Chapitre II - Auctoritas et possession dans les lois des XII Tables : les enseignements d’une controverse
p. 35-63
Résumés
Cet article se propose d’étudier le sens du mot auctoritas dans les lois des XII Tables. À partir d’un examen de la controverse historiographique sur le sens du mot dans ce contexte précis, l’article présente les différentes solutions proposées et les conséquences qu’il est possible d’en tirer. En replaçant ensuite les dispositions décemvirales concernées dans le contexte du ve siècle avant J.-C., l’article suggère que l’auctoritas renvoie à une situation relationnelle concrète entre différents acteurs, situation concrète qui est au fondement de cette notion et qui permet de comprendre sa réutilisation par les Romains dans des contextes très variés.
This paper aims at studying the meaning of the word auctoritas in the XII Tables. Based on an analysis of the historiographical controversy over the meaning of the word in this particular context, the article presents the various proposed solutions and their historical consequences. It also offers an analysis of these decemviral provisions in the context of the 5th century BC, in order to suggest that auctoritas refers to a concrete relational situation between different actors, a concrete situation which is the bedrock of this notion and which makes it possible to understand its reuse by the Romans in very different contexts.
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Mots-clés : Auctoritas, XII Tables, droit romain, Rome archaïque, historiographie
Keywords : Auctoritas, XII Tables, Roman law, Archaic Rome, historiography
Texte intégral
1Pour l’historien de la Rome antique, la notion d’auctoritas évoque spontanément des résonances politiques et sociales. Dès 1925, Victor Ehrenberg pointait la dimension éthico-sociale d’une notion mêlant pouvoir politique et prestige social1, à la signification difficile à fixer et sur laquelle Joseph Hellegouarc’h s’est déjà longuement arrêté2. Cette notion a pourtant également une valeur juridique, liée à la propriété des choses. Le sens que peut prendre auctoritas dans ce contexte juridique est intéressant pour au moins deux raisons. Tout d’abord, comme le relevait Hellegouarc’h3, c’est le plus ancien usage attesté, que l’on retrouve dans les lois des xii Tables, l’un des plus vieux textes de lois connus. C’est ainsi dans un contexte juridique que le vocable apparaît. Cet usage du mot a fait, par ailleurs, l’objet d’intenses controverses quant à son sens. Ces débats ressurgissent périodiquement et ne sont en réalité pas tranchés à l’heure actuelle. C’est sur cette controverse que nous souhaiterions revenir ici, à partir des versets des xii Tables et des rares sources législatives républicaines (i.e. essentiellement celles qui concernent la lex Atinia), moins pour prétendre apporter une solution définitive à un problème qui n’en possède pas en l’état de notre documentation que pour éclairer, par la controverse, les significations possibles ou probables de la notion d’auctoritas dans cette acception, ainsi que ce qu’elles peuvent nous apprendre de la société romaine et de la place de l’auctoritas en son sein. En effet, ce débat historiographique est non seulement un exemple parfait des problèmes d’épistémologie de la controverse historique, mais ses solutions potentielles sont riches d’enseignements sur la place d’un concept comme celui d’auctoritas dans la vie sociale et juridique des Romains.
2Deux principales interprétations s’opposent quant à son sens4. Chacune connaît de multiples variantes (que nous développerons pour partie), mais reviennent aux deux propositions suivantes. La théorie dominante, en premier lieu, voit dans l’auctoritas une notion liée à la mancipatio5, qui exprimerait l’obligation de garantie en cas d’éviction due par le vendeur (mancipio dans) à l’acquéreur (mancipio accipiens). Contre cette idée, on a essayé de montrer qu’il faudrait, comme l’indiquait déjà Fernand De Visscher, attribuer au mot un sens plus étendu6, à savoir “titre de propriété”, ou “titre éminent”. C’est là le cœur d’un débat demeuré largement confiné à la sphère juridique, puisque philologues et linguistes en sont souvent demeurés à l’interprétation d’auctoritas comme droit de propriété, la plus ancienne au demeurant7. Soulignons dès à présent que ce débat repose sur de profondes différences, à commencer par une différence de méthode soulignée en son temps par Pierre Noailles. Celle-ci oppose, d’un côté, ceux qui tentent d’interpréter ces textes uniquement par eux-mêmes sans recourir aux interprétations juridiques de plusieurs siècles postérieurs (c’est le cas des premiers commentateurs humanistes ou d’André Magdelain) à ceux qui, de l’autre, utilisent la littérature juridique de l’âge classique – en particulier celle sur la mancipatio – pour élaborer leurs analyses (c’est le cas d’une longue lignée de juristes, de Theodor Mommsen à Max Kaser). Ce choix s’explique parce que nous avons à faire à des textes du droit romain ancien, c’est-à-dire à une époque où la science juridique romaine n’est pas encore formée. S’il est donc possible d’interroger la légitimité d’une démarche analytique fondée sur une science juridique postérieure de plusieurs siècles, il faut reconnaître que nous n’avons guère d’autre solution. En outre, ces interprétations mettent en jeu une analyse souvent diamétralement opposée de certains actes juridiques qui sont au cœur du problème, en particulier la mancipatio et l’usus. Les juristes se déchirent en effet entre ceux qui analysent la mancipation comme un acte à la structure duale associant à un effet réel (permettant l’acquisition) un effet obligatoire (la garantie du vendeur) ; et ceux qui ont cherché à y voir un acte unitaire8. L’analyse de la notion d’auctoritas par De Visscher ne se comprend ainsi que si elle est rapportée à sa conception de la mancipatio comme acte unique9. Il en va de même avec l’usus, puisque Michel Humbert fonde son analyse de l’auctoritas sur une conception de l’usus distincte de l’interprétation traditionnelle qui y voit une jouissance conduisant à un droit10. Derrière le problème de l’auctoritas, c’est aussi la conception même de la mancipatio ou de l’usus qui est en jeu, ce qui explique l’ampleur de la controverse et son incidence sur la compréhension de la société romaine. Enfin, de façon plus implicite, ces analyses reposent aussi sur une grille de lecture différente appliquée à ces quelques fragments, distinguant le droit de propriété de la preuve du droit de propriété. Selon que l’on estime que les xii Tables traitent du premier ou de la seconde, l’analyse ne peut pas être la même. Pour toutes ces raisons, il nous semble intéressant de revenir sur ce problème11.
3Nous le ferons en nous appuyant sur les sources qui mentionnent expressément la notion d’auctoritas car elles seules peuvent avoir une véritable valeur indicative. Elles sont très peu nombreuses pour la République12 et, plus ennuyeux, ne fournissent pas véritablement de contexte interprétatif sûr. Nous partirons donc des différents versets concernés en rappelant brièvement les différentes interprétations dont ils ont fait l’objet, avant de revenir plus en détail sur les sens possibles d’auctoritas et leur justification, dans le but de proposer un essai d’analyse historique du sens du mot. Quelques caueat sont ici nécessaires. Bien qu’ayant été recopiées et apprises tout au long de la République, les xii Tables ne nous ont pas été directement transmises. Nous n’en avons que des citations et des gloses, incomplètes qui plus est. Ce qui nous en est parvenu est cependant plutôt fiable13, de sorte que nous pouvons faire fonds sur ces témoignages. Étant entendu que nous ne disposons pas du texte latin du ve siècle, mais plutôt du texte des xii Tables tel qu’il fut reconstitué après l’incendie de Rome par les Gaulois – et durant lequel elles auraient été détruites14 –, soit un état reconstitué datant du iiie siècle au mieux. C’est donc une version modernisée en quelque sorte, reprenant malgré tout des prescriptions plus anciennes15. Plusieurs éditions existent, dont les trois plus récentes sont celles de Dieter Flach (1994), des Roman Statutes (1996) et de Humbert (2018), sur lesquelles nous nous appuierons principalement (avec des comparaisons avec l’édition classique des FIRA et à d’autres pour les parties les plus problématiques). Rappelons aussi que l’ordre canonique reproduit (à quelques variantes près) d’édition en édition pose de sérieux problèmes de légitimité, puisqu’il trouve sa source dans la vieille édition de Jacques Godefroy16. Il est conventionnel, mais ne peut servir de support à l’interprétation. Enfin, et c’est particulièrement le cas pour les textes qui nous occupent, nous n’avons que des fragments de ces lois et ne disposons jamais d’une mesure dans sa totalité. Nous étudierons successivement le verset sur l’usus auctoritas, puis celui qui mentionne l’aeterna auctoritas et celui où cette notion revient probablement et qui nécessite d’être mis en parallèle avec la loi Atinia.
Vsus auctoritas
FIRA, tab. VI.3 : Cicero top. 4, 23 : usus auctoritas fundi biennium est. – ceterarum rerum omnium – annuus est usus.
Flach 1994, tab. VI.3 : USUS AUCTORITAS FUNDI BIENNIUM [– – –] ADVERSUS HOSTEM AETERNA AUCTORITAS [– – –]
Crawford ed. 1996, tab. VI.3 : auctoritas fundi biennium <esto. ?ceterarum rerum ? annus esto.>
Humbert 2018, tab. VI.3 : VSVS AVCTORITAS FVNDI BIENNIVM ESTO ; ceterarum rerum annuus VSVS ESTO.
4Ce texte illustre les difficultés en jeu tout en posant d’emblée un problème de reconstitution dont témoigne la mise en parallèle des versions. Faut-il ajouter usus (ce que font, e.g., De Visscher, Kaser ou Humbert)17 ? Et où s’arrête le verset ? Nos sources sur ce passage sont à la fois Cicéron et Gaius. Commençons par Gaius, le plus explicite :
Gai., Inst., 2.42 : Vsucapio autem mobilium quidem rerum anno completur, fundi uero et aedium biennio ; et ita lege XII tabularum cautum est.
“L’usucapion des choses mobilières se parfait par un an, celles des biens-fonds et des maisons par deux ans : ainsi en dispose la loi des douze tables” (trad. Reinach CUF).
Gai., Inst., 2.44 : Quod ideo receptum uidetur, ne rerum dominia diutius in incerto essent, cum sufficeret domino ad inquirendam rem suam anni aut biennii spatium, quod tempus ad usucapionem possessori tributum est.
“Cela paraît avoir été admis pour que la maîtrise des choses ne restât pas trop longtemps dans l’incertitude : comme il suffisait au maître, pour retrouver sa chose, d’un an ou deux, ce temps fut accordé au possesseur pour usucaper” (trad. Reinach CUF).
Gai., Inst., 2.53-54 : Et in tantum haec usucapio concessa est, ut et res, quae solo continentur, anno usucapiantur. Quare autem hoc casu etiam soli rerum annua constituta sit usucapio, illa ratio est, quod olim rerum hereditariarum possessione ipsae hereditates usucapi credebantur, scilicet anno: lex enim XII tabularum soli quidem res biennio usucapi iussit, ceteras uero anno: ergo hereditas in ceteris rebus uidebatur esse, quia soli non est [quia neque corporalis est]; et quamuis postea creditum sit ipsas hereditates usucapi non posse, tamen in omnibus rebus hereditariis, etiam quae solo tenentur, annua usucapio remansit.
“Et cette usucapion a été accordée si largement que même les choses qui tiennent au sol s’usucapent dans ce cas par un an. Pourquoi a-t-on admis dans ce cas l’usucapion annuelle des choses du sol ? En voici la raison : autrefois, on estimait que les biens compris dans les successions pouvaient être usucapés de la même façon que les successions elles-mêmes, c’est-à-dire au bout d’un an. En effet, la loi des douze tables prescrivait que les choses du sol s’usucaperaient par deux ans, les autres par un an ; or la succession semblait être comprise dans cette deuxième catégorie, puisqu’elle n’est pas une chose du sol, n’étant pas corporelle. Bien que plus tard on ait estimé que les successions elles-mêmes ne peuvent être usucapées, l’usucapion est demeurée annuelle pour toutes les choses successorales, même lorsqu’elles tiennent au sol” (trad. Reinach CUF).
5Grâce à ces textes, on comprend que Cicéron, dans deux passages où il n’indique pas expressément parler des xii Tables, cite en fait la même loi :
Cic., Caec., 54 : Lex usum et auctoritatem fundi iubet esse biennium ; at utimur eodem iure in aedibus, quae in lege non appellantur.
“La loi fixe à deux ans le délai de l’usucapion et de la garantie d’un fonds. Or nous appliquons la même règle juridique pour les maisons, dont la loi ne fait pas mention” (trad. Boulanger CUF).
Cic., Top., 23 : Item : Quod in re pari ualet ualeat in hac quae par est ; ut : Quoniam usus auctoritas fundi biennium est, sit etiam aedium. At in lege aedes non appellantur et sunt ceterarum rerum omnium quarum annuus est usus.
“De même, ce qui est prouvé pour une chose le demeure pour une autre chose identique. Ainsi, pour les fonds de terre, le délai requis pour en acquérir la propriété par suite de l’usage est de deux ans ; il en sera de même pour les maisons. Mais la loi, objecte-t-on, ne nomme pas expressément les maisons ; elles sont donc comprises dans la catégorie des biens dont la propriété s’acquiert par un an” (trad. Bornecque CUF).
6Les tituli d’Ulpien font sans doute aussi référence à ces dispositions18. Sur cette base, la majorité des auteurs conserve usus dans la reconstitution de la loi, à raison nous semble-t-il si l’on considère la façon dont les deux termes sont associés par Cicéron. Seuls les auteurs des Roman Statutes se demandent si, dans le Pro Caecina, Cicéron ne cite pas le mot de son époque (usus) et le mot plus ancien (auctoritas), d’où leur choix de ne restituer que le second dans le verset des xii Tables19. En revanche, pour la suite du verset, tout dépend du témoignage de Cicéron. Or autant la première partie de la phrase a bien l’allure d’une citation (jusqu’à biennium), autant la suite est indéniablement une réflexion de Cicéron sur l’absence du mot aedes à côté de fundus dans le texte de la loi. S’en servir pour reconstruire le texte initial est très discutable. En outre, Cicéron paraît contredire ici le témoignage de Gaius, lequel indique en effet fundi uero et aedium, quand Cicéron écrit at in lege aedes non appellantur. Même si Cicéron est sans doute le plus fiable (d’autant que les Topiques sont dédiés au juriste Trebatius Testa), cette partie de son texte a fort peu de chance de rapporter les ipsissima uerba de la loi et, ici, Cicéron les interprète tout au plus. Kaser pensait d’ailleurs devoir éliminer cette partie du verset sujette à caution20. Rien ne justifie enfin d’intégrer le passage sur l’aeterna auctoritas dans le même verset, comme le fait Flach, même si ces deux prescriptions sont en rapport l’une avec l’autre.
