La province ecclésiastique de Narbonne
p. 227-245
Texte intégral
1Avec la Narbonnaise, c’est à une province profondément romanisée dès le Haut Empire que nous avons affaire : la Provincia Romana est le prolongement de l’Italie, administrée longtemps par le Sénat. Son territoire allait des Pyrénées aux Alpes.
Les données historiques
2Les légendes des saints fondateurs se sont élaborées, destinées à conférer aux Églises qui y prétendent des prérogatives ecclésiastiques, si ce n’est politiques, exceptionnelles. Aussi concernent-elles d’abord les premiers sièges de la province, dans l’ordre de la Notitia : Narbonne, Toulouse et Béziers, alors que les deux derniers de cette première liste – Nîmes et Lodève – manifestent des prétentions déjà moindres. Prétentions que l’on ne retrouvera plus chez les “tard venus” : Carcassonne, Elne, Agde et Maguelone. À Toulouse, l’amplification de la légende de Saturnin – ou Sernin – est remarquable (fig. 147). L’évêque Hilaire aurait dressé sur sa tombe un petit oratoire au ive siècle. Au début du siècle suivant, Exupère dote son martyre d’un récit circonstancié, qu’il situe sous Dèce, en 250. Grégoire de Tours l’introduit parmi les sept évangélisateurs de la Gaule dans son De Trinitatis Mysterio, alors que Césaire d’Arles en a déjà fait un envoyé des apôtres Pierre et Paul. La Gesta Saturnini constitue le stade final de cette amplification légendaire : le saint est à présent fils du roi d’Achaïe, né à Patras, ayant reçu le baptême de Jean, et témoin aussi bien de la multiplication des pains que de la Cène, ou de la pêche miraculeuse. Il est envoyé en Gaule par Pierre, avec saint Papoul, pour être archevêque de Toulouse où il subira le martyre1. Il est remarquable que l’Église métropolitaine ne soit parvenue qu’à un récit moins valorisant sous certains aspects, quoique connaissant le même glissement : si Grégoire de Tours date aussi saint Paul de Narbonne du temps de Dèce, Césaire d’Arles y voit le proconsul de Chypres, Sergius-Paulus, converti par saint Paul (Actes 13, 4-12). Évangélisateur de Béziers dont il aurait sacré le premier évêque, il alla fonder l’Église de Narbonne. Son tombeau, dans le suburbium, entre les voies domitienne et aquitaine, devint un lieu particulièrement vénéré, ce qui est remarquable pour quelqu’un dont on ne prétend pas qu’il ait été martyr. Béziers, qui s’honorera de la première suffragance après l’élévation de Toulouse au rang d’archevêché, recueille et construit des traditions en léger retrait : Aphrodise, son premier évêque, toujours situé au iiie siècle par Grégoire de Tours, doit attendre la fin du Moyen Âge pour connaître une origine proprement apostolique : devenu un Égyptien selon le bréviaire du xive siècle, il est pour l’évangile apocryphe de l’Enfance, le protecteur de la sainte Famille pendant la fuite en Égypte. Venu avec Lazare en Provence, il aurait été martyrisé sous Néron.
3Les sièges d’une moindre dignité se consolent avec l’histoire de leurs “vrais” martyrs, cependant moins ancienne : ainsi de saint Baudile, à Nîmes, dont une passion fait un soldat marié, tué dans une forêt par des païens. Son tombeau surtout paraît avoir été célèbre. Plus tard, l’évêque saint Félix sera martyrisé par les Vandales au ve siècle. À Lodève, saint Genies, le patron primitif de la cathédrale, est un martyr d’Arles du iiie siècle. C’est au xe siècle que le jeune Fulcran sera éduqué par l’évêque Théodoric : sacré par celui-ci, il devient à son tour le chef du diocèse pour de très longues années (949-1006). Sa profonde charité lui vaudra une sainteté reconnue, ainsi que l’élévation de son corps en 1127. On a remarqué comment, dans son Speculum Sanctorale, le dominicain Bernard Gui avait, au début du xive siècle, pris en compte les saints des diocèses du Midi2, bien plus qu’avant lui Jean de Mailly, Jacques de Voragine ou Vincent de Beauvais. Il s’agissait de fournir des “preuves” de l’apostolicité des principales de ces Églises, ou de donner un fondement hagiographique aux nouveaux évêchés de Jean XXII, Saint-Papoul par exemple.
4La réforme grégorienne entreprit de restituer à l’Église une puissance et une indépendance qui allaient à terme se retourner contre elle, les comportements hostiles envers les évêques prenant dans le Midi une tournure beaucoup plus violente que dans le reste du royaume3. Lors de la première croisade, Raymond de Saint-Gilles avait pourtant donné l’exemple du chef croisé idéal : le plus fidèle qui soit à Urbain II. Malgré cela, l’aristocratie devient de plus en plus hostile à l’épiscopat vers la fin du xie siècle, et ses successeurs, en particulier Raymond V et surtout Raymond VI, allaient entrer en conflit violent avec les prélats. En outre, dans les villes, les évêques sont en concurrence directe avec comtes et vicomtes pour la domination des seigneuries urbaines : une lutte qui tourne à leur avantage à la fin du xiie siècle, mais qui les met maintenant en opposition avec le mouvement communal. Parallèlement, le phénomène de récupération des dîmes donne l’image d’une Église avide et opulente. Des évêques acquièrent de grands privilèges : celui de Lodève obtient du roi les droits régaliens en 1162, et onze ans plus tard, celui d’Agde obtient le droit de se fortifier. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, c’est à ce moment que l’on voit apparaître une nouvelle liste des provinces et évêchés de la chrétienté occidentale : le Provinciale Romanum, qui s’accorde mieux avec les prétentions du Saint-Siège au magistère universel.
