Introduction
p. 183-184
Texte intégral
1Les lignes précédentes l’ont montré : dans certaines cités hispaniques, comme dans d’autres régions de l’empire, la documentation épigraphique et iconographique concernant les dames de l’élite était relativement abondante dès l’époque augustéenne. La présence des femmes, ainsi que des enfants, dans les sphères publique et privée, témoigne de la nécessité d’exalter publiquement certains types de comportements stéréotypés indissociables des codes sociaux et moraux liés à l’excellence. Ces usages furent diffusés par le pouvoir romain dès l’instauration de l’Empire. Ils mirent la famille au premier plan idéologique1, juridique2, et même philosophique3. À l’image de l’empereur, les bons citoyens devaient respecter les conventions sociales et un code de conduite approprié en agissant en fils, maris et pères aimants. Leur descendance assurerait la perpétuité de la lignée et la pérennité de Rome4. Se représenter en famille revenait à afficher une prospérité présente et à venir, incarnée par les femmes et les enfants qu’elle mettrait au monde. Les inscriptions étudiées précédemment le prouvent : les femmes étaient avant tout considérées comme les actrices d’une vie privée qui devait être exposée au grand jour. Aussi analyserons-nous dans cette troisième partie les dames des élites dans leur rôle familial au sens large : d’abord les filles des familles de notables, puis les épouses et enfin, les mères.
2La documentation sur les dames de l’élite, par ses répétitions formelles et textuels, permet de tirer des conclusions qui ont essentiellement trait aux comportements, idéaux et représentations ; dans ce chapitre, elles seront appliquées au rôle de la femme au sein de sa famille. La documentation présente des modèles féminins copiés par tous, de la mère du sénateur à la fille de l’affranchi enrichi. Ce sont ces paradigmes, décrivant les comportements des mères, épouses et filles ainsi que leur reconnaissance publique que nous nous efforcerons de présenter.
3Parallèlement à ces réflexions d’ordre anthropologique, la documentation rend toute étude d’histoire sociale plus ardue, alors qu’elle pourrait permettre d’entrevoir, au delà des cas concrets, les particularités du comportement des dames selon leur rang. Si l’on constate des similitudes dans les comportements de ces femmes envers leurs parents, époux ou enfants, il est bien difficile de les identifier par leur appartenance à un ordo ou par la situation économique de la famille. Le caractère laconique de la documentation qui les concerne, ainsi que l’uniformatisation des messages de prestige, interdisent toute nuance dans les domaines de l’excellence et de l’élite au sens large. Nonobstant certaines informations sociales particulières, sa partialité et sa fragmentation empêchent une réflexion approfondie sur la variabilité du comportement des femmes selon leur rang. Pour pallier cette difficulté, concentrons-nous sur l’objet du message apporté par les inscriptions des femmes : la famille et son exposition publique.
Notes de bas de page
1 Les convenances sociales exigeaient de plus en plus l’exaltation publique de l’amour conjugal ; sur la question, Veyne 1978, 35-66 ; voir aussi Saller 1989, 523-534 ; Cantarella 1989, 575-584.
2 Les lois augustéennes sur les mariages (lex Iulia de maritandis ordinibus de 18 a.C. et la Lex Papia Poppae de 9 p.C.), qui pénalisaient économiquement les célibataires et les couples mariés sans enfants, en amoindrissant leur capacité à hériter. Sur la question, voir notamment Davies 2000 ; Moreau 2003.
3 Toute cette action en faveur de la famille fut soutenue et même influencée par un changement de mentalité. L’essor philosophique que connut Rome dès la fin du ier s. a.C. fut surtout provoqué par l’influence de la doctrine stoïcienne, à laquelle Cicéron fut un des premiers à faire largement écho. Elle fut à la fois la cause et le résultat de cette modification de la pensée. Ce n’est que plus tard que la recherche du bonheur individuel inspira le pouvoir avec Sénèque, puis l’empereur Marc Aurèle. Dans ce contexte philosophique, l’influence de l’éthique grecque sur les mœurs romaines paraît transformer le concept traditionnel de uirtus comme courage typiquement masculin en une conception morale (McDonnel 2003), la uirtus comme vertu, selon une conception proche de la nôtre et donc applicable aux femmes et aux enfants (McInerney 2003).
4 Navarro Caballero 2006, 69-70.
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