La question du genre pratiqué
p. 237-266
Texte intégral
1Il nous reste à nous interroger sur l’influence que le genre pratiqué a pu avoir sur la manière dont Tacite et Suétone ont conçu et mené leur récit. En effet, si nous avons vu que cette différence fondamentale n’était pas rédhibitoire pour les comparer entre eux1, la prédominance des objectifs littéraires dans la façon d’écrire l’histoire à Rome a pour conséquence qu’on ne peut se dispenser d’aborder la question des contraintes et des conventions génériques : rédiger des annales n’a pas les mêmes implications que rédiger des biographies et il est intéressant de les examiner, à plus forte raison dans un travail s’attachant aux points communs et aux divergences au moment de traiter d’un même matériau.
2Dans un article de 1997, P. Jal distingue l’historiographie annalistique, dont la principale caractéristique serait son respect de l’ordre chronologique, et ce qu’il appelle “historiographie thématique”, dont le but serait de rassembler des exempla faciles à consulter2. Le second type servirait à “compléter” le premier3 et sa vocation moralisante l’amènerait à brouiller sciemment la succession chronologique, afin de mettre en avant l’identité des comportements, en réfléchissant sur l’attitude à adopter dans des circonstances similaires4. P. Jal ne trace bien sûr pas de frontière infranchissable entre ces deux historiographies : sans donner d’exemple précis, il admet qu’elles puissent parfois s’interpénétrer et souligne que la seconde ne prend tout son sens que si le lecteur, grâce à la première, connaît le contexte historique des faits rapportés5.
3Une telle distinction paraît correspondre parfaitement au couple Tacite-Suétone. Il n’échappe en effet à personne que le principe adopté par le premier pour organiser sa matière est l’ordre chronologique, tandis que le second, par son recours aux catégories, se rapproche davantage de Valère-Maxime6 que de Tite-Live7. Or cette distinction générique a un impact direct sur l’élaboration du récit, car la narration n’est pas du tout menée de la même façon lorsqu’elle est organisée chronologiquement ou thématiquement. Cette opposition est-elle aussi nette qu’elle peut le sembler à première vue et le genre pratiqué constitue-t-il un facteur majeur dans l’explication des choix narratifs de nos deux auteurs ?
L’opposition entre chronologique et thématique
Ordre chronologique et ordre de succession chez Tacite
4En Tac., Ann., 4.71.1., Tacite déclare que son principe pour organiser sa matière est de suum quaeque in annum referre8. Cette méthode est perceptible en réalité dès les Histoires, qui, malgré les différents événements survenus en même temps en des points éloignés de l’Empire, commencent néanmoins au 1er janvier 69, par une mention des consuls9. Il ne s’agit toutefois pas d’un cadre strict : pour les Annales, seule œuvre tacitéenne que nous possédions véritablement dans sa longueur, R. Syme a montré que le modèle annalistique s’assouplissait à partir du règne de Claude10. Il l’explique non par un changement de source, ni par une amélioration du talent de Tacite, mais par une adaptation de sa pratique historiographique à l’évolution de son sujet : la période tibérienne, encore proche de la République, pouvait continuer d’être relatée sous la forme par excellence adoptée par les historiens républicains, mais les règnes de Claude et Néron, au pouvoir clairement dynastique, requéraient une approche plus souple. La succession des événements reste donc globalement chronologique, mais leur disposition au sein des différents livres s’émancipe, en quelque sorte, d’un cadre annuel suivi moins rigoureusement11.
