La province ecclésiastique de Reims
p. 61-96
Texte intégral
1La province ecclésiastique de Reims
Les caractéristiques générales
2La province ecclésiastique de Reims comptait au Moyen Âge douze diocèses, fort inégaux par leur origine, leur histoire et leur taille.
3Ces Églises s’étaient dotées de fondations légendaires qui leur permettaient de rivaliser en ancienneté, et par là en dignité. Deux sièges sont cependant trop notoirement tard venus pour pouvoir prendre part à cette surenchère : à Laon, si l’évangélisation est attribuée aux saints Béat et Preuve, l’évêché n’a pas été fondé par saint Rémi (fig. 18) avant 500, par démembrement de celui de Reims. L’élévation de Génebaud, premier évêque de la cité, est à situer aux ix-xie siècles1. Pareillement, une tradition voit en Antimond, l’évêque envoyé par saint Rémi à Thérouanne vers 500, et qui mourut en 519. C’est à la même époque que l’évêché de Noyon a vu le jour : créé par saint Médard, il a relayé celui de Saint-Quentin. La Vita Vedasti voit en saint Vaast le catéchiste de Clovis après la bataille de Tolbiac. Rémi l’envoie ensuite comme évêque à Arras, où des miracles spectaculaires allaient lui être attribués par Alcuin. Si saint Sixte passe pour avoir été le premier évêque de Reims, accompagné par saint Sinice, qu’Hincmar prétend avoir été envoyé de Rome par le pape Sixte II (257-258), l’hagiographie locale a fait venir d’Orient les premiers martyrs de la cité : ce sont les saints Timothée, Maure et Apollinaire, qui passent pour avoir été mis à mort sous Néron à Buxitus, sur la via Caesarea, dénommée alors Pompelle. Encore une fois, tout cela contribue à identifier Reims à une seconde Rome, presque aussi vénérable que l’ancienne par le sang de ses martyrs.
4La légende de saint Lucien, prêtre romain accompagné de sainte Romaine et de l’enfant saint Just, en fait des martyrs, et de Lucien lui-même, le premier évêque de Beauvais. La Passio Luciani le situe parmi les douze missionnaires, avec Denis, Rufin, Victorien, Crépin, Fuscien et Quentin, venus pour évangéliser la région. La plupart des martyrs picards proviennent du cycle de Rectiovarus, préfet romain légendaire et bourreau des chrétiens, cycle formé aux vii-viiie siècles2. Lucien fut martyrisé sur l’ordre de ce préfet, envoyé de l’empereur Maximien. Décapité à Montmille, près de Thérain, il prit sa tête entre ses mains, ce qui en fait un des nombreux saints céphalophores des origines mythiques de la Gaule chrétienne3, comme le sera plus tard Nicaise, décapité par les Vandales, selon le long récit qu’en a donné Frodoard dans son Historia Remensis Ecclesiae (fig. 19). Soissons honore les deux frères Crépin et Crépinien, les bons cordonniers qui chaussaient gratuitement les pauvres. Leur passion raffine encore par le supplice de la poix bouillante dont ils réchappèrent avant d’être eux aussi décapités. Saint Pia, évêque et patron de Tournai, fait partie du même groupe. C’est à Séclin qu’il eut lui aussi la tête à demie tranchée, la prenant de même dans ses mains en se relevant. La vita de saint Éloi – écrite par saint Ouen – crédite celui-ci d’avoir rendu les honneurs funèbres au saint céphalophore, ainsi que d’avoir montré aux fidèles les longs clous qui auraient servi à son martyre.
5Si saint Alpin fut le véritable organisateur de l’Église de Châlons, c’est saint Mémmie – dont Grégoire de Tours signale une basilique portant le nom – qui est vénéré comme le premier évêque de la cité. On ne lui connaît pas moins de quatre vitae, dont les plus tardives (xii et xiiie siècles) en font un disciple de saint Pierre, tendant ainsi à donner une origine apostolique à son Église. Le modeste diocèse de Senlis vénère en saint Rieul son premier évêque. Si une de ses vitae en fait un compagnon de saint Denis, crédité au surcroit de miracles cocasses, une autre voit en lui un disciple de saint Jean l’Évangéliste, envoyé d’abord à Arles, avant de monter jusqu’à Senlis par prémonition de son martyre.
6Alors, paraissent forcément modestes les Églises qui n’ont pas osé se donner une origine carrément apostolique : ainsi, la légende des saints amiénois, qui fait du sénateur Firmus de Pampelune, un converti de saint Saturnin de Toulouse. Il aurait prêché dans un nombre impressionnant de régions de la Gaule : Aquitaine, Anjou, Auvergne et finalement Picardie, où il fut martyrisé à Amiens. Son fils Firmin, devenu à son tour évêque de cette cité, alla chercher auprès du pape Vigile la mission d’évangéliser cette région. Les péripéties du récit légendaire étalent ainsi sans s’en rendre compte ces deux générations sur trois siècles : entre le iiie et le vie (fig. 20) !
7Certains Évêchés ont doté leur cathédrale de reliques ou de traditions plus récentes. Ainsi Arras, où l’épidémie du mal des ardents de 1095 aurait été enrayée par la remise d’un cierge miraculeux à deux ménestrels par la Vierge elle-même: la Sainte Chandelle. On doit citer encore la face de saint Jean-Baptiste, rapportée de Constantinople à Amiens en 1206 – une des nombreuses reliques provenant du pillage de la capitale byzantine – par le chanoine de Picquigny Wallon de Sarton.
8On constate dans cette province l’union de certains sièges durant une grande partie du Moyen Âge : Arras et Cambrai, qui ne seront séparés qu’en 1094, ainsi que Noyon et Tournai qui ne le seront qu’en 1146. Dans les deux cas, il y eut une longue et insistante réclamation du siège où ne résidait pas l’évêque pour retrouver sa pleine autonomie, ce qui lui fut longtemps refusé, tellement toute modification de la géographie ecclésiastique se heurtait à cette époque à de lourds intérêts établis.
9Sans que les territoires de ces évêchés atteignent le gigantisme de certains diocèses du centre de la France, plusieurs sont de grands diocèses : Reims, Thérouanne et Tournai totalisent ou dépassent les 500 paroisses chacun. C’est à ce point que l’archevêque de Reims envisage sérieusement la partition de son trop grand diocèse en 1197, et qu’après la disparition de Thérouanne en 1553, pas moins de trois évêchés – Boulogne, Saint-Omer et Ypres – seront créés pour le remplacer. Quant à l’immense diocèse de Cambrai, qui remontait vers le nord jusqu’à l’Escaut, il sera partagé lors de la réorganisation des diocèses des Pays-Bas espagnols en 1559, qui voit la naissance des évêchés de Malines et d’Anvers, tandis que Cambrai est élevé au rang d’archevêché. Tous ces diocèses comptent plusieurs centaines de paroisses, à l’exception de celui de Senlis qui, avec 63 paroisses, est le plus petit de la France septentrionale. Son chapitre, qui ne compte que 36 chanoines, est plutôt modeste lui aussi, dans une région où la moyenne s’établit plus volontiers autour de 60 prébendes, et jusqu’à 84 dans le cas de Laon. Tous ces chapitres sont des défenseurs farouches des traditions propres de leur Église. Ils cultivent une autonomie sourcilleuse et surtout leur indépendance vis-à-vis de l’évêque ; ce qui alla dans le cas de cette province jusqu’à l’institutionnalisation d’une communauté des douze chapitres en 1330. Elle se traduisit par des réunions annuelles au couvent des dominicains de Saint-Quentin qui perdurèrent jusqu’en 14284.
10On doit aussi signaler une prédominance extrêmement nette des vocables mariaux, puisque neuf diocèses sur douze ont leur cathédrale dédiée à Notre-Dame. Cette prédominance n’est cependant que le résultat d’un aboutissement. Il n’en fut en effet pas toujours ainsi : à Senlis, la première cathédrale était dédiée à Saint-Pierre et Saint-Paul ; celle de Reims, à laquelle s’attache le nom de l’évêque Bétause au ive siècle, était dédiée aux Saints-Apôtres. Elle le sera plus tard à Saint-Symphorien. Il faut attendre saint Nicaise, au début du ve siècle, pour que la nouvelle cathédrale soit dédiée à la Vierge. Il est probable que dans de nombreux cas aux origines inconnues, le culte de la Vierge a supplanté celui de saints locaux5.
