Hercule et ses réseaux en Germanie inférieure
p. 211-247
Texte intégral
1Le propos de cette étude est de tenter de définir les identités d’Hercule en Germanie et de dégager les réseaux divins auxquels il appartenait. Étant donné les liens particuliers de cette divinité avec les régions du Rhin inférieur, nous avons choisi de nous limiter à la partie septentrionale de la province créée par Auguste, puis réduite, qui deviendra la Germanie inférieure. Avant d’examiner la documentation proprement “romaine”, il nous est apparu nécessaire d’envisager brièvement le rôle particulier d’Hercule en Germanie, à la fin du ier s. a.C.
Hercule en Germanie avant et pendant la conquête romaine
Mythologie
2Tacite (Germ. 3 ; 9) nous apprend qu’un des dieux principaux des Germains, celui qu’ils invoquaient en partant au combat, était Hercule. Les historiens des cultes germaniques1 proposent que cette affirmation repose sur une assimilation effectuée par les peuples conquis avec le dieu germanique Donar (ou Thor) qui était à la fois le dieu du tonnerre (ce qui l’aurait assimilé à Jupiter2) et le dieu des combats, des soldats, le dieu qui représentait la martialité ; cette définition ne convient pas à Jupiter, dieu de la souveraineté civilisée, qui ne figurait pas au nombre des trois dieux principaux (romanisés) des Germains, Hercule, Mars et Mercure, selon Tacite. Une preuve archéologique de cette interpretatio de Donar réside dans les amulettes en forme de massue qui existent dans le monde romain (à Cologne n° 39 et à Wincheringen chez les Trévires) accompagnées de la dédicace explicite à Hercule, et que l’on retrouve dans le monde franc aux iv-viie siècles et en Scandinavie aux x-xie siècles sous le nom de “Donnerskeile” avec des variantes linguistiques locales3. Toutefois il n’apparaît pas clairement si Donar connaissait des identités régionales ou patronnait des dieux locaux avec des spécificités ethniques qui auraient pu correspondre à des épiclèses romaines.
3Hercule représente dans la mythologie gréco-romaine un dieu combattant, certes, victorieux et invincible, qui figure dans les panthéons militaires, mais c’est aussi le dieu qui apporte la civilisation aux barbares et qui fonde des peuples notamment par mariage avec une jeune femme ou nymphe locale. Les exemples en Méditerranée et en Gaule ne manquent pas4. Un autre aspect d’Hercule qui intéressait ces peuples en cours de stabilisation, c’est sa relation au bétail et à l’élevage qui constituait, plus que l’agriculture, leur ressource principale (Tac., Germ., 5). On peut donc penser que les élites des peuples germaniques en contact avec Rome – comme l’étaient explicitement les élites ubiennes par exemple – ont élaboré leur propre mythologie et intégré Hercule dans leur panthéon. La romanisation s’installant, c’est Hercule qui a ainsi repris les fonctions de martialité dans les sanctuaires datant de l’indépendance5. Là où les cités de Gaule dont l’urbanisation était acquise se confiaient à Mars, dieu citoyen6, les peuples germaniques ont assimilé Hercule7, car ils étaient encore à un stade tribal et recherchaient chez lui un passeur vers la cité et l’urbanisation. Adopter Hercule, un dieu ayant accompli ses exploits dans le monde d’avant la naissance des cités et de leurs institutions, se conçoit donc très bien mais implique des élites sans doute plus informées – et proches sur le plan idéologique – du monde romain qu’on ne le pense généralement. Le choix d’Hercule comme dieu poliade par des populations nouvellement rassemblées et en instance d’installation civique dans le cadre provincial romain relève d’une interpretatio romana bien pensée d’un dieu germanique. N’oublions pas que les Bataves, par exemple, avaient conclu avec Rome une antiqua societas (Tac., Germ., 29) qui leur garantissait de multiples avantages, ce qui montre une familiarité ancienne entre les notables germaniques et le conquérant. Un indice, certes fort ténu, que les Romains de l’époque triumvirale et augustéenne, en la personne d’Agrippa, ont pu favoriser l’adoption d’Hercule par les populations germaniques pourrait résider dans l’intérêt manifesté à Glanum8 par le général pour le lieu de culte d’Hercule et sa “parèdre” Valetudo (AE, 1961, 328).
4Malgré les vicissitudes que connurent les populations germaniques au cours de l’époque augustéenne et l’inévitable perte de données qui en résulte, il est excessif d’écrire qu’il est en Germanie “quasiment impossible d’établir des continuités cultuelles avec l’époque préromaine puisqu’en raison de l’extermination ou du déplacement forcé de tribus entières, les porteurs des cultes locaux ont disparu ou ont été assimilés par une nouvelle population9”. Bien au contraire, la continuité est manifeste notamment dans la fréquentation des sanctuaires des Bataves et dans le maintien jusqu’à la colonie du culte des Matrones chez les Ubiens10.
Archéologie
51. Les Bataves. En ce qui concerne l’évolution interne des Germains, on peut argumenter sur des bases archéologiques sûres grâce au sanctuaire d’Empel11 en territoire batave, d’après les travaux de N. Roymans et T. Derks. Ce lieu de culte a connu une phase laténienne (La Tène D) florissante avec de très nombreux dépôts d’armes et de militaria, ainsi qu’un apport de monnayage éburon très important12. Les découvertes de Kessel-Lith13 (Vada ? cf. Tac., Hist., 5.20-21), à quelques kilomètres au nord, toujours sur la Meuse, ont amplifié et confirmé les premières indications et autorisé une interprétation historique nouvelle de la formation de la cité batave au départ des grands sanctuaires de Empel, Kessel-Lith et Elst. Les découvertes numismatiques, plus de 800 monnaies indigènes, sont déterminantes. Elles concernent une période longue et décisive, entre les années 60/50 a.C. et le règne d’Auguste. Le numéraire éburon y est bien représenté et montre la proximité entre les Bataves qui s’installent (avec un monnayage rhénan venu de la rive droite du Rhin) et les Éburons. Deux centres de répartition, Tongres (Tongeren-Rekem-Heers) et Empel, se dégagent autour des années 40‑30 a.C. Dès lors Empel apparaît comme une “central place” batave stratégiquement située au cœur de la ciuitas en formation, qui intégrerait aux Bataves, population principale, et autour du culte fédérateur devenu celui d’Hercule, les restes de diverses peuplades dont une partie des Éburons survivants, et constituerait un élément fondateur de la définition de l’identité batave et du pouvoir de la nouvelle aristocratie, la stirps regia dont sera issu Iulius Ciuilis14. Il fallait, pour structurer la nouvelle cité et son installation, un pouvoir militaire, une force économique et une puissance religieuse. C’est la force d’Hercule qui soudera la cité comme le montre clairement le sanctuaire d’Empel, où la romanisation du site s’accompagne d’une dévotion explicite à Hercule Magusanus.
62. Par ailleurs il faut se rappeler qu’un processus semblable d’ethnogenèse15 a fédéré les Tongres16. Cette population que César ne connaît pas, non plus que Strabon, qui apparaît chez Pline (HN, 4.17.105), a été installée en ciuitas en particulier par Drusus, dans les années 15/12 a.C. comme le montre l’archéologie de son chef-lieu, Atuatuca. Ce nom, qui était celui de la place forte des Éburons chez César (BG, 6.32), indique que ceux des Éburons qui étaient liés au second centre de monnayage autour du futur site de Tongres, sans doute la plus grande part de ceux qui ont échappé aux massacres, ont constitué la nouvelle ciuitas, en associant des peuplades locales qualifiées par César de Germani cisrhenani (BG, 2.4 ; 4.6 ; 6.32), très celtisées, comme les Condruses, à d’autres d’origine incertaine comme les Texuandri et à des populations sans doute déplacées depuis la rive droite du Rhin, provenant de la région voisine des Bataves, et qui portaient le nom de Tungri. Il paraît donc probable que cet ensemble de tribus a connu une évolution comparable à celle des Bataves, sans doute aussi fixée par un foedus, et que, dans la mesure où les Éburons étaient bien représentés à Empel, elles ont effectué leur intégration en ciuitas sous la protection du même Hercule, peut-être avec une épiclèse inconnue ou sans épiclèse, pour se différencier des Bataves. Dans la seconde hypothèse, on peut proposer que les Tongres aient adopté l’Hercule romain. On gardera en effet à l’esprit que les Tongres, à la différence des Bataves ou même des Ubiens, constituent un amalgame de populations diverses, celtiques et germaniques, qui ne sont sans doute jamais parvenues à une réelle cohérence ethnique, ce qui se dénote aussi dans leurs pratiques onomastiques17. Dès lors le choix d’Hercule, peut-être déjà sous l’influence d’Agrippa18 qui doit avoir commencé le processus de réorganisation d’une région dévastée, peut se comprendre en parallèle avec le choix des Bataves, mais sans en adopter le caractère germanique prononcé de Magusanus dans lequel toutes les branches de la population ne se reconnaissaient pas. D’où l’hypothèse de l’Hercule romain fédérateur.
73. En ce qui concerne la cité des Cugernes19 – qui sera transformée en colonia Ulpia Traiana par Trajan – il n’est pas évident qu’un tel processus sociologique et politique de cohésion ait eu lieu dans cet ensemble disparate où la volonté romaine puis la fondation coloniale pourraient avoir eu le pas sur les sentiments ethniques ; certains20 vont jusqu’à dénier l’existence même d’élites locales, ce qui paraît excessif, un peuple même au stade tribal est un groupe organisé, avec une hiérarchie sociale, des chefs et des dirigeants21 que le pouvoir romain doit avoir servis d’une manière ou d’une autre pour les faire adhérer à l’intégration multi-ethnique qu’implique la création de la cité. C’est Tibère (Suét., Tib., 9.2) qui a procédé à leur installation comprenant des peuples transférés de la rive droite comme les Sugambri et Bructeri ainsi que des populations résiduelles de la rive gauche comme les Baetasii pour remplir et compléter au niveau civil un créneau territorial encore libre entre Bataves, Tongres et Ubiens, à peu près en face de la confluence Lippe-Rhin. La constitution de la ciuitas ne peut, à notre connaissance, être explicitée autour d’un culte fondateur, même s’il est possible que Vagdavercustis et son sanctuaire de Altkalkar22 aient joué un rôle important de “central place” . Le rôle d’Hercule n’y est pas clair et il est controversé23. Les quelques documents qui font état de son culte ne sont pas décisifs : était-il associé à Altkalkar puisque l’anneau (n° 46) vient du lieu de culte ? Le temple d’Elfrath lui était-il dédié (n° 35) ?
84. La constitution de la ciuitas des Ubiens est mieux documentée, établie en rive gauche lorsque Agrippa, probablement en 19-18 a.C., a installé le peuple germanique déjà bien structuré des Ubiens, qui habitait auparavant la rive droite du Rhin (Tac., Ann., 12.27 ; cf. Str. 4.3.4-5) et qui bénéficiait sans doute d’un foedus bilatéral (Tac., Ann., 13.57.3)24. Cette population25 paraît ethniquement assez cohérente. Elle était déjà connue de César qui la qualifie de ciuitas ampla atque florens (BG, 4.3) : ainsi donc les Ubiens devaient posséder dès cette époque, sous la houlette d’une aristocratie reconnue par le pouvoir romain, une organisation politique mais aussi une religion élaborée26. Le processus de sédentarisation d’une rive à l’autre, l’urbanisation et la nouvelle conception de la vie politique sous la forme d’une ciuitas doivent avoir été accompagnés par des divinités ethniques27 qui étaient à l’origine protectrices d’un clan et d’une unité territoriale minime : celles qui deviendront au contact romain les Matrones, qui faisaient partie du fonds ubien des pratiques religieuses28. Leur évolution s’est opérée au départ d’une fragmentation locale complète vers une représentation régionale qui pourra être reprise dans le culte public de la future colonie. Cette transformation politique et religieuse doit, selon toute vraisemblance, avoir eu lieu en concomitance avec la création de la province de Germanie, accomplie sans doute en 7 a.C., de manière à faire du site de la capitale provinciale et de l’Ara, l’autel du culte impérial, le chef-lieu d’une ciuitas constituée et stable, l’oppidum Ubiorum implanté sur le site de la future colonie. Dans tout ce processus, il ne semble pas y avoir eu de place pour un Hercule fédérateur.
9Si l’on en croit la Tabula Siarensis (1, 2-31), les ciuitates du Rhin inférieur devaient toutes être installées à la mort de Drusus en 9 a.C.
Hercule en Germanie inférieure après la conquête romaine
Épigraphie et archéologie
10La documentation relative au culte d’Hercule en Germanie inférieure est relativement abondante. Sans compter les dédicaces à Hercule Saxanus émanant des troupes de Germanie inférieure29 élevées en Belgica ou en Supérieure (carrières de Brohl et de Norroy), on dispose de 47 inscriptions (dont 35/6 sur pierre et bronze et 11/2 sur des anneaux, bracelets, massue) dans le territoire propre (Fig. 1) et 7 inscriptions retrouvées hors de la province30. On ajoutera que plusieurs d’entre elles proviennent de sanctuaires, ce qui leur confère un intérêt supplémentaire. Les anneaux et bracelets dédiés à Hercule – objets très rares dans tout l’Empire – sont d’une fréquence surprenante dans une zone géographique restreinte (n° 36‑38, 40‑46). On pourrait les écarter comme des pièces ayant pu voyager mais cette caractéristique topographique31 ainsi que le modèle identique de certains bracelets donnent à penser que ce sont bien des objets du culte, ou des bijoux ayant appartenu à de véritables dévots. Si les statuettes et sculptures ne sont généralement pas prises en compte car elles peuvent n’avoir qu’une valeur décorative, les reliefs de “pierres à quatre dieux” et de colonnes à Jupiter seront examinés dans un chapitre spécifique, de même que les dédicaces à Hercule Saxanus. Il est également intéressant de rappeler, sans s’y attarder, que le monnayage de Postume comprenait des effigies d’Hercule avec l’épithète Magusanus ou Deusoniensis32.
