pomp., 69.8), même s’il ne le suit pas aveuglément, lui préférant le témoignage d’Asinius Pollion pour le chiffre des pertes de l’armée pompéienne après la bataille (Cés., 46.3 ; Pomp., 72.4)11. Ce dernier figure également en bonne place parmi les sources utilisées par Appien qui, lui aussi, fait référence à l’historien romain pour préciser les pertes de Pompée à Pharsale (BC, 2.11.82). Néanmoins, l’importance de Pollion ne doit plus être surestimée et il est aujourd’hui admis que l’œuvre de l’historien alexandrin est au contraire le fruit de l’étude de nombreux ouvrages au premier rang desquels figure bien évidemment César12. La postérité de la propagande césarienne est remarquable, mais une lecture attentive du Bellum ciuile nuance cette image d’un commandant passif, voire incompétent.
3La narration de la bataille de Dyrrachium dans le Bellum ciuile a donné naissance à une vision dépréciative des qualités militaires de Pompée. Reprise par les auteurs postérieurs, elle n’est pourtant pas totalement conforme aux faits tels qu’ils apparaissent dans ce même ouvrage, où Pompée s’avère être beaucoup moins passif que César ne veut le faire croire. La confrontation centrée autour de Dyrrachium présente toutes les caractéristiques d’un siège et est facile à interpréter. Les principales décisions stratégiques et actions tactiques des protagonistes correspondent en effet aux objectifs classiques de la poliorcétique. Depuis son départ de Brundisium, Pompée a bénéficié d’une année libre de guerre, mise à profit pour mobiliser les ressources d’une base stratégique importante et de nombreuses troupes (Caes., Ciu., 3.3.1). Au moment où César débarque en Épire, Pompée prépare sa propre offensive, appuyée sur un réseau logistique qui semble déjà mis en place, comme le souligne Appien (BC, 2.10.66). Les quartiers d’hiver sont établis sur les côtes illyriennes, notamment autour d’Apollonia et de Dyrrachium (Caes., Ciu., 3.5.2 ; 3.11.2). Face à l’offensive césarienne, Pompée est manifestement pris de court13 et doit rapidement se replier sur sa base de Dyrrachium, dans une attitude défensive (Ciu., 3.13.1). Cette décision, dictée par les manœuvres de César, qui menace visiblement la base pompéienne, est particulièrement adaptée à la situation. Replié sur la côte, Pompée se ménage ainsi un accès maritime vers la ville où sont rassemblés ses approvisionnements (Ciu., 3.41.3 ; 3.44.1). Ce choix est d’autant plus pertinent que la situation logistique de César est beaucoup moins assurée. Arrivé en Épire, celui-ci constate que son adversaire a déjà prélevé les quelques ressources disponibles aux alentours (Ciu., 3.42.5 ; 3.47.4). La majeure partie du blé réuni par Pompée dans sa base ne provient d’ailleurs pas des régions proches, nous dit César, mais de Thessalie, d’Asie, d’Égypte, de Crète, de Cyrénaïque et d’autres contrées (Ciu., 3.5.1), ce qui laisse supposer la faiblesse de la production locale. L’approvisionnement des troupes césariennes depuis l’arrière ne peut être assuré avec efficacité, tant à cause de la flotte pompéienne que des difficultés de la navigation hivernale. César doit rapidement réunir les quelques ressources encore disponibles localement auprès des cités voisines (Ciu., 3.16.1). Un ravitaillement basé sur le terrain épuise rapidement les réserves locales, particulièrement lors des saisons peu favorables, comme au début de la campagne de Dyrrachium, d’autant plus qu’un siège oblige l’assaillant à rester statique et accroît par conséquent les difficultés dans une région déjà intensément sollicitée. César guette avec anxiété la maturité des moissons (Ciu., 3.49.1 et 5), et la faim devient bientôt un danger pour l’assiégeant, peut-être davantage encore que pour l’assiégé (Caes., Ciu., 3.47.3-4 ; Vell. 2.51.2 : sed inopia obsidentibus quam obsessis erat grauior ; Luc. 6.107-117). Le siège mené autour de Dyrrachium, malgré ses particularités, ne présente pas de véritable originalité. Comme le rappelle César (Ciu., 3.47.2), le but de tout siège reste d’affamer l’ennemi, de le pousser à sortir de ses retranchements ou à capituler. Si les difficultés poussent les Pompéiens à tenter une sortie (Ciu., 3.58.4-5), César doit finalement reconnaître son impuissance à vaincre le dispositif de son adversaire (Ciu., 3.73.1-2). Les actions stratégiques de Pompée à Dyrrachium sont claires : surpris par César au cœur de l’hiver, il sauve sa principale base et fige la situation, conscient de bénéficier d’un avantage logistique décisif qui lui permet de briser l’élan de l’offensive césarienne et de reprendre la main. Au-delà des déconvenues tactiques, César a bien subi un revers stratégique devant Dyrrachium et, comme à Gergovie quelques années auparavant, il doit se retirer et modifier ses plans (Ciu., 3.73.1). Pompée aurait sans doute pu vaincre, comme César le laisse entendre, mais la bataille décisive n’est visiblement pas son objectif à Dyrrachium. Apparaît-il pour autant comme “le tacticien de l’inaction et le stratège de la fuite”, pour reprendre les mots de M. Rambaud cités précédemment ? La suite des événements narrés dans le Bellum ciuile ne semble pas aller en ce sens. En effet, César précise que son adversaire, sitôt connu son départ, ne perd pas un instant pour se mettre à sa poursuite (Caes., Ciu., 3.75.3 : Neque uero Pompeius, cognito consilio eius, moram nullam ad insequendum intulit ; Vell. 2.52.2). La cavalerie pompéienne accroche d’ailleurs l’arrière-garde césarienne mais subit d’importantes pertes (Ciu., 3.75.4-5). César doit ensuite recourir à de véritables stratagèmes pour distancer Pompée au cours d’une poursuite qui dure quatre jours, avant que ce dernier ne renonce et décide de changer ses plans (Ciu., 3.77.1-3). Une nouvelle stratégie est alors élaborée et va conduire à un ultime affrontement dans la plaine de Pharsale.
La situation stratégique après Dyrrachium
4La stratégie de Pompée lors de la campagne qui l’oppose à César en Épire et en Thessalie est complexe à analyser. Ses intentions réelles sont difficiles à cerner à travers les mots de son adversaire, mais également dans les textes des auteurs postérieurs, nourris d’a priori stratégiques et de propagande césarienne. Pour comprendre les décisions prises après Dyrrachium, il faut nous tourner à nouveau vers le Bellum ciuile. Le texte présente de la manière suivante les options de Pompée : faire la jonction avec Q. Metellus Scipion, vers lequel pourrait se porter son adversaire, ou attirer ce dernier en attaquant Domitius (Ciu., 3.78.5). C’est une véritable course vers l’Est qui s’engage alors, selon les dires de César, chacun des deux chefs se hâtant pour secourir les siens (Ciu., 3.79.1). En réalité, la situation stratégique n’est pas aussi équilibrée que l’ouvrage césarien le laisse entendre. Selon lui, attirer Pompée vers l’Est permettrait de l’éloigner de la mer et de son ravitaillement, de le couper de sa base de Dyrrachium et de lutter ainsi à armes égales (Ciu., 3.78.3). Mais César a-t-il réellement contraint son adversaire à le suivre ? Le texte présente en effet d’autres options stratégiques pour Pompée : passer en Italie ou assiéger les bases césariennes d’Apollonia et d’Oricum (Ciu., 3.78.3). Lucain évoque d’ailleurs les compagnons de Pompée qui le pressent de rentrer en Italie, mais se heurtent à une ferme résolution (Luc. 6.316-332). Plutarque également présente cette requête dans la bouche d’Afranius (Plu., Pomp., 66.4), comme Appien, qui déplore son refus d’une stratégie excellente à ses yeux (App., BC, 2.10.65). En réalité, comme le lui font dire Lucain et Plutarque (Luc. 6.319-329 ; Plu., Pomp., 66.6 ; C.D. 41.52.3), il est peu vraisemblable que Pompée abandonne son adversaire avant de l’avoir définitivement vaincu, d’autant plus que la situation n’est pas aussi équilibrée que César le dit. Tout d’abord, ses bases littorales d’Apollonia et d’Oricum ne lui sont guère utiles dans la mesure où la mer est toujours étroitement contrôlée par la flotte pompéienne. En effet, celle-ci limite efficacement les possibilités d’un ravitaillement par la mer (Caes., Ciu., 3.42.2 ; App., BC, 2.9.61). D. Laelius a ainsi pris position devant Brundisium et a entrepris le blocus du port, comme l’avait fait Libon avant lui (Ciu., 3.100.1). Dans un même temps, Cassius, à la tête de la flotte pompéienne de Syrie, de Phénicie et de Cilicie, mène des opérations en Sicile, devant Messine, pour bloquer l’envoi de blé depuis la province conquise l’année précédente par Curion (Ciu., 3.101.1). Les troupes césariennes sont donc contraintes à se ravitailler sur le terrain, ce qui pourrait expliquer le choix de se rendre en Thessalie. La fertilité de la région est en effet bien connue, mentionnée depuis plusieurs siècles déjà, comme le notent Xénophon (HG, 6.1.11) ou Strabon (Str. 9.5.2). Par la suite, elle apparaît comme une source d’approvisionnement régulière pour les Romains, lors de leurs opérations militaires en Orient, mais aussi pour nourrir la population de Rome. Le choix stratégique de César est ici clairement dicté par des impératifs logistiques. Le départ pour la Thessalie ne résout pourtant pas tout de suite les problèmes d’approvisionnement car les opérations se déroulent alors que les moissons ne sont pas encore mûres14, ce qui oblige à compter sur les greniers des cités grecques. Mais Gomphi, première ville de Thessalie rencontrée en arrivant d’Épire, ferme ses portes au vaincu de Dyrrachium (Ciu., 3.80.1-4), contraint de la prendre alors d’assaut pour soulager ses hommes de la disette où ils se trouvent. Le sort de Gomphi sert ainsi d’exemple aux autres cités (Ciu., 3.80.5-7) et les habitants de Metropolis ouvrent leurs portes par crainte de subir le même sort (Ciu., 3.81.1-2).