11À la tête de la province, le rôle exceptionnel occupé par Reims tient moins à son titre métropolitain ou même primatial de la Belgique seconde, qu’au privilège unique qu’il a obtenu de sacrer les rois de France (fig. 21). Ce privilège ne fut définitivement acquis qu’au terme d’une longue lutte durant laquelle, fabrication de pieuses légendes et mises en scène iconographiques furent des armes courantes. Ce n’est qu’au xiie siècle que la victoire rémoise se révéla définitive. Mais déjà, à compter du ixe siècle, Orléans, Compiègne, Langres, Soissons et Noyon avaient eu tour à tour à accueillir l’imposant rituel. Plus qu’un lieu, visiblement très mouvant, le vrai rival était un prélat : l’archevêque de Sens, lui-même métropolitain et primat, qui eut à sacrer Charles le Chauve à Orléans en 848, Louis II le Bègue en 877 à Compiègne, puis Louis III et son frère à Ferrière deux ans plus tard. Ensuite, ce sera Eudes, en 888, aussi à Compiègne, avant que Robert le Pieux, en 987, puis Louis VI en 1108, n’aillent recevoir l’onction à Orléans, toujours des mains du même prélat. Il restait quelque chose des prétentions sénonaises dans le rituel du sacre : c’est à l’archevêque de Sens que revenait le privilège de remettre la Sainte Ampoule à l’archevêque de Reims, après lui avoir fait jurer que la relique serait rendue. Celle-ci était d’ailleurs conservée, non pas à la cathédrale, mais en l’abbatiale de Saint-Rémi dans le tombeau central, en même temps que la châsse du saint éponyme, d’où l’abbé l’apportait spécialement au moment du sacre, escorté par les chevaliers de la Sainte Ampoule. Autre sanctuaire rival : Saint-Denis, qui aurait bien voulu lui aussi capter la cérémonie, et qui, après n’avoir qu’épisodiquement accueilli les sépultures des carolingiens (Charles Martel, Pépin et Charles le Chauve), devint le véritable “cimetière des rois” sous les capétiens, puisque seulement trois d’entre eux (Philippe Ier, Louis VII et Louis XI) n’y reposeront pas6. Les privilèges de l’abbatiale francilienne ne s’arrêtent pas là, puisqu’il lui revient de conserver les Regalia, éléments de la vêture royale qui ne sont emmenés à Reims que pour la cérémonie. L’abbaye détient aussi l’oriflamme en temps de paix. Ce morcellement extrême des privilèges rend bien compte du grand climat de rivalité qui existe entre les sanctuaires les plus en vue, donnant lieu à des transferts sous escorte, à de multiples prestations de serments et, éventuellement, à d’interminables procès. Enfin, l’archevêque ainsi que quatre de ses suffragants détiennent presque toutes les pairies ecclésiastiques : ce sont les évêques de Laon, Châlons, Beauvais et Noyon. Seul l’évêque de Langres – sixième pair ecclésiastique – n’est pas suffragant de Reims, mais de Lyon. Curieusement, le premier suffragant par ordre de préséance, l’évêque de Soissons n’est pas pair, mais occupe ce premier rang au moins depuis l’époque carolingienne.
Plusieurs générations de chantiers
12Il ne subsiste presque rien des cathédrales antérieures au xiie siècle. On repère en plusieurs endroits dans les textes la trace de sanctuaires doubles : à Reims, la vaste cathédrale de l’archevêque Ebbon opposait deux absides : Saint-Sauveur à l’ouest, et celle de la Vierge à l’est. Ailleurs, on peut supposer la présence de deux édifices distincts : Saint-Pierre et Saint-Paul, ainsi que Notre-Dame et Saint-Firmin à Amiens. À Senlis, une église Notre-Dame paraît avoir été ajoutée à la primitive cathédrale Saint-Gervais et Saint-Protais. De même, Notre-Dame et Saint-Étienne se rencontraient à Tournai. Seules de cette haute époque, subsistent à Beauvais les trois travées occidentales de la Basse-Œuvre, église qui en compta neuf, et qui peut être attribuée à l’extrême fin de la période carolingienne.
13Les douze cathédrales de cette province exceptionnelle sont toutes – ou hélas, ont été, pour trois d’entre elles – des témoins importants sinon majeurs de l’architecture gothique des xii et xiiie siècles. Si les parties occidentales de Tournai méritent de passer pour romanes, les cathédrales de Laon, Senlis et Noyon, ainsi que celles – disparues – d’Arras et de Cambrai, sont des exemples essentiels de la première période de l’art gothique ; tandis que Soissons et Châlons en conservent des organes résiduels : le bras sud pour la première, une tour et la crypte pour l’autre. Ce bref panorama nous indique que trois cités au moins ont possédé une cathédrale du xiie siècle à l’architecture probablement fort inventive, mais qui n’a laissé que bien peu de traces : la cathédrale de l’archevêque Samson à Reims, qui devait se présenter comme un édifice très composite puisque l’ancienne nef était encadrée par une nouvelle façade et par un nouveau chevet7. Celle d’Amiens avait été rebâtie de 1137 à 1152, et celle de Châlons, achevée seulement en 1215.
14Il a depuis longtemps été remarqué que la province regroupe pratiquement toutes les cathédrales ayant possédé un plan triconque. L’antériorité revient évidemment à l’immense église de Tournai, où transept et chevet auraient été le résultat d’un changement de projet8, puis vinrent Noyon et Soissons (1160-1170 et 1175-1180 ?), et enfin Cambrai (1180-1200) qui présentait de singulières similitudes avec Soissons. Il est banal de remarquer que ces édifices sont très loin d’être les seuls à posséder un tel plan9. Cependant, les autres exemples qu’on en peut citer sont des abbatiales ou des collégiales. Est-il possible pour autant de parler d’une caractéristique de la province ? Sans doute pas, puisque deux paramètres font défaut : un pourcentage élevé – dans le cas présent quatre sur douze ne représentent guère qu’un tiers –, et le cas de la métropole elle-même. Il est en effet admis que la cathédrale de Samson n’a jamais possédé de bras de transept en hémicycle.
15L’union des diocèses de Noyon et de Tournai a-t-elle quelque chose à voir avec l’implantation des tours et des escaliers aux aisselles des bras de transept de ces cathédrales (fig. 22) ? Les quatre tours de Tournai flanquent les travées extérieures des bras, juste avant les hémicycles. Celle du nord-ouest referme un très large escalier, et un autre un peu moins large flanque la tour sud-ouest. À Noyon, évidemment postérieure, les tours n’ont été amorcées qu’à l’est. Elles accostent les travées intérieures des bras, d’énormes escaliers les jouxtant vers l’extérieur. D’autres escaliers semblables ont été répétés à l’ouest, mais sans apparaître en plan, puisqu’ils ne partent pas de fond. Ces deux cathédrales sont en outre les seules, avec celle de Cambrai, à avoir tenté de conjuguer bras en hémicycle et portails de transept. Si à Tournai, ces portails jouxtent vers l’ouest les tours occidentales, à Noyon, ils ont été percés dans la face orientale du transept, alors qu’à Cambrai, ils s’ouvraient au beau milieu des hémicycles de chacun des bras10.
16Pour le reste, on peut répartir les autres cathédrales du xiie siècle en trois groupes en fonction de leur plan. On rencontre d’abord d’amples chevets à déambulatoire continu sans chapelles rayonnantes, faisant suite à un transept très saillant pourvu d’annexes orientales. La façade ouest apparaît nettement débordante, son contrebutement et éventuellement ses tours-escalières neutralisant plus ou moins totalement les baies de la seconde travée. Ainsi en allait-il du premier état de la cathédrale de Laon, de Notre-Dame d’Arras, ainsi que, sans déambulatoire et sous une forme romane, du premier état de Châlons, du moins tel qu’a cru pouvoir le reconstituer Alain Villes (fig. 23a et b, et fig. 39a). On perçoit dans un tel parti plusieurs sources d’influence : sans doute celle, très locale, de Saint-Rémi de Reims, mais aussi celle de Sens. Deux autres chevets répondraient à un parti différent : celui de cinq chapelles rayonnantes supportées ou même prises dans un unique massif en hémicycle, et faisant suite à un transept peu saillant. La cathédrale de Samson, à Reims, ainsi que celle de Thérouanne paraissent avoir répondu à cette définition (fig. 24a et b). Notre connaissance de ces édifices disparus est ici limitée par le résultat des fouilles. Le chevet de la cathédrale de Thérouanne a été fouillé de 1898 à 1906 par Camille Enlart, puis dans les années 1960 à 1980, et enfin en 2010 par J. Maniez. Pierre Héliot a tenté de vieillir le projet de chevet de cette cathédrale, en prétendant qu’il aurait pu influencer ceux de Dommartin et de Heisterbach. La parenté avec le chevet de la cathédrale de l’archevêque Samson ne fait pas de doute11. Enfin, un dernier type serait représenté par la petite cathédrale de Senlis (fig. 25), dont la longue nef apparemment dépourvue de transept, ou du moins n’ayant possédé qu’un transept esquissé en plan et non en élévation, s’inspirait visiblement de Sens, mais dont le chevet, avec ses chapelles rayonnantes très peu profondes, à support axial pour deux d’entre elles, révèle nettement ses origines franciliennes (Saint-Denis, Saint-Leu-d’Esserent, Saint-Maclou de Pontoise). On ne peut prétendre dès lors qu’il y ait eu un “type cathédral” au xiie siècle en la province de Reims.
