Chapitre IV - Usages de l’auctoritas dans le savoir écrit à Rome
p. 91-118
Résumés
Le savoir ne conférait pas à Rome une quelconque auctoritas, contrairement par exemple à ce que l’on a connu en France avec les instituteurs sous la IIIe République. Dès lors, dans une société fondée sur un idéal de la uirtus et de l’industria, l’élaboration, en définitive assez tardive, par les savants d’une auctoritas a dû passer par des stratégies et des mises en scène. Que ce soit à travers l’auctoritas des (bons) commencements (qui agit aussi comme une contrainte), la figure d’auctoritas (qui s’appuie sur la dimension pédagogique du “pré-jugé”), l’auctoritas du uates (qui confère au savoir une valeur singulière) ou l’“auctoritas empruntée” (qui mène, dans certains cas, à différencier l’auctor de l’artifex), le couple auctoritas et savoir fonctionne avant tout sur le mode de l’autorité dérivée.
In Rome, knowledge did not confer any auctoritas, contrary to what happened in France with primary-school teachers during the Third Republic for instance. Therefore, in a society based on an ideal of uirtus and industria, the making of auctoritas (which began quite late) by scholars had to go through strategies and self-representations. Whether by the auctoritas of (good) beginnings (which acts as a constraint too), the auctoritas figure (based on educational dimension of “pré-jugé”), the auctoritas of uates (which confers to knowledge a singular value) or the “borrowed auctoritas” (which leads, in some cases, to distinguish the auctor from the artifex), the couple auctoritas and knowledge operate essentially as a derived authority.
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Mots-clés : Auctoritas, auctor, savoir, uates, otium, mos, imitatio, pré-jugé
Keywords : Auctoritas, auctor, knowledge, uates, otium, mos, imitation, pré-jugé
Texte intégral
1Si la notion d’auctoritas est couramment utilisée dans la sphère politique, son champ d’application est bien plus large. A. Magdelain soulignait déjà que la religion et le droit constituaient pour son étude des domaines privilégiés1. En revanche, il n’évoque nulle part le savoir. Or il semble qu’il faille étudier l’auctoritas non seulement comme une notion évolutive mais en prêtant attention tout à la fois aux milieux et aux domaines auxquels elle s’applique. Le savoir constitue l’un de ces domaines. Par “savoir”, j’entends le fait de posséder une science, un art, un métier (Littré). J’attribuerai donc au terme de “savant” une acception large : il est l’individu qualifié par son savoir. Ainsi déconnecté du seul domaine scientifique (qui n’a guère de réalité dans l’Antiquité), le savant a davantage à voir avec l’érudition, une grande culture et une compétence dans un ou plusieurs domaines. Il appartient au monde des docti. Dans ce monde du savoir, je m’intéresserai plus précisément aux “écrivains” (terme qui ne doit pas ici être compris comme désignant les membres d’une profession, mais comme ceux qui composent des ouvrages2), tout en étant conscient de l’intérêt qu’il y aurait, par exemple, à étudier le cas des précepteurs ou des maîtres d’école, ces diverses catégories n’étant par ailleurs pas, tant s’en faut, parfaitement étanches. La réflexion s’appuiera dès lors sur une gamme variée de documents écrits, allant de la littérature technique ou encyclopédique à la philosophie, à la rhétorique ou encore à la poésie3. Enfin, de manière à ne pas aborder une période historique trop longue, mais aussi afin d’éviter une césure souvent trop artificielle entre République et Empire, je prendrai la plupart des exemples dans des textes composés entre le iie siècle a.C. et le iie siècle p.C.4. Le sujet s’avérant singulièrement large, cette étude n’a d’autre ambition que d’émettre, aidée par des autorités qui lui ont été indispensables et que j’espère n’avoir pas trop trahies, quelques pistes susceptibles de nourrir la réflexion sur le sujet5.
Considérations liminaires
2Associer auctoritas et savoir peut paraître aller de soi, ne serait-ce que parce que le mot est bâti sur le terme auctor qui a donné “auteur” en français, “author” en anglais, “autore” en italien, ou encore “autor” en espagnol et en portugais. Si l’on s’en tient au français, le mot “auteur” désigne tout à la fois celui qui a écrit un livre, le texte d’une chanson, un scénario ou réalisé une œuvre d’art, mais aussi celui qui est à l’origine de quelque chose (d’une découverte, d’un procédé, d’une théorie, d’une réforme, etc.), ou encore celui qui est responsable d’un acte ou de tout événement qui n’aurait pu, sans lui, se produire (une sédition, un crime, un bienfait)6. C’est sans doute ces deux dernières acceptions qui sont les plus proches de l’étymologie latine, l’auctor étant celui qui, par son aura, est en mesure d’introduire une innovation (politique, littéraire, culturelle, etc.). Le terme latin désigne en quelque sorte celui qui a un ascendant, qui permet que ce qui n’existe pas existe, “de produire à l’existence”7. Toutefois, le latin utilisait aussi, au moins depuis le premier siècle a.C.8, auctor dans une acception plus restreinte, assez équivalente à l’un des usages modernes du terme “auteur”, dans la mesure où il vient concurrencer dans les textes le mot scriptor9. Le terme auctor, ainsi entendu, se détache en définitive assez sensiblement de celui d’auctoritas. D’ailleurs, il n’était pas rare à Rome que l’auctoritas d’un écrivain s’avérât insuffisante pour qu’il fût le réel auctor de ses écrits. Dans certains cas, la nécessité d’un garant s’imposait. Tout se passe comme si, contrairement à ce qu’a produit l’avènement de l’ère de la science, la seule connaissance ou la seule compétence, dans la Rome antique, ne conférait pas une légitimité suffisante. Il fallait encore que la parole soit doublée d’un statut, d’une place socialement reconnue, dont la prévalence venait appuyer, mieux même, garantir la valeur d’un discours.
3De fait, le rapprochement même des deux notions, auctoritas et “savoir”, interroge. Sans revenir en détail sur ce que l’auctoritas signifiait à Rome, il est néanmoins nécessaire de rappeler ici qu’elle s’incarnait dans certains individus ou institutions et que le terme désigne la capacité à faire bouger les lignes, à permettre à ce qui n’était pas d’être, en raison d’un ascendant. En dernier lieu, l’auctoritas est étroitement liée à la fides, c’est-à-dire l’adhésion spontanée à une personne, une forme de confiance aveugle10. Dès lors, celui qui en est doté a une capacité à influer sur son ou ses interlocuteurs très forte11. Une autre caractéristique de l’auctoritas est d’être une autorité librement consentie, ce qui la distingue de la potestas.
4Tout naturellement, les particularités de l’auctoritas amènent à la rapprocher de l’Autorité kojévienne et de l’autorité telle qu’elle a été définie par H. Arendt12. Leurs définitions rencontrent en effet les principales caractéristiques de l’auctoritas romaine, ce au moins pour quatre raisons. Tout d’abord parce qu’elles impliquent un “agent” et un “patient”, lequel subit l’acte d’autorité, accepte de s’en remettre au premier en toute confiance et à ne pas réagir sur lui13 ; ensuite parce que l’exercice de l’autorité exclut celui de la force (ce qui rappelle la dissociation opérée dans ses Res Gestae par Auguste entre auctoritas et potestas) : le fait d’en user prouve précisément qu’il n’y a pas d’autorité14 ; par ailleurs, l’Autorité de Kojève, comme l’auctoritas romaine, procède d’une “reconnaissance”15 ; enfin et surtout, parce que, précisent et Kojève et Arendt, “il ne faut rien faire pour exercer l’Autorité”, pas même s’expliquer, ce qui la rapproche de l’auctoritas qui doit plus à une position sociale qu’à une capacité à convaincre16. Ces similitudes sont intéressantes si l’on veut bien se souvenir que l’Autorité de Kojève relève de “types purs”17 (sur le mode des “types idéaux” dont M. Weber a fait un large usage), ce qui revient à discerner les traits principaux, volontairement simplifiés, d’un phénomène, dans la cadre d’une construction intellectuelle dont l’objectif est purement d’ordre méthodologique. Il est par conséquent entendu qu’on ne trouvera nulle part empiriquement un des types purs de l’Autorité dans sa pureté conceptuelle. Il faut, par exemple, bien admettre que l’auctoritas à Rome ne disposait pas d’une efficience aussi absolue que dans l’Idealtype de l’Autorité kojévienne : le Sénat pouvait voir ses décisions contestées, de même que les censeurs dont les avis (rappelons-nous l’impuissance de Caton l’Ancien face à la prolifération du luxe) pouvaient être ignorés. L’auctoritas, en ce sens, était toujours relative et la relation “agent”/“patient” plus complexe que ce qui a été initialement postulé. Dès lors, la réalité se rapproche ou s’écarte plus ou moins de cette représentation idéale. D’ailleurs, les combinaisons entre les types sont la règle.
5Ces quelques considérations sur l’auctoritas et sa parenté avec l’autorité chez Kojève et Arendt interrogent nécessairement : ainsi entendue, qu’est-ce que l’auctoritas dans le champ du savoir ? Le rapprochement est-il pertinent ? D’une certaine manière, les deux notions paraissent en partie inconciliables. L’auctoritas, on l’a dit, suppose une docilité, une relation entre un “agent” et un “patient” qui ne convient que très imparfaitement à la notion de savoir qui se caractérise, au moins au sein de la communauté “savante”, par une logique de dépassement (les choses diffèrent en partie dans le cadre purement éducatif, comme par exemple dans la relation de maître à élève où l’on se situe dans le cadre de la transmission du savoir). Dès lors, l’auctoritas ne s’efface-t-elle pas dans le champ du savoir au bénéfice d’une autorité relevant davantage du crédit, plus ou moins important, dont un savant peut bénéficier18, différentes autorités pouvant entrer en compétition, voire en conflit (comme c’est le cas entre écoles philosophiques, par exemple)19 ? Or, si c’est le crédit qui est ici en jeu, cela suppose de réintroduire la volonté de convaincre, à tout le moins de persuader20, qui nous écarte de l’auctoritas proprement dite21 et de la conception de l’autorité développée par Kojève et Arendt. Nous ne sommes alors plus dans la reconnaissance spontanée : la discussion s’ouvre. Or, dès lors que l’on démontre, justifie, il n’y a plus acte d’autorité.
6Cette interrogation sur le rapport de l’auctoritas au savoir constitue, par conséquent, un préalable à tout autre questionnement. En elle-même, elle n’est pas nouvelle, puisqu’un article de l’Encyclopédie intitulé “Autorité dans les discours et dans les écrits”, que l’on doit peut-être à Diderot, posait déjà les termes du problème : “J’entends par autorité dans le discours, le droit qu’on a d’être cru dans ce qu’on dit : ainsi plus on a de droit d’être cru sur sa parole, plus on a d’autorité. Ce droit est fondé sur le degré de science et de bonne foi qu’on reconnaît dans la personne qui parle. […] L’autorité n’a de force et n’est de mise, à mon sens, que dans les faits, dans les matières de religion, et dans l’histoire. Ailleurs, elle est inutile et hors d’œuvre.” Plus globalement, l’auteur de l’article estime que “ce n’est pas le nom qui doit faire estimer l’ouvrage [mais] l’ouvrage qui doit obliger à rendre justice à l’auteur”. Ce texte est bien évidemment très connoté historiquement, l’âge classique ayant pour caractéristique première la remise en question des autorités traditionnelles. C’est un des grands mérites de Cl. Moatti d’avoir montré que cet état d’esprit a aussi pu avoir cours (au moins un temps) dans la Rome antique22. Ce questionnement sur le rapport entre auctoritas et savoir est au cœur de la discussion entre Cotta et Balbus dans le De natura deorum de Cicéron : on y voit le pontife affirmer que son devoir est de croire les maiores sans aucune preuve, là où le philosophe se doit d’en appeler à la raison23, comme si l’état social de chacun conditionnait son rapport au savoir. Autrement dit, le savant ne peut accepter la tradition sans l’interroger. Dans un cas, on est sur le mode de la croyance (dans la mesure où l’on croit “sur parole”), dans l’autre de la rationalité.
De l’autorité intrinsèque du savoir
7Le savoir à Rome, en tant que tel, jouissait-il d’une auctoritas, comme c’était le cas de certaines institutions, le Sénat en particulier ? Bénéficiait-il d’une autorité intrinsèque, transcendante et universelle ? Pour que le savoir jouisse d’une autorité tirée de lui-même, sans doute faut-il que lui soit reconnu une utilité et que l’ignorance de celui-ci soit perçue comme ayant un impact négatif pour la cité. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une auctoritas des auspices, par exemple24. Peut-on en dire autant du savoir ? On ne peut ici ne pas songer à quelques vers fameux de l’Énéide : “D’autres, je le crois, seront plus habiles à donner à l’airain le souffle de la vie et à faire sortir du marbre des figures vivantes ; d’autres plaideront mieux et sauront mieux mesurer au compas le mouvement des cieux et le cours des astres. À toi, Romain, qu’il te souvienne d’imposer aux peuples ton empire. Tes arts à toi sont d’édicter les lois de la paix entre les nations, d’épargner les vaincus, de dompter les superbes25.” Le même Virgile, dans les Géorgiques cette fois, s’il vante le bonheur de celui qui sait s’en tenir aux austères préceptes d’Épicure, célèbre avant tout la vie sensée de l’homme des champs qui mène au même résultat, vie observable par tous et qui a l’insigne avantage de ne pas présenter les complications théoriques de la philosophie26. Le bon sens concurrence ici l’étude. Aulu Gelle présente quant à lui ses Nuits Attiques comme un ludus27 : à ses yeux, son ouvrage relève de l’érudition gratuite et n’a d’autre ambition que de satisfaire les esprits curieux, à commencer par celui de ses enfants. Il n’est là que pour occuper les esprits lors de loisirs chèrement arrachés aux affaires publiques. Bien avant lui, un passage du De finibus de Cicéron montre la méfiance des Romains à l’encontre d’un savoir qui, précisément, confinerait à la curiositas : alors que le jeune Lucius se passionne pour Athènes et son histoire, Pison lui rétorque que son goût doit viser à l’imitation des grands hommes, donc à l’utilité, “mais chercher pour elles-mêmes les traces d’un passé antique, c’est simplement le fait d’esprits curieux (curiosorum)28.” Aux yeux de beaucoup, la recherche du savoir pour lui-même (la curiositas) ne devait pas devenir une norme et valait bien une mise en garde29. Plus globalement, Cicéron, alors qu’il fait l’éloge de Lucullus, craint de le desservir en soulignant son amour pour les lettres grecques et la philosophie. Nombre de ses contemporains, confesse le célèbre orateur, considéraient, au mieux, que de telles recherches ne convenaient pas à un homme occupant un rang élevé dans l’État30.