Les cités/municipes : Bataves, Cananéfates, Frisiavons, Tongres
11Avec ces ciuitates, nous nous trouvons devant des cités pérégrines qui seront un jour (sauf peut-être les Frisiavons) élevées au rang de municipes (fin ier-iie siècle)33. Elles garderont donc tout au long de leur histoire la maîtrise de leur panthéon.
12Toutes les cités ne sont pas représentées de manière égale dans les sources. Celles des Cananéfates34 et des Frisiavons n’ont livré aucune mention d’Hercule, mais ce sont des ciuitates très peu riches en pierre et donc en inscriptions. Leur panthéon reste hasardeux à reconstruire.
131. La cité des Bataves compte huit inscriptions (y compris une dédicace de Rome) : parmi celles-ci, une sur bronze (n° 2), appartenant au mobilier du sanctuaire d’Empel35, est dédiée par un vétéran de la légion X Gemina en garnison à Nimègue ; du point de vue archéologique, on peut tenir compte d’une belle statuette en bronze d’Hercule trouvée aussi dans le temple d’Empel36. Une autre inscription, dont on a pensé qu’elle provenait également de ce lieu de culte et en avait été déplacée à Ruimel (n° 1), émane dans la première moitié du ier siècle d’un magistrat suprême de la ciuitas, un pérégrin du nom de Flaus, Vihirmatis filius. Le bracelet d’argent de Waardenburg (n° 36) offert ou porté par un probable pérégrin pourrait relever du même sanctuaire, très proche. Un autel fragmentaire a été découvert à proximité immédiate du sanctuaire de Elst (n° 4). Lith voit s’élever un temple romain37 sur un site religieux ouvert plus ancien mais l’attribution à Hercule est une hypothèse solide fondée sur la comparaison avec Empel en ce qui concerne les catégories d’offrandes (cf. supra). Si l’on complète le tableau par la dédicace de Rome où des soldats bataves (et thraces) prient Hercule Magusanus pour le salut de l’empereur (n° 47), on peut sans risque d’erreur proposer, avec T. Derks et N. Roymans notamment38, qu’Hercule (Magusanus) soit le dieu poliade des Bataves installés en ciuitas. Il est remarquable que, dans l’état actuel des découvertes, le culte d’Hercule n’est attesté que sur le territoire, sans occurrence à Nimègue même. Le fait est peut-être lié au déplacement supposé d’une première capitale indigène à Kessel-Lith qui aurait glissé vers Nimègue39 en tant qu’Oppidum Batauorum, à proximité du camp légionnaire, au moment de la création formelle de la cité sous impulsion romaine, mais il garde peut-être une signification propre.
14Partout, y compris à Rome (sauf à Elst où l’information éventuelle est perdue car l’autel est fragmentaire), Hercule porte l’épiclèse de Magusanus (une fois Magusenus). Toujours avec la même épithète, on trouve encore Hercule Magusanus honoré à Houten (n° 3) par un civil citoyen romain. Une inscription de Gueldre (n° 5) (qui pourrait relever de la cité des Cugernes/Traianensis), dédiée par un couple pro natis, associe à Hercule Magusanus une divinité du nom de Haeua. Sinon, dans tous les cas connus, y compris à Rome où les equites singulares rédigent souvent des litanies complexes40, Hercule Magusanus est honoré seul. Les dédicants sont ou semblent des indigènes, pérégrins ou citoyens. Il faut compléter la liste avec un Hercule S(?) qu’on peut penser S(axanus) ou S(alutaris) honoré avec une Tutela à Nimègue (n° 5bis) par un citoyen romain au nom de C. P() Patern(us). On retiendra aussi qu’à Lith une inscription est dédiée à Vénus (AE, 1994, 1283). Pour être complet, on signalera également un toponyme de la Table de Peutinger entre Nimègue et Kesteren, que l’on propose d’identifier à Arnhem-Meinerswijk41, Castra Herculis.
152. La cité des Tongres a conservé huit inscriptions offertes à Hercule dont deux proviennent de Bretagne. Une dédicace à Hercule est possible à Tongres même, si on accepte la lecture de Zangemeister (n° 6) pour cette bague de pierre perdue. Il pourrait s’agir d’une bague de statue comme celle qui a été mise au jour à Nimègue (AE, 1998, 967) mais lecture et définition de l’objet sont controversées. À Tongres aussi est conservé un bracelet de bronze au nom d’Hercule Magusanus (n° 37), qui pourrait être un objet de piété individuelle ou un bijou venu de l’extérieur. Quatre autres dédicaces (n° 7-10) ont été vues anciennement en remploi dans une église de Jeuk où déjà leur découvreur vers 1600 a pensé qu’elles étaient les seuls témoins conservés d’un ancien temple42. On notera qu’il s’agissait de plaques de marbre, ce qui est exceptionnel dans la cité. Le dieu ne porte aucune épiclèse et est honoré seul sauf dans un cas où il est associé à sa mère, nous y reviendrons. Les dédicants sont manifestement des indigènes : trois pérégrin(e)s et un citoyen romain. Les noms germaniques ne manquent pas : Leubasna (typiquement tongre), Vaduna ; le citoyen porte un gentilice patronymique caractéristique des familles naturalisées, Maternius. On fera également état de l’épithète Magusanus à Mumrills sur le mur d’Antonin (n° 49), dédiée par un duplicarius de l’ala Tungrorum du nom latin de Valerius Nigrinus. Est-il tongre ? L’inscription de Housesteads (n° 48), elle sans épithète, émane de la cohorte I Tungrorum milliaria. K. Strobel43 a pensé que ces cohortes milliaires tongres commandées par un préfet plutôt que par un tribun ont conservé une certaine cohérence de recrutement et se trouvaient sous les ordres de concitoyens, notables, à la manière des troupes de Bataves qui présentaient les mêmes particularités et bénéficiaient de ce privilège. Dans ce cas, le préfet mentionné sur l’inscription, P. Aelius Modestus, serait un Tongre.
16Bien qu’aucun document ne permette de reconnaître avec certitude un culte public, l’hypothèse a été émise qu’à l’instar des Bataves, Hercule soit le dieu poliade des Tongres44 et que l’éventuel temple de Jeuk ait représenté un “grand sanctuaire” du territoire. On suggérera aussi que le fait qu’une unité de Tongres, la cohorte I milliaria, honore ce dieu à l’étranger peut être considéré comme la reconnaissance d’une position éminente dans la cité. Toutefois, malgré la faiblesse numérique des attestations, il faut peut-être retenir que le culte d’Hercule le mieux implanté soit à Jeuk sur le territoire et non dans le chef-lieu, ce qui rejoint les constatations faites pour les Bataves.
17Complétons le tableau des indices des liens entre Hercule et les Tongres avec le catalogue des bronzes45, à titre purement indicatif de sa dispersion sur le territoire, malgré la faiblesse de ce type de témoignage qui peut n’être qu’un objet décoratif. On peut signaler deux Hercule de bronze (FF 67-68) provenant de Tongres : l’un mis au jour lors de travaux sur la route de Saint-Trond en 1816, l’autre de Koninksem ; un possible Hercule à Taviers46, petite agglomération où se trouvait au moins un lieu de culte à Apollon (ILB 32) ; un autre probable dans la cité, à Virelles (FF 69) ; un cinquième éventuel (Hercule enfant ?) à Liberchies (FF A1) ; deux massues à Liberchies et Theux-Juslenville (FF 145 et 247). Enfin vient d’être mis au jour à Namur un stuc coloré provenant peut-être de la décoration d’un monument public ou religieux, représentant le bas d’un corps masculin : on a songé à Hercule avec la peau du lion de Némée. Malgré les nombreuses incertitudes qui pèsent sur le détail des interprétations, le rapprochement entre les Tongres et Hercule doit être assurément retenu comme un des éléments catalyseurs de la cité qui l’insère très adéquatement dans le paysage religieux de Rhénanie. Les aristocraties indigènes partageaient les mêmes valeurs martiales d’Hercule, mais peut-être sans en retenir l’identité explicitement germanique de Magusanus.
Les cités/colonies : Xanten et Cologne
18Par contre, les deux cités pérégrines des Cugernes et des Ubiens verront s’installer sur leur territoire une colonie de vétérans (50/ca 120), c’est-à-dire qu’elle connaîtront un complet bouleversement de leurs institutions et de leur panthéon47. Tout indique cependant que la nouvelle colonie a repris, au moins partiellement, les dii patrii de l’ancienne ciuitas.
191. La cité des Cugernes48 n’a conservé que peu de documents de son existence éphémère. De même il ne subsiste que peu de traces de ses temples, sans doute disparus sous les reconstructions ultérieures. Les inscriptions religieuses anciennes les plus connues émanent de Rèmes et de Lingons (CIL, XIII, 8701 = AE, 1980, 656 ; AE, 1981, 690) en l’honneur de Mars. On a même envisagé qu’elles proviennent d’un temple dans le quartier du port mais ces spéculations sont fragiles. On peut citer toutefois de petits temples dans le territoire, à Roermond (Mars ?), à Gulpen (Mercure ?), à Heerlen (Fortuna ?) par exemple, mais aucun ne présente de lien avec Hercule. Le seul site qui pourrait nous concerner serait Elfrath49 (Krefeld). On y a découvert un temple dont l’origine remonte au ier siècle de notre ère, dont la titularisation fait problème. Les fouilles ont livré un autel très endommagé (n° 35) que l’on a attribué à Hercule Deusoniensis50, ce qui relève de l’hypothèse vu le peu de lettres lisibles. De même C. Reichmann (repris par M. Zelle) a proposé que le temple soit dédié à Hercule d’après les fragments de peinture murale mis au jour, attribués par A. Barbet à un cycle d’Hercule ; cependant W. Spickermann penche pour un sanctuaire de Matrones dans lequel Hercule aurait pu être une divinité invitée51, bien que les rapprochements explicites entre les Matrones ubiennes et un dieu masculin aillent plutôt dans la direction de Mercure52. L’interprétation de Reichmann est séduisante qui voit à cet endroit de la frontière (Tac., Hist., 4.26) entre les deux cités/colonies un double temple de confins : un temple d’Hercule côté CVT (Xanten) à Elfrath et un temple de Matrones côté CCAA (Cologne) à Gripswald/Gelduba (cf. CIL, XIII, 8570-8577 ; AE, 1981, 686). Ce serait plus significatif que deux temples de Matrones face à face, alors que les Matrones n’apparaissent pas comme un culte identificateur de la cité/colonie de Xanten. Un temple attribué aux Matrones a été mis au jour dans la capitale mais la documentation épigraphique n’est pas très riche pour ce culte. On connaît au contraire des Matres53 typiques des pratiques des “étrangers”. Si l’on prend en compte l’ensemble des découvertes, en ce qui concerne Hercule, huit inscriptions sont conservées dont deux à Rome et en Bretagne. Aucune inscription ne peut être considérée comme relevant explicitement du culte public. Le chef-lieu a livré deux dédicaces élevées au dieu doté de l’épithète Magusanus, l’une par un soldat de la légion XXX Valeria Victrix (n° 32), l’autre par une série de citoyens romains portant des noms germaniques (n° 33). Avec la même épithète, on trouve un bracelet en bronze du même type que celui de Tongres, à Grimlinghausen (n° 45), et une bague en argent découverte dans le sanctuaire de Vagdavercustis à Altkalkar (n° 46). À Carlisle (n° 49), un préfet d’aile qui spécifie qu’il est originaire de Xanten, honore en 192 Commode en Hercule54 (ce qui relève d’une autre théologie) et à Rome (n° 52) un ensemble de vétérans des equites singulares, certains précisés Traianenses Baetasii, célèbrent une série complexe de divinités dont Hercule.
20Le culte d’Hercule est donc attesté, y compris avec l’épithète Magusanus, mais les indices sont très faibles pour proposer une place spécifique dans le panthéon de la cité/colonie.