La mise en scène des suffragantes dans les fenêtres de l’abside
17Dans le cas de la cathédrale de Reims, nous disposons d’une mise en scène tout à fait exceptionnelle de la métropole et de huit de ses suffragantes, qui sont figurées aux fenêtres hautes du chevet. Cet ensemble fait déjà l’objet d’une bibliographie importante12. La désignation des prélats, en particulier l’archevêque de Reims ANRICUS ARCHIEPO.REMENSIS (Henri = Henri de Braine 1227-1240), nous oriente tout de suite vers des personnages contemporains. Mais il y a plus : Sylvie Balcon a montré que ce programme en a remplacé un autre, beaucoup plus hagiographique et historicisant, dont il subsiste des vestiges, notamment dans le bras sud du transept. Il se serait d’abord agi, non de l’archevêque et de ses suffragants, mais des archevêques successifs de Reims. Un tel programme soulignait l’ancienneté de l’église métropolitaine, son caractère sacré par les saints évêques qui lui furent donnés, et affirmait donc la dimension verticale de son ecclésialité. En le remplaçant par l’évocation des églises suffragantes figurées par leurs évêques et leurs cathédrales – ou au moins par l’un des deux –, c’est à une dimension beaucoup plus horizontale que l’on parvenait : l’extension territoriale de l’autorité métropolitaine de Reims, traitée sur le mode biblique des sept Églises de l’Apocalypse. L’intérêt de ce programme est encore renforcé par le fait qu’il paraît se situer à un moment clé de l’évolution de la représentation graphique, puisqu’on y passe insensiblement d’une image idéale et intemporelle à un début de réalisme. En effet, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, ces frontispices traduits dans le verre paraissent rechercher une ressemblance effective avec les modèles qu’ils sont sensés représenter. Comme l’a souligné Patrick Demouy, l’ordre des silhouettes paraît refléter la hiérarchie des prélats telle qu’elle était respectée aux conciles provinciaux13. La représentation des Églises suffragantes aux fenêtres hautes du chevet rémois constituerait ainsi un exemple particulièrement précoce de réalisme architectural, même si l’idéalisation des silhouettes domine encore ici ou là. On peut en rapprocher les représentations des treize Églises fondées par saint Martial et qui figurent au mur nord de la chapelle éponyme du Palais des Papes d’Avignon14. Il est en effet remarquable qu’un siècle environ après les vitraux rémois, Mattéo Giovannetti paraisse rechercher ses modèles dans le Comtat Venaissin, soit auprès d’édifices n’ayant rien à voir avec ceux qu’ils prétendent illustrer : l’église de Montfavet pour le Puy, la collégiale de Villeneuve-lès-Avignon pour Poitiers, des monastères fortifiés de Provence, pour Mende. Sa démarche rejoindrait ici celle des verriers de Reims qui, comme nous le verrons, paraissent emprunter à des abbatiales de la cité archiépiscopale la silhouette de suffragantes qu’ils ignoraient ou dont le chantier n’était pas assez avancé.
18La plupart des auteurs datent les verrières hautes du chœur des années 1230-1240. La cathédrale de Reims a ainsi été représentée deux fois. La silhouette de la baie n° 118, aujourd’hui dans le bras sud (fig. 26), insiste sur le rôle des arcs-boutants. Il s’agit de ceux de la nef, à batterie simple, sans culée intermédiaire, mais à deux volées caractérisées par leurs crochets d’extrados en forme de copeaux, ainsi que par leur couronnement pyramidal nettement débordant et lui aussi à crochets. Le système d’évacuation des eaux – d’ailleurs commenté par Villard de Honnecourt : “et en l’entavlement ait nokeres por l’evegetir”15 –, et qui fut modifié par la suite, est évoqué par les gargouilles à tête animalière. Pour le reste, la rose à cinq lobes est d’un dessin encore fort primitif. La figuration de l’église de Reims sur la baie axiale du chevet (n° 100) (fig. 27) insiste en revanche sur d’autres détails architecturaux. Nous sommes, semble-t-il, devant une représentation très simplifiée de la façade du bras nord. La rose est cette fois, non plus percée, mais construite, et ses pétales s’achèvent par des arceaux trilobés. Le croissant vitré existant entre le cercle de la rose et l’arc brisé qui l’encadre a été rendu avec application, tout comme les tabernacles surmontant les contreforts, avec leur flèche à pyramidons d’angle et leur grande croix sommitale. On remarque que ces deux représentations de l’église de Reims sont les seules où figure un couronnement crénelé, nous aurons à y revenir. Les deux verrières jouxtant la baie d’axe illustrent d’après leurs légendes les églises de Soissons (baie n° 102) (fig. 28) et de Laon (baie n° 101) (fig. 29). La première tente d’illustrer avec un certain réalisme la façade ouest de Notre-Dame de Laon : les trois portails à gables, les pinacles qui les séparent, le dessin de la rose, ainsi que l’arcature qui la surmonte avec son décrochement dans la travée centrale : tout cela fait de la silhouette de la baie 102 une des plus réalistes de la série. Il faut donc admettre qu’il y a eu inversion des images de Soissons et de Laon. Cependant, l’image de la baie 101 peut difficilement passer pour figurer le frontispice soissonnais… Éva Frodl-Kraft a cru pouvoir y reconnaître une représentation de la façade du bras sud de Chartres. L’histoire de la cathédrale de Soissons montre assez bien qu’à l’époque présumée de la création des verrières, elle n’offrait probablement aucun frontispice achevé : le bras sud se terminait en hémicycle, et son vis-à-vis ne recevrait sa somptueuse façade rayonnante que beaucoup plus tard. Quant à la façade ouest, elle n’était pas très avancée si on en croit Dany Sandron : le niveau des portails étant achevé vers 1240 au plus tôt, la rose et la galerie supérieure seraient à reporter dans le troisième quart du siècle16. Autant dire que le verrier rémois ne disposait là d’aucun modèle fiable. Devant cette carence, il a pu se tourner vers d’autres sanctuaires en chantier, comme pour l’image de Tournai, où É. Frodl-Kraft a cru pouvoir reconnaître Saint-Rémi. Mais s’est-il pour autant inspiré ici de la façade du bras sud de la cathédrale de Chartres ? L’hypothèse d’Éva Frodl-Kraft a été généralement admise sans discussion. Cette auteure paraît avoir été surtout frappée par les arcs trilobés des massifs chartrains qui séparent les trois porches, ainsi que par les triples tabernacles qui les surmontent. Mais il faut reconnaitre que les rapprochements entre l’église figurée sur la baie 101 et la façade sud de la cathédrale beauceronne demeurent vagues et n’emportent pas forcément l’adhésion. Un seul point apparaît fortement suggestif : l’image du Christ, siégeant entre deux chandeliers, qui bénit et tient un disque (hostie ?), et qui renverrait donc au médaillon central de la rose qui à Chartres surmonte les portails : un Christ dans la même position, mais tenant un calice. Nous allons voir qu’un autre rapprochement est tout à fait possible. On comprend mal en effet pourquoi le maître verrier aurait été chercher si loin son inspiration, Chartres n’étant même pas suffragante de Reims. Il est possible en revanche de suggérer que, comme dans le cas de Tournai, il aura trouvé en l’une des nombreuses églises rémoises en chantier un modèle original. Nous faisons en effet l’hypothèse que c’est plus probablement la façade de Saint-Nicaise qui aura inspiré la partie inférieure du dessin (fig. 30a et b). La première pierre en fut posée en 1231, et les cloches furent payées en 1256. Le chantier, très complexe, avança donc rapidement à la différence de celui de Soissons17. Le dessin en question est presque le seul de la série à figurer des quadrilobes libres, et les arcs du niveau des portails ont été représentés trilobés et non inscrits : toutes caractéristiques qui marquent fortement le niveau des portails de Saint-Nicaise. De plus, le dessin comporte cinq portes, se rapprochant ainsi des sept arcades de l’abbatiale rémoise. Les deux des extrémités ont été figurées à vantaux ouverts, comme dans le cas de Tournai. Elles sont surmontées de motifs triangulaires percés d’un trou rond central et coiffés d’une aigrette, tout à fait comparables à ceux qui chargeaient les contreforts de Saint-Nicaise. Enfin, sous son arc trilobé, le Christ bénissant, et tenant le monde – ou une hostie ? – offre une forte ressemblance avec celui qui occupait le quadrilobe du tympan central de Reims, et qui levait lui aussi les deux bras vers le ciel18. Au-dessus d’un rez-de-chaussée aussi novateur, les étages supérieurs du dessin paraissent bien archaïques, avec leurs arcades en plein cintre et leur rose au caractère très mural, et il est certain qu’ils vont chercher ailleurs leur modèle. Le choix de certaines abbatiales rémoises pour pallier au manque – provisoire – de deux silhouettes d’Églises suffragantes, anticiperait ici sur celui que l’on constate, un siècle plus tard chez Matteo Giovannetti, avec les silhouettes des treize Églises figurées en la chapelle Saint-Martial du Palais des Papes, et dont nous avons parlé plus haut19.
19La représentation de la cathédrale de Beauvais (baie 104) est particulièrement intéressante, et elle vient conforter notre précédent raisonnement. Ainsi que l’a bien montré Peter Kurmann20, le verrier animé par un souci de réalisme, mais confronté à une cathédrale inachevée, a choisi de représenter la seule partie alors existante de la façade du transept amorcé (fig. 31).
20La baie n° 103 prétend montrer la cathédrale de Châlons (fig. 32). Ce frontispice, dont l’appareil de pierre est rendu avec insistance, et les fenêtres pourvues de cloisonnements très élémentaires, serait une traduction de la façade du xiie siècle qui fermait encore cette cathédrale à l’époque. En effet, à la date où furent probablement réalisés les vitraux de Reims, la nef gothique châlonnaise était à peine amorcée, et cela que l’on suive les chronologies proposées par Pierre Héliot, Jean-Pierre Ravaux ou Alain Villes. La façade du xiie siècle s’ouvrait probablement par trois baies en tiers point, suivant une habitude locale très répandue (premier état de Notre-Dame-en-Vaux, églises de la Trinité et de Saint-Alpin à Châlons, église d’Ambonnay, etc.). Cette façade du xiie siècle était encadrée latéralement par deux tours inachevées couvertes de combles transversaux, et qui n’avaient pas dépassé le niveau des tribunes21.