8Le regard de Cicéron sur cette question est sans conteste très intéressant : lorsqu’il compose les Tusculanes en 45 a.C., il admet bien volontiers que la supériorité des Romains tient à leur natura bien plus qu’à leurs studia : car “sous le rapport de la culture générale (doctrina), il est vrai, et dans tous les genres littéraires (omni litterarum genere), les Grecs l’emportaient sur nous”. S’il précise immédiatement qu’il leur était facile de remporter une victoire que l’on ne leur disputait pas31, il n’en regrette pas moins le retard pris (et qu’il entend en partie combler) par les Romains sur les Grecs, retard causé par le mépris traditionnel de ses compatriotes pour la philosophie, la poésie, les mathématiques ou encore la musique. Le constat est implacable : “L’honneur est l’aliment des arts ; seule la gloire inspire la passion des études, et l’on voit partout que ce qui n’a point de considération est partout négligé32.” En définitive, si l’aristocratie a, non sans peine, fini par afficher son goût pour quelques artes (l’éloquence et l’histoire principalement, la philosophie et la poésie dans une moindre mesure), les savoirs plus pratiques (médecine, géométrie, architecture, musique, botanique, zoologie, etc.) semblent eux avoir fait l’objet d’une approche plus circonspecte et ont rencontré plus de difficultés pour se faire une place dans l’éducation aristocratique33. D’où le souci bien connu de Vitruve de montrer que son traité d’architecture avait à voir avec les affaires de l’État34. Plus largement, Cicéron, Salluste, Varron, Tite-Live, Valère Maxime, Pomponius Mela ou encore Pline l’Ancien ont tous entendu souligner l’utilité de leurs ouvrages, comme pour justifier leur intérêt pour divers savoirs35. Pour autant, l’ambiguïté demeure : Pline l’Ancien se sent malgré tout obligé de présenter à Titus, alors prince héritier, le sujet de son livre comme des nugae : la matière traitée (“les choses de la nature”) est, de son propre aveu, vile, et son travail ne requiert aucun génie36. Qui plus est, le temps consacré aux studia doit relever d’un temps dérobé (ce qui, par extension, implique que les studia ne conditionnaient en rien l’appartenance à l’élite sociale)37. Pline l’Ancien le dit très ouvertement : “Je suis un homme, et accaparé par mes fonctions : je m’occupe de ces choses-là à mes moments perdus, c’est-à-dire la nuit, cela afin qu’aucun de vous, mes princes, ne croie que je passe les heures de nuit à ne rien faire38.” Cicéron était déjà sur cette ligne : il explique que l’étude relève du temps de l’otium et ne doit pas détourner des tâches civiques39. Mieux, au début des Tusculanes, il fait des studia une activité qui vient après que l’on ait servi sa patrie de manière plus orthodoxe40. Certes, le discrédit s’attachant à la vie politique et militaire à la fin de la République (où les honneurs n’allaient plus au mérite et où la violence rendait ces activités moins désirables) a sans doute, comme chez Salluste, en partie contribué à valoriser les choses de l’esprit41. Pour autant, le De otio de Sénèque fait encore de l’otium l’accident et non la règle. Un État corrompu, une santé défaillante, peuvent certes y conduire42, mais l’otium ne saurait être un principe de vie. Au bout du compte, on ne peut réfléchir sur le savoir romain sans tenir compte des préventions longtemps affichées à l’encontre de la spéculation, préventions qui ont conditionné l’histoire culturelle de l’Vrbs43. Face à un idéal de la uirtus et de l’industria, ce n’est donc que progressivement que la possibilité d’une vie mixte a acquis droit de cité. C’est pourquoi, dans les Questions naturelles, ce n’est qu’après un long plaidoyer que la figure de l’érudit est valorisée par Sénèque, à une époque où la question qui venait naturellement aux lèvres était : “Quel profit tireras-tu de ces études ?” (Quid tibi […] ista proderunt ?)44.
9Le statut de l’écrit n’est pas non plus indifférent dans la mesure où l’accumulation du savoir a imposé de sortir de la seule oralité. Il ne s’agira bien évidemment pas ici de trancher sur la valeur de l’écrit dans la Rome antique et de son rapport à l’oralité. Toutefois, il ne paraît pas que l’écrit en lui-même ait conféré une auctoritas particulière. Les travaux de Fl. Dupont l’ont plusieurs fois souligné, l’oralité ne souffrait dans l’Antiquité d’aucun discrédit face à l’écriture. Bien au contraire45. La seconde a même longtemps été plutôt du côté du profane (sauf exception, comme en Égypte) et de l’économie. À Rome, toujours l’oralité a conservé son prestige et, même dans la littérature latine, souvent l’écrit est appelé à s’intégrer dans une pratique orale : comment oublier, par exemple, que les odes d’Horace étaient destinées à être chantées et accompagnées de musique, que la véritable place des Bucoliques de Virgile était au théâtre et que, plus largement, la vocation d’un poème était davantage d’être récité que lu en silence ? Somme toute, le poète latin était l’héritier de l’aède. La supériorité revendiquée des poèmes sur les autres monumenta vient précisément du fait qu’ils sont imperméables au passage du temps, ce qui n’aurait su être le cas si la poésie avait dépendu d’un support plus que de l’oralité (encore qu’il faille établir ici des distinctions entre les genres, mais, précisément, ce sont les genres élevés qui relèvent du chant et de l’oralité : l’épopée, la poésie lyrique ou encore la tragédie)46. En clair, les poèmes relèvent bien souvent d’une oralité mise en signes. Comment aussi oublier que la philosophie est avant tout un dialogue et que Platon, dans le Phèdre, se méfiait de l’écriture qui fige la pensée et interdit une véritable interaction ? Il est par ailleurs symptomatique que nombre de traités, philosophiques ou non, se présentent comme une conversation entre différents protagonistes, comme si la force de la parole demeurait pleine et entière à Rome et jouissait d’une incontestable primauté sur l’écrit. Le De re rustica de Varron prend ainsi la forme d’un dialogue ; Cicéron lui-même adopte dans le De Re publica le dialogue platonicien et, à partir du De legibus, l’Aristotelius mos dans lequel l’auteur intervient personnellement. Comment oublier, enfin, la place de la recitatio dans la production littéraire ou ces auditoria où l’on se plaisait aux lectures publiques en petit comité ? Dès lors, ainsi que le souligne Fl. Dupont, l’écriture n’était pas une fin en soi : le texte écrit n’était qu’un support, une trace laissée pour de nouvelles manifestations sociales ou, comme dans la philosophie, pour rappeler une parole initialement vivante et dont le texte écrit n’était que le reflet, la mémoire47. Bref, il est difficile de parler d’une auctoritas de l’écrit à Rome.
10L’évolution du regard porté sur le savoir écrit est néanmoins incontestable. La multiplication à Rome des bibliothèques, privées d’abord, publiques ensuite, de même que l’avènement de l’encyclopédisme (qui compile et fixe le savoir), montrent que le savoir a progressivement aussi été associé à l’écrit. À cela une raison simple : l’accumulation du savoir ne pouvait que favoriser la place de l’écrit48. Néanmoins, à Rome, l’orateur a conservé le dessus sur l’écrivain et les écrits de Cicéron ou César ne furent que le prolongement de leur activité publique (Cicéron ne s’en cachait d’ailleurs pas). Ce qui, en revanche, a progressivement pris de l’importance, c’est la nécessité de s’afficher en doctus, de montrer que l’on possédait des lettres. Mais ce n’était là qu’un élément, tardivement apparu, du blason que l’on entendait brandir sur la scène sociale. Par exemple, côtoyer des savants lorsqu’on était puissant pouvait apporter un surcroît de prestige. Encore ce compagnonnage dut-il de préférence privilégier des érudits grecs. Sans nul doute ce phénomène signale-t-il un regard nouveau sur le savoir, mais il relevait aussi de l’artifice destiné à s’agréger à un monde interdit à la plupart des Romains : dans ce cadre, la proximité de savants agissait comme le sceau d’une supériorité culturelle49. Pour autant, se consacrer aux seuls studia ne conférait dans la société romaine aucun statut privilégié et par là même aucune auctoritas50.
11Le savoir ne disposant vraisemblablement pas à Rome d’une auctoritas intrinsèque, faut-il pour autant dissocier savoir et auctoritas ? Somme toute, il fallait bien que chaque auteur donnât une force à ses écrits susceptible d’en faciliter la réception, un peu comme la potestas du magistrat avait besoin de l’auctoritas du Sénat ou des auspices (donc de l’auctoritas jovienne) pour accroître sa légitimité51. Aussi, sur quelle auctoritas le savoir pouvait-il s’appuyer ?
L’auctoritas des commencements
12Si l’on s’en tient à la théorie kojévienne, toute Autorité humaine doit avoir une “cause”, laquelle entraîne une “reconnaissance” poussant un tiers ou un groupe à abandonner librement et consciemment toute “réaction” (au sens d’opposition, ne serait-ce qu’en discutant cette Autorité qui, par là-même, s’en trouve détruite). Cette “cause” varie et peut, par exemple, être liée à l’écart d’âge, comme celui entre les anciens et la jeunesse ; par extension, elle peut aussi être liée à ceux qui détiennent la tradition52, soit qu’ils la maîtrisent, soit qu’ils la constituent. La tradition ne doit bien sûr pas s’entendre comme le passé dans sa globalité mais comme des choix réalisés dans ce passé, une transmission d’une part de ce passé qui a vocation à déterminer le présent. Pour le dire autrement, c’est en ce qu’elle est pour partie la “cause” du présent que la tradition est une autorité ; et en tant que “cause” du présent, la tradition est aussi le commencement de l’avenir. Il y a donc, pour reprendre la formule de Kojève, une “Autorité du Temps”53. En effet, parce qu’elle s’inscrit dans le temps, la tradition donne confiance dans la mesure où la durée fonctionne comme une épreuve54. Bien sûr, plus l’autorité est ancienne, plus elle a survécu à l’épreuve du temps, plus elle est glorieuse et plus il est sacrilège de la mépriser : l’antiquitas est une base de l’autorité55. D’où l’effroi de Pline l’Ancien : “C’est une chose ardue que de donner un air nouveau à ce qui est ancien, de l’autorité à ce qui est nouveau.56” C’est la raison pour laquelle Pline n’était guère impatient de publier un ouvrage historique sur son époque : “Achevé depuis longtemps, il reçoit la sanction du temps57.” Cette dissymétrie des générations, qui est au fondement du mos maiorum, explique pourquoi il était malaisé pour les auteurs récents d’intégrer les rayonnages des bibliothèques publiques ou les “programmes scolaires”. C’est sans doute aussi pourquoi le théâtre privilégiait un répertoire ancien. Il est également bien connu que, dans l’Atrium Libertatis nouvellement inauguré, parmi les bustes des grands écrivains, seul figurait Varron comme auteur vivant58. De fait, les auteurs qui passaient l’épreuve du temps marquaient la force du consentement qui s’était forgé autour d’eux et, la grandeur venant du passé, les Anciens devaient continuellement servir d’exemple, d’appui pour construire le présent. Ils étaient ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler des figures d’autorité. La dépendance à leur égard était, de facto, naturelle et nécessaire. On pouvait (encore fallait-il quelques titres pour cela) assouplir la tradition, la faire évoluer, non rompre avec elle, tout simplement parce que l’autorité a besoin d’une assise, laquelle assise lui donne son caractère durable. Une forme de continuité devait exister, une forme de permanence demeurer, comme si les glorieux prédécesseurs constituaient la fondation du savoir et, qu’à ce titre, leur rejet complet aurait déstabilisé celui-ci. D’une certaine manière, on ne pouvait que répéter ou, mieux, ajouter, compléter, achever. Tout savant, comme tout Romain dans tout domaine, était, de fait, lié à un passé faisant autorité et qu’il se devait de conserver. Mais par le fait même que l’on pouvait y ajouter sa pierre, la référence au passé n’induisait pas l’immobilité. Simplement, le changement s’enracinait dans le continuum temporel59. En définitive, c’est bien ainsi qu’Auguste envisagea son principat, qu’il présenta comme un modèle pour les princes à venir et comme une fin de l’Histoire (à l’image de ce que fit Virgile dans son Énéide)60.