5À cela il est également possible d’ajouter que “l’ancrage” des événements eux-mêmes à l’intérieur d’une année n’impliquait manifestement pas de véritable précision temporelle12. Si les spécialistes de Tacite ont souvent souligné le caractère allusif de ses descriptions géographiques, au point qu’il est parfois difficile de déterminer avec exactitude le lieu d’un événement13, la même remarque peut être faite pour les repères temporels. Certes, l’assignation des diverses actions à une année et leur succession permet de déduire le moment où elles ont probablement eu lieu, mais il n’en demeure pas moins qu’aucune date proprement dite, hors l’entrée en fonction des consuls14, n’est donnée tout au long du texte, les seules exceptions étant le triomphe de Germanicus sur les Chérusques, les Chattes et les Angrivariens, ainsi que l’exécution de Titus Sabinus15. Les divers épisodes qui se succèdent ne sont en effet reliés entre eux que par des expressions vagues, comme per idem tempus, eodem anno, inter haec... Une étude du début du livre IV illustre parfaitement cette manière de procéder :
64.1.1 : annonce des consuls pour l’année 23 (Caio Asinio, Caio Antistio consulibus).
74.4.1 : la prise de toge virile de Drusus III est signalée comme ayant eu lieu anni principio.
84.4.2 : l’annonce par Tibère de son intention de visiter les provinces est introduite par exim.
94.13.1 : par déduction, l’aide aux villes de Cibyra et Aegion a lieu immédiatement après les funérailles de Drusus II, car elle paraît un moyen, pour Tibère, de ne pas se laisser aller au chagrin (At Tiberius, nihil intermissa rerum cura, negotia pro solaciis accipiens...).
104.13.2 : le procès de Vibius Serenus est introduit par un simple et.
114.14.1 : la confirmation du droit d’asile pour les sanctuaires de Samos et de Coos est datée par is quoque annus.
124.14.3 : l’expulsion des acteurs d’Italie est introduite par dehinc.
134.15.1 : la mort d’un des jumeaux de Drusus II et celle de Lucilius Longus est datée par idem annus.
144.16.1 : la recherche d’un nouveau flamen Dialis est présentée comme ayant eu lieu sub idem tempus.
154.17.1 : annonce des nouveaux consuls pour l’année 24 (Cornelio Cethego, Visellio Varrone consulibus).
164.18.1 : le procès de Caius Silius est présenté comme ayant eu lieu après les insinuations de Séjan sur l’émergence d’un “parti d’Agrippine”, au moyen de l’expression qua causa.
174.21.1 : le procès de Calpurnius Pison est introduit par dehinc.
184.22.1 : l’affaire Plautius Silvanus est introduite par per idem tempus.
194.23.1 : la fin de la guerre contre Tacfarinas est introduite par is demum annus.
204.27.1 : la répression de la révolte servile de Brindes est datée de eadem aestate, ce qui permet aussi de fixer un terminus ante quem pour la fin de la guerre relatée juste avant.
214.28.1 : le second procès de Vibius Serenus est introduit par isdem consulibus.
224.31.1 : par déduction, le refus de Tibère de faire condamner Caius Cominius a eu lieu ensuite, car il est présenté comme une sorte de “relâche” dans la succession des procès.
234.31.3 : le procès de Publius Suilius est introduit par at.
244.31.4 : le procès de Catus Firmius a dû le suivre, puisqu’il s’est conclu par eadem poena.
254.34.1 : annonce des consuls pour l’année 25 (Cornelio Cosso, Asinio Agrippa consulibus).
26Ce relevé des mentions temporelles introduisant de nouveaux événements dans le récit des années 23 et 24 montre bien quelle multiplicité d’expressions Tacite peut employer : les très vagues et et at16, les adverbes exim et dehinc, des expressions de type “à peu près au même moment” (sub idem tempus, per idem tempus) ou “cette même année” (is quoque annus, isdem consulibus). Néanmoins, en dehors de l’entrée en charge des consuls, on ne trouve aucune date, ni même de mention suffisamment précise pour identifier le mois où se sont déroulés ces faits17. Les mentions les plus claires dont nous disposons ici concernent tout d’abord la prise de toge virile de Drusus III, dont on sait qu’elle a eu lieu anni principio18 ; puis la révolte servile de Brindes est survenue eadem aestate, ce qui permet de dater dès lors aussi la fin de la guerre contre Tacfarinas. On notera que ces deux informations se trouvent, dans l’ordre de présentation des événements de l’année, à la place qui correspond au moment évoqué : la première juste après l’annonce des consuls pour l’année 23, la seconde plus ou moins au milieu du récit de l’année 24.