212. Dans la cité des Ubiens transformée en colonie agrippinienne (CCAA), le culte d’Hercule est très bien représenté : 29 occurrences dont 7 petits objets de bronze ou d’argent (anneau, massue, bracelets). L’importance de la documentation ainsi que le caractère institutionnel de la cité romaine autorisent donc sans doute la mise en lumière des différentes facettes de l’identité d’Hercule, mieux que dans les cités pérégrines/municipes où sa puissance semble davantage axée sur les caractéristiques indigènes. L’épithète Magusanus se rencontre trois fois (+ trois fois sur un bracelet), Victor figure sur une inscription de Bonn (n° 23), Inuictus sur une inscription de Dacie (n° 51) élevée par un préfet de cohorte Ubiorum. Cela signifie que dans 21 cas le dieu est célébré sans épithète, ce qui conduit à penser que, dans une bonne proportion d’occurrences, nous devons avoir affaire au dieu romain dans une colonie romaine ou dans le panthéon de la légion. Nuançons la description. À Cologne même, on trouve Hercule, sans épithète, tout d’abord sur un autel (n° 18) dédié par un décurion de CCAA, ce qui suggère une place d’Hercule dans le panthéon officiel de la colonie, sans rien pour surprendre. Il est associé à Liber Pater. Également sur une base de statuette (n° 11) offerte par Ianuarinius Moderatus sans doute au iiie siècle au bénéfice d’un collège de cavaliers, peut-être celui des equites singulares du légat propréteur ; le nom du dédicant indique un ressortissant de la région, naturalisé citoyen, d’après son gentilice patronymique en -inius. De même sur un autel (n° 12) offert par un certain Princeps qui ne se laisse pas aisément définir ni dater. On peut songer à un princeps praetorii, faisant partie de l’officium du légat. Nonius, dédicant d’un cippe (n° 17) offert ex visu pro se et suis, sans doute pérégrin malgré son nom en forme de gentilice, s’adresse peut-être plutôt au dieu interprété si on admet – ce qui n’est pas obligatoire – que la formulation non votive convient mal à un dieu romain stricto sensu. L’inscription remonte à la première moitié du iie siècle. Une inscription un peu problématique, d’abord considérée comme fausse ou comme aliena, sur le socle d’une statuette en marbre (n° 14), est élevée par un certain Furius Datiuus au deus sanctus Hercules. On y ajoutera un autel (n° 15) à Herclinti55 par un pérégrin soldat de la cohorte II Varcianorum, garde du corps du gouverneur (singularis consularis). Son nom Petitor Pirobori f. renvoie à ses origines danubiennes56. Cette méconnaissance de la forme latine correcte du nom d’Hercule est interprétée par H. Galsterer comme le signe d’un honneur rendu à une divinité germano-celtique (pas nécessairement locale vu l’ethnie du dévot). Toujours sans épithète, on adjoindra un anneau d’argent (n° 38), une massue d’argent (n° 39), un bracelet d’argent (n° 40), deux bracelets de bronze (n° 41-42). Avec l’épithète Magusanus, on citera un bracelet de bronze (n° 43). Cette pratique des bijoux votifs paraît bien locale et plus indigène que romaine. À Deutz, Magusanus se trouve en tête d’une litanie que nous analyserons plus loin, construite par des soldats dont les noms sont malheureusement lacunaires (n° 16). On y repère toutefois un Similinius qui porte un gentilice patronymique en -inius formé sur un nom d’assonance germanique caractéristique57 qui doit être de recrutement local58. On y a découvert aussi un fragment d’autel (n° 13) avec une association probable aux (Matrones) Gesahenae ; là aussi on songera au dieu interprété, bien qu’il n’y ait sur la pierre que peu de place pour une épithète. À Bonn, une série de dédicaces est intéressante, mais la présence de la ière légion Minervia vient peut-être ici modifier l’analyse. Deux inscriptions paraissent en rapport avec un culte de la santé (n° 21 et 23), dans la mesure où, d’une part, un légat de légion des années 180-185 agit peracto opere ualetudinarii et, d’autre part, ce sont un optio ualetudinarii et un bénéficiaire du légat de légion qui font l’offrande ex stipibus à un Hercule Victor. Il s’agit donc probablement d’une pratique religieuse effectuée dans un temple doté d’un trésor. Trois stratores du gouverneur honorent (n° 20) également Hercule en compagnie de Fortuna, tandis qu’un préfet de camp (n° 24) associé à ses fils dédie en 190 un autel à un ensemble de quatre divinités. La date de dédicace n’est pas anodine : le 19 septembre, c’est l’anniversaire de la naissance d’Antonin le Pieux59, date retenue aussi à Bonn pour la réfection du temple de Mars (CIL, XIII, 8019), en 295. À proximité, à Endenich (n° 19), une dédicace à Hercule également sans épithète émane d’un dévot ciuis ciuitatis T(?)60 au nom mutilé. D’autre part, à Bonn, un centurion légionnaire (n° 22) honore Magusanus au iie ou au iiie siècle ; un optio principis (n° 25) en 226 associe, et c’est exceptionnel, la maison divine à Magusanus sans précision d’Hercule. On citera encore un fragment d’autel (n° 26) offert par un certain Mercator dont seule l’image sur la face antérieure permet l’attribution à Hercule. L’éditrice propose de restituer ensuite une épithète et suggère Magusanus mais c’est totalement hypothétique. Une telle richesse de documentation peut faire penser à un temple propre non identifié à Bonn mais peut-être cette abondance vient-elle du temple des Aufaniennes auxquelles Hercule aurait été associé, temple dont on sait que la documentation a été conservée par ses nombreux remplois dans le Münster local. Un dernier bracelet de bronze au nom de Magusanus, non localisé avec certitude, vient peut-être de Bonn (n° 44). On constate donc une large implication militaire dans le culte d’Hercule à Bonn mais aussi dans d’autres sites comme Rigomagus-Remagen et ses environs qui ont livré cinq dédicaces à Hercule sans épithète. On relèvera une série polythéiste établie par des soldats de la légion de Xanten (n° 27). À Oberwinter voisin, les dédicants sont des soldats, notamment deux bénéficiaires (n° 28-29) de la même statio ; peut-être l’inscription mutilée de même origine (n° 31) relève-t-elle du même poste routier. Le gentilice de l’un d’eux, Iucundinius, indique à nouveau un recrutement local. Le surnom Curtauius doit être germanique61. Quant à l’association au Genius loci par un pérégrin du nom indigène de Bellanco Gimionis (filius), elle est peut-être influencée par les habitudes religieuses des bénéficiaires (n° 30).
22Il est bien difficile, malgré cette richesse documentaire, de se faire une opinion sur l’Hercule de Cologne. Sans doute est-il bien le dieu romain d’une colonie lorsqu’il est honoré par un décurion, mais n’est-ce pas plutôt l’Hercule romain de la légion lorsqu’il s’agit du légat de légion, ou du préfet de camp qui choisit une fête impériale pour sa propre dédicace, de même lorsqu’il est Victor comme à Rome. Mais sans doute aussi les dédicaces privées se partagent-elles entre le dieu local assimilé et le dieu romain dans la mesure où presque tous les dédicants sont des indigènes citoyens romains. Il est toujours délicat de distinguer chez les soldats ce qui relève de la pratique individuelle et ce qui découle des usages officiels. On notera toutefois que les dédicaces de soldats se divisent entre Hercule et Magusanus avec des nuances peut-être significatives. Par exemple Petitor, le soldat danubien, honore Hercule sans épithète, de même que les bénéficiaires d’Oberwinter, sans doute des étrangers à la région qui choisissent le dieu romain ; tandis que l’immunis de la xxxe légion de Xanten, le centurion ou l’optio principis de Bonn célèbrent, eux, Magusanus : on peut leur supposer une origine régionale sensible au caractère germanique du dieu. Quant aux trois soldats de la xxxe légion attestés à Remagen, ils activent un réseau de divinités multiples, comprenant Hercule sans épithète, peut-être dans une pratique typiquement militaire (cf. infra).
23En conclusion, on peut écrire qu’Hercule constitue bien un dieu majeur dans les cités de Germanie inférieure. Dieu poliade chez les Bataves, peut-être aussi chez les Tongres, dieu du panthéon public des colonies de Xanten (peut-être ?) et de Cologne sans doute. Il connaît peu d’associations et, quand il porte une épiclèse, c’est celle de Magusanus qui domine largement partout.
Hercule et ses épiclèses
Nous commencerons par examiner les épiclèses romaines d’Hercule
24La première épiclèse, la seule qui soit attestée dans la province, est celle de Victor, à Bonn, sur un autel offert par un soldat du dispensaire-hôpital du camp et son collègue bénéficiaire. Une autre inscription du camp est une dédicace à Hercule à l’occasion de la fin des travaux du même hôpital. La qualité du dédicant de l’une et l’occasion de la dédicace de l’autre donnent à penser que la fonction d’Hercule qui était recherchée était celle de défenseur de la santé62. En tant que combattant protecteur des hommes, Hercule pouvait être considéré comme un dieu bénéfique, donc un dieu que l’on peut invoquer dans les problèmes de santé. Un tel Hercule Inuictus ou Victor recevait un culte officiel à haute date à Rome, et il était invoqué à l’occasion d’épidémies63.
25Hercule Inuictus est également honoré en Dacie par un préfet d’une cohorte d’Ubiens (n° 51) dont on peut penser éventuellement qu’il y a été conduit par une origine germanique, mais c’est très fragile. En tout cas Hercules Inuictus était honoré par les soldats, par exemple par les equites singulares à Rome. On citera un exemple (CIL, VI, 224) où des soldats portant des noms qui rappellent la Germanie inférieure où nombre d’entre eux étaient recrutés64, Severinius et Gemellinius, lui font une dédicace en 197, simplement associé aux di et deae omnes.
26Nous retrouvons ensuite Hercule Inuictus sur une dédicace de Tibur, où Hercule avait un temple65, par un tribun militaire qui a séjourné en Germanie et qui le précise sur son inscription (n° 53). Germanie inférieure ou supérieure ? On ne peut décider car la légion xxi Rapax a été casernée dans chacune de ces provinces. Mais l’importance d’Hercule au lieu de la dédicace et l’origine probable du dédicant qui se dit reuersus inde l’emportent assurément dans les motivations du culte sur l’élément temporaire de la Germanie, à moins peut-être de se rencontrer.
27Seule au final l’inscription de Bonn (n° 23) est importante66. Elle confirme le culte de l’Hercule romain dans la colonie, ce que nous avions déjà déduit d’autres indices.
L’autre épiclèse d’Hercule est locale : Magusanus
28La première question qui se pose est celle de son origine et de sa signification.
29Deux interprétations existent. De longue date, et très logiquement, on a pensé à une origine germanique. Les possibilités linguistiques d’une telle étymologie67 ne manquent pas : elle donne à l’épithète (maguz/s-naz) le sens de “celui qui détient la force, la puissance, le seigneur” ce qui convient particulièrement bien à la fonction que le dieu a exercée en pays batave en tant que représentant de la martialité et fédérateur du peuple en cité.
30L. Toorians68 analyse lui l’épithète comme un nom celtique germanisé. Pour ce faire, il part de l’exception MagusEnus, attestée il est vrai au sanctuaire d’Empel. Magu-/seno- : dans ce cas l’épithète voudrait dire “le jeune homme vieux” ou “l’ancêtre plein de vie”, ce qui demande ensuite à l’auteur une réflexion complexe et peu convaincante pour justifier ce terme accolé à Hercule. La forme Magusanus proviendrait de la prononciation germanique où la vocalisation en -a domine celle en -e ou en -o. Cette interprétation qui a ses adeptes, de même que les interprétations celtiques sur la base de magus “enfant, servant, valet” de Lambert, Delamarre ou de Bernardo Stempel69, non seulement sont peu crédibles par rapport à une fonction ou une épithète d’Hercule mais posent un problème de logique géographique : l’emploi de cette épiclèse est uniquement germanique sans aucune attestation en milieu celtique70 proprement dit. Il paraît donc un peu étonnant que la nature de l’épithète soit celtique et seulement évoluée par une prononciation germanique71. Certains pensent aussi à une origine toponymique72 et rapprochent d’un site Mahusenhem (l’influence pourrait être inverse), d’autres encore refusent de se prononcer73. En fin de compte seule l’interprétation germanique est historiquement logique et linguistiquement cohérente.
31La répartition de l’épiclèse est claire : toutes les cités de Germanie inférieure (qui ont une documentation suffisante pour permettre l’étude) rendent un culte à Hercule Magusanus, ne fût-ce que de manière limitée74, même si le foyer principal est incontestablement batave. Les associations de divinités à Hercule Magusanus sont rares. Même à Rome, où les soldats provenant des provinces construisent souvent dans leurs dédicaces des suites polythéistes abondantes, les equites bataves n’ont pas conçu une série complexe mais confient à lui seul le soin de protéger le retour de l’empereur. Exceptions : une litanie à Deutz et une parèdre en Gueldre. Peut-être faut-il rappeler aussi la formule d’honneur à la maison divine à Bonn, formule plutôt rare en Germanie inférieure75, placée en tête d’une dédicace où le deus Magusanus n’est même pas précisé Hercules, ce qui invite à le regarder (exclusivement ?) comme le dieu indigène, bien que le dédicant soit un militaire.
32L’interprétation de cette particularité pourrait être locale dans la conception même de l’assimilation. Hercule/Donar est un dieu puissant qui se suffit à lui-même et qui mène ses exploits seul. Hercule n’a pas de parèdre et, s’il est associé à des litanies militaires ou des monuments à multiples sculptures, il est épigraphiquement seul, à la différence de Mars ou de Mercure, voire même de Jupiter, qui sont notablement plus fréquemment associés à d’autres divinités.
33Il est intéressant de noter aussi que les images d’Hercule Magusanus sont toutes liées à la mythologie de l’Hercule romain : non seulement on le rencontre armé de sa massue et couvert de la peau du lion de Némée mais il est également représenté selon ses travaux, comme par exemple avec Cerbère76 (Fig. 2). On peut même imaginer, avec Anthony Birley77, que les chants épiques de Virgile étaient considérés comme faisant partie de la mythologie d’Hercule Magusanus : en effet, dans le praetorium de Vindolanda alors que la ixe cohorte des Bataves occupait le camp, on lisait et on copiait l’Enéide de Virgile (TV, II, 118 ; 121) qui célébrait Hercule sous le nom d’Alcides (Aen., 8.203) dans un contexte des plus classiques.
34Pourtant il est une question qui n’a pas été abordée. Hercule Magusanus est-il une forme régionale de Donar ou bien un dieu local dont on ignore le nom (ou qui portait un nom qui a dérivé en Magusanus) et qui a été assimilé à l’Hercule romain en tant que tel sans passer par la case “Donar” ? C’est ce que pensait, par exemple, Eric Birley78, alors que généralement on étudie le chapitre “Magusanus” dans la rubrique “Donar” avec une affirmation de l’équivalence79. Autrement dit, Donar comportait-il des variantes locales avec des fonctions spécifiques ou ethniques80, ou bien est-ce une assimilation directe de la part des Bataves qui auraient identifié leur dieu ethnique à l’Hercule romain ? Il semble que la question demeure ouverte faute de sources.
35Il reste à évoquer les très rares cas où Magusanus est honoré en dehors de la Germanie inférieure : en Dacie, par des soldats dont on a proposé qu’ils soient originaires de la province (AE, 1977, 702 et 704) et à Westkapelle en Zélande81 (CIL, XIII, 8777) à la frontière de la Belgica et de la Germanie inférieure82. Que des Bataves aient servi en Dacie n’a rien de problématique83. L’attestation de Zélande chez les Ménapiens doit être influencée par la proximité de la Germanie inférieure car Hercule est très peu célébré en Belgica (6 inscriptions dont une petite massue en argent comparable à celle de Cologne et qui a pu voyager : AE, 1994, 1248) à l’exclusion du site de Deneuvre chez les Leuques et des dédicaces des armées germaniques dans les carrières de Norroy.