13Les sources évoquent assez volontiers cette logique et, de ce point de vue, Sénèque et Pline l’Ancien s’avèrent très intéressants. Dans ses Naturales Quaestiones, Sénèque a conscience que le savant n’est jamais un homme neuf. Aussi fait-il appel à divers auteurs, des poètes, des philosophes et d’autres écrivains qui ont leur place à côté de l’observation et du raisonnement par analogie pour comprendre le monde. Le savant est, par conséquent, le maillon d’une chaîne, un simple temps dans un processus qui le dépasse61. Mais, à l’image de ce qu’a exprimé bien plus tard, au xiie siècle, le philosophe épris de platonisme Bernard de Chartres dans une tirade restée fameuse62, chez Sénèque les ueteres n’interdisent pas la marche en avant du savoir et ne constituent pas à proprement parler des figures d’auctoritas63 : “Je vais passer en revue ces explications l’une après l’autre. Mais il me faut tout de suite dire que les opinions de nos anciens ne sont que des ébauches mal élaborées. On vagabondait encore autour de la vérité. Tout était nouveau pour des gens encore obligés d’aller à tâtons. On a plus tard perfectionné ces mêmes théories et c’est à nos prédécesseurs que nous devons nos découvertes. Il fallait déjà des esprits élevés pour écarter le voile qui cache la nature, pour ne pas se contenter de la regarder du dehors et pour se plonger dans les secrets des dieux. C’est avoir grandement contribué à la découverte du vrai que d’avoir eu l’espoir d’y parvenir. Il faut donc écouter nos prédécesseurs avec indulgence. Rien n’est parfait dès le début”, écrit Sénèque, comme en écho à Cicéron, lequel affirme : “ jamais la perfection ne coïncide avec la découverte”64. Pline l’Ancien ne dit pas autre chose : “[…] et, pour ne pas paraître toujours médire des Grecs, je voudrais qu’on me supposât l’intention de ces maîtres de l’art de peindre et de sculpter, qui, tu le verras dans ces volumes, avaient mis à des œuvres achevées, à des œuvres que nous ne nous lassons pas d’admirer, une inscription suspensive : ‘Apelle faisait’ ; ‘Polyclète faisait’. Ils ne paraissaient voir dans leurs ouvrages que quelque chose de commencé toujours, de toujours imparfait, afin de se ménager un retour contre la diversité des jugements, comme prêts à corriger les défauts signalés, si la mort ne les prévenait pas65.” Cette imperfection initiale, parce que le savoir relève d’un processus, d’une dynamique, autorisait chaque génération à apporter sa pierre : Vitruve insiste de fait sur l’utilité de se référer aux Anciens (maiores) dans la mesure où le savoir est adossé à un passé, que les prédécesseurs ont un rôle d’initiateur et qu’ils ont rendu possible la marche vers la connaissance, mais lui aussi se garde d’en rester à leurs écrits, chaque âge apportant ses lumières de manière à atteindre, un jour, la perfection66. Quintilien affirme également avec force que l’imitatio, indispensable, ne suffit pas : ce serait paresse de l’esprit et toute découverte serait alors interdite ; il est donc permis d’ajouter à ce qui existe déjà67.
14Cette logique vaut dans tous les domaines. Caton l’Ancien, par exemple, pour expliquer la supériorité de la constitution romaine, souligne qu’elle n’a pas été l’œuvre d’un seul homme mais celle d’un grand nombre, et qu’il a fallu des siècles pour qu’elle parvienne à maturité68. Si l’on s’en tient aux lettres, il n’était guère envisageable d’écrire un poème sans faire appel à un grand prédécesseur servant de modèle puisque l’écriture versifiée était fondée sur l’imitatio69. Chaque genre se rattachait ainsi à une autorité, considérée comme le père du genre, à un fondateur en somme, qui relève, dans la grille de lecture kojévienne, de l’Autorité du Père (Cause). Dès lors, quand Virgile voulut devenir le maître latin de l’épopée, il n’a eu d’autre choix que de se mesurer à Homère (comme il s’était déjà mesuré à Théocrite70 et à Hésiode dans ses deux précédents poèmes), référence pleinement soulignée par Servius dans la préface de son Commentaire à l’Énéide (Livre 1) : Homerum imitari71. C’est d’ailleurs parce que l’imitatio était l’essence même de la création poétique que les scoliastes ont accordé tant d’importance à la comparaison des textes. Les références contribuaient à donner au texte son identité. Mais ici encore il est impératif de s’entendre sur la nature de cette imitatio. Par exemple, dans son Épître, 1.9, si Horace affirme se rattacher à Archiloque, c’est uniquement pour lui emprunter “les mètres et l’esprit” (les numeri animique du v. 24). Ici, la dette n’a rien d’inhibant et l’inscription dans une tradition n’interdit pas la créativité : l’adaptation d’un cadre métrique et stylistique au latin s’accompagnait d’une grande indépendance dans les thèmes abordés, lesquels demeuraient liés à un contexte culturel particulier. Horace multiplie en outre les “jeux de référence”, pratique un “art allusif”, mais jamais ne s’enferme dans une fidélité trop étroite, trop servile, à un seul modèle : de ce “butinage” naît son originalité72. Parfois, l’imperfection du père d’un genre est ouvertement soulignée et légitime l’entreprise du poète : ainsi avec Lucilius dont Horace se revendique dans les Satires, mais dont il dénonce les insuffisances73. Le rapport entretenu par Phèdre avec Ésope est similaire : si ce dernier est le créateur (auctor) du genre (et, à ce titre, Phèdre ne pouvait ne pas le mettre au cœur de son œuvre), Phèdre n’en apporte pas moins sa pierre : “Ésope, créateur de la fable, en a trouvé la matière ; moi, je l’ai polie et mise en vers sénaires74.” Par ailleurs, Phèdre n’a repris qu’un tiers des fables d’Ésope : les autres sont de son invention. Pour le moins, Horace et Phèdre témoignent d’une conception assez souple de l’imitatio, respectueuse des modèles, mais laissant une marge de manœuvre assez forte aux poètes. L’imitatio ainsi entendue rendait tout à la fois possible la présence du passé dans le présent75 et, parce qu’elle ne condamnait donc pas à l’imitatio pure, autorisait la nouveauté, nouveauté pensée non pas en terme de discontinuité ou de rupture, mais d’aemulatio76.
15La logique à l’œuvre répond en définitive à une tension entre la nécessaire auctoritas des commencements et l’inscription du savoir dans le temps. Le savoir étant cumulatif, un dépassement était par essence envisageable et même inévitable. Parce qu’un apport, un progrès, un perfectionnement étaient toujours possibles (ne serait-ce que parce que chaque époque a des exigences de forme77), moyennant le respect d’un passé vécu comme autant de pierres posées à un édifice en construction, on pouvait aspirer à devenir une nouvelle autorité78. Ces nouvelles figures d’autorité, à leur tour, n’étaient pas indépassables. C’est ce que Virgile entend signifier dans ses Géorgiques, au début du livre III : ayant fait mieux qu’Hésiode, à qui il reconnaît bien volontiers sa dette, il est devenu le nouvel étalon d’une compétition qui perdure. Après Hésiode, c’est à son tour d’être digne d’imitation et Virgile laisse le futur indéterminé, un avenir s’écrire. On ne saurait mieux illustrer les hiérarchies d’auctoritas. L’autorité des prédécesseurs est, par conséquent, toujours relative, conditionnée par la temporalité. Leur discours peut s’avérer insuffisant ou en partie inadapté une fois plongé dans une réalité nouvelle. D’une certaine manière, le savoir se réactualise aux dépens des prédécesseurs. En somme, dans les Géorgiques, Virgile se présente en refondateur (tout comme Auguste put être un refondateur de Rome) et présidant à un nouveau commencement79 : il a contribué à “augmenter” ce qui avait été fondé80. En clair, on connaissait les pères d’un genre, donc le commencement, mais on ignorait quand il arriverait à sa pleine maturité, à son terme pour peu qu’il y en ait un. En définitive, l’auctoritas conférée aux commencements oblige à se référer aux Pères dans la mesure où elle impose la continuité, interdit la rupture, comme si ces Pères avaient porté en eux une prescience, un projet, dont l’abandon aurait été néfaste pour le développement du savoir. Ils représentent une tradition qui guide et délimite une certaine convenance de forme ou des idées81, ils sont ceux qui ont rendu possible que le savoir ait une histoire (dans le sens où toute fondation appelle à terme une refondation82).
16S’il y a une auctoritas, c’est donc bien dans les commencements, car même si ces commencements sont rarement parfaits, on ne saurait parvenir à la perfection lorsque l’on ne part pas d’eux. Plus globalement, la logique porte à considérer le passé comme déterminant pour le présent. Cela ne présume pas des choix faits dans ce passé (d’où la rareté des véritables figures d’auctoritas). Mieux : comme l’a bien montré M. Revault d’Allonnes, l’auctor se distingue souvent du conditor en ce sens que ce n’est à travers lui pas le commencement en soi qui est envisagé, “mais le commencement d’un bon développement”, comme si le commencement amorçait un processus, qu’il pouvait se perpétuer, faire l’objet de reprises83.
17Il existait toutefois des savoirs qui vraisemblablement échappaient (au moins en partie) à cette potentielle logique de dépassement84 : il s’agit par exemple de l’Histoire. Sans doute est-ce lié à la conception qu’avaient les Romains de ce genre. En définitive, c’était la proximité avec les événements (l’idéal étant d’en avoir été témoin) qui faisait la valeur d’un récit. Dès lors que l’éloignement était trop grand (et les sources absentes), peu importait alors, comme le souligne Tite-Live dans sa préface, que le récit doive plus à l’imagination qu’à l’information85. Pour la géographie, c’est cette fois l’éloignement spatial qui facilitait le recours aux auctoritates, d’où la perpétuation d’erreurs au-delà desquelles on ne songeait aller. Dans les deux cas, si progrès il y avait, c’était essentiellement sur le plan formel (ce que ne manque pas de souligner Cicéron, par exemple, qui se soucie peu de la question de la fiabilité historique et perçoit l’Histoire comme une extension du genre rhétorique). De fait, l’Histoire relevait de l’œuvre “littéraire” plus que “scientifique”86. Par ailleurs, les Anciens s’accommodaient en définitive très bien du merveilleux et de l’existence de puissances mystérieuses. Dès lors, l’existence de phénomènes étranges n’a rien qui puisse choquer un esprit romain : le merveilleux fait partie de la nature (donc de la vie, comme le dit Pline l’Ancien dans sa préface de l’Histoire naturelle). Il n’y a dès lors pas à chercher plus loin, le merveilleux ne relevant pas de l’explicable87. Il est même la condition de la présence du divin dans le monde sublunaire. Le récit par Tite-Live des origines de Rome pouvait de fait être fantaisiste, cela ne portait pas à conséquence.
18Un dernier point : l’originalité du savoir romain réside sans doute moins dans ce retour permanent vers les fondements88 que dans la place accordée aux auteurs grecs, lesquels ont le plus souvent constitué la référence absolue (dans des domaines aussi divers que la médecine, l’architecture, la philosophie ou encore la poésie89), précisément parce que l’auctoritas est ici fondée sur une dette et sur une mythologie des commencements. Tout Romain faisait comme Cicéron de la Grèce le “berceau de la civilisation” et Horace lui-même dut bien admettre que “la Grèce conquise a[vait] conquis son farouche vainqueur et porté les arts dans le rustique Latium”90. Mieux, la suprématie grecque dans le domaine du savoir a, en définitive, rarement été contestée, si ce n’est dans le cadre d’un mouvement de promotion des lettres latines qui a débuté à la fin de la République et qui n’a pas survécu au principat d’Auguste91. Et si Properce invita alors les Grecs à baisser pavillon devant le monument naissant qu’était l’Énéide92, l’auctoritas des Grecs (tout au moins ceux de l’âge d’or de la Grèce) n’en est pas moins globalement demeurée à Rome une réalité93. Et, précisément, cette place du savoir grec n’a sans doute pas été sans contribuer au “mythe de la double fondation”, dans lequel l’acte fondateur initial (dévolu à un Grec) demeure dans la seconde fondation (due à un Latin). L’œuvre latine intègre son passé, grec en l’occurrence, d’où la formule de “compagnonnage créateur” utilisée par A. Deremetz et qui implique une reconnaissance de la dette94. Tout se passe comme si les autorités passées (les “prédécesseurs”) introduisent les nouveaux venus dans un monde qui leur préexiste et dont ils doivent assumer l’héritage. Il n’y a dès lors pas de création totalement libre.
Les figures d’auctoritas et la notion de “pré-jugé”
19La référence aux (bons) commencements n’est pas seule fondatrice de l’auctoritas. Dans un certain nombre de cas, le recours à une auctoritas répond aussi à une nécessité pratique. Ici, la pensée du philosophe allemand H.-G. Gadamer me paraît éclairer au moins en partie le processus à l’œuvre. À ses yeux, l’autorité est la “connaissance que l’autre nous est supérieur en jugement et en perspicacité, qu’ainsi son jugement l’emporte, qu’il a prééminence sur le nôtre. Ce qui est lié au fait qu’en vérité l’autorité ne se reçoit pas, mais s’acquiert et doit nécessairement être acquise par quiconque y prétend. Elle repose sur la reconnaissance, par conséquent, sur un acte de la raison même qui, consciente de ses limites, accorde à d’autres une plus grande perspicacité. Ainsi comprise dans son vrai sens, l’autorité n’a rien à voir avec l’obéissance aveugle à un ordre donné.” L’autorité ainsi entendue a quelque chose de l’Autorité du Chef, mais Gadamer va plus loin : “[…] la reconnaissance de l’autorité est toujours liée à l’idée que ce qu’elle dit ne relève pas de l’arbitraire, étranger à la raison, mais peut être en principe compris. En cela consiste l’essence de l’autorité que revendiquent l’éducateur, le supérieur, le spécialiste. Certes, les préjugés qu’ils inculquent ne tiennent leur légitimité que de la personne elle-même. Pour leur accorder crédit, il faut être prévenu en la faveur de la personne qui les soutient. Mais c’est par là justement qu’ils deviennent préjugés conformes à la chose, car ils produisent la même prévention en faveur de la chose que celle qui est suscitée d’une autre manière par des arguments dont la raison reconnaît la validité95.” C’est donc la raison qui détermine la supériorité d’un autre quant à son jugement et permet de reconnaître ses limites propres. Dès lors, l’autorité est nécessairement reconnue, elle ne s’impose pas, mais repose bien sur un acte de liberté. C’est une approche similaire qui justifie le propos de Macrobe voulant que Virgile ait été disciplinarum omnium peritissimus et incapable de se tromper96. Il ne manque dès lors pas d’en faire un grand usage dans son Commentaire au songe de Scipion. Dès avant Macrobe, la méthode d’Aulu Gelle lorsqu’il s’agit de connaître le sens exact d’un mot se fonde très largement sur le principe d’autorité, c’est-à-dire sur l’invocation d’auteurs anciens, de même que Quintilien se repose sur Domitius Afer pour faire de Virgile le plus grand poète épique aux côtés d’Homère97. Plus avant encore, Varron écrivait : “Sur ce point, il suffit de m’autoriser de Chrysippe, d’Antipater et de ceux qui, sans avoir autant de pénétration, avaient en tout cas plus d’érudition, au nombre desquels Aristophane et Apollodore, qui tous […]98.” On pourrait multiplier les exemples. Parce que l’individu est un être historique et un être fini, il est nécessaire de se référer à une tradition en tant qu’autorité (toujours dans l’idée que cette tradition n’est pas “arbitraire” mais qu’elle “peut être en principe compris”). Gadamer conclut de fait sur l’absurdité du rejet d’une telle autorité dans la mesure où, par exemple, toute éducation repose sur elle et que cela n’induit pas une préséance de la tradition : dès lors, le préjugé est un élément constitutif de la connaissance et de l’ouverture au monde.