5C’est dans ce contexte que se déroule et s’exaspère la crise cathare, jusqu’à la terrible croisade déclenchée en 1208. Mais il nous faut dire auparavant un mot du développement des ordres mendiants qui paraît d’emblée avoir été plus important dans le Midi que dans le reste du royaume de France. Jacques Le Goff a montré que pour ce qui est des Dominicains, leur diffusion s’est trouvée être près de deux fois supérieure ici, au début du xive siècle4. Mais il faut ajouter que ni la proximité des lieux de fondation, ni les nécessités de la lutte contre le catharisme, ni l’appel du roi de France à participer à la francisation de ces régions n’expliquent entièrement le phénomène. Cette présence des mendiants marquera fortement la vie religieuse de toute la région. Quand, en 1221, l’archevêque Arnaud Amabric installe les Dominicains à Narbonne, ceux-ci sont mal accueillis par la population. Par contre, les Franciscains et les Spirituels jouissent d’une grande popularité, qui s’accentuera encore avec la prédication de Pierre-Jean Olivi sur les doctrines de pauvreté. Mais le déséquilibre engendré allait bientôt créer de graves tensions avec les séculiers : de dures oppositions naissent à Toulouse entre 1250 et 1320. Le haut clergé fait corps contre les privilèges jugés exorbitants accordés aux “moines de la ville” (fig. 148). Il n’est pas douteux que le rôle joué par leurs ordres ait influencé l’architecture religieuse, surtout en Languedoc. Cela d’autant plus que c’est en 1260 que le chapitre général des Franciscains promulgue les Constitutions de Narbonne, qui contiennent les règles relatives à l’architecture des églises de l’ordre.
6Le catharisme qui se développa dans le Midi languedocien, avec son principal foyer en Lauragais, est une hérésie dualiste aux origines obscures. On a avancé l’hypothèse qu’il aurait pu être introduit par des seigneurs revenus de la seconde croisade, qui l’auraient découvert en Orient. S’il se développa rapidement, c’est qu’il rencontrait une aristocratie plus cultivée, et surtout un mépris profond des clercs incultes qui avait déjà engendré un anticléricalisme virulent, entretenu de longue date par la prédication enflammée de religieux dissidents, dont Henri dit “de Lausanne” et Pierre de Bruis ne sont que les plus célèbres représentants. Provoquée en 1208 par l’assassinat du légat pontifical Pierre de Castelnau, l’action militaire fut terrible et l’affreux massacre de Béziers – 30 000 morts ? – fit si forte impression que plusieurs cités abdiquèrent sans combattre. Le traité de Paris attribua le Languedoc au roi en 1229. La création de l’inquisition est à peu près concomitante, mais aussi celle de l’université de Toulouse, ville rebelle, deux fois assiégée par Simon de Montfort, où il finit par trouver la mort. À la faveur des événements, le pouvoir royal progresse au xiiie siècle dans toute la région. Nîmes fait sa soumission et est cédée au roi en 1226. À l’issue de la croisade contre les Albigeois, Raymond VII perd la région méditerranéenne, et à sa mort, le reste du comté revient à Alphonse de Poitiers. La création de la sénéchaussée de Toulouse date de 1270. Les tensions entre l’évêque Bertrand de l’Isle-Jourdain et les agents du roi seront continuelles. Tandis qu’à Narbonne, l’archevêque Arnaud Amabric prend pour lui le titre ducal (1212), l’évêque de Béziers l’imite dix-huit ans plus tard, se déclarant comte et seigneur de la ville. En 1372, c’est au tour de celui de Lodève d’arborer chez lui les mêmes prérogatives. Pour autant, les cathédrales méridionales n’ont guère adopté le style gothique du domaine royal en hommage à la Couronne, faisant de leur cathédrale, ainsi qu’on l’a parfois prétendu, “un hommage au roi de France autant qu’au Dieu du ciel” ! Et il faut rendre ici justice à Christian Freigang pour sa mise au point lucide5.