À Nimègue, une inscription mutilée (n° 5bis) semble attribuer une épithète abrégée à Hercule
36S(axanus ?) ou S(alutaris ?). Il serait associé à Tutela non précisée. Le dédicant lui-même porte un nom abrégé. Saxanus, qui n’est pratiquement connu que dans des sites de carrières84 et à Tibur, semble improbable. Mais Salutaris est rare et ne se rencontre hors d’Italie qu’à Brigetio (Pannonie supérieure). De quelle tutelle peut-il être question ? Celle de la ville de Nimègue ? Il serait alors significatif qu’Hercule ne soit pas Magusanus dans le chef-lieu des Bataves.
37Bien qu’elle ne soit pas attestée épigraphiquement de manière assurée, l’épithète Deusoniensis du monnayage de Postume et de Carausius doit être mentionnée.
38Elle est probablement toponymique mais les propositions de localisations sont nombreuses85 et aucune n’emporte l’adhésion. T. Derks86, quant à lui, semble identifier les deux divinités, Magusanus et Deusoniensis, malgré deux monnayages distincts. On notera que les peintures du temple d’Elfrath que certains attribuent à Deusoniensis sont celles d’un cycle classique d’Hercule87.
Quelle est l’éventuelle signification du recours à la formule “Deo” devant le nom d’une divinité ?
39Les occurrences sont ici très peu nombreuses et vont dans le sens d’une pratique purement formelle, épigraphique, et non dans celui d’une implication religieuse qui verrait dans cet emploi soit l’indication d’un dieu indigène (devant un nom latin, pour différencier avec un dieu qui serait “romain”) ou qui indiquerait que les dédicants sont des indigènes. L’étude systématique de la formule88, qui a une chronologie limitée, a bien montré que ces interprétations n’étaient pas valables. En effet, si on accorde à la formule une telle valeur indicative, la date d’apparition de l’usage impliquerait qu’aucune interpretatio, autrement dit aucune composition du panthéon civique des ciuitates intégrant les dieux romains et les dii patrii, n’aurait été opérée avant le règne d’Hadrien, ce qui serait à la fois aberrant dans son principe et contredit par la documentation. En outre l’emploi de “Deo” pour les divinités importées comme Mithra ou Attis ne s’inscrit pas dans une telle interprétation. Dans le dossier d’Hercule, c’est précisément à côté de l’épithète seule que l’on rencontre “Deo” (n° 25), c’est-à-dire dans une expression explicite du caractère interprété de la divinité honorée qui ne nécessitait donc pas de formule introductive.
Les réseaux d’Hercule
Les associations
401. Dans le probable temple de Jeuk chez les Tongres, on trouve la dédicace (n° 10) à Hercule et Alcmena. C’est à ma connaissance le seul document qui fasse d’Alcmène, la mère d’Hercule, une divinité. Cette originalité a suscité bien des hypothèses à tendance indigéniste89 dont celle d’une interpretatio romana de la déesse Haeua90. Cela pose la question de la définition de l’Hercule des Tongres. Est-ce directement l’Hercule romain ? En tout cas c’est un Hercule sans épithète indigène, bien que ses dévots connus soient tous des indigènes avérés. Il faut rappeler que chercher à déterminer le caractère indigène d’une divinité d’après le nom de ses dévots91 conduit à une impasse92. Les seules attestations de Magusanus chez les Tongres sont un bracelet (n° 37) qui a pu circuler, ne fût-ce que dans une zone restreinte, et une dédicace à l’étranger (n° 49) où l’influence batave de troupes auxiliaires voisines a pu se manifester. De la même façon que les Tongres adoptaient souvent une nomenclature latine plutôt qu’une nomenclature indigène, surtout chez les citoyens93, peut-être préféraient-ils définir leur divinité tutélaire par une dénomination strictement latine sans connotation locale afin de mieux convenir à toutes les composantes de cette cité poly-ethnique ? Cela expliquerait peut-être le recours à Alcmène pour poser une figure féminine aux côtés d’Hercule.
412. Le seul couple, dieu et parèdre explicitement exprimés (n° 5), est Hercule Magusanus et Haeua. Comme il s’agit d’un unicum les hypothèses ont également fleuri. La plus fréquente fait de Haeua la prononciation incorrecte d’Hébé, l’épouse d’Hercule94. Laquelle Hébé serait une interprétation d’une déesse locale dans laquelle on a voulu voir Nehalennia95. Mais la définition la plus probable fait de Haeua une divinité germanique à titre propre, comme son nom le permet96. L’étymologie serait fondée sur la notion de mariage (ce qui refermerait la boucle sur Hébé mais sans valider l’assimilation). Si l’on envisage la question de la prononciation, on se rappellera les difficultés à écrire la vélaire aspirée CH par les Romains et les variantes que cela provoque dans les noms propres97. H en langue germanique est une lettre forte marquée par une aspiration qui la rapproche du C/K. La divinité pourrait donc être connue ailleurs sous le nom de Caiva, attestée chez les Trévires98 (CIL, XIII, 4149 ; AE, 1989, 543), qui paraît précisément avoir partagé un temple avec Hercule99.
42Une hypothèse100 a été avancée à propos du toponyme Leuefanum de la Table de Peutinger qui aurait été une déformation de Haeua Fanum ; toutefois une étymologie exclusivement germanique serait plus vraisemblable101.
43Bien que les dédicaces se trouvent en Gaule Belgique et non en Germanie inférieure, mais à la frontière, il faut revenir à Nehalennia. L’hypothèse qu’elle ait été “interprétée” en Alcmène (encore moins en Hébé) est peu vraisemblable mais il peut être intéressant de signaler qu’Hercule faisait clairement partie du réseau de la déesse. Il est représenté102 avec sa massue sur une face latérale de plusieurs autels de Nehalennia mis au jour à Domburg et à Colijnsplaat ; l’autre divinité qu’on trouve ainsi placée est Neptune (honoré seul en CIL, XIII, 8803), ce qui indique une fonction de protection des voyages sur terre et sur mer. Rien n’indique que cet Hercule soit Hercule Magusanus, sinon, éventuellement, l’autel de Magusanus à Westkapelle, à 5 km de Domburg (voir supra). Seule Fortuna figure aussi sur ces autels. Hercule et Neptune sont donc bien proches de Nehalennia, qui pourrait être une de ces déesses féminines103 liées à un pagus comme on en rencontre plusieurs en Germanie inférieure, que ce soit Viradechtis pour le pagus Condrustis ou Ricagambeda pour le pagus Vellaus. La proximité avec la province germanique peut expliquer des proximités de pratiques religieuses et Nehalennia pourrait être, en plus de sa fonction de protectrice des transports, le numen pagi des Marsaques, dans ce cas pagus des Ménapiens104.
443. Sur le plan des divinités locales, il semble bien, mais l’inscription est mutilée, qu’Hercule soit associé à Deutz (n° 13) à une catégorie de Matrones bien connues par ailleurs, les Gesahenae au nom germanique105. Elles sont honorées dans le territoire dans les environs du uicus de Iuliacum (CIL, XIII, 7889 et 7895) et à Deutz (CIL, XIII, 8496). Le choix de ces déesses est sans doute lié au contexte local. Le fragment d’autel ne permet aucune autre constatation. On a pensé aussi à une relation entre Hercule et les Matrones à propos du sanctuaire d’Elfrath (cf. supra) mais les réseaux des Matrones renvoient plutôt à Mercure ; on y ajoutera un lien hypothétique avec Vagdavercustis, possible déesse principale des Cugernes, mais le témoin, une bague au nom d’Hercule dans le sanctuaire de la déesse (n° 46), est peut-être trop ténu pour avoir une signification autre que fortuite.
454. Quant à l’association entre Liber Pater et Hercule, elle évoque une formule romaine106 sous diverses formes, mais qui, épigraphiquement, ne se rencontre que dans le cadre de listes complexes107, et encore rarement. Il n’est pas sans signification que la formule soit ici celle qu’emploie un décurion de la colonie (n° 18).
465. On envisagera aussi Fortuna, divinité militaire particulièrement honorée dans les Germanies108, ici célébrée (n° 20) avec Hercule par des stratores aux noms bien latins dont l’origine ethnique est indéfinissable ; on pensera donc à l’Hercule romain, tout en soulignant que c’est une association unique dans les deux provinces. Fortuna réapparaîtra dans les litanies romaines (mais non locales), toujours placée immédiatement après Hercule. On peut citer aussi un Hercule Salutaris associé à Fortuna Domestica en Pannonie supérieure (RIU, II, 392).
476. Une association non directe doit peut-être être mentionnée ici : Vénus honorée par une dévote (citoyenne d’origine indigène109) dans le sanctuaire de Lith110 avec une formulation originale : Deae Veneri suae. C’est la seule dédicace explicite à Vénus de toute la province, en ne tenant pas compte des représentations figurées. Une comparaison italienne peut-être intéressante : à Pompéi on trouve réunis Hercule, Liber et Vénus (AE, 1922, 101b). Toutefois, il s’agit là d’une association régionale111 : - Liber en tant que dieu des vendanges, du vin, des producteurs et des vendeurs, dans le péristyle d’une ferme viticole, - Vénus, déesse de la domination exercée par le vin et patronne des Pompéiens, - et Hercule, fondateur mythique des deux cités, Pompéi et Herculanum.
487. Les seules autres associations avec le genius loci (dans un contexte proche d’une statio de bénéficiaires) (n° 30) et avec la domus diuina (n° 25) (malgré sa relative rareté dans la province) me semblent trop banales pour autoriser une quelconque interprétation.
Les litanies complexes112
491. Le premier exemple de liste construite à citer (n° 16, provenant de Deutz, CCAA) présente une originalité : non seulement Hercule est Magusanus mais il figure en tête de la dédicace (là où Jupiter est le plus fréquent) et il est accompagné par un certain nombre de dieux locaux : le Genius loci, les Matrones A(m)bireniae113 et Mahalinehae (Mahlinehae), on trouve aussi Siluanus (qui est un dieu associé fréquent)114, Diana qui est une déesse très honorée en Germanie (supérieure) en tant que divinité des confins115, Victoria la déesse militaire par excellence et Mercure qui protège les voyageurs. Si l’on compare avec les litanies des equites singulares dans lesquelles Hercule figure à 20 reprises, c’est une organisation très différente. L’absence de Jupiter frappe, de même que celle de Mars ou de Fortuna.
50C’est aussi la seule litanie de la province qui soit conduite par Hercule.
Les dédicants sont des soldats, a priori des indigènes (Similinius), mais l’inscription est trop mutilée pour pouvoir faire des commentaires complets.
512. Le second exemple (n° 27 de Remagen, CCAA) est beaucoup plus classique. C’est Jupiter O.M. qui figure en tête, suivi du génie du lieu ; viennent ensuite Mars, Hercule et Mercure, puis des Matrones locales, les Ambiomarcae. Les dédicants sont des soldats de la légion de Xanten qui portent des nomenclatures germano-celtiques, mais c’est l’Hercule romain qui est cité dans une litanie proche de celles116 de Rome, mais plus courte.
523. De ces deux listes on rapprochera une troisième117 où Hercule est absent mais qui présente les mêmes Matrones que les deux précédentes : les Ambiamarcae118 et les Ambiorenenses/A(m)bireniae119, avec des variantes orthographiques minimes. Les épithètes sont mixtes120, comprenant latin et celtique ou celtique et germanique. Leur intérêt est d’être porteuses d’une signification ample et non précisément topique comme fréquemment. Elles protègent, en effet, les unes sur les deux rives du Rhin (Ambiorenenses) et sur toutes les frontières (Ambiamarcae). Il est intéressant de voir que, lorsque des dédicants composent une litanie complexe polythéiste, ils choisissent à Cologne des divinités locales à large spectre de protection. Ce qui pouvait être aussi le cas des Matrones sans épithète (comme par exemple dans AE, 1984, 654 = IKöln2, 94). C’est moins vrai pour les Mahlinehae qui sont liées à un toponyme germanique tel que Machelen, Mechelen ou Flémalle121 et qui ont donc une zone d’action limitée.
534. Une série courte à Bonn (n° 24) présente peut-être un caractère différent : on y trouve Jupiter O.M. en tête, puis Hercule, Siluanus et le genius domus dont on pense qu’il s’agit du génie de la domus diuina. En effet, il s’agit de la dédicace d’un préfet de camp et ses fils à une date spéciale d’anniversaire impérial comme nous l’avons déjà souligné. Certes, on trouve Jupiter et Silvain dans une association très romaine mais la formulation peut donner à penser au culte impérial. Bien que Augusta ou Diuina ne précise pas la qualité de la domus122, l’ensemble des données ne paraît pas correspondre à une dédicace privée au génie de la maison où le genius est généralement seul honoré dans un contexte simple123 et non complexe et officiel comme cela semble être le cas ici. Mais cela reste du domaine de l’hypothèse. Quoiqu’il en soit, c’est l’Hercule romain qui est activé dans ce réseau, en relation peut-être avec les cultes de la légion.
545. Le dernier exemple est en fait une série romaine (n° 52) sur un autel offert par des vétérans parmi lesquels figurent des Traianenses Baetasii recrutés en Germanie inférieure ; cette série s’inscrit dans les nombreuses dédicaces des equites singulares qui procurent nombre de comparaisons. La litanie est beaucoup plus complexe124 : la triade capitoline, Mars, Victoria, Hercule, Fortuna, Mercure, Felicitas, Salus, les Fatae, les Campestres, Siluanus, Apollon, Diane, Epona, les Matres Suleuiae et le génie de l’unité militaire. Autrement dit les dieux militaires par excellence, suivis des divinités liées aux déplacements et aux hasards de l’existence, puis de celles qui protègent la vie, et le champ de manœuvres, ensuite Silvain dieu des forêts, Apollon (autre dieu de la victoire) et Diane sa sœur qui siège dans les frontières, Epona déesse des chevaux et des cavaliers, puis une catégorie de divinité locale du pays d’origine, ici les Suleuiae, et enfin la divinité propre de la troupe. Plusieurs autels de la même origine présentent plus ou moins exactement la même série de divinités : l’un est plus court et se limite au début de la liste (CIL, VI, 31157+31176), un autre est absolument identique (CIL, VI, 31174), un autre encore y ajoute les di deae omnes (CIL, VI, 31175) ; certains présentent des variantes plus notables plaçant Hercule avant Minerve et complétant par Sol, Luna, la Terre, la Mer et l’Océan sans oublier Neptune (CIL, VI, 31171). Il me paraît inutile de continuer l’analyse de ces dédicaces qui ne sont pas dues à des hommes précis d’une origine définie mais à une catégorie de soldats. Elles informent du panthéon des equites singulares qui comptait indubitablement l’Hercule romain, lequel n’est presque jamais absent. Mais ce n’est pas à proprement parler le réseau d’Hercule que nous apprenons à connaître, plutôt un réseau des dieux militaires pour un type d’unité.