7Ce verset est aussi la source d’une discussion sur le lien grammatical unissant usus et auctoritas. Ce problème remonte à l’Antiquité où certaines sources (Boèce en particulier) rattachent usus (au génitif) à auctoritas. Dans cette interprétation, l’expression renverrait à la garantie contre l’éviction (auctoritas) que procure l’usus (l’usage)21. L’autre opinion, plus répandue, opte pour deux nominatifs et une expression en asyndète22. Seul Kaser semble avoir varié sur ce point. Dans son Privatrecht, il indique en note qu’usus est en asyndète, et non en position de génitif23. Toutefois, dans un article ultérieur, il réfute cette idée d’asyndète au profit d’une apposition au génitif, comprenant l’expression comme “die ‘Gewährschaft für den Besitz (und seine Erhaltung)’”24. Cela lui permet de renforcer sa lecture du verset. En dépit de la valeur de ce savant, l’interprétation en asyndète paraît préférable en raison du témoignage du Pro Caecina (avec et) et parce que des asyndètes similaires sont attestées. La loi indique de la sorte une durée différentielle pour l’usus et l’auctoritas selon qu’il s’agit d’un fonds de terre ou d’un bien d’un autre type25. Une traduction de ce passage pourrait alors être : “Que l’usus et l’auctoritas sur un fonds de terre soient de deux ans <pour d’autres biens qu’elle soit d’un an>”26. Quel est le sens de la mesure ?
8La doctrine classique, que l’on trouve chez Kaser (ou Theo Mayer-Maly et Humbert après lui)27 estime que la loi renvoie à la mancipatio et à la notion d’usus, i.e. une possession effective, que le propriétaire peut conserver aussi longtemps que personne ne la lui conteste avec succès28. Par le passage du temps, l’usus renforce la situation juridique de la personne ayant mancipé29. La possession continue et prolongée (un an ou deux selon les biens) confère à la fin un droit absolu de propriété (sauf si l’objet a été volé ou dans le cas particulier des étrangers, voir infra) et le verset porte sur la position de l’acquéreur avant l’expiration du délai indiqué (lequel varie selon qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles) ainsi que sur la limitation temporelle de l’auctoritas. On comprend ainsi en général le texte comme désignant la période nécessaire à l’achèvement de l’usus et permettant le recours à l’actio auctoritatis30. Dans ce cadre, le mot auctoritas peut, comme le souligne Kaser31, se comprendre de deux façons : la garantie d’éviction, d’une part ou, d’autre part, un certain statut juridique, qui peut être soit le statut juridique que la mancipatio confère à l’acquéreur, soit une position de domination (Herrschaftsposition)32. Le premier cas est préféré par la doctrine dominante qui comprend donc l’auctoritas comme une obligation de garantie et ce depuis les études classiques en la matière de Paul-Frédéric Girard. Kaser, en particulier, a défendu cette position en expliquant que le concept, entendu comme position de domination, aurait été trop abstrait pour se voir appliqué une limite temporelle33. Selon lui, cette règle des xii Tables est indirectement à l’origine de la prescription acquisitive, même si cette notion n’est pas encore reconnue comme une institution juridique indépendante sous le nom qui sera le sien plus tard (à savoir usucapio), et si elle est donc liée ici à la mancipation34. L’expulsion n’était possible que durant la période mentionnée, durant laquelle l’acquéreur était toutefois protégé par cette garantie de toute revendication d’une tierce personne. En cas d’attaque de son droit à la propriété durant le laps de temps prévu par la loi, le défenseur, celui qui a acheté par mancipatio, peut faire appel à l’auctor lors du procès35. Cette interprétation du verset est aussi liée à l’idée que, jusqu’à l’expiration du délai, l’usus ne délivre qu’une possession encore relative.
9Cette conception illustre parfaitement ce que nous avons évoqué plus haut : à savoir que l’on va chercher dans des textes juridiques ultérieurs une définition de l’auctoritas testée ensuite sur le verset des xii Tables. Rien n’indique en effet ici que le verset se limite à des cas de mancipatio ou qu’il concerne la mancipatio. Gaius l’analyse au contraire uniquement en référence à l’usucapio, ce qui n’est pas anodin, même si nous savons qu’il s’agit d’un concept postérieur et donc d’une explication de la loi par ce juriste en utilisant une terminologie plus récente. C’est seulement en utilisant d’autres textes du Digeste, qui illustrent ce lien auctoritas/garantie, que cette interprétation a été construite avec le postulat implicite que ces versets traitent bien de la mancipation36. Cette interprétation dominante connaît bien sûr des variantes. Ainsi, Humbert refuse l’idée d’un droit de propriété provisoire durant la période d’usus. Selon lui, l’acquéreur a dès le départ un droit absolu et il définit l’usus comme l’actualisation de ce droit, l’exercice de son droit de propriété sur la chose ainsi que son expression matérielle et concrète37. En accord avec cette vision de l’usus, l’auctoritas est l’obligation qui contraint le vendeur à renforcer (le lien est fait avec augere) le titre de propriété de l’acheteur, et donc à le défendre contre d’éventuelles revendications par des tiers38. Le verset porterait uniquement sur les questions de preuve de propriété, et non de son acquisition. On comprend qu’en reconnaissant au verset cette seule dimension probatoire, cet auteur entend respecter l’asyndète (usus et auctoritas ont tous deux le même rôle de confirmation de la propriété) tout en livrant une analyse cohérente de la loi, qui s’inscrive à la fois dans sa vision des xii Tables (interprétées comme entreprise de codification processuelle de l’action des magistrats) et dans l’interprétation traditionnelle d’auctoritas comme garantie. On peut tout de même se demander pourquoi, puisque nous sommes dans un cas de mancipatio (avec témoins), il est besoin d’imaginer un double système probatoire pour prouver une propriété, dont le titre est reconnu comme complet par Humbert dès le départ. Dans cet ordre d’idée, la définition de l’usus de Kaser paraît plus convaincante.
10Cette vision qui relie ce verset à la mancipation est contestée par ceux qui y voient une référence à d’autres modes d’acquisition de la propriété. Ainsi, De Visscher, tout en restant dans un modèle de mancipation, estime que le verset concerne “le régime de l’usus et de l’auctoritas”, i.e. l’idée que pendant deux ans, l’acheteur jouit de l’auctoritas du vendeur comme fondement de ses droits. Le verset se réfère donc pour lui à “l’acquisition de la propriété, acquisition basée sur le titre purement privé de l’auctoritas (iure priuato), jusqu’à l’achèvement de l’usucapion, titre public, fondé sur les lois”39. C’est l’effet acquisitif de l’auctoritas qui est ici mis en avant et s’il y a asyndète, c’est que les deux éléments doivent être rassemblés (usus et auctoritas) pour qu’il y ait propriété pleine et entière à la fin du processus. Pour André-Edmond Giffard (pour qui l’asyndète usus auctoritas exprime précisément l’idée d’usucapio), auctoritas a ici “le sens d’autorité juridique sur une chose, et c’est ce mot qui dans la loi exprimait que la propriété est acquise par l’usus”40. Il est ainsi très proche de l’idée que cela désigne la propriété acquise par les deux années d’usage. Ici, l’auctoritas est “’autorité de droit’ qui en cas d’usucapion fait du possesseur un propriétaire”41. Ces différentes interprétations tournent ainsi autour de l’autre grande théorie dominante, qui fait d’auctoritas un synonyme de titre de propriété.
11Cette théorie n’est pas jeune puisqu’elle remonte en fait aux premiers commentateurs humanistes et, en particulier, à Robert Estienne42. Après qu’elle eut été remplacée par l’interprétation d’origine mommsénienne, elle a connu un regain de faveur au xxe siècle43. Le plus éminent représentant de ce courant interprétatif est sans doute André Magdelain. Ce dernier a cherché à montrer que les systèmes qui entendent réduire l’apparition de l’auctoritas à un acte de garantie d’éviction dans les cas de mancipatio se trompent : l’auctoritas peut avoir valeur de titre de propriété et ce serait alors un concept suffisamment précis pour échapper aux critiques de Kaser. Magdelain insiste par ailleurs sur la connexité des deux dimensions : titre et garantie. L’auctoritas est donc bien le titre de propriété (celui de l’usucapiens). Or, comme il le souligne, auctoritas renvoie à un “auctor qui est l’auteur dont on tient le bien”. Les auteurs du code auraient donc appliqué ici la notion à la propriété naissant de l’usucapio, c’est-à-dire sans auctor de qui tenir le bien. Comprise comme titre, il faut souligner que l’auctoritas ne disparaît pas à l’issue de la période de temps : elle n’est plus mentionnée parce qu’elle n’est plus nécessaire, l’usus faisant foi44. Vsus auctoritas désignerait ainsi la situation juridique à l’issue de la période deux ans. Encore récemment, Francisco Javier Casinos-Mora s’est opposé à la doctrine classique en insistant sur le fait que lier exclusivement ce verset (et les autres) à la mancipatio n’est pas réellement démontrable et correspond à un prochronisme45. D’après lui, la loi légifère plutôt sur les cas d’absence de mancipation, i.e. sur une acquisition différente mais reconnue légitime par la communauté qui y apporte son auctoritas. Ce serait l’antécédent de l’usucapion46. Les versets suivants témoignent des mêmes lignes d’opposition, et nous serons donc plus bref.
Aeterna auctoritas
FIRA, tab. VI.4 : ADVERSUS HOSTEM AETERNA AUCTORITAS [ESTO].
Flach 1994, tab. VI.5 : … ADVERSUS HOSTEM AETERNA AUCTORITAS.
Crawford, ed. 1996, tab. VI.4 : aduersus hostem aeterna auctoritas <esto>.
Humbert 2018, tab. VI.4 : ADVERSVS HOSTEM, AETERNA AVCTORITAS <ESTO>47.
Cette table est attestée uniquement par le témoignage de Cicéron :
Cic., Off., 1.37 : Hostis enim apud maiores nostros is dicebatur quem nunc peregrinus dicimus. Indicant duodecim tabulae : aut status dies cum hoste, itemque aduersus hostem aeterna auctoritas.
“On nommait hostis en effet chez nos aïeux, celui que maintenant nous nommons peregrinus, étranger. Les douze Tables portent : AVT STATVS DIES CVM HOSTE, ou le jour fixé avec l’étranger, et de même : ADVERSVS HOSTEM AETERNA AVCTORITAS, vis-à-vis de l’étranger, que la garantie soit perpétuelle” (trad. Ernout CUF).
12Cicéron rapporte un fragment authentique de la loi. On pourrait le traduire de la sorte (en parallèle avec la table suivante, voir infra) : “à l’égard d’un étranger, que l’auctoritas soit sans limite de temps”. La traduction d’hostis par étranger (et non par adversaire) ne fait aucun problème puisqu’initialement, comme l’affirme ici Cicéron, l’hostis est le pérégrin, celui qui suis legibus utitur48. Nous sommes donc en présence d’une exception à la règle posée par le verset VI, 3 concernant un étranger, d’où le fait qu’il est sans doute de meilleure traduction de rendre aduersus par une expression plutôt neutre49. Quel est le sens de ce texte50 ?
13La doctrine dominante se trouve encore une fois chez Kaser (qui s’appuie toujours sur les travaux de Girard en la matière). Il explique l’idée d’aeterna auctoritas de la façon suivante (toujours dans le cadre d’une mancipatio) : la responsabilité du mancipio dans vis-à-vis du mancipio accipiens qui n’est pas citoyen ne s’éteint pas du fait de l’expiration du délai conformément à la table VI, 3. Il reste toujours dépendant de la position que lui donne la transaction. Ce n’est que plus tard que la clause fut aussi comprise comme une interdiction de la prescription acquisitive, i.e. de l’usucapio51. Cette clause ne pouvait viser que les pérégrins titulaires du commercium, la mancipatio n’étant pas accessible aux autres52. L’idée était d’éviter l’aliénation de biens romains. Humbert suit largement cette analyse de l’auctoritas au sens de garantie. Comme précédemment, il s’en distingue par une très ingénieuse hypothèse. Il suggère en effet que l’absence de délai fixe ait été une façon de donner à la loi la flexibilité lui permettant de s’adapter aux différents délais d’usus possibles chez les voisins des Romains disposant du commercium, voire à l’absence d’usus53. Ces interprétations54 ne sont valables qu’à condition de supposer que ce verset porte exclusivement sur des cas de mancipatio. Or, là encore, des théories divergentes existent.
14Pour De Visscher, le verset (le seul des xii Tables à évoquer une auctoritas sans limite de temps) est à comprendre avec le précédent pour lequel il a mis en avant que usus et auctoritas sont tous deux nécessaires à la propriété. Si l’un manque, la propriété n’est pas possible. Ce verset est précisément pour lui un de ces cas de manque. Il considère ainsi que le verset a été conçu dans l’hypothèse d’une revendication d’un citoyen romain (dépossédé avant d’avoir usucapé) contre un pérégrin55. Dans un tel cas, l’usucapion n’est possible ni pour le pérégrin (qui n’y a pas accès), ni pour le citoyen qui attaque puisqu’il a été dépossédé avant l’écoulement du délai permettant l’usucapion. Ne reste alors plus qu’à se tourner vers l’auctoritas du vendeur initial. Dans ce cadre, auctoritas renvoie à la garantie apportée par le mancipio dans et ce verset concernerait un cas bien particulier (sans portée générale) où auctoritas conserverait un sens technique limité. Cette hypothèse a été critiquée très tôt pour les limites qu’elle suppose56. Pour Giffard, auctoritas doit avoir a priori le même sens dans les différents passages des xii Tables et dans la loi Atinia. Ce verset porte donc aussi, selon lui, sur la prohibition d’usucapio et auctoritas y désigne, encore, “l’autorité que conserve en droit sur sa chose le Romain qui, en fait, ne la possède plus”57. Noailles comprend le verset comme signifiant que le témoignage du vendeur pourra être invoqué éternellement contre l’hostis, pour tout type de bien58. Magdelain, de nouveau, lie la clause à l’usucapio et non à la mancipatio, suivant son élargissement habituel du spectre de la loi. Pour lui, une telle interdiction d’usucaper pour l’étranger ne fait que recouvrer un principe du droit international parfaitement banal59. Ici, il faut comprendre que, dans de telles situations, l’auctoritas est un titre de propriété qu’on reconnaît comme sans limite temporelle : le verset exprime la conservation à perpétuité du droit de propriété contre l’hostis qui ne peut usucaper60. Casinos-Mora a analysé sur les mêmes bases, mais avec quelques modifications, le verset comme une extension indéfinie de la garantie générale d’une situation de pouvoir, en relation avec les étrangers, et de la même façon que dans le cas de choses volées pour la lex Atinia. Le verset signifierait : “il riconoscimento per i peregrini della legittimità delle loro situazioni di potere sulle cose, della garanzia e la protezione permanente di queste situazioni perchè appunto i peregrini non possono nè avere la signoria ex iure Quiritium nè usucapire”61. On retrouve ici la grande opposition entre garantie en situation de mancipatio et verset concernant l’usucapio. Un troisième passage doit alors être analysé.
