Conclusion
p. 247-248
Texte intégral
1Au terme de ce parcourt qui demeure évidemment très partiel, on mesurera la nécessité de l’étendre aux autres parties de la chrétienté occidentale. Dans l’Empire tout d’abord, les trois métropoles de Trèves, Mayence et Cologne jouèrent un rôle prépondérant, en plus de Besançon, en Bourgogne comtale, et de Salzbourg pour la Bavière, avant que ne soient érigés les archevêchés de Brême-Hambourg (948) puis de Magdebourg (968)1.
2En Angleterre, on constate la grande stabilité des deux provinces de Cantorbéry et d’York, malgré une tentative de transfert du premier siège à Londres, au temps du pape Léon III. En Espagne, au contraire, la hiérarchie se reconstitue au grè des progrès de la Reconquista. Seule la métropole de Tarragone avait disparu après sa destruction en 718. Au sud-est de la Gaule, les petites métropoles d’Aix, Embrun et Tarentaise apparaissent comme les héritières des provinces romaines alpestres. Elles annoncent par leur morcellement la situation de l’Italie du nord-ouest et du sud.
3On peut dès maintenant estimer que la démarche se révèle fructueuse, à condition bien sûr de ne pas l’absolutiser ni de lui prêter a priori un trop grand rôle. La hiérarchie ayant existé entre les sièges épiscopaux est une clé explicative parmi d’autres de l’architecture des cathédrales, clé cependant assez peu prise en compte jusqu’à aujourd’hui. Sans présumer des époques antérieures à l’époque romane, dans la mesure où nous manquons souvent de témoins archéologiques suffisants, cette hiérarchie paraît tout particulièrement devoir être prise en compte pour le Moyen Âge moyen, soit essentiellement du milieu du xiie siècle au milieu du xiiie, période qui correspond à la naissance et à l’épanouissement de l’architecture gothique.
4Nous pensons avoir d’ores et déjà montré combien la hiérarchie des sièges épiscopaux à l’intérieur d’une même province est à prendre en compte. La notion de première suffragance, pourtant très rarement invoquée par les historiens de l’art, s’y révèle essentielle. Elle explique sans doute la précocité et la somptuosité de chantiers aussi divers que Bayeux (portails ouest), Le Mans, Agen, Clermont (chevet) ou encore Dax (portail). Il est aussi particulièrement intéressant de noter que nous avons rencontré à trois reprises – Reims, Dol et Bordeaux – une mise en scène iconographique tout à fait explicite de la province, au travers de ses évêques (fondateurs ou actuels) ou bien de ses églises. Il y en eut certainement d’autres, et il en reste probablement encore à identifier.
5Si la lutte symbolique que paraissent s’être livrées les cathédrales de Sens et de Paris a été depuis longtemps repérée, d’autres prétentions, conflits d’influence ou de préséance, transparaissent dans l’architecture. Relire Mouzon comme une tentative de créer une suffragante idéale commanditée par sa propre métropole, nous éloigne définitivement d’une perspective évolutionniste qui la jugeait archaïque, donc forcément plus ancienne. Le chevet de Chalon-sur-Saône, considéré comme suffragant de Lyon, s’éclaire en plusieurs de ses particularités. Une lecture de Dol, mise en relation avec ses prétentions à la primauté sur les diocèses bretons, aide à identifier ses modèles et requalifie sa façade ouest, jusqu’ici regardée comme la partie négligée de l’édifice. La vive opposition à Bourges, venant de l’une de ses suffragantes (Clermont), ou bien d’une métropole rivale (Bordeaux) paraît produire chez celles-ci des effets très semblables et probablement peu éloignés dans le temps – le milieu du xiiie siècle –, c’est-à-dire au début de l’introduction du gothique du nord dans les régions plus méridionales. Enfin, ce n’est sans doute pas un hasard si, dans ce midi languedocien et provençal, seules les cathédrales de Narbonne et de Toulouse arborent un ample chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Les suffragantes se contentent habituellement d’une simple abside, comme c’est le cas pour celles de la nouvelle province de Toulouse, toutes érigées à cette époque. Ce l’est aussi pour celles de Narbonne, puisque semblent n’y avoir dérogé, tout au moins dans l’intention, que les églises épiscopales nouvellement érigées d’Alet et de Saint-Pons-de-Thomière.
Notes de bas de page
1 Richard 1914.
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