Chapitre III - Auctoritas et mos maiorum
p. 65-90
Résumés
Cette étude entend montrer que, contrairement à ce qu’avançait Hannah Arendt, l’auctoritas ne trouvait pas sa source dans la fondation de Rome, mais plutôt dans la perpétuation des vertus et des conduites des maiores. La conformité au mos maiorum, en créant une continuité avec le passé et en s’appuyant sur des modèles de dévotion au bien commun, était une source d’auctoritas essentielle sous la République. C’est pourquoi les censeurs estimaient la dignitas selon cette grille de lecture. Naturellement, l’appel au mos maiorum était utilisé par les sénateurs dans le jeu politique, notamment parce que cela favorisait le consensus. Tout cela reposait également sur un habitus de l’auctoritas, car le mos imposait de recourir aux consilia pour toute décision importante. Toutefois l’imitation des maiores était question d’interprétation et de réécriture, ce qui posa problème à la fin de la République.
This paper sets out to show that, as opposed to what Hannah Arendt has argued, the auctoritas did not derive from the foundation of Rome, but rather from the virtues and behaviors of the maiores. The compliance with mos maiorum, which created a continuity with the past and relied on models of devotion to the common good, was an essential source of auctoritas under the Republic. That is why the censors assessed the dignitas according to this framework. Senators used to refer to the mos maiorum in the political game, in particular because it fostered consensus. All this rested on a “habitus” of auctoritas, since the mos demanded to resort to the consilia for any important decision. However, the imitation of the maiores was open to interpretation and rewriting, which posed a problem at the end of the Republic.
Entrées d’index
Mots-clés : Auctoritas, mos maiorum, censure, regimen morum, Sénat, République romaine, dignitas
Keywords : Auctoritas, mos maiorum, censorship, regimen morum, Senate, Roman republic, dignitas
Texte intégral
1Hannah Arendt, dont on connaît le travail classique sur l’autorité, affirmait que :
“Le mot auctoritas dérive du verbe augere, ‘augmenter’, et ce que l’autorité ou ceux qui commandent augmentent constamment : c’est la fondation. Les hommes dotés d’autorité étaient les anciens, le Sénat ou les patres, qui l’avaient obtenue par héritage et par transmission de ceux qui avaient posé les fondations pour toutes les choses à venir, les ancêtres, que les Romains appelaient pour cette raison les maiores. L’autorité des vivants était toujours dérivée, dépendante des auctores imperii Romani conditoresque1, selon la formule de Pline, de l’autorité des fondateurs, qui n’étaient plus parmi les vivants. […] L’autorité, au contraire du pouvoir (potestas), avait ses racines dans le passé, mais ce passé n’était pas moins présent dans la vie réelle de la cité que le pouvoir et la force des vivants”2.
2Elle avait déjà affirmé un peu plus haut qu’à Rome, “la source de l’autorité se trouvait exclusivement dans le passé, dans la fondation de Rome et la grandeur des ancêtres”3. Plus que les maiores, “les plus grands, par définition” qui “représentent l’exemple de la grandeur pour chaque génération successive”4, c’est la fondation de l’Vrbs qui est au cœur de la conception politique romaine selon Arendt et, de là, de l’auctoritas. Ainsi, elle continue :
“Toute autorité dérive de la fondation par Romulus, reliant tout acte au début sacré de l’histoire romaine, ajoutant, pour ainsi dire, à tout moment singulier le poids entier du passé”5.
3Cette conception rejoint l’idée de Georges Dumézil selon laquelle le récit de fondation tenait lieu, chez les Romains, de cosmogonie6. Toutefois, Arendt oscille entre fondation et ancêtres sans bien préciser ce qu’elle entend par là :
“C’est dans ce contexte essentiellement politique que le passé était sanctifié par la tradition. La tradition préservait le passé en transmettant d’une génération à la suivante le témoignage des ancêtres, qui, les premiers, avaient été les témoins et les créateurs de la fondation sacrée et l’avaient ensuite augmentée par leur autorité à travers les siècles. Aussi longtemps que cette tradition restait ininterrompue, l’autorité demeurait inviolée ; et agir sans autorité et sans tradition, sans normes et modèles admis, consacrés par le temps, sans l’aide de la sagesse des pères fondateurs, était inconcevable”7.
4Cette affirmation que l’auctoritas puiserait sa source dans la fondation, encore reprise par Pierre Rosanvallon au colloque sur l’autorité du Collège de France de 20078, me paraît discutable. En effet, attribuer à la fondation, et surtout au fondateur, Romulus, l’origine de l’auctoritas va à l’encontre du récit des origines de Rome tel que se le transmettaient les Romains : bien que leur roi fût parfois présenté comme un magistrat, ayant même un collègue sabin pendant un temps, il aurait été dangereux de faire reposer la source de l’auctoritas dans les mains d’un rex. De plus, les Romains mettaient l’accent sur l’élaboration collective et progressive de leurs institutions.
5L’auctoritas était aussi et surtout la principale qualité du Sénat, qui accompagna dès le début l’histoire de l’Vrbs. Ce Sénat était conçu comme devant tempérer le pouvoir royal et s’appuyer non pas, comme Romulus, sur l’imperium, mais sur son auctoritas en tant que conseil des Pères. Si Tite-Live ou Plutarque évoquaient une lectio senatus comparable à celle de la République classique, Denys d’Halicarnasse imaginait un mécanisme complexe rappelant celui que voulut utiliser sans succès Auguste en 18 d’après Dion Cassius9. Quoiqu’ayant fondé le Sénat, Romulus n’instaura pas pour autant le regimen morum et se contenta de sélectionner dans son conseil les principaux chefs de famille. Faisaient-ils de ceux-ci des fondateurs ? Certainement pas. À vrai dire, ils ne devinrent pas plus des maiores : leurs noms ne sont pas conservés et les exempla se rattachant à la période royale sont quasi inexistants. À cela s’ajoute le fait que dans de nombreuses versions de la tradition, les premiers habitants de Rome étaient, outre les Albains ayant suivi Romulus, des bandits, des esclaves marrons, des débiteurs faillis… Bref la lie de la population des communautés alentour.
6Néanmoins Arendt avait bien saisi le lien étroit qui existait, dans le cadre politique, entre le passé et l’auctoritas. Les auctores imperii Romani conditoresque de Pline qu’elle cite sont les fondateurs de l’Empire et non de l’Vrbs. Les conduites à imiter, qui ont retenu l’attention des Romains de génération en génération, sont celles ayant mené à la grandeur de Rome, à sa suprématie sur l’Italie puis sur la Méditerranée. Or cela ne commença qu’au ive siècle et coïncida avec la réorganisation de la République. Les exempla que l’on trouve pour la période antérieure, comme ceux des héros de 509, de Brutus, ou de Coriolan ont peu de chances d’être authentiques. Dans ce cadre, l’auctoritas trouverait sa source non pas dans la perpétuation de la fondation, mais dans celle des vertus et des conduites des maiores. Ceux-ci avaient montré le chemin de la grandeur et du bon fonctionnement des institutions aux générations suivantes dans ce qu’on appelle le mos maiorum.
7C’est donc cette idée que la conformité au mos maiorum était une source importante de l’auctoritas que j’entends examiner. Il s’agira de comprendre comment l’auctoritas découlait d’une revendication de conformité au mos maiorum, ainsi que des pratiques individuelles et collectives qu’impliquait le respect du mos maiorum. Notre enquête portera principalement sur l’auctoritas du Sénat et des sénateurs à l’époque républicaine. Le point de départ tout indiqué me paraît être le regimen morum des censeurs, puisque le recrutement des sénateurs relevait de cette mission. Cela nous conduira ensuite à nous demander pourquoi se réclamer des maiores était source d’auctoritas et si les pratiques relevant du mos maiorum ne généraient pas une sorte d’habitus de l’auctoritas. Enfin, nous verrons les difficultés que rencontrèrent les Romains du dernier siècle de la République pour fonder leur auctoritas sur le respect du mos maiorum.
La conformité au mos maiorum, une source d’auctoritas
8Il s’agit tout d’abord de vérifier notre hypothèse, selon laquelle le respect du mos maiorum serait source d’auctoritas. Pour cela, nous allons nous pencher sur le cens qui refondait périodiquement la cité et plus particulièrement sur le regimen morum.
Apprécier la dignitas : le regimen morum
9À la fin du ive siècle, le plébiscite Ovinien connu par le seul texte de Festus demanda aux censeurs de recruter au Sénat les optimi :
Fest. 290 L. s. v. Praeteriti senatores : Praeteriti senatores quondam in opprobrio non erant, quod, ut reges sibi legebant, sublegebantque, quos in consilio publico haberent, ita post exactos eos consules quoque et tribuni militum consulari potestate coniunctissimos sibi quosque patriciorum, et deinde plebeiorum legebant ; donec Ouinia tribunicia interuenit, qua sanctum est, ut censores ex omni ordine optimum quemque curiati<m> in senatum legerent. Quo factum est, ut qui praeteriti essent et loco moti, haberentur ignominiosi.
“Il y eut une époque où les sénateurs écartés <du Sénat> n’étaient pas jetés dans l’opprobre, étant donné que les rois recrutaient et remplaçaient par eux-mêmes ceux qui participaient au conseil public, et après l’éviction des rois, les consuls aussi, ainsi que les tribuns militaires à pouvoir consulaire, choisissaient de même chacun de leurs très proches amis parmi les patriciens, puis parmi les plébéiens ; jusqu’à ce que la loi du tribun Ovinius intervînt, par laquelle il était prescrit que les censeurs choisiraient pour faire partie du Sénat chacun des meilleurs de chaque ordre en procédant par curie. À partir du moment où cela fut mis en application, ceux qui étaient laissés de côté et ceux qui étaient exclus de leur rang [sénatorial] étaient frappés d’ignominie” (trad. M. Humm modifiée).
10Cette mesure donna naissance au regimen morum, qui concerna rapidement l’ensemble des citoyens romains. Les censeurs les classaient dans le système centuriate et tribute selon la fortune et la dignitas10. Toute la difficulté était donc dans l’évaluation de la dignitas. Il y avait certes des critères objectifs comme la naissance ou la situation sociale, mais cela ne suffisait pas. Ainsi, les censeurs refusaient parfois des aristocrates qui avaient pourtant une prétention légitime à entrer au Sénat, notamment la gestion d’une magistrature, et ce refus était humiliant car il leur déniait la qualité d’optimi. C’est ce qu’on appelle la praeteritio dont parle ici Festus11. Recruter au Sénat revenait à reconnaître une certaine auctoritas, une capacité à bien conseiller. C’était l’avertissement que Cicéron donnait aux juges de Verrès à l’époque où une condamnation de repetundis provoquait l’exclusion du Sénat :
Cic., Verr., 2.2.76 : Retinete, retinete hominem in ciuitate, iudices, parcite et conseruate, ut sit qui uobiscum res iudicet, qui in senatu sine ulla cupiditate de bello et pace sententiam ferat. Tametsi minus id quidem nobis, minus populo Romano laborandum est, qualis istius in senatu sententia futura sit. Quae enim eius auctoritas erit ?