Rei subruptae
FIRA, tab. VIII.17 : Gaius 2, 45 : furtiuam (rem) lex XII tab. usu capi prohibet —,
Crawford, ed. 1996, tab. I.22 : <<<rei subruptae aeterna auctoritas esto>>>
Humbert 2018, tab. VIII.17 : Quod subruptum erit, eius rei aeterna auctoritas esto.
15Il n’existe en réalité pas de citation de ce verset des xii Tables, reconstruction a posteriori62. Celle-ci est principalement fondée sur deux passages de Gaius :
Gai., Inst., 2.45 : Sed aliquando etiamsi maxime quis bona fide alienam rem possideat, non tamen illi usucapio procedit, uelut si quis rem furtiuam aut ui possessam possideat ; nam furtiuam lex XII tabularum usucapi prohibet, ui possessam lex Iulia et Plautia.
“Mais parfois même si on possède la chose d’autrui de la meilleure foi du monde, l’usucapion ne vous en revient pas, par exemple si on possède une chose volée ou possédée par violence ; car la loi des douze tables prohibe l’usucapion des choses volées, et la loi Julia et Plautia celle des choses possédées par violence” (trad. Reinach CUF).
Gai., Inst., 2.49 : Quod ergo uulgo dicitur furtiuarum rerum et ui possessarum usucapionem per legem XII tabularum prohibitam esse, non eo pertinet, ut ne ipse fur quiue per uim possidet, usucapere possit (nam huic alia ratione usucapio non competit, quia scilicet mala fide possidet), sed nec ullus alius, quamquam ab eo bona fide emerit, usucapiendi ius habeat.
“Quand on dit communément que l’usucapion des choses volées et possédées par violence a été prohibée par la loi des douze tables, cela ne veut pas dire que le voleur ou le possesseur par violence eux-mêmes ne peuvent usucaper (car c’est pour une autre raison que l’usucapion ne leur est pas attribuée, savoir qu’ils possèdent de mauvaise foi) mais que nul autre, quand même il aurait acquis d’eux de bonne foi, n’a le droit d’usucaper” (trad. Reinach CUF).
16On peut ajouter à ces deux passages, deux autres sources qui mentionnent la disposition des xii Tables en même temps que la loi Atinia :
D. 41.3.33 pr. : Non solum bonae fidei emptores, sed et omnes, qui possident ex ea causa, quam usucapio sequi solet, partum ancillae furtiuae usu suum faciunt, idque ratione iuris introductum arbitror : nam ex qua causa quis ancillam usucaperet, nisi lex duodecim tabularum uel Atinia obstaret, ex ea causa necesse est partum usucapi, si apud eum conceptus et editus eo tempore fuerit, quo furtiuam esse matrem eius ignorabat.
“On acquiert par prescription l’enfant d’une fille volée, non seulement quand on possède cette fille à titre d’acheteur de bonne foi, mais encore quand on la possède à tout autre titre qui donne lieu à la prescription ; et cela me paraît fondé en droit. Car toutes les fois qu’on possède une fille esclave à un titre qui donnerait lieu à la prescription, si la loi des douze tables et la loi Atinia ne s’y opposaient pas, à cause du vice de vol ou de possession violente qui suit cette fille partout, il est nécessaire qu’on puisse prescrire l’enfant que cette fille a conçu, et dont elle est accouchée dans un temps où il ignorait qu’elle eût été volée” (trad. Hulot).
Inst. 2.6.2-3 : Furtiuae quoque res et quae ui possessae sunt, nec si praedicto longo tempore bona fide possessae sunt, nec si praedicto longo tempore bona fide possessae fuerint, usucapi possunt ; nam furtiuam rerum lex duodecim tabularum et lex Atinia inhibet usucapionem, ui possessarum lex Iulia et Plautia. Quod autem dictum est furtiuarum et ui possessarum rerum usucapionem per legem prohibitam esse, non eo pertinet, ut ne ipse fur quiue per uim possidet usucapere possit (nam his alia ratione usucapio non competit, quia scilicet mala fide possident), sed ne ullus alius, quamuis ab eis bona fide emerit uel ex alia causa acceperit, usucapiendi ius habeat.
“Les choses volées, ou dont le maître a été dépouillé par violence, ne peuvent être prescrites par personne, dans le cas même où on les aurait possédées de bonne foi pendant longtemps. Car la prescription des premières est interdite par la loi des douze tables et la loi Atinia, celle des secondes par la loi Julia et Plautia. Quand on dit que les choses volées ou dont le maître a été dépouillé par violence, ne peuvent pas être prescrites, on doit entendre par là qu’elles ne peuvent être prescrites par le voleur lui-même ou par le possesseur violent (car il y a une raison particulière qui met ces sortes de gens hors d’état de prescrire : c’est qu’ils sont de mauvaise foi). Ce qu’on entend dire, c’est qu’aucune autre personne ne peut prescrire ces choses quand elle les aurait reçues de bonne foi à titre d’achat ou à tout autre titre juste” (trad. Hulot).
17Le premier passage de Gaius indique que la loi des xii Tables interdit l’usucapion des choses volées (i.e. la prescription acquisitive) ; le second renchérit sur cette notion en ajoutant qu’une personne qui achète de bonne foi une chose volée ne pourra pas non plus usucaper63. C’est en croisant ce texte avec la formulation des lois VI.3 et VI.4, où le mot auctoritas est attesté, que la reconstruction est possible. Elle est aussi fondée sur le croisement avec la loi Atinia et l’œuvre de Plaute pour le choix de subruptus64. C’est donc une reconstruction plausible dans laquelle, surtout, l’idée d’auctoritas a de fortes chances d’être juste puisque nous la savons attestée par ailleurs dans les xii Tables. Dans ce cadre, si l’on accepte le texte réécrit, la loi semble indiquer que la possession prolongée entraîne l’appropriation, sauf s’il s’agit de biens volés (sans qu’une distinction entre types de biens soit établie). Dans ce dernier cas, l’usucapion est impossible et l’auctoritas demeure, pleine et entière, sans limite. Le problème est que cette mesure rappelle très fortement une mesure analogue prêtée à la loi Atinia, comme le montrent les deux derniers textes cités.
18De fait, on ne peut interpréter ce verset des xii Tables sans revenir à la loi Atinia (probablement du iie siècle), qui y ressemble fortement. Cette loi est connue par les textes suivants65 :
Cic., Verr. 2, 1.109 : De iure uero ciuli si quis noui quid instituit, is non omnia quae ante acta sunt rata esse patietur ? Cedo mihi leges Atinias, Furias, Fusias, ipsam, ut dixi, Voconiam, omnis praeterea de iure ciuili : hoc reperies in omnibus statui ius quo post eam legem populus utatur.
“Quant au droit civil, le législateur qui institue quelque innovation n’admettra-t-il pas la validité de tout ce qui lui est antérieur ? Voyez-moi les lois Atinia, Furia, Fusia, la loi Voconia elle-même, comme je l’ai dit, toutes les lois en outre qui traitent du droit civil : dans toutes vous y trouverez qu’elles établissent le droit qui sera en usage pour le peuple après leur promulgation” (trad. De La Ville de Mirmont CUF).
Ps. Ascon. Verr. 2, 1.109, p. 248 Stangl. : Cedo mihi leges Atinias, Furias, Fusias. Istae omnes de iure ciuili sunt, nihil continent criminum capitalium publicique iudicii.
“Voyez-moi les lois Atinia, Furia, Fusia. Ces lois concernent toutes le ius ciuile, elles ne contiennent rien qui regarde les crimes capitaux ou les iudicia publica”.
Gell. 17.7.1 : Legis ueteris Atiniae uerba sunt : “Quod subruptum erit, eius rei aeterna auctoritas esto.” Quis aliud putet in hisce uerbis quam de tempore tantum futuro legem loqui ? Sed Q. Scaeuola patrem suum et Brutum et Manilium, uiros adprime doctos, quaesisse ait dubitasseque, utrumne in post facta modo furta lex ualeret an etiam in ante facta ; quoniam “subruptum erit” utrumque tempus uideretur ostendere, tam praeteritum quam futurum. Itaque P. Nigidius, ciuitatis Romanae doctissimus, super dubitatione hac eorum scripsit in tertio uicesimo grammaticorum commentariorum. Atque ipse quoque idem putat incertam esse temporis demonstrationem, sed anguste perquam et obscure disserit, ut signa rerum ponere uideas ad subsidium magis memoriae suae quam ad legentium disciplinam. Videbatur tamen hoc dicere suum uerbum et “est” esse et “erit” : quando per sese ponuntur, habent atque retinent tempus suum ; cum uero praeterito iunguntur, uim temporis sui amittunt et in praeteritum contendunt.
“Les termes de la vieille loi Atinia sont : “Ce qui aura été volé, que le droit de le réclamer soit éternel”. Qui penserait que dans cette phrase la loi vise autre chose que l’avenir ? Mais Quintus Scaeuola affirme que son père ainsi que Brutus et Manilius, des hommes particulièrement savants, se sont demandé et ont mis en question si la loi n’avait valeur que pour les vols postérieurs à la loi ou également pour les vols antérieurs ; puisque subruptum erit paraissait désigner les deux, aussi bien le passé que le futur. C’est pourquoi Publius Nigidius, le plus savant des citoyens romains, a écrit sur le doute de ces hommes dans le vingt-troisième volume de ses Notes grammaticales. Et, quant à lui, il pense de même que l’indication de temps est incertaine, mais il en disserte tout à fait brièvement et obscurément, si bien qu’on croirait qu’il met des signes aux choses plutôt pour soutenir sa mémoire que pour instruire ses lecteurs. Il paraissait cependant vouloir dire que et est et erit sont des mots indépendants : quand ils sont employés pour eux-mêmes, ils gardent et conservent le temps qui est le leur ; mais quand ils sont joints à un passé, ils perdent la force de leur temps et tendent vers le passé” (trad. Julien CUF).
D. 41.3.4.6 (Paul) : Quod autem dicit lex Atinia, ut res furtiua non usucapiatur, nisi in potestatem eius, cui subrepta est, reuertatur, sic acceptum est, ut in domini potestatem debeat reuerti, non in eius utique, cui subreptum est. Igitur creditori subrepta et ei, cui commodata est, in potestatem domini redire debet.
“Lorsque la loi Atinia dit que les choses volées ne peuvent être prescrites qu’autant qu’elles seront rentrées dans les mains de celui à qui elles ont été volées, cela signifie qu’elles doivent être revenues dans les mains du vrai maître, et non pas simplement dans celles de celui à qui elles ont été volées. Ainsi si la chose a été volée à quelqu’un à qui elle avait été donnée en gage ou prêtée, il faut qu’elle revienne dans les mains du propriétaire” (trad. Hulot).
D. 50.16.215 : « Potestatis » uerbo plura significantur ; in persona magistratuum imperium ; in persona liberorum patria potestas ; in persona serui dominium. At cum agimus de noxae deditione cum eo qui seruum non defendit, praesentis corporis copiam facultatemque significamus. In lege Atinia in potestatem domini rem furtiuam uenisse uideri, et si eius uindicandae potestatem habuerit, Sabinus et Cassius aiunt.
“Le terme potestas, puissance, a plusieurs significations ; il signifie par imperium la juridiction des magistrats ; par patria potestas, la puissance des pères sur leurs enfants ; et par dominium, l’autorité des maîtres sur leurs esclaves. Et quand nous intentons une action contre un maître en raison d’un délit commis par son esclave, nous entendons, dans le cas où il ne veut pas prendre sa défense, qu’il nous l’abandonne et nous le livre avec le droit d’autorité qu’il a sur lui. Sabin et Cassius disent que d’après la loi Atinia une chose volée est censée être revenue en la puissance de son maître lorsqu’il a eu le droit de la revendiquer” (trad. Hulot).
19Cette loi Atinia est mal connue et son rapport aux lois des xii Tables est controversé. Marianne Elster estime que, à partir des sources disponibles, il n’est pas possible de discerner la différence de contenu – qu’elle pense pourtant avoir existée – et que seules des hypothèses peuvent être avancées, qualifiées de spéculations66. La répétition d’une même clause est surprenante et paraît impensable à Magdelain67. Paul-Louis Huvelin en avait tiré argument pour nier l’existence du verset des xii Tables et suggérer que cette clause fut introduite par la loi Atinia, uniquement pour les res subreptae (pas les res furtiuae)68. L’idée de l’absence de clause des xii Tables à ce sujet est reprise par Casinos-Mora69. La distinction res subreptae/res furtiuae est reprise par Giffard, qui interprète la loi comme rendant les res subreptae (i.e. les choses volées non revenues dans la potestas du volé) non susceptibles d’usucapion. Inversement, les xii Tables auraient interdit l’usucapion des res furtiuae70. Ces opinions paraissent controuvées. Mommsen soulignait en effet déjà que les controverses des jurisconsultes autour de la rétroactivité de la loi Atinia prouvent qu’elle ne se contentait pas de reproduire une loi antérieure. Il en tirait la conclusion que la disposition des xii Tables n’était dirigée que contre le voleur-possesseur, tandis que la loi Atinia aurait étendu la possibilité de revendication contre tout possesseur de la chose volée71. De la même manière, Kaser estime que la loi du iie siècle a introduit des innovations72. Il s’oppose à l’idée que le verset des xii Tables soit une simple rétroprojection de la loi Atinia et, à la suite de Mommsen, suggère que les xii Tables aient imposé la garantie d’auctoritas temporellement illimitée à la personne qui a mancipé les res mancipi volées du voleur seulement : la règle valait donc uniquement pour celui qui avait acheté directement au voleur, et non pour les acheteurs suivants73. C’est la loi Atinia qui aurait étendu cette illimitation temporelle non seulement à celui qui achète au voleur, mais aussi aux autres acheteurs (y compris ceux de bonne foi), y ajoutant une extension aux res nec mancipi74. Enfin, les auteurs des Roman Statutes soulignent qu’on ne nous a transmis sans doute que cette clause d’une loi qui en contenait probablement d’autres, et que la loi Atinia ajoute une exception absente des xii Tables, laquelle a suscité des controverses juridiques75. Il est certain qu’Aulu-Gelle ne cite qu’une partie de la loi, ce que prouve la phrase legis ueteris Atiniae uerba sunt : Aulu-Gelle ne rapporte que des uerba, pas tout le texte76.