Hercules Saxanus
55Afin d’examiner complètement la place d’Hercule dans les cultes de Germanie inférieure, il peut être intéressant d’examiner les dédicaces que les soldats des armées de la province ont dédiées à Hercule, en particulier à Hercule Saxanus, lors de leurs missions dans les carrières de Belgique (Norroy) ou de Germanie supérieure (Vallée de la Brohl et Kruft). Pour l’étude des épiclèses et des réseaux, nous avons dénombré 27 inscriptions125, en écartant celles qui sont incomplètes ou qui relèvent (plus probablement) des troupes de Germanie supérieure126. Dans deux cas, Saxanus est honoré sans indication d’une divinité dont il serait l’épiclèse : on notera qu’il s’agit d’inscriptions parmi les plus anciennes du dossier, la datation des autels étant assurée par des éléments militaires, consulaires ou prosopographiques127. Faut-il en déduire que le premier dieu honoré se dénomme simplement Saxanus, nom de sa fonction, qui serait ensuite amalgamé avec Hercule dieu régional ? Hercule est Saxanus dans 18 cas, ce qui constitue le plus grand nombre d’occurrences du dieu. Il est aussi Inuictus deux fois, Barbatus une fois (ce qui est une épithète exceptionnelle) et sans épithète quatre fois. Il est généralement honoré seul mais les associations avec Jupiter représentent toutefois huit autels. On notera une association avec Minerve, et une association avec à la fois Jupiter, Junon et Mars. La proximité avec Minerve qui protège les artisans est également bien connue par les colonnes à Jupiter (cf. infra) ; par contre, sur les colonnes et pierres à quatre dieux de la province on ne trouve aucun cas comparable de la suite Jupiter, Junon, Mars telle quelle.
56L’épithète Inuictus est une épiclèse classique, bien attestée à Rome et dans la province à Cologne.
57L’épiclèse Saxanus a suscité une large bibliographie dont on trouvera un aperçu critique dans un article128 de K. Matijevic qui propose un bilan prudent des hypothèses disparates qui ont été défendues. Je tenterai une synthèse, en conservant à l’esprit qu’aucune certitude ne peut être avancée.
58L’épiclèse est latine129, quoique certains aient voulu l’entraîner vers des explications linguistiques indigènes130. En effet, elle est construite sur le mot saxum, la pierre131 ; pour une fonction de protection des carriers, elle est explicite.
59Pour suivre sa diffusion, il faut tenir compte des exemples italiens de dédicace au dieu :
60CIL, XIV, 3543 = D. 3452 de Tivoli, en 81, dédicace à Hercule Saxanus pour la restauration de l’aedes, de la zotheca et de la culina par un certain Ser. Sulpicius Trophimus ; et une inscription votive : CIL, V, 5013 = D. 3457 de Trente (Hercule Saxanus).
61L’existence de ces inscriptions italiennes et surtout de celle de Tibur, haut lieu du culte d’Hercule Victor, a engendré plusieurs théories de filiation. On a pensé à une naissance du culte en Germanie et suivie d’une diffusion ensuite vers l’Italie132 (ce qui convient mal à la date de 81 pour la restauration du temple de Tibur). On pourrait plutôt songer que Saxanus serait une épiclèse plus précise de la fonction au départ d’Hercule Victor, honoré largement à Tibur, épiclèse qui serait née des carrières de la région. On remarquera que Saxanus est aussi honoré en Norique, éventuellement assimilé à Siluanus (CIL, III, 5093 ; ILLPRON, 375, 376, 1892)133 également dans des carrières.
62Il ne serait pas difficile de comprendre que les légionnaires de la xve légion, qui paraît la plus ancienne à honorer le dieu, ou ceux de la xvie à la même époque (43‑70), composées en bonne partie de soldats d’origine italienne, aient importé en Germanie un culte italien dédié au dieu protecteur des tâches difficiles et dangereuses des carrières, Saxanus. La version la plus acceptée actuellement, mais néanmoins discutable, serait celle d’un culte typiquement militaire de Germanie inférieure venu d’Italie et sans lien avec les divinités celtiques ou germaniques134. Aussi G. Bauchhenss rapproche-t-il le très curieux monument creusé vers 100 dans le rocher (Felsenrelief)135 dans le Brohltal, qui a suscité bien des interrogations et des interprétations étant donné ses niches aujourd’hui vides – sauf la centrale qui contient en haut relief un autel alliant Hercule Saxanus à Jupiter –, d’un petit lieu de culte romain à Hercule, généralement mais erronément136 dénommé “Hercules cubans”, également creusé dans une ancienne carrière (de tuf) sur la rive ouest du Tibre137. La ressemblance des deux petits sanctuaires est frappante et constitue un indice significatif de la part italienne du culte en Germanie.
63L’examen détaillé des lieux de découverte des autels dans les carrières montre en fait que plusieurs lieux de culte inscrits dans la roche ont marqué les zones d’extraction138. Un autre sanctuaire creusé dans la roche a été repéré en fonction de la présence d’une tabula ansata (M 24) gravée directement dans la paroi, au texte très incomplètement conservé et sans épithète assurée, et qui a été ultérieurement dégagée. À ce monument qui serait à dater des années 100, H. Schaaff139 associe une série de dédicaces sur autels. Un dernier Felsendenkmal serait à identifier d’après un bloc aujourd’hui très fragmentaire qui a été interprété comme une base de statue (M 38) mais qui serait plutôt un fragment de rocher sculpté. Un autel trouvé au même endroit serait à rattacher à ce site140. De même dans les carrières de Kruft, un autel a été sculpté directement dans le rocher (M 47) et en a été détaché. Il existait donc aussi à cet endroit un Felsendenkmal. Ainsi peut-on supposer que chaque zone de carrière comportait un site religieux qui lui était spécifiquement dédié141. Quelque probable que soit la valeur de ces regroupements topographiques (mais peut-être pas nécessairement exactement contemporains), on notera toutefois qu’ils ne tiennent pas compte des variations d’épithète ou de réseau, puisque, par exemple, dans l’un d’eux, Hercule Saxanus (M 17) aurait été honoré en parallèle avec Hercule Inuictus (M 9)142.
64Pour en revenir à la question de l’origine du culte, il est intéressant de remarquer que dans les toutes premières dédicaces Saxanus est dénommé seul. Faut-il en déduire que les soldats qui connaissaient un dieu protecteur italien, ont rencontré un dieu local (de la région des carrières de la Brohl) ? Ils auraient alors donné à ce dieu local (dont nous ignorons le nom) le nom latin du dieu italien, eu égard au fait que tous avaient le latin comme langue vernaculaire commune, y compris les auxilia. Il aurait ensuite été rapproché d’Hercule, si important en Germanie. Et serait devenu Hercule Saxanus143, parfait exemple d’interpretatio. Quant aux différents signes creusés au-dessus des niches du Felsenrelief et qui représentent apparemment le soleil et la lune, ils ont donné lieu à des interprétations astrales144. Peut-être faut-il les mettre en rapport avec le dieu local assimilé ? Qu’Hercule Saxanus soit un dieu particulièrement proche des armées de Germanie inférieure n’interdit pas d’y reconnaître une divinité locale assimilée à l’Hercule Saxanus italien, ni de considérer que son culte s’est transféré ensuite dans les carrières de Lorraine145 puis ailleurs en Gaule, si la lecture d’Hermes est correcte. Par un autre cheminement et avec une proximité avec Siluanus, Saxanus se serait aussi diffusé en Norique.
65Le réseau d’Hercule Saxanus est limité : Jupiter est seul à avoir été associé à Saxanus dans les carrières. Mais on y trouve aussi Hercule sans épithète, cette fois associé à Jupiter mais aussi Junon, Minerve et Mars. Soit une série proche de celle que nous avons relevée pour Cologne et l’Hercule romain. Serait-ce un argument en faveur d’une origine italienne “stricte“ de Saxanus ? Aucun défenseur de cette interprétation ne l’a avancé. En tout cas cela montre au minimum une grande proximité entre le dieu des carrières et le dieu proprement romain. Dans le réseau activé par les soldats on ajoutera Neptune dans sa fonction de protecteur de la mer et des fleuves, puisqu’il s’agit de marins de la flotte, et des Matres sans identification ethnique précise. Sont-elles suae par rapport à Cologne qui abrite la flotte, ou suae par rapport aux marins ? Il n’est pas possible de trancher.
Conclusion
66Hercule en Germanie inférieure illustre particulièrement bien la notion de pluralité de la puissance divine. En effet, Hercule pourrait y être défini en fonction de trois formules, en gardant à l’esprit le caractère hypothétique de certains points, faute de documentation suffisante : tout d’abord, comme dans toute province et en particulier dans les colonies romaines, on y trouve l’Hercule romain. On peut sans doute le reconnaître dans la dédicace du décurion de Cologne et chez les militaires agissant selon leur poste : je citerais les numéros 11, 18, 19, 20, 21, 23, 24, 28, 29, 51 et 52-53-54 (j’hésite pour 12, 13, 14, 27, 31 qui pourraient appartenir à la seconde formule). La seconde formule qui, peut-être, doit être abandonnée au bénéfice de la première solution, résiderait dans un Donar interprété en Hercule sans épithète, très proche de la figure romaine d’où son association avec Alcmène (n° 10) qui pourrait remplacer en termes classiques une éventuelle parèdre germanique. Ce serait la formule des Tongres (n° 6, 7, 8, 9 et 48), peut-être en tant que dieu poliade, dans leur souci de choisir une forme valant autant pour les populations celtiques que germaniques, mais elle pourrait avoir été aussi adoptée par d’autres (n° 17 ?, 30 ?). La troisième formule serait l’interpretatio romana d’une forme de Donar ou d’un dieu local qui aurait été dénommé Hercule Magusanus : ainsi chez les Bataves, puis repris par d’autres ou par des Bataves en d’autres cités (n° 1, 2, 3, 5, 16, 22, 25, 32, 33, 47, quid de 49 ?). Ensuite, selon la même formule, Saxanus, interpretatio romana – d’après un modèle italien emporté d’Italie par les légionnaires – d’un dieu local des carrières de la Brohl auquel ils donnent le nom latin transformé ensuite en épithète, venant d’Italie, ensuite exporté vers Norroy. Quant à Deusoniensis, la forme linguistique de l’épithète renvoie à une dénomination toponymique, peut-être au départ d’un Donar/Hercule sans épithète propre dans un sanctuaire inconnu. Le toponyme ne semble pas pouvoir être identifié faute d’éléments probants.
67Dans ce tableau multiforme, il convient toutefois de ne pas dissocier les différentes formules : elles recouvrent les facettes diverses de l’identité d’Hercule car on rappellera que les images de Magusanus sont celles qui définissent Hercule romain.
68On soulignera la pratique locale des bracelets et anneaux inscrits de Magusanus qui sont exceptionnels car, si les fibules et anneaux gravés sont répandus, il n’en va pas de même pour les bracelets inscrits, rares partout, au profane comme au religieux. Sont-ils portés par les dévots ou par des statues ? On y joindra les amulettes en forme de massues.
69L’identité d’Hercule en Germanie inférieure est d’abord celle du dieu militaire romain honoré notamment par des soldats en particulier chez les Ubiens et dans la colonie agrippinienne, mais sans doute aussi chez les Tongres et, moins assurément, chez les Cugernes : c’est bien le dieu romain avec ses fonctions romaines : Victor ou Inuictus. Il semble avoir aussi patronné l’hôpital militaire de Bonn, et détenu une place significative dans la légion. Chez les Tongres, il doit avoir assumé la fonction de dieu fédérateur conduisant vers le monde civique sans que l’on puisse avoir toute certitude sur son caractère strictement romain ou partiellement germanique. Chez les Ubiens, il ne semble pas avoir joué un rôle de civilisateur ; ce sont sans doute les Matrones, déesses de protection ethnique, qui ont accompagné vicissitudes et évolutions institutionnelles. Ensuite ses fonctions locales sont clairement exprimées par Hercule Magusanus qui a soudé la création de la ciuitas des Bataves : c’est bien un dieu civilisateur qui a conduit les dévots du stade tribal au stade urbain. Le dieu germanique assimilé à Hercule a pleinement assumé la fonction de son “modèle”, celle de passeur vers la civilisation, c’est-à-dire vers la romanité selon les conceptions du temps. Il se rencontre en dehors de la cité des Bataves chez les Cugernes et les Ubiens, moins chez les Tongres. Autant qu’on puisse en juger, cet Hercule est toujours honoré sur le territoire des ciuitates, sans doute en tant que marqueur de ces territoires dont il assure la protection et qu’il a contribué à unifier et organiser. Peut-être même, comme pour les Matrones ubiennes146, faut-il penser que le culte remonte, dans son implantation première, à un stade tribal d’organisation où la notion de chef-lieu n’existe pas encore.