“Retenez, juges, retenez cet homme dans la cité romaine ; épargnez-le, conservez-le : qu’il soit avec vous pour juger les affaires, qu’il soit au Sénat pour donner sans aucune passion son avis sur la guerre et sur la paix. Et, cependant, nous n’avons guère, le peuple romain n’a guère à s’inquiéter de ce que pourra être au Sénat l’avis donné par un Verrès. Quelle sera, en effet, son autorité ?” (trad. H. de la Ville de Mirmont).
11La conduite de Verrès en Sicile avait anéanti son auctoritas si bien qu’il ne méritait plus de siéger au Sénat. Prétorien, il conservait pourtant ses compétences et son expérience. Il en allait de même pour P. Cornelius Rufinus, ancien dictateur et triomphateur, exclu du Sénat en 275 parce que, selon la tradition, il possédait douze livres d’argent12. Certains motifs de blâme font même sourire, comme ce Manilius que Caton l’Ancien chassa du Sénat pour avoir embrassé sa femme en public13. Compétence et expérience ne faisaient pas tout.
12À la différence de l’imperium, qui était en quelque sorte un costume prêt à l’emploi permettant d’agir à sa guise, l’auctoritas était une construction de longue haleine. Elle n’était pas associée à une magistrature, mais dépendait largement de l’image publique née des actes et de la conduite de l’individu. Tout aristocrate savait qu’il devait se comporter d’une certaine manière pour acquérir, puis préserver son rang et ensuite pour exercer une certaine influence.
13C’était donc la vie du citoyen que les censeurs examinaient pour déterminer son rang dans la hiérarchie civique. Cette “estimation hiérarchisante”, selon les mots d’Émile Benveniste14, s’appuyait sur une grille de lecture : le respect des mores. C’est ce que suggèrent l’expression regimen morum15, ainsi que le titre de praefecti moribus qui qualifiait parfois les censeurs16 et que César reprit en 4617. Comme j’ai essayé de le montrer ailleurs, les censeurs ne punissaient pas les infractions aux mores à l’instar d’un tribunal18. Le regimen morum n’était pas une police des mœurs, ni le complément des procédures judiciaires pour les normes non juridiques. Les censeurs attribuaient un rang au citoyen en fonction de leur opinion sur lui, ils s’assuraient qu’il répondait aux attentes que sa situation sociale faisait naître. Naturellement cette opinion était conditionnée par le système de valeurs que les Romains partageaient : le mos maiorum. En sanctionnant le respect ou le non-respect des mores par l’élévation des bons citoyens dans la hiérarchie civique et la dégradation des mauvais, ils préservaient le mos maiorum et incitaient l’ensemble de la communauté à le respecter, d’où l’expression regimen morum employée par Tite-Live. Le fait que les Romains aient accepté de se plier à un tel contrôle, puisqu’en effet on ne trouve, à ma connaissance, aucun cas de refus du classement19, montre qu’ils partageaient la grille de lecture qu’on leur appliquait.
Lectio senatus et auctoritas
14La première mission des censeurs était de recruter les sénateurs. À bien des égards la lectio senatus pouvait s’apparenter à une épreuve de légitimité. À chaque censure ou presque comme l’a montré Astin, une poignée de têtes tombaient20. On prouvait ainsi au peuple que le contrôle était rigoureux et que le Sénat abritait bien les optimi. En cela, le regimen morum était un instrument de légitimation de la nouvelle classe dirigeante, la nobilitas. Grâce à cet examen, elle pouvait se présenter comme une authentique aristocratie, au sens étymologique du terme.
15Pour se légitimer, les sénateurs devaient donc afficher une conformité exemplaire au mos maiorum21. Pour que le reste de la communauté accordât aux aristocrates un tel statut, ils devaient adopter la conduite que l’on attendait d’eux et qui était dictée par les mores antiqui22. C’est pourquoi, comme s’étonnaient Denys d’Halicarnasse et Plutarque, les censeurs s’aventuraient jusque dans la chambre à coucher23. J’ai montré ailleurs que l’analyse des motifs invoqués pour les dégradations censoriales révélait que l’inspection était plus minutieuse et touchait davantage la vie privée à mesure que l’on s’élevait dans la hiérarchie civique24. Un aristocrate devait tenir son rang en toute circonstance et manifester systématiquement son excellence. Le peuple était aussi là pour rappeler cette attente, signe que l’ethos aristocratique était partagé par l’ensemble de la communauté. Ainsi Q. Aelius Tubero échoua à la préture après 129, ce qui mit un terme à sa carrière semble-t-il, parce que, par stoïcisme, il avait lésiné sur le décorum des funérailles de son oncle, Scipion Émilien25.
16Les censeurs s’assuraient donc de recruter au Sénat des magistrats qui avaient exercé leur charge conformément aux attentes, des pères de famille qui avaient démontré leurs qualités de gestionnaires, des hommes cultivés dans les différents domaines que devait maîtriser un bonus uir. À l’expérience, aux compétences s’ajoutait l’excellence morale évaluée à l’aune du mos maiorum. En affirmant que les sénateurs possédaient les vertus valorisées par les Romains et attendues pour quelqu’un de leur rang, les censeurs proclamaient qu’ils étaient des optimi. La sélection des censeurs légitimait donc la supériorité sociale des sénateurs et accroissait de ce fait leur auctoritas. Cela était fondamental, car cette auctoritas trouvait à s’employer au Sénat aussi bien individuellement, lors des débats, que collectivement, puisque l’avis du Sénat était porté par la somme des auctoritates individuelles.
17En suivant tous des lignes de conduite identiques, en adoptant des comportements similaires insistant sur leur supériorité, les sénateurs renforçaient l’auctoritas du Sénat qui pouvait ainsi apparaître comme une assemblée de rois26. Dans certains cas exceptionnels, le secret des délibérations les mettait même hors de portée du reste des citoyens27. Cet éloignement, engendré par des pratiques et des attitudes collectives prescrites par le mos maiorum et vérifiées par les censeurs, fortifiait l’auctoritas du Sénat. Le respect du mos maiorum était donc une source de l’auctoritas du Sénat. Les sénateurs en étaient si bien conscients qu’ils construisaient leur image publique en conséquence et qu’ils s’appuyaient sur le mos pour défendre leurs opinions.
L’appel au mos maiorum dans les débats
18La classe dirigeante se légitimant par son respect exemplaire du mos maiorum, il était inévitable que ce respect fût revendiqué dans les débats publics. Un passage, parmi d’autres, de Tite-Live, témoigne de cette pratique consistant à faire appel aux maiores pour défendre son point de vue :
Liv. 27.8.8-9 : Flamen uetustum ius sacerdotii repetebat : datum id cum toga praetexta et sella curuli ei flamonio esse. Praetor non exoletis uetustate annalium exemplis stare ius, sed recentissimae cuiusque consuetudinis usu uolebat : nec patrum nec auorum memoria Dialem quemquam id ius usurpasse.
“Le flamine réclamait l’ancien droit attaché à son sacerdoce : ce droit avait été donné, avec la toge prétexte et le siège curule, à ce flaminat. Le préteur ne voulait pas qu’un droit fût fondé sur des précédents empruntés aux annales, que leur ancienneté avait rendus caducs, mais sur l’usage, à chaque fois, de la pratique la plus récente : ni du temps de leurs pères ni de celui de leurs grands-pères, un flamine quelconque ne s’était servi de ce droit” (trad. P. Jal, CUF).
19Tandis que le flamine revendiquait un uetustum ius, le préteur s’appuyait sur la consuetudo et la memoria pour le lui refuser. Finalement, le préteur abandonna et tous acceptèrent la prétention du flamine. Si le terme mos n’apparaît pas dans le récit livien, c’est justement parce qu’il était l’objet du débat : le préteur s’appuyait sur la mémoire récente quand le flamine renvoyait à une pratique ancestrale. L’un et l’autre affirmaient qu’ils respectaient le mos maiorum. D’ailleurs, d’après Tite-Live, ce qui contribua à trancher le débat fut la sanctitas uitae du flamine28. La conformité au mos maiorum était donc un puissant adjuvant dans la compétition politique.
20L’attestation par les censeurs, lors du regimen morum, de leur respect scrupuleux du mos maiorum permettait aux sénateurs de présenter leur opinion comme étant en adéquation avec ce même mos. Wilfried Nippel allait même jusqu’à dire que le Sénat était le seul habilité à pratiquer une exégèse du mos, ce qui impliquait arbitraire, mais aussi fiction29. Cette exégèse était fondamentale, puisque pour l’emporter, un avis se devait d’être présenté comme conforme au mos maiorum. Ainsi Andrew Wallace-Hadrill donne l’exemple du débat sur le sort des conjurés, en 63, au cours duquel César invoqua la clementia des maiores et Caton leur seueritas30. Dans les deux options, diamétralement opposées, le mos maiorum était sollicité. Pour arriver à une telle situation, l’interprétation et même la déformation étaient nécessaires. De tels arrangements étaient courants en raison de l’aversion bien connue des Romains pour la nouveauté et de leurs efforts pour rattacher les innovations au passé. Pour contourner la transgression que constituait une innovation, il fallait impérativement rattacher cette dernière au mos, ce qui ne pouvait se faire que par une réinterprétation d’exempla anciens, une invention, ou l’élévation de faits passés à ce rang. Il suffit de songer à la construction du Principat. Ce n’était toutefois qu’à moitié un jeu de dupes, comme les promesses de nos candidats aux élections. Ces revendications permanentes réaffirmaient que le Sénat était bien le garant du mos maiorum, que ses membres ne proposaient rien que les maiores n’auraient pas approuvé et méritaient à ce titre leur rang dans la cité. Elles permettaient en outre à l’auteur de la proposition de renforcer son auctoritas, puisqu’il se présentait comme un fervent défenseur du mos maiorum. Faire appel aux maiores appartenait donc à la grammaire politique romaine parce que cela était source d’auctoritas pour le Sénat et pour les sénateurs.
21En somme, le respect exemplaire du mos maiorum servait à sélectionner les sénateurs, contribuant à fonder l’auctoritas du Sénat, et était mis en avant dans les débats publics, aidant à imposer son avis. Il faut maintenant se demander pourquoi cette conformité au mos maiorum est une source de l’auctoritas du Sénat et des sénateurs.
Pourquoi la conformité au mos maiorum produit-elle de l’auctoritas ?
22Pour répondre à cette question, examinons tout d’abord ce qu’était le mos pour mieux saisir ce qu’impliquait son respect.