20Quel sens pouvait avoir auctoritas dans cette loi Atinia77 ? Le sens classique qu’on donne à ce mot dans ces contextes est bien celui de garantie ou d’assistance juridique en cas de mancipatio. Dans cette veine, Humbert se singularise de nouveau. Selon lui, la loi, en prévoyant une auctoritas éternelle, empêche en réalité, dans le cas des choses volées, le cours normal des choses : les deux années d’usus ne produisent pas la fin de l’auctoritas (il se situe toujours dans un cas de mancipatio), permettant ce faisant au volé de revendiquer la chose tout le temps, et permettant au vendeur (i.e. le voleur) d’être toujours responsable78. Pour lui, ce ne peut pas être une référence à l’usucapio, qui est plus tardive, mais simplement une “nouvelle exception au principe, posé par 6.3, de l’effet prescriptif de l’usus”79. Une fois encore cependant, ce point de vue dominant a été contesté. Pour Giffard, le mot a le sens général d’“autorité”, de pouvoir sur la chose. C’est pour lui un “pouvoir de droit”, “une puissance juridique qui s’oppose à la fois à la potestas et à la possession, pouvoir de fait”80. Il propose finalement de traduire par “droit à la propriété des choses enlevées subrepticement”, auctoritas signifiant ici le droit à la propriété du propriétaire initial de la chose volée, qui ne connaît pas d’extinction81. Pour De Visscher, l’auctoritas, dans sa vision très précise de la loi Atinia, renvoie au mancipio dans et aurait ici le sens général de titre d’acquisition82. Pour Magdelain, le sens de garantie ne peut être valable et c’est celui de titre qui s’impose83. Dans ces cas, on retrouve l’idée, sous une forme ou sous une autre, de titre de propriété et le verset renverrait à un titre de propriété conservé à perpétuité sur la chose volée. Noailles y retrouve cependant son explication de responsabilité de l’auctor et indique que la loi entend que le recours au témoignage de l’auctor n’est pas limité dans le temps84.
21Nous retrouvons les deux interprétations dominantes, mais rien ne s’oppose véritablement au fait que les xii Tables aient interdit d’usucaper les choses volées. Une traduction de ce verset tel qu’il est reconstitué pourrait être alors : “Pour ce qui concerne un bien volé, que l’auctoritas soit sans limite de temps”. Mais de quelle auctoritas s’agit-il ? Les solutions hésitent entre celle du vendeur et celle du volé. Et l’on retrouve ici ces sempiternelles hésitations quant au sens à donner à auctoritas entre garantie, droit à la propriété, titre d’acquisition.
Quelques indices supplémentaires
22À ces différents témoignages, on peut brièvement ajouter la table V.2 qui mentionne non pas l’auctoritas, mais l’auctor :
Crawford, ed. 1996, tab. V.2 (= FIRA, tab. V, 2) : <<<mulieri tutor auctor esto>>>85
Cette table est une reconstitution à partir de deux passages de Gaius :
Gai., Inst., 2.47 : Res mulieris quae in agnatorum tutela erant res mancipi usucapi non poterant, praeterquam si ab ipsa tutore auctore traditae essent ; id ita lege XII tabularum cautum erat.
“Les choses de la femme qui était en tutelle des agnats ne pouvaient être usucapées comme choses mancipables, excepté si elles avaient été livrées par elle avec l’autorisation du tuteur : ainsi en avait disposé la loi des XII Tables” (trad. Reinach CUF).
Gai., Inst., 2.80 : Nunc admonendi sumus neque feminam neque pupillum sine tutoris auctoritate rem mancipi alienare posse ; nec mancipi uero feminam quidem posse, pupillum non posse.
“Notons maintenant que ni la femme ni le pupille ne peut sans autorisation du tuteur aliéner une chose mancipable. Quant aux choses non mancipables, la femme le peut, mais non le pupille” (trad. Reinach CUF).
23Ce verset renvoie sans doute au fait que la vente de res mancipi par une femme adulte sous tutelle, sans l’auctoritas de son tuteur, ne pouvait faire l’objet d’une prescription acquisitive86. Selon Kaser, la situation énoncée se comprend si la loi avait aussi ordonné l’aeterna auctoritas du mancipio dans pour le cas de la mancipation accomplie par une femme sine tutore auctore, tout en reconnaissant qu’il n’y a aucune certitude à ce sujet87. Pour Humbert, les biens d’une femme aliénés sans l’accord du tuteur ne peuvent “apporter à leur acquéreur le bénéfice de l’usucapion, quelle que soit la durée de sa possession” sans que la loi ait prévu d’y ajouter une prolongation éternelle de l’auctoritas88. Même si on touche à la question de l’auctoritas des tuteurs, il y a là un intéressant point de jonction entre les deux dimensions89.
24Tout récemment, Humbert a aussi proposé d’analyser la table VII.12 sur le statuliber comme ayant comporté une clause de dérogation à la table VI.3 et donc comme ayant comporté une clause d’aeterna auctoritas. L’expression aurait donc été mentionnée une fois de plus dans la législation décemvirale90.
25Reste surtout à évoquer le lien de cette législation avec l’actio auctoritatis, une action contre l’aliénateur indélicat, peut-être attestée par Paul91. Kaser rappelle à juste titre que le nom donné à cette action n’existe pas dans les sources mais qu’il est probable92, tout comme Girard écrit que l’action “paraît” porter ce nom93. Cette action de la loi visait le vendeur qui avait vendu un bien ne lui appartenant pas et prévoyait la restitution au double du prix de la vente94. L’aliénateur était ainsi en principe tenu, tant que l’acquéreur n’avait pu usucaper, de venir l’assister à défendre son droit dans une action en revendication par un tiers. Ne pas venir, ou échouer dans cette entreprise, entraînait la possibilité de l’actio auctoritatis avec la sanction au double95. Pour Girard, cette action est très ancienne96 et il en donne une belle et simple définition : “l’action qui sert de sanction au défaut d’auctoritas”97. Cette action était valable uniquement en cas de mancipation98 et, selon lui, la sanction au double s’explique non parce que la possibilité de cette action dérivait d’une convention ajoutée à la mancipation ou d’une nuncupatio, mais parce que le défaut d’auctoritas était considéré par le législateur primitif, qui n’avait pas en tête la théorie juridique de la garantie, comme un délit. C’est en tant que peine de délit que la sanction est au double99. Cette interprétation classique de la loi s’accorde évidemment à merveille avec l’interprétation dominante des versets des xii Tables et l’une ne va pas sans l’autre. L’honnêteté impose cependant de reconnaître que le lien entre cette action et les différents versets des xii Tables ne tient que si l’on estime que ces derniers ne s’occupent que de mancipatio, ce que rien ne prouve absolument. En outre, l’existence même de l’actio auctoritatis a été remise en question. Les auteurs des Roman Statutes estiment ainsi qu’il n’y a pas de lien entre cette action et les tables VI.3 et 4. L’action pourrait plutôt renvoyer (ainsi que d’autres références citées) à la table V.2100. Une fois de plus, nous voyons comment s’est construite l’interprétation classique de l’auctoritas dans les lois des xii Tables. Tout cela démontre que nous sommes loin, dans cette affaire, d’une res iudicata.
Traduire et comprendre auctoritas
26Cet exposé liminaire montre que la question soulevée par nos sources est bien de savoir comment comprendre et traduire auctoritas. Or il doit être à présent hors de doute que l’histoire de ces traductions est celle d’une oscillation entre un nombre restreint de solutions. D’abord comprise comme “titre de propriété” par les premiers éditeurs humanistes (plus rarement comme un synonyme d’usucapion), l’auctoritas, dans le sillage des travaux de Mommsen et de Girard, est devenue l’obligation de garantie et d’assistance liée à la mancipation, avant de redevenir un titre de propriété à la suite de De Visscher, Magdelain ou Alan Watson, puis de se voir réaffirmer son statut de garantie par Kaser ou Humbert. Les différentes propositions de traductions données au fil du temps illustrent parfaitement ce mouvement de balancier. Un dictionnaire juridique du xixe siècle donnait ainsi les définitions suivantes : “Die Verbindlichkeit des auctor zur Evikstionleistung”, “der Anspruch gegen den auctor auf Eviktionsleistung”, se limitant à une définition inscrite dans le sillage de la démonstration de T. Mommsen101. Dans le même ordre d’idée, Huvelin rend usus auctoritas : par “garantie résultant de l’usage”102 et Kaser traduit par “Gewährschaftshaftung” ou par “Gewährschaft” tout court103. Casinos-Mora opte pour “garanzia giuridica”104, mais avec un sens un peu différent de celui de la doctrine dominante. Humbert se range aussi du côté de l’idée de garantie, mais explique le terme par le fait que, le cas échéant, le vendeur renforce (augere) par cette garantie la position de l’acheteur, suivant un effet consolidant de l’auctoritas105.
27De l’autre côté du spectre interprétatif, Eric Herbert Warmington traduit la table VI.3 de la façon suivante : “the lapse of time in order to establish title to possession and enjoyment”, i.e. le titre de propriété. La table VI.4 (IV.7 pour lui) est traduite avec une légère variation : “against stranger, title of ownership shall hold good forever” (ajoutant en note : “the meaning of auctoritas here is disputed”)106. Watson propose aussi “title of ownership”, tout comme Magdelain107. Certaines éditions comme celle des Roman Statutes préfèrent ne pas traduire et commentent le sens du mot, ce commentaire allant clairement du côté du titre de propriété : “One should perhaps rather suppose that auctoritas meant something like ‘eminent title’”108. Enfin, certains auteurs optent pour une traduction plus large, moins précise, qui leur paraît mieux coller au sens du mot, à l’image de Flach qui rend le terme par “Gewähr”109, ou l’original Klein qui propose l’idée de valeur probatoire : “Beweiskraft”110. De même, mais de façon peu convaincante, Giffard a proposé d’y lire une signification générale : “le mot, dans ces textes, a le sens général d’’autorité sur la chose’, ou de ‘puissance de droit’ par opposition à la possession qui est un fait”, d’où pour lui la synonymie d’aeterna auctoritas et d’usucapion prohibée111. Il reconnaît aussi deux sens à auctoritas dans les xii Tables : celui-là pour l’usucapion et celui d’autorisation (ou d’approbation) pour les affaires de tutelle112.
28Faisons d’abord un sort à la question du titre de propriété. L’idée est en soi intéressante, et il est incontestable que le mot a pu se colorer de cette signification, plus tard cependant. Ce sens est notamment attesté par des inscriptions du début de l’époque impériale, qui portent mention d’esclaves ab auctoritatibus, i.e. garants de titres de propriété. Nous en connaissons au moins trois113. Comme le rappelle L’Année épigraphique, ces affranchis impériaux ab auctoritatibus auraient eu la charge de conserver les documents attestant la propriété de l’empereur : “seruus ab auctoritatibus équivalent de seruus ab instrumentis”114. On trouve d’ailleurs auctoritas au sens d’“attestation” chez Cicéron et ce pourrait être là l’explication de l’évolution de la signification du mot115. Faire remonter ce sens à l’époque des xii Tables pose cependant problème car cela revient à confondre l’effet avec la cause. Le titre de propriété semble bien n’être qu’une conséquence de l’action de l’auctoritas dans les situations évoquées, que cette action soit d’ailleurs acquisitive ou, plus probablement, probatoire. Dans les deux cas, l’intervention de l’auctoritas a comme conséquence de renforcer une position juridique et d’aboutir à une propriété confirmée. L’auctoritas en elle-même n’est toutefois pas cette propriété. Même si la traduction des Roman Statutes par “eminent title” s’efforce de trouver une solution proche qui évite cet écueil, elle ne le peut complètement. L’auctoritas agit d’une certaine façon sur la propriété, mais n’est pas la propriété. C’est seulement par une évolution qu’elle a pu en venir à se colorer de la sorte et il vaut donc mieux se tourner vers les significations qui tournent autour des notions de garantie et de responsabilité. Mais quelle garantie et comment justifier une traduction par garantie ?
29L’explication classique vise à montrer que la garantie “augmente”, “accroît” la situation juridique et justifie la signification par l’étymologie. Dès son article de 1882 sur l’actio auctoritatis, Girard offre de belles pages de réflexions sur ce thème. Il montre qu’auctor peut, dans les textes juridiques, désigner “tantôt celui de qui on tient sa propriété, tantôt celui qui est tenu à garantie sans avoir rien transféré comme dans la qualification d’auctor secundus appliquée au fidéjusseur, tantôt enfin l’individu qui en assiste un autre contre une revendication”116. Il souligne aussi qu’auctoritas a plus de signification encore. Remontant à ce qu’il envisage être le sens initial, le plus simple, qui précède les raffinements de la langue du droit, il indique que l’auctor est “celui qui assiste l’acquéreur dans le procès en revendication intenté contre lui, et l’auctoritas n’est pas le mode d’acquérir, ni l’obligation à garantie, mais cette assistance même”117. Il peut ainsi rattacher cela à l’étymologie classique d’augeo en ajoutant, plus loin que l’auctor désigne celui “qui augmente, améliore par son assistance la situation du défenseur à la revendication”118. C’est seulement en développement de ce sens qu’auctoritas en serait venu à désigner l’obligation de fournir cette assistance, puis l’acte durant lequel cette obligation se serait produite et enfin, le titre de propriété lui-même. Ce dernier sens ne pourrait pas être celui d’origine, qui se comprend par comparaison avec l’action du tuteur, pour laquelle la langue juridique emploie le même mot d’auctoritas. Kaser emploie des arguments comparables lorsqu’il suggère qu’on peut justifier le sens de garantie par l’idée d’augmenter qu’il pense retrouver dans au moins deux phénomènes : améliorer, d’une part, la situation juridique de l’acquéreur par la participation indispensable du vendeur à l’acte formel ; et dans une procédure de revendication par un tiers, d’autre part, il décrit la fonction du mancipio dans, en tant qu’auctor, comme celui qui vient défendre (et donc accroître) la position juridique de l’acquéreur poursuivi119. Il y a donc à chaque fois augmentation par ajout de quelque chose (mais quoi ?) qui assure la position du mancipio accipiens en l’améliorant, faisant le parallèle avec l’auctoritas senatus et tutoris. Aussi rassurantes que soient ces démonstrations, il n’est pas certain qu’elles emportent pleinement l’adhésion.
