Insertion d’Apollon dans des réseaux divins. Réflexions à partir de dédicaces de militaires
p. 35-49
Texte intégral
“Augure, paré de son arc étincelant, Phoebus, aimé des neuf Camènes, qui, par l’art de guérison, soulage les membres fatigués du corps.”1
1En des vers fameux, Horace rappelle les principaux attributs et pouvoirs d’Apollon : don oraculaire, arc, médecine et faveur des Muses, ici assimilées aux sources Camènes – non sans rapprochement, d’ailleurs, avec l’univers des Nymphes. Ces caractéristiques d’Apollon sont bien connues à l’époque augustéenne, comme en témoigne aussi un passage de l’Énéide2, et sont également perceptibles dans les sources iconographiques et épigraphiques. Ce sont ces dernières, parfois accompagnées d’images, que nous aborderons à travers quelques cas d’étude. Nous nous poserons les questions suivantes. Outre les Camènes citées par Horace, dans quels réseaux divins Apollon peut-il être inséré ? Dans quelle mesure les invocations à plusieurs divinités, dont Apollon, permettent-elles d’éclairer l’identité du dieu, ou du moins certaines de ses facettes ? Jusqu’à quel point les textes épigraphiques inscrivant Apollon dans un réseau divin peuvent-ils servir de révélateur de ses champs d’action et, plus encore, de ses modes d’action ? In fine, ceux-ci livrent-ils une image d’Apollon similaire à celle dépeinte par les poètes ?
2Le terrain d’enquête retenu est constitué de dédicaces à plusieurs divinités, émanant de militaires stationnés au cœur de l’Empire, à Rome, mais aussi, en sa périphérie, à Apulum en Dacie3. Notre étude ne vise en rien l’exhaustivité ; son objectif principal est d’éclairer, à partir de ces dédicaces, quels peuvent être les apports mais aussi les limites de l’épigraphie dans l’étude d’une divinité située, par les dévots, au sein d’un réseau divin.
Apollon en réseaux dans des dédicaces de militaires stationnés à Rome
3Parmi les inscriptions de l’Vrbs qui mettent Apollon en réseaux avec d’autres divinités, une série de dédicaces de prétoriens et d’equites singulares Augusti fournit un échantillon utile à qui souhaite interroger les apports et les limites de l’épigraphie à l’interprétation des systèmes de relations et d’interactions entre les dieux. Ces inscriptions nous renseignent toutefois moins sur le réseau divin d’Apollon, qui n’est qu’une des nombreuses divinités honorées, que sur les réseaux divins que les membres de la garde impériale choisissaient d’invoquer.
4L’une de ces dédicaces fut offerte dans les années 238-244 p.C. par deux prétoriens issus de Gaule Belgique4 :
Diis [san]ctis patrie[nsi]bus / I(oui) [O(ptimo)] M(aximo) et Inuict[o e]t A[p]ollini Mercurio Dianae He[rc]uli Marti // ex prouincia Belgica [ciues Aug(ustae)] V<i=E>romand(uorum) / Iul(ius) Iustus mil(es) coh(ortis) I praet(oriae) p[iae uindic]is Gordianae / > (centuria) Val[entis] et // Firmius Mater[nianus mil(es) coh(ortis)] X pr[aet(oriae)] / piae uindic[is Gordianae ---]da[…
“Aux vénérables dieux de la patrie, à Jupiter Très Bon, Très Grand, et à Inuictus, et à Apollon, Mercure, Diane, Hercule et Mars ; les citoyens d’Augusta Viromanduorum, de la province de Belgique, Iulius Iustus, soldat de la ière cohorte prétorienne Gordienne pieuse et protectrice, dans la centurie de Valens, et Firmius Maternianus, soldat de la xe cohorte prétorienne Gordienne pieuse et protectrice dans la centurie de…”5
5Retrouvée sur l’Esquilin en 18756, l’inscription est accompagnée d’un important décor en bas-relief représentant les divinités bénéficiaires de la dédicace, dans un ordre légèrement différent de l’inscription : Mars, en particulier, est représenté à l’extrême gauche du registre supérieur du décor, alors qu’il clôt l’énumération des dieux dans le texte de l’inscription. Quant à l’énumération des bénéficiaires divins, elle s’ouvre sur un groupe de dédicataires non représenté sur le bas-relief, les dii sancti patrienses (“vénérables dieux de la patrie”). Il convient certainement d’y reconnaître les dii patrii7, “chargés d’une connotation identitaire et collective”8, c’est-à-dire les dieux de la “petite” patrie – Augusta Viromanduorum, d’où nos deux prétoriens sont originaires.
6La présence, parmi les dédicataires, de Jupiter, Mars, Hercule et Inuictus, quatre divinités militaires, n’a rien d’étonnant dans une dédicace de soldats romains. Les dédicaces personnelles de prétoriens à Mars n’étant toutefois pas fréquentes9, on a parfois cherché à expliquer sa présence ici par une habitude cultuelle propre aux ressortissants des provinces gallo-romaines du Nord, d’où proviennent les deux prétoriens10. Quand bien même cette fragile hypothèse serait fondée, il ne faudrait pas oublier que ce fut moins en référence à une divinité gauloise antérieure que pour les liens entre Mars, la légende romuléenne et les Iulii que de nombreuses cités gauloises choisirent cette divinité, au début de l’époque impériale, pour représenter leur nouvelle identité11. Aucun particularisme iconographique, toutefois, ni aucune épithète cultuelle ne trahissent ici un quelconque caractère indigène de Mars, contrairement à l’usage de ses dévots en Gaule Belgique, qui associaient fréquemment à cette divinité une épiclèse locale12. Le détour interprétatif par la province d’origine des deux prétoriens ne semble donc pas nécessaire pour expliquer le choix de deux membres de la garde impériale d’honorer, à Rome, le dieu de la guerre par excellence.
7L’absence du nom de la divinité désignée par l’épithète Inuictus a également intrigué les Modernes – qu’il se soit agi d’un choix des dédicants ou, comme le laisse penser le soin apporté à la réalisation de la liste des bénéficiaires divins, d’un oubli du lapicide. A priori, on aurait pu imaginer qu’Inuictus se rapporte à Jupiter Optimus Maximus ; cependant, ce dernier ne semble jamais désigné de la sorte. Quant aux divinités “invaincues” qui sont associées à Jupiter Optimus Maximus dans d’autres dédicaces, celles-ci sont peu nombreuses. On trouve, notamment dans des dédicaces émanant de soldats ou d’officiers, Sol, Hercule et Mars13. Étant donné que le premier est présent dans la liste des bénéficiaires d’une autre dédicace de nos deux prétoriens14, il paraît logique de reconnaître Sol dans le dieu Inuictus de notre inscription15.