27Cette absence de précision temporelle ne permet pas de conclure que Tacite a arrangé les divers événements au hasard ou les a disposés comme cela l’arrangeait le plus, car un examen un peu plus approfondi des mentions les plus vagues permet de déceler un point commun entre elles. Toutes comportent en effet une référence soit à une action du Sénat, soit à une décision officielle prise par l’empereur :
la prise de toge virile de Drusus III est l’occasion pour le Sénat de lui décerner les mêmes honneurs qu’avait reçus son frère à cette occasion (quaeque fratri eius Neroni decreuerat senatus repetita).
l’intention de Tibère d’aller visiter les provinces a manifestement donné lieu à une annonce officielle (multitudinem ueteranorum praetextebat imperator et dilectus supplendos exercitus), suivie d’une présentation de l’état des troupes (percensuitque cursim numerum legionum et quas prouincias tutarentur).
l’aide à Cibyra et Aegion fut accompagnée de sénatus-consultes (factaque auctore eo senatus consulta).
les divers procès évoqués concernaient des membres de la haute société romaine et eurent donc lieu devant le Sénat.
Tibère avait laissé aux sénateurs le soin de juger des demandes de confirmation de droit d’asile dans les divers sanctuaires (cf. Tac., Ann., 3.60.1).
l’expulsion des acteurs a été précédée d’un rapport de l’empereur à ce sujet (Caesar de immodestia histrionum rettulit).
de même, la recherche d’un nouveau flamen Dialis pousse Tibère à une allocution à ce sujet devant les sénateurs (roganda noua lege disseruit Caesar).
le récit de la fin de la guerre contre Tacfarinas se conclut par la mention d’un sénateur envoyé porter à Ptolémée un bâton d’ivoire (cf. Tac., Ann., 4.26.2).
la révolte servile de Brindes donne lieu à l’envoi en urgence du tribun Staius (missusque a Caesare propere Staius tribunus).
28Cette particularité amène à penser que, s’il n’est donné aucune information précise sur le moment exact où sont advenus ces événements, leur succession n’est pas aléatoire et correspond probablement à celle où ils apparaissaient dans les acta senatus. R. Syme a démontré que ces compte-rendus des activités du Sénat constituaient la principale source de Tacite dans les Annales, en particulier dans la première hexade19, en se fondant sur la nature des divers sujets évoqués20. La disposition narrative de ces informations qui devaient y être rapportées conforte un peu plus, si besoin était, cette hypothèse.
29Un autre constat s’impose dès lors, car, si Tacite a aussi suivi l’ordre dans lequel les événements étaient mentionnés dans les acta senatus, il aurait très bien pu les dater plus précisément. Peut-être a-t-il voulu, en se contentant d’expressions relativement vagues, éviter cette monotonie dont P. Jal souligne qu’elle fut reprochée dès l’Antiquité à l’histoire annalistique21. Assurément, il devait être certain que cela ne poserait aucun problème à son public et, dès lors, à sa réputation comme historien, sans quoi il aurait procédé différemment22, ce qui signifie qu’un ouvrage d’histoire, pour les Anciens, ne consistait pas nécessairement en une succession de dates au sein d’une chronologie rigoureusement établie. L’ordre qui préside à la présentation des événements est donc un ordre de succession, pas un ordre de datation, et la chronologie est relative et non absolue. Voilà qui explique sans doute la division des Annales en groupements thématiques mise en évidence par O. Devillers23, qui démontre que cette œuvre est à analyser selon des unités plus vastes que de simples épisodes, caractérisées par un même thème. Or une telle conception n’est possible que si la chronologie des faits n’est pas une préoccupation majeure de l’auteur, voire même est presque totalement absente de son esprit. La périodisation de l’œuvre ne se fait pas tant en fonction de dates majeures qu’en termes de glissement d’un thème à un autre24.