70Si on s’intéresse ensuite aux réseaux d’Hercule en Germanie inférieure, ceux-ci doivent sans doute se définir en deux axes147 : l’Hercule romain, notamment Victor ou Inuictus, qui agit seul ou bien lié à des associations romaines : Fortuna, Liber Pater, mais aussi Jupiter et Silvain, et peut être inclus dans une série militaire comprenant des Matrones du culte public de Cologne. D’autre part, l’Hercule interprété, Magusanus, figure locale qui agit souvent seul, y compris à Rome, mais qui reste proche des divinités locales, germaniques, comme lui, comme Haeua (= Caiva ?), comme les Matrones, dans plusieurs dédicaces à Cologne ou dans son territoire, même dans une litanie complexe. Peut-être parce que les Matrones sont à Cologne des divinités du panthéon officiel protectrices de l’ethnie puis de la cité-colonie. Alors que chez les Bataves Hercule est le dieu poliade, peut-être aussi chez les Tongres ; il agirait toujours seul comme un dieu germanique (?) mais notre documentation est beaucoup trop faible pour permettre de préciser ou de fortifier nos hypothèses.
71Remarquons encore que le culte d’Apollon148 présente dans la province une certaine similitude. Il est moins représenté (ce qui est logique puisqu’il n’est pas assimilé à un dieu de la triade de base germanique, Wodan/Odin, Donar/Thor et Tiwaz/Tyr) et il ne connaît qu’une seule épiclèse celtique à caractère strictement local (les deux autres sont liées à un dédicant extérieur) : Smerturix à Jupille chez les Tongres149. C’est d’ailleurs chez les Tongres qu’il est le plus attesté, peut-être parce que la ciuitas est sans doute la plus celtisée150. Il n’est accompagné d’aucune parèdre mais se retrouve dans des litanies complexes composées par des légats. Son rôle de Medicus est probable là où il est Grannus ou associé à Esculape.
72Il reste à voir comment Hercule a été inclus dans une autre série complexe, celle qui orne les colonnes à Jupiter, leurs socles et les pierres à quatre dieux.
Hercule sur les monuments à Jupiter
73Les provinces celtiques et germaniques ont livré un nombre considérable de monuments originaux dédiés à Jupiter : ensembles complets, socle, colonne ou pilier, statue, ou plus souvent incomplets, limités au simple socle à trois ou plus souvent quatre faces sculptées. Se pose la question de l’unité de ces monuments dans leur état complet. F. Blanchard151, contrairement à l’opinion reçue, pense que certaines pierres à quatre dieux constituent des monuments en elles-mêmes, des autels, qui dès lors n’appartiendraient pas à des colonnes à Jupiter. Si cette opinion devait être avérée, il conviendrait de reprendre l’examen de chacune des bases afin de déterminer sa fonction exacte qui ne serait donc plus nécessairement liée à Jupiter. Dans la mesure où cette démonstration n’est pas faite avec des listes précises, l’ensemble de ces monuments sera ici considéré traditionnellement comme dédié à Jupiter.
74Ce sont les Germanies152 qui en ont conservé le plus grand nombre et surtout la Germanie supérieure. Parmi les divinités représentées en statue ou relief, Hercule est un des plus présents. En Germanie inférieure, nous avons dénombré 36 exemplaires présentant au moins vraisemblablement une image d’Hercule, répartis sur toute la région153.
75Si l’on admet que tous appartiennent au culte de Jupiter154, c’est une sorte de “réseau de Jupiter” que ces pierres permettent de reconstituer.
76La première constatation est celle de la diversité. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, il n’y a pas vraiment de série standard qui dominerait l’ensemble. On peut même se demander si ce que reflètent ces associations divines, ce n’est pas le panthéon de chaque dédicant, plutôt que des réseaux religieux communautaires.
77Toutefois quelques grandes lignes apparaissent qui sont communes aux deux Germanies avec des variantes.
78La série que G. Bauchhenss dénomme “die Normalreihe”155 pour la Germanie supérieure et que F. Blanchard156 considère comme majoritaire dans son ensemble, est constituée d’Hercule avec Junon, Minerve et Mercure. Autrement dit, le complément de la triade capitoline (Jupiter figure au sommet et sur l’inscription dédicatoire) accompagnée de Mercure et d’Hercule, deux protecteurs des voyageurs, des marchands, des soldats, des déplacements, ce qui doit correspondre au fait que beaucoup de colonnes figuraient sur des places publiques ou au bord de routes très fréquentées (bien que le nombre de pièces provenant de uillae rusticae soit également important). On pourrait donc qualifier ces dieux de “populaires157”. Cette alliance divine plus vaste confirmerait le prestige de Jupiter et assurerait à ces monuments une audience et une faveur auprès des cultores.
79En Germanie inférieure158, cette série (Junon, Minerve, Hercule, Mercure) n’est au demeurant pas courante même si ce sont les mêmes divinités qui sont majoritaires dans des assemblages variés : Minerve est presque toujours présente aux côtés d’Hercule : dans notre cas 15 fois. C’est l’association la plus fréquente159. Vient ensuite Junon, qui est proche d’Hercule déjà à Rome160, 10 fois, suivie de près par Mercure, 9 fois.
80D’autres dieux complètent le tableau : en se limitant aux plus fréquents, on citera Vulcain, Mars et Apollon chacun 6 fois.
81Aucun nom n’accompagne les dieux à l’exclusion de Jupiter, les identifications sont parfois difficiles mais la représentation ordinaire d’Hercule avec sa massue et sa peau de lion est une des plus sûres à reconnaître.
82Les dédicants161 de ces monuments sont mal connus car très rarement conservés. On notera des citoyens romains d’origine indigène et des soldats. Plus particulière, la base de Jülich élevée par les uicani Iuliacenses, seule entité publique engagée dans cette pratique, à notre connaissance. Les pérégrins sont absents sauf peut-être sur le socle de Vliermaal-Zammelen (ILB 23, sans sculpture) avec deux noms de pérégrins (Clementinus et Felix) plutôt qu’un Clementinus Felix au gentilice bien rare qui serait d’origine méditerranéenne162. En effet la forme même des monuments, sur l’interprétation desquels on a beaucoup écrit – et que nous n’aborderons pas ici163 –, est locale et ceux qui les honorent sont des dévots provinciaux, non des dédicants d’origine méditerranéenne. Au final lorsqu’on regarde l’ensemble des dieux qui peuvent ainsi apparaître sur ces monuments, c’est une grande part du panthéon romain qui défile, avec, plus rares que ceux que nous venons de citer mais présents, Fortuna, Victoria, Neptune, Virtus, Genius, Diane, Sol, Luna, Vénus, Liber Pater, Cérès, alors que les divinités indigènes manquent. Les colonnes sont pourtant élevées aussi dans des sanctuaires de divinités locales, notamment dans des lieux de culte des Matrones. On peut sans grand risque considérer ces monuments comme représentatifs de la complexité religieuse de la province alliant, dans des panthéons locaux recomposés, des éléments indigènes – comme la forme du monument – et des éléments romains, reflets de populations fortement brassées par Rome et son armée. Ces colonnes sont dès lors d’autant plus fréquentes dans les régions à forte mixité ethnique et forte influence cosmopolite des soldats, nettement moins dans les ciuitates cohérentes ayant conservé une identité ethnique propre164, comme les Bataves, ainsi que le montre la cartographie165 des découvertes, pertinente d’après le grand nombre de découvertes.
83En conclusion donc, les représentations d’Hercule sur les colonnes à Jupiter et leurs socles, bien que très nombreuses, ne permettent pas d’appréhender de manière plus complète les réseaux du héros, sinon à souligner une association privilégiée à Jupiter relativement peu perceptible dans les inscriptions de la province en dehors de Saxanus.
Tableau 1. Dédicaces à Hercule en Germanie inférieure (ou par des ressortissants de la province).
référence | lieu | cité | épiclèse | association + fonction, occasion ... | dédicant | qualité | date | |
01 | 8771 | Ruimel | Bat | Magusano | - | Flaus Vihirmatis fil. | summus magistratus civitatis Batavor. | 1e /2 Ier s. |
02 | AE 1990, 740 | Empel sanctuaire | Bat | Maguseno | - bronze | Iulius Genialis | vet. leg. X Gem. | 71-120 |
03 | AE 1994, 1284 | Houten | Bat | Magusan(o) | - | Volusius Vetonianus | - | - |
04 | AE 2002, 1047 | Elst sanctuaire | Bat | ? | - | ? | ? | ? |
05 | 8705 | Elten | Bat ? | Magusano | et Haeva | Ulpius Lupio, Ulpia Ammava | pro natis | IIe-IIIe |
05 bis | Finke 309 | Nimègue | Bat | S(axano ?) S(alutari ?) | +, Tutela [-] | C. P() Patern | - | |
06 | 3594 = ILB 6 | Tongres | Tun | Deo ? | - anneau de pierre ? | ? | ? | ? |
07 | 3600 = ILB 24 | Jeuk sanctuaire ? | Tun | - | - | Probus Verecundi fil. | - | - |
08 | 3601 = ILB 25 | Jeuk sanctuaire ? | Tun | - | - | Leubasna Florentini filia | - | - |
09 | 3603 = ILB 27 | Jeuk sanctuaire ? | Tun | - | - | Vaduna Car(i ?) filia | - | - |
10 | 3602 = ILB 26 | Jeuk sanctuaire ? | Tun | - | et Alcmena | C. Maternius Primus | - | - |
11 | 8186 = IKöln2 47 | Cologne | CCAA | - | - | Ianuarinius Moderatus | collegio equitum | IIIe |
12 | 8187 = IKöln2 49 | Cologne | CCAA | - | Princeps | - | - | |
13 | 8491 = IKöln2 45 | Deutz | CCAA | - | et Gesahenae ? | ? | ? | IIe-IIIe |
14 | *1311 = IKöln2 53 | Cologne | CCAA | Deo sancto | - | Furius Dativus | - | 150-250 |
15 | 8188 = IKöln2 51 | Cologne | CCAA | - | - | Petitor Pirobori | mil. coh. II Varc. sing. cos. | déb. IIe |
16 | 8492 = IKöln2 52 | Deutz | CCAA | Magusano | +, (Matronae) A(m)bireniae, Silvanus, Genius loci, Diana, Mahalinehae, Victoria, Mercure, ceterisque dis deabusque omnibus | Similinius [-]nus, [-]stis Dirmesus | veredarius / veteranus item curator numeri Brittonum | |
17 | IKöln2 48 = AE 1981, 661 | Cologne | CCAA | - | - | Nonius | ex visu, pro se et suis | |
18 | N 223 = IKöln2 50 | Cologne | CCAA | - | Liber Pater et + | M. Vannius Adiutor | decurio (CCAA) | IIe-IIIe |
19 | 8003 | Bonn | CCAA | - | - | C. AV[-] Cl. V[-] | civis civitatis T | - |
20 | 8008 | Bonn | CCAA | - | Fortuna, + | Lollius Fuscus, Baienius Classianus, Lurius Saturninus | stratores cos | |
21 | 8009 | Bonn | CCAA | - | peracto opere valetudinarii | L. Calpurnius Proclus | leg. Aug. leg. I M.P.F. | 180-185 |
22 | 8010 | Bonn | CCAA | Magusano | - | Q. Clodius Marcellinus | cent. leg. I M P F | |
23 | 8011 | Bonn | CCAA | Victor | - ex stipibus | Claudius Edistrus, Aurelius Philetus | optio valedtudinarii / bf leg. | |
24 | 8016 | Bonn | CCAA | - | IOM, +, Silvanus, Genius domus | M. Sabinius Nepotianus cum Marcello, Nepotiano et Festo filis | praefectus castrorum | 19/ 9 190 |
25 | Sch-H 161 = AE 1971, 282 | Bonn | CCAA | deo Mag(usano) | In h d d | M. Naevius Minervinus | optio principis leg. I M P F S A | 226 |
26 | Sch-H 167 = AE 1963, 44 | Bonn | CCAA | ? | - | Mercator | - | |
27 | 7789 | Rigomagus | CCAA | - | IOM, genius loci, Mars, +, Mercure, Ambiomarcae | M. Ulpius Panno, T. Mansuetius Marcus, M. Ulpius Lellavus | milites leg. XXX Vlp. V. | fin IIe-déb. IIIe |
28 | 7817 | Rigomagus/Oberwinter | CCAA | - | - | L. Iucundinius Maximus | bf cos | |
29 | 7818 | Rigomagus/Oberwinter | CCAA | - | Octavius Curtavius | bf cos | ||
30 | 7819 | Rigomagus/Oberwinter | CCAA | Deo | et Genius loci | Bellanco Gimionis | - | 150-212 |
31 | 7820 | Rigomagus | CCAA | - | - | T. Pom[-] [-]usus | - | - |
32 | 8610 | Xanten | CVT | Mag(usanus) | - | L. Vibius Castus | immunis leg. XXX | fin IIe - déb. IIIe |