Mos, essai de définition
23Quelques auteurs latins ont proposé une définition du mos :
Fest., 147 L. s. v. Mos : Mos est <institutum pa>trium ; id est memoria ueterum pertinens maxime ad religiones <caerim>oniasque antiquorum.
Mos : le mos est ce qui a été établi par nos pères, c’est-à-dire la mémoire des anciens relative surtout aux pratiques religieuses et aux cérémonies des anciens.
Ulp., Reg., 1.4 : Mores sunt tacitus consensus populi, longa consuetudine inueteratus.
Les mores désignent l’accord tacite du peuple, enraciné par une longue habitude.
Serv., in Aen., 7.601 : MOS ERAT Varro uult morem esse communem consensum omnium simul habitantium, qui inueteratus consuetudinem facit.
Le mos était : Varron veut que le mos désigne l’accord unanime de tous ceux qui habitent ensemble, accord qui, une fois enraciné, fait l’habitude.
Isid., Orig., 5.3.2 : Mos est uetustate probata consuetudo, siue lex non scripta.
Le mos est l’habitude éprouvée par la longue durée, ou si l’on préfère la loi non écrite.
24Tous les quatre s’accordent donc à faire du mos une consuetudo, une habitude, héritée des ancêtres et confirmée par un long usage, au point d’apparaître parfois comme une loi non écrite. Toutefois, mos avait aussi une dimension morale assez marquée, comme l’illustre le regimen morum que nous venons d’étudier. Plus que des règles, les mores étaient des principes de conduite qui façonnaient l’image du Romain idéal partagée par tous.
25Ces principes de conduite étaient personnifiés dans de “petite[s] histoire[s] courte[s] qui rappelle[nt] un fait passé de la vie d’un grand homme”31 : les exempla. La conservation mémorielle d’un épisode sous forme d’exemplum signifiait consensus autour de sa signification et de sa valeur. Les Romains produisaient des exempla car il y avait un besoin, ils produisaient de la société comme dirait Maurice Godelier. De la sorte, selon Jean-Michel David, “les chaînes d’exempla qui réduisent les individus à des comportements répétitifs, sont autant de précédents qui fixent le mos maiorum et l’organisent en un système conceptuel et mnémonique”32. L’émotion que suscitaient ces anecdotes33 favorisaient leur mémorisation et ainsi l’intériorisation des normes et la constitution d’un imaginaire collectif. La transmission de ces exempla était assurée par une narration répétée dans divers médias : à côté de l’éducation qui perpétuait le souvenir d’un ancêtre, il faut songer à l’école parallèle, aux cérémonies publiques comme les funérailles, mais aussi aux discours, aux œuvres d’art et aux livres qui assuraient une diffusion dans l’ensemble de la communauté. Il y avait même des recueils d’exempla, comme celui de Valère Maxime, destinés autant à préserver la mémoire des hauts faits qu’à fournir de la matière aux orateurs. Les censeurs jouaient un rôle dans cette mise en récit afin d’ériger les actions des ancêtres en modèles. Les juristes également, puisqu’ils contribuèrent à inventer le mos maiorum en développant le ius écrit. De la sorte, cet horizon d’attentes était largement partagé et permettait d’orienter et d’apprécier les conduites de tout un chacun. Enfin, le sondage que David a réalisé sur les discours judiciaires de Cicéron montre que sur les 400 personnages évoqués dans les 200 exempla recensés, 25 ne sont pas romains et surtout seuls 6 ne sont pas magistrats34 !
La continuité avec le passé
26Agir conformément au mos maiorum signifiait donc suivre le modèle des anciens magistrats de Rome. Les définitions citées précédemment présentaient le mos comme une pratique fortifiée par l’usage jusqu’au temps présent. Comme l’écrivait Aldo Schiavone :
“[le mos] permettait de normaliser le présent, de réduire ses incertitudes et ses bouleversements, en le ramenant à quelque chose d’archétypal et de reproductible. Nous sommes aux origines de ce qu’on appelle le “conservatisme” romain : l’usage (et l’invention) de la répétition et de la durée pour rassurer, face au chaos de la vie ; le poids de la tradition contre la légèreté volatile et risquée de choix et de comportement dépourvus de précédents”35.
27En ce sens, l’auctoritas découlait du respect du mos maiorum, car ce respect exprimait le recommencement et non l’innovation, idée qu’il faut peut-être mettre en lien avec la possible conception cyclique du temps des Romains36. Andrew Wallace-Hadrill notait également cette image d’un passé fluide et sans frontières donnant l’impression qu’à toutes les époques, les Romains agissaient de la même manière, ignorant volontairement les différents conflits de leur histoire37.
28Selon David, cette synergie entre le présent et le passé “ne peut se faire qu’autant que les personnes s’effacent derrière leurs actes et les images qui s’en dégagent”, d’où “le caractère souvent répétitif et conformiste des témoignages que les Romains ont cherché à laisser d’eux”38. L’appel au mos maiorum et l’interprétation des exempla qui en découlait favorisaient cette réduction, car elle impliquait un remaniement selon les besoins du moment. La conformité au mos maiorum visait donc à créer une sorte de consensus transgénérationnel source d’auctoritas : de génération en génération on agissait de même pour la gloire de Rome. Il s’opérait une sorte de transfert : l’auctoritas des maiores, qui avaient amené Rome où elle en était, venait s’ajouter à l’auctoritas de celui qui se conformait au mos maiorum.
29Cette recherche se retrouvait dans l’imitation au cœur de l’éducation romaine. En donnant à penser qu’on agissait comme l’aurait fait le parent, l’ancêtre voire le pseudo-ancêtre39, que l’on avait fréquenté et/ou étudié40, on revendiquait une continuité avec les maiores qui conférait de l’auctoritas. Auguste témoigne dans ses Res Gestae de ce même souci de continuité par l’imitation :
RGDA 8.5 : Legibus noui[s] m[e auctore l]atis m[ulta e]xempla maiorum exolescentia iam ex nostro [saecul]o red[uxi et ipse] multarum rer[um exe]mpla imitanda pos[teris tradidi].
“Par le vote de lois nouvelles dont j’étais l’auteur, j’ai restauré les nombreux exempla de maiores qui tombaient en désuétude à l’issue de notre siècle et, moi-même, j’ai livré à la postérité des exemples à imiter dans de nombreux domaines”.
30Ainsi, selon l’analyse de Frédéric Hurlet :
“[Auguste] s’y considère comme un modèle à imiter dans l’avenir parce qu’il imita lui-même les actions de ses ascendants et des grandes figures de l’histoire romaine”41.
31Naturellement ces maiores, comme le reste du passé romain, étaient idéalisés, et cela commençait sans doute dès leurs funérailles. Il n’y a qu’à rappeler l’éloge funèbre de L. Caecilius Metellus, le consul de 251, qui aurait, selon son fils, atteint les dix maximae res optimaeque42. L’idéalisation nécessaire pour produire l’exemplum aboutissait à ce que les maiores appartenaient à un monde différent, comme le soulignait Wallace-Hadrill43. L’imitation nécessitait donc un effort et c’était aussi pour cela qu’y parvenir était source d’auctoritas. D’où la nostalgie de Cicéron : l’État romain “pourrait (poterat) être immortel, si l’on y vivait selon les institutions et les mœurs de nos ancêtres”44. Cette affirmation nous invite à nous pencher sur le contenu du mos maiorum : que prescrivait-il pour que s’y conformer fût difficile et source d’auctoritas ?
Le bien commun
32On l’a dit, les modèles fournis par les exempla étaient ceux de magistrats ayant agi grâce à leur imperium de manière énergique ou ayant su imposer leur avis dans des situations critiques. Le mos maiorum rassemblerait les bons usages de l’imperium ou de l’auctoritas. Ce bon usage, Cicéron l’éclaire :
Cic., Rep., 1.52 : Virtute uero gubernante rem publicam quid potest esse praeclarius ? cum is, qui inperat aliis, seruit ipse nulli cupiditati, cum, quas ad res ciuis instituit et uocat, eas omnis conplexus est ipse nec leges inponit populo, quibus ipse non pareat, sed suam uitam ut legem praefert suis ciuibus. […] quibus rem publicam tuentibus beatissimos esse populos necesse est uacuos omni cura et cogitatione aliis permisso otio suo, quibus id tuendum est neque committendum, ut sua commoda populus neglegi a principibus putet.
“Pourtant que pourrait-il y avoir de plus admirable que le gouvernement d’un État par la vertu ? Quand celui qui commande aux autres n’obéit lui-même à aucun désir égoïste ; quand il a lui-même embrassé toutes les tâches auxquelles il forme et appelle ses concitoyens ; quand il n’impose au peuple aucune loi à laquelle il ne se soumette pas lui-même, mais quand sa propre vie, offerte aux yeux de ses concitoyens, peut servir de loi. […] Il en résulte nécessairement que, si les meilleurs veillent sur l’État, les peuples sont au comble du bonheur ; ils sont délivrés de tout souci, ils n’ont plus à réfléchir, puisqu’ils ont confié le soin de leur tranquillité à d’autres, qui ont à la sauvegarder et à empêcher que le peuple ne vienne à penser que ses intérêts sont négligés par les premiers citoyens” (trad. E. Bréguet, CUF).
33La vertu au pouvoir est donc au service de la cité. C’est ce qui distingue l’aristocratie de la tyrannie comme Cicéron l’écrit un peu plus loin :
Cic., Rep., 1.65 : quem si optimates oppresserunt, quod ferme euenit, habet statum res publica de tribus secundarium ; est enim quasi regium, id est patrium consilium populo bene consulentium principum.
“Si une aristocratie renverse le tyran, ce qui se produit en général, l’État revêt alors la seconde des trois formes possibles ; on a, en effet, un conseil presque royal, c’est-à-dire paternel, composé de personnages du premier rang qui prennent, dans l’intérêt du peuple, de bonnes décisions” (trad. E. Bréguet, CUF).
34Cicéron le répète ailleurs, dans le de Legibus :
Cic., Leg., 3.8 : Ollis salus populi suprema lex esto
“pour eux [les magistrats], le salut du peuple sera la loi suprême” (trad. G. De Plinval, CUF).
Cic., Leg., 3.11 : Loco senator et modo orato, causas populi teneto.
“que le sénateur parle à son rang et avec mesure ; qu’il connaisse les affaires du peuple” (trad. G. De Plinval, CUF).