Les catégories chez Tacite
30Ce traitement souple de la chronologie par Tacite conduit à porter un autre regard sur la façon dont il mène sa narration. En effet, si celle-ci ne suit pas rigoureusement les principes de l’historiographie annalistique, il convient de s’interroger sur la nature de certains passages, qui ne relèvent pas des thèmes développés, tout en apparaissant à des places plus ou moins fixes dans l’année. Il s’agit des notices nécrologiques, des mentions d’honneurs conférés, des cérémonies instaurées ou des bâtiments (re)construits. Ces sujets sont bien souvent traités en fin d’année, mais sans y être explicitement liés25, et sont en général introduits dans le texte par une expression de type eodem anno, trop vague pour constituer une véritable datation26. Tacite écrit ainsi, à la fin de la première année de règne de Tibère :
Eodem anno Iulia supremum diem obiit, ob impudicitiam olim a patre Augusto Pandateria insula, mox oppido Reginorum, qui Siculum fretum accolunt, clausa. (Suit un retour sur la vie de Julie I.) Idem annus nouas caerimonias accepit, addito sodalium Augustalium sacerdotio, ut quondam Titus Tatius retinendis Sabinorum sacris sodales Titios instituerat. (...) Ludos Augustales tunc primum coeptos turbauit discordia ex certamine histrionum.
“La même année mourut Julie, dont les débauches avaient autrefois poussé son père, Auguste, à l’enfermer sur l’île de Pandateria, puis dans la place forte de Rhegium, qui se trouve à côté du détroit de Sicile. (...) La même année reçut de nouvelles cérémonies, car on ajouta le sacerdoce des prêtres augustaux, comme autrefois Titus Tatius, pour conserver les rites sabins, avait institué les prêtres titiens. (...) Les Jeux Augustaux, commencés alors pour la première fois, furent troublés par une discorde issue d’une lutte entre histrions.” (Tac., Ann., 1.53.1-54.2)
31La relation entre la mort de Julie, l’instauration d’un nouveau culte et la célébration de nouveaux jeux est difficilement perceptible : toutes trois sont en lien avec Auguste, mais c’est bien là leur seul point commun. Par ailleurs, rien ne justifie chronologiquement leur mention en fin d’année, puisqu’elles ne sont pas datées précisément. L’impression que donne ce passage est celle d’une volonté de mentionner coûte que coûte ces informations dans l’année où elles se sont produites : faute de date précise, elles l’auraient été juste à la fin27. Ce faisant, il se conforme, au moins pour les nécrologies, à la tradition annalistique, qui dressait, en fin d’année, une liste des grands hommes disparus. C’était peut-être également le cas des honneurs reçus et des bâtiments restaurés, d’où leur place avec elles dans le texte. Outre la présence de ces passages à des moments relativement fixes de la narration28, un autre élément amène à les rapprocher de catégories : bien souvent aussi, ils débutent par des formules identiques ou similaires, semblables à des tituli29.
32D’autres passages peuvent également être considérés comme relevant d’une dimension catégorielle. C’est notamment le cas des bilans ou des exposés de la situation à un moment du récit, comme au début du livre IV, coïncidant avec le “basculement” du règne de Tibère30. Ils sont bien sûr liés à la narration, dont ils ne représentent pas une extraction complète, en particulier quand ils présentent l’état et la répartition de troupes dans un contexte de guerre. Toutefois, ils ne visent pas tant à l’expliquer qu’à la suspendre pour en réaliser un tableau figé31. Cet arrêt du cours du récit est donc davantage lié à un automatisme narratif (le bilan des premières années de règne de Tibère, un tableau de la situation à Rome à la mort de Néron...) qu’à un respect de la chronologie, ce qui conduit à s’interroger sur un autre type de passage : les suites de procès, de suicides ou d’exécutions, qui émaillent très régulièrement les Annales. Elles sont bien sûr totalement en lien avec le récit, dont elles constituent le corps, mais une remarque de Tacite à leur propos permet de nuancer cet état de fait :
Neque sum ignarus a plerisque scriptoribus omissa multorum pericula et poenas, dum copia fatiscunt aut, quae ipsis nimia et maesta fuerant, ne pari taedio lecturos adficerent uerentur ; nobis pleraque digna cognitu obuenere, quamquam ab aliis incelebrata.
