La reconnaissance publique des dames
p. 297-306
Texte intégral
1Les chapitres précédents, consacrés à l’évergétisme des dames et à leurs fonctions dans la religion civique, ont montré que le rôle public de certaines d’entre elles était très actif. Elles occupaient en effet des positions traditionnellement réservées aux hommes, ce qu’elles faisaient sur leur propre initiative. Pour y parvenir, elles engageaient leurs fonds personnels qui permettaient d’offrir aux communautés des ornements ainsi que des banquets et des spectacles, ce qu’elles ne manquaient pas de rappeler dans des inscriptions. Toutes ces actions, tous ces dons comptaient dans le quotidien de la vie des cités, d’autant plus que, en tant que flaminiques, certaines d’entre elles pouvaient se placer sur le devant de la scène publique lors des rites qu’elles présidaient. Caton serait désolé1 : de nombreuses dames hispaniques prenaient place sur le forum et dans d’autres espaces publics, au moins le temps de certaines cérémonies. Il est donc évident que ces femmes avaient un pouvoir social, ce qui a pu influencer le pouvoir politique. La question qui se pose à présent est de savoir si, comme cela fut le cas pour les hommes politiques et les évergètes, ces femmes obtenaient, en remerciement de leurs actions, la reconnaissance de leur cité. Comme pour les membres du genre masculin, trois gratifications symbolisaient la renommée officielle : d’abord, les hommages payés par les cités ou autres collectivités, ensuite, les funérailles publiques, enfin, l’attribution de la citoyenneté honoraire. Les données sur les deux premières sont résumées dans les tableaux qui suivent. Pour la troisième, seul un exemple est connu à ce jour dans la péninsule Ibérique2 : une dame à l’état-civil pérégrin, Avita Moderati f. [264], reçut la citoyenneté de Capera, en Lusitanie autour de l’époque flavienne. Nous ignorons les raisons d’un tel honneur, même s’il semble possible de l’associer à son mariage avec un notable de la cité. En tout cas, leur descendance bénéficia d’une position sociale remarquable3.
Tableau 39. Les hommages des collectivités et des cités aux dames4
N° | Cité | Datation | Dame honorée | Fonction | Formules | Situation familiale |
1 | Corduba, Bétique | vers 20 p.C. | Valeria T. f. [22] | d(ecreto) d(ecurionum) | honorée avec sa fille, Acilia L. f. [2] ; son époux, (Acilius) Lucanus, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif | |
2 | Corduba, Bétique | vers 20 p.C. | Acilia L. f. [2] | d(ecreto) d(ecurionum) | honorée avec sa mère, Valeria T. f. [22] ; son époux, P. Aemilius Silo, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif | |
3 | Tucci, Bétique | dès la fin du règne d’Auguste à celui de Néron | Cassia A. f. Montanilla [218] | colonia Aug(usta) Gem(ella), decreto decurion(um) | ||
4 | Tucci, Bétique | sous Claude ou Néron | Anicia Sex(ti) f. Postuma [216] | son époux, Etrilius Afer, peut-être un sénateur, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif | ||
5 | Olisipo, Lusitanie | sous Vespasien | Servilia L. f. [305] | flaminica prouinciae Lusitaniae | d(ecreto) d(ecurionum) | son époux, (Lucceius) Albinus, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif ; honorée avec sa fille, Lucceia Q. f. Albina [302] |
6 | Olisipo, Lusitanie | sous Vespasien | Lucceia Q. f. Albina [302] | d(ecreto) d(ecurionum) | son époux, [-] Terentianus, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif ; honorée avec sa mère, Servilia L. f. [305] | |
7 | Cartima, Bétique | sous les Flaviens | Iunia D. f. Rustica [71] | sacerdos perpetua et prima in municipio Cartimitan[o] | statuas sibi et C(aio) Fabio Iuniano f(ilio) suo, ab ordine Cartimitanorum decretas, remissa impensa | |