5De son côté, Pompée est-il réellement coupé de ses approvisionnements comme l’espérait César ? Le dispositif logistique mis en place semble prouver le contraire. Tout d’abord, le Bellum ciuile précise que Pompée se rend en Macédoine par la Candavie, suivant une route facile (Ciu., 3.79.2). Il s’agit de la uia Egnatia, tracée en 148 depuis Apollonia et Dyrrachium, qui s’étend jusqu’à Thessalonique, en Macédoine, et constitue un axe d’échange majeur (Str. 7.7.4). De son côté, Scipion, ayant appris le départ de Pompée de Dyrrachium, mène ses troupes à Larissa, en Thessalie (Ciu., 3.80.4). Or des liaisons sont attestées entre Thessalonique et Athènes par Larissa, tandis que la route permettant de relier Larissa à Corinthe passe par la petite cité de Pharsale et fait partie d’un ensemble de voies traversant la Thessalie sur deux axes principaux se croisant à Larissa, du Nord au Sud entre la Macédoine et la Grèce et d’Est en Ouest, entre les mers Égée et Ionienne15. Ainsi Pompée peut orienter son système logistique, centré sur la Macédoine et l’Illyrie autour de la uia Egnatia, vers la Thessalie, par l’intermédiaire de la cité thessalienne occupée par Scipion. Ce choix ne doit d’ailleurs rien au hasard, et la ville possède les infrastructures nécessaires à la gestion de la logistique d’une armée importante. Déjà à la fin du iiie s. a.C., Polybe nous apprend que la cité a servi de base au roi Philippe V lors de ses opérations en Thessalie (Pol. 5.99.1), puis durant la campagne contre Flaminius, qui finit d’ailleurs par s’en emparer après sa victoire aux Cynoscéphales (Pol. 18.33.2). De plus, la cité se trouve sur les bords du Pénée, qui coule sur une cinquantaine de km vers la mer, à travers la vallée de Tempè (Str. 7 F 14 ; 9.5.17), et qui aurait pu jouer un rôle de voie logistique complémentaire à la voie terrestre. La fuite de Pompée, peu après sa défaite, le conduit ainsi à embarquer sur un navire romain transportant du blé, près de l’embouchure du Pénée (Ciu., 3.96.3-4), après avoir d’abord pris une barque fluviale, rapporte Plutarque (Plu., Pomp., 73.4 ; Luc. 8.35-36). Malgré les quelques incertitudes qui demeurent, les éléments relevés font apparaître un système logistique solide, appuyé sur des voies d’approvisionnement et des bases établies à l’avance et choisies avec soin. Pompée possède donc un avantage dont il a pleinement conscience et qu’il faut garder à l’esprit pour comprendre ses choix stratégiques et l’interprétation qui en est faite par nos sources. En effet, c’est en considérant cette situation avantageuse que les auteurs postérieurs jugent sévèrement sa décision d’engager le combat dans la plaine de Pharsale. Parallèlement aux critiques du Bellum ciuile, la force de l’exemplum fabien et son influence sur l’historiographie postérieure pourraient expliquer en partie la façon dont sont décrits et interprétés ces événements par des auteurs qui aspirent à une compréhension de la défaite du Grand Pompée. Comment définir en premier lieu cet exemplum et quelles analogies peuvent être faites avec la stratégie pompéienne ?
Q. Fabius Maximus et la cunctatio
6Après le désastre du lac Trasimène face à Hannibal, en juin 217, Q. Fabius Maximus Verrucosus devient dictateur et choisit une nouvelle stratégie face au chef carthaginois (Liv. 22.8.6)16. L’exposé le plus développé de cette dernière dans l’historiographie romaine est celui qu’en a dressé Tite-Live, au ier s. p.C. D’après son récit, la stratégie mise en place par Fabius a pour but d’épuiser les forces ennemies en associant le refus de toute bataille rangée (Liv. 22.12.3-4 ; 22.32.2) au harcèlement des fourrageurs carthaginois (Liv. 22.12.8-9). Selon l’historien romain, cette temporisation finit sur le long terme par provoquer de telles difficultés de ravitaillement qu’elles conduisent Hannibal à envisager une retraite vers la Gaule (Liv. 22.32.3). Tite-Live insiste sur le trouble qui s’empare du Carthaginois quand, confronté pour la première fois au dictateur, il comprend avoir trouvé un adversaire à sa hauteur : plus prudent que ses prédécesseurs (Liv. 22.12.5-6 ; 22.32.2), il est résolu à maintenir sa stratégie (Liv. 22.15.1). Autre récit détaillé écrit au iie s. a.C., le texte de Polybe revient également sur les actions de Fabius face à Hannibal en 217 et permet de nuancer celui du Romain. Si l’historien grec constitue bien une source importante pour Tite-Live, cela semble être moins le cas pour le livre 2217. P. Erdkamp a ainsi comparé le texte livien avec celui de Polybe et a souligné plusieurs incohérences dans leur relation des événements18. Il note tout d’abord que la tactique de harcèlement des fourrageurs ennemis, élément essentiel de la stratégie fabienne décrite par Tite-Live, n’a pu être efficace en raison de la supériorité de la cavalerie punique19, évoquée plus explicitement par Polybe (Pol. 3.82.4). Ensuite, Erdkamp doute des résultats de la stratégie romaine et n’accorde pas de crédit aux affirmations de Tite-Live sur l’importance des difficultés de ravitaillement des Carthaginois, s’appuyant à nouveau sur l’historien grec20. Les différences entre la narration des faits par Polybe et le texte de Tite-Live illustrent la construction postérieure d’une image de Fabius dans l’historiographie romaine qui aurait déformé la nature même de sa stratégie21. Tite-Live lui-même remarque les erreurs communément rencontrées dans les sources annalistiques, évoquant le rôle de la tradition familiale et l’élaboration postérieure d’une légende fabienne (Liv. 22.31.8-11). Erdkamp note pourtant que l’historien romain ne s’écarte pas toujours de ces sources et pose ainsi la question de sa crédibilité22. Tite-Live reconnaît par exemple avoir utilisé le témoignage de l’historien Q. Fabius Pictor dans son récit de la bataille du lac Trasimène (Liv. 22.7.4 : Ego, praeterquam quod nihil auctum ex uano uelim, quo nimis inclinant ferme scribentium animi, Fabium aequalem temporibus huiusce belli potissimum auctorem habui). L’influence de celui-ci sur la narration des autres événements de l’année 217 n’a sans doute pas été négligeable, même si les incertitudes demeurent grandes sur ses écrits23. Longe antiquissimum auctorem, selon Tite-Live (Liv. 2.40.10)24, membre de la gens Fabia, parent et contemporain de Q. Fabius Maximus, il est raisonnable de penser qu’il a contribué à la construction de cette tradition familiale fabienne25. Dès le iie s. a.C., les vers du poète Q. Ennius reflètent peut-être déjà cette influence de Fabius Pictor26. Rapportés par Cicéron, Tite-Live ou Virgile, ils célèbrent notamment la cunctatio et la gloire de Q. Fabius Maximus et permettent à l’orateur d’Arpinum de louer la patience du vieil homme face à la fougue juvénile d’Hannibal27. La force de cette tradition s’impose dès lors et contribue à la célébrité de Fabius, sauveur de Rome, et de la stratégie qui lui est désormais associée, comme le souligne l’écho des vers d’Ennius28. À la fin du ier s. p.C., Silius Italicus relaie à son tour l’image construite du Cunctator et transmise par Tite-Live qui constitue sa principale source29. Le poète dresse ainsi le portrait d’un dictateur habile à temporiser et refusant le combat (Sil. 7.123-126), affirmant par ailleurs qu’il aurait trouvé ainsi une nouvelle façon de vaincre (Sil. 7.151-152 : Inuentum, dum se cohibet, terimurque sedendo, uincendi genus). Polybe, qui ne cache pas avoir utilisé les œuvres de Pictor et en reconnaît la valeur, met néanmoins en garde ses lecteurs et les invite à l’utiliser avec prudence30. K. Meister avance alors que l’historien grec, conscient du biais idéologique des écrits de l’historien romain, a sans doute davantage su garder ses distances lors de l’utilisation de ses textes que les historiens et poètes romains31. Polybe développe sa propre conception (Pol. 3.9.1-4) de l’histoire, plus hellénique32 mais aussi plus pragmatique selon sa propre ambition33. Il s’affranchit donc davantage des exempla forgés par la tradition romaine et offre une interprétation plus “machiavélique” des faits, pour reprendre le terme de A. Eckstein34. Néanmoins, l’influence de l’historiographie romaine semble s’imposer dans l’empire, malgré l’importance que conserve Polybe auprès des auteurs hellénophones35.