“Et je n’ignore pas que les dangers courus par beaucoup de gens et leurs châtiments ont été omis par la plupart des auteurs, parce qu’ils ont été lassés par leur abondance ou parce qu’ils craignaient que ce qu’ils avaient eux-mêmes trouvé excessif et affligeant ne provoque chez ceux qui les liraient le même dégoût ; mais moi, j’ai rencontré de nombreux faits dignes d’être rappelés, bien qu’ils n’aient pas été mentionnés par d’autres.” (Tac., Ann., 6.7.5)
33L’historien cherche à justifier ici la présence, dans son œuvre, de procès et condamnations non mentionnés par d’autres auteurs et déclare que, contrairement à eux, il les a jugés suffisamment intéressants ou importants pour que leur souvenir soit préservé (digna memoratu)32. Cette manière de souligner le caractère inédit de ces éléments nouveaux relève d’une volonté d’exhaustivité ou de quasi exhaustivité, qui fait penser à certaines listes érudites de Suétone. Lorsque le biographe cite la correspondance d’Auguste, les passages retranscrits sont présentés comme de simples extraits représentatifs33, mais leur accumulation donne l’impression qu’il a voulu convaincre par le nombre. De même, Tacite démontre la cruauté de Tibère ou celle de Néron tout au long de ces listes de condamnés, ce qui, d’une certaine manière, les fait sortir de la chronologie et les transforme en rubrique “victimes de la tyrannie”34.
34La façon dont Tacite dispose son matériau n’est donc pas aussi simplement chronologique qu’elle pourrait le sembler au premier abord. Il ne se soucie pas du tout d’une datation précise et traite l’année comme un cadre large à organiser selon les buts particuliers de sa narration35, mais, surtout, sa manière d’assembler les événements, que ce soit au niveau des groupements thématiques étudiés par O. Devillers ou de leur simple place au sein de la narration, dénote une dimension catégorielle dans leur conception. Il faut par conséquent nuancer la distinction entre historiographie annalistique et historiographie thématique, y compris dans une œuvre dont l’appartenance ne fait aucun doute.
Le présupposé chronologique de Suétone
35Une étude attentive de l’organisation des Vies des douze Césars confirme cette absence de dichotomie franche. Elles ont connu un succès immédiat qui ne s’est pas démenti par la suite, ce qui leur a valu d’être beaucoup copiées et, dès lors, relativement bien conservées, mais elles s’ouvrent sur une lacune, unique, mais fort dommageable, car elle nous prive, en plus du début du Diuus lulius, de la préface de l’œuvre36. Nous ne disposons donc pas de texte de Suétone expliquant ses intentions au moment d’écrire son œuvre, perte à l’origine des nombreuses interprétations tentant d’établir un plan commun à toutes les biographies ou au contraire remettant en cause cette idée37. En effet, seul Suet., Aug., 9.1 fournit des éléments sur la manière dont le biographe a décidé de procéder :
Proposita uitae eius uelut summa, partes singillatim neque per tempora sed per species exsequar, quo distinctius demonstrari cognoscique possint.
“Après ce plan de sa vie pour ainsi dire sommaire, je vais en exposer les parties une à une et non chronologiquement, mais regroupées en catégories, afin qu’elles puissent être exposées et portées à la connaissance du lecteur avec suffisamment de netteté.” (Suet., Aug., 9.1)
36Cette affirmation ne concerne explicitement que la Vie d’Auguste, mais elle est valable aussi pour le reste de l’œuvre. Beaucoup de biographies ont en effet été manifestement construites selon le même principe d’alternance de parties chronologiques (per tempora) et de parties catégorielles (per species38) : en règle générale, le début de chaque Vie suit le cours du temps jusqu’au moment de l’arrivée au pouvoir, puis le récit poursuit catégorie par catégorie et le fil temporel ne reprend qu’au moment de la mort de l’empereur.