8 | Corduba, Bétique | fin du ier ou début du iie s. | Calpurnia Q. f. Anuus [8] | d(ecreto) d(ecurionum) c(oloniae) P(atriciae), impensam remissa | son époux, [-] Severus, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif | |
9 | Ossigi Latonium, Bétique | fin du ier ou début du iie s. | Cornelia L. f. Sillibor [176] | pleps (sic) Latoniensis, honorem accepit, inpensam remisit | son époux [-] Vetulus, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif | |
10 | Tarraco, Citérieure | sous les Flaviens ou au début du iie s. | Munnia L. f. Severa [370] | flaminic(a) perpet(ua) Concordiae Aug(ustae) | d(ecreto) d(ecurionum), ex p(ecunia) p(ublica) | son époux, (Fonteius) Novatus, était mentionné dans la dénomination de la dame au génitif |
11 | Arcos de la Frontera (Laelia ?), Bétique | fin du ier ou début du iie s. | Calpurnia Q. f. Galla [143] | d(ecreto) d(ecurionum) et populi | sa mère, Clodia C. f. Optata [144], remboursa les frais | |
12 | Iliberri, Bétique | avant 91 ou en 112 | Cornelia P. f. Severina [105] | flaminica Aug(ustae) | d(ecreto) d(ecurionum) | son fils, le consul Valerius Vegetus, était indiqué dans sa dénomination ; honorée avec son fils et sa belle-fille, Etrilia Afra [106] |
13 | Iliberri, Bétique | avant 91 ou en 112 | Etrilia Afra [106] | d(ecreto) d(ecurionum) | son époux, le consul Valerius Vegetus, était indiqué dans sa dénomination ; honorée avec son mari et sa belle-mère, Cornelia Severina [199] | |
14 | Callet, Italica, Hispalis, Asido et Siarum, Bétique | début du iie s. | Lucia P. f. Avircia Aciliana [61] | sacerdos perpetua et prima in municipio Cartimitan[o] | huic ordo Italicens(is) et Romulens(es) Hispalens(es) et Caesarini Asidonens(es) et Fortunales Siarenses et Aeneanici Callenses decreuerunt inpensam funeris et statuas | son fils, M. Aemilius Afer Acilianus, remboursa les frais |
15 | Malaca, Bétique | postérieur à 147 | Valeria C. f. Lucilla [148] | d(ecreto) d(ecurionum) Malac(itanorum), ciues e[x] aere co[nla]to posue[runt] | son époux, le préfet d’Égypte L. Valerius Proculus, était indiqué dans sa dénomination ; P. Clodius [Athen]io, remboursa l’hommage | |
16 | Cartima, Bétique | iie s. | Vibia L. f. Turrina [76] | sacerdos perpetua | ordo Cartimitanus statuam ponendam decreuit | elle remboursa les frais |
17 | Ilurco, Bétique | iie s. | Fabia Broccilla [115] | decreto ordinis Ilurconensis | son père, L. Fabius Avitus, remboursa les frais | |
18 | Lacilbula, Bétique | iie s. | [Me]mmia [.] f. Ael[iana ?] [141] | ordo Lacil[bulen(sium) dec]reuit laudatio[n(em), im]pensam funeri[s, locum] sepulturae [monu]ment(um), statuam | elle remboursa les frais | |
19 | Oducia, Bétique | iie s. | Cornelia L. f. Rustica [173] | huic ordo [---] | ||
20 | Singilia Barba, Bétique | iie s. | Lollia L. f. Marciana [208] | d(ecreto) d(ecurionum) m(unicipum) m(unicipii) [l]iberi [S]ingilien(sis) | ses parents et son mari remboursèrent les frais | |
21 | Tarraco, Citérieure | iie s. | Iunia Q. filia Mat[---] [363] | d(ecreto) d(ecurionum), ex p(ecunia) p(ublica) [---] | ||
22 | Castulo, Citérieure | seconde moitié du iie s. | Cornelia C. f. Marullina [500] | quod ciuitatem Castulonensium (…) statuam ei et filio suo positeram se decreuerat ; honore accepto, d[e] pec(unia) sua, poni iussit | son héritier remboursa les frais | |
23 | Collippo, Lusitanie | seconde moitié du iie s. | Laberia L. f. Galla [272] | flaminica Ebore(n)sis flaminica prou. Lusitaniae | impensam funeris, locum sepulturae et statuam d(ecreto) d(ecurionum) Collippo(n)esium datam | L. Sulpicius Claudianus, son mari ?, remboursa les frais |
