Vénus et les autres. Penser les divinités au prisme des “réseaux relationnels”
p. 17-34
Texte intégral
1Il pourrait paraître présomptueux de proposer une étude de plus sur Vénus, divinité romaine déjà amplement étudiée, depuis la thèse de R. Schilling jusqu’à des contributions récentes1. Ces travaux ont toutefois montré combien il était difficile de circonscrire une identité divine prise isolément, sur la longue durée et dans une perspective culturellement centrée. Ces différents travaux ont certes permis de définir les contours de la “Vénus romaine”, saisie à travers l’histoire d’une cité en expansion, mais la réflexion se heurte à plusieurs difficultés d’ordre méthodologique : d’abord, le risque de méconnaître la nature même de la divinité, plurielle par définition en contexte polythéiste, de l’essentialiser. Comme l’ont montré de récentes études sur Aphrodite dans le monde grec, ce type de divinité ne saurait se réduire à une seule fonction, telle que celle de déesse de l’amour ou de la fertilité2. Par ailleurs l’étude sur la longue durée peut conduire à privilégier les processus évolutifs, au détriment de la pluralité des contextes, et à surévaluer les phénomènes d’assimilation ou de distinction avec des divinités appartenant à d’autres aires culturelles3 ; il ne s’agit pas de nier les processus de traduction, de transposition, d’interpretatio couramment pratiqués par les Anciens, mais de les circonscrire précisément et de les analyser en contexte4. Autre difficulté enfin, celle des échelles à prendre en compte dans l’analyse des données, depuis le contexte local, celui d’une cité particulière, jusqu’à l’échelle “globale”, celle de l’empire ; la question a par exemple été posée pour le culte de Vénus Genetrix hors de Rome : doit-il ainsi être analysé comme un culte imposé par une autorité romaine de type impérial, ou comme l’adaptation d’un culte local à des institutions civiques de droit romain5?
2Dans le cadre d’une démarche empruntant à l’anthropologie religieuse, Vénus est appréhendée comme une puissance divine identifiable par son mode d’action6. C’est d’abord le nom qui fonde l’identité divine et lui donne son unité ; nommer une puissance divine est à la fois un acte de communication qui participe de l’efficacité du rituel et la mise en œuvre d’un certain savoir théologique7. Loin d’être dogmatique, ce savoir, socialement partagé, apparaît indissociable de la pratique rituelle ; mais il repose aussi sur une représentation complexe du monde divin qui n’est pas seulement liée à la pluralité des dieux, mais aussi à leur incessante mise en relation. Comme le résume John Scheid, pour les Anciens, “la piété c’est aussi cela : la recherche compétente des divinités collaborant dans une circonstance donnée, la connaissance de toutes les divinités impliquées dans une action. La théologie énoncée par les rites peut donc être définie comme une spéculation traditionnelle sur les mystères de l’action”8.
Définir l’identité de Vénus
3La part de spéculation inhérente à l’action rituelle n’est pas l’apanage de spécialistes, prêtres ou érudits, mais participe d’une culture religieuse commune. Toutefois, du fait des sources conservées, la littérature poétique et les discours érudits transmis par la tradition manuscrite ont été largement privilégiés pour définir les identités divines. Dans le cas de Vénus, dont le nom est a priori transparent, puisqu’il est la divinisation d’une notion abstraite désignant “le charme”, “l’attrait” – l’amour au sens physique n’en est qu’un sens secondaire –, c’est le rapprochement avec les termes uenia, “faveur, grâce” et uenerari, “prier, se rendre favorable”, mis en avant par les commentateurs antiques, qui a conduit les chercheurs contemporains à voir en Vénus celle qui patronne le charme efficace de la propitiation9 ; elle est littéralement celle qui fait plier les cœurs, mais aussi une déesse propice, qui accorde en retour ses faveurs. La tradition érudite latine conserve également quelques échos de spéculations liées aux épithètes permettant de préciser les champs d’action de la divinité ; un commentateur tardif de l’Énéide recense ainsi plus d’une vingtaine d’épiclèses de Vénus, figure importante de l’épopée virgilienne10. Aux épiclèses cultuelles attestées par les sources épigraphiques et littéraires s’en ajoutent d’autres, plus obscures, qui constituent quasiment des cas d’école. Venus calua, une Vénus chauve connue essentiellement à travers les railleries des auteurs chrétiens11, suscite notamment un ample déploiement exégétique :
“Elle est aussi Vénus Calua (Chauve) pour la raison suivante : comme les Gaulois faisaient le siège du Capitole et que les Romains manquaient de matériaux pour fabriquer des cordes, Domitia fut la première à couper ses cheveux, puis toutes les autres matrones l’imitèrent, ce qui permit de fabriquer des cordes, et après la guerre une statue fut érigée à Vénus sous ce nom. Cependant d’autres rapportent qu’on dit Vénus Chauve, comme pour dire Vénus ‘pure’, d’autres qu’elle est Calua parce qu’elle caluit (elle se joue de), c’est-à-dire qu’elle trompe et qu’elle abuse. Certains disent que jadis, à cause de la teigne, les femmes perdirent leurs cheveux, et que le roi Ancus érigea une statue chauve en l’honneur de son épouse ; cela servit d’expiation, car après cela les cheveux de toutes les femmes repoussèrent. De là vient l’institution du culte à Vénus Chauve12.”
4Cet exemple met en lumière les principaux ressorts des spéculations antiques, que ce soit l’étymologie13, la traduction14 ou le récit étiologique, souvent construit autour d’un motif rituel, ou, et c’est sans doute le cas ici, de l’iconographie d’une statue15. Pourtant le commentateur ne l’envisage pas simplement comme une représentation de la déesse dépourvue de chevelure, attribut indissociable de sa beauté, donc de son identité16. La combinaison de ces différents éléments laisse entrevoir comment les Anciens pensaient l’identité de la divinité17 ; l’épiclèse paraît certes surprenante si on la prend littéralement, mais en la mettant en récit, l’exégèse joue sur une modalité de l’action de Vénus, qui est de présider à l’union entre époux ; dans les deux récits, celle-ci est en quelque sorte mise à l’épreuve et c’est la force du lien entre mari et femme qui permet d’obtenir un retournement favorable : la libération victorieuse du Capitole assiégé ou la fin d’une épidémie de teigne.
La notion de réseaux
5Si ces textes aident à définir l’identité de Vénus de façon générale, ils n’éclairent pas précisément les mécanismes de la pietas qui prévaut en contexte cultuel. Penser l’action divine en contexte polythéiste suppose aussi de la penser au pluriel ; pour réfléchir à cet aspect fondamental du fonctionnement du polythéisme en tant que système, Jean-Pierre Vernant parlait de “réseau de relations”, ouvrant la voie à des analyses fécondes18. Si l’analyse des réseaux est devenue un outil courant de l’historien des sociétés modernes et contemporaines19, peut-on pour autant employer cette notion comme un instrument heuristique pour étudier les structures du système panthéonique romain ? Face à la documentation dont nous disposons, il paraît difficile à première vue de dépasser un simple usage métaphorique de la notion de réseau. Certes les Anciens se plaisaient à imaginer un monde divin organisé sur le modèle des sociétés humaines, avec des familles déchirées, de grands et de petits dieux, des hiérarchies mouvantes20 ; mais il ne s’agit pas de relations quantifiables ou modélisables par l’historien. Compte tenu du foisonnement inhérent à ce type de sources et de leur intertextualité, le recours à la métaphore du réseau peut néanmoins se révéler opératoire pour révéler les logiques structurales à l’œuvre, non pas tant dans la définition même des panthéons, que dans la capacité des Anciens à penser le divin sur le mode de la connectivité. C’est en quelque sorte le défi lancé par les éditeurs de ce volume : étudier Vénus par le biais des réseaux, c’est-à-dire en partant de sa mise en relation avec d’autres divinités dans la pratique religieuse, pour mieux comprendre les processus d’identification qui sous-tendent la pietas des Romains.
6Face à cette ambition, la réponse reste encore exploratoire. J’envisagerai l’interprétation de réseaux relationnels sous deux angles différents mais complémentaires, à partir de dossiers ponctuels privilégiant la documentation épigraphique du monde romain, plus proche des pratiques cultuelles. Tout d’abord l’analyse d’une dédicace trouvée à Sarmizégétuse, en Dacie, permettra de poser le problème de l’insertion de Vénus dans une liste de divinités, un réseau fini et orienté en quelque sorte, où elle n’a pas le premier rang. J’examinerai ensuite, à partir d’inscriptions récemment découvertes dans le sanctuaire pompéien de Vénus, en Italie, la reconstitution d’un réseau articulé autour d’une divinité, tel qu’il s’est progressivement élaboré autour de la déesse, afin de voir comment il peut contribuer à préciser son faciès comme divinité poliade.