7C’est en 1317 que le pape Jean XXII se résout à la création de nouveaux évêchés dans le but de partager les trop grands diocèses français (fig. 17). La province de Narbonne est particulièrement concernée par la mesure, et sur les neuf diocèses qui y furent créés, sept l’ont été du démembrement du grand diocèse de Toulouse, qui perdit dans cette opération plus des deux-tiers de son ancien territoire6. L’impossibilité d’administrer de si vastes diocèses avait été rendue évidente par la crise cathare. Cependant, ces nouvelles créations rencontrèrent des obstacles considérables. Le premier découpage du diocèse de Pamiers, décidé en 1295 par Boniface VIII, dut être revu treize ans plus tard à cause des protestations des Toulousains. Les premiers évêques de Montauban eurent les plus grandes difficultés à prendre possession de leur siège du fait de l’hostilité des consuls et de la population à la création de l’évêché. Le cas de Limoux est aussi remarquable : d’abord choisie comme siège d’un nouveau diocèse, il est impossible de délimiter celui-ci, tant ce “très beau bénéfice” tient à cœur à l’archevêque, à son chapitre métropolitain, ainsi qu’aux Dominicaines de Prouille, dont les protestations seront si énergiques qu’elles contraindront le pape à élire à la place d’abbaye d’Alet, certes “donnée à Saint-Pierre et au pape” depuis le ixe siècle par le comte de Razès, mais que n’entoure qu’une minuscule bourgade. Même modifiée après 1317, la province, alors partagée en deux archevêchés, présentait encore de lourdes disparités : beaucoup de diocèses, tel que Béziers (136 paroisses) qui s’honorait maintenant de la première suffragance, demeuraient de taille médiocre. D’autres, certes très anciens, étaient minuscules, comme Agde (25 paroisses). Le paradoxe était que parmi les nouvelles créations, on en rencontrait d’aussi réduits, comme celui de Saint-Papoul.
8À basse époque, c’est plutôt le dépérissement de certaines cités qui allait entrainer des changements dans la carte religieuse : ce n’est qu’en 1536 que Paul III entérina le transfert à Montpellier de l’évêché de Maguelone. La cathédrale romane demeura isolée sur la lagune7. C’est plus tard encore – en 1602 – que Clément VIII permettra le transfert à Perpignan de la résidence des évêques d’Elne, dont le titre épiscopal ne sera cependant pas modifié. Le Languedoc, comme tout le midi, ignore les imposants chapitres cathédraux de la France du nord. Ici, la dizaine de chanoines n’est que rarement dépassée : ceux de Maguelone et d’Elne ont installé leur chœur dans la tribune occidentale de la nef romane, comme en certaines cathédrales provençales, telle que Vence. Mais là non plus, la richesse d’un diocèse ne dépend pas toujours de sa taille : les évêques-vicomtes d’Agde sont à la tête d’un très riche domaine. Plus généralement, l’ampleur du mouvement de récupération des dîmes s’accentue après 1250, et l’âpreté des chapitres leur attire souvent l’hostilité ambiante. C’est l’époque où sont entrepris les grands chantiers gothiques qu’il faut financer. Enfin, les vocables des églises cathédrales montrent une dispersion qui témoigne de la richesse des traditions du Bas Empire. Les “grands” saints sont peu représentés : Étienne à Toulouse et Agde, Pierre à Maguelone, et la Vierge seulement à Nîmes. Ailleurs, les saints locaux l’emportent, avec Fulcran, Castor, Eulalie, Just et Pasteur.
Les églises de l’âge roman
9Presque toutes les cathédrales de cette province possèdent des vestiges romans, et trois d’entre elles ont conservé jusqu’à aujourd’hui l’essentiel de leurs structures de cette époque. C’est d’abord Elne, siège issu du démembrement du grand diocèse de Narbonne. L’église romane à trois nefs s’achevant par trois absides tangentes a été peu modifiée par la suite. La nef compte six travées, outre le massif occidental à deux tours. L’ensemble date du xie siècle, même si la voûte en berceau ne fut lancée qu’au siècle suivant, à la suite d’un incendie.
10Les cathédrales d’Agde et de Maguelone, plus tardives, présentent entre elles beaucoup plus de parentés. Leurs puissantes maçonneries romanes soigneusement appareillées, et leur transept peu saillant, mais aux murs énormes qui initialement portaient des clochers, les apparentent l’une à l’autre, tout comme les éléments de fortification qui paraissent avoir fait partie du plan originel, ce qui induirait alors forcément une datation basse : à savoir 1173 pour Agde, et un peu antérieurement pour Maguelone8. L’insertion de la première dans un contexte urbain dense explique sans doute l’absence d’abside saillante, ainsi que la direction nettement inclinée prise par le chevet (fig. 149 et 150). Une telle architecture, sa datation relativement tardive, jointes au chœur des chanoines en tribune dans la nef de Maguelone, tendent à rapprocher ces cathédrales de leurs homologues provençales.
11D’autres édifices présentent des vestiges romans importants au niveau de la nef, le chevet ayant toujours été prioritairement reconstruit à l’époque gothique. À Toulouse, une grande partie des murs de la nef actuelle parait constituée de ceux de la cathédrale de l’évêque Isnard, élevée à partir de 1078. Ce large espace – 19 m de mur à mur – était certainement partagé en trois vaisseaux. On a pu déterminer que les collatéraux étaient surmontés de tribunes9. Dès lors, la cathédrale suffragante aurait été bien plus imposante que sa métropole de Narbonne. Bien que la cathédrale de l’archevêque Théodard – fin xie siècle – soit mal connue, et qu’elle ait sans doute été modifiée au xiie siècle, elle paraît n’avoir été qu’un petit édifice qui ne dépassait guère la surface du cloître actuel. Il n’en subsiste que le clocher (fig. 151). En 1954, Raymond Rey croit encore à une cathédrale “préromane” de 55 m de long, dont la nef non voûtée aurait atteint une vingtaine de mètres de largeur. Hypothèse réduite, trente-sept ans plus tard par Christian Freigang à une église d’à peine 50 m de longueur et ne possédant plus qu’une nef de 12 m de large10.