7Quand ils narrent la campagne de Pompée après Dyrrachium, Plutarque et Appien n’ignorent rien de Q. Fabius Maximus et de sa stratégie. Ainsi, au début du iie s. p.C., dans une biographie de Fabius nourrie de tradition livienne36, Plutarque souligne lui aussi l’intention du dictateur, non pas de combattre le Carthaginois, mais d’user sa puissance en faisant jouer le temps, comptant sur le manque de ressources de son adversaire (Plu., Fab., 6.1). Selon lui, bien conscient de la stratégie de Fabius, Hannibal cherche alors à le contraindre au combat, mais ne peut rien face à sa résolution inébranlable (Plu., Fab., 5.4-5). Peu après le récit de Plutarque, au milieu du iie s. p.C., la narration des événements faite par Appien se situe à la croisée des traditions liviennes et polybiennes37. J. Rich souligne cependant que l’historien alexandrin n’a visiblement pas utilisé Polybe comme source principale pour les années 264 à 20138, mais présente une définition de la stratégie fabienne plus proche de celle qu’en a donné Tite-Live, une combinaison de harcèlement et d’évitement, dans l’attente qu’Hannibal épuise ses ressources (App., Hann., 13). Différents éléments caractérisent donc cette cunctatio érigée en véritable exemplum : affaiblir l’adversaire par la faim, ménager ses propres troupes et éviter les pertes, aguerrir des hommes inexpérimentés qui doivent faire face à de redoutables vétérans. Ainsi est définie la stratégie fabienne transmise par la tradition, telle qu’elle est perçue par les mêmes auteurs qui narrent ensuite les actions de Pompée face à César. Néanmoins, ces derniers ne manient pas l’exemplum à la manière d’un orateur tel Cicéron, chez qui il est une figure rhétorique participant à l’ornatio du discours, porteur d’une valeur émotive appuyée sur la mémoire du passé (O tempora, o mores !)39. La stratégie fabienne s’inscrirait davantage dans une logique paradigmatique, expression parfaite d’un modèle suprême, un παράδειγµα platonicien40, dont elle ne serait qu’un exemple. Dans la préface de son œuvre, Tite-Live souligne dans une certaine mesure la portée paradigmatique des exempla politico-militaires qui nourrissent son récit (Liv., Praef., 10)41. Récemment, M. Roller, dans son analyse de l’exemplum comme phénomène culturel, a insisté sur son usage dans l’élaboration d’une norme formée d’un ensemble de pratiques sociales, de croyances, de valeurs et de symboles42. Ainsi, Plutarque et Appien n’utilisent pas l’exemplum en comparant explicitement les actions de Pompée et de Fabius. Même si le biographe mentionne ce dernier parmi les exemples qu’aurait dû suivre l’adversaire de César, aux côtés de Lucullus, Marius et Agésilas (Plu., Pomp., 84.6), lui et Appien jugent davantage les décisions stratégiques de Pompée à l’aune de qualités dont a su faire preuve Fabius face à Hannibal. C’est bien cette portée paradigmatique de l’exemplum fabien qui aurait alors influencé leur lecture de la stratégie pompéienne.
Stratégie pompéienne et cvnctatio faces aux critiques
8Fort de son avantage logistique et conscient de la faiblesse et de la vulnérabilité des approvisionnements de son adversaire, la temporisation semble être un premier choix cohérent aux yeux de Pompée. Ce choix stratégique évoque immanquablement celui de Fabius et doit d’ailleurs faire face à des critiques similaires. D’après Plutarque, Pompée se lance à la poursuite de César avec la ferme intention d’éviter le combat et de l’épuiser par la disette, ἀπορία, dans des termes très similaires à ceux qui sont utilisés pour présenter la stratégie de Fabius (Plu., Pomp., 67.1 ; Fab., 5.1). De même, chez Appien (BC, 2.10.66) et chez Florus (2.13.42), il trouve plus sûr d’épuiser les troupes césariennes par la faim et de faire traîner la guerre pour plonger ses ennemis dans la famine. À travers ces commentaires et interprétations de la stratégie pompéienne, nous retrouvons donc le premier élément de la stratégie fabienne transmise par la tradition livienne : la temporisation et le refus de la bataille décisive recherchée par un adversaire aux abois. En effet, M. Roller souligne que l’un des aspects de cette tradition, telle qu’elle est formulée par Silius Italicus (7.14-15), Florus (1.22.27) ou encore Pline l’Ancien (Nat., 22.5.10), est bien l’idée que Fabius a voulu vaincre ou a vaincu sans combattre43. Mais dans l’entourage de Pompée cette stratégie est loin de faire l’unanimité. Nos sources reprennent en premier lieu les thèmes de la propagande césarienne d’un commandant ne sachant ni n’osant vaincre. Lucain se fait ainsi l’écho des reproches formulés à l’encontre d’un Pompée si lent à l’emporter : Quo tibi feruor abit aut quo fiducia fati ? […] Quid mundi gladios a sanguine Caesaris arces ?, fait-il dire à un Cicéron en réalité absent lors de la campagne de Pharsale (Luc. 7.73-81)44. Plutarque évoque également les critiques acerbes exprimées par un entourage qui déplore un supposé manque d’entrain dans sa conduite des opérations (Plu., Pomp., 67.4). Selon le biographe, il lui serait notamment reproché de prolonger la guerre pour conserver les pouvoirs exceptionnels dont il bénéficie alors, Domitius Ahenobarbus le surnommant même “Agamemnon” ou “roi des rois” (Plu., Pomp., 67.5-6)45. Appien (BC, 2.10.67) évoque en des termes très similaires l’attitude de ceux, sénateurs, chevaliers ou alliés, qui critiquent sa stratégie et ne comprennent pas pourquoi il ne répond pas aux provocations de César. Ces critiques sont déjà mentionnées dans le Bellum ciuile, où certains partisans de Pompée le soupçonnent de se complaire dans l’exercice du commandement et de considérer consulaires et prétoriens comme des esclaves (Ciu., 3.82.2). César note plus subtilement que, tandis que son adversaire agit avec une certaine lenteur et une certaine réflexion ou prudence, tardius aut consideratius, tous estiment que l’affaire ne réclamerait qu’une seule journée. Mais cette opposition irréfléchie à une stratégie raisonnable de Pompée rappelle aussi par certains aspects celle qu’a rencontrée Fabius face à Hannibal. Tite-Live mentionne ainsi l’impopularité des décisions du dictateur auprès des soldats comme de la population romaine (Liv. 22.23). Plutarque précise que sa temporisation lui attire le mépris de tout le monde tandis que ses ennemis le prennent pour un lâche, sauf le chef carthaginois qui a bien compris l’habileté de son adversaire (Plu., Fab., 5.3-4). Le tribun de la plèbe Metilius, affirme le biographe, accuse même le dictateur de mollesse et de lâcheté, µαλακία et ἀνανδρία, mais aussi de trahison, προδοσία (Plu., Fab., 8.4). La critique la plus vive rapportée par nos sources est généralement exprimée par le maître de cavalerie de Fabius, Minucius Rufus46. Chez Plutarque, son désir de combattre excite l’armée qui se moque du dictateur, le surnommant le “pédagogue d’Hannibal” (Plu., Fab., 5.5)47. Appien (Hann., 12.51) évoque également les critiques de la stratégie fabienne par Minucius, qui met bientôt en œuvre une stratégie différente, bien plus offensive mais finalement vouée à l’échec (Hann., 13.53). Après le désastre provoqué par l’attitude irréfléchie du magister equitum, écrit Polybe, les Romains reconnaissent la supériorité de la prévoyance, πρόνοια, et de la réflexion, λογισµός, de Fabius (Pol. 3.105.9 : Τοῖς δ᾽ἐν τῇ Ῥώµη τότ ἐγένετο φανερὸν ὁµόλογουµένως τί διαφέρει στρατιωτικῆς προπετείας καὶ κενοδοξίας στρατηγικὴ πρόνοια καὶ λογισµὸς ἑστὼς καὶ νουνεχής)48, auxquelles Plutarque ajoute la prudence, εὐβουλία, et la bonté, χρηστότης (Plu., Fab., 13.7). Appien présente ensuite, suivant Tite-Live davantage que Polybe, une même opposition entre le consul L. Aemilius Paulus, qui souhaite patienter et user l’armée carthaginoise, et son collègue Terentius Varron, sensible aux souhaits du peuple, désireux de livrer rapidement une bataille décisive qui mènera au désastre de Cannes (App., Hann., 18.78 ; Liv. 22.28 ; Pol. 3.112.2-5). Tite-Live évoque par ailleurs les critiques adressées en 209 à Marcellus et à l’ensemble de la noblesse par le tribun de la plèbe, qui affirme qu’Hannibal a pu s’installer en Italie, grâce à leur fraude et cunctatione (Liv. 27.21.1). L’exemplum présenté ici va au-delà du topos de l’opposition entre la sagesse du vieil homme et la fougue de la jeunesse, déjà présente dans le récit que fait Tite-Live de la rivalité entre le dictateur L. Papirius et son magister equitum Q. Fabius Maximus Rullianus, grand-père du Cunctator (Liv. 8.30-35)49. Dans le cas de Fabius comme dans celui de Pompée, le refus de la bataille décisive semble bien être l’aspect de leur stratégie le plus critiqué par leurs contemporains, mais valorisé par les auteurs postérieurs.