24 | Mellaria, Bétique | seconde moitié du iie s. | Sempronia Varilla [150] | Mellarienses locum sepulturae, funeris inpensam (sic), statuam, laudationem decreuere | sa fille, Sempronia Varilla [151], remboursa les frais | |
25 | Tarraco, Citérieure | seconde moitié du iie s. | Cornelia Aciliana [336] | ex d(ecreto) p(rouinciae) H(ispaniae) c(iterioris) | son fils, le flamine provincial Florius Vegetus, et son mari, le préfet des ouvriers Plautius Plautianus, étaient indiqués à la suite de sa dénomination | |
26 | Barbesula, Bétique | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Aelia Domitia Tertullina [55] | flaminica perpetua | ex decreto splendidissimi ordinis | ses parents et son frère remboursèrent la statue |
27 | Italica, Bétique | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Aelia Q. f. Licinia Valeriana [126] | splendidissimus ordo Italicens(ium) funeris impensam, locum sepulturae, statuam ponendam decreuit | son père et son mari remboursèrent les frais | |
28 | Munigua, Bétique | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Aelia L. f. Procula [155] | huic ord[o] splendidissimus Munig[u]ensium, ob inpensam (sic) fun[e]ris, locum sepulturae, sta/tuam decreuit | son mari, C. Licinius Victor Annianus, remboursa les frais | |
29 | Sacili, Bétique | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Cornelia Q. f. Lepidina [190] | flaminic(a) m(unicipium) S(aciliensis) | d(ecreto) d(ecurionum), funerum impensas, laudationes, loca sepulturae, statuas d(edit) | |
30 | Saepo, Bétique | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Pomponia M. f. Rosciana [191] | sacerdos perpetua diuorum diuarum [---] | ordo splendidissimus municipi(i) Victric(is) --- | |
31 | Tarraco, Citérieure | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Aurelia Marcellina [321] | flaminica (provinciale) | ciues [Ta]rrac(onenses) | son époux, le flamine provincial Licinius Sparsus, était indiqué dans sa dénomination |
32 | Iporca, Bétique | début du iiie s. | Cornelia Clementis f. Tusca [119] | sacerdos | ob munificentiam, ordo Iporcensium posuit | |
33 | Ipsca, Bétique | début du iiie s. | Licinia Q. f. Rufina [121] | sacerdos perpetua in col(onia) C(laritate) Iul(ia) et in munic(ipio) C(ontributensi) Ipsc(ensi) et in munic(ipio) Flor(entino) Iliberrit(ano) | amantissimae ciuium suorum ob merita eius, plebs Contrib(utensis) Ipsc(ensis), aere conlato | elle remboursa les frais |
34 | Igabrum, Bétique | sous les Sévères | Flaminia Palè [103] | ordo m(unicipum) m(unicipii) Igabrensium ob merita | elle remboursa les frais | |
35 | Tarraco, Citérieure | sous les Sévères | Val(eria) G. f. V. Fidi fil. Fida [400] | flaminica (provinciale) | p(rouincia) H(ispania) c(iterior) | son époux, le flamine provincial L. Caecilius Porcianus, était indiqué dans sa dénomination |
Tableau 40. Les dames qui reçurent des funérailles publiques5
N° | Cité | Datation | Dame | Fonction | Raison | Situation familiale |
Bétique | ||||||
1 | Ilipa Ilia | ier s. (avant les Flaviens) | Dasumia L. f. Turpilla [112] | popul(us) laudation(em) public(am), inpensam funer(is), locum sepultur(ae), d(ecreto) d(ecurionum) | ||
2 | Callet, Italica, Hispalis, Asido et Siarum | début du iie s. | Lucia P. f. Avircia Aciliana [61] | sacerdos perpetua et prima in municipio Cartimitan[o] | huic ordo Italicens(is) et Romulens(es) Hispalens(es) et Caesarini Asidonens(es) et Fortunales Siarenses et Aeneanici Callenses decreuerunt inpensam funeris et statuas | son fils, M. Aemilius Afer Acilianus, fil(ius), remboursa les frais |