20Rome a eu ses figures d’autorité (l’on pourrait ici dire, d’auctoritas), rendues légitimes par la fonction du préjugé, figures faisant consensus, parties prenantes d’une tradition commune à tous. Homère est sans doute le cas le plus emblématique (dans la mesure où il était, durant l’Antiquité, considéré comme la source de tout savoir, d’où la place qu’il occupait dans l’éducation des jeunes Grecs et des jeunes Romains99), mais Varron, dans le cadre strictement romain, possède un statut quelque peu similaire qui doit beaucoup à sa démarche antiquaire100. Dans la plupart des cas néanmoins, les figures d’autorité ne peuvent prétendre à l’universalité : Épicure est une figure d’autorité pour Lucrèce et les épicuriens, Virgile pour Macrobe, Théocrite pour les poètes bucoliques, Hippocrate pour les médecins, etc. Il faudrait d’ailleurs ici distinguer les terminologies française et latine, les figures d’autorité des figures d’auctoritas, les premières pouvant être discutées et, en définitive, rejetées. En bien des cas, les auctores ne sont cités que comme des scriptores, des ueteres ou des maiores. Ce sont alors des autorités, certes, mais au sens moderne du terme (elles sont évoquées au nom du crédit moral ou intellectuel qu’on leur accorde, d’une compétence reconnue, crédit qui n’interdit pas une approche critique101). C’est l’usage qui bien souvent en est fait par les encyclopédistes102 ou les commentateurs : “Quel est le rôle des commentaires ? Ils développent ce qui a été dit par un autre. Les textes qui comportent des obscurités, ils les explicitent en un langage clair. Ils reproduisent des points de vue multiples et disent : ‘Voici les développements de certains sur ces passages. D’autres l’interprètent ainsi. Tels s’efforcent d’appuyer leur sentiment et leur façon de voir sur telles citations et sur telle argumentation…’ Ainsi le lecteur avisé, après avoir lu les diverses explications et appris quelles sont les multiples opinions susceptibles d’être approuvées ou rejetées, pourra juger de ce qui est plus exact et, comme un bon changeur, repousser l’argent de mauvais aloi103.” Cela n’infirme pas l’existence de figures d’autorité dont on pouvait faire dériver son auctoritas, mais le seul usage du mot auctor ne suffit à tout le moins pas à les identifier. En revanche, la multiplicité des sources utilisées et la maîtrise des auctores donnent du crédit à un ouvrage et contribuent, pour un érudit, à se forger une autorité propre. D’où le nombre très important d’auteurs cités par Pline l’Ancien ou Aulu Gelle (Varron y occupant une place de choix)104. Quoi qu’il en soit, le recours à des figures d’autorité rend, en tout état de cause, moins nécessaire un savoir de spécialiste, même si la compétence personnelle n’est pas à négliger105. Un Cornelius Nepos, un Varron, un Cicéron, un Pline l’Ancien, un Sénèque, un Aulu Gelle, d’autres encore, ont revêtu la figure de l’érudit et non du spécialiste, sans que leur propos en pâtisse le moins du monde106. D’autant qu’ils pouvaient toujours, sur certains points précis, consulter un spécialiste107.
L’auctoritas du vates
21Il arrive que le savoir revendique un statut particulier : c’est quand l’auteur se présente en uates et fonde son savoir sur cette singularité. Ici, ce qui importe est l’établissement, via l’élaboration d’une identité recomposée, d’une figure textuelle, d’une relation avec le lecteur ou l’auditoire de manière à ce que ces derniers se placent spontanément sous l’autorité de celui qui écrit ou qui parle. Le savoir du uates relève de la révélation d’une divinité à un élu qui échappe ici à sa condition humaine, tout au moins la transcende. Le savoir préexiste dès lors au monde et échappe à l’idée de progrès. Sans doute ce statut ne convient-il pas à tous les champs du savoir, le savoir “en évolution” correspondant davantage à la sphère pratique (soumis, de fait, au progrès, donc au questionnement108), là où le savoir “révélé” convient davantage (mais pas exclusivement) au uates. Dès qu’il s’agit de la nature de l’âme et, plus généralement, de questions métaphysiques ou, tout au moins, abstraites, la révélation, qui lie le savoir à la divinité, peut être invoquée plus aisément, même si, dans ces domaines aussi, les Anciens paraissent avoir plutôt privilégié l’idée d’une progressive accumulation du savoir109.
22C’est Caton l’Ancien qui le premier dans nos sources, afin de donner plus d’autorité à son propos dans ses Praecepta ad filium, s’est présenté en uates110. Mais ce sont les poètes (même si les philosophes sont aussi souvent qualifiés de “divins”111) qui ont le plus communément usé de ce stratagème, puisqu’ils ont aimé, en particulier à l’aube du Principat, se poser en interprètes des Muses, lesquelles Muses (les doctae sorores112) étaient détentrices d’une sagesse universelle qu’il leur appartenait de transmettre et de rendre compréhensible113. Grâce aux Muses et au patronage d’Apollon, les poètes percevaient les secrets de la nature et, tels des exégètes, ils rendaient accessible ce qui était originellement hermétique114. Et parce que cette sagesse était universelle, elle avait quelque chose à voir avec les intérêts de la communauté. Même si le terme de uates a été assez rapidement galvaudé, il légitimait certains enseignements : dans la mesure où le discours du uates est une parole prophétique, qu’il est engendré par la Vérité, qu’il est donc indiscutable, Ovide, par exemple, peut, dans le premier livre des Métamorphoses, évoquer la création de l’univers sous la forme d’un simple récit. Le poète délivre un savoir dogmatique qu’il a préalablement ordonné afin de le révéler au monde. La démonstration n’est ici pas de mise. La même logique joue, par exemple, pour les Astronomiques de Manilius, dont le poème didactique est inspiré par Apollon115. Et quand Virgile fait, dans son Énéide, des Troyens des Italiens (via Dardanus), il n’a pas trop de son auctoritas de uates (à laquelle s’ajoutent, celles, tacites dans ce poème, de Mécène, son patron littéraire, et d’Auguste, dont il est l’un des familiers) pour aller ainsi à rebours de toutes les traditions116.
23La notion de uates n’est parfois présente qu’en filigrane117. Varron, par exemple, n’emprunte pas cette terminologie, mais établit, dans ses Res rusticae, un parallèle entre les conseils qu’il s’apprête à donner (ici à son épouse) et l’activité de la Sibylle de Cumes (cette Sibylle que Virgile qualifie de sanctissima uates118) dont les prophéties, si utiles à l’humanité, ont été rendues de son vivant (manière de revendiquer l’auctoritas des auteurs contemporains), et inscrites ensuite dans les livres Sibyllins que l’on pouvait consulter. L’analogie n’équivaut en rien à une assimilation, mais elle induit inconsciemment des correspondances, en particulier en ce qui concerne la valeur et la pérennité des conseils donnés119. Lucrèce est un cas plus singulier encore. Dans son De natura rerum, il avoue ouvertement se méfier de la parole sacrée des uates120. En revanche, il fait d’Épicure une véritable figure d’auctoritas qui le dispense de toute autre référence, Lucrèce se contentant de se mettre dans ses pas121. Le fondateur du Jardin est un bienfaiteur de l’humanité, un héros même, volontiers comparé à Hercule puisqu’ayant libéré les hommes de l’ignorance et des terreurs qui les assaillent122 ; Épicure, rerum inuentor123, est présenté comme s’étant élevé au-dessus de l’humanité et ayant rejeté dans l’ombre tous les autres sages124. Il est tel un père (pater), son esprit est divin (diuina mens) et il est même un dieu (deus ille fuit)125. Dès lors, Lucrèce est lui-même une sorte de prophète qui va rendre intelligible des vérités (la uera ratio) difficilement accessibles126, ce grâce à son art qui va rendre des préceptes austères, un sujet obscur, sous une forme aussi douce que le miel127. Son propos n’est pas sans relever de la révélation dans la mesure où il prépare un bouleversement et fait jaillir la lumière128. Mais, paradoxalement, cette révélation ne tient pas du sacré : c’est par la raison (le terme ratio est fréquemment utilisé, tout particulièrement dans le premier chant) qu’Épicure a réalisé son œuvre libératrice, quasi prométhéenne. Pour autant, cette approche rationnelle est à l’origine d’une doctrine qui se présente tel un credo (les aurea dicta129) par lequel on égale les dieux130 : “Pour moi, c’est en marchant sur ses traces que je poursuis les raisons des choses : j’enseigne après lui dans mes leçons les lois qui président à la création de chaque objet, et la nécessité pour chacun de leur demeurer soumis : lois puissantes du temps que rien ne saurait déchirer131.” On est ici bien loin de Cicéron, l’Arpinate évitant même, en accord avec les principes de l’Académie, le plus souvent de conclure132. De même Horace : son Épître, 1.1 (v. 13-15) témoigne du rapport qu’il entretenait aux maîtres, lui qui refusait de se ranger sous la bannière d’un seul. Tout au contraire, il entendait choisir chez chacun ce qui lui paraissait le plus intéressant. Les grandes figures du savoir sont ainsi mises à distance et la soumission n’est pas de mise : c’est dans l’écart que l’originalité trouve sa réalité. Au bout du compte, les grandes figures auctoriales sont amenées à cohabiter. Le savoir étant porté par des voix, il suppose la comparaison et la sélection. Lucrèce paraît plutôt l’exception que la règle133.
L’“auctoritas empruntée”
24Que ce soit à travers les commencements, les figures d’auctoritas ou le uates, on constate que l’auctoritas du savant est dérivée. C’est la référence à un passé considéré comme déterminant et dans lequel on s’enracine, à des figures particulières ou à une entité divine, qui va légitimer la prise de parole. Phèdre, par exemple, ne cache pas que l’utilisation qu’il fait d’Ésope est particulièrement intéressée : “Si je fais parfois intervenir dans mes vers le nom d’Ésope, à qui j’ai payé depuis longtemps toute ma dette, tu sauras que c’est pour les relever de son autorité. C’est ainsi que font dans notre siècle certains artistes : ils trouvent à vendre plus cher des œuvres modernes, si, sur un marbre qui sort de leurs mains, ils ont inscrit le nom de Praxitèle, sur une statuette d’argent usée à dessein le nom de Myron, sur un tableau celui de Zeuxis. Tant il est vrai que le faux antique a plus de succès auprès de l’Envie à la dent mauvaise que les belles productions de notre temps. Mais je passe tout de suite à un petit récit qui a pour sujet un exemple semblable134.” Plus globalement, citer un auteur, mettre en scène certaines personnalités ou attribuer un propos à une réalité supra-humaine revient à conférer à sa parole un certain statut et supposer qu’elle “doit être reçue sur un certain mode135”. Invoquer une autorité est une manière de fonder sa position. Voilà pourquoi, en certaines occasions, comme Cicéron dans sa République, on ne se met pas directement en scène mais l’on se cache derrière une personnalité de l’histoire de Rome, ici Scipion Émilien (qui présentait l’avantage d’avoir, comme Cicéron, évolué dans un contexte de crise), présenté comme un princeps ciuitatis : c’est au nom de son auctoritas qu’il est convié à s’exprimer. Il en est de même dans son traité sur la vieillesse où le rôle principal est dévolu à un homme du passé, Caton l’Ancien, dont l’auctoritas (liée précisément au grand âge qu’il avait atteint) est invoquée pour justifier le choix du thème. La logique est claire : “Des entretiens de ce genre, qui s’appuient sur l’autorité d’illustres personnages historiques, ont, je ne sais comment, plus de poids136.” Le flou qui naît de cette énonciation équivoque illustre l’existence d’une hiérarchie d’auctoritas. Le propos cicéronien bénéficie dans ces deux exemples de l’appui d’une personnalité historique, donc d’une figure plus à même de fabriquer du consensus qu’un contemporain des lecteurs, ce consensus indispensable à l’élaboration de l’auctoritas. Autrement dit, une auctoritas vient renforcer une autre auctoritas.
25Il est un autre cas où l’on peut parler d’auctoritas empruntée. C’est lorsque l’on fait appel à des personnalités, vivantes celles-là, puisant leur auctoritas dans leur statut social et/ou dans leur fonction (la fonction princière, par exemple). Cette nécessité vient de ce que l’auctoritas est une “qualité éminemment sociale qui faisait qu’un individu devait être cru quand il parlait non pas parce que ce qu’il disait était vrai, mais parce que sa position dans la cité interdisait qu’il en fût autrement137”. De fait, l’auctoritas est l’apanage de celui qui inspire respect et confiance (fides)138. Elle induit un certain rapport à l’espace public, une prééminence qui rend possible la nouveauté. Si le savoir ne bénéficiait pas d’une auctoritas intrinsèque, si celui qui le générait ne pouvait lui-même revendiquer un statut particulier, il fallait bien qu’une auctoritas extérieure sanctionnât alors la valeur de ce savoir. De toute évidence, la notion d’auctor révèle une position et un type de relation dans une situation donnée. D’une certaine manière, l’auctor bénéficie ici de l’Autorité du Maître dans la mesure où, en tant que garant d’un projet, il prend un risque personnel et communique à l’entreprise qu’il soutient la puissance qu’il tient de son auctoritas139. Dès lors, celui qui en est pourvu, dans la mesure où il permet le changement, peut être le véritable “agent” du savoir même s’il n’en est pas l’artisan.