Les vertus de la cvnctatio, les vertus du Cvnctator
9Les jugements moraux se font en effet plus positifs chez des auteurs qui déplorent généralement les comportements déraisonnables conduisant à l’abandon de ces stratégies considérées comme sages et efficaces. Les qualités louées chez le Cunctator esquissent alors une image paradigmatique du chef de guerre à laquelle des auteurs comme Plutarque ou Appien sont particulièrement sensibles. La stratégie fabienne est en effet définie comme motivée par le seul souci de la sauvegarde du bien commun, vertu hautement célébrée dans les textes, notamment dans les antiques vers d’Ennius rapportés dans le De Senectute de Cicéron : Vnus homo nobis cunctando restituit rem (Cic., Sen., 4.10)50, ou chez Virgile (Aen., 6.845-846 : Tu Maximus ille es, unus qui nobis cunctando restitues rem). Hic patria est, murique urbis stant pectore in uno : ainsi est loué Fabius après avoir secouru Murcius, dans les vers de Silius Italicus (7.743). Pour cette raison, nous apprend Pline l’Ancien, le Sénat et le peuple lui décernent le titre de pater [patriae], ainsi qu’une couronne (Plin., Nat., 22.10)51. Tite-Live défend à son tour la stratégie de Fabius, notamment à travers le discours qu’il fait tenir par celui-ci au nouveau consul L. Aemilius Paulus (Liv. 22.39). En règle générale, l’historien romain présente la cunctatio de manière positive à chaque fois qu’elle est évoquée, même quand s’expriment ses opposants, souligne M. Roller52. Son souci du bien commun apparaît enfin à plusieurs reprises dans son discours contre l’attribution à Scipion de l’Afrique comme prouincia (Liv. 28.41.1 : Ne tuam quidem gloriam bono publico praeponam et 28.42.22)53, rapporté avec insistance par Tite-Live, et qui est à nouveau l’occasion de mettre en avant la cunctatio (Liv. 28.40.7). Après sa narration du désastre de Cannes, Plutarque évoque même à propos de Fabius “une prudence plus qu’humaine, une sorte d’intelligence céleste et divine” dans laquelle Rome place ses derniers espoirs (Plu., Fab., 17.5-6). Le dictateur incarne alors un idéal stratégique auquel est sensible le biographe. Moins emphatique dans sa Vie de Sertorius, il place néanmoins dans la bouche de ce dernier un éloge de ces mêmes vertus, lorsqu’il affirme que “la patience est plus efficace que la violence” et que “la persévérance est invincible” (Plu., Sert., 16.9-10). F. Cadiou rappelle que Sertorius agit alors conformément aux préceptes suivis en principe par tout général romain “soucieux de se préserver au mieux des caprices de la Fortune”54. Cette image rappelle celle du général idéal forgée par Polybe à travers son récit des actions d’Hannibal où il présente, selon L. Poznanski, un chef de guerre “obéissant à la raison et à la sagesse et non pas à ses impulsions”55. F. Cadiou souligne que les principes de la guerre hellénistique ne sont pas ignorés des Romains56, notamment ceux qui sont énoncés par l’historien grec dans le livre 9 de ses Histoires. Celui-ci insiste en effet sur l’emploi de la ruse, δόλος, et de l’opportunité, καιρός, plus efficaces que la force (Pol. 9.12.2). Son récit des actions de Minucius, évoqué précédemment, est l’occasion de fustiger la recherche d’une vaine gloire, κενοδοξιά, et la précipitation inconsidérée, προπέτεια (Pol. 3.105.9). Une même valorisation de l’idéal stratégique incarné par Fabius se retrouve fréquemment chez Appien, qui souligne la même retenue, la même prudence, quand il présente Brutus, lors de la bataille de Philippes, exhortant ses hommes à ne pas se laisser emporter par leur ardeur (App., BC, 4.118.496). L’historien alexandrin loue à plusieurs reprises la prudence chez les chefs de guerre, comme Scipion Émilien par exemple (App., Ib., 14.87). Gagner par prudence plus que par bravoure lui semble en effet sage et respectable. Par conséquent, nous lisons fréquemment chez Appien des remarques peu amènes formulées contre les imperatores qui renoncent à vaincre par la faim pour laisser l’épée décider du sort de la guerre. Dans le discours de Brutus lors de la bataille de Philippes, l’historien alexandrin présente la faim, λιµός, comme une alliée57. Cette remarque trouve un parallèle chez Silius Italicus où la faim, fames, venge la tragédie de Saguntum et conduit l’armée carthaginoise proche de la destruction (Sil. 7.279-281 : Saeptos sed fraude locorum arta fames, poenas miserae exactura Sagunti, urgebat, finisque aderat Carthaginis armis).