3 | Lacilbula | iie s. | [Me]mmia [.] f. Ael[iana ?] [141] | ordo Lacil[bulen(sium) dec]reuit laudatio[n(em), im]pensam funeri[s, locum] sepulturae [monu]ment(um), statuam | sa fille, [Ael]ia M. f. Bassina [139] remboursa les frais | |
4 | Singilia Barba | 131-170 | Cornelia Blandina [206] | huic ordo m(unicipum) m(unicipii) lib(eri) Sing(iliensis) impensam funeris et locum sepulturae decreuit | ||
5 | Aurgi | milieu du iie s. | Calpurnia L. f. Scantilla [47] | huic ordo Mentens[anum] fun(eris), impensam [- - -] decreuit [- - -] | ||
6 | Mellaria | seconde moitié du iie s. | Sempronia Varilla [150] | Mellarienses locum sepulturae, funeris inpensam (sic), statuam, laudationem decreuere | sa fille, Sempronia Varilla [151], remboursa les frais | |
7 | Sacili | seconde moitié du iie s. | Cornelia Q. f. Lepidina [190] | flaminic(a) m(unicipium) S(aciliensis) | d(ecreto) d(ecurionum), funerum impensas, laudationes, loca sepulturae, statuas d(edit) | |
8 | Italica | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Aelia Q. f. Licinia Valeriana [126] | splendidissimus ordo Italicens(ium) funeris impensam, locum sepulturae, statuam ponendam decreuit | son père et son mari remboursèrent les frais | |
9 | Munigua | seconde moitié du iie ou début du iiie s. | Aelia L. f. Procula [155] | huic ord[o] splendidissimus Munig[u]ensium, ob inpensam (sic) fun[e]ris, locum sepulturae, statuam decreuit | son mari, G. Licinius Victor, Annianus remboursa les frais | |
Lusitanie | ||||||
10 | Collippo | seconde moitié du iie s. | Laberia L. f. Galla [272] | flaminica Ebore(n)sis, flaminica prou. Lusitaniae | impensam funeris, locum sepulturae et statuam d(ecreto) d(ecurionum) Collippo(n)esium datam | L. Sulpicius Claudianus, son mari ?, remboursa les frais |
2Certaines dames hispaniques furent honorées par décision du conseil de décurions ou, plus rarement, par souscription populaire, comme le montre le tableau 39. Leur nombre, 35 exemples, est bien faible comparé aux 86 dames dont la générosité fut rappelée dans une inscription ou encore aux 67 prêtresses (dont certaines étaient également des évergètes) attestées épigraphiquement. Toutes ces dames évergètes ou flaminiques avaient une position personnelle qui aurait pu leur attirer la reconnaissance publique de la part des cités et des citoyens. Cela ne fut pourtant pas le cas pour bon nombre d’entre elles. Nous devons donc conclure qu’un acte de munificence ou la réception de la prêtrise de la part d’une femme n’entraînait pas de remerciement systématique de la part de ses concitoyens à travers une statue in loco publico ou, encore moins, par un funus publicum. D’ailleurs, l’attribution aux dames d’un funus publicum6 s’effectuait exclusivement dans des zones géographiques bien précises. En effet, suivant S. Dardaine7 et E. Melchor8, on constate que, dans la péninsule Ibérique, cette attribution avec toutes ses variations était une pratique courante des cités de Bétique, mais était très rare ailleurs, à l’exception des villes lusitaniennes ou de la Citérieure situées près de cette province. Ces enterrements aux frais des cités ne doivent donc pas rentrer dans notre discussion sur la quête de la reconnaissance des dames dans d’autres provinces que la Bétique.
3Une fois établie la rareté de la reconnaissance publique envers les femmes les plus remarquables, il faut se poser la question des qualités qui étaient requises chez une dame pour bénéficier des honneurs de la cité et du peuple. Il faut aussi se demander, mais aussi les cités de Bétique uniquement, quelles étaient les distinctions des dames honorées d’un enterrement public.