35À côté de ces propos théoriques, nombreux sont les exempla qui mettent en avant la priorité donnée à la cité sur l’individu ou sa famille. Le plus important est celui de Brutus, le premier consul, qui fit mettre à mort ses propres fils parce qu’ils conspiraient contre la jeune République. Se sacrifier pour la cité est la règle, que ce soit sur le champ de bataille comme les Decii Mures, ou pour préserver l’ordre public à l’instar de Torquatus faisant mettre à mort son fils désobéissant45. Parfois, c’est simplement laisser ses inimitiés personnelles de côté comme lorsque Fabricius appela à voter pour Rufinus (cf. infra, 77-78) ou que C. Claudius Nero et M. Livius Salinator durent se réconcilier publiquement pour gérer ensemble le consulat de 20846. Respecter le mos maiorum c’était donc agir d’abord pour le bien de Rome. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’aucun exemplum ou presque ne remonte à l’époque monarchique. En assimilant la royauté à la tyrannie, il devenait impossible d’y placer des exemples de dévouement pour la cité. Dans le même sens, l’adfectatio regni peut apparaître comme le crime de vouloir agir pour son seul profit sans plus songer à la res publica.
36Cette priorité donnée à la cité contre le groupe familial ou contre l’intérêt individuel n’allait pas de soi. Elle se construisit progressivement contre le système gentilice, dont l’expédition des 300 Fabii fut une des ultimes manifestations. Maurice Godelier écrivait que “la grande leçon de toutes les initiations [était] : être fort mais mettre sa force au service des autres”47, mais ces autres pouvaient changer selon les sociétés. Le sens général des exempla des ve et ive siècles, de Brutus à Cn. Flavius en passant par Coriolan, Mucius Scaevola ou Camille était de faire passer la cité avant tout le reste, avant le groupe social, avant la gens, avant la famille et même avant soi-même.
37Se conformer au mos maiorum signifiait donc agir en tout circonstance pour le bien de la cité. Un tel code de conduite prémunissait la République contre l’oligarchie, la tyrannie et les dérives personnelles. La classe dirigeante trouvait son compte à le respecter, puisque cela légitimait sa position. Les intérêts de la cité et ceux de la classe dirigeante s’entremêlaient ainsi, favorisant le respect d’un mos maiorum alimenté et transmis principalement par les aristocrates. Ceux-ci débattaient d’ailleurs des formes que devaient prendre ce dévouement. À L. Licinius Crassus qui, pour soutenir la loi Servilia de 106 redonnant les jurys aux sénateurs48, affirmait que le Sénat était l’esclave du peuple, on répondit “le Sénat, auquel le peuple lui-même a remis le pouvoir, disons : a remis les rênes, pour le conduire et le gouverner à son gré !”49. Crassus, défendant une loi voulue par les optimates, exprimait sans doute la vision que ceux-ci avaient du fonctionnement des institutions en adéquation avec le mos maiorum.
38En définitive, se conformer au mos, c’était donner l’assurance de ne pas agir pour soi, mais pour la collectivité. Cela correspondait aux attentes des Romains envers les dirigeants et créait une confiance au sens de Niklas Luhmann : une réduction de la complexité du monde et des incertitudes. On pouvait dès lors déléguer le pouvoir, comme le remarquait déjà Cicéron cité plus haut (Cic., Rep., 1.52 : uacuos omni cura et cogitatione) et consentir aux décisions proposées par les sénateurs, c’est-à-dire leur accorder une auctoritas. Respecter le mos maiorum rassurait et était pour cela source d’auctoritas. On discerne là une sorte de contrat social : la conformité au mos maiorum était source d’auctoritas car elle garantissait que celle-ci serait employée en vue de l’intérêt général. C’est ce que remarquait déjà David :
“Le modèle auquel ces personnages se conformaient devait nécessairement être socialement partagé. Il n’avait d’efficacité que si les vertus qui étaient exaltées s’exerçaient au profit de la communauté et avaient pour effet de la conforter”50.
39Un des fondements de l’autorité est en effet le postulat que le conseilleur agit pour le bien du conseillé. Les exempla que regroupait le mos maiorum consolidaient ce postulat. Le plus révélateur est l’épisode où P. Cornelius Scipio Nasica Serapio, le consul de 138, s’opposa à des achats de blé :
V. Max. 3.7.3 : Cuius instituti minime utilis interpellandi gratia Nasica contrariam actionem ordiri coepit. Obstrepente deinde plebe “tacete, quaeso, Quirites”, inquit : “plus ego enim quam uos quid rei publicae expediat intellego”. Qua uoce audita omnes pleno uenerationis silentio maiorem auctoritatis eius quam suorum alimentorum respectum egerunt.
“Ce projet fort peu utile, Nasica voulait en empêcher la réalisation et il se mit pour cela à exposer le point de vue inverse. Puis, quand la plèbe l’interrompit par ses cris : “Taisez-vous, s’il vous plaît, citoyens, dit-il, car je sais mieux que vous ce qui est utile à l’État”. À ces mots tous marquèrent un silence plein de respect, accordant plus d’importance à l’autorité qu’il manifestait qu’au ravitaillement qui les préoccupait” (trad. R. Combès, CUF).
40On comprend aussi pourquoi Cicéron affirmait que l’État romain “pourrait être immortel, si l’on y vivait selon les institutions et les mœurs de nos ancêtres”51 . Un siècle plus tôt, Ennius exprimait déjà la même opinion :
Ennius, Ann., 5, v. 156 Skutsch (ap. Cic., Rep., 5.1) : Moribus antiquis res stat Romana uirisque
“C’est grâce aux mœurs et aux hommes d’autrefois que Rome est debout” (trad. E. Bréguet, CUF).
41Il faut peut-être comprendre de la même façon les critiques que Cicéron formulait contre les lois tabellaires qu’il accusait d’avoir anéanti l’auctoritas des optimates52. Le vote secret favorisait la recherche de l’intérêt individuel, l’égoïsme se développant à l’abri des regards. Il nuisait également à l’exemplarité des aristocrates, qui ne pouvait plus manifester publiquement leur respect du mos maiorum et du bien commun, incitant le reste des citoyens à les imiter. Là résidait peut-être aussi la défense de M. Aemilius Scaurus, le consul de 115 :
V. Max. 3.7.8 : Varius Seuerus Sucronensis Aemilium Scaurum regia mercede corruptum imperium populi Romani prodidisse ait, Aemilius Scaurus huic se adfinem esse culpae negat : utri creditis ?
“Varius Severus, qui est né à Sucro, déclare qu’Aemilius Scaurus s’est laissé acheter par un roi pour trahir l’Empire romain. Aemilius Scaurus affirme qu’une telle faute ne peut lui être imputée. Qui croyez-vous des deux ?” (trad. R. Combes, CUF)
42Scaurus, alors princeps senatus, jouissait d’une auctoritas considérable dont il usa pour repousser l’accusation de son adversaire. Toutefois, sa défense ne consistait peut-être pas (ou du moins pas seulement) à souligner l’écart de statut entre les deux parties et donc entre le poids des deux paroles, mais à rappeler que par ses actes il avait prouvé son respect du mos maiorum, donc son désintéressement et donc l’impossibilité des faits qu’on lui reprochait.
43C’est ce désintéressement affiché qui valait à Caton d’Utique une auctoritas sans rapport avec son rang réel au Sénat. Il personnifiait plus que les autres le mos maiorum, notamment en imitant son ancêtre, Caton l’Ancien, qui s’était lui-même présenté un siècle plus tôt comme le principal défenseur du mos maiorum. Étaler une image d’austérité, à l’époque d’un Crassus, entraînait la conviction que Caton agissait exclusivement pour la res publica53. C’est ainsi qu’on l’envoya en Égypte. Bien entendu, Caton n’était pas pauvre : la richesse, en incitant au désintéressement, pouvait même apparaître comme une source d’auctoritas54. Il fallait donc avoir une certaine attitude vis-à-vis de l’argent. Ainsi en 275 déjà, P. Cornelius Rufinus avait été exclu du Sénat pour douze livres d’argent par C. Fabricius Luscinus. Ce modèle d’austérité avait autrefois dénoncé la cupidité de son adversaire :
Cic., De Or., 2.268 : ut, cum C. Fabricio P. Cornelius, homo, ut existimabatur, auarus et furax, sed egregie fortis et bonus imperator, gratias ageret, quod se homo inimicus consulem fecisset, bello praesertim magno et graui “nihil est, quod mihi gratias agas”, inquit “si malui compilari quam uenire”.
“P. Cornelius passait pour avare et pillard ; mais il était un général remarquablement brave et habile. Il remerciait C. Fabricius de lui avoir, malgré son inimitié, donné sa voix pour le consulat, surtout au moment d’une guerre difficile et dangereuse : “Tu n’as pas lieu de me remercier, lui dit Fabricius ; j’ai mieux aimé être pillé que vendu” (trad. E. Courbaud, CUF)55.
44On le voit, les circonstances avaient convaincu Fabricius de faire abstraction de l’avidité de Rufinus et de lui confier un commandement militaire, car ce qui comptait pour cette tâche était la compétence. En revanche, pour exprimer un avis au Sénat et y exercer une certaine influence en tant qu’ancien dictateur et triomphateur, il en allait autrement puisqu’on attendait un respect du mos maiorum et notamment une tempérance vis-à-vis des richesses.
45Le respect du mos maiorum était donc source d’auctoritas, car il signifiait agir pour le bien commun, à l’instar des maiores qui avaient contribué à la grandeur de Rome. En ce sens, mettre en avant la conformité d’une proposition avec le mos maiorum était un moyen de rallier le plus grand nombre et donc d’imposer son avis.
Le consensus
46Les exempla invoqués dans les débats étaient des anecdotes s’inscrivant dans un contexte donné. La similarité des contextes justifiait le recours à l’exemplum parce qu’il offrait une solution ayant fait ses preuves. Le mos maiorum n’était pas une idéologie qui obligeait à agir selon certains principes et objectifs56. Il s’apparentait plutôt à un recueil de conseils rappelant le pragmatisme bien connu des Romains. Même si le choix ou l’interprétation de l’exemplum pouvait différer, cela ne créait pas une rupture insurmontable comme le ferait un débat idéologique. Le ralliement à une proposition s’appuyant sur un exemplum était possible car tout sénateur se devait de respecter le mos maiorum. Il ne trahissait pas ses idées, mais agissait pour le bien commun en suivant un avis en adéquation avec le mos maiorum.
47Il faut ici rappeler que l’autorité implique l’idée d’une opposition et le renoncement, conscient et volontaire, à cette opposition. Or l’appel aux maiores favorisait ce renoncement et permettait d’obtenir le consentement, c’est-à-dire de faire preuve d’auctoritas. Reconnaître la conformité d’une proposition au mos maiorum était la première étape vers le ralliement à celle-ci. En effet, l’avis était d’autant plus à même de rencontrer un écho favorable auprès des autres sénateurs qu’étant issus du même moule, ils partageaient les mêmes modèles et les mêmes valeurs. Proclamer son respect du mos maiorum favorisait donc l’acceptation de la proposition, mais incitait aussi à nuancer sa position pour qu’elle s’inscrivît dans le cadre conceptuel partagé et permît le ralliement de tous. En somme, le mos maiorum étant unanimement accepté, le ralliement pouvait être total et déboucher sur une unanimité, au moins de façade, chose impossible avec un débat idéologique.