10À l’aune de ce paradigme stratégique, Appien juge donc sévèrement la décision de Pompée d’accepter le combat à Pharsale en dépit du bon sens, plutôt que de s’en tenir à sa stratégie première et à la famine, remède approprié contre les fauves, θηρίων, que sont les soldats césariens (App., BC, 2.10.71 ; 2.11.75). Quand les difficultés d’approvisionnement rencontrées par César en Afrique en 46 n’empêchent pas sa victoire finale, Appien blâme à nouveau ses adversaires qui, comme en Thessalie en 48, n’ont pas su mettre à profit leur avantage logistique pour vaincre leur adversaire (App., BC, 2.14.97). Enfin, l’historien alexandrin place dans la bouche d’anciens commandants pompéiens en Espagne, forts de leurs expériences passées en Thessalie et en Afrique, le reproche d’avoir défié César sur le champ de bataille au lieu de le vaincre par la faim et les difficultés de ravitaillement (App., BC, 2.15.103). Appien voit donc dans la défaite de ces imperatores, au premier rang desquels il place Pompée, une conséquence directe de leur abandon de cette stratégie prudente et économe. Plutarque est moins catégorique, mais reconnaît que Pompée a eu tort d’engager le combat contre César sans pleinement exploiter l’avantage que lui procurait sa puissante flotte et sa domination de la Méditerranée (Plu., Pomp., 76.2-3). Mais la vertu fabienne du souci du bien commun, aspect essentiel du paradigme stratégique de la cunctatio, n’est pas une qualité que le biographe reconnaît à Pompée, celui-ci ne servant finalement, selon lui, que son propre intérêt (Plu., Pomp., 82.6). Sans doute aurait-il dû écouter Caton, davantage soucieux de préserver la vie de ses concitoyens (Plu., Cés., 41.1 ; Cat. Mi., 54.7). Là réside, aux yeux des auteurs plongés dans la narration de ces sanglantes guerres fratricides, la principale vertu du paradigme défini à partir de la stratégie de Q. Fabius Maximus. Dans l’évocation de ces terribles et meurtrières années de guerres civiles, ce modèle possède en effet la vertu cardinale d’épargner le sang des Romains58. Par conséquent, il constitue aux yeux de ces différents auteurs un modèle que les imperatores devraient suivre et ne surtout pas négliger. Dans les textes de Polybe (3.89.2), de Tite-Live (22.12.8-10 ; 22.25.15), de Plutarque (Fab., 10.7), mais également dans les anecdotes rapportées par Frontin (Strat., 4.6.1) ou Valère Maxime (3.8.2) se retrouve ainsi toujours chez Fabius ce souci de préserver ses hommes, voire de les sauver malgré eux, chez Silius Italicus (Sil. 7.223-225 : Stat pensata diu belli sententia : uincam seruare inuitos urgentesque ultima fata, nulli per Fabium e uobis cecidisse licebit)59. En temps de guerre civile, ses vertus de prouidentia et constantia60 rencontrent un écho évident, comme en témoigne par exemple le thème de la clementia Caesaris, appuyé sur les faits tels que César a pris soin de les présenter, selon M. Rambaud61. L. Grillo, dans son analyse du Bellum ciuile, considère que l’exacerbation dans le texte césarien de la cruauté pompéienne constitue un autre signe de son désintérêt pour le bien commun, opposé à la clémence de son adversaire, présenté comme davantage attaché à la res publica62. Ainsi, un temple à la Clementia Caesaris est attesté en 44, évoqué par Appien (BC, 2.16.106), Plutarque (Cés., 57.4) et Cassius Dion (44.6.4), et représenté sur un denier (RRC, 480/21) frappé la même année par Sepullius Macer63. Dans sa biographie, Suétone loue à son tour la moderatio et la clementia dont l’imperator aurait fait preuve dans la conduite de la guerre civile comme dans l’usage de sa victoire (Suet., Iul., 75.1). César a bien compris l’importance de ce thème aux yeux des Romains meurtris par un conflit fratricide et sa clementia est habilement mise en scène dans son ouvrage, notamment à travers sa volonté d’épargner le sang de ses concitoyens. Lors de sa narration de la campagne espagnole de 49 contre les légats de Pompée, il souligne être parvenu à vaincre par l’habileté de ses manœuvres et non par la force des armes. Il répond alors implicitement aux reproches qui pourraient lui être faits d’avoir évité une bataille rangée en résumant ainsi ses intentions : Cur etiam secundo proelio aliquos ex suis amitteret ? cur uolnerari pateretur optime meritos de se milites ? cur denique Fortunam periclitaretur ? (Ciu., 1.72.2). C’est pourtant le même César qui, l’année suivante dans la plaine de Pharsale, pousse son adversaire au combat, présentant chaque jour ses troupes en ordre de bataille pour provoquer l’affrontement (Ciu., 3.84.2). Les auteurs postérieurs ne sont pas dupes, et Lucain se désole alors de ces hommes qui refusent une victoire qui ne coûterait pas de sang (Luc. 7.95-96). Les lamentations placées par le poète dans la bouche de Pompée à la veille de la bataille résument la tragédie sanglante des guerres civiles que sa stratégie aurait pu éviter : Sanguine Romano quam turdibus ibit Enipeus ! (Luc. 7.89-116). Lucain dramatise encore la funeste bataille en utilisant une figure classique de la poésie épique, Venit summa dies, qui résonne en écho au vers de Virgile : Venit summa dies et ineluctabile tempus (Luc. 7.195 ; cf. Verg., Aen., 2.324)64. Les réflexions désabusées formulées par Plutarque alors que s’engage le combat (Plu., Pomp., 70.2) rejoignent celles de Lucain dans le regret de voir la cupidité et la discorde retourner contre elles-mêmes les armes romaines (Luc. 7.421-459), lieu commun de la lutte fratricide également formulé par Appien (BC, 2.11.77) ou Cassius Dion (41.57). Cruentissimus dies pour les Romains que cette tragédie de Pharsale où tant de sang fut versé, résume enfin Velleius Paterculus (2.52.3). Devant l’abandon d’une stratégie initiale qu’ils considèrent pourtant comme prudente, sage et efficace, ces auteurs tentent de trouver une explication aux actions de Pompée.
Pourquoi Pharsale ?
11Face à cette question, nos sources trouvent d’abord leurs réponses dans la propagande césarienne. C’est au prix d’une dévalorisation de Pompée que les auteurs postérieurs parviennent à expliquer et comprendre la décision prise par ce dernier d’engager le combat dans la plaine de Pharsale. Ainsi, le premier élément justificatif élaboré à partir des textes césariens est la faiblesse supposée de Pompée face à son entourage et sa perméabilité aux critiques, ce qui constitue une différence fondamentale avec le modèle fabien. En effet, quand il évoque les reproches dont est victime Q. Fabius Maximus, méprisé, vilipendé et accusé de lâcheté, Polybe souligne qu’il tient bon malgré tout, jusqu’à ce que le temps vienne ensuite donner raison à sa persévérance (Pol. 3.89.3-4). Cette qualité semble être attachée dès l’origine à l’exemplum fabien : Non enim rumores ponebat ante salutem, dit ainsi de lui Ennius, dans les vers rapportés par Cicéron (Sen., 4.10). Dans le discours prononcé par Fabius face à Scipion, en 205, Tite-Live souligne combien sa cunctatio est dénigrée par les plus jeunes, quam metum pigritiamque homines adulescentes sane appellent, même si elle demeure à l’usage la meilleure stratégie : mea usu meliora (Liv. 28.40.7). Chez Plutarque également, Fabius reste ferme face aux critiques et aux moqueries de ses propres hommes excités par son maître de cavalerie, refusant de devenir l’esclave de ceux dont il est le chef (Plu., Fab., 5.7-8). Mais Pompée ne semble pas faire preuve d’une telle fermeté ni d’une telle autorité. Ce reproche apparaît d’abord dans le Bellum ciuile, où César précise que son adversaire décide d’engager la bataille à Pharsale sur les exhortations de tous les siens, cédant alors à la pression de l’opinion (Ciu., 3.86.1)65. Chez Lucain, Pompée, soldat et non chef, se plie au vœu de tous, prenant Rome à témoin que lui fut imposé ce jour funeste (Luc. 7.87-92). Ensuite, dans le texte d’Appien, il n’est plus commandant, mais commandé et laisse la direction des opérations à ses soldats qui ont tant souhaité ce combat (App., BC, 2.10.69 ; 2.11.72). L’historien alexandrin développe même l’image d’un Pompée léthargique et atermoyant, sous l’influence maligne d’une divinité, préparant à contrecœur une bataille qu’il n’aurait pas désirée (App., BC, 2.10.67)66. Plutarque se montre enfin particulièrement sévère devant une attitude jugée intolérable chez le maître de tant de peuples et de tant d’armées, mais “dominé par l’amour de la gloire et par une fausse honte à l’égard de ses amis”, bien éloigné du Fabius qui s’exprime chez le biographe : “il n’y a pas de honte à craindre pour sa patrie, mais trembler devant l’opinion, la calomnie et le blâme serait le fait d’un homme, indigne d’un si haut poste, qui s’asservirait aux insensés dont il doit être le chef et le maître” (Plu., Pomp., 67.7; cf. Fab., 5.8). Cet élément constitue un aspect de la cunctatio mis en avant par Cicéron, qui transpose cette vertu au débat politique à différentes occasions relevées par M. Roller67.