26Déjà Arendt avait dissocié l’auctor de l’artifex, celui qui inspire de celui qui construit140. La distinction opérée entre l’auctor et l’artifex ne revient pas à assimiler la relation qu’ils entretiennent à celle du maître et du serviteur. Il n’y a en effet pas ici d’ordre141 : l’artifex est libre d’adhérer ou non à l’invitation formulée. Celui “qui fait” voit, à la faveur de cette relation, la valeur de son ouvrage confirmée et même augmentée par l’auctoritas d’un tiers qui a pu en avoir l’initiative, qui en a suivi l’élaboration et qui l’a, en fin de processus, approuvé. L’auctor conseille l’artifex, qui accepte une hiérarchie de statut, tout en restant potentiellement libre de récuser ce rapport142. Plus qu’une subordination, c’est un lien qui se noue entre les deux pôles de la création savante. En définitive, de même que la potestas et l’auctoritas, bien que distinctes, marchent ensemble, faisant système (ce que rappelle le SPQR)143, de même l’auctor et l’artifex forment un couple, lequel peut s’incarner en une seule personne ou se dissocier entre un guide et/ou un garant et celui qui “fait”. L’auctor, qui se situe au-delà du “faire”, apporte ce supplément (cette “augmentation”) indispensable quand la valeur d’un acte ou une création ne peut être pleinement garantie par ceux qui en sont les auteurs. On a donc bien ici une collaboration entre l’auctor (celui qui détient l’auctoritas, celui qui augmente la valeur d’une chose, l’inspire, lui donne une force supplémentaire) et l’artifex (celui qui fabrique au nom de sa compétence, le créateur en somme).
27Ce rapport d’auctor à artifex a bien sûr une réalité concrète. Le patronage littéraire trouve ici tout son sens. Non seulement le patronus peut être le véritable auctor de l’œuvre en cours144, mais, comme la tradition, il est celui qui guide et permet à l’entreprise d’arriver à bon port au nom de son auctoritas145. Cette dernière est d’autant plus nécessaire si l’on entend bouleverser le paysage littéraire ou une tradition culturelle ou lorsque l’on prétend devenir un primus ego. Elle l’est aussi quand l’écrivain se veut engagé politiquement, comme ce fut le cas pour certains poètes de l’époque augustéenne146 dans la mesure où l’on sait que la liberté de parole était à géométrie variable et qu’elle entretenait un lien très étroit avec l’auctoritas bien plus qu’avec la libertas147. Par ailleurs, une des manières de légitimer un écrit était de prétendre le faire à la demande d’un tiers, la personne du patronus étant ici tout indiquée. Le cas le plus fameux (et souvent mal interprété) est sans doute symbolisé par les haud mollia iussa de Virgile dans les Géorgiques148. On notera au passage la relativité de l’auctoritas et, de nouveau, l’existence d’une hiérarchie entre auctoritates : les circonstances historiques pouvaient mener un auteur à changer de patronus et à privilégier une auctoritas à une autre : ainsi Virgile, lequel privilégia en définitive Mécène, pourtant simple chevalier mais dextera de l’héritier de César, à Pollion, sans d’ailleurs que cela ne paraisse avoir affecté les relations entre les deux hommes149.
28On trouve une variante du couple auctor/artifex chez les poètes qui distinguent l’inspiration (via Apollon, Bacchus, Vénus parfois comme chez Lucrèce, ou les Muses), qui relève d’une forme de transcendance, tout au moins d’une verticalité qui rend le poète fécond, et la production elle-même du texte, qui relève d’une ars, d’une fabrication, d’une mise en forme, qui rapproche bien le poète de l’artisan, caractérisé par sa maîtrise technique qui lui permettra de faire de la révélation un monumentum. Les deux processus se complètent, deux actions se conjuguent150.
29Le choix du dédicataire pouvait aussi relever de cette “auctoritas empruntée” : il agit comme une signature qui ajoute au rayonnement d’un texte, cette dernière pouvant permettre, comme dans le De lingua latina de Varron dédié à Cicéron, de réunir deux des hommes les plus érudits de leur temps151. On sait en outre que les adresses au prince ont été une manière de donner de la publicité et du crédit à un ouvrage. Martial, par exemple, dit les choses avec clarté alors qu’il dédie ses Épigrammes à Domitien : “À la vérité, tous mes petits livres, Maître (domine), qui te doivent leur renommée, c’est-à-dire la vie, se placent sous ta divine protection ; et, je le pense, ils seront lus pour ce motif (et, puto, propter hoc legentur)152.” Végèce, dans la dédicace de son Art militaire, précise la logique à l’œuvre : “C’était l’usage autrefois de mettre par écrit ses études sur les arts, et d’en offrir la rédaction aux princes ; car, pour débuter sagement, les auspices de l’empereur sont, après ceux de la divinité, les plus favorables ; et personne n’est tenu de réunir un plus vaste trésor de connaissances que le chef de l’État, dont les lumières peuvent contribuer au bien-être de tous ses sujets. Octavien Auguste et d’autres excellents princes autorisèrent volontiers cette coutume, comme le prouvent de nombreux exemples153.” Dès lors, en dédiant son livre au prince, non seulement on faisait œuvre utile pour la cité, mais on plaçait son ouvrage sous des auspices favorables. Vitruve ne craint ainsi pas de rappeler à douze reprises que le dédicataire de son traité est Auguste… Pline l’Ancien a, lui, adressé son Histoire naturelle au prince héritier, Titus154, et s’il entend montrer qu’il entretient des liens personnels avec lui155, il prétend surtout vouloir ainsi affronter son jugement : Pline fait explicitement et délibérément du jeune César son juge, l’“arbitre suprême de sa cause”156. À cela une raison : “Toi qui es placé au faîte le plus élevé de l’humanité, toi qui es doué de la plus haute éloquence, du plus haut savoir, tu n’es approché qu’avec un respect religieux, je le sais, même par ceux qui viennent t’offrir leurs hommages ; aussi prend-on soin que les paroles qu’on t’adresse soient dignes de toi157.” Il est, enfin, notable que Pline, tout de suite après sa dédicace à Titus, ait présenté son ouvrage comme “nouveau pour les Muses des Romains158”. La reconnaissance de la légitimité et de la qualité de son travail, l’innovation aussi, passent ici par une auctoritas extérieure, comme c’était déjà le cas avec les Dicta et Facta de Valère Maxime, dédiés à Tibère qui en était le meilleur juge en raison de ses vertus, celles que précisément Valère Maxime entend encourager159. Dans le même esprit, Fronton note que c’est le jugement de Marc Aurèle sur sa production qui l’autorise à se dire éloquent160.
30Il est évident que des personnalités comme Caton l’Ancien, Lucilius, Varron, César, Cicéron, Sénèque, Silius Italicus, Frontin et tant d’autres n’avaient pas à revendiquer une “auctoritas empruntée” : ils disposaient déjà d’un statut et/ou étaient issus de gentes leur assurant une place privilégiée dans la hiérarchie sociale. L’écriture n’était pour eux qu’un temps dérobé et ne conditionnait en rien leur dignitas et l’appartenance à l’élite sociale. Les choses étaient sans doute bien différentes pour un Virgile, un Properce, un Tite-Live ou même (pour des raisons différentes) un Vitruve. Bien que chevalier, Virgile est avant tout un poète, de même qu’Horace (qui d’ailleurs entend bien qu’on lui fournisse les moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de sa tâche, la seule qui lui importe161), Tite-Live un homme d’études. On ne peut sans doute pas parler de groupe en voie d’autonomisation (ce qui supposerait notamment l’octroi d’un statut juridique), même s’il faut bien reconnaître que Suétone consacra des Vies aux poètes, philosophes, historiens ou aux grammairiens parce que poètes, philosophes, historiens ou grammairiens. Malgré tout, la posture adoptée supposait la recherche d’une auctoritas que ne leur conféraient ni leurs origines, ni leur mode de vie, ni leur savoir. C’est pourquoi Horace a su pleinement mettre en scène son amitié avec Mécène, mais aussi ses liens avec Pollion, Messalla et, bien sûr, Octavien/Auguste.
31On notera aussi l’existence de stratégies figuratives destinées à élaborer un “moi idéal” légitimant la prise de parole. Celles-ci ont aussi quelque chose à voir avec l’“auctoritas empruntée”. On ne s’étonnera par exemple pas si les dédicataires des Res rusticae de Varron n’ont rien de prestigieux : ainsi le livre I est-il dédié à Fundania, son épouse, le livre II à Turranius Niger, le livre III à Pinnius, un voisin ami en terre sabine. Par contre, au milieu des personnalités fictives qui peuplent ce dialogue, des sénateurs ou des augures (comme Q. Axius ou Ap. Claudius Pulcher) peuvent intervenir et camper ainsi Varron dans un certain milieu social. Cicéron a lui aussi aimé procéder de cette manière à diverses reprises162. Le cas d’Aulu Gelle qui, dans ses Nuits Attiques, apparaît dans un cadre intime, n’est pas non plus inintéressant. Son entourage, largement mis en scène, est composé de personnalités savantes (les personnalités anonymes ont ici plutôt vocation à être moquées). Il sait rappeler opportunément les grands maîtres qu’il a côtoyés, à l’image de Fronton, par exemple163. Une partie de son savoir sur la langue, il le doit à cette personnalité éminente, mais aussi à l’entourage composé de doctes personnes, des individus de renoms dans leur domaine (par exemple des grammairiens)164.
32Parfois l’“auctoritas empruntée” pouvait prendre une autre forme, plus diffuse. Là où, aujourd’hui, différents “sceaux” relevant d’un capital symbolique ainsi que diverses institutions contribuent à poser un individu en tant que savant ou intellectuel, voire à consacrer une hiérarchie et favoriser l’émergence d’une figure d’autorité (diplômes universitaires, rattachement à un laboratoire, publication par une grande maison d’édition, séjours dans des institutions de renommée mondiale type villa Médicis, prix littéraires ou scientifiques, élection à l’Institut ou au Collège de France si l’on s’en tient au cadre français, etc.), à Rome, d’autres éléments que la protection d’un “garant” étaient susceptibles de forger une auctoritas, comme l’insertion dans un réseau (toujours bien plus large que celui du patronus), les récompenses (du type de celle reçue par Varius165), la fréquentation de grands maîtres ou l’inscription d’un ouvrage dans le catalogue des très rares bibliothèques publiques romaines166, par exemple. Elles demeuraient, toutefois, limitées au regard des possibilités offertes dans notre monde contemporain.
33Bien sûr, tout ne doit pas être rapporté à une “auctoritas empruntée”. Les qualités personnelles de l’écrivain pouvaient elles aussi contribuer à son auctoritas. Ainsi, parfois, la pureté de l’âme, “la netteté de la vie et du cœur”, la “bonne réputation” de l’auteur sont-elles mises en avant167. Au même titre que l’orateur168, tout savant doit être honnête homme. La bona fama crée une autorité spontanée (sur le modèle de l’Autorité du Juge chez Kojève169) dans la mesure où elle donne confiance en la parole prononcée. C’est pourquoi, quand Quintilien évoque les tragédiens Accius et Pacuvius, il précise qu’ils se recommandent par la “gravité [de leurs] pensées” (grauitate sententiarum) et la “dignité [de leurs] caractères” (auctoritate personarum)170. Mais, là encore, la réputation est privilégiée au savoir propre.
Conclusion
34Si ce n’est dans le cadre du “savoir révélé” (qui paraît d’ailleurs relever avant tout d’une prétention), le savoir à Rome ne bénéficiait pas d’une auctoritas intrinsèque. C’est pourquoi il est en bien des cas nécessaire de dissocier l’auctor de l’artifex, le premier détenant l’auctoritas faisant défaut au second en dépit d’une compétence reconnue dans son ars. Le seul fait de se présenter, à Rome, en poète, en philosophe, etc., n’activait pas chez le lecteur un imaginaire, une image idéelle liée à une histoire collective tout autant que particulière171. Or c’est de cet imaginaire qu’émanent les paroles qu’il lit. C’est cette figure fictive qui est susceptible de faire que l’on se place spontanément dans une relation fondée sur la verticalité. Dès lors, l’élaboration d’une auctoritas est passée, dans un monde largement fondé sur un idéal de la uirtus et de l’industria, par des stratégies et des mises en scène et a relevé essentiellement (mais pas uniquement) d’une autorité dérivée.
Notes de bas de page
1 Magdelain 1947, 5.
2 Cette terminologie a, au moins comme point de départ, l’avantage d’être plus floue que celle d’“auteur”, sur laquelle il me faudra revenir.
3 Les poètes ont d’ailleurs tenu, en certaines circonstances (durant le principat d’Auguste en particulier), à se présenter en dispensateurs de savoir (concurremment aux philosophes ou en complément : voir Lucrèce et son De natura rerum dédié à Memmius ou encore Hor., Ep., 2.1 qui fait de la poésie un moyen de connaissance) et en conseillers du prince. Sur les poètes conseillers du prince, voir Le Doze 2014a. Sur les poètes comme premiers “savants”, voir Cic., Tusc., 1.1. Sur leur rôle dans la formation des orateurs, voir Quint. 10.1.27.
4 Zecchini (à paraître), qui s’attache plus précisément à la notion de princeps inliteratus, montre bien que le rapport au savoir a pu évoluer dans le temps.
5 Ce texte a par ailleurs été préalablement relu par P. M. Martin, Chr. Badel et B. Mineo. Je souhaite leur exprimer ici ma gratitude. Je reste, comme il se doit, le seul responsable des opinions développées dans cette étude.
6 Je renvoie ici au dictionnaire de l’Académie française.
7 Sur cette question, voir en particulier Benveniste 1969, 148-151 (notamment pour la formule citée).
8 Gavoille 2015, 29.
9 Dans son prologue du livre 1 des Facta et Dicta, Valère Maxime évoque les auctores, tout comme Pline l’Ancien dans sa table des matières (ou en 1.17) de son Histoire naturelle. Voir aussi Hor., Sat., 1.66. En revanche, Varron (R.R., 1.1.7), quand il cite ses sources, préfère parler de scriptores. Voir aussi Rhet. Her. 4.8 et 9, par exemple ; Vitr. 7, pr. 10 ; Prop. 2.34.65 ; Frontin, Str., 1, Praef. ; Gell., Praef., 4. Quintilien (de même que Tacite : Ann., 1.1.2 ; Hist., 1.1.2 et 3) utilise indifféremment l’un et l’autre terme dans le livre 10 ; il n’en demeure pas moins qu’il ne faut lire que les optimi auctores (Quint. 10.1.24), ce qui montre assez la valeur toute relative du terme auctor (voir aussi Quint. 1.4.3).
10 Thomas 2014, 49-50. À rapprocher de Confucius : “Je transmets l’enseignement des anciens sans rien créer de nouveau, car il me semble digne de foi et d’adhésion” (cité par Hartog 2007, 24).