L’insertion de Vénus dans un réseau de divinités salutaires
7Le dépouillement des corpus épigraphiques permet d’identifier plusieurs listes de divinités dans lesquelles apparaît le nom de Vénus. Si l’on met de côté les inscriptions se rapportant à la prétendue triade héliopolitaine, un réseau constitué en quelque sorte21, la plupart des listes n’excède guère plus de trois noms de dieux ; certaines néanmoins présentent des combinaisons plus riches et plus complexes, dans lesquelles la fonction de Vénus n’est pas évidente à saisir22. Parmi les nombreuses dédicaces qui témoignent du séjour de Quintus Axius Aelianus, procurateur impérial, dans la colonie Ulpia Traiana Sarmizegetusa, entre 235 et 238 p.C.23, une base, publiée par I. Piso en 1998, a notamment retenu l’attention (fig. 1).
“À Esculape,
à Salus, à Epionè,
à Vénus (qui est) partout,
à Neptune, à Salacia,
aux Amours,
aux Fontaines, aux Eaux,
Axius Aeli-
anus, uir egregius, procurateur des Augustes.
Ionien”24.
8La présence de Vénus et des Amours peut surprendre dans cette combinaison qui réunit des divinités salutaires (Esculape, Salus et Epionè25) et d’autres patronnant les eaux (Neptune, Salacia, Fontes et Aquae26). Pour saisir le rôle de Vénus, c’est la logique de l’ensemble de la liste qu’il faut essayer de comprendre.
9Les dédicaces du praetorium de Sarmizégétuse concernent la dévotion privée des procurateurs et de leurs proches, mais celles-ci reflètent les péripéties qui affectent aussi bien leur vie intime que leur fonction publique. Les autres dédicaces du procurateur Axius Aelianus peuvent ainsi être rapportées à sa charge publique, qu’elles honorent la triade Capitoline, le Génie de la Colonie de Sarmizégétuse ou des divinités liées à un voyage officiel, peut-être dans des circonstances délicates27 ; une dédicace à Mithra et à des divinités de Gaule relève d’une dévotion plutôt privée, tout en reflétant sa précédente affectation en Gaule Belgique et dans les deux Germanies28. Cinq dédicaces en revanche s’adressent à des divinités salutaires : outre celle déjà citée à Esculape, Salus et Epionè, une dédicace à Apollon Grannus et Sirona, divinités de Gaule dont la fonction salutaire est bien attestée, auxquelles on peut joindre les trois dédicaces faites par Axius Aelianus junior, le fils du procurateur, une à Apollon Grannus et deux à Esculape et Hygie, dont une en latin qui mentionne explicitement un vœu fait pour la santé (pro incolumitate) de son père29. Esculape et Hygie sont certes fréquemment honorés à titre conservatoire par les fonctionnaires romains, notamment les militaires, amenés à entreprendre de longs voyages30, mais la récurrence des dédicaces ici peut raisonnablement conduire à l’hypothèse selon laquelle notre procurateur aurait eu quelques ennuis de santé lors de son séjour en Dacie. Aussi la collaboration entre des divinités guérisseuses et des divinités patronnant la force des eaux, éventuellement à visée curative, peut-elle faire sens. À une centaine de kilomètres de Sarmizégétuse se trouvait par exemple la station thermale d’Aquae Herculis (Băile Herculane aujourd’hui), dont les sources chaudes sont placées sous la tutelle d’Hercule31 ; un dédicant anonyme y fait une dédicace à Esculape et Hygie qui “par la force de leurs eaux (uirtute aquarum Numinis sui), ont guéri Junia Cyrilla de l’infirmité dont elle souffrait depuis longtemps”32. À Sarmizégétuse même, Esculape et Hygie avaient un sanctuaire, dont l’existence est attestée épigraphiquement par de nombreuses dédicaces et archéologiquement par différents vestiges dans l’aire sacrée suburbaine située au nord de la cité ; la présence de fontaines a été rapportée à des usages rituels au sein de ce sanctuaire, mais l’existence de sources n’est pas attestée et il faut donc bien distinguer cet Asklépéion d’un sanctuaire des eaux ou d’un établissement thermal33. Comment dès lors comprendre l’intervention de Vénus dans ce contexte ?
10I. Piso, l’éditeur de l’inscription, propose d’y voir un signe du caractère “bon vivant”, “épicurien” du procurateur, qui aurait associé bains et plaisir de la chair, selon la formule célèbre : balnea, uina, Venus34. D’autres ont vu dans la présence de Vénus l’indice des maux dont aurait souffert Q. Axius Aelianus35. La dédicace d’Axius ne visait pas cependant à exposer, même plaisamment, ses petites misères intimes ; la logique de ce type d’énoncé n’est pas descriptive, mais s’inscrit dans la relation que le dédicant entend établir avec les dieux en vue d’un bénéfice ou à titre de remerciement36 ; les divinités invoquées collaborent dans la perspective d’une action précise, en ce cas vraisemblablement salutaire. Il est vrai que Vénus, Neptune et ses parèdres féminines, les Erotes et les monstres marins font partie de l’univers des bains : on peut les retrouver associés sur des mosaïques, comme celle des thermes de la “maison de Caton” à Utique, où, comme l’écrit K. Dunbabin, “Venus, Neptune and their respective followers, playful but threatening Erotes, all work together here in a magnificent evocation of luxury, triumph, beauty, and erotic adventure, all in a watery context”37. Leur présence dans la décoration des édifices de bains renvoie, sur un mode essentiellement allégorique, à la uoluptas associée aux pratiques balnéaires, à un idéal de luxe et d’otium assuré par la maîtrise de l’eau et de ses effets, mais elle n’est pas, ou peu associée, à des pratiques cultuelles. K. Dunbabin note d’ailleurs qu’Esculape est relativement absent de ces décors ; si certaines figures féminines sont identifiées comme des Hygies, ce n’est pas en tant que parèdres du dieu guérisseur, mais en tant qu’allégories de la (bonne) santé de façon générale. Le recours aux bains curatifs doit par ailleurs être soigneusement circonscrit et distingué des pratiques balnéaires ordinaires ; les pratiques cultuelles s’y rapportant concernent alors plutôt des divinités guérisseuses, comme Apollon ou Esculape, des divinités de la Santé, comme Salus ou Valetudo, des divinités topiques, propriétaires des sources en quelque sorte, et enfin des divinités parrainant directement les eaux, comme les Nymphes (l’eau qui court) ou Fons (eau canalisée en fontaine). Vénus intervient rarement dans les dédicaces de ce type38.
11La structure de la liste élaborée par Q. Axius Aelianus est significative à cet égard. Les divinités salutaires, Esculape et ses parèdres féminines, en tête, délimitent clairement la sphère concernée : la santé, à titre conservatoire ou curatif ; les divinités citées en fin de liste, toutes collectives, sont de rang inférieur et ont un domaine d’action plus limité, celui des eaux canalisées. Vénus est invoquée entre deux groupes divins ; faut-il relier son domaine d’action avec la sphère d’Esculape ou celle de Neptune ? Dans le monde grec, Aphrodite entretient certes des liens de voisinage avec Asclépios, à Épidaure ou à Sicyone, que l’on peut expliquer par la complémentarité de leurs domaines d’action39. Ces liens semblent plus ténus dans la documentation en langue latine et Vénus est rarement associée à Esculape dans le corpus épigraphique. Seule une inscription de Tarraconaise, lacunaire et malheureusement perdue, pourrait éventuellement offrir un parallèle intéressant ; il s’agit d’un autel portant sur ses quatre faces des listes de divinités. L’une d’elles comporte une dédicace à : “À Esculape, Lux, Somnus, Vénus, Cupidon, Caelum [...]”40. La présence de Somnus, le Sommeil, peut être comprise en lien avec le rituel d’incubation, bien attesté dans le culte d’Esculape41. Ce document reste néanmoins difficile à interpréter ; on peut également le lire comme une série de groupes divins juxtaposés, Esculape formant un ensemble avec Lux et Somnus, tandis que Vénus et Cupidon en formeraient un autre, sans lien, suivi du Ciel et d’un groupe divin au pluriel42. En Dacie, le rituel d’incubation était sans doute pratiqué dans plusieurs sanctuaires d’Esculape et Hygie43. On pourrait envisager l’hypothèse qu’Axius Aelianus honore Vénus pour sa manifestation lors d’un rituel incubatoire, mais force est de constater que l’inscription n’offre nul indice en ce sens ; les fidèles s’attendaient sans doute à voir le dieu titulaire du sanctuaire ou un dieu ayant des compétences médicales, ce qui n’est pas le cas de Vénus44.