12Parallèlement, les Pompéiens auraient sous-estimé leur adversaire et péché par excès de confiance. Le succès de Pompée à Dyrrachium lui aurait donné une trop grande confiance dans ses hommes, comme l’affirme déjà Cicéron dans une lettre écrite en 46 (Fam., 7.3.2)68. L’arrogance et la suffisance des Pompéiens sont des thèmes largement développés par César, qui insiste en particulier sur leur trop grande confiance et leur présomption (Ciu., 3.72.1 : His rebus tantum fiduciae ac spiritus Pompeianis accessit). Grisé par un succès trompeur, aveuglé par cette excessive assurance, le tort de Pompée aurait ainsi été d’engager le combat contre une armée césarienne supérieure en valeur à ses propres troupes, comme le souligne Plutarque (Pomp., 84.2). Là encore, Pompée s’éloigne du paradigme incarné par Fabius, conscient de l’infériorité de ses hommes face aux Carthaginois, résolu à patienter pour les aguerrir, comme le rappellent Polybe (3.89.5-8 ; 3.90.4) ou Tite-Live (22.12.10). La faiblesse, voire l’infériorité, des armées pompéiennes est un thème constant dans le Bellum ciuile et M. Rambaud a bien montré de quelle manière César dévalorisait les troupes adverses en diminuant leur valeur69. Il évoque ainsi les hommes d’Afranius en Espagne, épuisés après seulement une journée de combat et de marche (Ciu., 1.65.5). À Dyrrachium, les soldats de Pompée n’ont visiblement pas l’habitude de mener les travaux de retranchement qui les affaiblissent (Ciu., 3.49.2), puis en Thessalie, César veut fatiguer par des marches quotidiennes une armée adverse mal entraînée à l’effort (Ciu., 3.85.2). Certes, il s’agit bien là d’un des aspects de la propagande césarienne déployée à travers le Bellum ciuile, mais la relative infériorité qualitative des troupes pompéiennes n’est pas totalement l’œuvre d’une “déformation historique”. Pompée lui-même semble l’admettre dans une lettre à Domitius datée du mois de février 49 et évoquée par Cicéron dans sa correspondance (Att., 8.12C.1-3). Au début de la guerre, en Italie, Pompée a uniquement à sa disposition les deux légions envoyées quelque temps auparavant par César : la XVe, nouvellement recrutée, et la VIe (Ciu., 1.6.1)70. Les légions espagnoles perdues, il en reste encore deux en Cilicie, avec des effectifs assez faibles pour qu’elles soient bientôt réunies en une seule légion “géminée” (Cic., Att., 5.15.1 ; Caes., Ciu., 3.4.1). Des levées sont rapidement effectuées, notamment par Attius dans le Picenum, tandis que des colons sont mobilisés vers Capoue (Ciu., 1.12.3 ; 1.13.4), ce qui permet à Pompée d’embarquer à Brundisium l’équivalent de cinq légions (Plu., Pomp., 62.3 ; Caes., Ciu., 1.25.2 ; 1.28.3). À ces dernières s’ajoute donc la légion formée à partir de celles venues de Cilicie, une autre formée de vétérans de Crète et de Macédoine et deux autres levées en Asie par le consul Lentulus, rejointes plus tard par les deux légions menées par Scipion depuis la Syrie (Ciu., 3.4.1 et 3). César nous apprend par ailleurs que les effectifs de ces légions ont été complétés par des levées (Ciu., 3.4.2). L’opposition entre une armée césarienne de vétérans et une armée pompéienne majoritairement composée de nouvelles recrues inexpérimentées est déjà exprimée par Cicéron (Fam., 7.3.3) puis plusieurs fois reprise par Appien (BC, 2.10.66 ; 2.11.74 et 76). Difficile en réalité de mesurer la proportion de nouvelles recrues et de vétérans au sein de chaque unité ni la qualité de ces troupes composites qui doivent affronter les légions césariennes. Selon F. Cadiou, les sources postérieures, davantage encore que le récit césarien, colportent cette image de légions pompéiennes inexpérimentées, en partie pour trouver une explication à la défaite finale71. Mais la composition des légions de César est tout aussi hétérogène. Si elles sont bien formées autour d’un noyau dur de vétérans des campagnes gauloises, de nouvelles levées sont effectuées en Italie et en Gaule dès le début de la guerre civile72. De plus, alors que César rassemble douze légions à Brundisium pour affronter Pompée, il reconnaît que les effectifs sont très incomplets, en raison des pertes dues aux campagnes précédentes, mais aussi aux épidémies (Ciu., 3.2.3). Lors des opérations en Épire, puis jusqu’en Thessalie, les pertes ont encore dû être importantes73 et César reconnaît ainsi, quand il détaille son ordre de bataille à Pharsale, qu’il doit réunir deux légions pour obtenir à peu près l’effectif d’une seule (Ciu., 3.89.1). Le total des 80 cohortes alignées regroupe 22 000 hommes, selon le Bellum ciuile (3.89.2), soit une moyenne relativement faible de 2750 hommes par légion. En face, Pompée est en mesure d’aligner 45 000 hommes pour un total de 110 cohortes (Ciu., 3.88.4). Ces effectifs sont ceux que mentionnent Plutarque (Cés., 42.4) et Appien (2.10.70), qui reconnaît néanmoins leur incertitude. Orose, qui écrit au début du ve s. p.C., mais sans doute à partir des livres de Tite-Live, évoque des effectifs plus équilibrés de 40 000 hommes répartis en 88 cohortes pour Pompée et 30 000 hommes pour 80 cohortes chez César (Or. 6.15.23-24). L’écart reste tout de même largement favorable aux Pompéiens qui s’appuient également sur des auxiliaires nombreux et une cavalerie dont César reconnaît la supériorité numérique (Ciu., 3.89.4). Le discours prononcé par Labienus avant la bataille et rapporté par le Bellum ciuile est dévalorisé par l’image que César donne de son ancien légat, traître, ennemi acharné et cruel, méprisant et dédaigneux74. Pourtant, il n’est pas totalement exagéré, et ce n’est plus exactement l’armée des Gaules qui se trouve alignée à Pharsale (Ciu., 3.87.1-4)75. Engager alors le combat n’est pas autant un contre-sens stratégique que nos sources l’affirment et le dénouement de la bataille ne doit pas forcément condamner rétrospectivement cette décision.
13Ces réflexions conduisent en effet à revenir sur le malentendu initial de la stratégie fabienne. Chez les auteurs postérieurs, la cunctatio perd son caractère temporaire et conjoncturel pour devenir une fin en soi. En réalité, cette stratégie s’avère être plus complexe que celle qui est présentée dans les sources à la suite de la tradition livienne. La lecture de Polybe permet ainsi de cerner plus précisément les véritables buts de la cunctatio, stratégie de temporisation dont la bataille décisive reste l’objectif principal76. Selon lui, si Fabius cherche dans un premier temps à éviter la bataille, c’est pour ne pas prendre de risques face à un adversaire qu’il estime supérieur en de nombreux points (Pol. 3.89.5-6). Il décide par conséquent de se contenter de suivre les Carthaginois, de gêner leur ravitaillement (Pol. 3.90), profitant de ce qu’il considère être son meilleur atout : les inépuisables ressources matérielles de Rome (Pol. 3.89.9). P. Erdkamp, suivant le texte de l’historien grec, remarque que la stratégie mise en place par Fabius n’a donc pas pour unique but d’éviter toute bataille, mais seulement de temporiser en attendant que la situation tourne à l’avantage des Romains77. La véritable force de la stratégie fabienne, la cunctatio, réside d’abord dans une évaluation réaliste de la faiblesse de ses propres troupes, tant physique que morale (Pol. 3.89.7), et de la force de l’adversaire. L’objectif de la temporisation est alors de laisser les hommes s’aguerrir en s’appuyant sur ses atouts logistiques et matériels sans pour autant écarter la bataille décisive qui viendra couronner cette stratégie en temps voulu. Polybe insiste d’ailleurs dès le début sur le caractère conjoncturel et provisoire des choix stratégiques de Fabius (Pol. 3.89.3 : τῷ δὲ χρόνῷ πάντας ἠνάγκασε παροµολογῆσαι καὶ συγχωρεῖν ὡς οὔτε νουνεχέστερον οὔτε φρονιµώτερον οὐδενα δυνάτὸν ἦν χρῆσθαι τοῖς τότε περιεστῶσι καιροῖς). Peu après, chez Appien, comme chez Tite-Live, le consul L. Aemilius Paullus, sur les conseils de Fabius dont il veut poursuivre la stratégie, souhaite patienter, éviter l’affrontement et user l’armée carthaginoise, au contraire de son collègue Terentius Varro qui souhaite livrer rapidement la bataille décisive que réclame le peuple (Liv. 22.39-40 ; 22.44 ; App., Hann., 18.78). Polybe nuance cependant cette opposition, éclairant plus précisément le fond de la stratégie d’Aemilius. Il raconte en effet que le consul ne refuse pas toute bataille, mais souhaite engager le combat sur un terrain plus favorable à l’infanterie romaine, à l’abri de la cavalerie ennemie dont il souligne encore la supériorité (Pol. 3.110.2). L’historien grec nous offre donc une lecture plus fine et plus précise des stratégies de Q. Fabius Maximus ou de L. Aemilius Paullus. La bataille décisive n’est pas définitivement écartée, mais n’est envisagée que lorsque les conditions stratégiques et tactiques sont réunies pour assurer la supériorité des troupes romaines78, comme le laisse entendre par ailleurs Silius Italicus (8.14-15 : Et, quamquam finis pugnaque manuque hauddum partus erat, iam bello uicerat hostem). Est-ce également le cas de Pompée à Pharsale ? César ne nous éclaire guère mais fournit néanmoins une première base de réflexion. Alors que les deux armées se font face dans la plaine de Pharsale, il admet ne pas connaître les intentions de son adversaires et place ses troupes en formation de combat, renouvelant l’opération pendant plusieurs jours en s’approchant chaque fois davantage des lignes pompéiennes (Ciu., 3.84.1-2). Même s’il est politiquement dans l’intérêt de César de montrer que l’affrontement est voulu des deux côtés, il apparaît que Pompée ne rejette pas complètement la possibilité d’une bataille rangée79. Il refuse en revanche de s’engager hors de la position choisie, qui lui procure un avantage non négligeable (Ciu., 3.85.1). La confrontation n’a finalement lieu que lorsqu’il le décide et que ses troupes s’avancent suffisamment pour provoquer César (Ciu., 3.85.3 ; 3.86.1). Certes, la défaite révèle la supériorité tactique de César et de ses hommes, mais celle-ci n’était pas inéluctable. Les campagnes de Dyrrachium et de Pharsale doivent ainsi être analysées sur le plan opérationnel sans tenir compte de leur dénouement tactique, Pompée faisant preuve de compétences assurées et d’une maîtrise stratégique indéniable.