8La présence d’Apollon, de Mercure et de Diane aux côtés de ces divinités militaires semble avoir posé davantage de problèmes aux chercheurs. D. Colling, en particulier, n’en donne aucune explication, se contentant de souligner la rareté des invocations de prétoriens à leur égard16. Un étonnement similaire a été suscité par l’insertion d’Apollon et de Diane dans la liste des bénéficiaires d’une série de dédicaces votives offertes par des equites singulares Augusti le jour de leur démobilisation – datables, pour neuf d’entre elles, des années 132-141 p.C. Même si Hercule et Fortuna sont régulièrement insérés entre Victoria et Mercure, la liste des bénéficiaires divins, parfois conclue par la formule ceterisq(ue) dis immortalib(us), se moule dans un formulaire type, à l’instar de la dédicace collective des equites singulares Augusti libérés en 133 p.C. Cette dédicace occupait la face principale d’un autel de marbre, dont les deux faces latérales portaient la liste des dédicants, non reproduite ici17 :
Ioui Optimo / Maximo, Iunoni, / Mineruae, Marti, / Victoriae, Mercurio, / Felicitati, Saluti, / Fatis, / Campestribus, / Siluano, Apollini, / Dianae, Eponae, Matribus / Suleuis et Genio / Singularium Aug(usti). / Veterani, missi honesta / missione, ex eodem / numero ab / Imp(eratore) Traiano Hadriano / Aug(usto), p(atre) p(atriae) ; / l(aeti) l(ibentes) m(erito) u(otum) s(oluerunt). / Hibero et Sisenna co(n)s(ulibus).
“À Jupiter, Très Bon, Très Grand, à Junon, à Minerve, à Mars, à Victoria, à Mercure, à Felicitas, à Salus, aux Fata, aux Campestres, à Silvain, à Apollon, à Diane, à Épona, aux Matres Suleuiae, et au Génie des (equites) singulares Augusti ; les vétérans libérés de ce même numerus avec le congé honorable par l’Empereur Trajan Hadrien Auguste, Père de la Patrie, se sont acquittés de leur vœu volontiers et à juste titre, sous le consulat d’Hiberus et de Sisenna.”18
9Dans son cours au Collège de France de 2002-2003, consacré à la vie religieuse dans les quartiers de la Rome impériale, J. Scheid analyse comme suit le réseau de divinités honorées : après la triade capitoline et les divinités militaires (Mars, Victoria, Hercule), les soldats invoquent successivement une divinité associée aux déplacements (Mercure) ; les divinités liées aux hasards de l’existence et du métier (Fortuna, Felicitas et Salus, “qui exprime le résultat de la protection de toutes ces divinités”) ; les Fata ou Fatae ; les divinités du champ d’exercice (Campestres) ; le dieu des terres marginales (Siluanus) ; Apollon et Diane “dont la présence surprend, mais peut être due à l’implication ancienne d’Apollon dans la guerre” ; des divinités d’origine celtique (Épona, déesse associée à la cavalerie, et les Suleuiae) ; enfin, le Genius singularium Augusti, c’est-à-dire la divinité propre aux equites singulares Augusti19. Même si une explication est ici proposée – “l’implication ancienne d’Apollon dans la guerre” –, la présence d’Apollon et de Diane ne paraît pas aller de soi pour les Modernes. Dans son étude de 2010, D. Colling marque à son tour son étonnement :
“Arrivent ensuite Apollon et Diane. Si l’association de ces deux divinités est typique, on peut, par contre, se poser la question de savoir pourquoi elles apparaissent dans une dédicace collective d’equites singulares Augusti”20.
10De fait, la nature militaire de l’inscription cadre assez mal avec le champ de compétence habituellement reconnu à l’Apollon romain, à savoir non pas la guerre, mais la médecine. C’est en effet d’abord comme medicus qu’Apollon intéressa la Res publica, qui introduisit son culte en 433 a.C. pour conjurer une pestilence (pestilentia)21. J. Scheid propose de résoudre la difficulté en rappelant, à la suite de G. Dumézil22, que le domaine médical n’était sans doute pas le seul champ d’action d’Apollon à Rome. Il semblerait, en effet, que le robuste dieu archer ait été également invoqué très tôt pour son assistance dans les combats, sinon dès l’établissement du culte public – la victoire du Mont Algide étant censée avoir suivi de près le vœu du temple d’Apollon et précédé de peu sa dédicace –, du moins dès l’instauration des Ludi Apollinares en 212 a.C. Tite-Live et Macrobe ont ainsi conservé le souvenir d’un débat entre ceux qui affirmaient que les Ludi Apollinares avaient été fondés pro ualetudine et ceux – auxquels Tite-Live se rallie – qui prétendaient qu’ils l’avaient été pro uictoria23 :
11Liv. 25.12.11-15 : “On consacra un jour aux expiations qu’exigeait cette prophétie (sc. la prophétie des carmina Marciana) ; le lendemain, un sénatus-consulte ordonna aux décemvirs de consulter les livres sibyllins sur la célébration des jeux d’Apollon et de son culte (senatus consultum factum est ut decemuiri libros de ludis Apollini reque diuina facienda inspicerent). À la suite de cette consultation et du rapport des décemvirs au Sénat (ea cum inspecta relataque ad senatum essent), celui-ci décida qu’il fallait vouer et célébrer des jeux à Apollon (censuerunt patres Apollini ludos uouendos faciendosque) et, quand ces jeux auraient été célébrés, donner au préteur douze mille as pour le culte, et deux victimes adultes (duodecim milia aeris praetori ad rem diuinam et duas hostias maiores dandas). Un second sénatus-consulte prescrivit aux décemvirs de sacrifier selon le rite grec les victimes suivantes (alterum senatus consultum factum est ut decemuiri sacrum Graeco ritu facerent hisce hostiis) : pour Apollon, un bœuf aux cornes dorées et deux chèvres blanches aux cornes dorées, pour Latone, une vache aux cornes dorées. Au moment de célébrer les jeux dans le Grand Cirque, le préteur ordonna au peuple d’apporter, pendant ces jeux, une offrande à Apollon proportionnée aux moyens de chacun. Telle est l’origine des Jeux apollinaires, voués et célébrés pour obtenir la victoire, et non la santé, comme on le croit généralement (haec est origo ludorum Apollinarium, uictoriae, non ualetudinis ergo ut plerique rentur, uotorum factorumque).”24
12Macr., Sat., 1.17.27 : “Mais je lis dans les sources littéraires que ces jeux ont été institués pour la victoire et non, comme le rapportent certains annalistes, à des fins prophylactiques (inuenio in litteris hos ludos uictoriae, non ualitudinis causa, ut quidam annalium scriptores memorant, institutos). C’est en effet au cours d’un conflit entre Rome et Carthage que, sur instruction des livres sibyllins, ces jeux furent institués pour la première fois (Bello enim Punico hi ludi ex libris Sibyllinis primum sunt instituti).”25
13Si les historiens ont pu douter du bien-fondé de la position adoptée par Tite-Live dans ce débat26, voire de l’ancienneté des affinités d’Apollon avec la victoire27, il paraît toutefois difficile de nier une telle association, sinon à partir des guerres puniques28, du moins à partir du iie s. a.C.29. L’exploitation qui fut faite de l’Apollon d’Actium par le fondateur du principat suffirait à éclairer, de toute façon, l’attachement des soldats de la garde impériale à l’Apollon dieu de victoire30 :
Actius haec cernens arcum intendebat Apollo / desuper : omnis eo terrore Aegyptus et Indi, / omnis Arabs, omnes uertebant terga Sabaei.