37Dans Suétone historien, J. Gascou souligne combien ce choix a fini par constituer un obstacle majeur à une présentation historique des faits évoqués. L’adoption d’une progression par catégories a en effet des conséquences diverses : le même fait peut être relaté plusieurs fois à des titres et des endroits divers, la perspective est même parfois radicalement différente et la chronologie, ainsi que l’évolution qu’elle implique, disparaissent totalement au profit de la mise en avant de “thèmes” qui recouvrent indistinctement toutes les périodes de la vie. En outre, de nombreuses species se présentent sous la forme d’énumérations qui mettent tous les faits sur le même plan et conduisent à des bilans superficiels là où des conclusions plus pertinentes pourraient être tirées39. S’interroger sur la dimension chronologique des Vies des douze Césars peut dès lors sembler étonnant, puisque tout va à l’encontre d’une telle progression, mais ces biographies ont bel et bien été construites avec un cadre temporel, y compris à des endroits où l’on s’y attendrait le moins.
38Tout d’abord, la distinction per tempora / per species signifie bien sûr que certaines parties des Vies sont chronologiques. Le début de chaque biographie suit ainsi un ordre similaire d’un empereur à un autre, qui correspond aux étapes successives de son existence jusqu’à son arrivée au pouvoir : ascendants, enfance, jeunesse et carrière40. À l’autre extrémité du texte, la partie qui concerne la mort du protagoniste est elle aussi caractérisée par une reprise du chronologique, en raison des développements qui l’accompagnent systématiquement : la mort de Claude est ainsi précédée de détails sur ses remords et les préparatifs d’Agrippine41 et suivie des mesures pour sa succession et sa divinisation42. Ces deux parties sont importantes pour l’ensemble de la biographie, car elles constituent respectivement les prémisses du règne et la “révélation” de l’ensemble de la vie de l’empereur43. La brièveté des règnes de Galba, Othon et Vitellius explique pourquoi ces Vies sont presque entièrement chronologiques. Celle d’Othon, en particulier, aborde, dès l’arrivée au pouvoir, les tentatives de négociations avec Vitellius, puis l’entrée en guerre : les premières mesures, qui auraient pu donner lieu à catégorisation, ne sont donc pas du tout abordées, ce qui donne l’impression qu’aucune n’a été prise, faute de temps. Or Tacite en mentionne un certain nombre, visant notamment à rétablir la concorde à Rome44. Dans le Galba et le Vitellius, les catégories n’occupent que quelques paragraphes45.
39Les parties per tempora ne sont cependant pas les seules où apparaît un principe de succession temporelle, car celui-ci est également présent au sein des species. Une étude attentive du contenu de chaque rubrique met en effet en évidence que le matériau n’est pas présenté au hasard de la plume, mais bien souvent de façon chronologique. Les victimes que Néron fit dans son entourage sont ainsi évoquées hors de tout contexte46, mais leur mention suit l’ordre des disparitions : Claude47, Britannicus48, Agrippine49, Domitia50, Octavie51, Poppée52. Un autre bon exemple de cette organisation chronologique persistante sont les très nombreux retours en arrière sur la jeunesse de l’empereur abordé, afin de montrer que les vices qui s’exprimèrent après son arrivée au pouvoir étaient déjà présents auparavant. La phrase introduisant la description des vices de Tibère à Capri est représentative de ce procédé, car Suétone ne se contente pas alors d’annoncer que la retraite loin de Rome permit à l’empereur de donner libre cours à ses vices : il revient aussi sur une période qu’il avait relatée assez favorablement, pour mettre en évidence désormais ses aspects négatifs53. Ces analyses rétrospectives ne représentent pas des contradictions dans un portrait qui serait partout uniforme, mais signalent au contraire une prise en compte de l’écoulement du temps et d’une action du pouvoir suprême sur son détenteur, puisque ses vices étaient certes déjà présents, mais ne s’exprimaient pas autant avant la proclamation.