30En effet, dans un des textes les plus intéressants écrits sur ce thème, Noailles a contesté la traduction par “obligation de garantie” de plusieurs façons et d’abord en critiquant le recours trop absolu à l’étymologie, qui conduit à mettre sur le même plan des “augmentations” (celle du mancipio dans, du tuteur ou des sénateurs) en réalité très différentes. Puis il souligne que l’auctoritas n’est pas limitée, y compris dans les sources juridiques, à la garantie d’éviction en matière de mancipation. Enfin, de façon décisive, il rappelle que, dans toutes les asyndètes du même type que usus auctoritas en latin, les deux objets associés sont de même nature et de même origine, ce qui n’est pas le cas ici, si l’on a d’un côté l’usage et de l’autre l’obligation120. Il en déduit qu’il faut chercher ailleurs et que l’idée de rendre strictement auctoritas par obligation de garantie est trop étroite pour être satisfaisante121. Il s’appuie, ce faisant, sur les travaux de De Visscher qui, on l’a vu, a été le premier à proposer un véritable élargissement du sens du mot. Ce savant propose une conception synthétique de l’auctoritas qui réunit en elle deux dimensions : l’effet acquisitif (ce qui permet de devenir propriétaire) et la garantie d’éviction. Pour lui l’auctoritas dans la mancipatio n’est pas la garantie, ou l’assistance (i.e. la thèse de Girard), mais “la ratification ou confirmation par le vendeur de la déclaration unilatérale d’acquisition énoncée par l’acquéreur” et qui ouvre la procédure de mancipatio. Le vendeur donne son auctoritas à la formule rituelle prononcée par l’acheteur. Il ajoute que “cette ratification couvre la déclaration de l’acquéreur et en garantit l’efficacité absolue, tant vis-à-vis du vendeur lui-même que vis-à-vis des tiers”. Ce n’est donc pas une simple conséquence de l’acte de vente (i.e. la garantie à apporter à l’acheteur), mais bien plutôt “le fondement de la totalité des effets de l’acte” et “le véritable ressort de la mancipatio”122. Ce faisant, l’auctoritas s’étend à la fois à l’acte et à la garantie, ce qui aboutit chez De Visscher à lui donner un sens de garantie plus large que celui de Girard, par exemple, et il récuse l’idée du même Girard qu’un tel sens serait dérivé du sens initial de garantie d’éviction, notamment par l’argument qu’il paraît curieux de dériver du particulier au général. L’auctoritas est ce qui fonde la totalité des effets de l’acte dans le système de De Visscher123, ce qui pourrait aboutir à une conception unitaire de ce qui fait l’auctoritas.
Noailles feat. Benveniste
31Nous avons en effet affaire à un concept qui tourne autour de la responsabilité, du pouvoir de garantir, et donc d’une capacité qui peut se transcrire en acte. De ce point de vue, le sillon creusé par Noailles est le plus fécond. Tout en reconnaissant l’intérêt de la doctrine mommséno-girardienne (qui a eu pour mérite principal de repousser l’interprétation d’auctoritas comme “titre de propriété”), il en critique les limites puisqu’elle a abouti à prendre “pour la notion elle-même ce qui n’en est qu’un effet particulier, et spécialement un effet de l’auctoritas dans la mancipation”124. Si “titre de propriété” est sans doute impossible, “garantie d’éviction” est réducteur car cette conception trop restrictive réduit l’interprétation à un effet particulier, tout en restreignant aussi l’acte à la mancipation, perpétuant l’enfermement des interprétations entre la question du titre de propriété et celle de la garantie lors de vente par mancipation125. C’est pourquoi il choisit de se tourner vers un sens plus général de garantie comprise comme ce qui assure l’efficacité de l’acte, suivant les hypothèses de De Visscher. Toutefois, alors que ce dernier continue de faire de la garantie une dimension constitutive de l’auctoritas, Noailles insiste, à raison selon nous, sur sa dimension d’effet. Il voit de la sorte dans l’auctoritas le “privilège reconnu à Rome à tout individu, sujet de droit, de pouvoir servir, lorsqu’il est dans les conditions requises, de source et de fondement au droit d’autrui sur les personnes et sur les choses”, ou “le privilège, le droit appartenant à un Romain, dans les conditions requises, de servir de fondement à la situation juridique créée par d’autres”126. Dans ce cadre, effectivement, “garant” et “garantie” peuvent bien être des équivalents valables d’auctor et d’auctoritas127. L’auctoritas est porteuse d’une dimension de complétion de l’acte, qui explique que puisse en découler la garantie d’assistance, car si l’acte est attaqué, c’est que l’auctoritas initiale a été incomplète (ou viciée) et qu’elle doit donc être sollicitée de nouveau. L’obligation résulte ainsi indirectement de l’acte mais a fini ensuite par devenir une obligation réelle128.
32Ce privilège évoqué par Noailles correspond à un état car auctoritas – comme tous les mots latins en -tas de ce type – renvoie à la qualité d’être auctor. C’est qu’en effet, derrière auctoritas, il y a l’auctor, un terme qui aide à comprendre la dimension particulièrement concrète de l’hypothèse de Noailles. On sait que c’est cette notion d’auctor, attestée comme garant dans les textes juridiques classiques, qui a aidé à forger l’interprétation d’auctoritas dans les xii Tables comme obligation de garantie. Le terme renvoie cependant surtout à la nécessité de la présence de l’autre pour valider et attester un acte. C’est très net dans le cas de la mancipatio, avec la structure particulière de ce dispositif où seul le mancipio accipiens a la parole mais où le vendeur (et les témoins), par sa présence même, assiste et confère à l’acte sa valeur. On pensera ici à la comparaison de Moriz Wlassak qui rapproche ce procédé de l’addictio du magistrat, comparaison reprise par Noailles129. La présence des témoins est par ailleurs ici un élément significatif qui ne nous paraît pas toujours avoir été bien pris en compte. En effet, si la mancipation crée une obligation formelle de garantie d’éviction à la charge du vendeur, quel est le besoin de témoins ? Ne font-ils pas double emploi avec le rôle du vendeur (pensons ici à la situation du témoignage instrumentaire) ? Même si l’on pourrait imaginer qu’ils soient là pour des raisons de solennité, n’est-il pas plus probant de supposer qu’ils avaient précisément pour but de rappeler l’existence de l’engagement du vendeur et, donc, de le pousser à garantir l’acte en cas de besoin, précisément parce qu’aucune obligation formelle ne l’y contraignait ? On voit en tous cas à quel point il s’agit, pour Noailles, d’un terme constitutif de la personnalité juridique (“un attribut de la capacité, une faculté que peut exercer tout individu qui jouit ex iure Quiritium de la personnalité”), dont l’importance décroit tôt dans le domaine juridique alors qu’elle passe en revanche à d’autres secteurs de la vie romaine où elle a joué un rôle déterminant.
33On peut faire un pas de plus en rappelant les mots d’Émile Benveniste sur la signification originelle d’augeo et d’auctoritas. Il reconnaît en effet l’idée d’un accroissement contenu dans augeo, mais d’un accroissement particulier : “On persiste à traduire augeo par ‘augmenter’ ; c’est exact dans la langue classique, mais non au début de la tradition. Pour nous, ‘augmenter’ équivaut à ‘accroître, rendre plus grand quelque chose qui existe déjà’. Là est la différence, inaperçue, avec augeo. Dans ses plus anciens emplois, augeo indique non le fait d’accroître ce qui existe, mais l’acte de produire hors de son propre sein ; acte créateur qui fait surgir quelque chose d’un milieu nourricier et qui est le privilège des dieux ou des grandes forces naturelles, non des hommes”130. Ce sens premier s’accorde bien à l’idée de Noailles selon laquelle l’auctoritas va se retrouver créatrice (ou confirmative) du droit de l’autre, va servir à fonder la situation juridique nouvelle. Derrière cette interprétation, on retrouve alors ce que l’on pourrait appeler la transitivité de la notion et de la relation juridique impliquée. En effet, cette auctoritas n’agit pas seule : elle agit sur quelque chose et ne se suffit pas à elle-même. Elle doit porter sur une chose qu’elle va, par son action, modifier ou compléter131. Elle se trouve au cœur d’une relation et c’est par son action dans cette relation (action intimement liée à la personne de l’auctor) que la situation juridique va se trouver modifiée. Or cette transitivité va de pair avec une transitivité identique de tout le système politique et social de Rome qui repose en fait sur des interactions – forcées ou facilitées – permanentes. Nous avons essayé de montrer, ailleurs, que le système politique romain décrit par Polybe était un système relationnel, notamment en analysant le vocabulaire employé par l’historien grec pour le décrire au livre vi des Histoires, vocabulaire éminemment concret de la collaboration132. C’est exactement ce qui est en jeu ici : la collaboration de l’auctor transforme par son auctoritas la situation juridique, avec comme conséquence les effets que cela va produire133. C’est d’autant plus probable que nous nous situons à une époque où le droit n’est pas encore garanti par un État quasi inexistant, mais par les concitoyens dont la présence est nécessaire à la validation de l’acte134. L’auctoritas est donc bien cet acte qui permet de modifier (en attestant ou en confirmant) quelque chose : un droit, un titre, un pouvoir. C’est ce qui explique qu’elle soit une puissance qui accorde des formes de légitimité et qu’elle puisse être appliquée à des domaines si variés. C’est ce qui tend aussi à pousser vers une interprétation de son rôle dans les versets des xii Tables en termes probatoires. Seule une interprétation de ce genre permet d’établir un rapport de similitude réelle, d’analogie structurale (pas seulement verbale sur la base de l’étymologie principale d’augeo) entre les différentes auctoritates du droit public et privé puisque c’est bien de cela qu’il s’agit à chaque fois135. Pensons en effet à ce qu’écrivait Richard Heinze dans son analyse de l’auctoritas : “Mündel und Volk sind entschlossen, sich in einer bestimmten Richtung zu binden ; diese Bindung kann aber nicht zustande kommen ohne die Mitwirkung eines anderen, einzig dazu berechtigten, seine auctoritas ; und diese besteht nur darin, daß der auctor sein Einverständnis zu erkennen gibt”136. On touche là au cœur du mode de fonctionnement du système romain et le fait qu’une notion comme celle d’auctoritas puisse être interprétée de cette manière, alors même qu’elle se retrouve dans toutes les dimensions de la vie romaine dans lesquelles ce schéma se reproduit, montre la justesse de l’interprétation de Noailles. L’intérêt d’une telle reconstruction est qu’elle permet par ailleurs de se détourner de l’attractive (mais illusoire) quête d’un concept unitaire non-latin auquel ramener les différents usages possibles du mot137, pour, à l’inverse, souligner que l’auctoritas renvoie toujours à la position concrète d’un auctor dans une série de situations différentes, position concrète qui est structurellement la même et qui permet de rendre compte de l’emploi du même mot dans ces contextes si variés.
34Dans le cadre des xii Tables donc, cette auctoritas serait ce privilège reconnu à l’individu de fonder la situation juridique d’autrui avant que s’écoule un certain délai, avant que le passage du temps ne l’entérine définitivement. Elle servirait de la sorte à faire la preuve de la maîtrise sur la chose138. Il faut alors se demander si ce principe s’applique en cas de mancipation, ou plutôt de prescription acquisitive : tertium non datur. Avec Noailles encore, on soulignera qu’il n’est pas certain qu’elle ait été limitée à la mancipation139. Rien ne le prouve véritablement dans les rares sources à notre disposition, et le fait que ces dispositions aient été interprétées en terme d’usucapio par Gaius doit être pris en compte. Il faut peut-être lutter contre cette association, ce qui conduirait à découpler le sens d’auctoritas dans le cadre de la mancipation (une garantie issue de la validation de l’acte par l’auctor-vendeur) et pour les versets des xii tables (une garantie liée à une position de pouvoir sur la chose qui pourrait s’appliquer en cas de prescription acquisitive, étant ainsi l’ancêtre de l’usucapio, voire en cas d’in iure cessio). Sachant que György Diósdi estime que la mancipatio au ve siècle ne peut pas désigner le transfert d’un droit de propriété (le dominium, notion non encore conceptuellement forgée), mais celui d’une position de pouvoir sur l’objet ou la chose, ce qui rapprocherait fortement les deux sens140. On peut également se demander si le contexte historique se prête bien à une interprétation réduite aux seuls cas de mancipatio.
