Chapitre X - Auctoritas et hiérarchie sénatoriale à la fin de la République1
p. 201-217
Résumés
Le contexte sénatorial constitue un observatoire privilégié pour analyser le fonctionnement de l’auctoritas au cours des trois dernières décennies de la République romaine. Le succès d’une sententia était interprété comme l’effet de l’auctoritas de son énonciateur. L’auctoritas reposait sur la dignitas, mais dépendait aussi de la dynamique des débats, ainsi que de la forme et du contenu de la sententia. Le cercle était vertueux : celui dont l’avis l’emportait au Sénat voyait son auctoritas s’accroître. La réalité était cependant plus complexe : des discours de justification pouvaient être mobilisés pour rendre compte de l’échec d’une proposition, de sorte que ce dernier n’était pas nécessairement synonyme de déshonneur. L’importance prise par l’ambition et la faveur contribua à perturber le fonctionnement de l’auctoritas.
Senatorial context appears to be a good point of observation, in order to analyze how auctoritas worked during the last three decades of Roman Republic. A successful sententia was regarded as the result of its speaker’s auctoritas. Auctoritas depended on dignitas, process of debate, as well as sententia’s form and content. It was a virtuous circle: the most successful one was in senatorial debates, the higher one’s auctoritas got. Things happen to be more complex: apologetic speeches could be pronounced in order to explain the failure of a proposal. As a result, failure did not necessarily rhyme with dishonour. Due to the growing weight of ambition and favour, auctoritas’ process seized up.
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Mots-clés : Auctoritas, Sénat, sententia, dignitas, honneur, discessio, gratia, ambitio
Keywords : Auctoritas, Senate, sententia, dignitas, honour, discessio, gratia, ambitio
Texte intégral
1Celui qui opine le second a presque autant d’autorité que le premier (et ille secundus in dicendo locus habet auctoritatem paene principis)2. Cette affirmation de Cicéron, tirée d’une lettre à Atticus, invite à définir provisoirement l’auctoritas au Sénat comme la capacité d’un sénateur à susciter l’adhésion à la sententia qu’il énonce, comme l’“influence politique”3 qu’il est susceptible d’exercer. Elle apparaît d’emblée comme étroitement liée à la hiérarchie sénatoriale telle qu’elle s’actualise dans l’ordre d’interrogation défini par le président de la séance. Émanation d’une hiérarchie fixée en grande partie par la dignitas, l’auctoritas agit sur le processus de prise de décision et consolide les rapports de force préexistants. Karl-Joachim Hölkeskamp a pu ainsi classer l’auctoritas parmi les “concepts […] dans lesquels la disparité du pouvoir socio-politique est conceptualisée ouvertement et offensivement”4.
2“Capacité” (ou encore “disposition”, “force”, “influence”) et “concept” : c’est l’une des ambiguïtés de l’auctoritas, que les sources antiques et les historiens modernes présentent alternativement comme une puissance, incarnée par un individu, agissant sur la réalité et comme un instrument d’analyse permettant de rendre compte mais aussi de légitimer cette réalité. Notre étude portera donc à la fois sur l’actualisation de l’auctoritas au Sénat et sur sa place dans le système axiologique de l’aristocratie sénatoriale.
3L’analyse se concentrera sur les dernières années de la République. La modification de l’ordre d’interrogation des sénateurs, qui remonte peut-être à 755 et est de toute façon antérieure à 70, constitue un terminus post quem évident : désormais, ce n’est plus le princeps senatus qui, en vertu de la supériorité de son auctoritas, donne son avis le premier, mais le consulaire6 (ou, le cas échéant, l’un des consuls désignés7) choisi par le magistrat qui préside la séance. L’établissement du “Second triumvirat”, qui met un terme à la liberté politique, nous servira de terminus ante quem : l’auctoritas, pour s’exercer, suppose en effet la libertas8. La période de la dictature césarienne ne sera donc pas davantage prise en compte9. En revanche, celle qui sépare les ides de mars des accords de Bologne est particulièrement féconde, en raison de l’abondance des sources mais aussi de la concurrence entre de nombreux aristocrates pour le leadership du Sénat et, plus largement de la res publica10. Nous essaierons d’observer le fonctionnement de l’auctoritas lors de la phase du processus décisionnel qui va de l’interrogation des sénateurs jusqu’au vote du sénatus-consulte11.
4Plusieurs sources, contemporaines – Cicéron, Varron, César et Salluste – ou postérieures – Plutarque, Dion Cassius et Appien – évoquent le rôle joué par l’auctoritas dans les processus décisionnels. Malgré une abondance relative, qui repose surtout sur le corpus cicéronien, des difficultés se posent. Elles sont de trois ordres. Le récit des débats sénatoriaux est le plus souvent lacunaire, ne permettant généralement pas de restituer la chaîne des événements entre l’énonciation d’une sententia et le vote d’un sénatus-consulte. Dans la mesure où ces discussions permettent d’évaluer l’auctoritas des protagonistes, leur récit est passible de déformations, comme en témoignent les traditions contradictoires relatives à la séance qui se tint lors des nones de décembre 6312. Enfin, l’ordre des faits et l’ordre du discours se confondent parfois, rendant malaisée la distinction entre les effets concrets de l’auctoritas et le travail rétrospectif de légitimation.
Auctoritas et hiérarchie sénatoriale : un cercle vertueux ?
Auctoritas et adhésion
5De l’auctoritas, Jean-Michel David soulignait que “c’était elle […] qui emportait la décision au Sénat ou auprès du peuple13”. L’importance de l’auctoritas senatus qui, comme le rappelait Hellegouarc’h, “procède, comme notion globale, de l’auctoritas personnelle de chacun des membres du Sénat”, est cohérente avec cette affirmation14. Comment évaluer le rôle de l’auctoritas dans le processus de prise de décision tel qu’il s’élabore au Sénat ? Plusieurs passages de Cicéron, tirés de ses discours ou de sa correspondance, présentent l’intérêt de faire le lien entre la sententia d’un sénateur et le vote du Sénat, qu’il aille dans le sens de la proposition formulée ou qu’il la rejette15. Lorsque la sententia est suivie d’un vote favorable (exprimé généralement par le verbe adsentire ou par l’expression Senatus consultum in … sententiam factum est), il faudrait y voir un effet de l’auctoritas du sénateur et les sources suggèrent une telle interprétation. Un exemple parmi d’autres est rapporté dans une lettre de Cicéron à Atticus, au sujet de la création d’une procédure judiciaire contre un juge convaincu de corruption : “Caton a donc conclu dans ce sens (censuit hoc Cato) et le Sénat s’est rangé à son avis” (et adsensit senatus)16, et ce malgré l’opposition de Cicéron (ego dissensi). Salluste peut dire, à l’issue de son récit de la séance des nones de décembre 63, que “le Sénat rend un décret conforme à sa proposition” (senati decretum fit sicuti ille censuerat)17. Dans les deux cas, l’auctoritas de Caton est implicite : elle se déduit des effets qu’elle produit. Ailleurs, son rôle est explicitement affirmé, comme dans ce passage du Pro Lege Manilia, où l’Arpinate met en relation l’auctoritas des sénateurs les plus éminents et son actualisation dans l’octroi à Pompée, en 71, d’une solutio legibus l’autorisant à se présenter au consulat et du triomphe : “Et tant de distinctions si magnifiques et si nouvelles sont venues à Pompée de l’initiative de Q. Catulus et des autres membres les plus considérables du même ordre sénatorial”18.
6S’il n’est pas toujours possible d’établir la relation entre l’énonciation d’une sententia et le vote d’un sénatus-consulte, les effets immédiats d’un discours sur les sénateurs sont parfois rappelés dans les sources. Dans une lettre adressée à P. Sestius, Cicéron fait le lien entre l’auctoritas de celui qui s’exprime au Sénat et les réactions des sénateurs19. On ignore s’il s’agit ici d’une sententia et, le cas échéant, si elle a été reprise dans le texte d’un sénatus-consulte éventuel, mais ce qui compte, c’est la capacité à faire évoluer, par son auctoritas, l’opinion des autres sénateurs20.
Les ressorts de l’auctoritas
7L’auctoritas de la sententia dépend d’abord de celle de son énonciateur, de celui qui en est l’auctor. Qu’est-ce qui fonde l’auctoritas de celui qui exprime une sententia ? On pense tout d’abord à sa dignitas, c’est-à-dire à sa supériorité sociale et politique, qui repose pour une large part sur les charges exercées, sur la progression dans le cursus honorum21. Lorsqu’il retrouva sa dignitas, à son retour d’exil, Cicéron recouvra, dans le même temps, son auctoritas au Sénat22. Cet élément était déterminant, comme en témoigne un passage d’une lettre de Cicéron, envoyée à Atticus en mars 4923. Il y fait allusion à une lettre adressée par César, dans laquelle l’imperator émet le souhait de compter notamment sur la dignitas de Cicéron, qui établit ironiquement un lien entre cette dernière et la sententia d’un consulaire. Ici, l’auctoritas est présente implicitement, dans la capacité attendue d’un consulaire de peser sur le processus de prise de décision, voire de l’enclencher24. Le reste de la correspondance de Cicéron montre que le sens des propos de César n’allait pas de soi, mais les hésitations de l’Arpinate ne portent pas sur ce que César pouvait attendre de la dignitas de cet ancien consulaire25.