21La baie suivante, vers le sud, qui prétend représenter l’église de Noyon, pose un problème plus aigu. Même en admettant, avec Peter Kurmann, que les trois pignons de la zone des portails aient pu refléter le porche véritablement construit22, il est difficile de voir dans cette élégante silhouette où la rose tient une place essentielle, une image de l’austère façade picarde. Celle-ci existait pourtant, si on retient la datation proposée par Charles Seymour, qui en situe la construction entre 1200 et 1235. Dès lors, y a-t-il eu confusion avec une autre église, ou le verrier a-t-il tenté de reproduire une autre façade rémoise à la place de cette cathédrale dont, semble-t-il, il ignorait l’aspect ?
22Dans l’état actuel des choses, trois ou quatre suffragantes demeurent veuves de leur silhouette dans les fenêtres du chevet : Arras, Cambrai et Senlis, ainsi que peut-être Thérouanne, alors qu’une vignette demeure anonyme dans la baie n° 107. Certes, la représentation de la baie 106 n’est pas sans évoquer l’image du projet initial de façade ouest de Reims, tel que l’avait reconstitué Kunze en 1960, mais beaucoup d’éléments en demeurent hypothétiques. La baie 105, qui fait suite au nord à celle consacrée à Châlons, fait voisiner l’église d’Amiens avec l’évêque de Senlis. Ainsi que l’a fait remarquer Peter Kurmann, “les ouvertures bipartites surmontées de rosaces quadrilobées qu’on voit dans l’image d’’Amiens’ correspondent exactement à celles qui se trouvent sur la façade occidentale de cette cathédrale dans la galerie surmontant les portails”23 (fig. 33).
23La façade, présentée comme étant celle de Tournai, sur la baie n° 108, où elle voisine avec un évêque anonyme, a pu être identifiée par É. Frodl-Kraft comme étant probablement inspirée par Saint-Rémi de Reims24. Le grand arc brisé enjambant la rose, et qui a disparu dans les restaurations du xixe siècle, était un élément caractéristique de cette façade. D’autre part, il paraît certain que les onze petites ouvertures en plein cintre superposées sur chacune des tourelles latérales représentent des jours d’escalier. De tels jours se rencontrent cependant aussi bien à Tournai qu’à Reims (fig. 34). L’inventivité extraordinaire dont fit preuve le maître d’œuvre de la façade de Saint-Rémi, restée cependant sans postérité25, expliquerait, comme plus tard pour celle de Saint-Nicaise, que ces deux frontispices aient pu être choisis pour figurer des Églises à propos desquelles on manquait alors probablement de représentation utilisable.
24La dernière représentation d’une église, qui figure sur la baie 107, est demeurée anonyme, mais elle voisine avec un prélat désigné comme l’“episco[pus] Morinen[sis] civita[tis]”, l’évêque de la Morinie, autrement dit de Thérouanne. Il n’est pas pour autant certain que la silhouette d’église soit celle de cette cité. Dans la fenêtre voisine (n° 105), c’est par exemple l’église d’Amiens qui a été représentée à côté de l’évêque de Senlis. Seules les cinq fenêtres les plus orientales de l’abside font voisiner avec cohérence un évêque avec sa propre cathédrale, ce qui a impliqué de consacrer une fenêtre entière par diocèse suffragant. Il semble que le manque de fenêtres disponibles ait conduit à réduire le programme pour les sept diocèses restants. Ainsi, certains ont pu n’être représentés que par leur église ou par leur évêque. Il demeure cependant possible que l’église de la baie 107 soit bien celle de Thérouanne, cathédrale dont on sait qu’elle fut entièrement rasée en 1553. Dans la première moitié du xiiie siècle, seules les façades de son transept avaient pu voir le jour, la nef restant en chantier. On connaît le Christ du jugement, seul témoin qui nous soit parvenu du portail du bras sud, dont les fouilles ont confirmé la probable datation autour de 123526. C’est cependant la façade du bras nord qui montrait une grande rose sur une arcature, surmontant un portail (fig. 35). L’énorme rose quadrilobée – la plus grosse de toute la série représentée – avait visiblement frappé le dessinateur, et le frontispice qu’il compose autour est aussi le plus élémentaire qui soit. Les rares représentations de ce côté de la cathédrale qui nous soient parvenues montrent une façade où la rose, inscrite dans un carré, était l’élément majeur. On devine une arcature au-dessous et un pignon au-dessus, ainsi que deux tourelles aux côtés. Rien que de très classique ; rien non plus qui permette d’exclure que la baie 107 ait voulu figurer la cathédrale de la Morinie.
25Quelle signification pouvait bien revêtir une mise en scène aussi éclatante des Églises de la province de Reims ? On doit noter l’emplacement des fenêtres, au-dessus du presbyterium, et la représentation de l’église métropolitaine et de son archevêque juste au droit du trône archiépiscopal, dans le fond de l’abside, et sous le clocher de l’ange qui en signalait l’emplacement à l’extérieur. Toute cette partie de la cathédrale ne jouait aucun rôle dans la cérémonie du sacre. Elle était par contre le lieu des conciles provinciaux, où la préséance de l’archevêque prenait tout son sens27. Sans doute cette représentation apparaît-elle moins comme l’expression d’une concorde que comme l’affirmation d’une domination, l’archevêque Henri de Braine ayant été un prélat batailleur, soucieux d’imposer son autorité autant au roi qu’aux bourgeois de Reims ou à ses suffragants. La révolte du patriciat rémois de 1233 fut particulièrement violente, l’archevêque fut chassé de la cité et il s’en suivit une longue interruption du chantier cathédral. À son retour à Reims, en 1238, il exerça malgré ses promesses une répression particulièrement dure28. Innocent IV devra ensuite intervenir en 1246 et 1251 pour forcer les suffragants et les monastères de la province de Reims à autoriser chez eux les quêtes au profit du chantier cathédral. La présence d’un ange sonnant de la trompe, au-dessus de la plupart des silhouettes d’églises représentées, les assimile aux sept Églises de l’Apocalypse. Trois font tout de même exception : l’ange de l’église de Reims tient une croix et bénit de la main droite. Sa position est d’ailleurs strictement frontale. Il s’agit certainement de la croix métropolitaine – ou primatiale – distincte de la croix processionnelle, et qu’un sous-diacre porte immédiatement devant l’archevêque. L’ange de Soissons révèle la dignité de première suffragante de son Église par son attitude didactique : d’une part il tient un rouleau de la main gauche, et montre qu’il enseigne – et non pas bénit – en levant l’index droit. Enfin, la silhouette de l’église d’Amiens est la seule à ne pas être surmontée d’un ange. Yves Christe a interprété cette privation comme une possible ironie à l’endroit du “riche évêché concurrent”29. L’assimilation aux Églises de l’Apocalypse ne rend d’ailleurs probablement pas un écho unanimement louangeur : le texte biblique émaille les lettres aux Églises d’Éphèse, Pergame, Thyatire et Sardes de vifs reproches, et pour ce qui est de celle de Laodicée, il confine à la quasi-condamnation (Apo. 2, 1-3, 22).
Reims et Chartres : deux symboliques antagonistes
26L’élaboration architecturale de la cathédrale de Reims est un immense sujet qui a passionné et opposé les chercheurs depuis maintenant près de deux siècles. De très nombreux travaux se sont donnés comme finalité de préciser la chronologie du chantier, jusqu’à la monumentale étude d’Alain Villes30. Mais pour ce qui est des sources de cette architecture, et de son rôle ultérieur, les choses paraissaient jouées depuis longtemps. Le chantier de Chartres, ouvert dès 1194, inaugure un certain nombre d’innovations qui allaient constituer le gothique “classique”, à l’architecture désormais stabilisée, et dont la plus haute expression : la cathédrale de Reims, inspirée directement de Chartres, rayonne sur toute la période. C’est bien en ce sens que s’exprimait Henri Foncillon : “L’étude des grandes cathédrales du xiiie siècle offre de moindres variétés que celles du xiie […] L’état d’une pensée classique en architecture est celui d’une belle langue qui, une fois fixée, n’a pas besoin de néologismes”31. Le point de départ est à Chartres : “Chartres est le modèle d’église le plus novateur, le plus apte à évoluer, conçu à la fin du xiie siècle, réalisé en 25 ans, et qui fournit le type ‘classique’ à la cathédrale gothique”32. Et le point d’aboutissement est Reims : “Aucune cathédrale n’a exercé une influence plus profonde sur l’art du xiiie siècle, voire sur celui du début du xive siècle, que la cathédrale de Reims. Pendant toute cette période, Reims est demeuré le modèle incontesté de l’architecture et de la sculpture […]”33. Dans une perspective évolutionniste de l’histoire de l’architecture gothique, assez peu de nuances ont encore été apportées à de telles affirmations. Du point de vue chronologique, Bruno Klein a remarqué que jusqu’en 1210, c’est Soissons qui est prédominante comme modèle, et Chartres seulement après. Pour Robert Branner, Reims peut être considérée comme avant-gardiste jusqu’en 123534, ce qu’explique J.‑P. Ravaux par la volonté tyrannique d’unité imprimée par les constructeurs de la longue nef rémoise, interdisant une évolution qui aurait été ailleurs normale, dans les dernières travées construites35. Malgré tout, la dépendance quasi-absolue de Reims par rapport à Chartres ne fait guère l’objet que de nuances. On parle, et cela depuis Marcel Aubert, d’une influence des deux chantiers qui devient réciproque, surtout à partir du transept. On relève une sensibilité différente au niveau du chevet, ou bien l’influence des tours de Laon, plus évidente que celles de Chartres pour Reinhardt lui-même. Malgré tout, c’est la thèse de Dany Sandron qui exprima la remise en cause la plus profonde, en mettant en pleine lumière l’influence de Soissons36. Plus récemment, Yves Gallet remarquait que c’est précisément avec le chantier rémois que “commence à tomber la réticence que l’on pouvait relever, dans les chantiers archiépiscopaux, à répercuter les dernières nouveautés de l’architecture gothique. Tout se passe comme si on s’était brusquement converti à la modernité”37.