Les dispositions décemvirales et leur contexte historique
35De façon remarquable, la majeure partie des travaux consacrés à l’auctoritas dans les lois des xii Tables néglige toute tentative pour replacer ces dispositions dans le cadre du ve siècle, alors même que cela pourrait sembler important. On peut tenter d’y remédier en partant de la table VI.3 et du délai différent énoncé : deux ans ou un an. Ce délai temporel est plutôt court et peu d’auteurs ont tenté de l’expliquer. Semblable délai s’explique en fait par les conditions matérielles de la cité romaine à l’époque, encore géographiquement limitée, et par les conditions d’exploitation de la terre. Dans une cité au territoire peu étendu et à la population peu nombreuse, un an et deux ans pouvaient largement suffire pour recouvrer un bien. Par ailleurs, Girard relie les deux années pour le fundus à un système d’utilisation de la terre avec la jachère un an sur deux, système dans lequel une parcelle ne donne de récolte que tous les deux ans (une sorte d’assolement biennal donc)141. La différence de durée entre les terres et le reste s’explique alors aisément par le fait qu’il n’ait pas besoin d’attendre des récoltes pour constater l’emploi des esclaves, des bêtes ou autres biens meubles. Qu’est-ce qui confirme donc la propriété ? L’utilisation effective de la chose, visible seulement à sa mise en valeur du point de vue agricole dans le cas de la terre. S’agissant d’un élément central de toute société paysanne, on comprend que le verset insiste particulièrement sur le fundus. Cette propriété est toujours contestable sans cette mise en valeur. Ce n’est donc pas le temps en lui-même qui valide la propriété, c’est l’action effective sur la terre qu’il permet ou, pour les autres choses, la possibilité qu’il donne d’en constater l’emploi continu. Tant que cela n’a pas été prouvé, il y a besoin de quelqu’un d’autre pour apporter un surcroît, une auctoritas, qui va attester la propriété. Notons que ce délai de deux ans se retrouve dans un célèbre document plus tardif : la lex Manciana (116-117 après J.-C., mais reprenant des dispositions d’un texte datant de Vespasien). Ce règlement prévoit que le droit de culture qui appartenait au cultivateur est préservé dans le délai de deux ans après le jour d’interruption de la culture. Passé ce délai, la parcelle peut être revendiquée par celui qui l’a cultivée. Or dans ce cadre, ce délai n’a rien à voir avec des procédures de vente de la terre : il s’agit plutôt de permettre des formes de prescription acquisitive et, surtout, d’encourager la mise en culture. Cette dernière dimension était particulièrement importante dans la Rome du ve siècle, où il était vital de ne pas laisser la terre inemployée. La cité ne pouvait se le permettre et c’est une raison supplémentaire à ce délai biennal142. Les différentes explications possibles pour ce délai de deux ans paraissent de la sorte un puissant argument en faveur une fois encore de la valeur probatoire de ces dispositions législatives, puisque ce délai, en attestant la mise en valeur de la terre, permet de montrer son utilisation et légitime la propriété. Sans lui, il faut s’en remettre à l’auctoritas, i.e. à une preuve extérieure, ce qui va plutôt à l’encontre de l’idée qu’auctoritas puisse signifier titre de propriété. Ce titre ne pourrait pas être en effet celui de l’ancien possesseur, qui ne met plus en valeur la terre, s’en étant séparé et qui peut tout ou plus venir confirmer cet état de fait ; pas plus qu’il ne peut être celui du nouveau propriétaire puisque son titre ne sera considéré comme définitivement complet que par la mise en valeur ou par l’auctoritas143. C’est bien dans la direction de la théorie de Noailles que pointe ce délai, qui avait sans doute aussi pour but d’éviter que des terres demeurassent non cultivées.
36Rappelons aussi que l’époque des xii Tables correspond au cœur du conflit patricio-plébéien, marqué, à en croire nos sources, par d’intenses luttes autour de la question de la propriété de la terre : qu’il suffise de penser aux nombreux plébiscites mentionnés dans nos sources touchant ce problème agraire144. Peu d’auteurs ont essayé de rapprocher ces versets des xii tables de la situation politique et économique présentée par nos sources. Horvat est ainsi l’un des rares à l’avoir fait, en expliquant les dispositions (comprises comme relevant de l’usucapion) comme un moyen pour faciliter la concentration des terres entre les mains des patriciens145. L’idée est intéressante et mérite d’être rapprochée de la théorie de Giuseppe Falcone sur l’origine de l’uti possidetis. Pour cet auteur, le patriciat avait réussi à mettre sur pied un mode efficace d’exclusion des plébéiens des terres, qui reposait sur le fait que l’absence de mise en valeur des terres pouvait conduire à des sanctions – et plus tard à la nota des censeurs comme le montrent Pline l’Ancien et Aulu-Gelle146 – en particulier à leur confiscation. À la chute des rois, en contexte de crise économique, les patriciens se seraient servis de ce mécanisme politique (et non juridique) – attesté dès l’époque royale par Denys d’Halicarnasse et Plutarque – pour chasser des terres publiques toute une série de personnes n’ayant plus les moyens de les mettre en valeur147. Au moment de l’entreprise décemvirale, ce conflit agraire battait son plein et cela pourrait expliquer la présence de telles dispositions dans les lois des xii Tables. Ce corpus législatif est en effet principalement organisé autour d’éléments très concrets et non autour de grands principes : les cas de vol, les problèmes de droit de glanage, les questions de bornages de propriétés, etc. Dans ce cadre, ce sont également surtout les procédures qui sont visées et qui sont explicitées, ce qui a permis à Humbert de présenter cet ensemble comme une entreprise de codification processuelle de l’action des magistrats sans vocation constituante148. Or, il a été proposé de voir dans certaines dispositions une influence plébéienne : par exemple la table VIII.5. Si l’hypothèse de Falcone est juste, on peut se demander si la mise par écrit de telles dispositions ne s’expliquerait pas par une forme de pression plébéienne. Il faudrait alors renverser l’hypothèse de Horvat en supposant qu’il y avait là une première tentative pour encadrer (et limiter) les démarches patriciennes d’accaparement des terres, avec un succès relatif. En effet s’il est incontestable que les xii Tables furent une première attaque du monopole patricien, cette attaque se focalisa sur les procédures et il est peu probable qu’elle régla une question agraire qui ne le fut qu’avec les lois licinio-sextiennes de 367, d’autant que nous savons que la législation décemvirale fut loin d’avoir totalement renversé le monopole du pouvoir patricien. De façon plus générale, ce contexte de tension politique autour de la question agraire s’expliquerait plutôt mieux si la loi visait des dispositifs relatifs à des formes de prescription acquisitives qu’à des ventes en bonne et due forme car de quelles ventes pourrait-il s’agir ? Que ce soit des ventes de patriciens à des plébéiens ou l’inverse, les parties n’y avaient guère intérêt.
37On enrichira ces analyses par deux autres pièces versées au dossier. D’une part, Dieter Nörr a émis l’hypothèse qu’on puisse trouver la notion d’auctoritas dans le texte du premier traité romano-carthaginois de 509, dans le passage évoquant le contrôle du commerce. Il s’agit du texte grec suivant, rapporté par Polybe :
Pol. 3.22.8 : Τοῖς δὲ κατ’ ἐµπορίαν παραγινοµένοις µηδὲν ἔστω τέλος πλὴν ἐπὶ κήρυκι ἢ γραµµατεῖ.
“Pour ceux qui viennent faire du commerce, aucune transaction ne pourra être conclue sans la présence d’un héraut ou d’un greffier” (trad. D. Roussel).
38Nörr suggère que le grec µηδὲν ἔστω τέλος ait été utilisé pour rendre la notion d’auctoritas. La clause exprimerait l’idée que sans la participation d’un représentant officiel du pouvoir, les transactions commerciales ne pourraient être valides149. Cette hypothèse particulièrement attractive est des plus intéressantes car, si on l’accepte, elle fournirait un autre exemple à peu près contemporain des xii Tables de l’utilisation d’auctoritas. Or cet exemple va dans le sens que nous avons, à la suite de Noailles, essayé de mettre en valeur : le représentant officiel du pouvoir valide par sa présence (et peut-être une formule quelconque) la transaction qui, sans cela, serait frappée de nullité. On ne cachera pas toutefois que ce rapprochement est essentiellement fondé sur une analogie et que la valeur démonstrative de ce genre d’analogie n’est autre que celle qu’on veut bien lui donner.
39Dans un second temps, on notera qu’un nom de magistrat italien provient très certainement de la même racine qu’auctor. Il s’agit de l’uhtur osque150. Il est malheureusement très difficile de savoir à quoi correspondait cette fonction, attestée seulement par deux inscriptions à la charnière des iie et ier siècles, dont l’une ne donne aucun renseignement autre que le nom du titulaire151. La seconde inscription, plus longue, nous apprend l’achat et la délimitation d’un terrain par C. Vistinius qui était uhtur :
ager· emps· et / v termnas· oht(retie) / c(aie)· u· uistinie· ner(ie)· t· babr(ie) / vv maronatei vv / uois(ie)· ner(ie)· propartie / t· u· uoisiener vv / v sacre· stahu v / vacat.
La traduction anglaise proposée est : “Land bought and delimited in the term of office as auctor of C. Vistinius, son of V., and Ner. Babr(ius), son of T., in the maronate of Vols. Propertius, son of Ner., and T. Volsienus, son of V. I stand sacredly (= I stand to mark a sacred boundary)”152.
40On remarquera que l’éditeur préfère rendre l’osque directement par le latin auctor. Qu’auctor ait pu en venir à désigner une fonction publique n’est pas complètement surprenant à partir de ce que nous avons vu. Par son pouvoir, par son action, ce personnage peut valider, peut réaliser l’acte. Et il n’est peut-être pas anodin que la seconde inscription (bien que plus tardive) fasse référence à un contexte d’achat de terrain. On retrouve ici le résultat du pouvoir de l’auctor/uhtur de garantir, ou bien de manifester la propriété, et donc la même position concrète d’un auctor qui semble décidément avoir été au fondement de l’auctoritas.
Remarques conclusives
41À partir de l’examen d’une controverse historiographique et de la jungle interprétative qui a poussé sur la notion romaine d’auctoritas dans le contexte des lois des xii Tables, nous avons essayé de présenter les tenants et aboutissants du problème, ainsi que ce qu’ils permettent d’avancer quant à la notion d’auctoritas. Nous avons tenté de montrer que la présence de ce mot dans la législation décemvirale est riche d’enseignements. Cette analyse permet en particulier de proposer une lecture de l’auctoritas sous l’angle d’un rapport concret entre deux individus, lecture qui offre peut-être un moyen de comprendre comment un même vocable a pu être utilisé par les Romains dans des contextes apparemment si différents. Cela illustre l’importance de la dimension juridique d’un tel problème. On se rappellera ici que toute l’œuvre de Yan Thomas a défendu l’idée que, finalement, à Rome, les choses ne se comprennent qu’une fois qu’elles ont été formalisées et prises en main par le droit. Seule cette saisie par le droit permet, le plus souvent, de dévoiler la conception romaine sur tel ou tel sujet, y compris les plus concrets153. Il nous semble que c’est ce que montre incontestablement le cas de l’auctoritas.
Notes de bas de page
1 Ehrenberg 1925, 202-203.
2 Hellegouarc’h [1963] 1972, passim mais particulièrement 295-320.
3 Hellegouarc’h [1963] 1972, 295 n. 3. Remarques similaires chez Noailles 1948a, 223.
4 On laissera de côté une troisième solution, plus rare, ayant voulu voir dans la notion ainsi employée un synonyme d’usucapio. Cette hypothèse remonte au moins aux Annotationes in Pandectas de Guillaume Budé, mais n’a guère eu de postérité. Voir la discussion de ce texte par Noailles 1948a, 230-232.
5 Rappelons que la mancipatio est, selon la formule de Girard [1929] 2003, 308 “le mode d’aliéner par excellence du droit romain”. Elle apparaît dans la tab. VI.1 et elle concerne normalement à l’origine uniquement les res mancipi. Elle se déroule suivant une procédure formalisée avec la balance et le métal à peser, en présence de cinq témoins. Ce formalisme renvoie à son caractère initial de vente véritable (l’idée d’une appropriation initiale par la violence qui aurait évolué en vente ne tient pas), qui est demeuré même quand balance et métal ne servirent plus au paiement. Bonne présentation de cet acte dans Diósdi 1970, 62-84 et Watson 1975, 134-149. Mancipium est la forme archaïque du mot, dont il a été défendu, à la suite des théories de De Visscher 1936, qu’il ait eu aussi un sens plus large (de patria potestas). Cf. le résumé de ce débat dans Diósdi 1970, 51-56.
6 De Visscher 1933, 607.
7 Noailles 1948a, 225. Cf. Ernout & Meillet [1932] 2001, 57 s.u. augeo.
8 Présentation rapide de ce débat avec l’historiographie dans Humbert 2005c, 378-379.
9 De Visscher 1933, 638. On retrouve la même chose chez Noailles 1948a, 249. En accord donc avec le principe de simplicité des actes juridiques énoncé par Jhering [1874] 1880, IV, 136 (en prenant précisément appui sur la mancipation) : “J’ai comparé l’action romaine à une individualité. La même comparaison peut s’appliquer à l’acte juridique. Les actes juridiques constituent des individualités dont l’élément capital gît dans le droit qu’ils ont pour objet. Autant de droits, autant d’actions, avons-nous dit en parlant de la procédure. Le même principe est vrai lorsqu’il s’agit de l’acte juridique : autant de droits, autant d’actes juridiques”. Plus récemment, Casinos-Mora 2003, 52-57 retrouve les arguments de De Visscher ou de Noailles, notamment l’insistance sur le seul rôle du mancipio accipiens dans la procédure, sur le caractère de prise de possession de la mancipation, et sur la discussion du texte de Jhering. La mancipation ne crée pas l’obligation pour lui. Rappelons toutefois que Diósdi 1970, 71-72 a montré que cette unilatéralité (avec rôle passif du vendeur) ne constitue pas une originalité romaine, mais fut un trait commun que l’on retrouve notamment en Orient.
10 Voir infra, 42-43.
11 Nous nous concentrerons sur la controverse au xxe siècle, car Noailles 1948a, 227-236 a brillamment exposé la façon dont les auteurs des xvie-xviie siècles en sont arrivés à élaborer l’hypothèse initiale d’auctoritas comme droit de propriété ou comme usucapion.
12 Magdelain [1950] 1990, 688.
13 Cf. Crawford ed. 1996, II, 556 : “We do not doubt that our sources on the whole record the clauses of the Twelve Tables, as they were known in the Middle and Late Republic. It is indeed striking that the language and content of what we have are echoed by the Lex Osca Tabulae Bantinae, Law 13, which probably preserves part of the charter of a Latin colony of about 300 BC. That fact is among those which encourage us to believe that a reconstruction of at any rate a large part of the Twelve Tables is a reasonable enterprise”.
14 Liv. 6.1.9-10.
15 Sur la langue des XII Tables, voir Humbert 2018, 37-39.
16 Concernant les problèmes de palingénésie des xii Tables, outre les travaux essentiels d’Oliviero Diliberto, on pourra consulter Ferrary 2005, qui rappelle (p. 550) cet énoncé on ne peut plus clair de Girard 1914, 26 à ce sujet : “L’ordre méthodique précis dans lequel les règles sont disposées par table et par loi dans tous les recueils (y compris le mien) est un ordre purement artificiel que l’on conserve uniquement faute de mieux et pour ne pas choquer les habitudes anciennes et qu’il faudrait à mon avis abandonner sans hésiter le jour où l’on trouverait un procédé pratique pour grouper matériellement les textes sans donner l’illusion d’un ordre systématique qui nous est inconnu”. Girard et Senn 1977, 25 rappellent aussi à juste titre que le classement des lois est arbitraire en dehors de quelques cas isolés. Voir en dernier lieu, sur ce point, Humbert 2018, 8-22.