8Cette association étroite entre auctoritas et dignitas explique que l’on ait pu penser que les pedarii étaient dépourvus d’auctoritas et ne possédaient que la uoluntas26. En raison du caractère électif de ces charges et, partant, du rôle du peuple romain dans l’octroi de la dignitas, faut-il penser l’auctoritas comme une délégation du populus27 ? La nécessité pour le président d’interroger en premier, lorsqu’il s’en trouvait, l’un des consuls désignés, c’est-à-dire, un homme politique qui se distinguait par le caractère récent de son élection, irait dans ce sens. Une telle interprétation n’est pas incompatible avec thèse d’un “apport personnel de l’individu dans la formation de son auctoritas”28, dans la mesure où l’élection était conçue comme un jugement du peuple sur la uirtus des candidats.
9L’auctoritas est aussi liée à l’ordre d’interrogation. Dans une certaine mesure, cet élément dépend du précédent. Il était en effet de coutume d’interroger les sénateurs en suivant un ordre fixé par la hiérarchie sénatoriale, même si, comme nous l’avons rappelé, des évolutions se produisirent au cours de la décennie 70, le président de la séance disposant alors d’une liberté relative, lorsqu’il n’y avait pas de magistrat désigné29. Quoi qu’il en soit, l’ordre d’interrogation avait à voir avec la hiérarchie sénatoriale telle qu’elle avait été définie par les censeurs lors de la lectio senatus précédente. Il avait une grande influence sur le processus de prise de décision : l’autorité du primus rogatus tendait à s’imposer, à la fois pour des raisons intrinsèques et pour des raisons de position, les deux se renforçant mutuellement. Reconnue par le président de la séance, l’auctoritas du sénateur s’en trouvait accrue.
10Pourtant, cela ne saurait suffire ; sinon, la prise de décision aurait dépendu de la sententia du seul primus rogatus, ce que démentent les sources et ce qui, de toute façon, contredirait l’idée même d’un processus délibératif. Ainsi, M. Claudius Marcellus, lors d’une séance relative à la question des provinces consulaires, qui eut lieu en juin 50, s’exprima le premier et les sénateurs votèrent massivement contre sa sententia30. D’autres éléments doivent donc être pris en considération. Un premier réside dans la dynamique du débat, dans la capacité du sénateur interrogé de s’appuyer sur les avis des sénateurs précédents pour trouver un compromis, une solution à un conflit. Ici, l’auctoritas de l’orateur ne paraît pas jouer un rôle direct. En revanche, l’orateur qui voit sa sententia aboutir à un vote a pu se réclamer de l’auctoritas des orateurs qui ont parlé avant lui ou à tout le moins s’appuyer sur cette dernière. Mieux, la sententia qu’il formule peut n’être que la reprise, sous une forme légèrement modifiée, de celle d’un orateur précédent31. Il faut également évoquer le rôle crucial de la reconnaissance. La parole n’est efficace que dès lors qu’elle est reconnue comme telle par l’auditoire. S’enclenche alors un cercle vertueux de la reconnaissance, qui voit l’auctoritas renforcée à mesure que la sententia reçoit l’approbation des sénateurs.
11L’auctoritas repose sur le rang de celui qui s’exprime, sur l’ordre d’interrogation, sur la dynamique procédurale, mais aussi sur le contenu et sur la forme donnés à la sententia. Le premier élément ne saurait être négligé. Il en va ainsi de celle de Q. Fufius Calenus, qui, après avoir appris la nouvelle du meurtre de Trebonius, déclarait Dolabella ennemi public et stipulait la confiscation de ses biens. Cicéron en loue la sévérité, la gravité, ainsi que la conformité à la res publica, et s’y range pour ces raisons32. Dans le cas du vote relatif à l’octroi à Cicéron du titre de sauveur de la patrie, l’auctoritas de Pompée, qui s’était exprimé par écrit s’ajoutait à celle du bénéficiaire de la mesure, Cicéron, qui faisait de la quasi unanimité du Sénat un titre de gloire33. Le vote des sénateurs rendait publique et actualisait l’auctoritas de Pompée, dont la source ne se réduisait pas à sa progression dans la carrière des honneurs et était également liée au prestige tiré de ses victoires, et la dignitas retrouvée du bénéficiaire de l’honneur, Cicéron, qui retrouvait ainsi les conditions de son auctoritas. Autre exemple, qui concilie forme et contenu, celui de Caton au moment du débat relatif au châtiment des complices de Catilina. Cicéron, dans une lettre à Atticus34, critique le fait que Brutus déforme le déroulement de la séance du Sénat, en affirmant que Caton aurait été le premier à proposer la peine de mort. Il rappelle que tous les autres orateurs précédents, à l’exception de César, avaient émis un avis similaire et précise que si le choix s’est porté sur la sententia de Caton, alors qu’il n’était pas le premier orateur, c’est “parce qu’elle exprimait le même contenu en termes plus brillants et étoffés” (quia uerbis luculentioribus et pluribus rem eandem comprehenderat). Le passage révèle tout d’abord que l’on tendait à déduire du nom de l’auteur de la sententia qui avait été validée par le vote du sénatus-consulte le fait que c’était le premier à exprimer cet avis. Il permet aussi de nuancer cette proposition générale, en montrant la part jouée par la forme de la sententia. Si l’on en croit Cicéron, Caton n’aurait fait que répéter, mais avec davantage d’éloquence, ce qui avait déjà été énoncé par nombre d’orateurs. L’affirmation de Cicéron est suspecte35, mais l’Arpinate n’en considère pas moins vraisemblable l’argument sur lequel elle repose. La caractérisation par Cicéron de l’éloquence sénatoriale de Caton semble paradoxale à deux titres : on attendait de l’orateur qu’il fût concis, alors que Caton s’est distingué des autres sénateurs par son abondance oratoire ; la recherche de termes “brillants” paraît s’opposer à ce que Quintilien préconise lorsqu’il affirme qu’“au Sénat, il faut garder de l’autorité”36. Toutefois, le passage de Quintilien reste très général37 et Cicéron rend compte ailleurs de l’exception catonienne38.
12Il reste à évoquer un passage intriguant du Brutus relatif à l’auctoritas de P. Cornelius Cethegus, personnage énigmatique, dont Plutarque souligne également l’influence politique : Cicéron, dont le jugement est ici d’autant plus précieux qu’il est entré au Sénat alors que Cethegus y siégeait encore39, y affirme qu’elle se serait exprimée uniquement au Sénat (et non dans les tribunaux) et qu’elle reposerait non pas sur sa position sociale, mais sur sa connaissance de la res publica40. Cette compétence semble désigner la connaissance de tous les domaines de la vie publique, comme le suggère un rapprochement avec un extrait du De legibus41. Cicéron lui reconnaît aussi, mais de façon apparemment moins décisive, des qualités oratoires. Les deux compétences se combinaient peut-être dans sa capacité à formuler une sententia susceptible de résoudre les contradictions d’un débat. Ici, l’auctoritas paraît désigner moins les qualités intrinsèques du sénateur (car la compétence n’est rapportée ni à une qualité personnelle42 ni à une position sociale, même s’il est possible qu’il ait été de rang prétorien43) qu’une compétence objective, saisissable par les effets qu’elle parvient à produire. Le propos de Cicéron peut être rapproché d’un passage du pseudo-Asconius sur le rôle de Cethegus et du consul Cotta dans l’octroi d’un commandement militaire exceptionnel à M. Antonius44. Si l’influence de Cethegus se trouve rapprochée de celle d’un consul, rien n’est dit, en revanche, du rôle de son auctoritas et de ce qui la fondait45. Arthur Keaveney a émis l’hypothèse que l’auctoritas de Cethegus serait un effet du contexte : elle s’exercerait sur les sénateurs qui furent promus à cette dignité par Sylla et qui seraient redevables des conseils de Cethegus46. Cette interprétation présente la difficulté de confondre l’auctoritas avec la gratia47, mais elle pourrait rendre compte du témoignage du pseudo-Asconius relatif à l’existence au Sénat d’une factio soutenant l’action de Cethegus. On le voit, les témoignages sur l’influence de Cethegus au Sénat ne convergent pas entièrement. Les passages de Salluste, des Paradoxes sur les Stoïciens et du Pseudo-Asconius suggèrent une emprise sur un groupe de sénateurs, fondée sur une relation contraignante et non sur l’auctoritas, tandis que l’extrait du Brutus prête à Cethegus une auctoritas remarquable. Nous pensons donc qu’il faut distinguer, ainsi que le proposait Christian Meier, ce qui, dans le pouvoir que Cethegus détenait au Sénat, relevait de l’organisation d’une factio et ce qui relevait de son auctoritas, fondée sur sa connaissance de la res publica48.