“À cette vue, Apollon d’Actium du haut du ciel tendait son arc et, de terreur, tous les Égyptiens et les Indiens, tous les Arabes tournaient le dos, et tous les Sabéens.”31
14Le relief accompagnant l’inscription des deux prétoriens étudiée plus haut fournit un indice iconographique qui invite à interpréter de la même façon la présence d’Apollon : le dieu n’y est pas représenté avec sa lyre, mais tenant son arc de la main gauche. Le caractère militaire de l’Apollon ici honoré est encore souligné par sa proximité, sur le relief, avec Mars, autre protecteur redoutable, mais selon un mode d’action différent : alors que l’aède-archer Apollon, maître de l’harmonie comme du chaos, tend son arc comme il tend sa lyre, décochant au loin une flèche zigzaguant infailliblement vers sa cible32, Mars monte une garde vigilante sur le seuil du territoire qu’il défend et se tient prêt à déchaîner la violence nécessaire pour repousser les agressions extérieures33. L’observateur du relief est également frappé par la symétrie entre Apollon et Hercule, deux dieux de la victoire situés l’un et l’autre aux extrémités du registre inférieur, et par l’alternance entre les deux dieux-archers, d’une part – Apollon et sa sœur Diane –, et les deux divinités protectrices des routes, des passages et des personnes en déplacement, d’autre part – Mercure et Hercule34.
15Une autre explication à la présence d’Apollon dans les dédicaces d’equites singulares Augusti a cependant été proposée. Dans son ouvrage sur les cavaliers de la garde impériale, Michael P. Speidel suggère d’y voir plutôt un apport de soldats venus de Mésie et de Thrace :
“Die auf den Weihungen der Jahre 118-141 zusammen angerufenen zwanzig Götter wurden gedeutet als die Götter des römischen Staates: Iuppiter, Iuno, Minerua, vielleicht auch Mars, Victoria, Hercules, Fortuna, Mercur, Felicitas, Fata, Salus, Genius imperatoris; dann die Götter der Truppe: Campestres, Epona, Genius singularium; schließlich die Heimatgötter der Reiter: Matres Suleuiae aus dem rheinischen Germanien, Siluanus vielleicht aus Pannonien, Apollo und Diana aus Moesien und Thrakien. Wahrscheinlich sind jedoch die meisten keltisch-germanische Götter.35”
16Sur plusieurs dédicaces prétoriennes à Apollon36, la présence d’épithètes topiques thraces signale en effet une interpretatio Romana d’Heros, le “Cavalier thrace”, souvent représenté sur les stèles funéraires et les dédicaces d’equites singulares Augusti et de prétoriens37. Dans la série de dédicaces qui nous occupe, toutefois, Apollon ne se voit associer aucune iconographie du type du “Cavalier thrace” ni aucune épiclèse ethnique, et sa sœur pas davantage. Est-on autorisé, dans ces conditions, à y voir des “Heimatgötter” portant des noms romains, plutôt que des “Götter des römischen Staates”38 ?
17Les equites singulares Augusti invoquent certes Apollon à l’écart des autres divinités militaires romaines (Mars, Victoria et Hercule) et non loin de divinités d’origine celtique (Épona et les Matres Suleuiae). Sa position entre Silvain et Diane, toutefois, ne pourrait-elle pas simplement s’expliquer par le binôme qu’il forme avec sa sœur ? Archère comme lui, Diane était fréquemment honorée par les militaires, notamment sur le limes germanique39 ; aussi familière que lui des espaces sauvages et des espaces de marge habités par les nymphes40, elle était régulièrement associée à Siluanus, dieu de la forêt et des espaces frontaliers41. La séquence “Silvain, Apollon, Diane” se comprend donc parfaitement dans le cadre théologique romain, sans qu’il y ait besoin de faire venir Silvain de Pannonie ou Apollon et sa sœur de Thrace et de Mésie. Quant aux divinités d’origine celtique, elles semblent avoir été invoquées par les equites singulares Augusti moins comme des “Heimatgötter” que pour leurs fonctions : Épona était une déesse de la cavalerie et les Matres Suleuiae paraissent avoir été considérées, si l’on en croit leur nom celtique, comme de “bonnes guides” qui, d’après une inscription, “prennent soin de vous” (quae curam uestram agunt)42. La catégorie même des “Heimatgötter”, enfin, paraît artificielle. Leurs provenances supposées sont en effet trop diverses (Rhin, Pannonie, Mésie ou Thrace) pour que tous les equites singulares Augusti aient pu y voir des dieux de leur patrie d’origine.
Apollon en réseaux dans les dédicaces de soldats stationnés à Apulum
18Des dédicaces à plusieurs divinités, parmi lesquelles Apollon, émanent également des soldats et vétérans basés à Apulum43. Agglomération de Dacie, formant une sorte de conurbation à l’histoire complexe, Apulum s’est développée à partir du castrum de la légion XIII Gemina. Elle devient un municipe sous Marc Aurèle (municipium Aurelium Apulense) et est promue colonie sous Commode (colonia Aurelia Apulense). Quant au secteur des canabae du camp, situé au nord de la cité, il est partiellement promu sous les Sévères, en devenant le municipium Septimium Apulense44. Une des dédicaces qui nous retiendra ici provient des principia du camp45 ; elle n’est pas sans rappeler celles des membres de la garde impériale romaine46. Elle est offerte, en acquittement d’un vœu, par un tribun de légion, Catius Sabinus, qui fera ensuite une belle carrière sénatoriale47. Apollon est honoré parmi une série d’autres dieux, douze au total – ce qui n’est sans doute pas anodin. La liste des dédicataires divins a été soigneusement établie. Aux dieux pénates et Lares militaires, divinités qui représentent en quelque sorte le foyer du soldat, succèdent le Lare des voies et Neptune, vraisemblablement honorés en tant que divinités ayant protégé les routes terrestres, maritimes ou fluviales parcourues. Suivent Salus, déesse de la bonne santé physique et morale, et Fortuna Redux qui a patronné le retour, sain et sauf, du soldat. Sont ensuite invoqués Esculape, dieu de la médecine, Diane et Apollon, Hercule, l’Espoir et la Faveur. La place qu’occupe Apollon dans la liste témoigne peut-être de ses identités multiples (ou plutôt de l’aspect kaléidoscopique de son identité) : membre d’une triade, dont fait aussi partie sa sœur Diane ; medicus, comme son fils qui le précède dans la liste ; mais aussi pourvoyeur de victoire, à l’instar d’Hercule qui le suit48.