12Beaucoup mieux conservée, la nef romane de Carcassonne, dont Urbain II avait béni en 1088 les matériaux, se présente comme un triple vaisseau de la première moitié du xiie siècle. Les fouilles de 1859 ont révélé une simple abside sur une crypte.
13Il est enfin très difficile de parler de la cathédrale romane de Béziers à partir des vestiges existants, qui consistent dans les parties inférieures de la croisée et dans celles des deux premières travées du chevet. En tout cas, l’église de maître Gervais était à nef unique et probablement à chevet plat.
14On ne dira qu’un mot des vestiges romans des cathédrales de Nîmes et d’Uzès. De la première, dont Urbain II consacra l’autel en 1096, il ne subsiste que la façade. Entreprise par l’évêque Pierre Ermengaud, cet édifice consistait en une église à trois nefs, large de 21 m, s’achevant par une simple abside peut être accostée de deux absidioles. Sa superbe façade, hélas très mutilée, évoque un peu celle de la cathédrale d’Elne, quoique cette dernière s’inscrive dans l’architecture régionale du Roussillon (églises de Corneilla-de-Conflent et de Sorède par exemple). À Uzès, seule subsiste de la fin du xiie siècle, la partie inférieure de la tour Fenestrelle11. Le monument appartient à la famille des clochers cylindriques dont il existe des exemples surtout en Italie.
15On perçoit donc que les plus imposants monuments romans, ayant pu posséder un triple vaisseau pouvant atteindre jusqu’à une vingtaine de mètres de largeur, sont ceux de Carcassonne, Toulouse, Elne et Nîmes, alors que les cathédrales de Maguelone, Agde, Béziers et probablement Narbonne demeuraient des églises à nef unique.
L’apparition du style gothique
16La première apparition du gothique dans la province de Narbonne touche principalement les cathédrales de Toulouse et de Béziers. À Toulouse, la transformation de la nef romane remonte au début du xiiie siècle. Renonçant aux trois vaisseaux précédents, un maître d’œuvre tenta le voûtement unique d’une portée de 19 m, au moyen de trois croisées d’ogives construites d’est en ouest, dans un style purement méridional. La plus occidentale est élevée en avant de l’ancienne façade romane, et elle est elle-même fermée par le nouveau frontispice que perce une rose d’un dessin proche de celle de la façade ouest de Notre-Dame de Paris, qui ne saurait donc être antérieure à 1230. Le chantier fut interrompu peu après, et apparemment laissé inachevé12. La transformation de la nef biterroise, qui se trouvait être très endommagée par le siège de 1209, pourrait être à peu près contemporaine de celle de la nef raymondine toulousaine. On y retrouve les mêmes traces d’une possible influence angevine. Ces deux nefs apparaissent comme les premiers grands chantiers gothiques languedociens antérieurs à 125013.
17La pénétration du gothique du nord allait totalement bouleverser la donne, et provoquer un de ces débats qui passionnent les historiens de l’art, d’autant plus que peu avant l’ouverture des chantiers manifestement rivaux de Narbonne et de Toulouse, la cathédrale suffragante de Carcassonne s’était dotée d’un transept et d’un chevet extrêmement raffinés, dans ce que Robert Branner proposa d’appeler le “Court style”, expression contestée depuis. L’influence des ordres mendiants, si elle n’est pas totalement absente à Carcassonne, s’y conjugue autrement. La ville, qui n’avait jamais acquis le rang de cité à l’époque romaine, s’était rendue aux croisés en 1209. Un sénéchal royal y siégeait depuis 1226. La chapelle de Guillaume Radulphe, aujourd’hui à l’extrémité du bras sud (fig. 152), avait été élevée de 1263 à 1266. Elle est considérée comme la première manifestation du style gothique à Carcassonne. Le contraste qu’elle forme avec le nouveau chevet qui la domine est éloquent : l’aspect très mural de la chapelle, le dessin archaïque de ses fenêtres, le parti élémentaire de la voûte de son chevet, tout cela s’oppose au raffinement de l’œuvre nouvelle, pour laquelle l’autorisation royale d’agrandissement date de 1269, en vue d’un chantier qui paraît ne pas avoir été actif avant les années 1290 et le début du xive siècle14. On a généralement expliqué le plan assez inhabituel des parties orientales de deux manières : le manque de place vers l’est, et le choix fait dès le départ de conserver la nef romane. On se serait alors “rattrapé” en quelque sorte par le développement inusité du transept15. La nouvelle cathédrale est en fait d’une somptuosité gothique encore jamais rencontrée dans ces régions méridionales. Le choix d’une abside peu saillante, et surtout de chapelles très peu profondes ouvrant sur les longs bras du transept a permis de créer cet effet de “cage de verre” que de profondes absidioles n’auraient pas permis d’atteindre. Le modèle est certes parisien, et l’abside s’inspire de celle de la Sainte-Chapelle (fig. 153a et b), mais peut-être aussi de sa “descendance” déjà longue quand s’ouvre ce chantier méridional. Ainsi, plusieurs détails, comme les fenêtres à superpositions de trilobes dans les travées droites, sont-ils plutôt empruntés à la chapelle d’axe d’Amiens qu’à la chapelle palatine parisienne. D’autres détails “raffinent” sur le rayonnant parisien. Ainsi, à Carcassonne, les trilobes des baies du chevet sont inclus et non pas libres, pointus et non pas arrondis, et les parties effilées des voûtains de l’abside sont percées d’oculi meublés d’un trilobe, un ajout issu de Bourges, mais revenu en faveur dans les années 130016. Quant aux façades des deux bras, qui ne sont pas tout à fait contemporaines – celle du nord est considérée comme plus ancienne – elles incluent des nouveautés : au nord, la suppression de la traverse horizontale sous la rose a permis une composition en orbevoie hiérarchisée, les lancettes gagnant en hauteur latéralement à la place des écoinçons. Au sud, au contraire, la rose est incluse sous un arc brisé qui a permis d’ouvrir par-dessus une forme en croissant meublée de trilobes et de mouchettes. La nouvelle cathédrale se révèle donc apparemment insensible aux doctrines de pauvreté diffusées par les ordres mendiants et qui allaient infléchir les autres chantiers gothiques de la région.