48Le jeu politique reposait sur cette instrumentalisation du mos maiorum pour soutenir chaque proposition et créer ainsi l’illusion d’une unanimité présente, mais aussi d’une continuité avec le passé. Dans mos maiorum, il ne faut pas oublier les maiores : l’autorité des ancêtres, rappelait Wilfried Nippel, était aussi invoquée pour que chaque décision parût avoir été prise avec une pratique longuement établie57 et, je souhaiterais ajouter, largement partagée. Le respect du mos maiorum permettait donc d’aboutir plus facilement au consensus si ancré dans le système politique romain. Il contribuait à légitimer la domination du Sénat sur la res publica.
49En somme, agir conformément au mos maiorum était source d’auctoritas parce que cela favorisait le consensus en faisant reposer la décision sur un socle de valeurs partagé par tous et en créant une continuité entre les ancêtres, idéalisés, et le présent. En outre, le respect du mos maiorum impliquait des conduites qui façonnaient en quelque sorte un habitus de l’auctoritas.
L’habitus de l’auctoritas
50Il s’agit désormais de nous pencher non plus sur les situations où le respect du mos maiorum était revendiqué ponctuellement, mais sur les pratiques largement partagées considérées comme conformes au mos.
Le consilium au cœur du système romain
51À Rome, quelle que fût la situation, la prise de décision était assistée. Le pater familias comme le magistrat faisait appel à un consilium et cette habitude relevait pleinement du mos maiorum. En effet, en 307, la première exclusion du Sénat par les censeurs concernait un certain L. Antonius parce qu’il n’avait pas réuni le consilium avant de divorcer58. Demander conseil était une pratique généralisée à la plupart des questions et les personnes à qui on faisait appel en retiraient un certain prestige comme le rapporte Cicéron :
Cic, De Or., 3.133 : Equidem saepe hoc audiui de patre et de socero meo, nostros quoque homines, qui excellere sapientiae gloria uellent, omnia, quae quidem tum haec ciuitas nosset, solitos esse complecti. Meminerant illi Sex. Aelium ; M’. uero Manilium nos etiam uidimus transuerso ambulantem foro ; quod erat insigne eum, qui id faceret, facere ciuibus suis omnibus consili sui copiam ; ad quos olim et ita ambulantis et in solio sedentis domi sic adibatur, non solum ut de iure ciuili ad eos, uerum etiam de filia conlocanda, de fundo emendo, de agro colendo, de omni denique aut officio aut negotio referretur.
“Pour moi, j’ai souvent entendu dire à mon père et à mon beau-père que, chez nous aussi, ceux qui cherchaient à se distinguer en méritant le glorieux titre de sages avaient coutume d’embrasser tout le savoir, j’entends tout le savoir auquel notre cité était alors parvenue. Ils se rappelaient Sex. Aelius – de même que nous avons, nous, vu M’. Manilius – se promenant d’un bout à l’autre du forum, ce qui était une manière d’indiquer nettement à tous ses concitoyens qu’il tenait ses conseils à leur disposition ; et, autrefois, tandis qu’ils se promenaient ainsi ou qu’ils attendaient chez eux dans leur fauteuil, on allait les trouver pour les consulter non seulement sur le droit, mais sur une fille à établir, une terre à acheter, un champ à cultiver, bref sur toute sorte de devoirs ou d’affaires” (trad. H. Bornecque et E. Courbaud, CUF).
52Cette pratique du consilium doit être liée à l’importance du clientélisme dans la cité romaine. Denys d’Halicarnasse rapporte que Romulus lui-même serait à l’origine des rapports de patronat59. Il s’agissait d’ancrer dans le plus lointain passé ce qui était perçu comme un pilier de la société romaine. Respecter le mos maiorum, c’était donc consulter son patron, ses amis, ses parents avant toute décision importante. C’était sans doute aussi suivre le conseil donné à cette occasion, en particulier lorsqu’il était donné par quelqu’un que l’on jugeait supérieur et qui jouissait donc d’une auctoritas.
53Dans le même temps, on attendait des patrons, des parents, des amis, de fournir des conseils lorsqu’on le demandait. Dans ce cadre, prodiguer de nombreux conseils était un moyen de réaffirmer sa supériorité sociale et donc d’accroître son auctoritas lorsqu’ils étaient suivis. C’est pourquoi Sex. Aelius et M’. Manilius arpentaient le forum en quête de conseils à donner. La compétition aristocratique s’exprimait aussi dans l’influence exercée auprès de ses concitoyens dans leur vie quotidienne. En demandant conseil auprès des aristocrates, les Romains reconnaissaient leur supériorité et s’habituaient à suivre leurs recommandations. On aperçoit ici combien le consilium et son pendant, l’auctoritas, étaient au cœur du système aristocratique romain au point que le consilium incarnait même le régime politique selon Cicéron :
“Ainsi les rois nous gagnent par l’affection, les optimates par le conseil, les peuples par la liberté”60.
54La pratique de la décision assistée, profondément enracinée dans le mos maiorum, créait un terreau favorable à l’exercice de l’auctoritas puisque tous les Romains, y compris les aristocrates, étaient habitués à écouter les conseils d’autrui. C’est pourquoi il me semble que l’on peut parler d’habitus de l’auctoritas. Or cet habitus se manifestait aussi dans la vie politique et était intériorisé dès les premières années de carrière.
Le costume du sénateur
55On l’a dit, les exempla étaient presque exclusivement ceux de magistrats. Les modèles que l’on donnait aux jeunes Romains, tout particulièrement aux jeunes aristocrates, les destinaient à devenir eux-mêmes magistrats et donc, à terme, sénateurs. De la sorte le début de carrière des sénateurs était marqué par un conformisme rassurant. Suivre le mos maiorum n’était pas suivre une ligne politique, mais réagir conformément aux attentes des concitoyens, en accord avec les exempla des ancêtres. Cela signifiait adopter une conduite et des pratiques reconnues conformes par tous. Parce qu’il se comportait en homme d’État avant de l’être véritablement, le jeune aristocrate pouvait investir pleinement le costume du magistrat et du sénateur dès sa nomination. Il incitait les censeurs à le recruter ou le peuple à lui confier une charge publique. Philippe Le Doze écrivait ainsi à partir du Commentariolum Petitionis :
“Par sa conduite passée, le candidat doit laisser présager qu’il saura défendre l’autorité du Sénat, préserver la tranquillité publique nécessaire aux boni uiri et les intérêts de la foule. Laisser naître des espérances, non proposer. […] le bon candidat à une élection n’est pas celui qui avance des idées, mais celui qui est actif (nauus), vertueux (innocens), éloquent (disertus) et qui a du crédit (gratiosus)”61.
56Le candidat faisait ainsi montre des vertus consensuelles pour rassurer quant à son éventuel exercice de l’imperium tout en se forgeant une image génératrice d’auctoritas car rappelant la conduite des maiores. Le respect du mos maiorum venait pallier l’absence d’expérience des plus jeunes et créait une continuité entre les anciens et les nouveaux, favorisant une solidarité intergénérationnelle parmi les sénateurs : les jeunes respectaient les anciens qui en échange leur préparaient le terrain. Respecter le mos maiorum, c’était bénéficier de l’auctoritas des anciens et des ancêtres et se présenter ainsi comme un successeur légitime aux grands hommes du moment et du passé.
57Bien entendu, l’habitus de l’auctoritas se retrouvait dans les débats. Ainsi Karl-Joachim Hölkeskamp a montré combien, dans la culture politique romaine, la structure de la communication était asymétrique : l’orateur étant supérieur au public, on attendait de ce dernier qu’il fît preuve de déférence et d’obéissance62. Au sein du Sénat également on retrouvait cette habitude, prescrite par le mos maiorum, de suivre l’avis de ceux qui incarnaient ou proclamaient respecter le mos maiorum.
Débats au sein du Sénat
58Le fait que la nobilitas soit une noblesse politique renforçait cette situation. Rien n’était acquis, il fallait à chaque génération égaler les ancêtres. L’ethos aristocratique romain était entièrement tourné vers l’exercice du pouvoir63 et favorisait la construction d’une image publique source d’auctoritas. Comme le rappelait Maurizio Bettini, si quelqu’un qui a de l’auctoritas exprime une pensée, cela signifie que cette pensée peut devenir concrète, peut donner lieu à une action64. On revient là au sens le plus ancien d’augeo comme acte créateur65. Or, grâce à son expérience et à sa position sociale aisément identifiable, un sénateur pouvait garantir aussi bien l’origine d’une pensée que la possibilité de son développement. Seulement, les plus expérimentés ne devaient pas toujours l’emporter sinon le principe fondamental du régime républicain, le partage du pouvoir, aurait été bafoué. C’est pourquoi on évaluait aussi les propositions et les personnes à l’aune du mos maiorum. Cette subjectivité était salutaire pour la compétition aristocratique, puisqu’elle permettait de remettre régulièrement en jeu les positions. Le sénateur imposant son avis n’était pas toujours le même, il remettait à chaque fois son auctoritas dans la balance qui pouvait sortir renforcée… ou diminuée en cas d’échec. Et cette situation fluctuante était acceptée aussi car les Romains étaient habitués depuis leur plus jeune âge à recevoir des conseils des plus âgés avant d’en prodiguer eux-mêmes.
59On sait ainsi qu’au sein du Sénat, l’avis des censoriens et consulaires avait tendance à l’emporter. Bien sûr, l’ordre de prise de parole, réglé par le mos maiorum, faisait que c’étaient eux qui parlaient le plus, comme l’a montré Marianne Bonnefond-Coudry66. À cela s’ajoutaient leur plus grande expérience et leur compétence, sources d’auctoritas. Leur ancienneté les rapprochait des maiores tant célébrés, ils en conservaient le souvenir pour la génération suivante. Caton l’Ancien exerça une forte influence à la fin de sa vie en grande partie à cause de sa longévité : il était devenu un ancêtre vivant, le seul contemporain des Scipions et autres Fabius, de sorte qu’il apparaissait comme la personnification du mos maiorum67. Toutefois, je crois que les avis des consulaires et censoriens l’emportaient aussi parce que les Romains étaient habitués à suivre l’avis des anciens68. C’était le cas lorsqu’ils réunissaient leur consilium pour prendre une décision. En outre, les jeunes sénateurs aspiraient à devenir un jour de respectables consulaires et ce jour-là, ils espéraient bien que leur avis serait suivi pour renforcer leur dignitas. Cicéron exprimait ce principe dans le de Legibus :
Cic., Leg., 3.5 : Nam et qui bene imperat, paruerit aliquando necesse est, et qui modeste paret, uidetur qui aliquando imperet dignus esse. Itaque oportet et eum qui paret sperare se aliquo tempore imperaturum, et illum qui imperat cogitare breui tempore sibi esse parendum.