19D’autres dédicaces à Apollon proviennent d’une zone identifiable au vaste sanctuaire extra muros d’Esculape, au nord des murs de la colonia Aurelia49. Ainsi un speculator restaure, sur ordre d’Apollon, une fontaine (fons), dédiée à Aeternus50. Cette divinité, principalement attestée en Dacie, a longtemps été mise en rapport avec un dieu oriental (Jupiter Dolichenus ou Baal syrien)51. Un réexamen récent du dossier invite plutôt à y voir un dieu local ou régional, dont les attributions restent cependant obscures52. Faudrait-il dès lors, considérer que l’Apollon mentionné dans la dédicace correspond à une divinité locale ? L’hypothèse ne semble pas nécessaire étant donné la présence importante de l’Apollon romain à Apulum53 et le lien qui l’unit par ailleurs aux sources54. Cette dédicace nous fait ainsi entrevoir un autre terrain d’action d’Apollon (je parle bien de terrain et non de mode) : son rapport privilégié avec les eaux vives et les sources, qu’il patronne fréquemment, ou encore les Nymphes. Sonores, ces dernières sont comme lui liées aux Muses, à la poésie, à la parole inspirée55. Comme le rappelait J. Scheid à la suite de G. Dumézil, si le mode d’action d’Apollon est lié à la sonorité, on “entrevoit pourquoi Apollon pourrait patronner une source avec son murmure incessant”56.
20C’est aussi de la zone de l’Asklepieion que provient une inscription d’un vétéran, ayant atteint la fonction de décurion de la colonie d’Apulum57. Celui-ci y offre une dédicace à Apollon, Diane et Léto, ainsi qu’aux autres dieux et déesses salutaires de ce lieu, et construit un pont, à la suite d’un ordre du dieu, pour lui et pour les siens. Remarquons la présence des autres divinités qualifiées de salutares – qualité qui semble ici s’étendre à la triade apollinienne figurée au-dessus du champ épigraphique : Leto au centre ; Diane à gauche avec son carquois ; Apollon à droite (avec de longues boucles)58.
21Le même individu a posé une inscription similaire quelque temps auparavant, cette fois à Esculape et Hygie et aux autres dieux et déesses salutaires de ce lieu, à la suite d’un vœu, après avoir recouvré la vue59. Le formulaire très proche renforce l’hypothèse selon laquelle l’Apollon honoré par le vétéran est un dieu salutaris. Cette épithète n’est cependant que très rarement accolée au dieu. À l’exception d’une autre inscription d’Apulum provenant elle aussi de l’Asklepieion (mais posée par un civil, pour son salut)60, celle-ci n’apparaît qu’à Rome, où le dieu est en outre qualifié de medicinalis61. Il n’est pas anodin de constater que l’adjectif salutaris n’est pas très répandu, dans les sources épigraphiques, pour désigner un dieu. En outre, seul un petit nombre se voit ainsi qualifié62. Il s’agit, dans l’ordre décroissant des attestations, des Nymphes, de Fortuna, de Jupiter Optimus Maximus ou Jupiter seul, de Siluanus, d’Hercule, de dieux patrii ou “indéterminés”, d’Esculape seul ou avec Hygie63. On remarque immédiatement que ces divinités sont citées dans les dédicaces examinées précédemment, en lien avec Apollon – ce qui n’est sans doute pas un hasard. Il serait sans nul doute intéressant d’approfondir à l’avenir la question des dieux “salutaires” et de leurs éventuels “réseaux” ou interconnexions.
22Outre l’inscription de Rome mentionnée ci-dessus, Apollon est parfois invoqué comme medicus64 et reçoit des dédicaces émanant de médecins65. Les occurrences restent cependant peu nombreuses et ne le mettent que rarement en réseaux66. Le texte suivant, provenant d’Obernburg am Main, est sans doute l’un des plus significatifs et, même s’il ne concerne pas Apulum, il vaut la peine d’être mentionné dans la mesure où il émane d’un médecin de cohorte. Celui-ci s’acquitte d’un vœu formulé pour la salus du préfet de sa cohorte67. Les dieux dédicataires sont Jupiter Optimus Maximus, Apollon et Esculape, Salus et enfin Fortuna. Notons qu’Apollon et Esculape sont les seules divinités à être reliées par la conjonction de coordination “et”, ce qui vise sans doute à souligner leur parenté et indique vraisemblablement quelle est la compétence d’Apollon principalement visée ici. Remarquons en outre que, à l’exception de Salus, et pour cause, les autres divinités mentionnées figurent parmi celles qui, précisément, peuvent recevoir l’épithète de salutaris.
23Une dernière dédicace d’Apulum, posée par un custos armorum, à Deus bonus (Puer) phosphorus Apollo Pythius mérite qu’on s’y arrête68. De provenance inconnue, elle a été découverte en remploi, dans la cathédrale catholique, en même temps que d’autres dédicaces à Deus bonus phosphorus69. L’une d’entre elles, émanant d’un civil, associe aussi ce dieu à Apollon Pythius70. D’origine arabo-syrienne, la divinité, également qualifiée d’Aziz ailleurs en Dacie71, possédait peut-être un sanctuaire à Apulum (il en existait un à Potaissa)72. Faut-il, comme certains, faire de Deus bonus phosphorus Apollo Pythius une divinité “syncrétique”73 ? ou plutôt considérer qu’il s’agit de deux divinités différentes, Apollon Pythien étant adjoint à la divinité “orientale” symbolisant l’étoile du matin ? Je préfère la seconde solution74. À Aziz-Phosphorus, l’étoile du matin “qui précède le soleil et annonce le retour de la lumière et de la vie”75, les dédicants accolent Apollon – Phoebus certes – mais auquel ils donnent ici l’épithète de pythien. Peut-être parce que Bonus Puer détenait aussi des fonctions oraculaires, comme le suppose prudemment, sur cette seule base, H.J. Drijvers76.
24Quoi qu’il en soit, Apollon peut être honoré en même temps que des divinités n’appartenant pas au panthéon gréco-romain, qu’elles soient indigènes ou orientales (tel Aeternus ou Bonus puer à Apulum). Le manque d’information sur ces deux divinités ne permet guère de comprendre pourquoi Apollon leur a été associé – même si vraisemblablement celles-ci partageaient ou complétaient certains de ses modes d’action.
Conclusion
25Ce bref parcours a montré qu’Apollon pouvait être situé, par les militaires, au sein de réseaux divins, selon diverses combinaisons.