11 Quintilien (10.1.111) dit à propos des discours de Cicéron que son auctoritas est telle que l’on aurait honte d’être en désaccord avec lui (Iam in omnibus quae dicit tanta auctoritas inest ut dissentire pudeat, “Il dit tout avec tant d’autorité, qu’on rougirait d’avoir un autre avis que le sien”).
12 D’ailleurs, Arendt [1954] 1972, 138 sq. ne manque pas de se référer dans son étude à l’auctoritas romaine.
13 Kojève [1942] 2004, 58. Sur la liberté conservée par ceux qui obéissent, voir Arendt [1954] 1972, 139-140.
14 RGDA 34.3 ; Kojève [1942] 2004, 58-59 et 61 ; Arendt [1954] 1972, 123 et 136. Voir aussi Eraly 2015, ch. 3 (si sa définition de l’autorité est assez floue, le mérite de ce chapitre est de s’appuyer sur l’anthropologie de sociétés sans États).
15 Kojève [1942] 2004, 60-61. Voir aussi Gadamer [1960] 1996, 300-301 et Herfray [2006] 2015, 17.
16 Kojève [1942] 2004, 61 (voir aussi : “toute genèse véritable de l’Autorité est nécessairement spontanée”, p. 96) ; Arendt [1954] 1972, 123.
17 Kojève distingue quatre types irréductibles d’Autorité : le Père (qui représente la Cause), le Maître (Risque), le Chef (Prévision-Projet) et le Juge (Équité-Justice).
18 C’est un des sens du mot “autorité” en français : “crédit moral et intellectuel ; le fait d’être reconnu comme une référence” ; “personne dont la compétence dans un domaine est indiscutée ; écrit, ouvrage de cette personne, que l’on invoque dans une discussion pour soutenir une thèse, confirmer un point de vue” (dictionnaire de l’Académie française).
19 Comme lorsque Aulu Gelle (Praef., 18) parle de “peser” (pensitare) les auctoritates dès lors qu’elles se contredisent. On notera qu’il distingue tout de même ici les rationes rerum des auctoritates.
20 Les deux termes doivent être distingués : convaincre, c’est “amener quelqu’un, par le raisonnement ou par les preuves tirées de l’expérience, à convenir de la vérité d’un fait, d’une affirmation” (dictionnaire de l’Académie française). Persuader, en revanche, c’est amener à croire. L’adhésion est donc autant sentimentale qu’intellectuelle. C’est pourquoi le Littré précise que la conviction tient à l’esprit, la persuasion au cœur.
21 L’auteur de la Rhétorique à Herennius (4.4), qui oppose auctoritas et disputatio (laquelle permet de ne pas céder toujours à l’antiquitas), avait pressenti cela.
22 Moatti 1997 suggère que le monde romain, entre le milieu du iie siècle et les années 30 a.C., a été touché par une révolution intellectuelle : l’élite romaine a alors modifié et ses questionnements et ses pratiques, fait de la Raison une norme à même de faire émerger la vérité, à tout le moins des certitudes, “un principe de pensée” (p. 14), et mis en cause l’autorité au profit de l’esprit critique. Il est vrai que dans cette période, un monde ancien parut sinon sombrer du moins tanguer et qu’une nouvelle appréhension du réel pouvait paraître nécessaire. Dès lors, la tradition pouvait être abordée de manière plus critique. Cl. Moatti présente cette période comme une parenthèse enchantée que regardèrent avec nostalgie les écrivains de l’époque impériale (p. 53-54), les auteurs de la fin de la République servant, aux dépens de l’antique tradition, de nouvelles autorités. C’est donc le désordre qui aurait favorisé l’exploration, hypothèse qui rencontre la théorie de la crise d’E. Morin (Morin 1976). Le discours de Virgile dans l’Énéide sur les origines de Rome, qu’il déconnecte en grande partie de la Grèce, est un exemple de cette propension à interroger une tradition en fonction d’une réalité historique nouvelle (Le Doze 2015a, 217-231).
23 Cic., N.D., 3.2.6.
24 Voir la contribution de Van Haeperen dans ce volume.
25 Verg., A., 6.847-853 : Excudent alii spirantia mollius aera / (credo equidem), uiuos ducent de marmore uoltus, / orabunt causas melius, caelique meatus / describent radio et surgentia sidera dicent : / tu regere imperio populos, Romane, memento / (hae tibi erunt artes), pacisque imponere morem, / parcere subiectis et debellare superbos.
26 Verg., Georg., 2.490-494.
27 Gell., Praef., 1 et 4.
28 Cic., Fin., 5.2.6. Voir l’analyse de Moatti 1997, 145-147.
29 C’est pourquoi Gell., Praef., 12-13 et 16 s’est, malgré tout, efforcé de montrer qu’il s’était borné à présenter ce qui était absolument nécessaire. Même les antiquaires craignaient qu’on leur reproche leur curiositas : à Varron qui, dans son De lingua latina, se refusait à présenter des mots périmés, hors d’usage, fait écho Valère Maxime qui a conçu ses Facta et dicta dans une perspective patriotique et dans le but de “définir une éthique officielle du peuple romain” (Lehmann 1998, 19).
30 Cic., Ac., 2.2.4-5. L’étude du droit, elle, conférait beaucoup de crédit et de considération (Cic., De or., 1.198), mais c’est parce que son utilité pour l’État était difficilement contestable. Le droit est un art tout politique. Il en était de même de l’éloquence (voir Hölkeskamp 1995, 11-49).
31 Cic., Tusc., 1.2-3.
32 Cic., Tusc., 1.4 : honos alit artes, omnesque incenduntur ad studia gloria, iacentque ea semper, quae apud quosque improbantur. Voir aussi Cic., Fin., 1.1 (sur le mépris des Romains pour la philosophie). Sur la rusticité de Rome, voir aussi Suet., Gram. et rhet., 1.1.
33 Voir sur ce point Nicolet 1996, 11.
34 Voir la préface du livre 1 de son De architectura (Vitruve est aussi soucieux de souligner la dimension théorique – et pas uniquement pratique – du métier d’architecte). Sur l’utilité de ce type de savoir, y compris pour les hommes politiques, voir déjà Cic., Verr., 2.1.133 (qui moque ici Verrès). En définitive, l’architecture prétendit alors devenir un “savoir d’État”. Vitruve se propose donc de présenter (à Auguste mais aussi à tous les savants et, plus globalement, à tous ceux qui ont à s’occuper de construction, voir 1.18 ; 5, pr. 3 ; 10, pr. 4) les règles rendant à même de juger de la qualité d’un ouvrage réalisé ou à venir (1, pr. 3). À lier à Suet., Aug., 28.5.
35 Cic., Diu., 2.4-5 ; Fin., 1.10 ; Sal., Cat., 1.3.1-2 ; Jug., 4.1 ; Var., R.R., 1.1.3 ; Liv., Praef. ; V. Max. 1, Praef. ou encore 9.11 init. ; Pompon. 1.1 ; Plin., Nat., 1.16. Voir aussi Manil. 3.43-46 ; Luc., Phars., 1.67 sq. ; Sen., Nat., 1, Praef. Les ouvrages de Caton l’Ancien, qu’ils aient été à vocation technique, historique ou morale, avaient aussi une utilité pratique, pour son fils sans doute, pour ses contemporains plus globalement. Dans ce cadre, ses préventions contre la place, jugée par lui envahissante, de l’hellénisme, ont joué un rôle majeur, y compris dans le Commentarius, un recueil de recettes médicales destiné à soigner ses proches et sa domesticité sans avoir recours aux médecins grecs (Plin., Nat., 29.14-15). Les implications concrètes d’ouvrages tels que les Origines ou le De agricultura (où il marque pleinement son attachement à la terre et à des domaines relativement restreints) sont évidentes et le passé politique de Caton donnait un réel poids à sa parole.
36 Plin., Nat., 1.1 ; 6 ; 12 et 13 sq.
37 Il s’agissait d’ailleurs tout autant d’un temps dérobé pour celui qui lisait que pour celui qui écrivait : voir Hor., Ep., 1.13 ; Frontin., Str., 1, Praef.
38 Plin., Nat., 1.18 : Homines enim sumus et occupati officiis subsiciuisque temporibus ista curamus, id est nocturnis, ne quis uestrum putet his cessatum horis. Voir aussi Plin., Ep., 3.5.7-8. Sur les subsiciua tempora, voir aussi Gell., NA, Praef., 23.
39 Cic., Ac., 2.2.6. D’où aussi Quint. 10.1.91.
40 Cic., Tusc., 1.1 ; voir aussi De Or., 1.1. Cicéron avait alors été contraint de se mettre en retrait de la vie politique. Salluste (Cat. 1.4 ; Jug. 4.3) s’est lui aussi consacré aux studia lorsqu’il s’est retiré de la scène politique. Sur le temps dérobé, voir aussi Rhet. Her., 1.1 ; Gell., Praef., 1.4 et 12.
41 Sal., Jug., 3.
42 Sen., Ot., 3.4.
43 Sur ce point, voir les analyses d’André 1966 sur l’otium, notion pour le moins évolutive puisque perçue comme un temps non consacré au “negotium idéal” (selon la formule d’André) dont la définition a varié selon les époques. Ce n’est qu’avec la génération de Cicéron que le terme va peu à peu se charger d’une connotation positive et très progressivement que le savoir, en dépit des résistances, a été abordé sans tenir compte de son utilité pour la politique (comme dans Plin., Ep., 1.9). Voir aussi Hor., Ars, 323-332.
44 Sen., Nat., 1, Praef., spéc. 4 sq. ; voir aussi 3, Praef., 10-18. L’idée est que l’étude (ici de la nature et de ses mystères) affranchit l’âme du corps. La valorisation des studia trouve sa pleine mesure avec Pline le Jeune seulement, plus que chez Cicéron qui privilégiait encore l’action (sur ce point, Méthy 2007 ; voir aussi Martin 1982).
45 En définitive, l’écrit favorisait la “vulgarisation” du savoir, une moindre exclusivité de la connaissance. L’aristocratie eut donc longtemps la tentation de privilégier l’oralité.
46 Sur cette question, voir Lowrie 2009, notamment l’introduction et la première partie.
47 Sur cette question, voir en particulier Dupont 1994.
48 L’extension de la domination romaine a sans doute favorisé la multiplication des “savoirs d’État” (la géographie, par exemple). Ici, les traditions familiales, empiriques, ne suffisaient plus nécessairement et ces savoirs purent légitimement s’insérer dans la littérature à partir du ier siècle a.C. essentiellement (sur cette question, voir Landrea 2014, 117-130 ; Moatti 2018, 301-309).
49 Cic., De Or., 2.154 ; Lucien, Merc. cond., 25. Pour une brève dénonciation de l’étalage littéraire chez les pédants, Sen., Ep., 59.15. Sur cette question, Le Doze 2014a, 368-387.
50 Il est vrai qu’un écrivain pouvait être célèbre de son temps. On connaît notamment les exemples de Tite-Live – que Pline l’Ancien (Nat., 1.16) qualifiait encore d’auctor celeberrimus – et de Virgile. Mais la célébrité n’a pas nécessairement l’auctoritas pour compagne (que l’on songe à la célébrité des auriges, des gladiateurs et autres mimes). On rappellera en outre les difficultés d’un Martial ou d’un Juvénal (dont les jérémiades furent sans doute quelque peu appuyées) à se trouver des protecteurs généreux à Rome, témoignage du poids relatif accordé à leur activité (Mart. 1.107.3-6 ; 8, 55 ; Juv. 7.145).
51 Sur ce point, voir Berthelet 2015.
52 Kojève [1942] 2004, 65. Arendt a aussi souligné avec force la place de la tradition dans la constitution de l’autorité.
53 Kojève [1942] 2004, 120.
54 Revault d’Allonnes 2006, 28-29. Sur l’importance du temps dans la construction des figures d’autorité, voir aussi Payen 2007, 17-20 et Hartog 2007, spéc. p. 24-26. D’où Quint. 10.1.94 (à propos des satiristes célèbres de son temps et qui, un jour, se feront un nom).
55 Ce qu’exprime très bien (mais à regret) la Rhet. Her. 4.4.
56 Plin., Nat., 1.15 : res ardua uetustis nouitatem dare, nouis auctoritatem.
57 Plin., Nat., 1.20. Voir aussi Hor., AP, 388 et Quint., Pr., 2.
58 La bibliothèque du Palatin semble, à cet égard, avoir été plus ouverte (Hor., Ep., 2.1.214-218 ; Ov., Tr., 3.1.63-64), sans doute en lien avec un programme culturel (voir Le Doze 2012). Concernant Varron, il a sans doute bénéficié de la vogue de l’antiquariat et, par dérivation, de l’auctoritas de la tradition qui rejaillissait sur les antiquaires. Sur la répugnance à citer les contemporains et à privilégier les auteurs morts, voir Quint. 10.1.38 (qui évoque ici Cicéron en tant qu’orateur) ; sur l’idée que, pour beaucoup, il faut s’en tenir à la lecture des Anciens, Quint. 10.1.43.
59 Revault d’Allonnes 2006, 29. D’où Cic., Orat., 120 : “Ignorer ce qui s’est passé avant notre naissance, c’est être toujours enfant. Qu’est-ce, en effet, que la vie d’un individu si, par le souvenir du passé, il ne s’ajoute pas à ses devanciers dans une trame continue (nisi ea memoria rerum ueterum cum superiorum aetate contexitur) ?”
60 Il est notable que le Forum d’Auguste se présente comme la proclamation dans la pierre de la fin de l’Histoire. La série des summi uiri (qui, par leurs actes et leurs vertus, avaient permis d’élaborer la domination universelle – ou voulu comme telle – de Rome) trouvait son aboutissement dans Auguste dont la statue équestre trônait fièrement au centre de la place. Les statues des peuples vaincus symbolisaient la pacification de l’oikoumène. Dotée du “meilleur des régimes” (Suet., Aug., 28.3), d’un dirigeant à même de servir lui-même d’exemplum (RGDA 8.5), la Rome d’Auguste proclamait l’achèvement de l’Histoire et le rétablissement de l’âge d’or. Sur les funérailles d’Auguste figurant, elles aussi, son principat comme un aboutissement de l’histoire (en particulier à travers les imagines du cortège qui ne se limitèrent pas à celles de la gens Iulia), voir Hurlet 2015, 11-12. Concernant l’Énéide, voir le bouclier d’Énée confectionné par Vulcain au livre 8. Sur le principat d’Auguste comme modèle, voir la contribution de Fr. Hurlet (qui s’appuie sur un édit d’Auguste) dans ce même volume, p. 351 et sq.