12La symétrie étroite établie dans la construction de la liste et la mise en page de l’inscription entre Vénus, Neptune et Salacia d’un côté, les Amours, les Fontaines et les Eaux de l’autre incite plutôt à chercher un lien de ce côté-là. L’ordre de l’énumération donne une préséance à Vénus et sa dénomination, ubique, “omniprésente”, indique qu’elle n’est pas saisie à travers un contexte local, mais pour des compétences générales ; sa principale modalité d’action est de présider à l’union féconde des êtres et des éléments naturels45, incarnée ici par le couple Neptune et Salacia ; Cupidon la seconde dans cette tâche, personnifiant la force irrépressible du désir qui permet cette union. Les Cupidines président ici à l’union d’un autre couple formé par les Fontes, les fontaines (masculines en latin), et les Aquae, les eaux, pour produire l’effet bénéfique recherché46. L’efficacité rituelle n’exclut pas pour autant une certaine recherche dans la forme ; à certains égards, la liste construite par notre procurateur est relativement sophistiquée. Axius était peut-être plus prétentieux que bon vivant…
13La dédicace en effet comporte plusieurs éléments inhabituels : d’abord au lieu du couple composé d’Esculape et Hygie, généralement honoré à Sarmizégétuse et plus largement dans le monde romain, il s’adresse à une triade, Esculape, Salus et Epionè. Par ailleurs, il associe à Neptune une divinité, Salacia, connue comme son épouse dans la tradition littéraire, mais rarement attestée en contexte cultuel47. Enfin il qualifie Vénus d’ubique, “(celle qui est) partout”, ce qui apparaît comme une formulation insolite en latin48. La triade cultuelle Asklépios, Hygie et Epionè est bien attestée à l’Asklépéion de Cos, par des règlements cultuels d’époque hellénistique, mais aussi à l’époque romaine par la dédicace de Caius Stertinius Xénophon, le médecin des empereurs Claude et Néron49. Elle est surtout honorée à l’Asklépéion de Pergame50, sanctuaire florissant à l’époque d’Axius Aelianus et avec lequel le temple d’Esculape de Sarmizégétuse a peut-être entretenu des liens51. Le choix du procurateur reflète non seulement une connaissance de formes cultuelles grecques, mais également la volonté d’en donner une traduction latine précise, puisqu’il privilégie Salus plutôt qu’Hygie pour désigner la parèdre du dieu52. L’ensemble du dossier laisse penser que le procurateur, sans être forcément originaire de la partie orientale de l’empire53, revendiquait une certaine culture grecque, comme pourrait l’indiquer le signum Ionius, ‘Ionien’, qu’il partage avec son fils54.
14La mention de Salacia a également retenu l’attention des commentateurs. Sur la foi d’un commentaire tardif, I. Piso, l’éditeur de l’inscription, proposait de la rapprocher de la sphère de Vénus, mais il s’appuie sur des spéculations relativement tardives55. Quelques inscriptions plus contemporaines de notre dédicace ont été retrouvées dans les régions illyriennes, notamment à Vienne, en Pannonie Supérieure, où un autel mentionne cette divinité aux côtés de Neptune, des Nymphes et du fleuve Acaunus ; ces témoignages confirment qu’elle était bien identifiée comme une divinité des eaux étroitement associée à Neptune, conformément à une tradition romaine56. Dans les sources textuelles, Salacia apparaît néanmoins comme une divinité relativement oubliée ; sa présence dans la dédicace de Q. Axius Aelianus donne une connotation savante à la liste. G. Alföldy replace les mentions de cette déesse dans un phénomène plus diffus de “revival” d’anciennes divinités romaines, propre selon lui aux régions de l’Illyricum et qui serait le fruit d’une politique impériale délibérée57. Sans entrer dans une discussion qui dépasserait de beaucoup l’ambition de cette contribution, on retient que les principaux vecteurs de ce “revival” sont les représentants du prince, gouverneurs, procurateurs et officiers militaires. De fait, sans nécessairement appliquer une politique religieuse, ils participent à la diffusion d’une culture d’empire, renforcée par les dynamiques propres de leur mobilité ; cette culture se nourrit également du bilinguisme, qui peut se manifester dans l’expression de leur piété. Le praetorium de Sarmizégétuse, bien que partiellement fouillé, a offert une moisson d’autels votifs et de dédicaces de procurateurs tout à fait emblématique de ce point de vue et comparable à d’autres contextes ; on peut aisément expliquer les divinités qu’ils honorent par leur mobilité professionnelle, mais également par les dynamiques culturelles sous-jacentes58.
15Dans cette perspective, on pourrait expliquer la séquence onomastique Venus ubique par un décalque du grec πανταχοῦ “partout”, que l’on trouve dans une dédicace de l’Asklépéion de Pergame “aux dieux qui sont partout”59 ; le terme fait également écho à une formulation employée par le fils de notre procurateur dans une dédicace en grec à Apollon Grannus, “toujours et partout à l’écoute”60. Vénus “(qui est) partout” est peut-être la désignation sous une forme latine d’une puissance divine connue sous d’autres noms en grec, Aphrodite ou encore Isis. Mais plus que le signe d’une interpretatio à lire dans une perspective identitaire, il faut sans doute y voir le produit d’une paideia commune, renforcée par un bilinguisme largement partagé par les fonctionnaires impériaux61. La dénomination de Vénus apparaît également comme la marque d’un procédé d’emphase qui vise à exalter l’étendue du champ d’action de la divinité. Un procédé similaire, soulignant l’intensité de la relation que le dédicant établit avec la puissance divine, est perceptible dans les dédicaces du fils, qui, dans l’une, en grec, qualifie Asklépios et Hygie de “dieux qui aiment les hommes” (θεοῖς φιλανθρώποις) tandis que dans l’autre, en latin, aux mêmes dieux, il renforce le formulaire usuel d’acquittement de vœu par l’expression explicite de sa gratitude (cum gratulatione)62.
16L’insertion de Vénus dans cette liste divine semble donc relever d’un savoir théologique étroitement associé à une expérience personnelle du divin ; la pietas de Q. Axius Aelianus repose sur sa capacité à reconnaître l’action de la divinité, à lui donner une identité précise et à replacer son action dans la logique analytique de l’énoncé rituel. Qu’il utilise les ressources d’une paideia savante pour rendre compte de cette expérience singulière invite sans doute à examiner, dans un cadre plus large, celui de l’empire, des phénomènes bien étudiés pour la partie hellénophone de l’empire63.
Vénus sur ses terres : la constitution d’un réseau articulé autour d’une divinité
17S’il n’est pas le plus original, le dossier pompéien offre l’avantage de pouvoir explorer un réseau polythéiste dans un espace et un temps circonscrits, celui d’une cité dans les décennies centrales du ier siècle p.C. Vénus y tient une place particulière, à la fois comme déesse tutélaire de la colonie romaine, comme l’indique la nomenclature officielle de la cité, Colonia Cornelia Veneria Pompeianorum, mais aussi comme divinité ancestrale, dont les origines osques ont été récemment remises en valeur64. Veneris sedes, “demeure de Vénus”65, Pompéi fournit toutefois une documentation contrastée sur cette divinité. Certes, elle y est très présente, qu’elle soit invoquée par des graffiti plus ou moins licencieux, figurée avec éclat sur les façades de boutiques, ou plus discrètement abritée dans les maisons sous la forme de gracieuses statuettes ; pourtant son culte public reste encore mal connu66. Sans doute la raison tient-elle en partie à l’état même de son sanctuaire, situé près de la porte Marine : en pleine restructuration au moment de l’éruption, en 79 p.C., il a fait l’objet d’importantes déprédations – et ce sans doute dès l’Antiquité67. Les fouilles de la fin du xixe siècle n’avaient guère permis de mettre en lumière son fonctionnement68 ; récemment, de nouvelles fouilles, menées sous la houlette de différentes équipes internationales de recherche, ont contribué à réviser les interprétations traditionnelles, sans réussir encore à éclaircir totalement la chronologie et l’agencement de l’ensemble69. C’est à l’occasion d’une campagne de fouilles, en 2006, qu’a été mis au jour un ensemble d’inscriptions révélant le nom de plusieurs divinités associées à l’entourage de la déesse dans son sanctuaire. Parallèlement, plusieurs études, sur la vie religieuse de la cité70, ses sanctuaires71 ou sur l’iconographie de la déesse72, ont posé les jalons permettant de préciser les facettes de la Vénus honorée par les habitants de Pompéi, non pas au seul prisme d’une impossible généalogie avec une déesse ancestrale, mais à travers de multiples connexions divines dont témoignent encore les vestiges figés de la cité.
