Conclusion
p. 179-180
Texte intégral
1Il est temps de clore cette deuxième partie et de répondre aux questions initialement posées de manière chronologique, sociale et culturelle. Notre première interrogation concernait la forme des représentations des dames dans les cités hispaniques. On l’a vu dans les lignes précédentes, la documentation qui les concerne est composée essentiellement d’inscriptions et de statues. Ces vestiges matériels étaient destinés à être exposés aux yeux de la communauté urbaine, dans les nécropoles, dans les lieux publics, et dans les salles de réception des maisons. Leur forme suivait usages et modes qu’elle contribuait à faire évoluer ; l’inspiration de ces patrons venus d’Italie fut adoptée dans une partie importante de la péninsule Ibérique, où le mode de vie romain était largement répandu. La documentation est d’ailleurs répétitive et codifiée tant dans la forme que dans le fond. L’objectif de cette répétition systématique, bien qu’évolutive, était de mettre en avant certaines dames, de montrer leur supériorité au sein même de leur communauté.
2La deuxième question visait à clarifier le contexte d’une présence féminine. L’enquête nous a tout d’abord permis d’isoler deux zones géographiques. Nous l’avons ici plusieurs fois répété, c’est dans la partie de la Péninsule correspondant à la Bétique, à la façade méditerranéenne de l’Hispanie citérieure et au sud de la Lusitanie que la présence des dames de l’élite est la plus remarquable. On est là dans le processus d’autoreprésentation venu d’Italie déjà mentionné. Ce mouvement, vu sous un angle chronologique, prit son essor à la fin de la République et au début de l’Empire, le plus souvent dans les tombeaux des magistrats d’origine italienne, que le reste de la population enrichie copia par la suite. Dans ces mausolées, les notables furent enterrés avec leur épouse et d’autres femmes de leur famille ; elles sont d’ailleurs mentionnées dans les épitaphes et surtout représentées dans les statues en ronde-bosse. À la même époque, certaines maisons étaient décorées avec les portraits des maître et maîtresse de maison. Néanmoins, les données concernant les femmes sur les tombeaux et les maisons se raréfient à la fin du ier siècle. À cette époque, la reconnaissance collective des notables, sous la forme de multiples hommages, alla investir les espaces publics. Les monuments funéraires, quant à eux, évoluaient vers un domaine bien plus privé, interdit au regard de la communauté. Dans les nouveaux outils d’expression du prestige, au rang desquels figurent les hommages, les femmes occupèrent une place importante. Rares à l’époque augustéenne, elles sont souvent attestées sous les Flaviens et surtout au iie siècle. Rappelons que le phénomène de reconnaissance honorifique disparut pendant la première moitié du iiie siècle, probablement étouffé par son propre succès : les hommages, initialement réservés aux meilleurs, perdirent leur vocation de prestige et tombèrent dans la banalité.
3L’analyse des circonstances sociales a montré que, comme les monuments funéraires, les monuments honorifiques étaient, à l’origine, la manifestation de la renommée des notables locaux (et avec eux, des femmes de leur famille), parfois de chevaliers issus de l’élite municipale et rarement des sénateurs hispaniques. Le monument procédait de leur rang et de la reconnaissance qui leur revenait. Mais c’est justement cette quête de reconnaissance qui poussa les parvenus (et avec eux les dames de leur famille), généralement issus du monde servile et donc dépourvus de rang, à copier les monuments de prestige, à savoir les tombeaux, puis les hommages.
4Il reste à expliquer la signification socioculturelle de la présence des femmes dans la sphère publique des cités hispaniques. On l’a vu, les commanditaires des grands tombeaux et des hommages pouvaient être des hommes mais aussi des femmes. Leur principal choix résidait dans les particularités des représentations sculptées, dans la morphologie du monument, dans la rédaction du texte. Pour réaliser ceux-ci des artisans proposaient des modèles iconographiques (venus d’Italie marqués par une forte influence grecque), des structures de tombe ou de représentations honorifique ou bien encore des clichés littéraires pour le texte. Ces types de monuments sont attestés dans toutes les cités romanisées de l’Occident. Le choix des commanditaires était aussi d’ordre social et, par voie de conséquence, culturel et moral : il s’agissait de décider qui devait avoir son nom et son portrait sur le monument commandé. Comment justifier alors la représentation des femmes dans un monde public tout à fait masculin ? Comme partout dans l’empire romain, la présence féminine in (loco) publico dans la péninsule Ibérique se manifestait dans une sphère où se mêlaient vie privée et vie publique, car la réussite sociale, et donc politique, d’un homme passait aussi par celle de sa vie personnelle. Les textes le montrent : en général, on parle des hommes en fonction de leurs responsabilités politiques. C’était en effet leur carrière qui était à l’origine du monument. À leur côté, les femmes incarnaient la parfaite femme au foyer romaine. Leur présence marquait publiquement l’honorabilité d’un notable dont l’épouse, la mère ou la fille, constituait un modèle de vertu domestique. En public, les femmes de l’élite jouaient un rôle essentiellement familial et privé. Ces textes prouvent que ces dames, souvent veuves ou confrontées au deuil, tinrent, en usant de leur propre argent, le rôle d’intermédiaires entre les hommes de leur famille et la communauté et ce, dans le seul but d’entretenir la mémoire de leur famille. Pilier de famille et garant de mémoire, elles tissèrent un lien entre les générations, tout en remplissant une importante fonction sociale.
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