“car celui qui exerce bien le commandement, il est nécessaire qu’il ait un jour obéi, et celui qui obéit avec discipline a tout lieu de paraître digne de commander un jour. C’est pourquoi il faut que celui qui obéit ait l’espoir de commander en un temps ou un autre et que celui qui exerce le commandement songe que dans un temps assez court il aura le devoir d’obéir” (trad. G. De Plinval, CUF).
60Cicéron renvoyait certes plutôt à l’imperium, mais je crois qu’on peut appliquer sa réflexion aussi à l’auctoritas. Cette soumission à l’auctoritas des anciens sénateurs faisait partie de l’apprentissage, elle les préparait à l’exercer ensuite. Suivre l’avis des consulaires et censoriens, et ainsi leur reconnaître une auctoritas, était surtout une consuetudo qui garantissait la stabilité de l’ordre politique, de la hiérarchie sociale et de la compétition aristocratique. En se soumettant à l’avis de leurs aînés, ils montraient l’exemple au peuple dont on attendait qu’il suivît à son tour la décision du Sénat. Les jeunes sénateurs avaient donc tout intérêt à écouter leurs aînés pour que le système qui les plaçait au sommet se maintînt. À quoi bon aspirer au consulat si sa gestion n’assurait pas ensuite une position prééminente par l’exercice de l’auctoritas. Le cursus honorum n’était qu’un moyen pour parvenir à exercer une influence toujours plus grande dans la vie publique comme le souligne Cicéron :
Cic., Sen., 60-61 : apex est autem senectutis auctoritas. […] Habet senectus honorata praesertim tantam auctoritatem, ut ea pluris sit quam omnes adulescentiae uoluptates.
“Le prestige (auctoritas), voilà la couronne de la vieillesse ! […] La vieillesse, surtout celle qui a passé par les honneurs a un prestige (auctoritas) tel qu’il l’emporte sur tous les plaisirs de l’adolescence” (trad. P. Wuilleumier, CUF).
61Évidemment, il s’agit là du fonctionnement idéal de la République : les anciens ne dirigeaient pas la République par un simple signe de tête, comme le disait Cicéron dans ce même passage. L’auctoritas des vieux sénateurs était néanmoins reconnue parce qu’on espérait goûter soi-même à cette uoluptas dans quelques années. La reproduction des conduites était au cœur du fonctionnement de l’auctoritas dans le Sénat ; or cette reproduction était assurée par le respect du mos maiorum.
62De la même manière, on attendait des magistrats qu’ils demandent l’avis du Sénat pour presque toute question et qu’ils s’y plient. Si le magistrat acceptait une telle contrainte, c’était parce qu’il savait qu’à l’issue de sa charge il retournerait sur les bancs de la curie. Durant sa courte année d’exercice, le magistrat n’avait aucun intérêt à s’aliéner ses pairs et à fragiliser un système politique qui avantageait son groupe. En outre, le sénateur avait lui-même siégé au Sénat avant de revêtir la préture ou le consulat, ce qui avait renforcé son intériorisation des normes de conduite définies par le mos maiorum. Les autres ayant respecté le mos avec le plus grand bénéfice pour eux ensuite, il était naturel de faire de même une fois en charge. L’auctoritas du Sénat était renforcée par les générations de magistrats ayant suivi ses directives et cette accumulation incitait les suivants à faire de même.
63En définitive, des années à accepter les conseils d’autres jugés meilleurs avaient forgé la conviction partagée et profondément ancrée que les magistrats et le peuple devaient suivre l’avis du Sénat et qu’au sein de ce dernier les avis des plus anciens devaient l’emporter. C’était l’ordre des choses répercuté à travers les exempla. Mais cet ordre était-il accepté seulement par habitude et parce qu’on espérait un jour être à son tour au sommet ? N’y avait-il pas un intérêt collectif à ce fonctionnement ?
Du singulier au collectif
64Paradoxalement, selon Nippel, “To submit themselves to the will of a body that represented the collective political wisdom of the Romans neither diminishes the role of the public officials nor detracts from the people’s freedom”69. En effet personne n’est obligé de suivre le conseil donné. Pouvait-il toutefois en être autrement lorsque celui-ci était donné par les optimi de la cité ? Quels qu’eussent été les débats au sein du Sénat, l’avis que ce dernier exprimait était considéré comme celui du groupe tout entier. Il y avait donc l’illusion d’une unanimité et celle-ci était nécessaire pour que l’auctoritas jouât à plein car :
Cic., Rep., 1.60 : In qua, si plures translata res sit, intellegi iam licet nullum fore quod praesit imperium, quod quidem, nisi unum sit, esse nullum potest.
“Si on confie à plusieurs les affaires publiques, il est évident qu’il n’y aura plus aucun pouvoir suprême ; et si le pouvoir n’est pas un, il ne peut pas exister” (trad. E. Bréguet, CUF).
65Dans le même sens, Cicéron écrivait également dans le de Legibus que la grauitas des décisions du Sénat était d’autant plus grande que de nombreux sénateurs étaient présents70. L’auctoritas n’était pas l’imperium et la conscience de cette unité nécessaire du pouvoir était partagée par les sénateurs qui avaient, presque tous, exercé des charges publiques. C’est pourquoi on attendait d’eux de respecter la décision prise pour ne pas fragiliser la domination du Sénat et le système républicain71.
66Dans la même perspective, en conseillant le magistrat, le Sénat se retrouvait collectivement responsable de la politique menée selon Richard Heinze72, et ce d’autant plus qu’il gérait sur le temps long contrairement aux magistrats élus pour une année. L’action politique résultait du consensus des optimi, renforçant le groupe et non pas le seul magistrat en exercice. La conduite idéale du magistrat, consistant à demander l’avis des pairs, contribuait à fondre les individualités et à diluer les responsabilités individuelles pour le plus grand bénéfice de la classe dirigeante. Dans cette perspective, le tyran était non seulement celui qui violait les lois qu’il était supposé protéger, mais aussi celui qui agissait selon son bon plaisir, ignorant les avis des différents consilia. L’auctoritas viserait ainsi à amoindrir les capacités d’initiative des détenteurs d’imperium pour réduire les risques de dérive tyrannique. Le mauvais magistrat était donc celui qui méprisait l’avis des dieux, comme P. Claudius Pulcher à Drépane en 249, ou de ses pairs.
67Lors des débats au Sénat, l’emploi de l’auctoritas cherchait également à éviter le piège de la minorité. Bien sûr, un vote était souvent nécessaire, mais parfois l’auctoritas d’un sénateur s’imposait rapidement à tous ou presque. Dans ce cas, le Sénat n’était pas divisé en deux camps dont l’un pouvait apparaître comme un “vaincu”. Consentir à l’auctoritas évitait les tensions, les humiliations et les inimitiés découlant du vote. Incontestablement, suivre l’avis d’autrui revenait à reconnaître sa supériorité, mais celle-ci n’était que passagère et, à ce titre, acceptable. Le consentement n’était pas une défaite, simplement une occasion manquée d’exercer son influence. La partie se rejouerait bientôt. En outre, comme le soulignait Arendt, faire preuve d’autorité évitait également de recourir à la force et à l’argumentation, les deux ayant un coût élevé. L’auctoritas, en offrant à tous la possibilité d’un ralliement, créait une unanimité de façade et accélérait la prise de décision. En somme, le système de l’auctoritas favorisait l’obtention du consensus, limitait les tensions au sein de la classe dirigeante en transformant le débat en compétition éternellement recommencée et permettait une meilleure efficacité du pouvoir.
68Les aristocrates romains se pliaient d’autant plus facilement à l’auctoritas d’autrui que la prise de décision assistée était un élément central du mos maiorum. Il y avait donc un habitus de l’auctoritas, transmis par l’imitation des anciens et des ancêtres, qui facilitait son fonctionnement dans la vie politique. L’auctoritas apparaissait ainsi au cœur du système aristocratique romain puisqu’elle résultait du mérite individuel et que son emploi favorisait la reproduction et la légitimation de la classe dirigeante. Toutefois, le mos maiorum était une construction sociale et, à ce titre, son respect et son contenu pouvaient varier, fragilisant ceux qui s’en réclamaient et l’auctoritas qu’ils espéraient retirer de cette conformité.
Les limites à la conformité au mos maiorum comme source d’auctoritas
Les censeurs, incarnations du mos maiorum ?
69Un bon exemple pour comprendre les difficultés à fonder son auctoritas sur le respect du mos maiorum me paraît être celui des censeurs. Ils ne détenaient pas d’imperium pour imposer leurs décisions et ils n’appliquaient pas de dispositions légales. En effet, jamais les Romains ne ressentirent le besoin d’établir des critères légaux de recrutement au Sénat, à l’exception de l’instauration d’un seuil censitaire au début du Principat73. Les censeurs agissaient donc grâce à leur seule auctoritas, mais sur quoi reposait-elle ? Par leur longue carrière, dont la censure était l’aboutissement, les censeurs avaient manifesté leur respect du mos maiorum. Ils étaient ainsi habilités à agir en son nom. C’est pourquoi j’ai comparé ailleurs les procédures du regimen morum aux cérémonies de dégradation statutaire analysées par Harold Garfinkel74. Selon moi, les censeurs respectaient les conditions 4, 5 et 6, à savoir qu’ils agissaient au nom des valeurs transgressées, les mettant ainsi en évidence, et qu’ils se présentaient comme les garants de ces mêmes valeurs75. En ce sens, François Bourricaud écrivait déjà que
“l’autorité, c’est la personnalisation des règles, leur incarnation ou, encore, la transfiguration symbolique de certains individus qui prennent à leur charge les normes collectives, et font de leur réalisation une responsabilité personnelle”76.
70Se présentant comme l’incarnation du mos maiorum, les censeurs jouissaient d’une auctoritas considérable leur permettant de classer les citoyens et même de dégrader les plus puissants.
71Cela est toutefois quelque peu paradoxal puisque le regimen morum était né du plébiscite ovinien et était donc une innovation légale ! Cette personnalisation du mos prit en réalité du temps et il y eut des tâtonnements, comme en témoignent les contestations soulevées par la censure de 312. Il fallut des individus énergiques comme Ap. Claudius Caecus ou C. Fabricius Luscinus pour forger des modèles à suivre, sans doute en partie réécrits. À cela s’ajoute qu’à partir de la fin du ive siècle, les censeurs furent désormais choisis presque exclusivement parmi les consulaires, signe qu’on attendait désormais d’eux d’avoir fait leurs preuves dans la vie publique. Il aurait été difficile d’octroyer un tel pouvoir à un jeune aristocrate en début de carrière, comme c’était le cas lorsque le cens se limitait à des opérations administratives. En outre, leur fonction était protégée par le Sénat car, comme nous l’avons vu, ce dernier y trouvait son compte. Par exemple, en 203, face à la querelle entre C. Claudius Nero et M. Livius Salinator qui avait conduit ce dernier à reléguer 34 des 35 tribus parmi les aerarii, le Sénat intervint pour empêcher un tribun de les assigner devant le peuple, préservant ainsi la majesté de leur charge77.