18La popularité de Vénus à Pompéi est d’abord attestée par le corpus épigraphique. Deux épithètes ont été privilégiées par les chercheurs pour rendre compte de l’identité spécifique de la Vénus de Pompéi : Pompeiana et Fisica. Si la première peut désigner aussi bien la déesse locale que celle des colons syllaniens, elle n’est connue que par des graffiti, de diverses natures (électoraux, et surtout érotiques). L’épiclèse Fisica, également attestée à Grumentum dans un contexte culturel assez similaire, a retenu l’attention des commentateurs. S’agit-il d’un terme osque – sa signification échappe en partie – ou d’une transcription du grec φυσική, comme le soutenait Schilling73? Cette épiclèse, si elle participe incontestablement à l’identité locale de Vénus, n’est toutefois attestée que dans deux graffiti et une dédicace perdue à Jupiter Optimus Maximus74 ; il n’est pas certain pour autant qu’elle ait été l’épiclèse officielle du culte public de Vénus. On notera par exemple que la titulature des prêtresses, souvent elliptique, donne le titre de sacerdos Veneris sans autre épithète75. Au final, les graffiti qui invoquent simplement Vénus sont plus nombreux que ceux qui lui donnent une épithète spécifique76.
19L’appellation de Vénus Pompeiana a par ailleurs été réservée dans la littérature scientifique à un type iconographique particulier connu uniquement à travers des peintures. La déesse y est représentée vêtue d’une tunique et d’un lourd manteau souvent bleu, coiffée d’un diadème (parfois d’une couronne crénelée) et souvent parée de bijoux, tenant un timon et un sceptre ou un rameau d’olivier ; elle est toujours accompagnée de Cupidon tenant un miroir (fig. 2). Rapportées à l’ensemble du corpus pictural pompéien, les cosidette Vénus Pompeiana ne représentent qu’une portion assez réduite de l’ensemble des représentations de la divinité77. On a voulu y voir le reflet d’une statue de culte, et il est vrai que ces représentations peintes sont souvent situées à proximité de laraires ou d’édicules78. Un timon de bronze, attribut de la déesse propre à Pompéi, a été retrouvé dans les premières fouilles du temple, mais une des rares représentations de la déesse attestée dans son temple public est une statuette de facture assez banale représentant Vénus au bain accompagnée d’un petit autel79 (fig. 3), d’un type assez semblable à la statue en marbre de la même divinité hébergée dans le temple voisin d’Apollon80 ou à la statuette abritée dans le portique sud du temple d’Isis81. Sans nier l’intérêt de ces éléments pour saisir certains traits de la divinité, on doit souligner que dans l’environnement visuel des Pompéiens, son image était non seulement plurielle, mais relevait majoritairement d’une iconographie largement diffusée.
Le temple de Vénus : contexte et enjeux interprétatifs
20Le grand sanctuaire de Vénus fut, paradoxalement, l’un des derniers temples urbains de Pompéi à être identifié, à la toute fin du xixe siècle82. Peu d’éléments pourtant appuient dans un premier temps l’identification, à part la statuette de Vénus déjà citée. C’est plutôt l’ampleur de l’édifice – un temple sur podium entouré d’une porticus triplex – et son emplacement – sur une terrasse en surplomb du fleuve et tourné vers le littoral –, qui conduisent A. Mau à y voir le temple de Vénus.
21Pendant longtemps, la construction du sanctuaire a été datée en fonction de la fondation de la Colonia Cornelia Veneria Pompeianorum, au premier quart du ier s. a.C. ; elle fut suivie d’une importante restructuration à l’époque julio-claudienne, dont témoignent de nombreux vestiges architecturaux. Au début des années 2000, deux équipes de fouilles travaillent concurremment sur le site du sanctuaire et l’interprétation de leurs travaux est pour le moins contrastée. Si l’équipe anglo-saxonne de l’université de Sheffield propose de dater les travaux de terrassement destinés à supporter le temple à podium et ses portiques du milieu du ier s. a.C., en restant très prudente sur les structures antérieures, E. Curti, qui dirige le chantier de l’université de Basilicate (Matera) propose une séquence chronologique beaucoup plus complexe : une phase archaïque (vie s. a.C.) décelable à travers du matériel céramique conservé dans des dépôts, une phase samnite (iv-iie s. a.C.) avec un sanctuaire organisé autour d’une cour ; mais surtout, il propose de dater la véritable monumentalisation du sanctuaire, sur le modèle des temples à terrasses hellénistiques, à la fin du iie s. a.C., vers 130-120 a.C., soit avant la fondation de la colonie ; au milieu du ier siècle a.C., ne serait intervenue qu’une simple restructuration affectant la décoration architecturale du temple et l’aménagement de la terrasse antérieure. Il place à la fin de l’époque augustéenne une dernière restructuration (renouvellement de la décoration architecturale, rehaussement de l’autel), tandis que M. Carroll, suivant des travaux antérieurs, la place entre 20 et 30 p.C. L’ensemble est affecté par le tremblement de terre de 62 p.C. et d’amples travaux, affectant les fondations même du temple et les soubassements de la terrasse, étaient en cours au moment de l’éruption du Vésuve.
22Au-delà des divergences sur la chronologie de l’édifice83, les objectifs des deux équipes reposent sur des postulats différents, liés à l’identité même de la divinité titulaire du sanctuaire, Vénus. Pour M. Carroll, il s’agit de chercher les traces d’un “bois sacré” (on parlera plutôt d’un jardin …), composante d’autant plus attendue selon elle dans le sanctuaire d’une divinité “étroitement associée avec la fertilité”84 ; la présence de fosses régulières, certaines pourvues de pots au fond percé selon un dispositif attesté dans les jardins de Pompéi, devant la colonnade du portique à l’est et au nord, est venue conforter ce postulat. Malgré l’absence de restes végétaux, elle propose de restituer plusieurs plantes associées à Vénus dans les textes : myrte, rose, laurier. Si ce type de sanctuaire “paysager” n’est pas sans parallèles – on pensera pour Rome aux portiques du théâtre de Pompée ou, plus tard, au temple de la Paix, est-il pour autant propre à Vénus ? Le dispositif semble d’ailleurs disparaître lors de la restructuration du sanctuaire au début du ier s. p.C. Pour E. Curti, ce n’est pas une Vénus gardienne des jardins qu’il faut chercher, mais la divinité ancestrale, pré-romaine, d’où l’attention portée aux vestiges attestant de phases antérieures. Suivant l’hypothèse déjà formulée par F. Coarelli, il rapproche la Vénus pompéienne de la déesse osque Mefitis, également pourvue de l’épiclèse Fisica à Grumentum85 ou d’une autre déesse samnite, Herentas, dont le culte à Herculanum était assimilé à celui de Vénus Érycine86. Néanmoins pour étayer son hypothèse, il est obligé de s’appuyer sur une identité divine largement constituée à partir d’éléments trouvés dans d’autres contextes, tous plus tardifs. Comme on l’a déjà vu, il n’est pas du tout certain que Fisica ait été l’épiclèse officielle du culte public de Vénus. Le lien qu’il établit entre Vénus et un éventuel port est par ailleurs en grande partie fondé sur l’iconographie locale de la déesse à l’époque impériale, avec pour attribut un gouvernail, à l’instar de Fortuna. Cette iconographie est, on l’a vu, attestée par quelques fresques en contexte domestique ou semi-public (façades de boutiques) ; une fresque de la Domus de Lesbianus et Numicia Primigenia (I.13.9) la met en scène par exemple sur un bateau, guidant les marins. Mais c’est une autre fresque fameuse qui est utilisée par Curti à l’appui de sa démonstration, celle de la façade de l’atelier de Verecundus (IX, 7, 5-7), figurant la déesse sur un quadrige en forme de bateau tiré par quatre éléphants (fig. 2).