4Malgré le faible nombre de textes conservés, plusieurs profils féminins semblent se dégager. Le premier, qui est aussi le plus ancien, est celui “d’épouse ou mère de”. Les dames étaient davantage reconnues pour leurs relations familiales que pour leurs actions personnelles. Nous avons déjà souligné que nombreuses étaient celles qui recevaient une statue à l’intérieur d’une galerie de portraits simplement en raison de leur position familiale9. Si ce type d’initiatives était généralement d’ordre privé, quelques dames n’en furent pas moins honorées par les cités, toujours à l’intérieur d’une série dynastique de portraits. Il faut même se demander s’il s’agissait de la parenté féminine de magistrats ou d’anciens magistrats qui s’honoraient ainsi en honorant leur épouse, mère ou fille. Ils avaient le pouvoir d’accorder une reconnaissance officielle et ils l’employaient à leur faveur. Les gouvernants locaux attribuaient aussi (en Bétique) le funus publicum aux femmes de leurs collègues, qui pouvaient ainsi bénéficier d’un emplacement de la cité pour leur dernière demeure, même s’il fallait rembourser les frais.
5Certaines dames honorées publiquement étaient parfois associées à leur époux à travers le “génitif d’appartenance”, élément onomastique qui, copié directement sur les pratiques de la plus haute aristocratie romaine, constituait une marque de standing10. Ainsi, vers 20 p.C. furent honorées par la cité de Cordoue la femme et la fille de l’orateur L. Acilius Lucanus, apparenté à une famille de rang équestre, de même que Servilia et sa fille à Olisipo. De rang sénatorial étaient Cornelia Severina [105] et Etrilia Afra [106], mère et épouse respectives du consul Valerius Vegetus, honoré avec elles par la cité d’Iliberri. Citons enfin les hommages que la province d’Hispanie citérieure érigea aux flaminiques provinciales, épouses du flamine, comme le prouve le gentilice d’appartenance indiqué dans la dénomination de la dame11.
6Six dames honorées en raison de leur position familiale étaient aussi des flaminiques provinciales ou locales. Le flaminat est donc le deuxième profil parmi les dames honorées par la cité et ses habitants. Cependant, dans leurs rares éloges, la raison de l’hommage ne semble pas liée à la bonne conduite des cérémonies en l’honneur des dames de la maison impériale. Outre la position familiale12 (comme celle de Servilia L. f. [305], épouse de (Lucceius) Albinus) ou de Munnia L. f. Severa [370] épouse de (Fonteius) Novatus), ces dames étaient honorées en raison de leur générosité envers la cité : c’est le cas de Iunia D. f. Rustica [71], de Cornelia Clementis f. Tusca [119] et de Licinia Q. f. Rufina [121].
7Le troisième profil, rare, est directement associé au précédent : certaines dames furent honorées par la cité en remerciement de tous les dons qu’elles avaient faits. L’exemple de Cornelia Marullina [500] est le plus significatif, mais aussi le seul en dehors des prêtresses évergètes déjà mentionnées : a priori, sans le titre de flaminique, les donations des femmes ne semblent pas souvent récompensées d’une statue offerte par la caisse publique. La possibilité de voir leur nom honoré en public dans l’inscription commémorative de leur action était manifestement considérée comme une récompense suffisante.
8Dans ce cadre évergétique, il faut signaler un phénomène fréquent dans les hommages et les funérailles octroyés aux dames hispaniques : un nombre important d’effigies offertes aux dames était remboursé par elles-mêmes, de leur vivant (quatre exemples13), ou par les membres de leur famille (12 exemples14). Cet hommage devenait dès lors un acte évergétique de celles-ci ou de leur famille. Au fond, honorer certaines femmes ne représentait qu’un faible coût pour la caisse publique. Ce phénomène se constate aussi dans l’attribution des funérailles publiques : plus de la moitié de celles qui furent attribuées aux dames furent remboursées à la cité par les familles15. Les magistrats et ses collègues se reconnaissaient et s’honoraient ainsi, à travers leurs femmes, convaincus de la gratuité de ces honneurs pour la cité.
9Ajoutons un dernier élément concernant les funera publica attribués aux dames dans les cités hispaniques (toujours dans le sud). Si la grande distinction de ces femmes peut être supposée (c’est le cas de Dasumia L. f. Turpilla [112] ou Lucia P. f. Avircia Aciliana [61]), les textes renseignent peu sur le rang. Outre le remboursement des frais, déjà mentionné, on sait que seulement trois dames avaient été prêtresses locales16.