33 | AE 1977, 570 | Xanten | CVT | Mag(usanus) | - | Ulpius Agilis, Vadullius Victor, Valerius Placidus, [-], Hetinius H[-], [-]asvo Amabilin[--- | - | |
35 | Reichmann 1991 | Elfrath (Krefeld) temple avec peintures | CVT | Deusoniensis dans l’hypothèse | petit fgt d’autel très mutilé | - | - | - |
36 | AE 1994, 1282 | Waardenburg | Bat | Mag(usano) | - bracelet ag | Pacius | - | - |
37 | 10027, 212a = ILB, 139a | Tongres | Tun | M(agusano) | - bracelet bz | - | ||
38 | 10024, 5a | Cologne | CCAA | - | - anneau ag | - | ||
39 | 10026,1 | Cologne | CCAA | Deo | - massue166 en ag | - | ||
40 | 10026,18 | Cologne | CCAA | Deo | - bracelet ag | - | ||
41 | 10027, 209 | Cologne | CCAA | - | - bracelet bz | - | ||
42 | 10027, 210 | Cologne | CCAA | - | - fgt bracelet bz | - | ||
43 | 10027, 212c | Cologne | CCAA | Mag(usano) | - bracelet bz | - | ||
44 | 10027, 212b | Bonn ? | CCAA | Magu(sano) | - bracelet bz | - | ||
45 | 10027, 212d | Grimlinghausen | CVT | Mag(usano) | - bracelet bz | - | ||
46 | AE 2006, 910 | Kalkar dans sanct. Vagdavercustis | CVT | - | - bague en ag | - | - | |
47 | VI 31162 | Rome | Bat | Magusano | ob reditum d n (Elagabal) | equites singulares Antoniniani eius cives Batavi sive Thraces adlecti ex provincia Germania inferiore | 219 | |
48 | RIB 1580 | Housesteads | Tun | - | - | cohors I Tungrorum mil | cui praeest P. Ael. Modestus praefectus | |
49 | RIB 2140 | Mumrills | Tun | Magusan | - | Valerius Nigrinus | dupli(carius) alae Tungrorum | |
50 | RIB 946 = AE 1999, 973b | Carlisle | CVT | Deus Romanus Invictus | Commode assimilé à l’Hercule romain, pro salute ipsius et commilitonum caesa manu barbarorum | P. Sextanius | praefectus alae Augustae (e civitat Traianens) | 192 |
51 | III, 1571 = IDR 3, 1, 63 | Mehadia (Dacia) | CCAA | Invictus | - | L. Pompeius Celer | praef. coh. I Ubior. | |
52 | VI 31140 | Rome | CVT | - | IOM Junon, Minerve, Mars, Victoria, +, Fortuna, Mercure, Felicitas, Salus, Fatae, Campestres, Silvanus, Apollon, Diane, Epona, Matres Suleviae, Genius sing. | série de vétérans dont M. Arradius Priscus, C. Iulius Crescens Traianenses Baetasii | vétérans des eq. sing. | 132 |
53 | XIV 3548 | Tivoli | Germania | Invictus | - | C. Vibius Publilianus | scriba quaestorius, praef. coh. IIII Thracum eq. tribunus militum bis leg. IIII Mac. et leg. XXI Rapacis in Germania reversus inde | |
54 | XII 5733 = ILN I, 2 | Fréjus | Germania | - | - | vexillatio Germanicianorum |
Tableau 2. Hercule Saxanus et autres dédicaces de Brohl, Kruft et Norroy offertes par des soldats des troupes de Germanie inférieure167
4624 | H S + emp. flaviens | leg X Gem | 79-89 | Norroy |
7681 = M 6 | Matres suae | classis G Dom | 89-96 | Brohl |
7693 = M 7 | Herclenti | coh II Ast | avt 105 | Brohl |
7694 = M 8 | Hercule Barbatus | leg X Gem | 89-104 | Brohl |
7695 = M 9 | Hercule Invictus | leg VI Victr. | 70-122 | Brohl |
7696 = M 10 | Hercule Invictus | leg VI Victr. | 70-122 | Brohl |
7697 = M 11 | H [S ?] | vex. légions G.I. sous gouv. | 101-102 | Brohl |
7698 = M 12 | H S | leg X Gem | 70-104 | Brohl |
7699 = M 13 | H S | leg X Gem | 70-104 | Brohl |
7700 = M 14 | H S | leg XV (GI ?) | 43-70 | Brohl |
7701 = M 43 | Saxanus | leg XV (GI ?) | 43-70 | Brohl ? |
7702 = M 15 | H S | leg XXI Rap sd en GI | 70-83 | Brohl |
7705 = M 18 | H S | coh. II Ast. Dom | 89-96 | Brohl |
7706 = M 19 | H S | coh. I c. R. | avt 117 | Brohl |
7707 = M 20 | H S | coh. II Varc. | 1er/ 2e s. | Brohl |
7709 = M 22 | H S | sing. legati | 73-78 | Brohl |
7710 = M 23 | H S[-] | classis G | 1er/2e s. | Brohl |
7714 = M 26 | IOM | leg XXI Rap sd en GI | 70-83 | Brohl |
7715 = M 27 | IOM, H [S] | vex. lég. G.I. sous gouv. | 101-102 | Brohl Felsenrelief |
7716 = M 28 | IOM, H S | idem | 101-102 | Brohl |
7717 = M 29 | IOM, H S | leg X Gem Dom | 89-96 | Brohl |
7718 = M 30 | IOM, H S | idem | 89-96 | Brohl |
7719 = M 31 | IOM, H S | classis G | 1er/2e s. | Brohl |
7720 = M 32 | IOM, Saxanus | leg XVI | 43-70 | Brohl |
7721 = M 33 | IOM, H | coh XV | 1er s. | Brohl |
7722 = M 34 | IOM, Junon, Mars, Hercule | coh. II c. R. Dom | 89-96 | Brohl |
7723 = M 44 | Minerve | classis G | après 89 | Brohl |
F 242 = M 46 | H S | leg XXX VV | 122-250 | Kruft |
F 243 = M 47 | Minerve, Hercule | leg XXX VV | 122-250 | Kruft Felsdenkmal |
F 251 = M 40 | H S | sing. legati | 97-98 | Kruft |
F 252 = M 41 | IOM, Neptune | classis G | après 89 | Brohl |
Tableau 3. Colonnes à Jupiter en Germanie inférieure comportant vraisemblablement une image d’Hercule.
Noelke 1981, numéros | Lieu |
3 | Jüchen |
5 | Jülich |
6 | Kleinbouslar |
9 | Köln Weiden |
11 | Rheydt-Mülfort |
104 | Buchholz |
173 | Köln |
174 | Köln ? |
175 | Rommerskirchen |
182 | Maastricht |
183 | Maastricht |
184 | Stokkem |
187 | Kessel |
189 | Köln |
190 | Laurensberg |
191 | Nierendorf |
192 | Bonn |
193 | Maastricht |
195 | Wesseling |
196 | Bonn ? |
197 | Euskirchen |
209 | Amberloup (sd Trévires, GB) |
210 | Amberloup (id.) |
211 | Berg bij Tongeren |
Noelke & Panhuysen, numéros | |
238 | Jülich, Kirchberg |
239 pilier jovien | Maastricht |
244 | Müngersdorf |
252 | Widdersdorf |
314 | Köln |
320 | Sinthern |
322 | Tongeren |
323 | Inden |
325 | Amay |
326 | Jüchen |
327 | Geich |
333 | Jülich, Merzenhausen |
Notes de bas de page
1 de Vries 1935, 175-179 ; Schmidt 1970, 388-389 ; Simek 1995, 74-75 ; 176-179 ; 2003, 111-112 ; Ruben 2016, 46, 87, 93 ; cf. Birkhan 1970, 315.
2 Ce qui se retrouve dans le nom des jours de la semaine : dies Iouis (jeudi) / Donnerstag.
3 Simek 2003, 130-131.
4 Moitrieux 2002, 69-73 ; pour un examen des différents aspects de la personnalité et de l’action d’Hercule civilisateur d’après les sources littéraires, voir Lacroix 1974 ; Jourdain-Annequin 1992, en particulier p. 277-278, 291 qui développe le témoignage de Diodore (4.17-30) ; l’auteur décrit ainsi la “dérive coloniale du mythe héracléen”, et l’évolution des conceptions qui justifiaient la colonisation grecque et qui vont désormais garantir le succès de Rome.
5 Roymans 2009, 223-234.
6 Van Andringa 2002, 144, 235 (2017, 150, 257) ; Scheid 2006a, 42.
7 Derks 1998, 73-118 ; Roymans 2009, 219-223.
8 Cf. Roth-Congès 1997, 184-186 et 188-194. L’Hercule de Glanum, associé à une source, porte l’épiclèse de Victor (AE, 1999, 1022 = 2001, 1322 ; voir aussi infra p. 220, à propos de cette épiclèse en Germanie).
9 Spickermann 2009, 464.
10 Cf. infra ; Raepsaet-Charlier 2019b.
11 Derks & Roymans 1994 ; Moitrieux 2002, 245-246 ; Spickermann 2008, 32-34.
12 Roymans & Aarts 2005, 342-352.
13 Roymans 2004, 14-16 ; 103-194.
14 Roymans & Aarts 2005, 356-359 ; Raepsaet 2013, 119-120.
15 Le terme d’ethnogenèse a été emprunté à l’anthropologie par N. Roymans (2004) pour désigner le processus par lequel une population éventuellement hétérogène a évolué vers une cité institutionnellement structurée au départ d’une organisation de type tribal, en acquérant ou en renforçant une cohérence ethnique autour de sanctuaires (“central places”) d’un dieu fédérateur.
16 Raepsaet 2013, 133-140.
17 Sur cette question on verra Raepsaet-Charlier 2019a, 115-116.
18 Raepsaet 2013, 123-126.
19 Galsterer 1999, 254, 261-266 ; Raepsaet 2013, 123.
20 Spickermann 2001, 216-224 et 234.
21 Cf. Roymans 1990, 17-45.
22 Spickermann 2008, 48-50.
23 Reichmann 1991 ; Spickermann 2008, 110-112.
24 Eck 2004, 46-62 ; Raepsaet 2013, 122-133.
25 Eck 2004, 31-45.
26 Roymans 1990, 21-29 et 49-92.
27 Voir Roymans 1990, 24-28 ; Spickermann 2002 ; Raepsaet-Charlier 2019b.
28 Sur ces questions, voir par exemple Roymans 1990, 49-50 ; Eck 2004, 496-503 ; Scheid 2006b, 305.
29 Voir tableau 2 en fin d’article.
30 Voir tableau 1 en fin d’article. On notera que tous les dédicants, à l’exception du site de Jeuk et du couple de Gueldre, sont des hommes. L’inscription de Fréjus est mentionnée pour mémoire mais son lien concret avec la Germanie n’est pas établi.
31 On complétera avec un anneau d’or de Mayence (CIL, XIII, 10024, 4).
32 RIC V, 2 n° 68 et 139 pour Magusanus ; RIC V, 2, n° 20-22, 64-66, 98-99, 137, 247, 343 pour Deusoniensis. Sur ce point, voir Moitrieux 2002, 44-45 ; cf. Bastien 1967, 67-68 et passim ; également Deusoniensis dans le monnayage de Carausius, usurpateur d’origine ménapienne (RIC V, 2, n° 800).
33 Raepsaet-Charlier 1999, 273-285.
34 L’inscription de Houten (n° 3) se situe à la limite des Bataves, plus probablement dans cette cité, mais la frontière exacte ne peut être précisée.
35 Spickermann 2008, 32-34.
36 Swinkels 1994.
37 Voir supra n. 13 ; Spickermann 2008, 115-116.
38 Derks 1998, 98-99, qui reprend une idée déjà émise au xviiie siècle dans l’historiographie néerlandaise. Voir aussi Wissowa 1912, 284 ; Stolte 1986, 626-629 ; Roymans 2004, 241-244 ; 2009 ; Bauchhenss 2008, 94-96.
39 Sur l’importance de Nimègue en tant que “central-place” des Bataves dans le système municipal romain, Roymans 2004, 202-205 qui réfute l’idée ancienne d’une capitale artificielle (“kolonistenstad”) délaissée par l’aristocratie batave et occupée uniquement par des étrangers, interprétation incompatible avec le fonctionnement concret d’un chef-lieu de ciuitas où siègent les magistrats d’origine indigène.
40 Speidel 1994, 28-64.
41 Hulst 2006.
42 Cf. ILB, p. 47-48 ; Spickermann 2008, 222.
43 Strobel 1987, 287-291 ; cf. Birley 2013, 291-296 ; Raepsaet-Charlier 2019a, 117.
44 Raepsaet 2013, 137-140 ; Raepsaet-Charlier 2011a, 564.
45 Faider-Feytmans 1979.
46 Wankenne 1987.
47 Galsterer 1999 ; Eck 2004, 63-177 ; pour les aspects religieux d’une loi coloniale, d’après les prescriptions de la lex Ursonensis, voir Scheid 1999b ; Bertrand 2010.
48 Deux temples du chef-lieu sont supposés remonter à la ciuitas mais les éléments sont ténus ; voir Spickermann 2001, 216-224 ; 2008, 230.
49 Reichmann 1988 ; 1991, 144-152 ; Zelle 2006.
50 L’épithète est restituée d’après la légende d’une monnaie de Postume (RIC V 64).
51 Spickermann 2001, 216 ; 2008, 110-112.
52 Raepsaet-Charlier 2019b, 171-172. On trouve cependant à Cologne Hercule honoré avec des Matrones (cf. infra).
53 Sur le culte des Matres, voir Raepsaet-Charlier 2019b, 184-185.
54 Jaczynowska 1981, 638-639.
55 On trouve à Rome Herclenti (CIL, VI , 31158).
56 Dana, OnomThrac 272 (nom dace).
57 Deman 2001.
58 Haensch 2001, 95-96.
59 Spickermann 2008, 208 et 290 ; Herz 1975, 273-274.
60 Aucune cité de Germanie inférieure ne convient ; serait-ce la ciuitas Taunensium de Germanie Supérieure ?
61 Nom germanique (cf. Weisgerber 1968, 279-281) ; de même pour les nom et patronyme suivants.
62 Moitrieux 2002, 218-223. On peut citer aussi dans cette fonction Hercules Salutaris (CIL, VI, 237 ; 338=30740 ; 339=30741 ; CIL, XI, 7112 = AE, 2000, 557).
63 Wissowa 1912, 272-275 ; Bayet 1926, 245, 260-263, 313-315, 325-332, 356 ; Jaczynowska 1981, 633.
64 Speidel 1994, 16-17.
65 Wissowa 1912, 272 ; Jaczynowska 1981, 636.
66 Contra Stolte (1986, 636) qui opte partout pour la célébration d’un dieu indigène ; son argument est curieux : effectivement les noms des dédicants ne sont pas romains mais ils sont grecs (Weisgerber 1968, p. 314).
67 L’étude la plus complète, critique et convaincante est celle de Wagner 1977, 417-422 ; voir aussi Schönfeld 1911, 158 ; Gutenbrunner 1936, 60-61 ; Zelle 2000, 13-14 ; Spickermann 2008, 230 ; Ruben 2016, 94. L’argument de Moitrieux pour l’écarter n’est pas valable : “un qualificatif germanique paraît peu compatible avec un nom latin de divinité” (p. 196).