Vénus et ses hôtes en son sanctuaire pompéien : un réseau articulé autour de la déesse
23Un ensemble d’inscriptions retrouvées lors des fouilles de 2006 apporte un nouvel éclairage sur l’apparat statuaire du sanctuaire et par là sur l’entourage divin de la Vénus poliade. Six fragments de plaques de marbre de Carrare ont en effet été retrouvés dans une décharge de matériel provenant de la phase julio-claudienne du sanctuaire ; chacun porte le nom d’une divinité au nominatif, ce qui incite à y voir des tituli identifiant des statues qui devaient se trouver soit dans les portiques, soit dans la cella du temple (fig. 4). La hauteur variable des lettres (de 4 à 5 cm) ainsi que la paléographie des inscriptions montrent qu’elles ne sont pas toutes de la même main et devaient s’étaler dans le temps, même si elles s’inséraient probablement dans un ensemble cohérent. Elles ne forment pas un cycle clos, mais un réseau ouvert, d’autres divinités dont le titulus n’a pas été conservé complétant peut-être l’ensemble. On peut les comparer à un ensemble, plus tardif il est vrai, composé de bases de statues divines dédiées dans le temple des Augustales de Misène ; le nom des divinités représentées y apparaît également au nominatif, mais il est accompagné d’une dédicace à Auguste et du nom des dédicants. Les statues se trouvaient dans la cour devant l’aedes, parmi d’autres statues honorifiques, dans une position clairement subordonnée ; leurs dédicaces s’échelonnent dans le temps, mais semblent obéir à une pratique homogène87. À Pompéi, les inscriptions sont gravées sur des plaques de marbre de 2,5 à 4,5 cm d’épaisseur, mais la nature fragmentaire des supports ne permet pas d’en reconstruire la disposition initiale (plaque insérée dans un mur, sous une niche ou revêtement de base maçonnée).
24Cinq noms de divinités sont parfaitement identifiables malgré quelques lacunes :
[Cu]pido.
Virtus Veneris.
Liber P[ater].
Mater Magn[a].
Opis.
25Un dernier fragment porte le nom de Vénus au génitif, que l’on a proposé de restituer, par parallélisme avec Virtus en [Honos V]eneris88.
26La présence de Cupidon ne surprend pas, tant il est étroitement attaché à la figure de Vénus à Pompéi, comme dans d’autres contextes cultuels89. On peut supposer qu’une statue le représentant figurait aux côtés de Vénus dans la cella, si l’on en juge par sa présence sur un petit piédestal dans les peintures identifiées comme celles de Vénus Pompeiana. L’association d’Honos et Virtus avec Vénus paraît plus inhabituelle. E. Curti établit un lien avec le culte de Vénus Victrix instauré par Pompée à Rome ; on sait en effet par les Fastes d’Amiternum que le jour du dies natalis du temple, le 12 août, on célébrait également Honos et Virtus, ainsi que la Felicitas90. Cette référence à Pompée peut néanmoins paraître curieuse dans le cadre du sanctuaire de Pompéi reconstruit à la fin de l’époque augustéenne. Certes, Auguste avait habilement restauré le monument de Pompée, mais il avait également promu le culte d’Honos et Virtus, déjà anciennement implanté à Rome, en instituant des jeux, dont le succès est attesté dans plusieurs cités d’Italie91. La diffusion du culte d’Honos et Virtus dans l’empire, notamment en Afrique, l’existence de collèges de ces mêmes divinités dans des colonies de Narbonnaise avaient conduit S. Demougin et M. Christol à mettre ce culte en rapport avec la présence de vétérans92 ; le culte d’Honos a d’ailleurs peut-être été implanté en Campanie dès l’époque de Marius93. Le culte de ces deux “personnifications” divines se prête aisément à des connexions au génitif, que ce soit pour célébrer les qualités des empereurs ou d’une collectivité94. Dans ce dernier cas, la mention d’Honos et Virtus n’est pas nécessairement liée à l’exaltation d’anciennes vertus militaires, mais également à l’évocation des charges municipales dans le cadre politique local, comme le montre la formule honoris et uirtutis causa employée dans certaines inscriptions honorifiques95. À Pompéi, quelques graffiti électoraux attestent que le patronage de Vénus pouvait être revendiqué lors des élections, sans établir de lien explicite cependant avec Honos et Virtus96. La relation induite par la dédicace de statues à Honos et Virtus Veneris, “à la dignité et la vaillance de Vénus”, peut paraître surprenante de prime abord ; mais l’analyse des sources littéraires montre que la déesse patronne justement le pouvoir contraignant lié à l’exercice de l’imperium, le pouvoir souverain, comme celui de Jupiter chez Virgile, et plus concrètement également celui des imperatores97. Le lien entre Vénus et Jupiter Optimus Maximus est d’ailleurs attesté à Pompéi par une dédicace probablement datable du règne de Néron98. L’association entre Vénus, Honos et Virtus, pourrait donc reposer sur des traditions antérieures à l’époque augustéenne, remontant peut-être à la fondation de la colonie syllanienne, composée de vétérans ; dans le contexte local, elle peut renvoyer à la tutelle de la déesse sur certains aspects de la vie politique, notamment à l’occasion des campagnes électorales.
27La présence de la Mater Magna et de Liber Pater dans le temple de Vénus est à cet égard plus attendue et peut s’expliquer par des connexions déjà bien mises en lumière dans le contexte local. Les liens entre Liber Pater et Vénus ont été notamment récemment réévalués à partir de l’étude du sanctuaire suburbain du dieu au lieu-dit Sant’Abbondio99 ; la parèdre féminine du dieu représentée sur le fronton d’époque samnite emprunte en effet une iconographie proche de celle de Vénus/Aphrodite. À l’époque julio-claudienne, les fresques des façades de la rue de l’Abondance, notamment celles de l’atelier de Verecundus, font voisiner les figures de Vénus, de la Mater Magna et de Dionysos, illustrant à la fois des identités collégiales et professionnelles et l’activation de ces réseaux divins à l’occasion de fêtes publiques et de rituels comme les processions100. Comme le souligne W. Van Andringa, les inscriptions du temple de Vénus témoignent de choix de la part des autorités locales qui font écho à la politique de restauration religieuse d’Auguste ; Honos et Virtus, la Mater Magna ou Ops sont effectivement des cultes anciens revalorisés par Auguste. Mais ces choix sont sélectifs et s’inscrivent profondément dans le contexte local101. L’association, aux côtés de Vénus et de Liber Pater, de la déesse Ops, qui patronne l’abondance102, peut ainsi être mise en regard d’un autre enjeu de la vie de la collectivité, plus économique, celui de la culture de la vigne et des productions agricoles plus généralement. Une dédicace à Vénus, Liber Pater et Hercule provenant d’une ferme située à Boscoreale témoigne, parmi d’autres, de l’importance de ces réseaux tissés au quotidien, dans l’univers domestique, entre les divinités tutélaires honorées par les Pompéiens103. On sait par ailleurs qu’à Rome, à l’époque augustéenne, Ops était étroitement associée à Cérès, avec laquelle elle partage un domaine d’action évident104. Or le culte de Vénus à Pompéi entretient un lien ancien, sans doute lié au contexte italique, avec celui de Cérès, au point que leurs prêtrises ont pu, à un moment donné, être associées105. La présence d’Ops dans le sanctuaire peut aussi s’expliquer sans doute par le voisinage étroit entre ces deux cultes. Les différents hôtes divins du sanctuaire de Vénus permettent de comprendre l’ensemble des domaines d’action de la déesse, des élections aux vendanges, auxquels ils apportent un concours efficace.
28Ces deux dossiers offrent donc l’occasion de repenser Vénus à travers l’activation de réseaux relationnels de nature différente. Sans révolutionner la perception que nous pouvons avoir de cette puissance divine, ils permettent néanmoins d’éclairer les mécanismes d’association inhérents au fonctionnement d’un système de pensée polythéiste et leurs dynamiques. Dans ces deux cas, le rôle de la culture visuelle des Anciens notamment mérite sans doute d’être réévalué. Il me semble ainsi que l’association de Vénus avec Neptune et Salacia dans le premier dossier s’explique aussi par la familiarité des décors balnéaires, même si les connexions établies par le dédicant se nourrissent à l’évidence d’une culture lettrée. À Pompéi, la conservation exceptionnelle des décors peints, y compris dans les espaces du quotidien, permet de mieux saisir des voisinages signifiants, mais aussi les hiérarchies des réseaux divins induites par leur insertion dans l’espace.
Notes de bas de page
1 Par exemple Schilling [1954] 1982 ; Schilling & Freyburger 2017 ; Bolder-Boos 2015 ; Scheid 2017b et plus généralement Belayche & Lehman 2017.
2 Voir Pirenne-Delforge 1994, Pironti 2010. Pour le monde romain, voir par exemple Thibaut 2008.
3 Cf. les remarques de Pirenne-Delforge & Pironti 2017 à propos de l’image d’Aphrodite dans l’œuvre de R. Schilling. Voir également Bolder-Boos 2015 sur l’influence des divinités italique et phénicienne, Méfitis et Astarté.