27Chartres n’est pas une suffragante de Reims, mais de Sens. Ce n’est évidemment pas une raison pour qu’elle ne puisse figurer parmi les sources d’inspiration dominantes de la cathédrale des sacres ; et il est certain qu’elle y figure. La question est cependant de nous demander si les contemporains l’ont perçue comme telle. À considérer les deux cathédrales de Chartres et de Reims de profil (fig. 36a et b), on est frappé par les différences qu’offrent leurs silhouettes. À un édifice étiré en longueur, répond la silhouette plus ramassée, plus pyramidale de la cathédrale beauceronne. Pourtant, sa nef ne compte guère qu’une travée de moins qu’à Reims (9 au lieu de 10) ; mais plusieurs paramètres jouent : à Chartres, les travées occidentales sont de moins en moins profondes ; d’autre part, si les tours de transept dissimulent dans les deux cas une travée, les tours du massif occidental en dissimulent deux à Chartres, contre une seule à Reims. On pourrait à ce propos évoquer la distinction faite par Claude Andrault entre le plan centré des églises byzantines, expression accordée à une spiritualité reflétant “un temps immobile s’imposant à un fidèle immobile”, mais opposée à “la dynamique axiale de l’architecture occidentale, qui joue sur la longueur”38. Si maintenant, nous rapprochons les plans des deux cathédrales en y faisant figurer les dispositifs hérités du Moyen Âge, la différence devient encore plus frappante (fig. 37a et b). À Reims, le chœur des chanoines occupe les trois dernières travées de la nef, et le jubé, la moitié de la suivante vers l’ouest. Le grand autel est à la croisée, le sanctuaire s’étendant derrière. Mathieu Lours explique que c’est la volonté de ne pas déplacer l’autel de saint Rémi qui a conduit à un tel choix. Il montre que l’aménagement de ces deux cathédrales correspond en fait à deux types : le type parisien, archétype gallican, répandu dans tout le bassin parisien, et qui aligne le jubé sur les piles orientales de la croisée comme à Chartres, et un second type, celui des cathédrales cléricalisées de l’est du royaume, où le jubé est aligné sur les piles occidentales de la croisée, ou bien s’avance plus encore dans la nef comme c’est le cas à Reims39. C’est aussi parce que Chartres à surtout été conçue comme un lieu de pèlerinage, où on venait vénérer la Sancta Camisia – la tunique de la Vierge – même si dans les faits, l’afflux des pèlerins au Moyen Âge a peut-être été moins important qu’on ne l’a dit. En effet, les miraculés et les “chemisettes” – autrement dit les petites effigies de plomb rapportées par les pèlerins – ne se rencontrent que très exceptionnellement au-delà d’un cercle de 100 km autour de la ville40. Par contre, Reims est avant tout le théâtre des sacres royaux. Après l’incendie de 1194, Chartres a été reconstruite, sans qu’il ait été permis de déborder les limites de la précédente cathédrale41. En effet, son chevet s’élève sur l’ancienne crypte qui abrite la statue de la Virginis pariturae (la Vierge qui enfante), qui passait pour avoir été vénérée dès avant la naissance du Christ par des prêtres païens42, et le massif du xiie siècle clôt l’édifice vers l’ouest. À Reims, au contraire, la cathédrale de Samson a été débordée tant vers l’est que vers l’ouest. On a prétendu que la “trop” longue nef de Reims serait apparue mieux proportionnée si elle avait été pourvue de doubles collatéraux, lesquels paraissent avoir été prévus dans un premier projet43. Comme la cathédrale champenoise a été surtout conçue comme le théâtre du sacre, cérémonie qui se déroulait essentiellement dans le transept et au jubé, l’espace des dix travées de la nef apparut comme propice au déploiement des cortèges royaux. Par contre, son imposant transept, d’ailleurs écourté de deux travées selon les conclusions d’Alain Villes, même pourvu de portails au nord et scandé de quatre tours, n’a jamais constitué un axe de circulation transversal. Il n’en allait absolument pas de même à Chartres, où la cathédrale apparaît démesurée pour une population locale que l’on estime aujourd’hui avoir été inférieure à 10 000 habitants, mais où tout a été fait pour faciliter la circulation des pèlerins, le chapitre se réservant le seul chœur clos, limité aux travées situées à l’est de la croisée. Aussi, si l’image à laquelle renvoient ces cathédrales est bien celle de Jérusalem, il convient de nuancer le propos. Avec Chartres, dont le plan presque centré joue essentiellement sur l’équilibre entre les quatre bras, nous n’avons pas trois ou six portails, mais neuf, et nous n’avons pas six, mais bien huit tours. Les portails nord et sud, encore plus monumentaux qu’à l’ouest, constituent des entrées particulièrement solennisées, le bras oriental n’offrant pas d’autre “porte” que le Christ-Eucharistie44. Avec cela, les tours du chevet, d’un gabarit volontairement égal à celles du transept, contribuent à l’image d’une église inscrivant la totalité de son plan dans l’espace de la ville en direction des quatre points cardinaux. L’image de la Jérusalem johannique prédomine donc ici (Apo. 21, 10-23). La cathédrale de Chartres avait d’ailleurs la caractéristique de n’accueillir aucune sépulture, pas même celles de ses propres évêques45.
28À Reims, au contraire, l’accent est moins mis sur les tours et les portails. Ces derniers, s’ils sont bien actuellement au nombre de trois au nord, n’en constituaient pas pour autant une monumentale entrée de l’église. Seule la Porta Pretiosa, sous la tour ouest du bras nord, fait corps avec le gros œuvre dans le projet initial. Elle constituait pour les chanoines un accès normal à l’église, puisqu’elle se trouvait au débouché de la galerie occidentale du cloître. L’histoire monumentale des deux autres portails est moins simple, et a donné lieu à de multiples hypothèses. Si le portail des saints ne paraît pas avoir été ajouté après coup46, sa position ouvrant dans la portion occidentale de la galerie sud du cloître pose question. Quand au portail du Jugement, il concentre sur lui toutes les difficultés, de thème, de structure et de fonctionnalité47. La dimension eschatologique de la cathédrale des sacres tiendrait donc moins à sa ressemblance avec la cité sainte johannique. Par contre, les tabernacles des arcs-boutants abritant des anges (fig. 38), renvoient plus volontiers à la vision isaïenne de la cité sainte : “Sur tes murailles, Jérusalem, j’ai posté des gardes ; ni le jour ni la nuit, jamais ils ne doivent se taire” (Is. 54, 12)48. Le xiie siècle avait recherché systématiquement les réalités annonciatrices du culte de la Nouvelle Alliance sous le régime de l’Ancienne, et ici, l’institution royale trouve ses modèles dans l’Ancien plutôt que dans le Nouveau Testament. Ceci nous conduit à poser la question d’un crénelage symbolique prévu initialement au sommet des murs de la cathédrale. Villard de Honnecourt l’a lui-même dessiné et commenté, aux pl. 31 ro et vo et 32 ro et vo de son album. Il explique qu’au pied des combles des collatéraux, comme au pied du grand comble, il convenait de construire un crénelage : “devoit aver voies et creteux desur l’entavlement”. Cela facilitait la circulation dans les coursières extérieures des parties hautes. La célèbre coupe transversale de la pl. 32 vo, que l’on a souvent interprétée comme un premier projet d’arc-boutant pour le chevet rémois, et qui n’aurait pas été réalisé, montre clairement un petit parapet vertical pouvant former garde-corps aux trois emplacements où Villard a fait figurer ses “crétiaus” sur la pl. 31 vo (à gauche), quand il représente l’élévation latérale extérieure de l’église. À partir de là, Viollet-le-Duc a interprété tout différemment le propos de Villard : “le larmier du couronnement des corniches […] est muni de petits repos horizontaux, espacés les uns des autres de 0,40 à 0,50 m, qui forment comme des créneaux, et que Villard de Honnecourt […] appelle, dans ses curieuses notes, des crétiaus”49.