17 Voir De Visscher 1933, 617-618 ; Kaser 1955, 1, 118 ; ou Humbert 2005c, 381-382, pour qui Cicéron transmet les ipsissima uerba de la loi, notamment en se fondant sur l’argument que Cicéron n’utilise pas le terme d’usucapio. Il faut indiquer plus largement ici que, pour cet auteur, le développement du concept d’usucapio s’est fait en dénaturant le concept plus ancien d’usus (cf. Humbert 2005c, 400). Voir en dernier lieu Humbert 2018, 262-264. Pour comparaison, Girard et Senn 1977, 59-60 (tab. VI, 3) établissent le texte ainsi : “Gaius 2, 42 : [VSVCAPIO autem] MOBILIVM RERVM ANNO COMPLETVR, FVNDI VERO ET AEDIVM BIENNIO ; et ita lege XII Tab. cautum est. Cic., Top. 4, 23 : VSVS AVCTORITAS FVNDI biennium est … ceterarum rerum omnium … annus et usus”.
18 Ulp. 19.8 : Vsucapione dominium adispiscimur tam mancipi rerum quam nec mancipi. Vsucapio est autem dominii adeptio per continuationem possessionis annu uel biennii : rerum mobilium anni, immobilium biennii (“Avec l’usucapion, nous obtenons le droit de propriété tant sur les res mancipi que sur les res nec mancipi. Or l’usucapion est l’acquisition du droit de propriété par la possession continue pendant un an ou deux ans : un an pour les biens meubles, deux ans pour les biens immeubles”).
19 Crawford ed. 1996, II, 659 et la discussion du problème dans Humbert 2018, 262-264.
20 Contra, Diósdi 1970, 88 n. 18.
21 Voir l’exposé très clair du débat chez Cuq 1891, 249 n. 1. Indirectement en faveur de l’asyndète également, Mommsen 1889-1896, 1, 33-34 et n. 6.
22 Voir, e.g., Girard [1929] 2003, 322 n. 2 ; De Visscher 1933, 617-618 (qui opte pour l’asyndète, au motif que la formule du Pro Caecina condamne l’idée d’usus comme complément d’auctoritas, un argument que l’on retrouve souvent) ; Giffard 1938, 356 ; Warmington 1938, 461 ; Noailles 1943a, 239-240 ; Magdelain [1950] 1990, 694 ; Crawford ed. 1996, II, 659 ; Casinos-Mora 2003, 67-68 ; Humbert 2005c, 381-382 ; Humbert 2018, 262-263.
23 Kaser 1955, 118 n. 2.
24 Kaser 1988, 128-129. Avant lui, Huvelin 1915, 280 a défendu l’hypothèse d’un génitif.
25 Sur le fait de savoir s’il faut ou non compter les maisons dedans, cf. Flach 1994, 150-151.
26 Ou bien : “Que l’auctoritas sur un fonds de terre soit de deux ans <pour d’autres biens qu’elle soit d’un an>” si on enlève usus.
27 Humbert 2018, 261-271 offre le panorama le plus récent et le plus complet des discussions sur ce verset. Dans la doctrine classique, Humbert 2005c, 381-388 (et Humbert 2018, 263-264) se singularise cependant car pour lui, auctoritas n’était utilisé que dans la première partie du verset (pour les fundi, donc des res mancipi, ce qui lui permet de lier cette partie à la mancipatio) et pas dans la seconde (qui concernerait les res mancipi meubles et les res nec mancipi). L’argument est discutable pour les raisons évoquées plus haut concernant la suite du texte de Cicéron. La distinction que fait cet auteur entre les deux parties du verset nous paraît donc hypothétique. Soulignons en outre que Nicosia 2016, 314 a contesté l’existence d’une distinction entre res mancipi et res nec mancipi dès l’époque décemvirale. C’est donc un point discuté.
28 Kaser 1955, 118 et Kaser 1988, 128. Voir aussi Noailles 1948a, 240.
29 Humbert 2005c, 382 et Humbert 2018, 265 où il insiste sur le fait qu’usus renvoie à l’exercice d’un droit, à l’usage du droit.
30 De Visscher 1933, 618. Même si le concept d’usucapion est postérieur comme le rappellent Kaser 1956, 301-302 et Humbert 2005c, 382. Sur le développement de l’usucapio, voir aussi Diósdi 1970, 144-148.
31 Kaser 1988, 128.
32 Kaser 1988, 128 (avec état de la bibliographie dans les notes).
33 Kaser 1988, 128. Voir aussi Kaser 1955, 118 ou encore Girard [1929] 2003, 322 n. 2 où auctoritas désigne “l’assistance due par le mancipant à son acquéreur contre les revendications des tiers”.
34 Kaser 1955, 353. Dans le même sens, Girard [1929] 2003, 322. Humbert 2005c, 392 estime que l’usucapion, en tant que transformation d’un droit de fait en un titre juridique par le passage du temps est extérieure à la mentalité du ve siècle. Cela va de pair avec sa conception de l’usus (voir Humbert 2018, 264-267). Cette théorie dominante est notamment suivie par Albanese 1985 92-109 et Albanese 1998, 7-8, ou par différents travaux d’Hans Ankum.
35 Kaser 1955, 113-114. Sur la notion d’usus comme possession effective (anticipant en quelque sorte la notion ultérieure de possessio) mais non comme droit de propriété, voir aussi Kaser 1956, 15. La reconstruction canonique de M. Kaser repose aussi sur l’idée d’une certaine relativité du droit de propriété archaïque. Voir la discussion dans Diósdi 1970, 94-106 et n. 37.
36 Cette idée remonte au moins à Mommsen [1843] 1907, 459 où on peut lire : Auctoritas igitur est conditio eius, qui quia mancipauit uendiditue ad euictionem uitiaque praestanda obligatus est. Elle est exprimée de nouveau dans Mommsen 1889-1896, 7, 238 n. 2. Toutefois, comme le relèvent Noailles 1948a, 243 et Diósdi 1970 75 n. 72, Cujas, sans commenter directement ce verset, affirmait déjà que l’auctoritas désigne “l’obligation de garantie née de la vente”. Cette interprétation est construite sur la base d’une série de textes plus tardifs, à commencer par des textes juridiques : Val. Prob. 4.7 : Quando in iure te conspicio postulo anne far auctor (“Lorsque je te vois lors de la phase in iure, je demande si cela fait vraiment de toi un auctor”) ; Paul. Sent. 2.17.1-3 : Venditor si eius rei quam uendiderit dominus non sit, pretio accepto, auctoritatis manebit obnoxious ; aliter enim non potest obligari. Si res simpliciter traditae euicantur, tanto uenditor emptori condemnandus est, quanto si stipulatione pro euictione cauisset. Res empta, mancipatione et traditione perfecta, si euincatur, auctoritatis uenditor duplo tenus obligatur (“Si quelqu’un vend un bien dont il n’est pas le possesseur, il sera responsable pour avoir reçu l’argent, sinon il ne pourra être obligé. Si le bien doit être simplement évacué, le vendeur est d’autant plus responsable envers l’acheteur qu’il a prévu une stipulation contre l’expulsion. Si le bien est évacué une fois la vente faite et livrée, le vendeur est tenu par la garantie au double”) ; D. 21.2.4 : Illud quaeritur an is, qui mancipium uendidit, debeat fideiussorem ob euictionem dare, quem uulgo auctorem secindum uocant ? Et est relatum, non debere, nisi hoc nominatim actum est (“On demande si celui qui vend un esclave doit donner un répondant pour assurer avec lui à l’acheteur la restitution du double de son prix en cas d’éviction de l’esclave, ce qu’on appelle ordinairement une seconde sûreté ? On a décidé qu’il ne le devait pas, à moins que les parties n’en soient expressément convenues” trad. Hulot) et Venuleius (D. 21.2.76) : Si alienam rem mihi tradideris et eandem pro derelicto habuero, amitti auctoritatem, id est actionem pro euictione, placet (“Si vous me vendez la chose d’autrui, et que je l’abandonne comme ne voulant plus qu’elle fasse partie de mes biens, il est décidé que je perds mon recours en garantie contre vous” trad. Hulot). Le passage id est actionem pro euictione est en général reconnu comme une interpolation (pas par Diósdi 1970, 77 n. 98). On peut ajouter à ces textes des témoignages littéraires plus anciens. Cic., Mur., 2.3 : Quodsi in iis rebus repetendis quae mancipi sunt is periculum iudicii praestare debet qui se nexu obligauit (“Dans les revendications de biens transmis par mancipation, celui qui s’est engagé par un contrat de cession est tenu de fournir sa garantie contre les risques de procès” trad. Boulanger CUF) ; Cic., Top., 10.45 : Finge mancipio aliquem dedisse id quod mancipio dari non potest. Num idcirco id eius factum est, qui accepit ? aut num is, qui mancipio dedit ob eam rem se ulla re obligavit ? (“Supposez qu’un homme ait transféré par mancipation la propriété d’une chose qui n’est pas susceptible d’être mancipée. La chose est-elle devenue ainsi la propriété de celui qui l’a reçue ? ou bien l’auteur du transfert par mancipation ne s’est-il obligé à rien à propos de cette chose ?” trad. Bornecque CUF). Peut-être Plaut., Curc., 494-498 : Egon’ ab lenone quicquam mancupio accipiam, quibus sui nihil est nisi una lingua, qui abiurant si quid creditum est ? alienos mancupatis, alienos manu emittitis alienisque imperatis, nec vobis auctor ullus est nec vosmet estis ulli (“Moi, accepter la garantie d’un léno ! De ces gens qui n’ont d’autre bien vaillant que leur langue, pour nier sous la foi du serment l’argent qu’on leur a prêté ? Vous n’êtes propriétaires ni de ceux que vous vendez, ni de ceux que vous affranchissez, ni de ceux à qui vous commandez. Personne ne veut vous servir de caution, et vous-mêmes ne pouvez servir de caution à personne” trad. Ernout CUF) ; Plaut., Pers., 524-525 : Ac suo periclo is emat qui eam mercabitur: mancipio neque promittet neque quisquam dabit (“Je veux que tu lui en procures la vente là-bas, en stipulant que l’acheteur fera le marché à ses risques et périls ; car l’étranger n’en garantira point la propriété, non plus que personne d’autre” trad. Ernout CUF).
37 Humbert 2005c, 383. Il reconnaît que la loi “fa discendere dall’esercizio duraturo di questo diritto un rafforzamento” mais cela ne change pas le titre. Ce renforcement est expliqué plus loin (p. 400) par le fait qu’en cas de mancipatio, l’usus donne au titulaire une “protezione giuridica imperfetta, in quanto gravosa e complessa”, d’où l’utilité de l’auctoritas. Idées réaffirmées dans Humbert 2018, 264-266.
38 Humbert 2005c, 384-385 et Humbert 2018, 267-270 (avec analyse de la bibliographie antérieure) : “l’auctoritas, techniquement, qualifie l’assistance que le mancipio dans doit à l’accipiens pour le cas où celui-ci, partie à un procès en revendication, serait conduit à prouver son titre de propriétaire” (la citation est p. 269).
39 De Visscher 1933, 619.
40 Giffard 1938, 355-356.
41 Giffard 1938, 361-362.
42 Voir Noailles 1948a, 233-234 et Casinos-Mora, 2003, 74 n. 40. Rapide présentation bibliographique des partisans de cette interprétation dans Diósdi 1970, 87.
43 Voir, e.g., Lévy-Bruhl 1947, 14-25 ; Diósdi 1970, 88-89 (avec prudence) ; Pugsley 1972, 40-45 ; Watson 1975, 143 (“with some diffidence”) et 151. A. Watson et G. Diósdi illustrent parfaitement le courant réticent à la limitation du verset aux seuls cas de mancipatio.
44 Magdelain [1950] 1990, 693-696.
45 Casinos-Mora 2003, 50-51.
46 Casinos-Mora 2003, 78-79.
47 Pour comparaison, Girard et Senn 1977, p. 60 (tab. VI 5) établissent le texte ainsi : “Cic., Off. 1, 12, 37 : “Hostis” … apud maiores nostros is dicebatur quem nunc peregrinum dicimus. Indicant XII Tab. – ADVERSVS HOSTEM AETERNA AVCTORITAS [ESTO].”
48 Cf. Varro, L. L., 5.3 et Fest. 414-416 L., s.u. status dies. Prichard 1974, 380 a proposé de revenir à une traduction comme ennemi, mais cette proposition est difficilement défendable.
49 Voir les remarques de Humbert 2005c, 393 ; Humbert 2018, 275 ou de Casinos-Mora 2003, 83-85 pour qui le sens d’aduersus pourrait même être positif. Seul Noailles 1948a, 237-238 et 245 estime impensable qu’hostis désigne un pérégrin, optant plutôt pour un verset concernant le rapport entre deux Romains, en retrouvant en partie une idée de Th. Mommsen.
50 Humbert 2018, 273-278 offre le panorama le plus récent et le plus complet des discussions sur ce verset.
51 Kaser 1955, 119 et 354 et Kaser 1988, 137. Voir en particulier Kaser 1955, 119 et Kaser 1988, 142.
52 Girard [1929] 2003, 313. Cf. Ulp., Tit., 19.4. Au passage cela prouve l’existence de procès in rem dès l’époque des xii Tables.
53 Humbert 2005c, 394-396 et Humbert 2018, 277-278.
54 Suivies, de façons diverses, par de nombreux auteurs, comme, e.g., Albanese 1985, 94.
55 De Visscher 1933, 621.
56 Voir les critiques de Giffard 1938, 350-353 ; Leifer 1937 ; Noailles 1948a, 255-258 ; ou Humbert 2018, 276.
57 Giffard 1938, 349 et 353.
58 Noailles 1948a, 280.
59 Magdelain [1950] 1990, 699.
60 Idée à peu près suivie par ceux qui analysent l’auctoritas comme “titre de propriété”. Voir, e.g., Watson 1975, 154-155 pour qui le titre de propriété demeure permanent à l’égard d’un pérégrin car ce dernier ne peut usucaper. On retrouve une interprétation similaire dans Crawford ed. 1996, II, 661. Là, cette clause fonctionne en parallèle avec la précédente : si l’auctoritas subit une limitation temporelle pour un Romain lorsque c’est un citoyen qui a usucapé (les auteurs critiquent en effet le lien avec la mancipation et l’interprétation classique de M. Kaser), la situation serait différente vis-à-vis de l’étranger : dans ce cas, l’usucapio n’entraîne pas extinction de l’auctoritas. Les étrangers seraient donc privés de l’usucapio, alors que, pour les Romains, elle est possible et entraîne la propriété.