4 Bonnet et al. 2016.
5 Rives 1994.
6 Vernant [1965] 1974, 79.
7 Voir Belayche et al. 2005 et Belayche 2017.
8 Scheid [1998] 2017, 154.
9 Pour le rapprochement avec uenia, voir le témoignage de Servius Danielis, Commentaire à l’Enéide, 1.720 : Nam Venerem uocari quidam propter promptam ueniam dicunt. Alii Suadam appellant, quod ipsa conciliatio Suada sit, “Certains disent en effet que Vénus tire son nom de sa disposition à accorder sa faveur. D’autres l’appellent Suada (déesse de la Persuasion) parce que la persuasion elle-même est conciliation”. Pour l’ensemble du dossier, voir Schilling [1954] 1982, 39-42, 47-51, 250 ; Dumézil 1969, 246-252 et Scheid 2017.
10 Servius Danielis, Ibid. Un érudit de l’époque impériale, Cornélius Labéon, aurait même dressé une liste de 300 épiclèses de Vénus (Cornelius Labéo, fr. 4 Mastandrea). Sur ce passage du Servius Danielis, voir le commentaire exhaustif de Lhommé 2012.
11 Cf. Lactance, Institutions divines, 1.20.27 : Urbe a Gallis occupata, obsessi in Capitolio Romani, cum ex mulierum capillis tormenta fecissent, aedem Veneri Caluae consecrarunt. Non igitur intelligunt, quam uanae sint religiones, uel ex eo ipso, quod eas his ineptiis cauillantur, “alors que Rome était occupée par les Gaulois, les Romains assiégés sur le Capitole, parce qu’ils avaient fait des cordages avec les cheveux de leurs femmes, consacrèrent un temple à Vénus la Chauve. Ils ne comprennent donc pas combien sont vaines leurs croyances en cela même qu’elles font rire de leur sottise”. Cf. Augustin, Lettre 17.2. L’épisode est bien attesté dans la tradition littéraire, cf. RE VIII A1, s. u. Venus, col. 828-887 Koch et Börztler 1928.
12 Servius Danielis, 1.720 : Est et Venus Calua ob hanc causam, quod cum Galli Capitolium obsiderent et deessent funes Romanis ad tormenta facienda, prima Domitia crinem suum, post ceterae matronae imitatae eam exsecuerunt, unde facta tormenta, et post bellum statua Veneri hoc nomine collocata est ; licet alii Caluam Venerem quasi puram tradant, alii Caluam, quod corda amantum caluiat, id est, fallat atque eludat. Quidam dicunt porrigine olim capillos cecidisse feminis et Ancum regem suae uxori statuam caluam posuisse ; quod constitit piaculo ; nam post omnibus feminis capilli renati sunt. Vnde institutum ut Calua Venus coleretur (traduction Lhommé 2012).
13 Ici Calua est dérivé d’un verbe vieilli, caluio ; dans les sources latines, on trouve plutôt la forme caluor.
14 La signification de pura est peut-être tirée de la transcription d’une forme ancienne du grec kalos, voir Thompson Clarke 1988.
15 Dans la Souda (éd. Adler I, p. 434, A 4653), l’épidémie qui rend les femmes chauves est associée à une statue de Vénus tenant un peigne ; voir Börztler 1928, 189-190 et Lhommé 2012, 347-348. La substitution du miroir, attribut habituel de la déesse, par le peigne ouvre à un questionnement sur son identité. Sur le statut de l’attribut comme “canal de communication vers un savoir partagé”, voir Bettini 2016c.
16 Voir Apulée, Métamorphoses, 2.8.5 : licet inquam Venus ipsa fuerit, licet omni Gratiarum choro stipata et toto Cupidinum populo comitata et balteo cincta, cinnama fraglans et balsama rorans, calua processerit, placere non poterit nec Vulcano suo, “elle pourrait bien être Vénus elle-même, s’entourer de tout un cortège de Grâces et du peuple tout entier des Amours, se parer d’une ceinture, sentir le cinnamome et embaumer le parfum, qu’elle s’avance chauve, elle ne pourra plaire, même à son Vulcain”.
17 Cf. la démonstration faite à propos de Janus par Belayche 2017.
18 Vernant [1965] 1974, en particulier p. 86 : “une puissance divine n’a pas réellement d’‘existence pour soi. Elle n’a d’être que par le réseau des relations qui l’unit au système divin dans son ensemble. Et dans ce réseau, elle n’apparaît pas nécessairement comme un sujet singulier, mais aussi comme un pluriel : soit pluralité indéfinie, soit multiplicité nombrée”. C’est sur cette analyse que s’appuie par exemple le récent volume Bonnet et al. 2017 ; en particulier, pour une remise en contexte de la pensée de Vernant, Pirenne-Delforge & Scheid 2017.
19 Lemercier 2005. Sur l’utilisation de l’analyse de réseaux pour l’empire romain et en particulier les changements religieux, voir par exemple Woolf 2015.
20 Traits dont se joue plaisamment Lucien de Samosate dans son Assemblée des dieux.
21 Sur la “triade” d’Héliopolis-Baalbek, voir en particulier Hajjar 1977. Pour une critique de cette prétendue triade, voir en dernier lieu Hošek 2011, § 17-21 et, surtout, ead. 2012, 430-469.
22 Il s’agit de dédicaces faites par des Romains, en général des représentants de l’administration impériale en poste dans des provinces : AE, 1973, 294 (Lugo, en Espagne Citérieure) ; CIL, II, 2407 (Caldas de Vizela, Espagne Citérieure) ; AE, 1998, 1101 (Sarmizégétuse en Dacie).
23 Sur le personnage et sa carrière, PIR2, A 1688. Il a laissé au moins six autres dédicaces : CIL, III, 1422 = IDR, III, 2, 206 ; CIL, III, 1423= IDR, III, 2, 244 ; CIL, III, 74* = IDR, III, 2, 191 ; AE, 1998, 1100 ; AE, 1982, 828 ; AE, 1998, 1101. On peut ajouter au dossier trois dédicaces faites par son fils, Q. Axius Aelianus junior (AE, 1983, 833 = SEG, 33, 589 ; CIL, III, 7899 = IDR, III, 2, 158 et CIL, III, 6813= IDR, III, 2, 157).
24 AE, 1998, 1101= Piso 1998, n°14, 266 : Aesculapio/ Saluti, Epionae/ Veneri ubique,/ Neptuno, Salaciae/ Cupidinibus,/ Fontibus, Aquis/ Q(uintus) Axius Aelia/nus u(ir) e(gregius) proc(urator) Aug[[g(ustorum)]]/ Ioni.
25 Si Salus peut être employé pour désigner Hygie, la fille d’Esculape (à Sarmizégétuse même, voir AE, 1983, 837), la mention d’Epionè, l’épouse du dieu, est beaucoup plus rare. C’est la seule attestation dans l’épigraphie latine ; dans les inscriptions grecques, Epionè n’apparaît qu’à Athènes (IG, II2, 4473), Épidaure (IG, IV2, 1, 126 et 384), Pergame (IvP, III 72) et Cos (IG, XII, 4, 1, n. 71, 81, 246 et 311).
26 Sur le couple formé par Neptune et Salacia, voir Dumézil 1973, 77-82. Neptune patronne toutes les eaux, cf. Servius Danielis, ad Aen., 1.12 : antiquissimi libri ‘fudit aquam’ plerique habuerunt, quoniam Neptunus fluminibus et fontibus et aquis omnibus praeest. Cf. en Italie, les aquae Neptuniae situées près de Terracine (Liv. 39.44.6). Sur la différence entre fontes et aquae, voir Piso 1998, 266 ; Scheid, 2007-2008, 14.
27 CIL, III, 1423= IDR, III, 2, 244 (à la triade capitoline et aux dieux immortels – faite avec son épouse) ; AE, 1982, 828 (au Génie de la colonie de Sarmizegetusa) ; CIL, III, 1422 = IDR, III, 2, 206 (à Fortuna redux, au Lar uialis et à Roma Aeterna – faite avec son épouse) ; pour le commentaire, voir Scheid 1998, 267-270. Axius Aelianus est également amené à remplacer le gouverneur lors de sa procuratèle, cf. Piso 1998, 267.
28 AE, 1998, 1100 (à Mithra inuictus, Mars Camulus, Mercure, Rosmerta) ; pour sa carrière, voir CIL, III, 1456 = IDR, III, 2, 89.