40En vérité, même s’il est partiellement dissimulé par l’organisation catégorielle du matériau, le principe chronologique est à la base du plan de chaque biographie. Beaucoup d’entre elles signalent en effet un basculement vers le pire, Tibère en étant le meilleur exemple, car son règne a été pensé ainsi, sans doute dès Sénèque54. Cette conception a également été appliquée à Néron avec le fameux quinquennium, période de cinq ans où les Romains reconnaissaient qu’il avait bien gouverné et qui se serait terminé au moment de la mort de Burrus et du retrait de Sénèque55. Suétone reprit cette idée de règne en deux parties dans la répartition de ses catégories et la généralisa à l’ensemble des empereurs : son choix de traiter d’abord des vertus, puis des vices de chacun d’eux, avec une césure clairement marquée56, conduit en effet à envisager leurs règnes comme une série de dégradations. Seul Othon échappe à ce schéma, mais nous avons vu que le biographe cherche à le réhabiliter57. Cette évolution en mal dessine sans nul doute une chronologie, que le regroupement des catégories tente de signifier.
41Une des conséquences de cette tentative est le déplacement, d’un côté ou de l’autre de la césure, de faits qui ont eu lieu en réalité avant ou après le “basculement”. J. Gascou a très bien montré comment, pour Octave-Auguste, Suétone a filtré les diverses informations à sa disposition afin de noircir le jeune ambitieux et rehausser la clémence du vieil empereur58. Le même procédé est à l’œuvre dans le Tiberius : toutes les bonnes décisions de ce règne sont présentées avant la retraite à Capri, ce qui installe dans l’esprit du lecteur l’idée que, à partir du moment où il quitte Rome, l’empereur se désintéresse totalement des affaires publiques59. Cette organisation ne s’explique que par une volonté de cohérence chronologique dans le portrait d’ensemble du caractère de l’empereur, avec une succession des catégories censée suivre son évolution au fil des ans. La meilleure preuve de la prééminence de ce principe temporel tant dans la conception des biographies que dans leur lecture sont les griefs que ces déplacements valent de nos jours à Suétone : pour lui reprocher de ne pas avoir présenté tel fait à sa place chronologique, il faut avoir compris, même inconsciemment, que c’est ce principe qui domine, car ces anachronismes seraient sans conséquence si la présentation par catégories l’emportait clairement sur tout le reste60.
Le récit par touches suétonien
42Il n’en demeure pas moins que le choix de cette organisation conduit Suétone à rompre sans cesse le cours de sa narration, en l’atomisant. Les obstacles créés sont particulièrement visibles dans les Vies de Galba, Othon et Vitellius, dont les principaux événements sont contemporains, ce qui occasionne de nombreuses redites, ainsi que des ellipses, des contradictions et des incohérences, qui entravent la bonne compréhension du lecteur. Dans le Galba, Suétone a ainsi choisi de passer sous silence la proclamation de Vitellius par les légions de Germanie : il ne relaie que la demi-nouvelle que Galba fit circuler à Rome, sur la demande par les soldats d’un autre empereur au Sénat ; ce faisant, il minimise lui aussi l’événement et empêche de bien comprendre pourquoi Galba se dépêche d’adopter Pison et pourquoi c’était une erreur61. Le même problème existe au sein de chaque biographie, où la répartition de la matière en catégories produit les mêmes problèmes62.