61 Casinos-Mora 2003, 80 et 85 (pour la citation).
62 Pour comparaison, Girard et Senn 1977, 66 (tab. VIII 17) établissent le texte ainsi : “Gaius 2, 45 : – FVRTIVAM (sc. rem) lex XII Tab. VSV CAPI PROHIBET.” Flach 1994, 180 préfère ne pas proposer de reconstitution du verset, se contentant de citer le texte de Gaius.
63 Interprétation confirmée par Labéon, cf. D. 41.3.49 : Si quid est subruptum, id usucapi non potest, antequaam in domini potestatem peruenerit. Paulus : imo forsitan et contra. Nam si id quod mihhi pignori dederis, subripueris, erit ea res furtiua facta : sed simul atque in meam potestatem venerit, usucapi poterit (“Ce qui a été volé ne peut être prescrit qu’après qu’il sera rentré sous la puissance du propriétaire. Paul : au contraire il peut se faire que pour être prescrit il faille qu’il retourne du maître à un autre. Par exemple si vous me volez un effet que vous m’avez donné en gage, cet effet est infecté du vice de vol, et néanmoins il pourra être prescrit quand il sera rentré sous la puissance de moi créancier”, trad. Hulot).
64 Cf. la justification de la reconstruction dans Crawford ed. 1996, II, 620.
65 Présentation générale de cette loi avec la bibliographie dans Elster 2003, 412-415 (p. 415 pour la date de la loi, qui est en fait un plébiscite).
66 Elster 2003, 414.
67 Magdelain [1950] 1990, 701-705.
68 Girard [1929] 2003, 331 n. 5.
69 Casinos-Mora 2003, 92-96.
70 Giffard 1938, 340-342, 345 et 347 : la loi “contenait une disposition unique prohibant l’usucapion des res subruptae en perpétuant l’auctoritas du volé sur ces choses”. C’était une prohibition générale – non limitée à la mancipation – qui ne distinguait pas les res mancipi des res nec mancipi.
71 Mommsen 1907a, 3, 60-61 et n. 3.
72 Kaser 1988, 138. Voir déjà Girard [1929] 2003, 331 n. 5.
73 Kaser, 1988, 139.
74 Kaser 1988, 140-141 et Kaser 1955, 1, 119-120, avec réfutation d’autres hypothèses, comme celle qui veut que les xii Tables aient prononcé l’exclusion de l’usucapio tandis que la loi Atinia l’aurait complété avec la préservation de l’auctoritas en faveur de l’adversaire (celui qui attaque) de la prescription acquisitive. Idée suivie par Diósdi 1970, 91 ou, tout récemment, par Humbert 2018, 572-573.
75 Crawford ed. 1996, II, 620. Mettons à part l’hypothèse originale de De Visscher 1933, 622-623 et De Visscher 1937, 580-584 pour qui la loi Atinia concernait les cas où le volé n’avait pas eu le temps d’usucaper. Il était donc contraint de recourir à l’auctoritas du vendeur pour justifier sa propriété, auctoritas qui était alors considérée comme sans limite de temps. D’après F. De Visscher, donc, la prohibition générale d’usucaper les choses volées remonterait effectivement aux xii Tables, mais sans mention d’une aeterna auctoritas qui ne serait intervenue qu’avec la loi Atinia. Cette dernière aurait en effet complété le dispositif en prévoyant le cas du propriétaire volé avant la fin du délai d’usucapion par l’extension de l’auctoritas. La loi Atinia ne concernait ainsi pas l’interdiction d’usucaper, interdiction qui venait des xii Tables.
76 Point bien mis en avant par Noailles 1948a, 229.
77 Humbert 2018, 567-573 offre le panorama le plus récent et le plus complet des discussions sur ce point.
78 Humbert 2005c, 398-399 et Humbert 2018, 570-571.
79 Humbert 2018, 570.
80 Idée similaire chez Horvat 1956, 300 et Lévy-Bruhl 1947, 21.
81 Giffard 1938, 342-343 et 348 : “l’auctoritas aeterna est tout simplement l’autorité juridique que conserve indéfiniment le volé sur la chose dérobée”.
82 Voir infra, 56 pour une présentation plus précise de ce que F. De Visscher entend par là.
83 Magdelain [1950] 1990, 701.
84 Noailles 1948a, 281. Voir infra, 57.
85 Flach 1994, 135-136 préfère ne pas reconstituer le texte et cite seulement le texte source de Gaius. Humbert 2018, 177-178 se contente également de commenter Gaius sans proposer de reconstitution.
86 Kaser 1988, 153-154 et Kaser 1955, 120.
87 Kaser 1988, 153-154.
88 Humbert 2018, 180. Humbert 2018, 177-181 offre le panorama le plus récent et le plus complet des discussions sur ce verset.
89 Cf. le texte de J. Dubouloz dans le même volume sur ce sujet.
90 Humbert 2018, 397-402.
91 Voir supra n. 36 pour le texte.
92 Kaser 1955, 116.
93 Girard 1882, 181. Voir aussi Noailles 1948a, 249. Schulz 1951, 533-534 rappelle le caractère en réalité hypothétique de l’actio auctoritatis, tandis que Sargenti 1962 pense que la garantie liée à la mancipatio n’a même jamais existée. Cette idée d’une inexistence de l’actio auctoritatis a été soutenue par Fuenteseca 1958, 141 ou Diósdi 1970, 77-78.
94 Girard [1929] 2003, 311 ou Humbert 2018, 258-259 et 400.
95 Girard [1929] 2003, 588-597 sur la garantie d’éviction et son article de 1882 sur l’actio auctoritatis.
96 Girard [1929] 2003, 590 : “elle a dû être créée dès avant les XII Tables”, mais il ne dispose d’absolument aucun élément positif en ce sens.
97 Girard 1882, 186.
98 Girard 1882, 202.
99 Girard, 1882, 212-215. Cette origine délictuelle a été depuis critiquée. Voir Noailles 1948a, 250-251.
100 Crawford ed. 1996, II, 659.
101 Heumann & Thon 1891, 43-44.
102 Voir la discussion dans De Visscher 1933, 618.
103 Kaser 1955, 116 et Kaser 1988, 128-129.
104 Casinos-Mora 2003, 96.
105 Humbert 2018, 267-269.
106 Warmington 1935, 441 et 461. Warmington ne donne pas de traduction d’auctoritas pour la tab. I.22 puisqu’il ne cite et ne traduit que le passage de Gaius.
107 Watson 1975, 143 et Magdelain [1950] 1990, 695-696.
108 Crawford ed. 1996, II, 660. Voir aussi Diósdi 1970, 89 : “Therefore I shall simply speak of auctoritas without trying to describe more closely this woolly concept which can scarcely be defined with the language available today”. Pour ce dernier (p. 124), usus auctoritas désigne la consolidation d’une position de fait qui était légale, mais pas encore l’usucapion.
109 Flach 1994, 147.
110 Cité par Diósdi 1970, 85 n. 5. Un cas intéressant qui souligne la dimension probatoire de l’auctoritas.
111 Giffard 1938, 362.
112 Noailles 1948a, 241-242 avait remarqué que ce système est semblable à celui de Bullhorn Rosen.
113 CIL, III, 1998 (Salona) ; CIL, VI, 8439 (Rome) ; AE 2014, 168 (Rome).
114 AE, 2000, 37.
115 Cic., De Or., 3.5. Voir les remarques de Mommsen 1889-1896, 7, 199 sur ce texte. Voir aussi Diósdi 1970, 80 qui montre que l’emploi d’auctoritas pour désigner la preuve est un des plus fréquent.
116 Girard 1882, 182.
117 Girard 1882, 183.
118 Girard 1882, 185. Voir la façon dont Noailles 1948a, 246-248 lit et critique ce passage.
119 Kaser 1988, 133.
120 Il nous semble que la théorie de Humbert essaye précisément de contourner cette difficulté en redéfinissant usus pour le mettre sur le même plan probatoire que l’auctoritas.
121 Noailles 1948a, 240-241 et 248-249.
122 De Visscher 1933, 610 et aussi 630 : “l’auctoritas du mancipio dans consiste dans l’approbation ou la ratification donnée à la déclaration unilatérale d’acquisition de l’acheteur. Cette auctoritas est à la base de l’ensemble des effets de la mancipatio. C’est elle qui assure et consolide l’acquisition à la fois à l’égard du mancipant et vis-à-vis des tiers”. Voir aussi De Vischer 1937, 574.
123 De Visscher 1933, 624. Cette conception a été reprise largement par Leifer 1936 et Leifer 1937, lequel la modifie fortement en lui appliquant un schéma évolutif historique (inspiré d’analogies avec le droit germanique). Ce serait le dérivé d’actes primitivement établis entre des groupes (des clans) et l’auctoritas aurait initialement été celle de l’assemblée du groupe, avant de passer par réduction successive au seul mancipio dans. Initialement, cette auctoritas renverrait au consentement des membres du clan (Sippengenossen) à la mancipatio, garantie n’étant qu’un sens dérivé. Cette hypothèse (qualifiée de “phantasmagoric history of auctoritas” par Diósdi 1970, 76) n’a aucune source sur laquelle s’appuyer ce pourquoi nous en avons peu parlé.
124 Noailles 1948a, 246. Voir aussi p. 224.
125 Cette volonté d’extraire ces textes du seul problème de la mancipatio est au cœur des tentatives explicatives de Sargenti 1962, Casinos-Mora 2003 ou encore D’Angelo 2010-2011.
126 Noailles 1948a, 262 et 274.
127 Hellegouarc’h [1963] 1972, 296 n. 4.
128 Noailles 1948a, 258. Au passage, la création de la mancipatio nummo uno semble bien appuyer l’idée que le principal effet de la mancipation était l’effet acquisitif car c’est bien cela qu’on cherche à détourner (par le prix symbolique) pour transformer la mancipation d’une vente en moyen de simplement faire passer un bien à autrui. Les hypothèses qui y voient le moyen d’éliminer la garantie d’éviction (auctoritas) ne fonctionnent qu’à partir de l’hypothèse de cette garantie comme obligation. Toutefois, la lecture des sources (Gaius en particulier) incline plutôt à souligner que la mancipatio a d’abord pour but la vente. Les allusions à l’auctoritas sont en outre extrêmement rares, ce qui confirme plutôt que c’est un effet indirect, pas une obligation.
129 Noailles 1948a, 255. Par ailleurs, le droit ancien parle plutôt d’acte que de notion, ce qui va dans le sens d’une auctoritas comme acte plutôt que comme droit.
130 Benveniste 1969, 149.
131 Cf. Magdelain [1950] 1990, 685 : elle “ne se suffit pas à elle-même : soit qu’elle autorise, soit qu’elle ratifie, elle suppose une activité étrangère qu’elle valide”.
132 Lanfranchi 2017, 154-155.
133 Cf. la belle formule de Magdelain [1950] 1990, 686 où l’auctoritas permet d’être muni “du pouvoir de communiquer le don de la valeur juridique”.
134 Ce pourquoi l’idée d’auctoritas sans auctor avancée par Casinos-Mora 2003 nous semble difficile à accepter. Elle suppose une structure publique collective de type étatique quand, à cette époque, la ciuitas romaine n’était pas une personne morale avec une force incarnée dans une police, des tribunaux... mais une collectivité d’individus et, donc d’auctores.
135 Noailles 1948a, 252-253.
136 Heinze 1925, 350.
137 Magdelain [1950] 1990, 685 : “Il est singulièrement malaisé de ramener les divers aspects juridiques de la notion d’auctoritas à un concept unitaire”.
138 Diósdi 1970, 90, Humbert 2005c et Humbert 2018 estiment que ces dispositions visent moins l’acquisition de la propriété que la preuve de la propriété.
139 D’autres témoignages de Cicéron lient en effet l’auctoritas à l’usucapion (en particulier Cic., Caec., 26.74). Sur ce point la démonstration de Noailles 1948a, 267-273 demeure exemplaire.
140 Diósdi 1970, 55.
141 Girard [1929] 2003, 333 n. 2. Idée reprise et exposée par Watson 1975, 153.
142 Cf. les nombreux épisodes de crises frumentaires attestés par les sources pour le ve siècle.
143 On mettra à part, uniquement pour mémoire, l’hypothèse de Max Weber pour qui fundus signifierait Genossenrecht, et pourrait donc désigner les terres communes (des gentes ?) par opposition aux terres privées. Dans ce cadre, le verset renverrait à un des moyens de transformation des terres communes en propriété privée. Comme le souligne Diósdi 1970, 42 n. 74, cette belle théorie n’a aucun fondement documentaire.
144 Sur ces questions, voir Lanfranchi 2015.
145 Horvat 1956, globalement suivi par Diósdi 1970, 92.
146 Plin., Nat., 18.11 et Gell. 4.12.1.
147 Falcone 1996.
148 Humbert 2005b et Humbert 2018, 22-36.
149 Nörr 2005, 174-175, qui propose une tentative de réécriture du texte latin d’origine : Venientibus ad commercium auctoritas ne esto praeter praeconem scribamve. Sur cette idée de garantie et de fondement de l’acte, voir aussi ce qu’écrit De Visscher 1933, 638-639 sur la mancipatio du fils.
150 Untermann 2000, 789 pour l’étymologie, pas complètement certaine. Voir aussi Mazzarino [1945] 1992, 50-51 sur ce rapprochement. Nous parlons de magistrat par commodité, mais ce n’est absolument pas certain. Ce semble en tous les cas renvoyer à des fonctions officielles.
151 Imagines italicae, 1, 121 Umbria/MEVANIA 1 (environ 125-100 avant J.-C.).
152 Imagines italicae, 1, 101-102 Umbria/ASISIVM 1 (environ 100-90 avant J.-C.).
153 Dubouloz 2011, 578-579.
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