29 CIL, III, 74* = IDR, III, 2, 191 (à Apollon Grannus et Sirona, dieux présents); les dédicaces du fils sont en latin : CIL, III, 7899 = IDR, III, 2, 158 : [Aesculapio]/ [et Hygiae]/ Q(uintus) Axius Ae/lianus iuni/or uotum pro/ patris inco/lumitate suscep/tum cum gratula/tione libens sol/uit Ioni Ionius ; et en grec : D. 3849a = IGR, I 546 = IDR, III, 2, 157 : Ἀσκληπιῷ καὶ | Ὑγιείᾳ θεοῖς | φιλανθρώποις | Ἄξιος Αἰλιανὸς | ὁ νεώτερος εὐ|χαριστήριον | Ἰόνιος ; AE, 1983, 833 = SEG, 33, 589 : θεῷ Γράννῳ | Ἀπόλλωνι αἰεὶ | καὶ πανταχοῦ | ἐπηκόῳ Ἄξιος | Αἰλιανὸς ὁ | νεώτερος | εὐχαριστήριον |Ἰόνιος.
30 Scheid 1998 ; Van der Ploeg 2018, 166-244. Cf. à Apulum, en Dacie, la présence d’Esculape dans un ensemble de divinités remerciées en ex-voto par un tribun militaire pour le bon déroulement de son affectation : Dis Penatibus Lari/bus Militaribus Lari / Viali Neptuno Saluti / Fortunae Reduci / (A)esculapio Dianae / Apollini Herculi / Spei Fa(u)ori (AE, 1956, 204 = IDR, III, 5, 299). Sur ce texte, voir l’article de Berthelet, Van Haeperen, dans ce volume.
31 CIL, III, 1566= IDR, III, 1, 67.
32 CIL, III, 1561 = IDR, III, 1, 55 : Aesculap(io)/ et Hygiae/ pro salute Iuniae/ Cyrillae quod a/ longa infirmita/te uirtute aqua/rum Numinis sui/ reuocauerunt / t(utor) b(onis) a(dministrandis) eius u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito). Cf. Piso 1998, 266, n. 56 et 57, avec d’autres exemples. En revanche l’inscription CIL, III, 12597 (Sarmizégétuse) est trop lacunaire pour attester de l’existence de Fontes associées à Aesculapius et Hygia (plus vraisemblablement Fo[rtunae], /Aesc[ulapio et]/H[ygiae…]).
33 Antal Băeştean 2018, 326-327. Plus généralement sur la distinction à faire entre les implantations thermales et les lieux de culte, voir Scheid 1992 et Scheid et al. 2015.
34 CIL, VI, 15258 : Balnea, uina, Venus corrumpunt corpora nostra, sed uitam faciunt balnea, uina, Venus. Cf. Kajanto 1969. Mais il faut certainement distinguer la pratique ordinaire des bains (balnea) de celle des thermes curatifs, pour lesquels la mention de fontes et d’aquae est plus pertinente.
35 Antal 2014, 39. Des statuettes en terre-cuite de Vénus ont certes été retrouvées dans le sanctuaire d’Esculape et Hygie à Sarmizégétuse (voir Antal 2014, 40), mais la diffusion de ce type de matériel dans d’autres contextes, cultuels et non cultuels, ne permet pas d’en faire un marqueur spécifique.
36 Scheid 1999.
37 Dunbabin 1989, sur la présence de ces figures divines dans la décoration des thermes, 24-32, plus particulièrement p. 28 pour la citation.
38 Sur le thermalisme et ses formes, Scheid et al. 2015 ; sur les sanctuaires et les pratiques cultuelles associés à des sources, en Gaule, Scheid 1992 ; en Italie, Bassani et al. 2013, notamment Buonopane & Petraccia 2013.
39 Pirenne-Delforge 2009, 458-459. Cf. le célèbre tableau d’Apelle représentant Aphrodite Anadyomède conservé dans le temple d’Asklépios à Cos, avant d’être transféré à Rome sous César, cf. Strabon, 14.2.19.
40 CIL, II, 2407 (Caldas de Vizela, Espagne Citérieure) : [Iunoni] / Reginae / Miner/uae Soli / Lunae di/{i}s Omni[p]o[t(entibus)] / Fortuna[e] / Mercur/i[o] Genio Io/uis Genio/ Martis // [A]escula/pio Luci / [S]omno / [V]eneri / [C]upidini / [C]aelo HI / [---]OIBVS // [Cer]er[i] / [G]en(io) Vict/oriae Ge/nio meo / di{i}s sed/is perp[etu]/ae(?) [e]t mor[tis?] // [---]IAII[---] / C C C / R C O S / CINNS / GL. À proximité se trouve un sanctuaire au dieu Bormanicus, patronnant des sources d’eaux chaudes, mais on ne sait pas si l’inscription en provenait.
41 Sur Somnus associé au culte d’Esculape, voir CIL, XII, 354 (Riez) ; en Grèce, Pausanias (II, 10, 2) parle d’une statue d’Hypnos dans l’Asklépéion de Sicyone. Sur le culte d’Hypnos/Somnus et les rituels d’incubation, un dossier exhaustif a été rassemblé par Renberg 2017, 677-688.
42 Certains commentateurs ont voulu y voir des réminiscences littéraires, mais sans emporter l’adhésion.
43 L’expression somno monitu apparaît dans plusieurs dédicaces à Esculape et Hygie ; des lampes ont été retrouvées en grand nombre dans certaines pièces du sanctuaire de la colonie, voir Schäfer 2007, 67 ; Varga 2015 ; Antal Băeştean 2018, 327.
44 Pour l’association avec d’autres divinités en contexte incubatoire, voir par exemple CIL, III, 1614 = IDR, III, 5.1, 220 : I(oui) O(ptimo) M(aximo) D(olicheno)/ ex praecepto/ Num(inis) Aesculapi/ somno monit(us)/ Veturius Marci/an(us) ue(teranus) l(egionis) XIII G(eminae) p(ro) s(alute) s(ua) suor(um)q(ue). On notera toutefois que dans le livre V de L’interprétation des rêves d’Artémidore, dans un contexte plus général que celui de l’incubation, Aphrodite/Vénus est parmi les divinités les plus présentes en rêve, après Sérapis et Asklépios.
45 Comme le dépeint magnifiquement le prologue du De natura rerum de Lucrèce, 1.1-43.
46 À titre de comparaison, la tutelle de Vénus sur l’approvisionnement en eau a été suggérée à Pompéi par la récurrence de ses représentations associées à celles de dieux fleuves dans certains lararia à proximité de citernes ou encore dans le Castellum Aquae, cf. Brain 2018, 265-267.
47 Sur le dossier des attestations épigraphiques de Salacia, voir Alföldy 2011.
48 On peut difficilement s’appuyer sur le parallèle offert par un graffito pompéien faisant la réclame pour une taverne, CIL, IV, 7384.
49 IG, XII, 4, 1, nn. 71, 81, 286, 31 ; IG, XII, 4, 2, n. 644.
50 IvP III, 72 (Ier s. p.C.).
51 Cf. CIL, III, 1417a = D. 3854 = IDR, III 2, 164 : Aescul(apio) Pergam(eno) / et Hygiae / sacrum / C(aius) Spedius Hermias / flamen col(oniae) Sarm(izegetusae) / pos(uit) ; Antal & Băeştean 2018, 326.
52 Sur les 28 inscriptions mentionnant Esculape à Sarmizégétuse, les trois quarts concernent Esculape et Hygie, trois seulement Esculape seul et deux Esculape et Salus, l’autre inscription étant due au prédécesseur d’Axius Aelianus, le procurateur Marcus Lucceius Felix, en poste entre 222 et 235 p.C., cf. AE, 1983, 837 : [Aescu]lapio et / [S]aluti / [M(arcus) Luc]ceius Felix / [pro]c(urator) Aug(usti) n(ostri).
53 Pflaum 1950, 851-854, supposait pour Axius Aelianus une origine italienne ; Piso 1983 penche pour une origine de Gaule Narbonnaise sans exclure une origine grecque ; Alföldy 2011 pense qu’il s’agit plutôt d’un Grec. À propos du fils, voir Τουλουµάκος 1996, 47-48. La carrière, essentiellement administrative et financière, d’Axius Aelianus s’est déroulée en Occident (Italie, puis Maurétanie Tingitane et Gaule Belgique avant la Dacie) et son gentilice plaiderait plutôt pour un Italien, peut-être un Campanien.
54 Sur la signification, complexe, de ce type de dénomination, voir Wuilleumier 1933, en particulier p. 612 où l’A. associe le sobriquet Ionius à une épiclèse d’Apollon, donc à une identité religieuse. Voir contra Kajanto 1969, 70-71, plutôt pour une origine géographique. On note toutefois que ce signum n’apparaît pas dans toutes les dédicaces de Q. Axius Aelianus : cf. CIL, III, 73 = IDR, III, 2, 191 (à Apollon Grannus et Sirona) et AE, 1982, 828 (au Génie de la colonie).