18Christian Freigang, au cours de ses études sur les cathédrales du Languedoc, a montré que la décision de construire un édifice monumental, qui se distingue autant par sa taille que par ses formes de tout ce qui se trouve dans les alentours, était un moyen de s’imposer face aux adversaires politiques et aux autres institutions ecclésiastiques, ainsi que d’afficher sa richesse et son pouvoir. Dany Sandron est revenu, à partir de l’exemple du Languedoc, sur le rôle centralisateur des cathédrales gothiques au xiiie siècle, parce qu’elles sont au niveau du diocèse, hiérarchiquement les premières – Mater Ecclesia –, elles “illustrent en fait la hiérarchie de l’Église, ou plutôt des Églises, exaltant les origines de l’histoire de chaque diocèse”17.
19Les deux gigantesques chantiers de Toulouse et de Narbonne soulèvent des problèmes de chronologie, d’influence et d’attribution sur lesquels on discute depuis longtemps. Cependant, la question de la priorité n’est pas tranchée. Les sources donnent la même date – 1272 – pour le début du chantier de Toulouse, par l’évêque Bertrand de l’Isle-Jourdain, et pour celui de Narbonne, à propos de la pose de la première pierre, envoyée de Rome par le pape Clément IV18. Pour beaucoup d’auteurs, les deux projets étaient l’un comme l’autre bien antérieurs. Pour C. Freigang, le projet de reconstruction complète de Narbonne remontrait à 1264, avec un changement décisif impliquant le choix d’un nouveau site en 1271, sanctionné par la pose de 1272 ; le chantier de Toulouse ne débutant au contraire qu’en 1274-127519. Pour Michèle Pradalier, au contraire, l’antériorité reviendrait à Toulouse, où l’évêque Bertrand de l’Isle manifesta très tôt son intérêt pour la reconstruction de la cathédrale : peut-être dès 1255. Les travaux purent effectivement débuter en 127220. S’il est impossible de trancher, on peut cependant manifester une préférence pour la priorité donnée à Toulouse : la situation de Narbonne comme siège métropolitain et primatial était assurée ; celle de Toulouse était à conquérir, or les revenus beaucoup plus importants de cet évêché le permettaient. Le changement de site repéré à Narbonne en 1271 pourrait révéler un total changement de programme, motivé par l’ampleur du chantier suffragant de Toulouse. D’autre part, le gigantisme du chantier narbonnais apparaît dès le départ plus aventureux : le diocèse était moins riche, et la place vers l’ouest n’était pas disponible du fait des remparts.
20Le chantier primatial s’est trouvé être en partie contemporain de l’activité du franciscain Pierre-Jean Olivi, qui est de retour à Narbonne vers 1292 jusqu’à sa mort survenue en 1298. Cet ardent prédicateur, qui fut plusieurs fois en bute aux autorités de son ordre, soutient la pratique d’une pauvreté absolue qu’il a exprimée dans le Questiones de evangelica paupertate. Après sa mort, sa tombe devint l’objet d’un culte populaire considérable, si bien que l’on décida de l’exhumer.
21À Narbonne, l’année 1332, qui voit l’achèvement du chœur, marque un arrêt provisoire des travaux. Le chantier tourne ensuite au ralenti. Le procès bien connu, qui oppose le chapitre aux consuls jusqu’en 1354, consacre l’impossibilité définitive d’achever la cathédrale, entreprise quatre-vingt-quatre ans plus tôt “mira et sumptuosa, pulcherrima et decora, et in faciendo, imitare ecclesias nobiles et magnifice operatas et opera ecclesiarium que in regno Francie constructur”, pour reprendre les termes célèbres de la bulle de Clément VI, lui-même ancien archevêque de Narbonne.