26Un constat s’impose d’emblée : dans la majorité des cas examinés, il est honoré conjointement avec sa sœur Diane, Latone étant plus rarement nommée, comme cela a d’ailleurs été noté depuis longtemps77.
27Une partie des inscriptions semblent directement liées au métier de soldat exercé par le dédicant, telles celles de Rome et du tribun d’Apulum, qui ont été posées, à la suite d’un vœu, dans une caserne ou un camp, soit au terme du service, soit au retour d’une mission. La place qu’y occupe le dieu dans la liste des bénéficiaires divins semble révélatrice à la fois des identités multiples et de la pluralité des champs d’action qui peuvent lui être attribuées par ces militaires. Formant avec sa sœur un couple divin typiquement romain (hérité, bien sûr, du monde grec78), que nous ne sommes pas surpris de voir honoré par les soldats d’élite du Prince, Apollon est invoqué dans ces listes de dédicataires divins à un endroit qui laisse apparaître relativement clairement ses différents champs d’action : le domaine de la ualetudo, le domaine de la guerre et les espaces sauvages des confins. Il ressort en particulier assez nettement que l’Apollon romain ne peut pas être réduit, comme on le fait trop souvent, au seul Apollo medicus.
28Les autres dédicaces, celles du speculator, du vétéran et du custos armorum d’Apulum, semblent avoir été offertes dans des sanctuaires de la cité, par un militaire agissant “hors service” – c’est bien sûr le cas du vétéran, mais les deux autres inscriptions n’ont pas davantage de rapport direct avec le métier de soldat du dédicant. Dans ces trois cas, Apollon semble honoré dans le sanctuaire d’une autre divinité, dont on peut supposer qu’il complète ou reflète l’action. Salutaris, il seconde Esculape ; pythien, il est accolé à Deus Puer, peut-être à cause de sa parole prophétique. Ordonnant la réparation d’un fons, il témoigne de son lien avec les Nymphes ou eaux vives, bien attesté par ailleurs, y compris peut-être chez Horace, qui évoque les Camènes – celles-ci possédaient en effet une source à Rome et pouvaient, comme le fait le poète, être assimilées aux neuf Muses. Ne surprend cependant pas le fait que le rapport d’Apollon aux arts ne soit pas présent dans les inscriptions examinées, qui émanent de militaires. En revanche, les autres facettes de l’identité du dieu, chanté par le poète, se retrouvent dans nos dédicaces : dieu archer, medicus et, vraisemblablement, devin.
29S’il a été suggéré que la logique de la succession entre les divinités associées en un même réseau ne relève pas toujours des champs d’action, mais peut également ressortir aux modes d’actions de la divinité, force est de constater que l’on rencontre là les limites de la documentation épigraphique. Car si les inscriptions éclairent assez bien les identités et champs d’action des divinités – encore qu’on est parfois amené, même dans ce cas, à recourir aux hypothèses –, elles ne suffisent pas en elles-mêmes à nous renseigner sur leurs modes d’action. C’est alors, semble-t-il, que les connaissances partagées sur ces figures divines, notamment grâce aux récits mythologiques, peuvent être utilement mises en dialogue avec les données épigraphiques brutes. Ainsi, les modes d’action d’Apollon que G. Dumézil et P. Monbrun ont su mettre au jour, permettent à certaines des associations divines dans lesquelles Apollon est partie prenante de faire sens79 : si Apollon peut être associé à d’autres divinités pourvoyeuses de guérison, c’est que, maître de l’arc et des instruments de musique à cordes, il peut aussi bien rétablir l’harmonie en ramenant la santé que la rompre en semant le chaos dans les rangs de ses ennemis ; précisément, s’il peut être associé à d’autres divinités pourvoyeuses de victoire, c’est qu’il est avant tout un redoutable archer qui voit l’ennemi avant quiconque et sait le frapper de loin ; apte, par là-même, à abolir les distances de la pointe de ses flèches ou de l’acuité de son esprit, il peut être invoqué aux côtés de divinités qui veillent sur les individus en déplacement ; enfin, s’il peut être associé aux dieux protégeant les marges et les confins, c’est sans doute qu’il est familier, comme sa sœur, du monde sauvage habité par les Nymphes.
30Reste à préciser – en élargissant l’enquête au-delà du seul cas de la fontaine restaurée sur l’ordre d’Apollon – dans quelle mesure la “sonorité”, sur laquelle G. Dumézil attirait déjà l’attention, constitue une pierre angulaire de l’identité et des modes d’action d’Apollon. Ses attributs, arc et lyre, sont sonores, comme la voix prophétique par lui inspirée, comme les eaux qu’il patronne. Des voix, des sons, qui portent loin, et pourraient aussi être liés à l’harmonie et au rétablissement de celle-ci.
Notes de bas de page
1 Hor., Carmen saeculare, 61-64 (trad. Dumézil 1982, 39, légèrement modifiée).
2 Verg., Aen., 12.391-394 : Iamque aderat Phoebo ante alios dilectus Iapyx/ Iasides, acri quondam cui captus amore/ ipse suas artis, sua munera, laetus Apollo/ augurium citharamque dabat celerisque sagittas./ Ille, ut depositi proferret fata parentis,/ scire potestates herbarum usuque medendi/ maluit et mutas agitare inglorius artis. (“Près de lui (= Enée), déjà, un homme cher à Phébus entre tous, Iapyx, fils d’Iasus : jadis, épris d’un ardent amour, Apollon voulait lui communiquer ses arts et prérogatives, augures, cithare, flèches rapides, avec joie. Mais, pour prolonger les destins de son père expirant, il préféra connaître les pouvoirs des herbes, la pratique de la médecine, et exercer sans gloire des arts silencieux”, trad. J. Perret, CUF, 1980).
3 Le point 1 a été rédigé par Y. Berthelet, le point 2, par F. Van Haeperen.
4 CIL, VI, 32550 (= 2822).
5 Trad. Colling 2010, 220.
6 Fut retrouvée en même temps une autre dédicace votive de ces deux prétoriens (CIL, VI, 32551 = 2821), datée de 246 p.C., mais sans Apollon parmi les dédicataires (Jupiter Optimus Maximus, Mars, Nemesis, Sol, Victoria, Dii patrienses).
7 En ce sens, à juste titre, Colling 2010, 222-223. Sur les dii patrii, voir Bendlin 2000.
8 Van Andringa 2017, 156 ; id. 2002, 141.
9 Durry 1938, 320-323.
10 Colling 2010, 225.
11 Derks 1998, 107-110 ; Roymans 2009, 221-223 ; Van Andringa 2017, 156-158 et 166-167.
12 Raepsaet-Charlier 2006b, 48 et 58-59 (tableau 1).
13 Sol, dans une énumération, par un procurateur, de dédicataires divins, à Sarmizegetusa (AE, 1977, 673) ; à Fectio, en Germanie inférieure, dans une litanie par un légat propréteur (CIL, XIII, 8812) ; dans une litanie émanant d’un légat d’Auguste à Asturica Augusta (CIL, II, 2634 ; sur cette inscription, voir la contribution d’A. Álvarez Melero dans ce volume) ou encore dans des textes dont le dédicant (ou sa fonction) n’est pas mentionné (CIL, III, 3020, en Dacie ; CIL, III, 3475, à Aquincum). Hercule, par un tribun militaire à Adamclisi (CIL, III, 14214,1) ou par des prêtres en Dacie (CIL III, 7681). Mars, en Dalmatie (CIL, III, 2803).