29Après la dernière guerre, Henri Deneux, dans une brève note parue dans le Bulletin monumental, s’écarte des conclusions de Viollet-le-Duc : “Les crétiaus n’étaient pas des paliers ménagés pour faciliter la circulation sur les larmiers, […] mais ils étaient destinés, dans le projet primitif, à recevoir une balustrade, qui n’a, probablement, jamais été posée”50. Ailleurs, Deneux s’est expliqué plus longuement sur les modifications subies par le couronnement du chevet. L’arcature haute, construite autour du grand comble, avait été sérieusement modifiée après l’incendie des toitures de 1481. Elle avait notamment reçu un couronnement de fleurs de lys qui venait remplacer “le crénelage des merlons du xiiie siècle”. C’est ce crénelage que Viollet-le-Duc a rétabli dans les années 1860 : il “restitua les merlons dont il retrouva des traces dans les chéneaux du xiiie siècle”51. Et pourquoi les concepteurs du xiiie siècle auraient-ils pourvu cette arcature ajourée et très aérienne – probablement ajoutée pour rattraper la hauteur vertigineuse de certaines suffragantes –, couronnée de créneaux devenus si incongrus à un tel emplacement, si ce n’est que parce que le projet initial, que Villard n’aura connu qu’en dessin, en prévoyait déjà, mais directement posés sur la corniche à la base du toit ? Ce projet d’un couronnement crénelé prévu dès le départ a été depuis souvent contesté par les archéologues, notamment par Roland Bechmann52, Jean Wirth53, ainsi que par Alain Villes54. Cependant, d’autres voix se sont élevées pour réhabiliter l’hypothèse d’un vrai crénelage à la fonction essentiellement symbolique : ainsi Yves Christe55 et Peter Kurmann56. Or, il existe de sérieux motifs pour leur donner raison. Tout d’abord, et cela ne paraît pas avoir été remarqué jusqu’ici, les représentations de la cathédrale dans les fenêtres hautes – baies 100 et 118 – sont les seules de la série à figurer un couronnement crénelé. Aucune autre silhouette de cathédrale n’en est pourvue. D’autre part, Villard a représenté des édifices pourvus de créneaux en bien d’autres endroits de son carnet : aux pl. 9 ro (chantepleure), 11 vo (baldaquin du roi), 18 ro (château) et 20 vo (tour). On remarque qu’il les fait figurer aussi peu saillants (pl. 11 vo) ou bien disposés en angle (pl. 18 ro), comme il le fait dans le cas de la cathédrale rémoise. On ajoutera, ainsi que l’a remarqué Peter Kurmann57, que l’abbatiale de Westminster “qui copie mainte disposition architecturale de Notre-Dame de Reims” arbore un tel crénelage au sommet du grand vaisseau comme des tribunes de la nef. Sans doute, tout ce système de crénelage a-t-il été là largement refait lors des restaurations de Scott dans les années 1860, mais de nombreux témoignages prouvent son ancienneté, notamment la gravure de Hollar de 165458. Suger, de son côté, avait pris soin de justifier les créneaux dont il a pourvu le massif occidental de Saint-Denis.
30Ainsi, si les commentateurs ont largement privilégié l’image symbolique de la Jérusalem céleste de l’Apocalypse, l’image vétérotestamentaire mérite d’être réhabilitée dans le cas de Reims, dans la mesure où le sacre royal tire largement son origine de l’Ancien Testament. L’Apocalypse n’insiste pas sur le caractère militaire de la cité sainte qui descend du ciel : puisqu’elle a acquis une victoire totale et n’a donc plus de combats à mener, ses portes demeurent constamment ouvertes (Apo. 21, 25)59. L’église de Reims au contraire se réfère par les anges postés tout autour de son couronnement crénelé à cette dimension combative de la cité sainte. L’iconographie vétérotestamentaire est donc très présente à Reims, notamment en façade ouest où, entre le couronnement de la Vierge et le baptême de Clovis, qui assimile saint Rémi à un nouveau Jean-Baptiste, l’étage de la rose exalte la monarchie davidique : par le combat victorieux contre Goliath qui la surmonte, et l’histoire de David et de Salomon qui occupe l’archivolte qui l’encadre. Le décor sculpté figurant au revers fait lui-même de très larges emprunts à l’Ancien Testament : histoires de Moïse, d’Abraham, de Gédéon, d’Habacuc, dans une perspective nettement typologique, où Peter Kurmann a montré que cinq interprétations se superposent, conférant à cet ensemble sculpté une valeur hautement ecclésiologique60.
31Par contre, l’aspect d’écrin sacré enchâssant une relique majeure semble inspirer toute l’architecture de Chartres. La mise en scène de cette relique, qu’on avait crue détruite lors de l’incendie de 1194, démontre la volonté d’entreprendre une nouvelle cathédrale61. On crédite toujours celle-ci de l’invention de la pile cantonnée, mais elle n’en use qu’en la conjuguant avec l’alternance de piles cylindriques et polygonales, elles-mêmes flanquées de colonnettes alternativement du type inverse de celui du noyau62. Il en résulte un effet monumental exempt de monotonie. Cette alternance se retrouve en bien d’autres points de l’église : colonnes séparant les deux déambulatoires, colonnettes recevant la tête des arcs-boutants inférieurs et supérieurs, tant de la nef que du chevet. Il est curieux de constater que dans la partie tournante du chevet, l’alternance marque en outre les deux colonnettes recevant les volées au sein d’un même arc-boutant. L’édifice multiplie par ailleurs les chanfreins et les angles obtus qui évitent les saillies anguleuses. Ainsi, au sommet des gouttereaux de la nef, des pans coupés en encorbellement confèrent un couronnement trapézoïdal aux contreforts séparant les travées.
Soissons et Laon, aux sources de leur métropole ?
32Que l’architecture de Reims doive beaucoup à Chartres ne fait aucun doute. Cependant, l’esprit de ces deux édifices diffère considérablement. La cathédrale des sacres emprunte consciemment probablement davantage à deux de ses suffragantes : celles qui figurent aux fenêtres de son chevet de part et d’autre de la verrière de l’archevêque Henri de Braine : les Églises de Soissons et de Laon. La silhouette extérieure de la cathédrale aux sept tours – Laon – a inspiré sa métropole qui, évidemment, renchérit sur elle63. Un rapprochement de la silhouette achevée du premier projet de Laon avec celle de Reims pourvue de l’ensemble de ses clochers et de ses flèches est évocateur (fig. 39a et b). On remarque cependant que les commanditaires de Reims ont finalement donné un gabarit beaucoup plus important aux tours occidentales, rompant ainsi l’équilibre entre les trois frontispices. Les façades du transept rémois présentent de nombreux points de ressemblance avec la suffragante. Le dessin de la rose occidentale de celle-ci inspire directement les roses de transept de celle-là64. Si Dany Sandron a identifié le nouveau chevet laonnois élevé vers 1200 comme source principale des façades-pignons du transept rémois65, la composition générale de ces façades dans les deux cathédrales révèle beaucoup de points communs (fig. 40), et d’abord une répartition largement identique66. À Laon, le cordon sculpté au-dessus de l’étage des grandes fenêtres marque un ressaut dans la travée centrale, y compris en façade ouest. On se souvient que ce détail figure sur la représentation de l’église au vitrail du chevet rémois. Ce ressaut se retrouve, mais inversé, aux façades des bras du transept de Reims. Il y a davantage : les encorbellements dans les angles des contreforts sous la même moulure, dans les travées latérales, se retrouvent quasi-identiques à Laon, mais situés un peu plus haut, c’est-à-dire au-dessus du premier étage des tours sud, à ceci près qu’ils sont constitués de trois rangs de modillons superposés à Reims contre seulement deux à Laon.
33Si la suffragante laonnoise a beaucoup inspiré l’aspect extérieur de la métropole, celle-ci est largement redevable à la première – Soissons – de son ordonnance intérieure, même si Dieter Kimpel trouve cette dernière “si pauvre en idées”67 ! Dany Sandron remarquait ainsi que : “L’architecture de Reims, malgré son gigantisme, est beaucoup plus élégante que celle de Chartres, elle en ignore la lourdeur. Il n’est pas exclu que cette réussite formelle soit en partie redevable au chantier soissonnais dont nous avons déjà souligné la finesse par rapport à Chartres”68. Ainsi, le rapport entre la largeur et la hauteur est-il presque le même dans les deux cathédrales champenoises (2,50 pour Reims avant l’exhaussement repéré par Deneux, et 2,48 pour Soissons), alors qu’il s’en écarte beaucoup (2,19) à Chartres, surtout du fait de la largeur plus grande du vaisseau principal assis sur la crypte de l’édifice précédent. Les fenêtres hautes de la cathédrale des sacres paraissent se situer dans la droite ligne de l’évolution des fenêtres soissonnaises, alors que les baies hautes de Chartres répondent à une toute autre logique : forte accentuation de la rose du sommet qui tend à reproduire la rose de façade, et inscription de la baie sous un arc en plein cintre69. En outre, l’usage du grand appareil agrafé et dressé au taillant droit – et non pas denté – confère à cette cathédrale l’image d’un monument resté en marge des innovations techniques. Maxime L’Héritier et Arnaud Timbert ont avancé l’hypothèse que de tels choix pouvaient avoir eu un rôle dans la symbolique du monument70.