22C’est encore Christian Freigang qui a le mieux souligné ce que j’appellerais la différence de “climat” qui paraît séparer ces deux chantiers gigantesques21, d’abord au niveau des commanditaires. Les archevêques de Narbonne, bien que participant formellement, paraissent s’être peu à peu retirés du projet, et seul le chapitre défend la cause de la construction ; alors qu’à Toulouse, les multiples représentations d’évêques bienfaiteurs, notamment aux clés de voûte des chapelles, attestent de l’investissement de ces prélats, en induisant un financement au coup par coup. Le premier niveau du chevet n’est ainsi achevé que vers 1370. Par ailleurs, si celui des grandes arcades présente de fortes similitudes d’une cathédrale à l’autre, le chantier narbonnais paraît être resté beaucoup plus sensible à l’injonction de pauvreté, ou du moins de simplicité, qui émanait des ordres mendiants ou résultait de leur influence. L’inachèvement des remplages en orbevoie sur les parois aveugles des chapelles rayonnantes en témoigne : seuls les meneaux verticaux ont été montés (fig. 154a et b). Le triforium se limite dans le rond-point à deux arcades aveugles, et à quatre dans les travées droites, strictement contenues dans l’étroitesse des baies hautes qui laissent de part et d’autre un large espace mural. À Toulouse au contraire, dans l’immense chevet inachevé, une sculpture opulente signe le mécénat de prélats fortunés, et le triforium entrepris est la négation même de l’esprit qui règne à Narbonne, et que l’on retrouvait encore dans les grandes arcades situées juste au-dessous. Déroutant aux yeux des historiens de l’art, il était jusqu’ici d’ailleurs daté avec une certaine fantaisie. Christian Freigang a réaffirmé tout récemment son appartenance au xive siècle, mais a aussi montré qu’un large transept avait été prévu vers l’ouest, dont le bras nord devait être pourvu d’une chapelle orientée22.
23À partir de la fin du xiiie siècle, les chantiers cathédraux de la province arborent un style nettement influencé par la primatiale narbonnaise, ainsi que par le courant franciscain austère. À Béziers, où nous avons vu que la cathédrale a connu une première phase de transformations gothiques au début du xiiie siècle, la nef et le chœur sont reconstruits à partir de la fin du siècle. La datation précise pose problème, car on ne saurait mettre en relation l’attribution au chapitre de l’ancien cimetière par Philippe le Bel en 1298, le transfert des reliques en 1299 et la consécration de 130023, la construction du chevet biterrois n’ayant pu en aucun cas durer seulement deux ans ! Aussi a-t-on allégué une consécration en 133024. La cathédrale de Lodève pose de délicats problèmes qui tiennent autant à sa chronologie qu’à ses sources d’inspiration, et même à son authenticité, car on sait qu’elle eut à souffrir de lourdes destructions en 1573. Il faut pourtant d’abord remarquer combien la cathédrale biterroise fut pour elle une source d’inspiration et même un modèle. Elle en est en effet une copie à peine réduite (54 m contre 56 m de long) ; et les principales différences proviennent du maintien à Béziers d’importants éléments de l’édifice précédent au niveau des 3e et 4e travées. Pour le reste : même abside très développée du type 9/16, qui paraît ici “réservée” aux cathédrales, les autres églises ne dépassant pas le type 7/12 ; très courte nef ensuite – deux travées à Béziers et trois à Lodève – flanquée d’annexes basses – collatéraux à Lodève et chapelles à Béziers – surmontées de structures de renfort (murs-boutants). Enfin, vaste chapelle parallèle au chevet, élevée contre son flanc nord, le cloître étant renvoyé du côté sud ; pour finir, puissant clocher hors œuvre. Comme on l’a bien noté, c’est Lodève qui s’inspire de la première suffragante, mais en déclinant le même parti architectural sur un registre nettement plus austère, que l’on peut considérer comme influencé par l’action des ordres mendiants qui marque toute la région.
24Le chevet tout d’abord, élément considéré comme ayant été élevé en premier, est sans doute celui qui témoigne le plus fortement de cet écart (fig. 155a et b). Pour un même plan, la structure apparaît à Béziers comme basse et riche, ce qui se perçoit surtout de l’extérieur. Les contreforts à colonnettes d’angle et larmiers multiples ne se retrouvent guère qu’à Sérignan. Lodève, qui supprime la différence d’élévation des voûtes entre nef et chevet, adopte une verticalité que déclinent aussi bien les contreforts à multiples retraits que les étroites baies au meneau médian filiforme : une esthétique que l’on a rapproché de certaines églises mendiantes d’Allemagne25 et qui est largement répandue dans la région, puisqu’on la retrouve notamment à Clermont-l’Hérault, Loupian, Montagnac, Vias ou en l’abbaye de Saint-Thibéry. La structure intérieure des courtes nefs de ces cathédrales est également révélatrice : la travée biterroise se présente comme une copie réduite et accentuée de celles de la primatiale : fenêtres hautes et étroites accostées de larges espaces muraux et surmontant un triforium limité à la largeur des baies hautes, mais ici réduit à des ouvertures carrées (fig. 156a et b). Il est très délicat de tenter de lui comparer la nef de Lodève dans la mesure où celle-ci a subi une large reconstruction entre 1625 et 1648. Il est en particulier évident que les piles cylindriques engagées n’ont pas été prolongées au-dessus du niveau de l’appui des fenêtres, et que de ce fait, les voûtes reconstruites sont dépourvues de formerets. Plus instructif encore est le rapprochement que l’on peut établir entre les façades (fig. 157a et b). Celle de Béziers frappe tout de suite par sa somptuosité. Son crénelage s’inspire visiblement de celui du chevet de Narbonne : même larmier très prononcé qui souligne les petites ouvertures comme les merlons, et usage du mâchicoulis sur arc. Avec un programme presque identique, Lodève revient à l’esthétique locale telle qu’elle s’exprime par exemple à Clermont-l’Hérault. Bref, la rose est le seul élément vraiment commun à toutes ces façades : roses méridionales au cercle ébrasé fortement mouluré et dépourvues d’écoinçons. Le dessin à dix pétales de Lodève26 serait une copie simplifiée des seize pétales de Béziers, qui n’adoptent pas encore les formes proto-flamboyantes de la rose à douze pétales de Clermont.