Les effets de l’exercice de l’auctoritas sur la hiérarchie sénatoriale
13Celui dont la parole produisait des effets sur le processus de décision accroissait son auctoritas, au terme d’un cercle vertueux. À la différence de l’honos, l’auctoritas n’est pas octroyée, elle s’actualise en s’exerçant49. On pense à Caton, dont l’auctoritas paraît avoir en grande partie dépendu du rôle qu’il a su jouer au Sénat, mais il est difficile ici de faire la part du processus de déformation historique. Selon Salluste, dans un récit nettement favorable au tribun désigné, après que ce dernier eut prononcé son discours relatif au sort à réserver aux partisans de Catilina, “Caton est proclamé un grand et illustre citoyen, et le Sénat rend un décret conforme à sa proposition” (Cato clarus atque magnus habetur ; senati decretum fit sicuti ille censuerat)50. Le vote du sénatus-consulte, annoncé par des applaudissements, des paroles et des cris approbateurs51, apparaît comme un jugement sur la sententia mais aussi sur les qualités personnelles du sénateur qui l’a énoncée, en l’occurrence son éloquence et sa capacité à incarner les normes et les valeurs de la cité et du Sénat.
14La reconnaissance de l’auctoritas a également pu s’exprimer par l’utilisation de l’expression principes senatus pour désigner des sénateurs tels que Q. Lutatius Catulus et Cicéron, alors même que ce titre n’existait plus52. À propos des principes, M. Coudry relevait que l’auctoritas était leur “attribut premier53”. Peut-on en conclure que cette qualification renvoyait à leur auctoritas, c’est-à-dire à leur capacité à peser sur la prise de décision ? De fait, dans la deuxième Philippique, Cicéron exalte l’auctoritas de Catulus54. Il ne précise pas à quelle occasion cette dernière s’exerçait, mais l’hypothèse du contexte sénatorial est très vraisemblable. Dans le cas de Cicéron, la période au cours de laquelle il est désigné ainsi, qui correspondrait aux premiers mois de l’année 43, coïncide assurément avec une époque où son avis pesait dans les décisions du Sénat55. Sa qualité d’ancien consulaire mais aussi et surtout son action politique destinée à défendre la liberté du Sénat lui conféraient une auctoritas supérieure. Cette dernière se concrétisait par une capacité remarquable à agir avec le Sénat, comme le rapporte Cicéron dans une lettre adressée à L. Munatius Plancus : “Servilius, interrogé, opina pour le renvoi ; moi, je proposai la motion qui fut approuvée à l’unanimité ; le décret du Sénat t’en fera connaître le texte”56. L’actualisation de cette auctoritas n’avait cependant rien de mécanique et ne suffisait pas à garantir le succès d’une sententia57.
15Il est difficile de préciser dans quelle mesure l’auctoritas acquise ou renforcée au Sénat, était exportable et s’imposait dans d’autres contextes. Tout n’était pas transposable : le type d’éloquence mobilisé et les dynamiques nées de l’ordre d’interrogation étaient propres au contexte sénatorial. En revanche, des réputations se construisaient et se défaisaient, dans un cercle qui excédait celui de l’aristocratie. C’est ainsi que le texte du sénatus-consulte était lu en public et l’on connaît la pratique consistant à applaudir ceux qui avaient été les témoins de sa rédaction58.
16Le cercle vertueux, tel que nous venons de le décrire rapidement, est aussi, dans une certaine mesure, un cercle herméneutique. Élément du discours politique, notion centrale du système des valeurs aristocratiques, l’auctoritas est constamment invoquée, de sorte que réalité et discours tendent à se confondre.
La cohérence du modèle et ses limites
La nécessité de la justification
17Lorsque les faits paraissent avoir montré le manque relatif d’auctoritas d’un sénateur, des discours de justification et de compensation pouvaient être énoncés. Leur dimension performative suggère cependant de ne pas dissocier trop fortement l’ordre du discours de celui des faits.
18Plusieurs éléments objectifs pouvaient être invoqués, qui visaient en quelque sorte à dissocier le devenir de la sententia de l’auctoritas du sénateur qui l’avait énoncée. Il en allait ainsi de la survenue d’événements extérieurs, en particulier dans le contexte des guerres civiles, qui pouvaient fragiliser le consensus produit par une sententia. Cicéron impute ainsi l’échec de sa proposition consistant à décréter un tumultus aux rumeurs relatives à un espoir de paix59. Il est d’autant plus fondé à le faire que, jusqu’alors, cette dernière avait recueilli l’assentiment des autres sénateurs. Qu’avait-il pour le dire ? Peut-être l’effet de cette sententia sur celles qui ont suivi ou encore les manifestations approbatrices des sénateurs, qui préjugeaient du vote à venir, voire de l’inutilité de ce dernier60. Il était également possible d’invoquer le rôle joué par le magistrat qui présidait la séance, notamment lors du choix et du classement des sententiae soumises aux votes des sénateurs61.
19L’évocation par Cicéron de l’échec de sa sententia dans une lettre adressée à C. Cassius Longinus constitue une situation quelque peu différente62. Il y insiste sur le fait qu’il a défendu la dignitas de son correspondant au Sénat, en essayant de lui confier le commandement de la guerre contre Dolabella, et impute l’échec de sa sententia à l’opposition énergique de Pansa (quae mea sententia in senatu facile ualuisset, nisi Pansa uehementer obstitisset). Est-ce la reconnaissance d’une infériorité de l’auctoritas de Cicéron par rapport à celle de Pansa ? Rien n’est moins sûr : Cicéron affirme que sa sententia était vouée à l’emporter, une assertion indémontrable mais qui avait pour elle la vraisemblance, dans la mesure où l’orateur pouvait évaluer le succès probable de sa sententia grâce aux réactions des autres sénateurs. Son auctoritas n’est donc pas en cause, et ce d’autant moins que le consul Pansa, qui avait personnellement intérêt à ce que l’avis de Cicéron ne l’emportât pas, puisqu’il voulait obtenir ce commandement, a pu profiter de sa qualité de président de la séance pour mettre en échec la proposition de Cicéron. Ce n’est donc pas son auctoritas qui a fait la décision, mais davantage une manœuvre d’obstruction. En soulignant ce point, Cicéron donnait des gages de loyauté à Cassius et, partant, préservait son auctoritas.
20Inversement le discours de justification pouvait aussi être mobilisé pour rendre compte de l’adhésion à la sententia d’un adversaire politique. Il en va ainsi du passage des Philippiques, dans lequel Cicéron fait référence au soutien qu’il a apporté à la sententia de Q. Fufius Calenus relative à la condamnation de Dolabella63. Cicéron est tenu de se justifier : en se prononçant en faveur de cette sententia, il a en quelque sorte accru l’auctoritas d’un ennemi politique et diminué la sienne, dans la mesure où il donnait prise à l’accusation d’inconstance et de manque de fides, une qualité étroitement liée à l’auctoritas64. Pour défendre sa fides et son auctoritas, Cicéron revient sur le contenu de la sententia, il le qualifie et l’évalue à l’aune de la conformité à un modèle de conduite, à des normes de comportement. Il opère ainsi une distinction entre la dimension personnelle (homo) et la dimension objective (causa) de la sententia, en adéquation avec les normes et les valeurs de la République sénatoriale. C’est par sa capacité à se conformer au mos maiorum, telle qu’elle est reconnue par Cicéron, que Fufius Calenus a su ponctuellement faire montre d’auctoritas. Une autre interprétation est possible. Cicéron a pu aussi chercher à se défendre de l’accusation d’avoir suivi l’avis d’un individu à qui il ne reconnaissait aucune dignitas et donc aucune auctoritas. Il aurait ainsi développé une stratégie discursive visant à conférer rétrospectivement à Calenus la dignitas et l’auctoritas qui lui manquaient.
Auctoritas et succès politique : une dialectique complexe
21L’auctoritas d’un sénateur s’actualise pleinement lorsque sa sententia est reprise telle quelle dans le texte du sénatus-consulte. L’insuccès d’une sententia, qui constituait une situation fréquente, n’était cependant pas toujours interprété comme un échec politique. Plusieurs éléments pouvaient modaliser cet insuccès et ainsi éviter d’entamer la dignitas et, partant, l’auctoritas du sénateur : son rang et sa capacité à peser sur le débat. Il en fut ainsi de César qui, lorsqu’il s’opposa à la sententia de Cicéron, au moment du débat relatif à la sanction qu’il convenait d’infliger aux partisans de Catilina, prononça une sententia qui, même si elle ne fut pas votée, eut d’importants effets sur la dynamique du débat sénatorial, alors même que César n’était que préteur désigné. L’échec politique est donc discutable, et ce d’autant plus qu’il s’agissait peut-être aussi pour César de prendre date65.