10L’analyse de la documentation a montré la relation directe entre certaines femmes, la communauté civique et la gestion de la cité. Ces dames agissaient publiquement et obtenaient parfois une reconnaissance officielle. Elles côtoyaient les hommes dans la sphère publique, ce qui était nouveau dans la vie des cités romaines. En plus d’avoir leur nom inscrit dans la pierre aux yeux de tous, elles accomplissaient des actes et s’affichaient dans les cérémonies, rites et fêtes publics.
11Mais l’impression d’émancipation féminine dans un monde d’hommes s’estompe dès que l’on constate que les actions publiques attestées ne concernaient qu’un faible nombre de femmes. On y trouve les dames de l’aristocratie locale, souvent particulièrement riches, celles qui avaient les moyens de leurs actions et de leurs prétentions. Par ailleurs, les actions de ces femmes très distinguées, que ce soit leurs donations évergétiques ou leur prêtrise, ne leur valaient que peu de reconnaissance publique. L’affirmation officielle des grandes dames fut, il faut bien le reconnaître, rare pour ne pas dire anecdotique. Elle était souvent réservée à la parenté féminine des grands hommes, surtout s’ils étaient proches des magistratures locales qui attribuaient ces mêmes distinctions. Les cités honorèrent certaines dames dans le but d’honorer, indirectement, père, fils ou mari, lesquels s’empressaient souvent de rembourser les frais d’un tel honneur. Les parvenus et leurs femmes sont absents de cette documentation de prestige. Au fond, répétons-le, reconnaître publiquement la qualité des grandes dames était la plus grande distinction que l’on pût faire à une famille et donc, aux hommes d’une famille, aux meilleurs d’entre tous, puisque même leurs femmes méritaient l’hommage de la communauté.
Notes de bas de page
1 Nous parlons à nouveau du discours de Caton prononcé au Sénat en 195 a.C. contre l’abrogation de la lex Oppia : Liv. 34.2-4.
2 Un document exceptionnel découvert à Valeria, en cours d’étude par J. Edmondson et H. Gimeno, propose un deuxième exemple. Selon J. Edmondson, Cretonia Maxima (AE, 1971, 147), originaire de Pax Iulia, aurait reçu la citoyenneté honoraire d’Emerita, la cité de son fils. Fait rare, dans la nomenclature de la dame, on indiqua sa tribu qui était précisément la Papiria.
3 Cf. Trebia Procula [268], Trebia Vegeta [271] et Cocceia Severa [185].
4 Classés par ordre chronologique. Il faut ajouter ici l’hommage de la cité d’Emerita a Coronia Procula que nous sommes en train d’étudier.
5 Classées par provinces et par ordre chronologique.
6 Sur cette question, cf. toujours Wesch-Klein 1993.
7 Dardaine 1992, 139-151.
8 Melchor 2006b, 115-144.
9 Sur ces questions, voir supra p. 115-136.
10 Sur cet élément onomastique, voir supra p. 133-136.
11 N° 25 et 35 du tableau 39. Pour des raisons invoquées vol. II, nous n’avons pas retenu ici les hommages à Pomp(-) Maximina [376], Paetinia Paterna Paterni fil. [373] et Postumia Nepotiana [383].
12 Plus n° 7, 32 et 33 dans le tableau 39.
13 Dans le tableau n° 39, les n° 16, 18, 33 et 34.
14 Dans le tableau n° 39, n° 11, 14, 15, 17, 20, 22-24, 26-28.
15 Cinq exemples, n° 2, 3, 6, 8, 9, 10 du tableau n° 40.
16 Dans le tableau n° 40, n° 2, 7 et 10.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Perfectissima Femina
Ce livre est cité par
- Gamo Pazos, Emilio. Murciano Calles, José María. (2023) Estudio de epígrafes latinos procedentes de las excavaciones de la alcazaba de Mérida. Documenta & Instrumenta - Documenta et Instrumenta, 21. DOI: 10.5209/docu.88127
Perfectissima Femina
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3