14 CIL, VI, 2821 : voir supra, n. 6.
15 En revanche, on ne suggérera pas, comme D. Colling (2010, 225-226 et n. 35), d’identifier ce dieu invaincu à Mithra. Le dieu perse ne semble en effet jamais honoré dans ce genre de litanies complexes.
16 Colling 2010, 226, s’appuyant sur Durry 1938, 323 (où il n’est pas question d’Apollon).
17 CIL, VI, 31141 (Roma, Museo Nazionale Romano, Terme di Diocleziano, Inv. 78170).
18 Trad. Colling 2010, 231-232.
19 Scheid 2002-2003, 807.
20 Colling 2010, 236.
21 Gagé 1955, 69-113.
22 Dumézil 1982, 36-42 (Esquisse 3 : “Apollo Medicus”) et 155-163 (Esquisse 16 : “Les grands blessés de la victoire du mont Algide”).
23 Gagé 1955, 282-284 (sur la fondation “uictoriae, non ualetudinis causa” des ludi Apollinares). Sur le développement des aspects “triomphaux” de l’Apollon romain : ibid., 111-113 et 413-418. Sur Apollon porteur de victoire à l’époque républicaine, voir plus récemment Assenmaker 2014, 47-95, notamment 70-73 (sur le tournant constitué par les ludi Apollinares de 212 a.C.) et 73-77 (sur la survivance d’Apollon comme dieu de victoire au IIe siècle a.C.)
24 Trad. F. Nicolet-Croizat, CUF, 1992.
25 Trad. C. Guittard, La Roue à Livres, 2004 [1997].
26 Wissowa 1912, 295 : “die Einsetzung von ludi Apollinares angeordnet, uictoriae, non ualetudinis ergo, wie Livius, polemisierend gegen eine abweichende, vielleicht richtige Ansicht, betont.”
27 En faveur de liens anciens entre Apollon et la uictoria, bien que prudemment, Gagé 1955, 113 : “C’est ainsi que, tout en restant avant tout le Medicus tout-puissant, le dieu des Prés Flaminiens, regardant la Ville à travers les portes Carmentale et Triomphale, commençait discrètement dès le ive siècle peut-être à veiller, non plus seulement sur la ualetudo du peuple romain, mais aussi un peu sur ses victoires.” ; Coarelli 1997, 378, considère de son côté que la ualetudo et la uictoria allaient de pair dans les cultes archaïques des divinités guérisseuses ; Assenmaker 2014, 68-73. Contra, à tort selon moi, Bonnefond-Coudry 1989, 155 : “Il est […] improbable que ces liens [sc. entre Apollon et le triomphe], accidentels en quelque sorte [sc. en raison de la localisation du temple d’Apollon sur le Champ de Mars, tout près du pomerium], se soient développés aussi anciennement que l’affirme la tradition.”
28 Voir Mineo 2013 (62 pour la citation), qui montre que “l’Apollon livien possède les mêmes traits que ceux du dieu sous les auspices duquel Auguste avait voulu placer son pouvoir et dont le modèle avait été vraisemblablement forgé bien auparavant par le collège décemviral peut-être animé par Fabius Pictor, à l’époque des guerres puniques” ; Assenmaker 2014, 70-73.
29 Assenmaker 2014, 73-77. L’utilisation du temple d’Apollon pour les délibérations du Sénat sur les demandes de triomphe est attestée pour la première fois en 189 a.C. (Bonnefond-Coudry 1989, Tableau iv, 144 ; cf. Liv. 37.58.3).
30 Mineo 2013, 45 : “Pour le lecteur contemporain de Tite-Live, l’Apollon dieu de victoire pouvait difficilement ne pas évoquer le dieu d’Actium.” L’Apollon d’Actium est toutefois non seulement le dieu de la victoire, mais aussi celui qui rétablit après les guerres civiles l’harmonie, la paix et l’âge d’or, comme l’attestent la poésie augustéenne (voir la note suivante) et le programme iconographique de la Rome augustéenne (Zanker 1988, notamment 85-89 ; Sauron 2000, en particulier 177-204).
31 Verg., Aen., 8.704-706, cité et traduit par Dumézil 1982, 41. Pour une étude de l’Apollon “augustéen” dans la poésie augustéenne, voir Miller 2009. Cf. Le Doze 2014, notamment 487-489.
32 Monbrun 2007, passim. Cf. Dumézil 1982, en particulier les Esquisses 1 (Vāc) et 2 (Apollon délien), 13-35, où l’Apollon sonore est comparé à la Voix d’un hymne védique, qui permet la communication indispensable à l’harmonieuse commensalité humaine, mais déchaîne aussi le tumulte du combat en relâchant la corde tendue de son arc. Voir aussi Détienne 1998, 260, n. 113 : “L’arc d’Apollon […] est l’instrument d’une puissance et d’une force surnaturelle, laquelle frappe de loin, soudainement, et va toujours droit au but. L’arc apollinien est également symétrique de la lyre et du chant.” Cf. ibid., 60-61 (Et voici l’arc et la lyre).
33 Wissowa 1912, 143 ; Dumézil 1974, 215-256 ; Scheid 1990, 622.
34 Sur Mercure, dieu des voyageurs posté aux carrefours et protecteur des routes, voir Kahn-Lyotard 1981 ; sur Hercule, héros à la force invincible, protecteur des bergers et des transhumances de leurs troupeaux et, plus largement, maître des passages, voir Jourdain-Annequin 2013, notamment 161. Cf. Derks 1998, 104-105.
35 Speidel 1994, 30. Cf. id. 2005, 122-123 : “Soldiers in Rome often clung to their home gods (dii paterni), hence the gods of the guard might very well be Celtic or German gods under Roman names. […] If so, the gods of the guard were gods of Lower German tribes, freely chosen by veterans for their altars. Later, when one such list of gods became the model for other altars, that group of gods became the guard’s own”. Voir, déjà, Wissowa 1912, 86-87.