22Il fallait, en revanche, éviter que l’échec ne fût patent et ne tournât à l’affront. Le vote per discessionem, qui rendait manifeste l’acceptation ou le rejet d’une sententia, pouvait prendre la forme d’un rituel d’humiliation, par la mise au jour du manque d’auctoritas d’un sénateur, même si, le plus souvent, le président de la séance et les sénateurs les plus éminents faisaient en sorte qu’il fonctionne comme un rite destiné à produire de l’unanimité66. Marianne Coudry évoque cet aspect pour rendre compte de la stratégie de M. Claudius Marcellus67. Ce dernier aurait en effet renoncé à sa sententia, qui demandait à ce que l’on procédât à un dilectus avant de se prononcer sur le licenciement de l’armée de César, pour éviter un camouflet, d’autant plus cuisant qu’il était de rang consulaire, même si, dans le récit qu’il fait des événements, César insiste logiquement et de façon tendancieuse sur le rôle de la menace exercée par les partisans de Pompée68. Quant à P. Rutilius Lupus, en décembre 57, il préféra ne pas soumettre sa sententia au vote, déduisant des “protestations qui s’étaient produites antérieurement (ex superiorum temporum conuiciis)” et du silence qui accompagna son discours une issue défavorable69. Egon Flaig a soutenu que si les sénateurs devaient formuler librement leurs sententiae, ils ne devaient pas les défendre avec obstination si une majorité contraire se dessinait, de façon à éviter la rupture du consensus70. Sauf exception, ils ne devaient pas en faire un “point d’honneur” (Ehrensache)71. Cette analyse suggère donc de relativiser la portée politique de l’échec des sententiae, mais il reste à apprécier l’étendue du champ des exceptions. Un passage de Suétone est à cet égard très instructif. Le biographe affirme, à propos de la séance du 5 décembre 63, que “Decimus Silanus, consul désigné, ne pouvant sans honte revenir sur son opinion, n’hésita pas à lui donner une interprétation plus douce, en prétendant qu’elle avait été prise dans un sens plus rigoureux qu’il ne l’entendait lui-même”72. Silanus se trouvait face à une alternative dont les deux termes fragilisaient son auctoritas : constater l’échec de sa sententia ou revenir sur son opinion. Dans le premier cas, il voyait la sententia d’un préteur désigné, César, l’emporter sur la sienne et, partant, faisait le constat de la supériorité de l’auctoritas de ce dernier ; le second terme était pire encore, puisque se ranger à la sententia de César supposait à la fois de reconnaître la supériorité de l’auctoritas du préteur désigné et d’être suspect d’inconstance, ce que Suétone considérait comme “honteux” (turpis). Or, dans le même passage, Suétone juge que César s’obstina de façon excessive (immoderatius), lorsqu’il maintint son opposition après l’énoncé de la sententia de Caton. Deux éléments permettent de rendre compte de cette différence de jugement. Le fait que Silanus ait été le premier à donner son avis, en sa qualité de consul désigné, ce que rappelle justement Suétone, a pu fonctionner comme une circonstance aggravante, puisque c’est lui qui a enclenché la dynamique procédurale. La peur du déshonneur impose une stratégie : Silanus tente de sortir de l’aporie en affirmant que les autres sententiae ont provoqué un durcissement de la position qu’il avait défendue. Le second élément réside dans la chronologie de la procédure et de la formation d’une majorité. Le discours de Caton “a raffermi le Sénat chancelant” (labantem ordinem confirmasset), imposant un terme au débat.
23Le sénateur pouvait-il tenter de neutraliser son auctoritas, afin d’éviter que sa sententia n’aboutisse ? C’est ce qu’affirme Cicéron dans un passage des Philippiques à propos d’une sententia émise par L. Iulius Caesar, qui aurait été dictée par la seule relation de parenté unissant ce dernier à Antoine : “Et d’ailleurs, César lui-même vous a recommandé en quelque sorte, sénateurs, de ne pas suivre son opinion, quand il a dit qu’il aurait émis un autre avis, digne de lui-même et de la République, s’il n’en était empêché par ses liens de parenté”73. Le rappel de cette relation familiale privait la sententia d’auctoritas, puisqu’elle avait été énoncée sous la contrainte. Il y a peut-être cependant loin entre les intentions de L. Iulius Caesar, dont il n’est pas sûr qu’il ait fait référence à sa parenté au moment où il formula sa sententia, et l’exégèse cicéronienne74. Nous retrouverions finalement la problématique de la justification : Cicéron cherche à priver la sententia de L. Iulius Caesar d’auctoritas, en rappelant ses liens familiaux, sans attenter à l’auctoritas de ce dernier. Il procéderait par désolidarisation de l’auctoritas de la sententia de celle de la personne qui l’énonce. En prêtant une intention malicieuse à L. Iulius Caesar, qui n’aurait pas joué le jeu de la pietas jusqu’au bout, Cicéron accablait Antoine, mais risquait aussi de suggérer l’inconséquence d’un sénateur énonçant une sententia de façon à ce qu’elle ne fût pas suivie d’effet.
Crise de la République et crise de l’auctoritas
24Un premier paradoxe peut être formulé, qui tient à la relation de dépendance entre le président de la séance et le primus rogatus. C’est ce qui ressort d’une lettre de Cicéron à Atticus75 : désigné primus rogatus, le sénateur dispose d’une auctoritas supérieure ; mais cette dernière a été déléguée par le magistrat qui préside la séance, ce qui crée une relation de dépendance. Or la dépendance est-elle compatible avec l’auctoritas76 ? À propos de ce passage, Marianne Coudry évoque “l’ambiguïté de la situation du primus rogatus, détenteur d’une influence (auctoritas) supérieure à celle des autres sénateurs, mais dont la uoluntas, c’est-à-dire la liberté de décision, est aliénée du fait de son choix par le magistrat”77. La distinction entre auctoritas et uoluntas permettrait ainsi de résoudre le paradoxe et suggérerait que seule la seconde, et non la première, était entamée par la relation de dépendance78. Toutefois, l’auctoritas du primus rogatus n’en risquait pas moins, à terme, de pâtir de cette situation. L’auctoritas reposait notamment sur la capacité à répondre de sa parole, ce qu’une aliénation, même partielle, de la uoluntas, contrariait. Cette tension était le résultat du nouveau mode d’interrogation des sénateurs. En effet, comme le souligne Marianne Coudry, dans son analyse du passage de Varron, cité par Aulu-Gelle, relatif à la désignation du primus rogatus par le président du Sénat, “en faisant à un sénateur l’honneur d’être interrogé en premier, le magistrat espère tirer profit de l’influence qu’il acquiert ainsi sur lui”79. On se souvient que jusqu’alors, le président de la séance n’avait aucune liberté : il interrogeait le princeps senatus, puis les consuls dans l’ordre d’ancienneté. Selon Varron, cet effet du changement de mode de désignation du primus rogatus en serait en réalité la cause : “il [sc. Varron] rapporte qu’un nouvel usage s’était installé, du fait de l’ambition et de la faveur” (nouum morem institutum refert per ambitionem gratiamque)80. Or l’ambitio et la gratia menaçaient l’auctoritas pour deux autres raisons.
25Le rôle de l’ambitio transparaît dans la forme que pouvait prendre la sententia. Théâtre de la compétition aristocratique où les hommes politiques exerçaient l’essentiel de leur vie publique81, le Sénat devenait le lieu de la manifestation de l’ambitio, qui s’actualisait notamment dans des discours dont Cicéron déplorait le manque de breuitas82. Selon Cicéron, il n’est que deux motifs qui autorisent à s’affranchir du principe de concision sans céder à l’ambitio : “à moins que le Sénat se mettant en défaut et aucun magistrat ne prêtant son aide, il n’y ait avantage à laisser passer la journée ; ou encore quand l’affaire est d’une importance telle qu’elle réclame le talent abondant d’un orateur pour convaincre ou instruire : deux occasions où excelle notre ami Caton”83. Dans ces deux situations, c’est l’intérêt du Sénat et de la res publica qui prévaut et qui dissipe tout soupçon d’ambition personnelle84.
26Il faut évoquer enfin le rôle de la gratia85, qui vient concurrencer celui joué par l’auctoritas. C’est ce qui ressort de la lettre de César à Cicéron, déjà évoquée, telle que l’orateur la commente à Atticus86. César y aurait émis le souhait de s’appuyer sur la gratia de l’Arpinate, qui s’empresse de traduire cette notion par l’une de ses actualisations possibles : “le gain de quelques voix au Sénat” (quasdam senatorum sententias)87. En réalité, le reste de la correspondance révèle que Cicéron a hésité sur la signification qu’il convenait de donner à cette notion dans la lettre de César88. Il n’en pas moins révélateur qu’en dernière analyse, il reconnaisse que l’auctoritas n’était pas seule à emporter la décision et que la faveur jouait également un rôle. Lorsqu’il dénonce le fonctionnement du Sénat dans sa seconde Lettre à César, Salluste estime que la gratia détermine les votes de ce conseil et, significativement, ne dit rien de l’auctoritas, puisque ces deux ressorts de la décision paraissent s’exclure89. C’est le souci de lutter contre la faveur qui le conduit à proposer l’introduction du vote par bulletin secret au Sénat90.
27Au terme de cette étude, plusieurs observations peuvent être formulées sur l’auctoritas au Sénat, afin d’en saisir l’éventuelle spécificité. Déterminée par des éléments objectifs (le rang, l’ordre d’interrogation), l’actualisation de l’auctoritas est également sensible aux dynamiques procédurales, aux événements, mais aussi au contenu et à la forme donnés à la sententia. À cet égard, elle ne se limite pas à une donnée structurelle et relève aussi de la performance. Un défaut d’auctoritas, tel qu’il pourrait se donner à voir dans l’échec d’une sententia, requiert donc une justification. En s’exerçant, l’auctoritas contribue à consolider et à perpétuer la hiérarchie à l’intérieur du Sénat et de la cité.