25Deux autres cathédrales, érigées après le démembrement du diocèse de Narbonne en 1317, furent choisies parmi des abbatiales que leur nouveau statut incita à transformer, surtout dans leurs parties orientales. Après l’éphémère érection de Limoux, rapportée dès 1318, c’est bien l’abbatiale d’Alet qui devint cathédrale d’un nouveau diocèse. Un chevet à chapelles rayonnantes polygonales fut entrepris autour de l’abside romane, mais jamais achevé. Les piles d’entrée de la première chapelle rayonnante sud – la seule presque entièrement conservée – prouvent indubitablement qu’un déambulatoire architectural était prévu (fig. 158)27. À Saint-Pons-de-Thomières, c’est beaucoup plus tard qu’un tel chevet aura été entrepris : à la fin du xve et dans la première moitié du xvie siècle, sous l’impulsion des évêques François-Guillaume de Clermont-Lodève et Alexandre Farnèse –le futur Paul III –, un vaste sanctuaire à chapelles rayonnantes commença à être construit. Il fut malheureusement ruiné en 1567 au cours des Guerres de Religion28. Dans le cas d’une cathédrale beaucoup plus ancienne, comme celle d’Elne, la même tentative eut lieu à une date difficile à préciser, mais donnée habituellement comme du xive siècle29. Les substructions d’un chevet à sept chapelles rayonnantes subsistent, témoins d’un chantier apparemment vite interrompu. La question demeure d’ailleurs de savoir si l’on prévoyait un espace central unifié ou bien un “vrai” déambulatoire architectural.
26On a ainsi le sentiment que ces cathédrales, réédifiées dans le style gothique, citent autant qu’il leur était possible la cathédrale primatiale. Toutes, sauf une – celle de Toulouse –qui s’affranchissant de toutes les règles, tente de la dépasser pour s’entourer à son tour d’une couronne d’églises suffragantes à l’architecture sagement contenue.
Toulouse après 1317 : une province presque parfaite ?
27Dans la province de Narbonne, Toulouse occupait bien le premier rang après la métropole dans la Notitia Galliarum, et l’importance plus grande prise par cet évêché ne pouvait plus être dissimulée au xiiie siècle, puisque sa rivalité avec le métropolitain donnait lieu à de plus en plus d’incidents. La première tentative de partage remonte comme nous l’avons dit à 1295, avec la création du diocèse de Pamiers par Boniface VIII. Cependant, c’est en 1317-1318 que la création de six nouveaux évêchés vint totalement bouleverser son territoire, le plaçant à la tête d’une nouvelle province composée d’autant de suffragants30. Les sièges des nouveaux diocèses furent tous placés dans des établissements monastiques ou du moins canoniaux, comme Lombez qui dépendait alors du chapitre cathédral. Nous avons vu aussi que le Dominicain Bernard Gui avait, au moyen de l’hagiographie, entrepris de donner l’identité sacrée qui leur manquait à ces nouveaux évêchés. Dans la seconde partie de son Speculum sanctorale, il apporte beaucoup de précisions à propos des saints méridionaux, et notamment des patrons de ces nouvelles Églises31. La plupart d’entre elles entreprirent l’édification d’une nouvelle cathédrale. Cependant, à Montauban, l’abbaye de Montauriol disparut pendant les Guerres de Religion, tout comme à Pamiers, l’abbaye du Mas Saint-Antonin, qui avait entre temps perdu ses reliques et son titre au profil de l’église urbaine Notre-Dame du Mercadal, en principe en 1485 et en fait en 154432. Seule la petite cathédrale romane de Saint-Papoul ne fut pas reconstruite, à l’exception de son absidiole sud, refaite sous l’épiscopat de Guillaume de Cardaillac (1328-1348).