36 CIL, VI, 32546 (= 2797) ; CIL, VI, 32570 (= 2798) ; CIL, VI, 32571. Voir Durry 1938, 336-337.
37 Dana-Ricci 2014, §38 et n. 65 ; §42 et n. 77 (avec bibliographie antérieure).
38 Une nuance, toutefois, doit ici être apportée pour Siluanus, qui ne bénéficia jamais d’un culte public (Wissowa 1912, 213). P.F. Dorcey (1992, 84), tout en soulignant également que son culte ne devint jamais public, précise : “Dedications from military units suggest that Siluanus attained a quasi-official status among some troops.”
39 Lavagne 1989, 52.
40 ILB2, 43 (= CIL, XIII, 3605). Pétry 1992, 227-228.
41 CIL, III, 7775 ; 8483 ; 13368 ; CIL, VI, 658 (relief avec Diane et Siluanus) ; CIL, XIII, 382 ; 5243 ; 6618.
42 Pour l’étymologie, voir Schmidt 1987, 149. Cf. Speidel 2005, 124 et n. 187. Pour les Matres Suleuiae “qui prennent soin de vous”, voir CIL, XIII, 5027 : Banira et Doninda e[t] / Daedalus et Tato Icari fil/i(i) Suleis suis qui(!) curam / uestra(m) agunt ide<m=N> / Cappo Icari l(ibertus).
43 Sur les divinités honorées à Apulum, Rossignol 2010, Szabó 2015 et 2018.
44 Voir l’introduction de I. Piso au volume IDR, 3, 5, xx-xxi.
45 La fouille récente des principia n’a pas encore été publiée. Voir déjà Szabó 2015, 130-133. Pour les inscriptions s’y rapportant, voir Schmidt Heidenreich 2013, n° 403-429.
46 AE, 1956, 204 (IDR, 3, 5, 299) : Dis Penatibus Lari/bus Militaribus Lari / Viali Neptuno Saluti / Fortunae Reduci / (A)esculapio Dianae / Apollini Herculi / Spei Fa(u)ori P(ublius) Catius / Sabinus trib(unus) mil(itum) / leg(ionis) XIII G(eminae) u(otum) l(ibens) s(oluit). Szabó 2018, 29-30.
47 PIR² C 571 (consul suffect vers 208-210 ; consul ordinaire en 216). En tant que préteur urbain, il a offert des sacrifices à Hercule à Rome (CIL, VI, 313 = 30735b) et aux Dioscures à Ostie (CIL, XIV, 1), qu’il a rappelés en des poèmes gravés sur la pierre.
48 Selon Szabó (2018, 30), l’assocation Esculape-Diane-Apollon pourrait être typique d’Apulum, où ils sont attestés dans un même sanctuaire guérisseur (voir infra et CIL, III, 986). Une telle association semble effectivement rare (les trois divinités apparaissent, Esculape étant toutefois séparé d’Apollon et de Diane, dans une même liste de nombreux dieux figurant sur une dédicace de Sarmizegetusa offerte par un procurateur impérial [IDR, 3, 2, 246 = AE, 1977, 673]).
49 Szabó 2015, 133-134 ; 2018, 68-78 (avec la bibliographie antérieure).
50 CIL, III, 990 (IDR, 3, 5, 31) : Ex iussu dei / Apollinis fon/tem Aeterni Vlp(ius) / Proculinus / speculator leg(ionis) XIII G(eminae) Gordia/nae a solo resti/tuit.
Le texte de l’inscription ne permet pas d’établir si la fontaine était directement liée à un lieu de culte. Certains ont suggéré qu’il s’agissait d’une source publique, à disposition des soldats et des habitants de la cité (voir par exemple Carbó García 2010, 835). Il semble vraisemblable que la fontaine ait fait partie de l’Asklepieion, dans la mesure où l’inscription a été trouvée, tout comme d’autres mentionnant Apollon (IDR, 3, 31, 32, 35 : voir supra et infra ; voir déjà en ce sens, Berciu & Baluta 1972, 1050 ; Szabó 2015, 134), dans la vaste zone où on le situe.
51 Cumont 1888, 186-188 ; Sanie 1978 ; Carbó García 2010, 828. Aeternus apparaît dans d’autres inscriptions d’Apulum (voir Sanie 1978, 1096-1099 ; Szabó 2015, 134).
52 Voir Bartels & Kolb 2011.
53 Apollon est également présent dans d’autres inscriptions d’Apulum non examinées ici, soit qu’elles émanent de civils (IDR, 3, 5, 20 [dédicace de trois frères aux Aures, à Esculape, Hygie, Apollon et Diane] ; 33 [dédicace votive, pro se suisque, à Apollon praestantissimus] ; 34 [dédicace, pro salute sua suorumque, à Apollon salutaris]), soit qu’elles ne s’adressent qu’à ce seul dieu, sans le situer “en réseaux” (IDR, 3, 5, 30 [dédicace d’un vétéran au numen Apollo] ; 32 [dédicace d’un portique par un centurion, à Apollon, sur ordre de son numen] ; 699 [dédicace votive d’un beneficiarius à Apollon domesticus]). Voir aussi une dédicace fragmentaire aux dieux Apollon et Diane (IDR, 3, 5, 35).
54 Apollon et les Nymphes sont honorés conjointement dans plusieurs dédicaces (voir par exemple : CIL, X, 6786, 6787, 6788 [Aenaria] ; XI, 3286, 3287, 3288, 3289, 3294 [Vicarello] ; III, 5861 [Raetia Ennetach] ; Spalj 1, p. 57 [Pann. sup. Aquae Iasae]), y compris dans des inscriptions émanant de soldats ou de vétérans (voir par exemple : CIL, XIII, 7691 [Germ. sup. Brohl] ; AE, 1978, 555 [Germ. sup. Burgbrohl] ; Spalj 1, p. 75 [Pann. sup. Aquae Iasae]).
55 Voir le cours de J. Scheid donné en 2007 au Collège de France et les références citées dans le support. URL : http://www.college-de-france.fr/media/john-scheid/UPL6218929901427283779_3._Cours_8.11.2007.pdf (page consultée le 14 octobre 2018), ainsi que le résumé de ce cours (Scheid 2007-2008).
56 Scheid, cours de 2007 ; Dumézil 1982.
57 AE, 1980, 735 (IDR, 3, 5, 36) : Apol[l]ini Dianae / et Leto(!) ceterisque / dis deab[us]q(ue) huiusq(ue) / loci salutar[ib]us ex / imperio numi[n]is C(aius) Iul(ius) / Frontonia[nu]s uet(eranus) / leg(ionis) V M(acedonicae) p(iae) e[x b(ene)f(iciario) co(n)s(ularis)] / dec(urio) col(oniae) Apul(ensis) pr[o se et] / suis p(ecunia) s(ua) pontem / exstruxit. Szabó 2018, 71 fournit une interprétation rapide du texte, en considérant à tort que la dédicace est également adressée au numen de l’empereur – alors qu’elle a été dressée sur l’ordre de la puissance divine (numen), dans laquelle on pourrait reconnaître soit Apollon, premier dédicataire du monument, soit Esculape, divinité tutélaire du sanctuaire où a été posée l’inscription.