28La période est également spécifique, marquée par la tension entre la persistance d’un modèle et ses contradictions dans les faits. Cohérente avec le caractère agonistique de la culture politique aristocratique, l’auctoritas n’en est pas moins menacée par l’exacerbation et le dévoiement de cette compétition. L’expérience politique césarienne paraît y avoir mis un terme provisoire, malgré les gages donnés par César à Cicéron au début de la guerre civile : sans la libertas, l’auctoritas ne pouvait plus s’exercer, ce que Cicéron avait pressenti91.
Notes de bas de page
1 Cet article a bénéficié des discussions que j’ai pu avoir avec les participants et les auditeurs du colloque. Je remercie en particulier M. Coudry, J.-M. David, Fr. Hurlet, M. Jehne, P. Montlahuc et Cr. Rosillo-López.
2 Cic., Att., 1. 13. 2 (25 janvier 61).
3 Hellegouarc’h [1963] 1972, 295 ; ibid., 305 : “L’auctoritas, c’est donc dans ce cas, l’influence propre du sénateur qui énonce sa sententia et la mesure de cette influence”.
4 Hölkeskamp [2004] 2008, 52.
5 Toutes les dates s’entendent a.C.
6 Sur cette mutation essentielle, voir le témoignage de Gell. 14.7.9, qui estime qu’elle était effective au moment où Varron composa son aide-mémoire à l’usage de Pompée. La date de la disparition du princeps senatus, antérieure ou, plus vraisemblablement, postérieure à la modification de l’ordre d’interrogation des sénateurs, est discutée. Voir en dernier lieu Tansey 2000, 15-30, qui propose une datation basse (la mort de Mam. Aemilius Lepidus Livianus, vers 65), mais montre que, au moment où la réforme survint, le poste était vacant (entre la mort de Flaccus, qu’il situe en 77, et la censure de 70-69). Sur la spécificité du Sénat post-syllanien, voir aussi Steel 2014, 323-339, qui souligne en outre la nouveauté que représentait la présence à Rome des préteurs et, du moins pendant une grande partie de l’année, des consuls.
7 La question de la date à partir de laquelle les consuls désignés furent interrogés les premiers est discutée. Comme le rappelle Pina Polo 2014, 420-422, contre l’idée selon laquelle l’usage remonterait à Sylla et à la disparition du princeps senatus, s’impose la thèse d’une pratique plus ancienne, ce qui serait conforme avec le témoignage de Cic., Phil., 5.35, qui évoque à ce propos le mos maiorum. Ryan 1998, 255 soutient que, avant la mutation survenue au cours de la décennie 70, il était d’usage d’interroger en premier le princeps senatus pendant la première partie de l’année et l’un des consuls désignés, dès que ces derniers avaient été élus. Il se fonde sur Gell. 4.10.1-4, où il donne un sens temporel à la structure alias… alias (alias primus rogabatur qui princeps a censoribus in senatum lectus fuerat, alias qui designati consules erant).
8 Sur les liens entre libertas et auctoritas, voir notamment Brunt 1988, 322-330.
9 Voir ainsi Cic., Off., 2.2 : “Mais quand tout était tenu sous la domination d’un seul, qu’il n’y avait plus nulle part place pour l’initiative et l’influence politiques (…)” (cum autem dominatu unius omnia tenerentur neque esset usquam consilio aut auctoritate locus, trad. M. Testard, Paris, CUF, 1970 modifiée).
10 Voir les remarques de Balsdon 1960, 46 sur le rétablissement de l’auctoritas après la mort de César.
11 Nous n’ignorons pas que l’auctoritas des sénateurs pouvait s’exercer aussi lors des éventuels débats antérieurs à la relatio ou lors de discours qui ne s’inscrivent pas dans un processus décisionnel. Il en va ainsi du discours prononcé par Cicéron, en 61, après que le Sénat eut voté un décret relatif à la corruption judiciaire, qui avait suscité l’hostilité de l’ordre équestre : “j’ai parlé avec beaucoup de force et d’abondance dans une cause qui ne laissait pas d’être gênante” (summa cum auctoritate et in causa non uerecunda admodum grauis et copiosus fui, Cic., Att., 1.17.8).
12 Les sources ont été rassemblées par Bonnefond-Coudry 1989, 622 et Timmer 2009, 388-390.
13 David 1992, 427.
14 Hellegouarc’h [1963] 1972, 311, qui reprend une idée émise notamment par Balsdon 1960, 43. Hölkeskamp montre, dans sa contribution à ce volume, que l’auctoritas senatus était constituée de l’auctoritas cumulée de tous les sénateurs.
15 Souvent, toutefois, le résultat du vote est connu sans que l’on sache ce qu’il en a été des discussions ; inversement, des allusions à des débats sont parfois rapportées sans que l’on en connaisse l’issue.
16 Cic., Att., 2.1.8 (milieu de juin 60). Sur la signification politique de cette intervention, qui n’aboutit pas au vote d’une loi, voir Nicolet 1974, 616, qui l’interprète comme une tentative de suppression du privilège judiciaire des chevaliers.
17 Sall., Cat., 53.1. On trouve une formulation proche chez D.C. 37.36.3 : “Mais Caton se prononça pour la peine capitale, et son opinion fut adoptée par tous ceux qui n’avaient pas encore voté” (Ἐπεὶ δὲ οὗτος αὐτός τε τὸν θάνατον αὐτῶν κατεδίκασε καὶ τοὺς λοιποὺς πάντας ὁµοψήφους ἐποιήσατο). Sur ce passage, voir Timmer 2009, 390. D’autres exemples peuvent être cités. Voir ainsi Cic., Att., 4.1.6.
18 Cic., Man., 63 : Atque haec tot exempla, tanta ac tam noua, profecta sunt in eodem homine a Q. Catuli atque a ceterorum eiusdem dignitatis amplissimorum auctoritate (trad. A. Boulanger, Paris, CUF, 19613). Voir le commentaire de Bonnefond-Coudry 1989, 584-585.
19 Cic., Fam., 5.6.3 (après le 10 décembre 62) : “le Sénat a été extrêmement sensible à mon discours et à l’autorité de mon intervention” (senatum uehementer oratione mea atque auctoritate commoui, trad. L.-A. Constans, Paris, CUF, 1940).
20 Cicéron précise qu’il s’agissait d’une défense de son ancien collègue au consulat, C. Antonius, qui était alors gouverneur de Macédoine. La possibilité de son remplacement était probablement évoquée, mais la question n’était pas encore tranchée à la date du 1er janvier 61 (Cic., Att., 1.12.1). Il est possible que le discours de Cicéron ait été prononcé lorsque fut abordée la question de la succession de P. Sestius, qui était alors proquesteur en Macédoine (Cic., Fam., 5.6.1). Ces diverses hypothèses excluent a priori celle d’une sententia.
21 Voir notamment les remarques de Gruen 1974, 162-163. La dignitas ne se réduit cependant pas à l’accumulation des honores. Voir Hellegouarc’h [1963] 1972, 305.
22 Cic., Att., 4.1.3 (milieu de septembre 57) : “j’ai retrouvé mon autorité au Sénat (in senatu auctoritatem (…) consecuti sumus).”
23 Cic., Att., 9.9.3 : “Mais ainsi j’y vois clair : c’est à quoi visait apparemment César dans la lettre dont je t’ai envoyé copie, quand il disait vouloir user ‘de mes conseils’ (passe pour cela : j’en donne à tous), ‘de mon crédit’ (absurde ! mais il imagine, je pense le gain de quelques voix au Sénat), ‘de mon autorité’ (l’avis, peut-être d’un consulaire…)” (Itaque nimirum hoc illud est quod Caesar scribit in ea epistula cuius exemplum ad te misit, [et] se uelle uti ‘consilio’ meo (age, esto : hoc commune est) ; ‘gratia’ (ineptum id quidem, sed, puto, id simulat ad quasdam senatorum sententias), ‘dignitate’ (fortasse sententia consularis, trad. J. Bayet, Paris, CUF, 1964).
24 C’est l’interprétation de Bonnefond-Coudry 1989, 646 : Cicéron, en sa qualité de consulaire, pouvait “introduire une proposition au Sénat, parce qu’elle a des chances d’aboutir.”
25 Voir ainsi la lettre que Cicéron envoya à César peu de temps après (Cic., Att., 9.11a (19 ou 20 mars 49) : “Lisant ta lettre apportée à Rome par notre ami Furnius, où tu m’engageais à me rendre à Rome, je ne me suis pas tellement étonné que tu veuilles recourir “à mes conseils et à l’autorité » que je puis avoir” (Vt legi tuas litteras quas a Furnio nostro acceperam, quibus mecum agebas ut ad Vrbem essem, te uelle uti ‘consilio et dignitate mea’ minus sum admiratus, trad. J. Bayet, Paris, CUF, 1964).