Conclusion
14L’étude des stratégies déployées par Pompée se heurte dans nos sources à deux obstacles. Le premier est évidemment la propagande césarienne. Si le Bellum ciuile reste une matière première irremplaçable par la précision de ses informations, César excelle à narrer les événements de manière à les rendre conformes à ses objectifs politiques : présenter Pompée comme indigne de son titre d’imperator, irrésolu et passif dans ses choix tactiques et stratégiques. Cette image construite par son adversaire n’est pas toujours conforme à une analyse détaillée des faits tels qu’ils sont rapportés dans le texte même du Bellum ciuile. Le succès de cette image chez ses contemporains influence les jugements portés par les sources postérieures sur les qualités de stratège de Pompée. Mais au-delà de l’impact de la propagande césarienne, ces auteurs jugent aussi la stratégie pompéienne à l’aune de leurs propres préjugés et le paradigme stratégique illustré par l’exemplum fabien, transmis notamment par Tite-Live, correspond ainsi à leurs attentes. Au-delà des aspects strictement militaires, ce modèle exalte en effet le souci du bien commun et de la préservation de la vie des citoyens romains auquel sont sensibles des auteurs du iie s. p.C. comme Plutarque et Appien. Leurs écrits sont en effet particulièrement critiques à l’égard des hommes qui ont plongé le monde romain dans un cycle sanglant de guerres civiles, au premier rang desquels figure Pompée. Chez Appien, les vertus romaines exaltées par la République permirent la conquête d’un empire mais dégénérèrent du fait de l’ambition des hommes, φιλοτιµία, et de leur amour du pouvoir, φιλαρχία, avant que la µοναρχία augustéenne ne rétablisse l’harmonie, ὁµόνοια (App., Praef., 6)80. Une vision semblable de l’histoire romaine se lit dans les Vies de Plutarque, où seule la monarchie semble pouvoir mettre un terme aux excès de cette compétition pour le pouvoir qui mena la République à sa perte, même si le biographe a davantage conscience des faiblesses du nouveau régime81. Chez ces deux auteurs du iie s. p.C., l’incapacité d’un imperator comme Pompée à égaler le modèle fabien est symptomatique de la dégénérescence des vertus romaines que seul Auguste parviendra à raviver à leurs yeux. Selon J. Osgood, l’œuvre historique d’Appien serait en effet marquée par le renouveau des idéaux augustéens caractéristique des règnes d’Hadrien et Antonin82. Ainsi, l’historien alexandrin considère que gagner par prudence plus que par bravoure est d’autant plus sage et respectable qu’il dit retrouver cette formule dans les réflexions d’Auguste (App., Hann., 13). Le fondateur du Principat, célébré pour avoir ramené paix et stabilité dans l’empire, possèderait ce souci du “bien commun”, vertu cardinale du paradigme illustré par l’exemple de Fabius83. Suétone évoque chez l’héritier de César la valeur centrale accordée à la prudence, l’opposant à la témérité, θράσος, dans ses considérations stratégiques84. Sans doute ces qualités étaient-elles également célébrées dans la Vie d’Auguste composée par Plutarque et malheureusement perdue, comme l’expression de cette sagesse d’une “autorité toute paternelle”, caractéristique du bon roi tel qu’il est défini dans la Vie de Dion de Syracuse (Plu., Dio, 10.3)85. Si un historien comme Tacite fait preuve d’une distance critique dans son évocation du principat augustéen, le retour de la paix et de la sécurité demeure un élément essentiel mis au crédit d’Auguste (Tac., Ann., 1.4.1)86. Face au modèle incarné par Fabius, imperator soucieux du bien commun, Pompée n’est pas à la hauteur et devient ainsi le symbole des idéaux républicains dévoyés par l’ambition des hommes. Ce jugement de valeur porté sur l’ensemble de ses actions conduit les auteurs à le priver systématiquement et sans nuance de toutes les qualités incarnées dans le paradigme stratégique. Par conséquent, nos sources condamnent définitivement les décisions stratégiques de Pompée lors de sa campagne face à César et portent un coup fatal à sa réputation de stratège déjà ternie par la propagande césarienne. Que reste-t-il alors objectivement de ses compétences militaires ?
15La stratégie mise en œuvre face à César en 48 est relativement classique. L’expérience acquise par Pompée lui-même lors de ses précédentes campagnes contre Mithridate ou Sertorius lui a déjà enseigné la vulnérabilité des armées privées d’approvisionnement. Plutarque rapporte ainsi les leçons retenues par “l’élève de Sylla”, Σύλλα µαθητής, lors du siège de Lauro, mentionnant ensuite ses attaques ciblées sur les voies d’approvisionnement de ses ennemis (Plu., Sert., 18.5-10 ; 21.7). Néanmoins, la bataille décisive est toujours l’objectif final et Pompée ne déroge pas à la règle. Contrairement à ce qu’ont pu écrire nos sources, qu’elles le déplorent ou non selon qu’elles suivent la propagande césarienne ou idéalisent le modèle fabien, Pompée ne craint pas l’affrontement avec César et a bien conscience que la victoire finale ne pourra être obtenue que par le fer. Il ne sous-estime cependant pas son adversaire, dont il a pu mesurer les compétences dès 49 et peut-être même avant, par l’observation de ses exploits en Gaule. Il a également conscience de l’infériorité qualitative de ses propres troupes, qu’il entend compenser par sa supériorité numérique et par la faiblesse de la logistique de César. “Le tacticien de l’inaction et le stratège de la fuite”, tel qu’il apparaît dans le Bellum ciuile selon M. Rambaud87, s’avère être en réalité un stratège prudent, réaliste et résolu, parvenant à tenir César en échec jusqu’à leur affrontement dans la plaine de Pharsale. Là, alors que Pompée semble être le meilleur stratège, César démontre tout son talent de tacticien et de meneur d’hommes.
Notes de bas de page
1 Voir le bilan dressé à la fin de sa biographie par Plutarque, Plu., Pomp., 83.1.
2 Thorne 2018, 305.
3 Devillers & Sebastiani 2018b, 14-15.
4 Roller 2011, 182-184 ; Balmaceda 2017, 98-99 ; sur l’utilisation des exempla chez Tite-Live voir Chaplin 2000 ; 2015 ; Gowing 2009.
5 Rambaud [1952] 1966 ; plus récemment, voir Peer 2015 ; Krebs 2018 ; Raaflaub 2018, 17-22.
6 Peer 2015, 131.
7 Rambaud [1952] 1966, 356.
8 Peer 2015, 134 ; Batstone & Damon 2006, 103.
9 Rambaud [1952] 1966, 353.
10 Sur la comparaison entre Pompée et Sylla chez Lucain voir Pyplacz 2014, 102-103.
11 Pelling 1979, 85 et 93.
12 Westall 2015, 130-132 ; Stevenson 2015, 270-271.
13 Ce qui ressort notamment de Caes., Ciu., 3.11.1 ; sur le choix de César de mener une campagne hivernale, voir Porte 2017.