55 Piso 1998, 267, s’appuyant sur Servius Danielis, ad Aen., 1.720, cité supra n. 9 qui fait de Salacia une épiclèse de Vénus : Dicitur et Salacia, quae proprie meretricum dea appellata est a ueteribus, “on l’appelle aussi Salacia (Lascive), comme les Anciens ont nommé en particulier la déesse des courtisanes” (traduction Lhommé 2012). Dans les autres passages du commentaire servien la concernant (Servius ad Aen., 1.144 ; 10.76), Salacia est toutefois présentée comme une déesse marine, épouse de Neptune. On a pu supposer que le rapprochement entre Vénus et Salacia s’était opéré par le biais de la figure de Venilia, nymphe également associée à Neptune, mais qui chez Virgile est la sœur d’Amata ; sur le couple Venilia/ Salacia, Augustin, ciu. dei, 7.22 et Servius, ad Aen., 10.76 ; voir Schilling 1988.
56 Un autel à Vienne, en Pannonie Supérieure (CIL, III, 14359,27 = D. 9268), une dédicace de Tragurium, en Dalmatie (AE, 2007, 1103). Sur Salacia dans la tradition littéraire, voir Varro, ling., 5.72; Aulu-Gelle, Noct., 13.23.2 ; Apulée, Apol., 31.
57 Voir Alföldy 2011, 106-128.
58 Sur les liens de la piété des procurateurs avec leur mobilité Dardaine 1983 ; Scheid 1998 ; Schäfer 2014.
59 IvP, III, 133 : Θεοῖς | τοῖς πανταχοῦ | ὁ ἱερεὺς | Ἀσκληπιάδης (avant l’époque flavienne).
60 AE, 1983, 833 = SEG, 33, 589 : θεῷ Γράννῳ | Ἀπόλλωνι αἰεὶ | καὶ πανταχοῦ | ἐπηκόῳ Ἄξιος | Αἰλιανὸς ὁ |νεώτερος | εὐχαριστήριον |Ἰόνιος.
61 Sur la culture bilingue des fonctionnaires impériaux et leur rôle de médiateurs culturels, Molin 2011.
62 Voir supra n. 29.
63 Voir par exemple Platt 2011, 215-291.
64 Coarelli 1998 ; Curti 2008.
65 Martial 4.44 (à propos des cités détruites par l’éruption du Vésuve) : Hic est pampineis uiridis modo Vesbius umbris, /presserat hic madidos nobilis uua lacus : /haec iuga quam Nysae colles plus Bacchus amauit ; /hoc nuper Satyri monte dedere choros ; /haec Veneris sedes, Lacedaemone gratior illi ; /hic locus Herculeo nomine clarus erat. /Cuncta iacent flammis et tristi mersa fauilla : /nec superi uellent hoc licuisse sibi, “le voilà, ce Vésuve jadis ombragé de pampres verts dont le fruit inondait nos pressoirs de son jus délectable. Les voilà ces coteaux que Bacchus, préférait aux collines de Nysa : naguère, sur ce mont, les Satyres formaient des danses légères. C’était la demeure de Vénus, qui l’affectionnait plus encore que Lacédémone : Hercule avait par son nom illustré ces lieux. Les flammes ont tout détruit, tout enseveli sous d’affreux monceaux de cendres : les dieux voudraient que leur puissance ne fût pas allée si loin” (traduction Garnier, Paris, 1864).
66 Voir Van Andringa 2009, 35-37 ; en dernier lieu Lepone 2016.
67 Voir Zevi 2003 ; Guzzo 2007.
68 Mau 1900 ; pour un historique des fouilles, Lepone 2016.
69 Curti 2007 et 2008 ; Carroll 2010. De nouvelles fouilles ont été entreprises en 2017 et 2018, dans le cadre du Venus Pompeiana Project mené conjointement par les universités du Missouri-Columbia et de Mount Allison ainsi que le Parc archéologique de Pompéi. Sur les résultats de ces dernières campagnes, voir Battiloro & Mogetta 2018.
70 Voir par exemple Van Andringa 2009.
71 Voir en dernier lieu Lippolis & Osanna 2016.
72 Voir par exemple Dierichs 1998 ou Brain 2018.
73 Schilling [1954] 1982, 383-388 ; Poccetti 2016, 237-238.
74 CIL, IV, 1520, 6865 et CIL, X, 928.
75 Cf. AE, 1891, 113. Sur le dossier épigraphique complexe de la dénomination des prêtresses publiques à Pompéi, voir Gregori & Nonnis 2016, 257-262.
76 10 contre 6. On trouve ainsi un graffito invoquant Vénus Syntrophus (CIL, IV, 8711b), mais selon Lebek 1984, il peut s’agir d’une tentative maladroite de versification et Syntrophus serait plutôt un nom d’homme.
77 Cf. d’après l’inventaire typologique de Brain 2018, 82, le type de la Vénus Pompeiana représente 6% de l’ensemble des représentations peintes de Vénus à Pompéi.
78 Pour une discussion détaillée du type iconographique et ses emplacements, voir Brain 2018, 85-90 et 253-254.
79 Lepone 2016, 92-94, fig. 4.
80 Voir Rescigno 2016, 54-55, fig. 22 ; Van Andringa 2012, 108-109.
81 De Caro 2006, 114.
82 Voir D’Alessio 2009 et Lepone 2016 pour un historique des fouilles.
83 De nouvelles fouilles en cours invitent toutefois à une nécessaire relecture des phases antérieures, cf. Battiloro & Mogetta 2018.
84 Carroll 2010, 63.
85 CIL, X, 203.
86 Vetter 107. Voir Lietz 2012, 342-345.
87 Il s’agit de quatre bases de statues représentant Esculape, Apollon, Vénus et Liber Pater (AE, 1993, 467, 469-470, 475), voir Zevi 2008, 212-218 ; Rosso 2013, 107-111. Leurs dédicaces s’échelonnent entre 102 et 169 p.C. F. Zevi a proposé de mettre en relation ces dédicaces avec des événements liés à la flotte militaire stationnée dans ce port.
88 Cf. Curti 2007 et 2008. AE, 2008, 324-329.
89 Sur l’utilisation de Cupido et non Amor en contexte cultuel, voir Wlosok 1975, 175-176. Pour l’association de Cupidon à Vénus dans des dédicaces, voir les inscriptions étudiées supra de Sarmizégétusa et Caldas de Vizela. Pour des statues de Cupidon consacrées dans un temple de Vénus, voir par exemple IRT 316 (Lepcis Magna, iie s. p.C.), CIL, VIII, 6965 = ILAlg II, 1, 531 (Cirta).
90 CIL, I2, 244. Sur la disposition des aedes de ces divinités respectives dans l’édifice de Pompée, voir en dernier lieu Monterroso Checa 2006.
91 Sur l’institution d’une fête pour Honos et Virtus en 17 av. J.-C., voir Dion Cassius 54.18. La célébration de ludi Honoris et Virtutis est attestée à Terracine (CIL, X, 8260).
92 Demougin & Christol 1982, 147-148.
93 Zevi 2018.
94 Par exemple CIL, XIII, 7400 (Virtuti Inuicti Imp(eratoris) ; CIL, XI, 2910 et 2911 (Honori/ Virtuti Visentium).
95 Par exemple à Vélia, AE, 1959, 97 : Senatus et populus Veliensis / C(aio) Iulio C(ai) f(ilio) Nasoni honoris / et uirtutis causa.
96 CIL, IV, 26 : N(umerium) Barcha(m) IIu(irum) u(irum) b(onum) o(ro) u(os) f(aciatis) ita u[o]beis Venus Pomp(eiana) sacra [sancta propitia sit] ; voir aussi CIL, IV, 546. Le poids électoral des Venerii a également été souvent souligné, même s’il reste assez anecdotique en réalité, cf. Van Andringa 2009, 326-327.
97 Scheid 2017 et son article dans ce volume.
98 CIL, X, 928 : Imperio Veneris Fisicae Ioui O(ptimo) M(aximo) / Antistia Methe / Antisti Primigeni / ex d(ecreto) d(ecurionum). Antistius Primigenius apparaît dans une tablette de Caecilius Jucundus datée de 54 p.C. Cf. Gregori & Nonnis 2016, 250.
99 Wyler 2013.
100 Van Andringa 2009, 151-191 ; 279-284 ; id. 2012, 112.
101 Van Andringa 2012, 112-113.
102 Sur Ops, voir en dernier lieu Miano 2015, notamment l’appendice historiographique, 31-35.
103 AE, 1922, 1016. Van Andringa 2009, 310-313.
104 Sur le témoignage des Fasti Amiterni, voir InscIt.XIII, 2, 493 ; cf. Le Bonniec (1958), 193-195.
105 Voir en dernier lieu Gregori & Nonnis 2016, 257-262.
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