58 À la description du bas-relief fournie in IDR (voir réf. infra) qui ne correspond pas à ce qui est figuré, il faut préférer celle de http://lupa.at/11114 ici reprise.
59 CIL, III, 987 (IDR, 3, 5, 21) : Aesculapio / et Hygiae ce/terisq(ue) di{i}s dea/busq(ue) huiusq(ue) / loci salutarib(us) / C(aius) Iul(ius) Fronto/nianus uet(eranus) ex / b(ene)f(iciario) co(n)s(ularis) leg(ionis) V M(acedonicae) P(iae) / redditis sibi lumi/nibus grat(ias) age(ns) ex / uiso pro se et Carteia / Maxima coniug(e) et Iul(ia) / Frontina filia / u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito).
60 AE, 1972, 456 (IDR, 3, 5, 34) : Apollini / Salutari / pro salute / filiorum / sua co(n)i{i}ugis / suorumq(ue) / C(aius) Iul(ius) Varianus. Notons que le même dévot (à moins qu’il ne s’agisse d’un homonyme) fait une dédicace à Luna Lucifera (CIL, III, 1097 = IDR, 3, 5, 246), ce qui n’est sans doute pas un hasard.
61 CIL, VI, 39 : Apollini salutari et medicinali sacrum.
62 Je ne reprends pas ici les dédicaces à un dieu qui n’est qualifié qu’une fois de salutaris (Isis [CIL, VI, 436], les Lares [CIL, VI, 543], Deus Sol Victor [AE, 1968, 282], Mithra [CIL, VI, 82] ; les dei militares [CIL, III, 3473]).
63 La liste qui suit ne prétend pas à l’exhaustivité. L’ordre des divinités ainsi qualifiées pourrait en outre être revu, à la suite d’une enquête plus approfondie. Il faut également noter que la prééminence des Nymphes doit être relativisée dans la mesure où sept dédicaces proviennent du même endroit, Aquae Iasae (Pann. sup.) :
Nymphes : AE, 1974, 397 ; 1991, 908 ; 2013, 1209 ; Aquae Iasae 76 ; CIL, III, 10891 ; 10893 ; 14548 (IMS, 4, 105) ; ILSard, 1, 187 ; Lupa, 25463, 25464 ; RICIS, 3, 613, 1002 ;
Fortune : AE, 1902, 143 (IDR, 3, 3, 303) ; CIL, III, 3315 ; VI, 184 ; 201 ; 202 ; XIII, 6678 ; 7994 ; IRCPacen, 613 ; IMS, 6, 217 (! Fortunae est une restitution) ;
Jupiter Optimus Maximus : AE, 1942/1943, 69 ; 1980, 793a ; CIL, III, 6456 (le dédicant, un centurion, s’acquitte d’un voeu, grauissima infirmitate liberatus) ; VI, 425 ; IX, 4852 ; XIII, 240 : I(oui) O(ptimo) M(aximo) / Salutari / Vlpianus / Amf(i)l(us?) graui / infirmita/te libera/[tus(?) ;
Jupiter seul : CIL, XI, 6944 (le dédicant est un medicus classis praetoriae Ravennatis) ; AE, 2004, 887 (ILN, VIII, 2) ;
Siluanus : AE, 1979, 62 ; 2009, 1138 ; CIL, VI, 543 ; 651 ; 652 ; 3716 ; 36786 ;
Hercule : CIL, VI, 237 ; 338 ; 339 ; XI, 7112 ; RIU, 2, 392 ;
Esculape : CIL, XI, 3710 ; AE, 2003, 2022 ;
dii patrii : AE, 1929, 135 (deus patrius salutaris) ; 1956, 159 (dii Maures salutares) ; 2001, 2137 (dii salutares Maures) ; CIL, VIII, 17721 (dii patrii salutares) ; 21720 (dii Maures salutares) ;
dieux ‘indéterminés’ : ILJug, 3, 2881 (dii salutares) ; CIL, III, 14540 (IMS, 1, 107 : dii salutares).
64 Voir, par exemple, CIL, XIII, 5079 (Germ. sup. - Aventicum) : Numinib(us) Aug(ustorum) / et Genio col(oniae) Hel(uetiorum) / Apollini sacr(um) / Q(uintus) Postum(ius) Hyginus / et Postum(ius) Hermes lib(ertus) / medicis et professorib(us) / d(e) s(uo) d(ederunt).
65 Voir, par exemple, Gummerus-4, 467 = Gummerus-5, 48 (Belg. – Treveri) : Deo / Apollini / Geminius / Similis med(icus) / u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito) ; CIL, XII, 2374 (ILN, 5, 2, 553 ; Gallia Narb. – La Balme-les-Grottes : Apollini Aug(usto) sa[crum] / T(itus) Cominius Gratus me[dicus(?)] / [et(?)] Censa mater ex [uoto]).
66 Voir cependant l’exemple cité supra (CIL, XIII, 5079), tout comme Kovacs 2, 6 (Pann. sup.) : Aescula/pio et / Apollini et / Hygiae / sacrum / Cl(audius) Vere/cundus med(icus) / u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito).
67 CIL, XIII, 6621 (Germ. sup. - Obernburg am Main) : I(oui) O(ptimo) M(aximo) / Apollini et Aes/culapio Saluti / Fortunae sacr(um) / pro salute L(uci) Pe/troni Florenti/ni praef(ecti) coh(ortis) IIII / Aq(uitanorum) eq(uitatae) c(iuium) R(omanorum) M(arcus) Ru/brius Zosimus / medicus coh(ortis) s(upra) s(criptae) / domu Ostia / u(otum) s(oluit) l(ibens) l(aetus) m(erito).
68 CIL, III, 1138 (IDR, 3, 5, 307) : Deo B(ono) P(h)os/phoro Apol/lini Pythio / D(ecimus) Iulius Ru/sonius cust(os) / armorum / pro salute sua / et suorum / u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito).
69 CIL, III, 1130, 1132, 1133, 1136 (IDR, 3, 5, 300, 303, 305, 306).
70 CIL, III, 1133 (IDR, 3, 5, 306) : Deo Bono / Puero P(h)os/phoro Apol/lini Pythio / T(itus) Fl(auius) Titus et / T(itus) Fl(auius) Philetus / pr(o) s(alute) s(ua) s(uorumque).
71 CIL, III, 875. Sanie 1989, 1207-1209.
72 Szabó 2015, 150.
73 Alföldi 1928 ; Berciu & Baluta 1972, 1050.
74 Voir déjà, mais sans justification, Cumont 1888b, 96.
75 Cumont 1888b, 96.
76 Drijvers 1980, 171.
77 Wissowa 1912, 295 et n.3.
78 Ibid., 251.
79 Dumézil 1982 ; Monbrun 2007.
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