61 Toulze-Morisset 2004, 58-62.
62 “Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, de telle sorte que nous pouvons voir plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient ces derniers. Et cela, non point parce que notre vue serait puissante ou notre taille avantageuse, mais parce que nous sommes portés et exhaussés par la haute stature des géants” (propos rapporté par Jean de Salisbury, Le Metalogicon, III, 4, Paris, 2009). On le voit : le “nain” complète ici le “géant” (la terminologie choisie est intéressante), mais ne rivalise pas pleinement avec lui. Il peut y avoir apport, non révolution, le savoir cumulé étant déjà si grand que la rupture n’est guère envisageable.
63 C’est la tradition, au sens où l’on y choisit des figures d’autorité (que je distingue ici des figures d’auctoritas), qui fonctionne comme une auctoritas.
64 Sen., Nat., 6.5.2-3 : Nunc singula persequar. Illud ante omnia mihi dicendum est opiniones ueteres parum exactas esse et rudes. Circa uerum adhuc errabatur ; noua omnia erant primo temptantibus ; postea eadem illa limata sunt et, si quid inuentum est, illis nihilominus referri debet acceptum : magni animi res fuit rerum naturae latebras dimouere nec contentum exteriore eius aspectu introspicere et in deorum secreta descendere. Plurimum ad inueniendum contulit qui sperauit posse reperiri. Cum excusatione itaque ueteres audiendi sunt : nulla res consummata est, dum incipit ; Cic., Brut., 71 : nihil est enim simul et inuentum et perfectum. Voir aussi Cic., Ac., 1.4.13 ; Marc., 4.11 ; Var., L.L., 5.5.1-2 ; Quint. 10.3.4. Sur l’idée que les Romains étaient conscients que “la tradition n’était pas synonyme de perfection et liaient le progrès à la raison”, voir Moatti 1997, 175.
65 Plin., Nat., 1.26 : […] et, ne in totum uidear Graecos insectari, ex illis mox uelim intellegi pingendi fingendique conditoribus, quos in libellis his inuenies, absoluta opera et illa quoque, quae mirando non satiamur, pendenti titulo inscripsisse, ut APELLES FACIEBAT aut POLYCLITUS, tamquam inchoata semper arte et inperfecta, ut contra iudiciorum uarietates superesset artifici regressus ad ueniam uelut emendaturo quicquid desideraretur, si non esset interceptus.
66 Vitr. 7, praef., 1.
67 Quint. 10.2.4-9.
68 Cic., Rep., 2.1.2.
69 Sur l’imitatio, voir Thill 1979. On ne se cache pas de cette imitatio : on la revendique même. Parmi les très nombreux exemples, voir Ter., An., 13-14. La poésie n’était pas la seule ars fondée sur l’imitatio : concernant la rhétorique, voir notamment Quint. 10.1.108 et 2.1 sq.
70 Voir à ce sujet Daspet 2011, 161-174.
71 Il est notable que ce phénomène de l’imitatio a perduré bien au-delà du cadre romain. Freyburger 2003 a ainsi souligné que, de même que la littérature latine s’est forgée sur le modèle de la littérature grecque, la littérature française a pris pour modèle la littérature latine.
72 Sur cette analyse, voir Glinatsis 2012. Il peut bien y avoir une préséance de tel ou tel auteur, elle n’empêche pas la pluralité, la contaminatio, c’est-à-dire l’utilisation simultanée de plusieurs modèles. Dans le même esprit, Pline l’Ancien (Nat. 3.1.2) prévient qu’il ne s’attachera exclusivement dans son exposé à aucun auteur : dans chaque partie, il suivra celui qui lui paraîtra le plus sûr. Sur l’idée qu’il y a quelque profit à tirer de tout auteur, voir Quint. 10.1.57 ; 10.2.25-26.
73 Dans la Satire, 1.10, Horace explique que, même si Lucilius a ouvert la voie, il n’en est pas pour autant sans défaut. Sur les critiques d’Horace à l’encontre de ses prédécesseurs latins, voir Tarrant 2007, 63-76.
74 Phaedr., Prol., 1 : Aesopus auctor quam materiam repperit, / Hanc ego poliui uersibus senariis.
75 Sur cette question, voir Hartog 2007, 32.
76 Sur le lien imitatio / aemulatio, voir Rhet. Her., 4.2 : “Quoi ! L’autorité des Anciens (auctoritas antiquorum) ne suffit-elle pas à rendre les leçons plus convaincantes et surtout les hommes plus disposés à les imiter (ad imitandum alacriora reddit) ? Bien plus, elle stimule l’ambition des hommes ; elle aiguillonne leur activité quand ils conçoivent de pouvoir égaler par l’imitation les qualités d’un Gracchus ou d’un Crassus.” Cette aemulatio est au cœur de la seconde section du livre 10 de Quintilien, précisément consacré à l’imitatio. La volonté de dépassement irrigue tous les actes de la société romaine (voir, par exemple, Sal., Jug., 5-6 à propos des imagines : il y a une auctoritas maiorum, réactualisée par l’imitation que les ancêtres suscitent, ancêtres que l’on n’a de cesse d’égaler, voire de surpasser).
77 C’est le sens de la critique d’Horace à l’encontre de Lucilius. Pour Quintilien (10.1.97), si Accius et Pacuvius manquent d’éclat, cela est moins dû à leurs limites propres qu’au temps où ils vivaient. Voir aussi Cic., Brut., 67-68 (à propos de Caton l’Ancien) et Tac., Dial., 21.
78 Sur la question du progrès à Rome, voir Novara 1982-1983.
79 D’ailleurs, Virgile affirme avoir ramené dans sa patrie les Muses d’Aonie, comme lorsque l’on s’empare des statues des dieux des cités vaincues (euocatio).
80 On retrouve ici la logique dessinée par Arendt [1954] 1972, 160-161.
81 C’est pourquoi Sénèque (Ep., 4.33.11) dit des prédécesseurs qu’ils sont des duces et non des domini. Quoi qu’il en soit, Cicéron n’aurait pu devenir ce qu’il est devenu sans Démosthène (Quint. 10.1.108). Manilius (2.52-58) est un des rares savants à prétendre à une nouveauté complète.
82 Voir Gervais-Lambony et al. 2017, 12-13. Les auteurs précisent que l’acte de fondation en lui-même est difficile à saisir dans le temps : il est un processus. Et de prendre l’exemple des fondations de temples, où l’on peut privilégier une cérémonie plutôt qu’une autre, la consecratio plutôt que l’inauguratio ou le dépôt d’objets dits de fondation. Mais, en réalité, dans le cadre de la fondation, c’est chacun de ces actes qui compte. Enfin, les auteurs soulignent que “la fondation est […] un acte non pas unique, mais répétitif à un point tel qu’elle est indissociable de l’acte de refondation après un intervalle plus ou moins long”, et ce en raison de “l’impossible inaltérabilité de ce qui est fondé” associée au besoin de s’inscrire dans une continuité.
83 Gavoille 2015, 26-27. C’est pourquoi Pline l’Ancien (Nat., 22.3) parle des auctores imperii Romani conditoresque. Sur la question fondamentale du choix des modèles, voir par exemple Cic., Orat., 30-32 ; 234 ; Brut., 287-288 ; Quint. 10.2.14-18.
84 Je remercie P. M. Martin pour avoir attiré mon attention sur ce point.
85 Parallèlement, la proximité avec les événements (comme dans une Histoire du type de celle écrite par Salluste ou dans l’Agricola de Tacite) dispensait en grande partie de se référer à une auctoritas.
86 Je mets ces termes entre guillemets car ces catégorisations n’ont pas de réel sens à Rome où il vaut mieux parler de “savoirs spéculatifs” et de “savoirs pratiques”.
87 D’où Plin., Nat., 32.1.
88 C’est un schéma qui préexistait à la Rome antique et qui lui a survécu au moins jusqu’à l’aube de l’époque moderne où la modernité a progressivement détrôné la référence au passé (voir Leclerc 1996).
89 D’où, par exemple, le fabulam Graecanicam incipimus d’Apulée (Met., 1.1.6).
90 Cic., Q. fr., 1.1.27-28 ; Hor., Ep., 2.1.156-157 : Graecia capta ferum uictorem cepit et artes / intulit agresti Latio. Voir aussi Cic., De Or., 1.13 et Ael. Arist., Rom., 51.
91 À ce propos, voir Le Doze 2012, 247-271 et 2014b, 115-132.
92 Prop. 2.34, 65-66 : Cedite Romani scriptores, cedite Grai ! Nescio quid maius nascitur Iliade (“Cédez le pas, écrivains romains, et vous, Grecs, cédez le pas ; je ne sais quoi va naître de plus grand que l’Iliade”).
93 D’où Cic., Fin., 1.1 où certains pensent que, tant qu’à étudier, autant lire des textes grecs.
94 Deremetz 1995, 51, 117-128 et 129 (citation). L’ingenium, le “génie inventif”, vertu divine qui permettait d’accéder à l’invisible, aux sources du savoir, demeurait du côté des Grecs ; le labor revenait quant à lui, en raison de leur position seconde, aux Romains, qui, en raison de leur maîtrise technique, étaient à même “de rendre communicables les secrets élucidés et d’en faire des monuments glorieux et vénérables” (Deremetz 1995, 128-129). Voir aussi Hor., Ars, 291-294 et 323-324.
95 Gadamer [1960] 1996, 300 et 301. Le philosophe réhabilite le préjugé (supposé ne pas faire appel à la raison) et suggère l’existence de “préjugés légitimes” (p. 291 ou 298, par exemple). On lui doit notamment d’avoir rappelé son sens originel, celui de jugement provisoire : “en soi, préjugé veut dire jugement porté avant l’examen définitif de tous les éléments déterminants quant au fond” (p. 291). Et de poursuivre en illustrant le phénomène par une pratique de la justice où le préjugé signifie la “décision antérieure au jugement définitif proprement dit”. Le préjugé n’est, dès lors, pas assimilable à une “erreur de jugement” (id.). Concrètement, Gadamer pose l’historicité de l’individu, cette historicité favorisant les préjugés qui sont des éléments de la perception du monde. Autrement dit, la compréhension ne saurait partir de rien, d’un territoire vierge, et l’on ne saurait comprendre sans préjugés, lesquels deviennent un maillon indispensable de l’accès à la vérité. Cette analyse n’est pas sans rappeler la “morale par provision” de Descartes (présentée dans sa lettre-préface aux Principes de la philosophie) qui constitue “une morale imparfaite que l’on peut suivre par provision pendant qu’on n’en sait point encore de meilleure”, posture qui marque pleinement la tension entre un idéal intellectuel et une réalité pratique.
96 Macrob. 1.15.12 et 2.8.8.
97 Quint. 10.1.86.
98 Var., LL, 6.2 : Huius rei auctor satis mihi Chrysippus et Antipater et illi in quibus, si non tantum acuminis, at plus litterarum, in quo Aristophanes et Apollodorus, qui omnes […].
99 Sur Homère “éducateur des hommes”, voir Plat., Rep., 10.606e. Hor., Ep., 1.2 en fait un maître de sagesse. Voir aussi Quint. 10.1.46, 51 et, surtout, 86.
100 Varron était perçu comme “le plus savant des Romains” (uir Romanorum eruditissimus) par Quintilien (10.1.95), suivi en cela par Plutarque (“le plus savant des Romains dans l’histoire”, ἄνδρα Ῥωµαίων ἐν ἱστορἰᾳ βιϐλιαϰώτατον, Rom., 12.3) ; Columelle (8.8.9) le décrit comme un “écrivain remarquable” (eximius auctor), là où Symmaque le présente comme “le père de l’érudition latine”. Voir aussi Tac., Dial., 23.2. Il est vrai que le polygraphe avait composé cinquante-trois ouvrages d’une grande diversité, soit cinq cents volumes. Cela fait de lui un des auteurs les plus considérables de langue latine.
101 “On parle de l’autorité d’une personne, d’une institution, d’un message, pour signifier qu’on leur fait confiance, qu’on accueille leur avis, leur suggestion ou leur injonction, avec respect, faveur, ou du moins sans hostilité ni résistance, et qu’on est disposé à y déférer” (Boudon & Bourricaud [1982] 1994, 32, cités par Bur 2011, 154-155). Cela n’empêche pas une lecture critique, “car chez les grands auteurs (auctoribus) aussi, il se rencontre des défauts (uitiosa)” (Quint. 10.2.15) : il faut donc les repérer pour ne s’attacher qu’à leurs qualités.
102 De ce point de vue, Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle, est sans doute l’un de ceux qui a été le plus transparent puisque, dans sa table des matières, il évoque tous les auctores utilisés dans chacun de ses livres. Voir aussi Vitr. 7, pr. 10 où il reconnaît sa dette à l’égard des scriptores qui l’ont précédé. Vitruve cite beaucoup de grands noms, presque tous grecs (ce qui n’est d’ailleurs pas sans légitimer un ouvrage latin sur le sujet).
103 Jer., Contre Rufin, 1.16.15.
104 Pline l’Ancien (Nat., 1.17) prétend avoir lu quelques 2 000 ouvrages et utilisé quelques cent auctores, auxquels il a ajouté ses propres observations. Voir aussi le propos de Quintilien (Pr., 1).
105 On pouvait en effet être attaqué sur son manque de compétence : il semble, par exemple, que le traité Sur la discipline militaire de Caton le Censeur ait été parfois vivement critiqué. Pour souligner l’absurdité de tels propos, Pline l’Ancien (Nat., 1.30) rappelle que Caton avait appris le métier des armes sous les ordres de Scipion l’Africain et qu’il avait obtenu le triomphe. Caton lui-même aurait écrit que ces “chicaneurs” (uitilitigatores) ne cherchaient rien d’autre, en l’attaquant, que la renommée. Dans ses Res rusticae (1.11), Caton a lui pris soin d’indiquer ses sources (ses “racines”) et, à côté de ce qu’il a lu chez les Grecs et les auteurs latins et de ce qu’il a appris auprès de personnalités compétentes, il y a ce qu’il a lui-même appris dans ses propriétés.