72Cette majesté était surtout rehaussée par la conduite des censeurs : on a quelques exemples de citoyens qui furent dégradés ou faillirent l’être pour ne pas avoir fait preuve d’un respect déférent78. Ce faisant, quoique dépourvus d’imperium, les censeurs se plaçaient dans une situation de supériorité engendrant crainte et respect, à l’instar de ce que ressentit Hispala lorsqu’elle se retrouva nez-à-nez avec le consul venu l’interroger à propos des Bacchanales79. En se mettant au-dessus du reste des citoyens, ils rassuraient et leurs décisions arbitraires échappaient donc à la contestation80. Enfin, les censures étaient évaluées en fonction de leur sévérité qui s’exprimait notamment par le nombre et la qualité des citoyens dégradés81. Il y avait donc une expectative de rigueur qui nourrissait l’auctoritas des censeurs.
73En quelques décennies, les censeurs, en faisant montre d’une intransigeance quant au respect qu’on devait leur témoigner et de sévérité lors des inspections, purent se présenter comme l’incarnation du mos maiorum. Grâce à cela, ils jouissaient d’une auctoritas telle qu’ils purent dégrader 400 chevaliers, dont une bonne partie issus de la noblesse, en 25282. Cet épisode montre que le regimen morum et la manière dont les censeurs l’accomplissaient étaient largement acceptés et répondaient aux attentes des Romains et tout particulièrement de l’aristocratie. On a là l’exemple de la constitution d’un mos, relatif à la gestion de la censure, qui se forma à la fin du ive et au début du iiie siècles, époque à laquelle émergea aussi la nobilitas. Cette concomitance n’est, bien entendu, pas une coïncidence puisque l’une des fonctions du regimen morum était de légitimer la classe dirigeante et de favoriser sa reproduction.
74Et pourtant, à la fin de la République la censure rencontra des difficultés. Il est bien connu que la censure de 70 fut la dernière accomplie jusqu’à son terme. On craignait une instrumentalisation partisane de la censure comme le montre la réforme de Clodius en 58. Désormais, les dégradations censoriales devaient être prononcées à l’issue d’une véritable procédure judiciaire83. Manifestement l’auctoritas des censeurs n’était plus considérée comme suffisante pour exclure un sénateur ou un chevalier. Dans un contexte de division croissante de l’aristocratie, de creusement des inégalités en son sein, les censeurs ne pouvaient plus incarner le mos maiorum et faire consensus. Ils n’avaient donc plus l’auctoritas suffisante pour accomplir leur mission. Ce défaut d’auctoritas est d’ailleurs visible en 64-63 lorsque les tribuns de la plèbe empêchèrent les censeurs de recruter le Sénat et les contraignirent à abdiquer84. Sous l’impulsion des populares qui craignaient une mainmise des optimates sur la censure, on assista à partir des Gracques à une juridicisation progressive de l’infamie85. L’application de la loi se substitua donc peu à peu à l’estimation hiérarchisante des censeurs, chaque procédure reposant sur une conception différente du fonctionnement des institutions et de l’homme d’État idéal. Cet échec final des censeurs à personnifier le mos maiorum n’était pas isolé. Les bouleversements qu’avaient connus Rome à la suite des conquêtes rendaient de plus en plus difficile l’imitation des maiores pour tous les aristocrates.
Une revendication de plus en plus difficile
75Comme le soulignait David, “à force de servir, certains exempla se sont usés au point de ne plus avoir la moindre force émotive”86. Il y avait donc un besoin de renouveler les exempla, d’élever d’autres épisodes à ce statut pour pouvoir les employer ensuite. Or cette élévation nécessitait un consensus qui était devenu de plus en plus difficile à trouver à cause des divisions de la classe dirigeante. Il suffit de songer à la rédaction de l’Anti Caton par César pour s’opposer à la glorification de son adversaire. Les guerres civiles offraient en outre un contexte bien peu favorable à la naissance d’exempla.
76Bien sûr, les aristocrates entendaient toujours se poser comme des exempla. On l’a vu, Auguste le faisait encore dans les Res Gestae. Le mos maiorum était le fruit de la compétition aristocratique qui passait par l’affichage d’actes et de comportements destinés à s’imposer dans l’imaginaire collectif. Le mos était donc une construction mémorielle susceptible de rivalités et de retouches qui pouvaient le fragiliser. Cela risquait d’inciter les aristocrates à tenir des postures davantage pour la postérité ou pour soutenir leur situation que pour résoudre les problèmes en cours. Ainsi les grandes tirades de Caton l’Ancien contre la culture grecque visaient davantage à se construire une image de champion du mos maiorum qu’à promouvoir un antihellénisme intransigeant87. Il entretenait son auctoritas plus qu’il ne l’utilisait au service de la res publica.
77Caton était cependant conscient des bouleversements qui risquaient de découler d’une hellénisation profonde de la société romaine. C’est pour cela qu’il s’efforça de faire partir l’ambassade de Carnéade en 15588 : le relativisme et le débat contradictoire ne pouvaient trouver leur place dans un système qui reposait sur l’auctoritas et le mos maiorum89.
78Plus grave fut l’atteinte que portèrent les antiquaires de la fin de la République comme Varron. Comme l’a montré Wallace-Hadrill, ils sapèrent le recours au mos en montrant combien la société avait changé depuis l’époque des maiores, ce que révélait l’évolution de la langue. La continuité entre le présent et le passé apparaissait dès lors comme toujours plus fictive90. En outre, ces savants connaissaient désormais mieux le mos que les hommes d’État qui l’utilisaient jusqu’alors pour légitimer leurs actions. Ces derniers non seulement perdaient le monopole d’exégèse du mos, mais pouvaient se voir opposer de sérieux arguments à leur interprétation. L’appel aux maiores se révélait de plus en plus creux et donc une moindre source d’auctoritas.
Conclusion
79En définitive, si la source de l’auctoritas est à chercher dans le passé, découle-t-elle directement de la fondation comme l’avançait Arendt ? Je ne le crois pas, d’autant plus que l’épisode tyrannique du vie siècle avait rompu le fil. L’auctoritas s’appuyait certes sur le passé, mais sur une version idéalisée de celui-ci et sur les pratiques préservées au fil des générations par une sédimentation d’exempla réaffirmant leur validité. Les maiores qu’ils mettaient en scène agissaient pour le bien commun, mais ils contribuaient aussi à faire évoluer le système politico-social romain (la gewachsene Verfassung selon l’expression de Christian Meier). Que la majorité des exempla date de la période républicaine et surtout des ive-iie siècles me paraît significatif : l’horizon d’attente des Romains envers leur classe dirigeante et la grammaire politique se forgèrent à ce moment. L’auctoritas se rattachait davantage à la res publica libera qu’à une cité sujette.
80L’auctoritas découlait de la construction d’une image publique dans laquelle la conformité au mos maiorum tenait une place centrale. Elle s’appuyait donc sur l’idée de continuité avec le passé et sur la possibilité d’obtenir une unanimité autour d’une opinion exprimant les valeurs partagées par tous. On opposera donc l’auctoritas, qualité socio-morale, créatrice de consentement et de consensus, à l’imperium, pouvoir jupitérien, individuel, reposant sur la contrainte potentielle et la proximité avec le divin. L’auctoritas ne reposait pas sur une transcendance divine comme l’imperium. Elle impliquait plutôt un transfert du groupe qui acceptait de suivre celui qu’il reconnaissait comme supérieur et œuvrant pour le bien commun. Derrière l’auctoritas, il y avait donc des chaînes qui reliaient son détenteur au passé, en suivant les manières d’agir des maiores, mais aussi à ses contemporains en raison de ce contrat social. L’auctoritas, en obtenant le consentement de tous, créait du consensus car celui qui se réclamait du mos maiorum agissait comme tout le monde s’accordait à penser qu’il devait agir. Pour cette raison, elle tenait une place centrale dans le système républicain.
81Enfin, si le respect du mos maiorum favorisait l’émergence d’une sorte d’habitus de l’auctoritas, c’est aussi parce qu’il visait à légitimer et à perpétuer la classe dirigeante conçue comme l’héritière des maiores. La République aristocratique était fondée sur le partage du pouvoir : rotation des magistratures avec l’annualité, limitations à l’itération, multiplication des charges, mais aussi prédominance du Sénat, organe rassemblant les membres des grandes familles. L’auctoritas était l’essence même de ce caractère aristocratique, puisqu’elle ne faisait pas appel à une transcendance qui aurait créé un déséquilibre entre les hommes. Au contraire, exprimant la reconnaissance d’une supériorité, elle était profondément agonistique parce qu’elle pouvait toujours être contestée, égalée ou surpassée. C’est pourquoi le mos maiorum recommandait aux Romains de se plier à l’auctoritas et les aristocrates acceptaient de se soumettre à l’opinion d’un autre. L’auctoritas était éphémère, chacun pouvait espérer avoir son heure de gloire et rejoindre la galerie des maiores. Mais pour cela, chacun devait jouer la partition prévue par la culture politique romaine. Finalement l’auctoritas ne dérivait pas tant de la fondation que du système politico-social républicain. Et c’est à ce cela qu’Auguste mit fin lorsqu’il proclama avoir dépassé tout le monde en auctoritas, dévoilant la transgression en même temps qu’il la rattachait au mos maiorum par une mise en récit souhaitant transformer ses actes en exempla91. L’auctoritas ne perpétuait pas la cité, mais une certaine forme de cité, la res publica libera.
Notes de bas de page
1 Plin., Nat., 22.5 qui utilise cette formule en passant pour parler des plantes utilisées dans les rites publics romains.
2 Arendt [1954] 1972, 161-162.
3 Arendt [1954] 1972, 131.
4 Arendt [1954] 1972, 157.
5 Arendt [1954] 1972, 162.
6 Dumézil 1942, 64-65.
7 Arendt [1954] 1972, 163.
8 Conférence mise en ligne sur le site du Collège de France : https://www.college-de-france.fr/site/colloque-2007/symposium-2007-10-18-10h15.htm.
9 Liv. 1.8.7 ; Plut., Rom., 13.2 et D.H. 2.12.1-2 à comparer à D.C. 54.13.1-14.1. Voir Bur & Lanfranchi 2019, 40-44.
10 Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage Bur 2018, 61-65.