28Les quatre autres nouvelles cathédrales – Lombez, Rieux, Lavaur et Mirepoix – furent reconstruites à peu près entièrement. Notre-Dame de Rieux et Saint-Alain de Lavaur étaient des édifices rectangulaires à chevet plat, difficiles à agrandir vers l’est du fait de la proximité d’un cours d’eau (l’Arize à Rieux et l’Agout à Lavaur). Un chevet en hémicycle fut cependant ajouté à cette dernière église en 1332 au prix de terrassements considérables. Néanmoins, l’allongement se fit surtout par l’ouest, œuvre de Jean Tissandier (1342-1348) à Rieux, et de Jean Vigier (1469-1497) à Lavaur, où d’importants clochers octogonaux vinrent prendre le relai du modeste campanile ou du mur-clocher des précédents édifices. On a remarqué combien la cathédrale de Lombez, œuvre du xive siècle pour l’essentiel, adoptait un parti modeste, probablement réduit de trois à deux nefs par rapport au projet initial33. Henri Pradalier a émis l’hypothèse que les premiers évêques de Pamiers aient plus ou moins encouragé la ville à embélir et agrandir une église [celle du Mercadal] susceptible d’être élevée au rang de cathédrale pour faire pièce aux chanoines qui tenaient pratiquement l’évêque en otage au Mas-Saint-Antonin34. Telle qu’elle se présente, l’influence de l’église des Jacobins de Toulouse s’y manifeste avec évidence. Toutes ces “petites” cathédrales, sauf peut-être celle de Mirepoix, présentent un air de famille qui les unit indéniablement à la grande métropole languedocienne dont elles forment la province. Plus qu’à l’architecture de l’immense cathédrale Saint-Étienne alors en chantier, c’est à celle des établissements conventuels de la ville qu’il convient de les relier. Les clochers en briques, si caractéristiques avec leurs arcs en mitre et leurs percements en losanges, que l’on rencontre sur les cathédrales de Lombez, Rieux, Pamiers (cathédrale officialisée en 1485), et Lavaur reflètent ceux des Jacobins, des Cordeliers et des Augustins, et par-dessus tout, le grand clocher de la collégiale Saint-Sernin, aux étages successivement romans et gothiques (fig. 159, a à f). Dans ce contexte, Saint-Maurice de Mirepoix apporte la singularité d’un édifice en pierre, couplé avec un parti plus grandiose. Le rang de ses commanditaires – évêque ayant accédé à la papauté comme Jacques Fournier, ou familier des papes d’Avignon comme Pierre de Lapéradère – peut expliquer cette relative somptuosité rendue possible par un financement plus abondant, qui allait permettre cette nef étonnamment large – 21,60 m – qui ne sera d’ailleurs voûtée qu’au xixe siècle35, ainsi qu’un somptueux clocher à flèche de pierre qui est en construction en 1516, et dont le coût total aurait été de 20 000 livres36. Ce qui demeure remarquable, c’est que ce luxe ne déroge en rien à la silhouette type de la suffragante en pays toulousain : volume très unifié, absence de déambulatoire architectural, unicité du clocher. Cette restriction, qui paraît bien avoir été volontaire, dans ce qu’on pourrait appeler un “programme cathédral” est ici d’autant plus à noter que les exemples de chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes, s’ils ne sont pas très nombreux, ne sont cependant pas absents dans cette région dans le cas des abbatiales ou même de simples paroissiales : ainsi, à Saint-Paul de Narbonne, Saint-Martin de Limoux, ou bien encore en l’abbatiale de Valmagne. Il faut d’ailleurs remarquer que ce phénomène se prolonge en Provence, où la cathédrale métropolitaine d’Arles est la seule église de toute sa province à avoir été dotée – tardivement – d’un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes, entre 1454 et 1475. D’une architecture particulièrement austère, celui-ci s’est inséré difficilement dans l’espace urbain.
Notes de bas de page
1 Dubreil-Arcin 1999.
2 Dubreil-Arcin 2002.
3 Soria 2003.
4 Le Goff 1973.
5 Freigang 1994.
6 Dubreil-Arcin et al. 2003.
7 Derens 1995.
8 Vallery-Radot 1951.
9 Cazes & Testard 2002, 203.
10 Rey 1955, plan face 460 ; et Freigang 1991, 268.
11 Elzière 2000 ; Privat-Savigny 2001, 280.
12 Cazes & Testard 2002 ; et Cazes et al. 1979-1980, 81-120.
13 Lablaude 1951 ; Pradalier 1994 ; Robin 1999, 260-274.
14 C. Freigang date le chevet de Saint-Nazaire de Carcassonne des années 1290. Freigang 1992, 336-345.
15 Durliat 1973, 565.
16 Gallet 2017d, 305.
17 Sandron 2001c.
18 Cependant Clément IV – Guy Fulcodi – étant mort à Viterbe le 29 novembre 1268, il faut imaginer que cette “première” pierre fut conservée quatre années avant d’être posée…
19 Freigang 1991, 274-279 ; Freigang 1992 et Freigang 1995.
20 Pradalier-Schlumberger 2002.
21 Freigang 1996.
22 Freigang 2021.
23 Pradalier-Schlumberger 1994, 63.
24 Robin 1999, 265. La date de 1300 est donnée par une visite canonique de 1633, publiée dans le Bulletin de la société archéologique de Béziers, 3e série, t. V, p. 29.
25 Curtius 1994.
26 Cependant certains dessins au xixe siècle représentent une rose à douze pétales. Une reconstruction est donc peut-être intervenue.
27 Leblanc 1973.
28 Durliat 1951, 280.
29 Grau 1955, qui n’a pas un mot pour ce chevet amorcé, et Durliat 1966, 53.
30 Vidal 1903-1904 ; Gazzaniga 1991 ; et Erlande-Brandenburg 1989, 248-250.
31 Dessi 2011, 528.
32 Pradalier 1997.
33 Carsalade 1994.
34 Pradalier 1997, 45.
35 Pradalier-Schlumberger 1973, 376-378. L’auteur prétend que l’absence de contrebutement latéral indiquerait que le voûtement de la nef n’avait probablement pas été prévu au départ.
36 Dubois 2017b, 91.
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