26 Cette thèse a été défendue par Mommsen 1889-1896, 7, 147-151, suivi par Hellegouarc’h [1963] 1972, 305. Sur la uoluntas des pedarii, voir notamment le témoignage de Cic., Att., 1.19.9 et les analyses de Bonnefond-Coudry 1989, 683-686. En raison des liens très étroits entre auctoritas et sententia, sur lesquels on consultera Hellegouarc’h [1963] 1972, 305-306, on a pu conclure que les pedarii n’avaient pas le droit de s’exprimer au Sénat autrement qu’en votant. Cette opinion a été critiquée notamment par Willems 1878-1885, 137-145 et par Ryan 1998, mais, comme le souligne David 2000, 484, de ce droit, les pedarii n’usaient guère pour des raisons sociologiques, c’est-à-dire, du fait de leur manque d’auctoritas. Voir la position nuancée de Bonnefond-Coudry 1989, 620-682, qui montre que, pour l’essentiel, la décision échappait aux sénateurs de rang inférieur mais que l’interrogation n’en devait pas moins être poussée jusqu’à son terme et que sont attestées “des interventions (parfois décisives) de sénateurs de rang inférieur” (p. 678).
27 C’est ce qu’affirme Cic., Man., 2, mais dans le cadre d’une contio : “Aujourd’hui, fort de l’autorité qu’il vous a plu de m’accorder en m’élevant aux honneurs…” (nunc cum et auctoritatis in me tantum sit quantum uos honoribus mandandis esse uoluistis, trad. A. Boulanger, Paris, CUF, 19613). Le contexte est déterminant : en ce début de discours, où l’orateur définit l’espace de l’énonciation, Cicéron, qui est préteur en exercice, a tout intérêt à rappeler qu’il doit au peuple sa position et l’auctoritas qui en découle. Ce faisant, il renforce sa capacité à influer sur la décision du peuple.
28 Hellegouarc’h [1963] 1972, 298, qui souligne le lien entre uirtus et auctoritas.
29 Voir ainsi Gel. 4.10.1-7.
30 Cic., Fam., 8.13.1.
31 Il en va ainsi de celle proposée par Cicéron au sujet des honneurs à accorder aux vainqueurs de Modène, qui surenchérit sur la sententia de P. Servilius (Cic., Phil., 14.11).
32 Cic., Phil., 11.15-16 : “C’est pourquoi non seulement j’approuve, mais encore je remercie Fufius ; il a émis un avis sévère, rigoureux, digne de la République” (itaque non adsentior solum, sed etiam gratias ago Fufio : dixit enim seueram, grauem, re publica dignam sententiam, trad. P. Wuilleumier, Paris, CUF, 1964²).
33 Cic., Sest., 129 : “(…) le héros qui a marqué de ses trois triomphes trois régions distinctes, trois divisions du monde unies à notre empire, m’a donné à moi seul, en exprimant son avis par écrit, le titre de sauveur de la patrie. Son avis fut suivi en séance plénière par le Sénat ; il n’y eut qu’un seul opposant : mon ennemi, et ce résultat a été mentionné expressément sur les registres officiels, pour l’éternel souvenir de la postérité” (cum uir is qui tripertitas orbis terrarum oras atque regiones tribus triumphis adiunctas huic imperio notauit, de scripto sententia dicta, mihi uni testimonium patriae conseruatae dedit. Quoius sententiam ita frequentissimus senatus secutus est ut unus dissentiret hostis, idque ipsum tabulis publicis mandaretur ad memoriam posteri temporis sempiternam, trad. J. Cousin, Paris, CUF, 1965). Voir les analyses de Timmer 2009, 392-393.
34 Cic., Att., 12.21.1 (17 mars 45).
35 Shackleton Bailey 1966, 316-317 rappelle que plusieurs sources rapportent que la plupart des orateurs qui s’exprimèrent après César se rangèrent à l’avis de ce dernier (Sal., Cat., 52.1 ; D.C. 37.36 ; Plut., Cic., 21 ; Cat. Min., 22 ; Suet., Caes., 14.1 ; App., BC, 2.6), mais concède que cette seconde tradition n’est pas au-dessus de tout soupçon, pouvant dériver d’une hostilité à l’égard de Cicéron, d’une volonté de rehausser le rôle de Caton ou de l’ignorance du détail des événements (dans cette dernière hypothèse, la source pourrait être Brutus lui-même).
36 Quint., Inst., 11.3.153 : in senatu conseruanda auctoritas.
37 On peut le rapprocher de Quint., Inst., 4.2.125, où l’auctoritas est présentée comme dépendant de la “conduite (uita)” et du genus orationis, qui doit être grauis et sanctus.
38 Voir infra, au sujet de Cic., Leg., 3.40, où il est fait référence à l’abondance oratoire qu’il est possible de mobiliser au Sénat, lorsque les intérêts de la res publica sont en jeu.
39 Ce point est souligné par Ryan 1994, 682.
40 Cic., Brut., 178 : “Son contemporain P. Cethegus savait assez bien parler sur la politique : il l’avait en effet étudiée et la connaissait à fond. Aussi dans le Sénat son influence égalait-elle celle des consulaires ; dans les causes criminelles il ne comptait pour rien ; dans les procès civils < au contraire > il semblait avoir une certaine pratique” (Eius aequalis P. Cethegus, cui de re publica satis suppeditabat oratio ; totam enim tenebat eam penitusque cognouerat ; itaque in senatu consularium auctoritatem assequebatur, sed in causis publicis nihil, <in> priuatis satis ueterator uidebatur, trad. J. Martha, Paris, CUF, 1923). Ce témoignage concorde avec les propos plus généraux mais aussi plus tendancieux de Plut., Luc., 6.3 : “Lorsque à son tour Cethegus, qui était alors au faîte de sa réputation et qui menait la ville, se laissa séduire par elle et devint son amant, le pouvoir public passa tout entier dans les mains de cette femme : rien ne se faisait dans l’Etat sans que Cethegus y eût donné ses soins et sans que Precia le lui eût recommandé” (Ὡς δὲ καὶ Κέθηγον ἀνθοῦντα τῇ δόξῃ τότε καὶ φέροντα τὴν πόλιν ὑπηγάγετο καὶ συνῆν ἐρῶντι, παντάπασιν εἰς ἐκείνην περιῆλθεν ἡ τῆς πόλεως δύναµις· οὐ[δὲ] γὰρ ἐπράττετό τι δηµοσίᾳ Κεθήγου µὴ σπουδάζοντος, οὐδὲ Πραικίας µὴ κελευούσης παρὰ Κεθήγῳ). Comme l’a relevé Keaveney 1992, 67-68, son influence politique au Sénat se déduit également du fait que, dans le discours prononcé devant les sénateurs tel qu’il a été réécrit par Sal., Orat. Phil., 20, Marcius Philippus, en 77, dénonce ceux qui s’en remettraient au patrocinium de Cethegus et à celui des autres “traîtres” (proditores). Le terme patrocinium pourrait correspondre à une désignation dépréciative de l’auctoritas de Cethegus : Philippus fait le constat de l’influence excessive de Cethegus au Sénat, mais se refuse à lui reconnaître la moindre légitimité, ce qui l’oblige à éviter la notion d’auctoritas. Ailleurs, Cicéron, dans le cadre d’une réflexion sur la libertas (Parad., 5.40), évoque ceux qui, par cupiditas honoris imperii prouinciarum, en furent réduits à devenir les esclaves de Cethegus (seruire).
41 Cic., Leg., 3.41 : “Quand la loi ajoute : ‘qu’il connaisse les affaires du peuple’, c’est qu’il est nécessaire au sénateur d’avoir une notion complète de l’Etat ; et cela s’étend loin ; savoir l’effectif des armées, la puissance financière, les alliés, amis et tributaires que possède l’Etat, chacun en vertu de quelle loi, condition ou traité ; connaître les précédents traditionnels des décisions à prendre, l’exemple des ancêtres… Vous voyez enfin tout ce que cela comporte de savoir, d’application, de mémoire, et sur quoi un sénateur ne saurait en aucune manière se trouver pris au dépourvu” (Quodque addit : ‘causas populi tenet’, est senatori necessarium nosse rem publicam – idque late patet : quid habeat militum, quid ualeat aerario, quos socis res publica habeat, quos amicos, quos stipendiarios, qua quisque sit lege, condicione, foedere ; tenere consuetudinem decernendi, nosse exempla maiorum. Videtis iam genus hoc omne scientiae, diligentiae, memoriae, de quo non paratus esse senator nullo pacto potest, trad. G. de Plinval, Paris, CUF, 1959).
42 Cic., Parad., 5.40 le désigne comme un homo non probatissimus.
43 Sumner 1973, 106. Voir cependant la prudence de Keaveney 1992, 67 et, surtout, de Ryan 1994, 681-685, qui montre bien, à partir du rapprochement avec le cas de C. Fannius (Cic., Vat., 16), que le fait de se voir reconnaître une consularis auctoritas n’implique pas nécessairement d’être de rang prétorien.
44 Pseudo-Asconius, p. 259 St. : “Il s’agit de M. Antonius qui, au moyen de la faveur du consul Cotta et de la faction dont Cethegus disposait au Sénat, obtint une charge s’étendant sur l’ensemble du littoral” (Hic est M. Antonius qui, gratia Cottae consulis et Cethegi factione in senatu curationem infinitam nactus totius orae maritimae, et Siciliam et prouincias omnes depopulatus est ad postremum inferens Cretensibus bellum morbo interiit).