34L’élévation latérale de la travée – le fameux type A-B-A – rapproche également bien davantage Reims de Soissons que de Chartres (fig. 41a, b et c). Malgré la grande particularité du chevet de Soissons – une voûte unique couvrant la travée de déambulatoire et la chapelle rayonnante –, c’est bien lui qui inspire directement le chevet rémois : rond-point à six piles – contre huit à Chartres –, simple déambulatoire – il est double à Chartres –, cinq chapelles rayonnantes contre sept à Chartres et de profondeur variable. Notons que sur tous ces points, s’il “emprunte”, le chantier métropolitain renchérit surtout à chaque fois sur le modèle. Il n’y a aucunement soumission de l’architecture de la métropole à sa suffragante, mais constant dépassement de celle-ci. Reste le point incontournable, où l’on affirme invariablement la dépendance de Reims par rapport à Chartres : la pile cantonnée dont il faudrait créditer la cathédrale beauceronne, non point de l’invention, mais au moins de sa systématisation. On oublie cependant le contexte d’alternance – cylindre/octogone – qui marque toute cette cathédrale, et n’en constitue nullement un élément anecdotique, une sorte de raffinement surajouté et extérieur à l’invention. Le chantier rémois n’a pas emprunté ce type de pile à une lointaine cathédrale – que sans doute il connaissait – tout en le simplifiant et l’uniformisant. On doit plutôt penser qu’à nouveau, il renchérit ici de façon spectaculaire sur l’architecture de sa propre suffragante : la pile cantonnée de Reims est une réinterprétation particulièrement amplifiée et somptueuse de la pile “pauvre” de Soissons. On peut d’ailleurs remarquer que les piles du rond-point de Reims en reviennent strictement au modèle soissonnais, et n’incluent aucunement les développements qu’on rencontre à Chartres. Ainsi sont-elles flanquées vers l’intérieur du vaisseau d’une seule colonnette partant de fond, alors qu’à Chartres, elles sont trois. Et comme l’avait remarqué par ailleurs Dieter Kimpel, la cathédrale de Reims, par le décor de ses chapiteaux, témoigne de son intention de surpasser la sculpture ornementale des suffragantes Laon et Soissons. Par rapport à Soissons, le chapiteau rémois est d’une forme luxueuse71. De même qu’à Reims les commanditaires paraissent avoir attaché peu d’importance à une primatie de la Belgique seconde, qui n’exprimait guère la primauté à laquelle ils aspiraient, de même, la mise en scène iconographique commandée par l’archevêque Henri de Braine aboutit à dépasser le rôle de Reims comme lieu des sacres royaux pour lui préférer une mise en valeur de l’Église rémoise par elle-même : l’Ecclesia Remensis. Elle s’identifie à l’Église universelle rachetée par le Christ : seconde Rome, mère et tête de toutes les Églises de la Gaule72. Ainsi, rejoignons-nous ici Dany Sandron pour qui la cathédrale de Chartres doit être regardée comme un monument exceptionnel, “hors liste” en quelque sorte, et qui “n’a vraisemblablement jamais été le monument pivot qu’on a imaginé […] En définitive, l’influence de cette cathédrale paraît avoir été surestimée”73, et cela même si, comme le relevait Roland Recht, “l’historiographie de l’art gothique l’a élevée au rang de paradigme”74.
35Évidemment, Reims n’est pas seulement une synthèse surenchérie de deux de ses principales suffragantes, et on a relevé avec raison mainte source d’influence mineure. Kunst y a discerné des “citations” de Sens, de Chartres, mais aussi de Saint-Rémi de Reims, sanctuaire avec lequel la cathédrale des sacres s’est trouvée souvent en rivalité75. La façade occidentale enfin constituerait un sujet à part, où de multiples influences ont pu être discernées. Peter Kurmann a repéré entre autres celles du bras nord de Notre-Dame de Paris, de la façade d’Amiens et de Saint-Nicaise de Reims, ainsi que pour certains éléments du décor, l’influence de l’architecture normande76.
Le “contre-exemple” de Mouzon
36L’abbatiale ardennaise Notre-Dame de Mouzon a été diversement commentée, et surtout elle a donné lieu à un net désaccord quant à sa datation. La place forte, située à la frontière avec l’Empire, relevait au temporel comme au spirituel de l’archevêque de Reims. Cette position privilégiée explique qu’elle ait été le cadre de plusieurs conciles du x au xiie siècles, ainsi que de diverses entrevues, tour à tour entre le roi de France, le pape et l’empereur, en 1023, 1120 et 118777. À la fin du xiie siècle, l’archevêque de Reims envisagea là l’érection d’un évêché – s’eût été son douzième suffragant – et bien que l’accord du pape Célestin III semble avoir été acquis dès 1197, la chose ne se concrétisa pas. L’église fut victime d’un grave incendie en 1212, qui détruisit aussi une partie de la ville. Une inscription datée de 1231, mentionnant la date de 1213, se trouve à l’angle oriental du bras sud. L’église reconstruite arbore un plan qui s’inspire très directement de celui de la cathédrale de Reims : longue nef de huit travées (dix à Reims), transept court, ne comptant que deux travées par bras, mais ici sans collatéraux, chevet court de trois travées droites, ouvrant sur un déambulatoire à cinq chapelles rayonnantes, la chapelle d’axe étant un peu plus profonde (fig. 42a et b). C’est cependant en élévation que les choses ont de quoi étonner : cette copie réduite de Reims en revient en effet à des formules du xiie siècle : chevet rappelant de près Saint-Rémi (fig. 43a et b), et surtout élévation intérieure directement copiée sur celle de Laon, y compris pour les voûtes sexpartites (fig. 44). Bien que les sources écrites aient semblé fournir un scénario limpide – incendie en 1212, chantier de reconstruction actif de 1213 à 1231 – le doute s’est insinué, et le besoin de ne pas trop contrarier le principe évolutionniste a conduit à proposer une toute autre chronologie. François Souchal en 1967, suivi notamment en cela par Francis Salet, Hubert Collin et Anne Prache78, a remonté l’ouverture du chantier à la fin du xiie siècle, avant d’être vivement critiqué par Dieter Kimpel, pour qui la copie “archaïsante” que constitue Mouzon est volontaire et s’expliquerait directement par le rôle pris par l’archevêque dans sa construction. Il était seigneur au temporel, et voulait en faire une cathédrale qui aurait livré l’image de la suffragante “idéale”79. Les choses ne se sont pas apaisées depuis, bien au contraire. Dans un article paru en 2003, Dieter Kimpel renchérissait encore sur ses propos antérieurs : “Nous avons découvert une église […] nettement postérieure aux dates les plus tardives admises jusqu’ici”80. Et il expliquait ce style évolué couplé à la structure intérieure laonnoise par la volonté de l’archevêque – abbé en titre de Mouzon – de donner aux moines une “petite cathédrale”, mais suffragante comme celle de Laon, afin d’humilier l’évêque et le chapitre de cette dernière cité.
37La thèse de Ralf Beer, parue en 2007, tente d’adopter une position intermédiaire81, ce que lui reproche d’ailleurs Markus Schlicht dans son compte-rendu : “Qu’on ait poussé le souci archéologique jusqu’à l’imitation scrupuleuse de chapiteaux vieux de vingt, trente voire quarante ans paraît bien plus difficile à admettre”82. En fait, il semble que le chevet, où l’influence de Saint-Rémi de Reims se fait sentir nettement, conserve dans sa structure des éléments du xiie siècle, notamment les colonnes à la tête des chapelles du rond-point qui rappellent celles de la grande abbatiale. Mais la nef voit l’éclosion d’une flore naturaliste qui empêche de la reporter au début du xiiie siècle. Dès lors, la structure laonnoise des vaisseaux est moins à mettre au compte d’un archaïsme que d’une volonté de citation. Il est enfin un point que personne n’évoque : c’est la silhouette extérieure de l’église. Car, si la copie laonnoise a été universellement reconnue pour l’intérieur, comment expliquer que celle-ci ne concerne en rien l’extérieur ? Bien au contraire, l’église avec son transept sans superstructures et ses deux clochers pourvus de flèches en façade, même achevés au xve siècle, évoque plutôt une cathédrale de Soissons qui aurait été terminée, telle que l’a par exemple représentée Jean Ancien (fig. 45a et b)83. On a ainsi l’impression que les influences respectives de Laon et de Soissons se retrouvent, mais inversées, dans cette suffragante inaboutie, par rapport au rôle que celles-ci jouent dans l’église métropolitaine. Si cette hypothèse devait se vérifier, elle nous rapprocherait du scénario qui allait se jouer beaucoup plus tard entre Narbonne et Toulouse84.
Une course à la verticalité
38Lorsqu’on entreprit d’en construire la voûte, le grand vaisseau rémois était bien le plus élevé de la province, surpassant par là toutes ses suffragantes. Certes, depuis la fin du xiie et le début du xiiie siècle, plusieurs cathédrales avaient entrepris leur reconstruction dans le nouveau style gothique : à Soissons, le nouveau chevet où s’installe le chapitre en 1212 atteint 31 m de hauteur sous voûte. Or, le chevet de Reims, d’abord prévu avec une élévation sous voûtes plus basse d’environ 1,70 m, avait été porté grâce à la reprise de la courbe des ogives à 38 m ainsi que l’a montré Henri Deneux85. Cette suprématie de la métropole n’allait cependant pas durer bien longtemps. On peut même se demander si la compétition n’a pas joué dès avant la fin du chantier, lorsqu’on considère que l’achèvement de la nef amiénoise est à dater de 1240 ; or celle-ci culmine à 42,30 m (fig. 46b). La reprise de la cambrure des voûtes rémoises pourrait être mise en rapport avec cet exploit de l’ambitieuse suffragante. À Reims, la prise de possession par le chapitre est en effet datée de 1241. Les arcatures extérieures des superstructures rémoises – qu’elles soient aveugles ou à jour – ont également été mises en lien avec cette course à l’élévation que se livrent entre elles ces cathédrales. Ainsi, le bahut aveugle de 4 m de hauteur qui, à Reims couronne l’abside, lui permet d’élever ses maçonneries à la hauteur de 42 m. Si Hans Reinhardt y a d’abord vu une tentative “pour faire ressortir le corps du bâtiment noyé sous les vagues assaillantes des arcs-boutants”, il concède que cela permettait aussi d’égaler Amiens86. Alain Villes a depuis repris et commenté cet argument : lors de sa mise en place, “la corniche sommitale de Reims dépassait probablement de peu le projet initial d’Amiens”87. Mais peut-être la voûte d’Amiens a-t-elle été augmentée en hauteur en cours de chantier ? Henri Deneux a montré qu’à Reims l’arcature haute du chevet et du transept avait été, après l’incendie de 1481, adaptée à la hauteur de la nouvelle charpente88. Il en résulte que la crête actuelle du grand comble s’élève à 57 m, soit 2 m de plus qu’à Amiens et seulement 3 m de moins qu’à Beauvais, alors que les voûtes de la métropole, avec leurs 38 m, ne parviennent à s’élever que 10 m au-dessous de celles de la plus haute de ses suffragantes.