68 Toorians 1994 ; 2003.
69 Lambert 2003, 61 ; Delamarre 2003, 213 ; voir aussi De Bernardo Stempel 2005, 146 qui propose comme sens “le puissant vieillard”, ce qui ne me paraît pas correspondre à l’image d’Hercule ni de Donar.
70 La mention de Magusanus à Westkapelle chez les Ménapiens (cf. infra) émane d’une région où la part d’éléments germaniques est importante comme en témoigne l’onomastique des dévots de Nehalennia (cf. Raepsaet-Charlier 2011b). Les rapprochements avec des noms de personne comme Magiso ou avec les deae Magiseniae (Moitrieux 2002, 184) sont peu pertinents car ils n’ont pas la même voyelle centrale (i au lieu de u) et reposent sur une autre racine (cf. Delamarre 2003, 212-213) ; ils ne peuvent constituer une alternative aux analyses linguistiques de Wagner.
71 Il est assez fréquent que les celtisants s’approprient des anthroponymes ou théonymes germaniques, en ne concédant parfois qu’une germanisation. C’est le cas pour Nehalennia, pour Ahvardua par exemple (voir Raepsaet-Charlier 2015, 211-213 avec la bibliographie). Cette version celtisante du nom Magusanus a son importance historiographique. Elle sert de support, avec quelques autres éléments du même ordre, à une définition des parlers des Bataves et des Tongres d’époque romaine comme essentiellement celtiques, parlers qui seraient “dominants” face à la langue germanique des populations importées de l’autre rive du Rhin ; celle-ci aurait cédé le pas, bien qu’elle soit la langue des nouvelles élites, aux parlers celtiques, considérés comme “supérieurs” (voir par exemple Toorians 2005-2006, spéc. 183-184).
72 Moitrieux 2002, 183-185 ; 196 avec beaucoup d’hésitation.
73 Horn 1970, 238.
74 Magusanus n’est pas limité aux seuls Bataves au point de supposer batave le duplicarius d’une aile de Tongres en Bretagne (ainsi Horn 1970, 236) ; toutefois, ce n’est pas impossible car c’est la seule dédicace à Magusanus, en dehors d’un bracelet, qui serait tongre.
75 Raepsaet-Charlier 1993, 62.
76 Horn 1970, 240-243 et fig. 1 ; Derks 1998, 112-114 ; Moitrieux 2002, 185.
77 Birley 2002, 144.
78 Birley 1978, 1534.
79 Ainsi par exemple Simek 1995, 177-178.
80 Sur Donar-Hercule, et les problèmes que pose cette identification étant donné le peu de connaissance du dieu germanique, voir les remarques de de Vries 1935, 175-179.
81 La notice du CIL indique explicitement que l’inscription a été trouvée à Westkapelle “in templo” au xvie siècle et non à Domburg (à 5 km de là) dans le contexte du sanctuaire mis au jour en 1646. Il faut donc être très prudent avant de proposer qu’Hercule ait été honoré dans ce sanctuaire (Derks 1998, 114) et que Nehalennia (qui serait un autre nom d’Haeua, voir infra) soit une parèdre de Magusanus.
82 Pour la question de la frontière entre les provinces sur l’Oosterschelde et l’appartenance des îles modernes de Walcheren et Noord-Beveland à la Belgica, voir Raepsaet & Raepsaet-Charlier 2013, 209-210.
83 Dana 2008.
84 L’occurrence de Hermes chez les Bellovaques est hypothétique mais pourrait se justifier par des carrières importantes et anciennes à proximité (ILTG, 358).
85 Stolte 1986, 621-626 ; Simek 1995, 177 ; Spickermann 2008, 110 et 193-194.
86 Derks 1998, 21, 25-26.
87 Cf. Zelle 2006.
88 Raepsaet-Charlier 1993, 12-17.
89 Gutenbrunner 1936, 106-107.
90 ILB, p. 53-54.
91 Comme le fait Stolte 1986, 636.
92 Cf. Raepsaet-Charlier 2006, 372-373.
93 Cf. Raepsaet-Charlier 2019a, 106.
94 de Vries 1935, 204-205 ; cf. peut-être Bayet 1926, 381, qui rapproche Hébé de Junon.
95 Kern 1873-75, 17-18 ; on a même pensé à Vagdavercustis : Gutenbrunner 1936, 107 n. 2.
96 Gutenbrunner 1936, 106-107 ; Stolte 1986, 650-651 (qui propose d’identifier Haeua et Alcmène) ; Simek 1995, 160 ; Spickermann 2008, 230.
97 Raepsaet-Charlier 2011b, 209.
98 Weisgerber 1969, 274 n. 116 ; Gutenbrunner 1936, 107 ; voir aussi Birkhan 1970, 279 n. 595 qui propose une étymologie autre avec le sens de “la seule, l’unique”. La divinité n’est pas attestée ailleurs. L’hypothèse d’une dédicace dans un contexte de Gaule centrale loin de toute influence germanique, à Poitiers, d’après un graffito réinterprété, ne nous paraît pas devoir être retenue (Sylvestre 2015, 84 n° 73 d’après CIL, XIII, 10017, 43).
99 Binsfeld 1987 ; Bauchhenss 2008, 96.
100 Stolte 1986, 651.
101 Scheungraber & Grünzweig 2014, 206-209.
102 Stuart & Bogaers 2001, 23 (A 54, A 55, B 6) ; Stuart 2013, 30 (n° 5, 9, 13, 20, 21).
103 Voir Raepsaet-Charlier 2015, 212-213, 216 ; 2019b, 185-186.
104 Voir Raepsaet & Raepsaet-Charlier 2013, 225-226.
105 Neumann 1987, 116 ; cf. Simek 1995, 130.
106 Wissowa 1912, 281-282 ; Bayet 1926, 393-394.
107 CIL, III, 7681 ; 14214,01 ; VI, 294 = D. 3464 (avec Silvain) ; IRT 289 ; à Philippes on rencontre Liber, Libera et Hercule : AE, 1924, 53 ; 1939, 192 ; 196.
108 Kajanto 1988.
109 Vénus serait “une divinité fort courtisée par des fidèles d’origine non romaine” (Schilling & Freyburger 2017, 254).
110 AE, 1994, 1283 cf. Stolte 1986, 639 ; Spickermann 2008, 186-188 qui s’intéresse aux images.
111 L’association fait référence à la cité, à son territoire agricole et à la production du vin : Van Andringa 2009, 311-312.
112 Cf. Spickermann 2008, 204-205.
113 Voir infra n. 118.
114 Wissowa 1912, 281-282 ; Bayet 1926, 372-379 ; Stoll 2001, 257.
115 Raepsaet-Charlier 2006, 391-393.
116 Où ce sont généralement les Matres Suleuiae, plus “internationales” qui apparaissent (par ex. CIL, VI, 31140 ; cf. infra).
117 IKöln2, 3 = AE, 1981, 660 (relue par Kakoschke 2017, 1-4) : on y trouve Jupiter O.M., le génie du lieu, les Matrones, Mars, Victoria, Mercure, Neptune, Cérès et les di deae omnes. Les dédicants sont plusieurs hommes non qualifiés, d’origine locale à voir leurs noms, et ils agissent en 252. Le genre de la litanie donne à penser à des soldats.
118 Ou Ambiomarcae (vocalisation en -o celtique ou en -a germanique ; elles sont également honorées avec le Genius loci à Wardt près de Xanten par des soldats (Schillinger-Häfele, 213 = AE, 1968, 403), et peut-être à Broich (Schillinger-Häfele, 146 = AE, 1968, 324) : elles paraissent donc ne pas être attachées à un lieu de culte précis, ce qui convient à leur signification.
119 Dont ce sont les deux seules attestations avec sans doute les Renahenae de Bonn (N-L, 200).
120 Schmidt 1987, 144, 147 ; Simek 1995, 19 (cf. p. 1).
121 Neumann 1987, 109 ; Simek 1995, 255-256.
122 Cf. AE, 1969/70, 656 ; ILAlg, II, 1, 476 ; IDR, III, 2, 216.
123 AE, 1961, 324 ; CIL, III, 10385 ; VIII, 21605 ; ILAlg, II, 2, 4635 ; IAM, II, 2, 351 ; et aussi ILAlg, II, 2, 4634 qui implique toute la famille.
124 Pour une analyse de ce type de séries voir Scheid 2002-2003, 807 : “cette liste associe les divinités romaines, celles du cadre romain de l’armée, et des divinités apportées (...) par des unités recrutées parmi les légions du Rhin et du Danube qui avaient adopté ces divinités locales comme divinités propres de leurs unités”.
125 Voir tableau 2 en fin d’article.
126 Notamment celles de la xxiie légion Primigenia dont les garnisons se partagent entre les deux provinces. Toutefois il n’est pas exclu qu’en réalité toutes les dédicaces émanent des seules troupes de Germanie inférieure (Scholz 2017, 593), ce qui ne modifie pas l’examen que nous en faisons, la dévotion à Hercule n’y étant pas spécifique à la province mais liée au contexte des carrières (cf. infra). Nous évoquerons également en fonction de leur forme ou de leur lieu de découverte certaines de ces inscriptions rejetées. Toutes les références renvoient à l’ouvrage de Matijevic (M, 2010).
127 Ces dates établies en bonne part d’après les propositions de Matijevic 2010 sont discutées par Schaaff (2015, 165-175) et Scholz (2017). Seules cependant les dates les plus anciennes et qui sont indiscutables, sont importantes pour notre propos.
128 Matijevic 2016 ; on trouvera aussi un aperçu des théories de langue française dans Moitrieux 2002, 185-187.
129 Gutenbrunner 1936, 61.
130 Cf. Simek 1995, 179 ; cf. Matijevic 2016, 45.
131 Et la variante Saxetanus est liée à saxetum, la carrière.
132 Moitrieux 2002, 188-189.
133 Stoll 2001, 257.
134 Gutenbrunner 1936, 61 ; Bauchhenss 1986 ; 2008, 93-94 ; Spickermann 2003, 126 par exemple.
135 Voir la description dans Matijevic 2016, 47-48 (fig. 6 a et b) ; une interprétation dans Lehner 1916, 273-274.
136 L’étude de S. Estienne (2003, en particulier fig. 1 pour le dessin conservé du sacellum romain) montre que cet édicule ne correspond pas à l’Hercules Cubans des Régionnaires.
137 Bauchhenss 1986, 93-94 ; L. Nista, LTUR, III, 1996, 12-13, s.v. Hercules cubans.
138 Cf. Schaaff 2015, fig. 182.
139 Schaaff 2015, 174.
140 Schaaff 2015, 174.
141 Schaaff 2015, 175.
142 Cf. Schaaff 2015, 169.
143 L’interprétation de Wissowa (1912, 284, n. 4) n’est pas claire. Il refuse de voir en Saxanus un dieu italien mais il ne donne aucune explication de l’usage d’une épiclèse latine (à moins qu’il ne songe à une étymologie indigène qu’il n’explicite pas) pour un dieu interprété (qu’il compare à Magusanus).
144 Un aperçu dans Matijevic 2016, 48-52.
145 C’était déjà l’opinion défendue par H. Lehner (1916, 269-272). E. Birley (1978, 1534) défend un point de vue comparable en faisant de Saxanus un dieu local qui ne serait pas équivalent à Donar. R. Simek (1995, 179) pense lui à une assimilation directe avec Donar, qui donnerait une “Mischform” romano-germanique.
146 Voir Raepsaet-Charlier 2019b, 174-178.
147 Cf. Scheid 2006b, 309.
148 Voir Raepsaet-Charlier 2019c.
149 AE, 2006, 842.
150 Cf. la répartition en Germanie supérieure : Raepsaet-Charlier 2006, 391 et carte 8.
151 Blanchard 2015, 48-49.
152 Bauchhenss & Noelke 1981 ; voir aussi Spickermann 2008, 186-187.
153 On trouvera la description précise de ces monuments dans les deux publications Noelke dans Bauchhenss & Noelke 1981, et Noelke & Panhuysen 2011 pour les numéros recensés dans le tableau 3 (cf. en fin d’article). Pour une autre analyse, voir Blanchard 2015, 41-55 ; inventaire sélectif et cartes aux p. 156-184.
154 Moitrieux 2002, 253 insiste sur le lien très fort qui unit les dieux représentés, donc Hercule, à Jupiter.
155 Bauchhenss dans Bauchhenss & Noelke 1981, 51.
156 Blanchard 2015, 47, qui traite séparément les “piliers joviens” et les “colonnes jupitériennes”. Pour le “pilier de Maastricht”, voir p. 30-32.
157 Blanchard 2015, 48. Il est toutefois difficile de suivre l’auteur dans tous ses développements dans la mesure où il considère que la présence de Mercure et d’Hercule élargirait les fonctions de la triade qui auraient été considérées comme “trop exiguës” par la société gallo-romaine.
158 Noelke & Panhuysen 2011, 249.
159 Également en Germanie supérieure : Bauchhenss dans Bauchhenss & Noelke 1981, 48-50.
160 Wissowa 1912, 281 ; Bayet 1926, 379-389.
161 Noelke dans Bauchhenss & Noelke 1981, 307-308.
162 Solution retenue par Noelke dans Bauchhenss & Noelke 1981, 307, qui en remarque l’originalité.
163 Voir un bilan dans Noelke & Panhuysen 2011, 248-260 ; plus récent Blanchard 2015, 51-53 ; 91-120.
164 Voir les cartes et les remarques sur la composition des panthéons dans les diverses cités de Germanie supérieure, qui font apparaître aussi pour d’autres dieux une différence marquée entre les cités de conquête césarienne, plus cohérentes, et celles de la vallée rhénane, plus cosmopolites (Raepsaet-Charlier 2006).
165 Voir les cartes n° 1 et 6 dans Bauchhenss & Noelke 1981.
166 Cf. massue de Wincheringen chez les Trévires (AE 1994, 1248)
167 Compte non tenu des fragments et des troupes plus probablement de Germanie supérieure. Voir aussi Scholz 2017, 598-602.
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