11 Sur la praeteritio, voir Bur 2018, 117-129.
12 Cic., De Or., 2.268 ; D.H., frg. 20 L Pittia ; Liv., Per., 14.4 ; Ov., Fast., 1.208 ; V. Max. 2.9.4 ; Vell. 2.17.2 ; Sen., Vit. Beat., 21.3 et Ep., 98.13 ; Plin., Nat., 18.39 et 33.142 et 153 ; Quint., Inst., 12.1.43 ; Plut., Sull., 1.1-2 ; Flor., Epit., 1.13.22 ; Gell. 4.8.2-7 et 17.21.38-39 ; Tert., Apol., 6.2 ; Amp. 18.9 ; Schol. Juv. 9.142 ; Non. 745 L. ; Zon. 8.6. Cf. Bur, Infames Romani, n° 2.
13 Plut., Cat. Ma., 17.7 et Mor., 139 E. Cf. Bur, Infames Romani, n° 6.
14 Benveniste 1969, 148.
15 Liv. 4.8.2 sur la création de la censure en 443 (ut morum disciplinaeque Romanae penes eam regimen) et Suet., Aug., 27.3 sur les pouvoirs d’Auguste (recepti et morum legumque regimen).
16 Cic., Cluent., 129.
17 Cic., Fam., 9.15.5 et D.C. 43.14.4.
18 Cf. Bur 2018, 57-265.
19 Il y eut en revanche des contestations, la plus célèbre étant celle de T. Quinctius Flamininus qui s’opposa à la dégradation de son frère Lucius par Caton l’Ancien en 184 (Liv. 39.42.7 – 43.5 ; Plut., Cat. Ma., 17.1-6 et Flam., 18.4 – 19.8 ; cf. Bur, Infames Romani, n° 7), et des vengeances, la plus violente étant celle du tribun C. Atinius Labeo Macerio qui, en 131, voulut jeter le censeur Q. Caecilius Metellus Macedonicus du haut de la roche Tarpéienne, mais en fut empêché par ses collègues (Liv., Per., 59.10 et Plin., Nat., 7.143-144 ; cf. Bur, Infames Romani, n° 12). Les censeurs demeurèrent cependant toujours inflexibles.
20 Astin 1988, 28-29.
21 En ce sens Späth 2007, 164-165 : “Or, dans un groupe si étroitement réglé par le contrôle social des regards des pairs, on ne peut acquérir une bonne renommée que par une conformité exemplaire aux normes : l’aristocratie romaine ne reconnaît pas l’exceptionnalité comme une valeur positive, en revanche, on obtient la réputation par une exceptionnelle conformité aux normes” et encore David 2007, 226 : “Cette concurrence pour la reconnaissance de l’opinion publique conduisait à un curieux paradoxe. Il fallait être le meilleur certes, mais le meilleur dans une adéquation aux règles de comportement convenues qui faisaient le citoyen idéal. C’était dans le conformisme qu’il fallait exceller”.
22 Stein 2007, 139.
23 D.H., frg. 20 M Pittia et Plut., Cat. Ma., 16.2-3.
24 Cf. Bur 2018, 173-186.
25 Cic., Mur., 75-76 et Brut., 117.
26 Propos tenus à Pyrrhus par Cinéas, à son retour de Rome : Plut., Pyrrh., 19.6.
27 Par exemple la réception d’Eumène en 172 ou encore la délibération sur la troisième guerre punique. Cf. Liv. 42.14.1 et V. Max. 2.2.1.
28 Liv. 27.8.10 : omnibus ita existimantibus magis sanctitate uitae quam sacerdotii iure eam rem flaminem obtinuisse.
29 Cf. Nippel 2007, 20.
30 Wallace-Hadrill 2010, 229.
31 David 1980, 67.
32 David 1980, 86.
33 David 1980, 69-71.
34 David 1980, 84 ; voir la note 43 pour les 6 non magistrats (T. Caelius, C. Flavius Pusio, Cn. Titinius, C. Maecenas, Sceva et Q. Granius).
35 Schiavone [2005] 2008, 110-111.
36 Idée défendue par M. Sordi dans Sordi 1972 et 1978-1979.
37 Wallace-Hadrill 2010, 227-228.
38 David 1980, 85.
39 Songeons à M’. Curius Dentatus pour Caton l’Ancien par exemple. Cf. Berrendonner 2001, 101-102.
40 Voir l’éloge de Caton l’Ancien par Scipion Émilien qui dit l’avoir longuement observé (Cic., Rep., 2.1).
41 Hurlet 2015, 263.
42 Plin., Nat., 7.139-140.
43 Wallace-Hadrill 2010, 229.
44 Cic., Rep., 3.41 : quae poterat esse perpetua, si pa|triis uiueretur institutis et moribus (trad. E. Bréguet, CUF).
45 Cic., Rep., 1.4 sur les sacrifices qu’il faut consentir pour la res publica.
46 Voir notamment Vir. Ill. 50.2 : Iterum cum Claudio Nerone inimico suo consul, ne res publica discordia male administraretur, amicitiam cum eo iunxit (“Consul pour la seconde fois avec Claudius Néron qui était son ennemi personnel, il se réconcilia avec lui afin que le gouvernement de l’État n’eût pas à souffrir de leur discorde”, trad. P.-M. Martin, CUF).
47 Godelier [1996] 2003, 174-176 (176 pour la citation).
48 Sur cette loi, voir Bur 2018, 302 avec la bibliographie.
49 Cic., De Or., 1.225-226 : “nolite sinere nos cuiquam seruire, nisi uobis uniuersis, quibus et possumus et debemus”. […] senatum seruire populo, cui populus ipse moderandi et regendi sui potestatem quasi quasdam habenas tradidisset ? (trad. E. Courbaud, CUF).
50 David 2007, 225. Voir déjà Heinze 1925, 366.
51 Cic., Rep., 3.41 : quae poterat esse perpetua, si pa|triis uiueretur institutis et moribus (trad. E. Bréguet, CUF).
52 Cic., Leg., 3.34 et 39.
53 Caton l’Ancien, dans le De sumptu suo (frg. 169 Cugusi – Sblendorio-Cugusi), prononcé entre 164 et 154, affichait déjà son désintéressement pour renforcer son image d’homme dévoué à la cité.
54 Lévy 1965, 87.
55 Voir aussi Quint., Inst., 12.1.43 et Gell. 4.8.2-7. Cf. Bur, Infames Romani, n° 2.
56 Cf. Le Doze 2015b, 592.
57 Nippel 2007, 19 : “This authority of the ancestors was invoked in order to argue that a peculiar decision had to be taken in accordance with long-established practice”.
58 V. Max. 2.9.2 et Paris 2.9.2. Cf. Bur, Infames Romani, n° 1 (sur l’identification à L. Antonius plutôt qu’à L. Annius notamment)
59 D.H. 2.9-11.
60 Cic., Rep., 1.55 : Ita caritate nos capiunt reges, consilio optimates, libertate populi.
61 Le Doze 2010, 261-262 à partir de Q. Cic., Com. Pet., 8 et 53.
62 Hölkeskamp 2011, 30.
63 Cic., Rep., 1.2 affirme ainsi que l’application la plus haute de la vertu est le gouvernement de la cité.
64 Bettini 2001, 107.
65 Benveniste 1969, 149.
66 Bonnefond-Coudry 1989, 595-599 et 620-633.
67 Voir mon article à paraître Bur 2019.
68 Heinze 1925, 360 sur le mot de Caton cité plus bas.
69 Nippel 2007, 21. Voir déjà Heinze 1925, 364.
70 Cic., Leg., 3.40.
71 Selon Cic., Rep., 2.57 l’équilibre est atteint lorsque les magistrats ont assez de potestas, le peuple assez de libertas et le conseil des principes assez d’auctoritas.
72 Heinze 1925, 358
73 En ce sens Bur 2018, 423-429.
74 Bur 2018, 259-261 en particulier.
75 Garfinkel 1956, 423 : “4. The denouncer must make the dignity of the supra-personal values of the tribe salient and accessible to view, and his denunciation must be delivered in their name. 5. The denouncer must arrange to be invested with the right to speak in the name of these ultimate values. […] 6. The denouncer must get himself so defined by the witnesses that they locate him as a supporter of these values”.
76 Bourricaud 1969, 368.
77 Liv. 29.38.16-17.
78 Gell. 4.20.11 sur le retrait du cheval public pour un responsum parum reuerens ; Cic., De Or., 2.260 et Gell. 4.20.2-6 sur la relégation parmi les aerarii de L. Nasica qui avait fait une plaisanterie sur son mariage ; Gell. 4.20.8-10 sur le témoin qui faillit être sanctionné pour avoir bâillé devant les censeurs lors de la comparution d’un ami. Cf. Bur, Infames Romani, n° 57, 76 et 77.
79 Liv. 39.12.2.
80 Sennett [1980] 1982, 224.
81 Liv. 27.11.14 (Addiderunt acerbitati) ; 38.28.2 (mitis admodum censura fuit) ; 34.44.4 (la précision omino sur les trois exclus du Sénat) et 5 (saeuitum) ; 39.42.5 (metu mixta exspectatione senatum legerunt) ; 43.16.1 (In equitibus recensendis tristis admodum eorum atque aspera censura fuit) ; 44.16.8 (Censum idibus Decembribus seuerius quam ante habuerunt) ; Per., 98.2 (Cn. Lentulus et L. Gellius censores asperam censuram egerunt) ; V. Max. 2.9.8 (summa cum seueritate).
82 V. Max. 2.9.7 et Front., Strat., 4.1.22. Cf. Bur, Infames Romani, n° 46.
83 Ascon. 8 C. ; D.C. 38.13.2 et Schol. Bob. 132 St. Cf. Bur 2018, 99-112.
84 D.C. 37.9.4.
85 Cf. Bur 2018, 271-458.
86 David 1980, 85.
87 Voir notre article à paraître Bur 2019.
88 Plin., Nat., 7.122 et Plut., Cat. Ma., 22.1-7.
89 Cf. Astin 1978, 176-180 ; MacMullen 1991, 436 et Jehne 1999, 120-126.
90 Wallace-Hadrill 2010, 235-236.
91 RGDA 34.3 : Post id tem[pus a]uctoritate [omnibus praestiti. Cf. l’étude de Fr. Hurlet dans ce volume.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Architecture romaine d’Asie Mineure
Les monuments de Xanthos et leur ornementation
Laurence Cavalier
2005
D’Homère à Plutarque. Itinéraires historiques
Recueil d'articles de Claude Mossé
Claude Mossé Patrice Brun (éd.)
2007
Pagus, castellum et civitas
Études d’épigraphie et d’histoire sur le village et la cité en Afrique romaine
Samir Aounallah
2010
Orner la cité
Enjeux culturels et politiques du paysage urbain dans l’Asie gréco-romaine
Anne-Valérie Pont
2010