106 Au contraire : souvenons-nous ici de la présentation de Varron par Cicéron (Acad. post., 1.9) : “Alors que nous errions en étrangers dans notre propre ville, tes livres nous ont pour ainsi dire ramenés chez nous et appris où et qui nous étions. C’est toi qui nous a fait connaître l’âge de notre patrie, les définitions du calendrier, les rites de la religion, toi qui nous a enseigné la science des prêtres, l’économie domestique, l’art militaire, toi qui, des territoires, des régions, des dieux, de toutes les choses divines et humaines, nous a révélé les noms, les espèces, les fonctions, les causes ; tu as apporté une illustration sans pareille à nos poètes et, en général, à la littérature et la langue latines.” De même, sur l’extrême variété des écrits de Pline l’Ancien, voir deux lettres de Pline le Jeune, Ep., 3.5 (où il présente l’Histoire naturelle comme un opus eruditum) et 6.16. Concernant les Nuits attiques, l’ouvrage, publication de notes tirées de lectures multiples, s’intéresse à presque toutes les branches du savoir, même si la langue y occupe une place de choix. Voir aussi l’admiration de Macrobe pour Cicéron en raison de son savoir illimité (Macrob., 1.10.8 et 1.17.17 ; Fronto, ad Marcum, 3.16.2 évoque Cicéron comme le princeps sapientiae ; dans le même esprit Tac., Dial., 30.3-5 et 31.7 et Cic., De Or., 1.5 et 17 lui-même pour qui l’éloquence implique l’étude de toutes les artes). Concernant Sénèque, voir Quint. 1.10.129.
107 Cic., De Or., 1.59-67.
108 Le progrès dans le savoir relève de la raison, donc de la prise de distance avec l’autorité.
109 Sur cette question, voir les réflexions d’Armisen-Marchetti 2004, 135-140.
110 Plin., Nat., 29.7.1. Je remercie M. Humm pour avoir attiré mon attention sur ce point.
111 Macrobe (1.2.3) considérait la République de Platon comme un “livre sacré” (sacrum uolumen). Voir aussi, par exemple, Cic., Fin., 1.7.
112 Manil. 2.48.
113 Sur le poète uates, voir notamment Newman 1967 ; Lieberg 1977, 962-988 ; Jocelyn 1995, 19-50 ; Le Doze 2014a, 453-479.
114 Sur cette question, Deremetz 1995, 45-51. Lucain (1.63-66) a lui, dans un éloge relevant d’un modèle de courtisanerie, accordé le rôle des Muses, d’Apollon ou de Bacchus, à Néron, censé inspirer son chant.
115 Voir par exemple Manil. 1.19.
116 Le Doze 2015a.
117 Y compris parfois chez les poètes (voir Sickle 1974-75, 119-120).
118 Verg., A., 6.6. Valerius Flaccus l’évoque aussi au début de ses Argonautiques (1.5-7) au moment d’en appeler à Phébus.
119 Var., RR, 1.1.3. De même, la valeur des propos de Platon, dit Quintilien (10.1.81), laisse à penser qu’il était inspiré par Apollon.
120 Lucr. 1.101-109.
121 Lucr. 5.55-56.
122 Lucr. 1.62-79 ; 3.14-17 et 28-30 ; 5.9-13 ; 6.9-42. Sur Épicure comme bienfaiteur, Lucr. 5.3-5. Sur la comparaison avec Hercule, Lucr. 5.22-42.
123 Lucr. 3.9.
124 Lucr. 3.1042-1044.
125 Lucr. 3.9 et 15 ; 5.8. Voir aussi Lucr. 5.19-21 : “Aussi est-ce à meilleur titre que nous honorons comme un dieu (deus) celui dont la doctrine, encore vivante et répandue parmi les grandes nations, apaise les cœurs et leur apporte les douces consolations de la vie”. On sait par ailleurs que l’anniversaire de la mort d’Épicure était chaque année honoré par ses disciples.
126 Lucr. 1.50 et 136-145.
127 Lucr. 4.8-25. Sur l’idée que la poésie est le meilleur véhicule pour certains savoirs, voir aussi Manil. 1.20-24.
128 “La religion est à son tour renversée et foulée au pied”, Lucr. 1.78-79. Voir aussi le prologue du livre 3 ainsi que Lucr. 4.6-7.
129 Lucr. 3.12. Pour des variantes, voir Lucr. 5.53 et 6.7.
130 Lucr. 1.79 : […] nos exaequat uictoria caelo (“[...] et nous, la victoire nous élève jusqu’aux cieux”).
131 Lucr. 5.55-58.
132 Beard 1986, 34-35 (qui évoque “the lack of a clear authorial voice” et cite notamment Cic., Diu., 2.72.150).
133 Singularité parfaitement perçue par Sénèque (voir ad Luc., 4.33.7).
134 Phaedr., 5, Prol. : Aesopi nomen sicubi interposuero, / cui reddidi iam pridem quicquid debui, / auctoritatis esse scito gratia ; / ut quidam artifices nostro faciunt saeculo, / qui pretium operibus maius inueniunt nouis / si marmori adscripserunt Praxitelen scabro, / trito Myronem argento, tabulae Zeuxidem. / Adeo fucatae plus uetustati fauet / inuidia mordax quam bonis praesentibus. / Sed iam ad fabellam talis exempli feror.
135 Foucault 1994, 798.
136 Cic., Amic., 1.4. Sur l’auctoritas de Caton l’Ancien, Cic., Sen., 3.
137 David 1992, 426-427.
138 Herfray [2006] 2015, 17.
139 Pour un processus identique, cette fois-ci entre norme et autorité, voir Bur 2011, 153-165, qui parle précisément d’“autorité empruntée” et dont l’étude n’a pas été ici sans guider ma réflexion.
140 Arendt [1954] 1972, 161. Sur le sens initial d’auctor, voir les comédies de Plaute et de Térence (Plaut., Aul., 251 ; Cist., 249 ; Cur., 498 ; Epid., 357 ; Mil., 1094 ; Poen., 410, 721 ; Ps., 231 et 1166 ; St., 129, 581 et 603 ; Ter., Ad., 939 et 671 ; An., 19 ; Eun., 1013 ; Ph., 625) où il désigne celui qui assume soit le rôle d’instigateur et de conseiller d’une action, soit la fonction de garant d’une affaire. Le Digeste (Paul) fait de l’auctor “celui qui approuve l’acte” (Dig. 26.8.3 : qui probat id quod agitur). De même, dans Tite-Live (1.17.9), les patres laissent au peuple l’élection du roi (nous sommes après la mort de Romulus), mais se réservent la ratification du choix (Decreuerunt enim ut, cum populus regem iussisset, id sic ratum esse si patres auctores fierent, “Par décret ils décidèrent en effet que le peuple élirait le roi, mais que l’élection serait subordonnée à l’approbation du Sénat”) : “Fondamentalement, donc, auctor et auctoritas signifient la capacité de valider un acte qui seul n’aurait pas cette force décisive et efficace. L’auctoritas accorde la légitimité, confère la consécration juridique, délivre un ‘supplément de valeur’” (Gavoille 2015, 23-25, à qui j’emprunte par ailleurs les références ci-dessus ; on trouve dans cette étude une excellente présentation diachronique de l’usage du terme auctor). Voir aussi Magdelain 1947, 5 : “Être auctor, c’est soit proposer, soit confirmer et garantir”.
141 D’où la formule (citée par Arendt [1954] 1972, 161-162), souvent reprise, de Th. Mommsen : “L’autorité est moins qu’un ordre et plus qu’un conseil.”
142 Sur le modèle proposé par Kojève [1942] 2004, 58, où l’“Autorité est la possibilité qu’a un agent d’agir sur les autres (ou sur un autre) sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capable de le faire”.
143 Ce qu’ont très bien vu Arendt [1954] 1972, 161-162 et Revault d’Allonnes 2006, 25-28 ; 33. On trouve cette distinction par exemple dans Cic., Leg., 3.12.28 (où à la potestas du populus répond l’auctoritas du Sénat) et dans les RGDA 34.3.
144 Benveniste 1969, 148-151 précise bien qu’auctor doit être relié au sens premier d’augeo, à savoir “l’acte de produire hors de son sein” ; il est l’origine “d’un acte créateur qui fait surgir quelque chose d’un milieu nourricier”.
145 Sur le patronage littéraire, voir Le Doze 2014a, 160-390 et 2014b, 133-189.
146 Le Doze 2014a, spéc. partie III.
147 Sur cette question, voir Zucchelli 1982, spéc. p. 110 ; Rutledge 2009, 23-61 ; Le Doze 2016.
148 Le Doze 2014a, 310-313.
149 On pouvait aussi, bien sûr, disposer de plusieurs patroni.
150 Sur cette question, voir Deremetz 1995, 45-51 (et 59-63 pour les métaphores artisanales dans la poésie). Notons que la place de l’imitatio dans les lettres latines n’a pas été sans valoriser la part de l’ars.
151 Il arrive qu’il n’y ait pas de dédicataire, comme dans la Chorographie de Pomponius Mela (sans doute en partie écrite au début du principat de Claude). Cela peut surprendre pour un auteur dont on ne sait rien si ce n’est qu’il avait des origines espagnoles. Sans doute est-ce parce qu’il ne s’agit que d’un manuel de vulgarisation compilant des sources lui préexistant. Peut-être aussi (surtout ?) parce que Pomponius ambitionnait de rédiger plus tard un ouvrage sur le même thème d’une toute autre ampleur et où il ne s’en tiendrait pas à ce qui était déjà bien connu.
152 Mart., 8, Praef., 1.
153 Veg., Mil, 1, Praef.
154 Il lui avait déjà dédié son Histoire contemporaine (voir Plin., Nat., 1.21 ; 33).
155 Plin., Nat., 1.2. Frontin (Aq., 1.1), lui aussi, laisse entrevoir sa proximité avec Nerva.
156 Plin., Nat., 1.6-8 et 10.
157 Plin., Nat., 1.8 : Te quidem in excelsissimo generis humani fastigio positum, summa eloquentia, summa eruditione praeditum, religiose adiri etiam a salutantibus scio, et ideo curari ut quae tibi dicantur tui digna sint.
158 Plin., Nat., 1.1 : nouicium Camenis Quiritium tuorum opus.
159 V. Max. 1, Praef.
160 Fronto, ad Antoninum Imp., 4.2.1-2.
161 D’une certaine manière, au poète correspondait un style de vie, caractérisé par l’éloignement des mondanités et une forme d’indépendance économique, propre à se consacrer à une activité particulière, l’écriture.
162 Voir, par exemple, Cic., Brut., Tusc., Diu.
163 Gell. 19.8.1 notamment.
164 Gell. 19.10.
165 Dont on nous dit que le Thyeste qui pouvait soutenir la comparaison avec n’importe quelle tragédie grecque a été récompensé par un don d’un million de sesterces par Octavien.
166 Perspective qui agissait comme un aiguillon (Hor., Ep., 2.1.214-218). Voir aussi Citroni 2003, 109-110.
167 Hor., Sat., 1.6.52-64 ; Vitr. 6, pr. 5.
168 Sen., Contr. 1, pr. 9 ; Quint. 12.1.1.
169 Kojève [1942] 2004, 79-80. La “bonne réputation” rappelle la “bonne foi”, source d’autorité (car la bonne foi écarte de la volonté de tromper les autres), mentionnée dans l’article “Autorité dans les discours et dans les écrits” de l’Encyclopédie cité supra. Sur l’importance des qualités d’âme dans tous les aspects de la vie publique, voir V. Max. 4.4.9.
170 Quint. 10.1.97. Sur la confiance accordée aux grauissimi uiri, voir aussi Gell. 3.17.
171 Cela n’enlève rien au fait que la figure de l’auteur me paraisse difficilement contestable à Rome à partir de la période tardo-républicaine. Pour Foucault (1994, 799), il y a eu auteur dès lors que “l’auteur a pu être puni” (ce qu’il met en lien avec l’instauration d’un régime de propriété pour les textes à partir de la fin du xviiie siècle ; notons par ailleurs que, en France, l’édit de Châteaubriant en 1551 avait rendu obligatoire pour toute publication l’apposition du nom de l’auteur ainsi que de l’imprimeur). Or il est également indéniable que les écrivains étaient à Rome juridiquement responsables de leur propos (que l’on se souvienne de l’Art d’aimer d’Ovide). De même, il existait déjà un rapport de propriété entre l’auteur et son texte (ce qui permit à Virgile d’exiger, en vain il est vrai, que l’on détruise son Énéide inachevée). Le style aussi, qui fonde l’identité de l’auteur (Sénèque, précédant Buffon, a largement recouru à ce présupposé aux dépens de Mécène ; voir aussi Quint. 1.10.133), était particulièrement discuté à Rome : l’écriture est marquée par la personnalité de son auteur, son style est un élément de distinction. En outre, quand un savoir est associé à un nom (comme c’est le cas lors d’une citation où le nom accrédite le savoir, garantit la vérité de l’énoncé), cela contribue nécessairement à l’émergence d’une figure de l’auteur. Enfin, à en croire Servius (ad Verg. Aen., Praef. lib. I), la figure de l’auteur est indissociable du commentaire de son œuvre puisque, expose-t-il, “lorsque l’on explique un auteur (in exponendis auctoribus)”, il convient notamment de prendre en compte “la vie de l’auteur (poetae uita)” et “le dessein de l’écrivain (scribentis intentio)” – parti-pris que l’on retrouvera bien plus tard et de manière plus prononcée encore chez Sainte-Beuve et Gustave Lanson pour lesquels l’œuvre était d’abord et avant tout l’espace où la subjectivité de l’auteur s’exprime. Certains auteurs n’ont d’ailleurs pas manqué d’être l’objet de biographies. À cet égard, le De poetis de Suétone (qui s’est aussi, notamment, intéressé aux historiens et aux philosophes) s’avère fort intéressant. D’autres, à l’image d’Apulée au début de ses Métamorphoses (1.1.3-6), se présentent. Bref, l’heure n’était pas encore à “tuer l’auteur”.
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