45 Plut., Luc., 6.4-5 évoque le rôle décisif de Cethegus dans l’octroi de la Cilicie à Lucullus, mais sans évoquer son auctoritas et sans préciser ce qui la fondait, en dehors du rôle joué par Precia.
46 Keaveney 1992, 68-69.
47 Keaveney 1992, 69 : “In consequence he won much favour (gratia) and soon had large numbers at his command”.
48 Sur cette distinction, voir Meier 1966, 180-181. Contra Keaveney 1992, 222. Sur ces deux ressorts de son auctoritas, voir aussi les réflexions de Jehne dans ce volume.
49 Voir ainsi Jacotot 2013, 78 : “On n’octroie pas l’auctoritas à quelqu’un, alors qu’on confère bien l’honos”. Nuançons cependant cette distinction tranchée en rappelant que l’auctoritas dépend de la dignitas, qui elle-même repose en partie sur les honores.
50 Sal., Cat., 53.1.
51 Voir ce qu’écrit Salluste dans le passage qui précède immédiatement : “Lorsque Caton se fut assis, tous les consulaires et la majorité des sénateurs applaudissent sa motion, portent aux nues son courage, échangent des invectives et se traitent l’un l’autre de poltrons” (Postquam Cato adsedit, consulares omnes itemque senatus magna pars sententiam eius laudant, uirtutem animi ad caelum ferunt ; alii alios increpantes timidos uocant, trad. A. Ernout, Paris, CUF, 1941).
52 Cic., Pis., 6, qui dit de Q. Lutatius Catulus qu’il était princeps huius ordinis, un jugement repris par Vell. 2.43.3, qui le définit comme senatus princeps, “de l’avis de tous” (omnium confessione). Sen., Suas., 6.19, citant Cremutius Cordus, attribue à Cicéron le titre de princeps senatus et Romanorum (“hier le premier du Sénat et la gloire du nom romain, aujourd’hui source de profits pour son assassin” (breui ante princeps senatus Romanique nominis titulus, tum pretium interfectoris sui).
53 Bonnefond-Coudry 1989, 686.
54 Cic., Phil., 2.12 : “Mon consulat n’a pas l’approbation de Marc Antoine. Mais il a eu celle de P. Servilius (pour nommer en premier, parmi les consulaires de cette époque, celui qui est mort le plus récemment) ; celle de Q. Catulus, dont l’autorité sera toujours vivante dans notre République” (Non placet M. Antonio consulatus meus. At placuit P. Seruilio, ut eum primum nominem ex illius temporis consularibus qui proxime est mortuus, placuit Q. Catulo, cuius semper in hac re publica uiuet auctoritas, trad. A. Boulanger et P. Wuilleumier, Paris, CUF, 1963²).
55 Le jugement de Cremutius Cordus porte sur la situation de Cicéron au moment de sa mort. Ryan 1998, 200-204 estime que Cicéron serait bel et bien devenu princeps senatus, à une date qu’il situe en 43. Le statut plébéien de Cicéron s’oppose à cette hypothèse et nous pensons plutôt qu’il s’agit d’un jugement honorifique émis par Cremutius Cordus, d’abord motivé par des considérations rhétoriques.
56 Fam. 10.16.1 (vers le 25 mai 43) : Servilius rogatus rem distulit ; ego eam sententiam dixi, cui sunt assensi omnes ad unum : ea quae fuerit, ex senatus consulto cognosces. C’est aussi à cette époque, dans une lettre du 22 mai 43, que Lépide se confie à l’auctoritas de Cicéron (Cic., Fam., 11.20.2). Sur cette pratique et sur ce texte, voir la contribution d’Élizabeth Deniaux dans ce volume.
57 Voir par exemple Cic., Fam., 12.7.1 (fin février 43), que nous commentons infra.
58 Cic., Att., 4.1.6 (milieu de septembre 57) : “On donna lecture au public de ce sénatus-consulte ; et comme à la lecture de mon nom la foule, suivant cette nouvelle mode stupide, avait incontinent applaudi, je lui adressai un discours” (quo senatus consulto recitato cum continuo, more hoc insulso et nouo, plausum meo nomine recitando dedissent, habui contionem, trad. L.-A. Constans, Paris, CUF, 1935).
59 Cic., Phil., 6.3 : “Aussi cet avis, Quirites, a-t-il tellement prévalu pendant trois jours que, bien qu’on n’eût point passé au vote, tous cependant, à l’exception d’un petit nombre, semblaient prêts à m’approuver” (itaque haec sententia, Quirites, sic per triduum ualuit ut, quamquam discessio facta non esset, tamen praeter paucos omnes mihi adsensuri uiderentur, trad. P. Wuilleumier, Paris, CUF, 1964²).
60 Voir le commentaire de Manuwald 2007, 753-755.
61 Sur le classement des sententiae, voir Bonnefond-Coudry 1989, 549-554 ; Flaig 2013, 376-377 ; 567.
62 Cic., Fam., 12.7.1 (fin février 43) : “Avec quelle ardeur j’ai défendu ta dignité et au Sénat et devant le peuple, je préfère que tu l’apprennes par d’autres plutôt que par moi ; mon avis aurait facilement prévalu au Sénat, si Pansa ne s’y était énergiquement opposé. Cet avis exprimé, je fus convoqué à l’assemblée du peuple par le tribun de la plèbe M. Servilius” (Quanto studio dignitatem tuam et in senatu et ad populum defenderim ex tuis te malo quam ex me cognoscere ; quae mea sententia in senatu facile ualuisset, nisi Pansa uehementer obstitisset. Ea sententia dicta, productus sum in contionem a tribuno pl. M. Seruilio, trad. J. Beaujeu, Paris, CUF, 1991).
63 Cic., Phil., 11.15-16 : “En conséquence, si, malgré moi, j’ai été souvent en désaccord avec Q. Fufius, je me suis rangé d’autant plus volontiers à son avis. De là vous devez juger que ce n’est pas l’homme mais la cause que je combats habituellement. C’est pourquoi non seulement j’approuve, mais encore je remercie Fufius ; il a émis un avis sévère, rigoureux, digne de la République” (Quapropter, ut inuitus saepe dissensi a Q. Fufio, ita sum eius sententiae libentur adsensus. Ex quo iudicare debetis me non cum homine solere, sed cum causa dissidere. Itaque non adsentior solum, sed etiam gratias ago Fufio : dixit enim seueram, grauem, re publica dignam sententiam, trad. P. Wuilleumier, Paris, CUF, 1964²).
64 Voir Hellegouarc’h [1963] 1972, 296-297.
65 Sur les intentions politiques de César, voir les analyses de Meier [1982]1989, 173-174, qui montre que ce discours est révélateur du “mélange étonnant, inattendu, provocateur, du populaire et de l’homme d’État qui fait la force de César à cette époque”.
66 Voir ainsi Cic. Att., 1.14.5 (13 février 61), où il apparaît que la proposition de Curion, qui demandait à ce qu’il n’y eût pas de sénatus-consulte, n’a recueilli que quinze voix, tandis que celle, dont l’auteur n’est pas connu, qui stipulait que les consuls devaient enjoindre le peuple d’accepter la rogatio Pupia Valeria destinée à créer une quaestio pour juger Clodius, suscita l’adhésion de près de quatre cents sénateurs. Sur ce passage, voir les analyses de Timmer 2009, 390-392. Voir également l’échec de la sententia de Q. Fufius Calenus qui, alors qu’il était primus rogatus, n’a recueilli aucun suffrage, selon le témoignage de Cic., Phil., 10.3. Sur cette interprétation du vote per discessionem, voir les réflexions de Flaig 2013, 379.
67 Bonnefond-Coudry 1989, 513.
68 Caes., BC, 1.2.4-6 : “Mais tous ceux-ci, violemment invectivés par le consul Lentulus, étaient accablés sous la continuité de ses attaques. Lentulus déclara qu’il se refusait absolument à mettre aux voix la proposition de Calidius, et Marcellus, terrorisé par ces invectives, abandonna la sienne. Ainsi les vociférations du consul, la terreur que causait la présence de l’armée, les menaces des amis de Pompée, entraînent la plupart des sénateurs ; malgré eux, et sous la contrainte, ils votent la proposition de Scipion (…)” (Hi omnes conuicio L. Lentuli consulis correpti exagitabantur. Lentulus sententiam Calidi pronuntiaturum se omnino negauit, Marcellus perterritus conuiciis a sua sententia discessit. Sic uocibus consulis, terrore praesentis exercitus, minis amicorum Pompei plerique conpulsi, inuiti et coacti Scipionis sententiam sequuntur (...), trad. P. Fabre, Paris, CUF, 1936).
69 Cic., Q. fr., 2.1.1.
70 Flaig 2013, 379.
71 Flaig 2013, 379, qui estime qu’un comportement intransigeant pouvait s’inscrire dans le code de l’honneur des sénateurs romains si celui qui s’y livrait ne passait pas outre des arguments dont la supériorité était manifeste, s’il ne le faisait pas pour complaire à un sénateur plus puissant et s’il ne lui donnait pas l’apparence de l’entêtement.