39Disons ici un mot de Thérouanne, dont une grande partie du chantier appartient au second quart du xiiie siècle si on se réfère aux éléments sculptés retrouvés lors des fouilles. Elle ne peut cependant être évaluée en hauteur avec précision. On peut seulement estimer que son élévation intérieure ne dépassait guère la trentaine de mètres, si toutefois elle l’avait atteinte.
40Si Amiens parvint à achever un programme gigantesque de reconstruction dans le style gothique classique, les autres suffragantes qui entreprirent leur reconstruction au xiiie siècle à la suite de leur métropole, ne purent aller bien au-delà du chevet. Ainsi pour Beauvais, dont le transept ne fut complété qu’au xvie siècle, pour Tournai ou bien encore pour Cambrai. Tournai connut rapidement des problèmes de stabilité ; sa voûte s’élève à 33 m (fig. 46d). La hauteur de celle de Cambrai – détruite – a été évaluée par Alain villes à 33 m également (fig. 46e). À propos de cette cathédrale, cet auteur a tenté dans un important article de la mettre en relation avec sa métropole de Reims, afin d’éclairer “l’idée que les commanditaires médiévaux se faisaient de l’aspect d’une cathédrale suffragante et de son rôle emblématique, par rapport aux formes architecturales et aux programmes des métropolitaines et des collégiales et abbatiales rivales des églises épiscopales”89. Il a encore suggéré que le nouveau chevet de la cathédrale de Cambrai ait pu se trouver fortement inspiré par ce que lui même a cru pouvoir isoler comme ayant été le premier projet du chœur de Reims : avant-chœur plus long, bras de transept de trois travées chacun, pour une nef nettement moins longue mais à doubles collatéraux : “L’intérêt majeur du chœur cambrésien était donc de refléter le premier concept de Reims”. De nombreux indices conduisent l’auteur à considérer ce nouveau chantier comme plus précoce qu’on ne l’avait cru habituellement jusqu’ici, soit vers 1215-1220. Il aurait dès lors appartenu au premier groupe des imitations de la cathédrale de Reims. C’est aussi la période qu’Alain Villes assigne au séjour de Villard de Honnecourt dans la région. L’auteur s’interroge finalement sur la finalité du chantier cambrésien : peut-être la perspective d’être élevé au rang d’archevêché ? Il faut reconnaitre qu’il n’y a en faveur de cette thèse que des arguments archéologiques : la précocité du chœur cambrésien et sa ressemblance avec Reims, ainsi que des similitudes avec la collégiale de Saint-Quentin, inspirée elle-même par “le regret de n’avoir jamais pu recouvrer l’éphémère siège épiscopal attaché au Vermandois vers le vie siècle”. On ne pourrait y joindre que des arguments historiques indirects, puisque ce rang métropolitain sera finalement acquis – mais en 1559 ! – dans la perspective de la réorganisation complète de la géographie ecclésiastique des Pays-Bas espagnols.
Notes de bas de page
1 Gillon & Racinet 2019, 50.
2 Idem, 47.
3 Bozoky 2015, 56.
4 Tabbagh 2015, 210.
5 Sapin 2019, 24.
6 Erlande-Brandenburg 1975, 70-77.
7 Reinhardt 1963, 51-60.
8 Deléhouzée & Westerman 2013, 190-195.
9 Seymour 1975, 81-83 et Sandron 1998, 145-153.
10 Villes 2017c, 183.
11 Héliot 1950 et Bernard 1988.
12 Frodl-Kraft 1972 ; Kurmann 2002 ; Balcon 2000 ; Balcon 2013 ; Kurmann et al. 1998.
13 Demouy 1990.
14 Castelnuovo 1996, 84-87 et Dessi 2011.
15 Erlande-Brandenburg & Cie 1986, 126 et pl. 62.
16 Sandron 1998, 139.
17 Bideault & Lautier 1977.
18 On trouve un motif comparable au sommet du tympan du portail nord de l’église de Semur-en-Auxois.
19 Dessi 2011.
20 Kurmann 2002, 36.
21 Villes 2007, 219 ; Kurmann 2002, 36 et Villes 2017e, 95-97.
22 Kurmann 2002, 36, n. 28.
23 Kurmann 2002, 35.
24 Frodl-Kraft 1972, 73.
25 Andrault-Schmitt 2015b, 38-39.
26 Sauërlander 1972, 147-148 et fig. 176-177 ; Dalmau 2015.
27 Sauërlander 1992 et Demouy 1990.
28 Voir le commentaire nuancé : Demouy 2017b, 50.
29 Christe 1996, 161.
30 Villes 2009.
31 Foncillon 1965, 88.
32 Grodecki 1958, 91.
33 Reinhardt 1963, 89.
34 Klein 1986 ; Branner 1971, 32 ; et Klein 2017.
35 Ravaux 1979.
36 Sandron 1998, 214-219, récemment repris dans Sandron 2017b.
37 Gallet 2017b, 2017c et 2017e.
38 Andrault-Schmitt 2013b, 51.
39 Lours 2010, 63-65.
40 Chédeville 1973, 509-512.
41 Hans Kunze a prétendu que le projet initial prévoyait la destruction de la façade du xiie siècle et la construction de nouvelles travées vers l’ouest, mais cette hypothèse n’a guère été retenue. En effet, les tours occidentales ont été conservées, non par souci d’économie, mais parce qu’elles abritent les départs des couloirs qui conduisent à la crypte.
42 Balzamo 2017. Si cet article porte avant tout sur la fin du Moyen Âge, de nombreuses notations concernent le xiiie siècle.
43 Sur cette question, voir en dernier lieu : Villes 2009, 279-284.
44 Suger tient un raisonnement semblable à propos de Saint-Denis, où les esprits parviennent “là où le Christ est la vraie porte” : Recht 1999, 150.
45 Tabbagh 2015, 217.
46 C’est aussi l’avis de Sauerländer 2017, 20.
47 Villes 2009, 151-162.
48 Prache 1993, 6-13 et Blomme 2016-a.
49 Viollet-le-Duc 1854-1868, t. II, 317. L’auteur en donne une illustration à la fig. 16, p. 319.
50 Deneux 1946, 112
51 Deneux 1949.
52 Bechmann 1993, 87-89.
53 Wirth 2015, 229.
54 Villes 2017c, 212.
55 Christe 1996, 160.
56 Kurmann 1993.
57 Kurmann 1996, 98.
58 Bony 1979, fig. 10 ; Cobb 1980, 6-7.
59 Reprenant Isaïe, 60, 11, mais qui décrit là la Cité à venir, dont celle de l’Apocalypse se veut être l’accomplissement.
60 Kurmann 1996, 102.
61 Kurmann-Schwarz 1996, 68.
62 Alternance que l’on rencontre cependant déjà au chevet de Cantorbéry.
63 Sandron 2001b.
64 La rose occidentale de Laon a été totalement reconstruite par Boeswilwald, mais autant le relevé qu’il en fit en 1847 que la vue de Tavernier de Jonquières de 1787 témoignent de la fidélité de la restitution. Sur ces roses, voir Villes 2009, 379-390.
65 Sandron 2017b, 150.
66 Bien sûr, on doit tenir compte de la réfection dans le style rayonnant de presque toute la travée centrale de la façade du bras sud de Laon.
67 Kimpel & Suckale 1990, 149.
68 Sandron 1998, 217.
69 Voir Kimpel & Suckale 1990, 291.
70 L’Héritier & Timbert 2015, 176-179.
71 Kimpel & Suckale 1990, 291-292.
72 Schlink 2003, 24.
73 Sandron 1998, 215.
74 Recht 1999, 196.
75 Kunst 1981.
76 Kurmann 1987, t. 1, 137, 140, 146 et 150.
77 Gazeau 1981.
78 Souchal 1967 (voir la recension par F. Salet dans Bulletin monumental, 1968, 211-213) ; Collin 1969 ; Prache 1978, 115-116.
79 Kimpel & Suckale 1990, 293-294.
80 Kimpel 2003, 63-64.
81 Beer 2007.
82 Markus Schlicht, compte-rendu dans Cahiers de Civilisation médiévale, 52, 2009, 427-429.
83 Ancien 1984.
84 Villes 2017c, 197 et 214.
85 Deneux 1949 ; Villes 2009, 56.
86 Reinhardt 1963, 116-117.
87 Ravaux 1979, 38-39.
88 Deneux 1949, 125-142, ici 125-128.
89 Villes 2017c, 214.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le duc et la société
Pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au XIIe siècle (1075-1199)
Frédéric Boutoulle
2007
Routiers et mercenaires pendant la guerre de Cent ans
Hommage à Jonathan Sumption
Guilhem Pépin (éd.)
2016
Le bazar de l’hôtel de ville
Les attributs matériels du gouvernement urbain dans le Midi médiéval
Ézéchiel Jean-Courret, Sandrine Lavaud, Judicaël Petrowiste et al. (dir.)
2016
Quand les cathédrales se mesuraient entre elles
L'incidence des questions hiérarchiques sur l'architecture des cathédrales en France (XIIe-XVe siècles)
Yves Blomme
2021