14 Cf. Caes., Ciu., 3.81.3, où César arrive près de Pharsale alors que la moisson est presque mûre.
15 Decourt & Mottas 1997, 334.
16 Brizzi 2004, 109. Cadiou 2008, 195 note cependant que cette stratégie rompt moins avec la tradition romaine que Tite-Live le laisse penser.
17 Sur l’utilisation de Polybe par Tite-Live voir Champion 2015, 195-198 ; Baron 2018, 204-205 ; Levene 2010, 126-163 ; ceux-ci reviennent sur la position de Tränkle 1977, 193-241, pour qui Tite-Live n’aurait pas utilisé Polybe pour les livres 21-30.
18 Erdkamp 1992 ; 2011, 72-73.
19 Erdkamp 1992, 130-131.
20 Erdkamp 1992, 132-134.
21 Erdkamp 1992, 143-145.
22 Erdkamp 1992, 144, n.32.
23 Bispham & Cornell 2013.
24 D.H. 7.71.11 souligne la valeur de l’historien : παλαιότατος γὰρ ἁνὴρ τῶν τὰ Ῥωµαικὰ συνταξαµένων καὶ πίστιν οὐκ ἒξ ὦν ἦκουσε µόνον ἀλλὰ καὶ έξ ὦν αὐτὸς ἔγνω παρεχόµενος.
25 Kubler 2018, 58 ; Bispham & Cornell 2013, 176-178 ; Devillers 2017, 128-129 ; Richardson 2015, 180-182 et 184 ; Forsythe 2005, 76, souligne la pratique aristocratique des éloges funèbres, à l’origine de traditions familiales qui pourraient être incorporées dans les textes des historiens postérieurs. Il prend notamment l’exemple de l’évocation par Tite-Live des opérations militaires conduites en 324 par Q. Fabius Maximus Rullianus, qui serait issue de la tradition familiale rapportée par Fabius Pictor, malgré la méfiance affichée par l’historien padouan face à ces traditions.
26 Rich 2018, 38-39 ; Fisher 2014, 150.
27 Cic., Sen., 4.10 : Hic et bella gerebat ut adulescens, cum plane grandis esset, et Hannibalem iuueniliter exsultantem patientia sua molliebat ; de quo praeclare familiaris noster Ennius : unus homo nobis cunctando restituit rem ; non enim rumores ponebat ante salutem. Ergo postque magisque uiri nunc gloria claret ; Liv. 30.26.9 ; Verg., Aen., 6.845-846 ; Roller 2011, 182-183. Voir les différentes éditions de ces fragments par E. Warmington (Loeb, 1935) et E. Bährens (Teubner, 1886).
28 Elliott 2009, 533 ; Richardson 2012, 64 ; Kubler 2018, 60.
29 Pomeroy 2010, qui insiste sur l’importance de Tite-Live comme source pour l’œuvre de Silius, malgré d’autres lectures complémentaires et réécritures poétiques ; Heynacher 1874 ; Klotz 1933, 1-34 ; Nicol 1936 ; Bauer 1883 ; Wezel 1873.
30 Richardson 2012, 62.
31 Meister 1975, 142-149.
32 Gowing 2010, 392.
33 Pelling 2007, 250 ; Eckstein 1995, 16-20 ; Walbank 2002b, 6-8 ; 1957, 6-16 ; Kubler 2018, 68-69.
34 Eckstein 1995, 85.
35 Gowing 2010, 391-392 ; Rich 2015, 113.
36 Xenephontos 2012, 161 ; Pelling 2002, 222-223 ; Schettino 2014, 422 considère Tite-Live comme la principale source de Plutarque pour les vies romaines, aux côtés peut-être de Posidonios d’Apamée pour la vie de Fabius. Selon elle, sa connaissance du latin n’est pas si superficielle et a permis au biographe de lire, critiquer et transposer d’importants passages d’œuvres latines (p. 424) ; Peter 1865, 51-57 ; Soltau 1870.
37 Erdkamp 1992, 146 ; Hose 1994, 182.
38 Rich 2015, 113 ; Schwartz 1895, 218-219.
39 David 1980, 68-74.
40 Sur cette notion l’ouvrage de référence reste Goldschmidt 1947. Plus récemment, voir Lane 1998 ; Delcomminette 2000 ; Gill 2012 ; El Murr 2015.
41 Sebastiani 2007, 87-91 ; Devillers 2017, 136-137.
42 Roller 2018, 4-8.
43 Roller 2011, 196 ; 2018, 178-180.
44 Holliday 1969, 67.
45 Sur Pompée et Agamemnon voir Champlin 2003, 297-300 ; Green 1991, 234-238 ; Leigh 2009, 242 ; Ambühl 2015, 23.
46 Chaplin 2015, 105-106 ; François 2006, 178 ; Xenophontos 2012, 166-171.
47 Roller 2011, 189 n. 20.
48 Voir Champion 2004, 255-256.
49 Chaplin 2000, 111-114.
50 Roller 2011, 191-193 ; 2018, 182.
51 Tiping 2010, 125.
52 Roller 2011, 194-195.
53 Mineo 2015b, 149.
54 Cadiou 2004, 314.
55 Poznanski 1980, 165.
56 Cadiou 2008, 195-203.
57 App., BC, 4.16.118 : ἢµεῖς δ᾽ ἀντιµηχανησώµεθα αὐτοῖς τὸν λιµὸν ἡµῶν προπολεµεῖν, ἰν᾽ ἀσθενεστέροις καὶ τετρυµένοις ἐντύχοιµεν, ὂτε χρή.
58 Fucecchi 2010, 222.
59 Fucecchi 2010, 225-227, qui insiste sur la qualité herculéenne de Fabius, pastor protégeant son troupeau (Sil. 7.730-731).
60 Fucecchi 2010, 229-230.
61 Rambaud [1952] 1966, 292 ; voir Flamerie de Lachapelle 2011, notamment p. 77-80 sur la clementia au service de César contre Pompée et p. 82-86 sur la reconstruction de la clementia Caesaris à travers les Commentaires.
62 Grillo 2012, 88.
63 Sablayrolles 2008, 362 ; Grillo 2012, 104-105.
64 Sur l’utilisation de ce topos épique par Lucain voir Joseph 2017.
65 Peer 2015, 137.
66 Stevenson 2015, 260-26.
67 Roller 2018, 192-193.
68 Peer 2015, 134.
69 Rambaud [1952] 1966, 341-342.
70 Elles sont numérotées I et III lors de la bataille de Pharsale, Ciu., 3.88.2.
71 Cadiou 2018, 162-164.
72 Caes., Ciu., 1.11.4 (Ariminum) ; 1.15.3 (Cingulum) ; 1.18.5 (Gaule).
73 César reconnaît avoir perdu 960 fantassins en une seule journée devant Dyrrachium (Ciu., 3.71.1). Plutarque, qui utilise le texte césarien dans la biographie de ce dernier, compte mille hommes (Plu., Cés., 41.1), mais, dans sa biographie de Pompée, il en compte 2000 (Plu., Pomp., 65.8). Peut-être suit-il ici davantage Asinius Pollion, comme lors du décompte des morts de Pharsale (Plu., Pomp., 72.4 : 6000 morts, comme App., BC, 2.11.82, contre les chiffres de Caes., Ciu., 3.99.4 : 15 000 morts) ; pour sa part, Orose (6.15.21) compte 4000 morts césariens devant Dyrrachium, tandis qu’il suit le texte césarien pour Pharsale (6.15.27).
74 Rambaud [1952] 1966, 345 ; Grillo 2012, 120 ; Peer 2015, 146-147 ; Brown 1999, 346-347.
75 Cadiou 2018, 172-173.
76 Beck 2000, 87 ; Erdkamp 1992, 140.
77 Erdkamp 1992, 137-138.
78 Cadiou 2004, 303.
79 Peer 2015, 136.
80 Price 2015, 60.
81 Stadter 2014, 24 ; Frazier 2014, 497-498 ; Buszard 2005, 296 ; Boulogne 2004, 222 ; Dillon 1997, 234-235.
82 Osgood 2015, 38.
83 Tipping 2010, 113-114 et p. 125 sur le titre de pater décerné à Fabius et à Auguste.
84 Suet., Aug., 25.5 : Nihil autem minus in perfecto duci quam festinationem temeritatemque conuenire arbitrabatur. Crebo itaque illa iactabat : Σπεῦδε βραδέως ! Ἀσφαλὴς γὰρ ἐστ᾽ ἀµείνων ἢ θρασὺς στρατηλάτης et : Sat celeriter fieri quidquid fiat satis bene.
85 Stadter 2014, 18.
86 Devillers 2009b, 317 ; Hurlet 2015, 171-173.
87 Rambaud [1952] 1966, 353.
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