72 Suet., Caes., 14.2 : Decimum consulem designatum non piguerit sententiam suam, quia mutare turpe erat, interpretatione lenire, uelut grauius atque ipse sensisset exceptam (trad. H. Ailloud, Paris, CUF, 1931).
73 Cic., Phil., 8.2 : atque ipse tamen Caesar praecipit uobis quodam modo, patres conscripti, ne sibi adsentiremini, cum ita dixit aliam sententiam se dicturum fuisse eamque se ac re publica dignam, nisi propinquitate impediretur (trad. P. Wuilleumier, Paris, CUF, 1964²).
74 Voir le commentaire de Manuwald 2007, 922-923.
75 Cic., Att., 1.13.2 (25 janvier 61): “Apprends donc d’abord que ce n’est pas moi qui ai été invité à opiner le premier, mais qu’on m’a préféré le pacificateur des Allobroges ; que le Sénat a accueilli la chose par des murmures, tandis que de mon côté je n’en étais pas fâché. Je me trouve en effet dispensé d’avoir des égards pour un extravagant, et plus libre pour soutenir en dépit de ses désirs le rang que j’ai dans l’Etat ; et d’ailleurs celui qui opine le second a presque autant d’autorité que le premier, tout en ayant l’avantage de ne pas être prisonnier de la faveur du consul” (primum igitur scito primum me non esse rogatum sententiam praepositumque esse nobis pacificatorem Allobrogum, idque admurmurante senatu neque me inuito esse factum. Sum enim et ab obseruando homine peruerso liber et ad dignitatem in re p(ublica) retinendam contra illius uoluntatem solutus, et ille secundus in dicendo locus habet auctoritatem paene principis, uolontatem non nimis deuinctam beneficio consulis, trad. L.-A. Constans, Paris, CUF, 1940).
76 Selon Hellegouarc’h [1963] 1972, 301, se fondant sur Cic., Vat., 15 (quae sit auctoritas eius, qui se alterius facto, non suo defendat), l’autorité “ne peut exister chez quelqu’un qui dépend d’un autre.”
77 Bonnefond-Coudry 1989, 490.
78 Selon Hellegouarc’h [1963] 1972, 183-185, la uoluntas “indique la position d’un citoyen sur une question politique, position qu’il peut exprimer par sa sententia”, comme en témoigne Cic., Marc., 30 : “Diverses ont été les volontés des citoyens, divergentes leurs opinions. Nous n’étions pas seulement divisés dans nos façons de voir et de sentir : il y avait deux camps et on se battait ; la situation n’était pas claire, il y avait lutte entre deux chefs illustres ; bien des hommes hésitaient sur le meilleur parti à prendre, les uns consultaient leur intérêt, d’autres leur devoir, quelques-uns mêmes leur droit” (Diuersae uoluntates ciuium fuerunt distractaeque sententiae. Non enim consiliis solum et studiis, sed armis etiam et castris dissidebamus ; erat obscuritas quaedam, erat certamen inter clarissimos duces ; multi dubitabant quid optimum esset, multi quid sibi expediret, multi quid deceret, nonnulli etiam quid liceret, trad. M. Lob, Paris, CUF, 1965).
79 Bonnefond-Coudry 1989, 488, se fondant sur Gell. 14.7.9.
80 Les propos de Varron sont ici rapportés par Gell. 14.7.9. Tansey 2000, 18, à la suite de Willems 1878-1885, 183, fait le rapprochement entre cette réforme et deux passages de Tite-Live (3.40.8) et Denys d’Halicarnasse (11.7.1 ; 16.1), qui attribuent une réforme similaire aux Décemvirs. Selon Tansey 2000, 29, d’autres considérations que l’ambitio et la gratia pesaient, en particulier les liens de parenté et d’amitié. Nous ne suivons pas son idée selon laquelle cette réforme aurait renforcé l’auctoritas des consuls au Sénat.
81 Hölkeskamp [2004] 2008, 28-31.
82 Cic., Leg., 3.40 : “Pour ce qui se passe au Sénat, il n’y a pas de difficulté ; cela en effet dépend du sénateur lui-même dont l’esprit ne doit pas se laisser ramener à l’influence d’autrui, mais qui veut plutôt que l’on tienne compte de son attitude. Il y a trois consignes qui le concernent : - qu’il soit présent ; car cela contribue à la dignité du débat quand le Sénat est en nombre ; - qu’il parle à son rang ; c’est-à-dire lorsqu’on lui demande son avis ; - qu’il parle avec mesure pour qu’il y ait une limite, car la brièveté quand il s’agit de faire connaître son avis est un grand mérite, non seulement du sénateur, mais encore de l’orateur. Et il n’y a jamais lieu d’user d’un long discours – chose qu’on fait presque toujours pour se faire valoir (…)” (Quod si fit in senatu, non difficile ; est enim ipsius senatoris, cuius non ad alterum referatur animus, sed qui per se ipse spectari uelit. Huic iussa tria sunt ; ut adsit, nam grauitatem res habet, cum frequens ordo est ; ut loco dicat, id est rogatus ; ut modo, ne sit infinitus. Nam breuitas non modo senatoris sed etiam oratoris magna laus est in sententia, nec est umquam longa oratione utendum (quod fit ambitione saepissime) (…), trad. G. de Plinval, Paris, CUF, 1959). Selon Dyck 2004, 539, ambitio désigne ici l’émulation, la compétition, la recherche de distinction.
83 Cic., Leg. 3.40 : nisi aut peccante senatu nullo magistratur adiuuante tolli diem utile est, aut cum tanta causa est, ut opus sit oratoris copia uel ad hortandum uel ad docendum ; quorum generum in utroque magnus noster Cato est (trad. G. de Plinval, Paris, CUF, 1959).
84 Un exemple célèbre de la première situation est rapporté par Aelius Capito, dans son traité de Officio Senatorio, cité par Gell. 4.10.8.
85 Sur cette notion, voir Hellegouarc’h [1963] 1972, 202-208.
86 Cic., Att., 9.9.3.
87 Il ne nous échappe pas que gratia peut fonctionner comme un synonyme d’auctoritas, comme le relève Moussy 1966, 376. Toutefois, la distinction opérée par Cicéron, dans ce passage, entre gratia et dignitas et la relation d’équivalence qu’il y établit entre la dignitas et la sententia d’un consulaire suggèrent de distinguer les deux notions.
88 Cicéron a d’abord envoyé une copie à Atticus de la lettre à César datée du 5 mars 49 (Att., 9.6a). Ce n’est qu’une dizaine de jours plus tard que Cicéron soumet à Atticus une interprétation de cette lettre (Att., 9.9.3), à la lumière des événements récents : “Ce phénomène d’indignité et de bassesse qui affirme que des comices consulaires peuvent être tenus par un préteur, il reste tel qu’il s’est toujours montré dans la vie publique. – Mais ainsi j’y vois clair : c’est à quoi visait apparemment César dans la lettre dont je t’ai envoyé copie (…)” (Iste omnium turpissimus et sordidissimus qui consularia comitia a praetore ait haberi posse, est idem qui semper in re publica fuit. Itaque nimirum hoc illud est quod Caesar scribit in ea epistula cuius exemplum ad te misi (…), trad. J. Bayet, Paris, CUF, 1964). Il se tourne enfin vers César lui-même : “mais ce que tu voulais dire en parlant de mon ‘crédit’ et de mes ‘ressources’ me laissait perplexe : l’espérance cependant m’amenait à m’imaginer, et ton admirable et toute singulière sagesse me confirmait dans l’idée que tu avais pour buts la tranquillité, la paix, la concorde de nos concitoyens ; et il me paraissait qu’à ce dessein étaient assez propres et ma nature et ma personne” (de ‘gratia’ et de ‘ope’ quid significares mecum ipse quaerebam ; spe tamen deducebar ad eam cogitationem, ut te pro tua admirabili ac singulari sapientia de otio, de pace, de concordia ciuium agi uelle arbitrarer ; et ad eam rationem existimabam satis aptam esse et naturam et personam meam, trad. J. Bayet, Paris, 1964). On le voit, l’interrogation de Cicéron porte moins sur les modalités de son influence au Sénat que sur l’usage que César pouvait en faire.
89 Sal., Rep., 2.11.1. Nous nous garderons de rouvrir ici le débat relatif à l’authenticité de ce texte.
90 Sal., Rep., 2.11.2-5. Sur ce projet, voir Bonnefond-Coudry 1989, 710-750, qui oppose la pensée politique de Cicéron, tournée vers la défense de l’auctoritas des consulares, à celle de Salluste, qui défend la libertas des sénateurs. Il reste que Salluste parle de gratia et non d’auctoritas. Cela peut s’expliquer par la volonté de Salluste de dévaloriser l’auctoritas en l’assimilant à la faveur.
91 Cic., Att., 9.5.2 (10 mars 49) : “Mais quand on m’appellera à opiner – ‘Ton avis, M. Tullius’ ? – qu’en sortira-t-il ?” (quid illa ‘dic, M. Tulli’? quem habebunt exitum ?).
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