43La narration est par ailleurs aussi continuellement rompue par des regroupements empêchant manifestement tout développement, en raison du principe de liste. Ainsi, à la rubrique “famille proche” de la Vie de Claude, Suétone mentionne les trois gendres de l’empereur : Néron, Pompeius et Silanus. Il passe ensuite immédiatement aux affranchis, sans donner de précisions sur les circonstances de l’adoption du premier et des condamnations des deux autres, alors que Tacite développe notablement ces épisodes63 : l’organisation en catégories a pris le pas sur le récit, en amenant à se contenter d’une simple énumération. Cet exemple met également en évidence un autre écart du texte suétonien par rapport au récit traditionnel, car en se contentant d’écrire :
E generis Neronem adoptauit, Pompeium atque Silanum non recusauit modo, sed et interemit
“Parmi ses gendres, il adopta Néron et non seulement renia Pompeius et Silanus, mais les fit aussi exécuter.” (Suet., Cl., 27.6)
44Le biographe donne l’impression d’un développement “à tiroir”, qui met tout sur le même plan. Or Néron a évidemment une plus grande importance que Pompeius et Silanus, même à ne s’en tenir qu’à ce qui concerne directement Claude64. Ces divers obstacles ont longtemps valu et valent encore trop souvent à Suétone une réputation bibliographiquement dépassée de “recopieur de fiches”65, vraisemblablement accrue par le fait que, peu avant, les biographies d’empereurs écrites par Plutarque suivent un principe narratif qui respecte une parfaite continuité chronologique66.
45Malgré tout, une dimension narrative est clairement décelable chez lui. Le doute n’est pas permis au moins pour le début et la fin de chaque biographie : malgré les éléments catégoriels décelés, ces parties sont globalement chronologiques et la jeunesse, l’arrivée au pouvoir des empereurs et ensuite leurs derniers jours, sont relatés sans rupture perceptible et de manière narrativement assez classique. De même, pour l’ensemble des biographies, Suétone prend soin de souligner le début et la fin des différentes dynasties, comme en Suet., Gal., 1-2, où il énumère tous les présages annonçant la fin des Julio-Claudiens avant de présenter la famille du nouvel empereur. Le début de la Vie de Galba sert donc aussi de transition avec la dynastie précédente, disparue avec Néron : Galba n’a aucun lien avec eux, mais il appartient lui aussi à la vieille noblesse romaine, ce qui veut dire qu’une certaine continuité est néanmoins préservée. Cette question est à nouveau évoquée au début de la Vie de Vespasien, où l’absence d’ancêtres prestigieux est le premier élément distinctif donné sur les Flaviens67 : l’ouverture de chaque biographie par une “revue de famille” n’est donc pas anodine et sert aussi de facteur de cohérence pour l’ensemble de l’œuvre.
46Le même souci de parvenir à un tout unitaire apparaît au sein des Vies individuelles. Suétone évite en effet autant que possible toute rupture brutale, en particulier dans le passage entre la première partie per tempora et la partie centrale per species. Les premières mesures de chaque règne représentent ainsi toujours la première catégorie abordée68 : appartenant encore au chronologique (puisqu’elles sont traitées juste après l’arrivée au pouvoir), elles relèvent cependant déjà du catégoriel (elles détaillent de la première politique impériale). Par la suite, il est rare que le passage d’une catégorie à une autre ait lieu sans qu’un lien logique soit détectable entre elles. La moitié de la Vie de Tibère qui précède sa retraite à Capri en est un bon exemple. La partie catégorielle s’ouvre sur la ciuilitas de l’empereur69, en particulier sur son refus de certains honneurs ; de là, Suétone passe à son refus général de toute forme d’adulation70 et à sa patience devant les insultes71 : deux manifestations de son apparent comportement comme un simple citoyen. Celui-ci est alors présenté comme tout à fait remarquable, car son respect pour tous paraissait sans limite72, rubrique illustrée par des exemples de respect pour les sénateurs73, certains individus74 et les provinces75. Cette ciuilitas est ensuite opposée à la tendance progressive de Tibère à faire davantage usage de son autorité impériale76 et les catégories suivantes sont marquées par l’interventionnisme de l’empereur, dans des domaines qui découlent des utilitates publicae évoquées dans la formule introductrice : administration de la justice77 ; modération des prix et des dépenses78 ; puis mesures pour améliorer les mœurs79, ainsi que contre les religions et superstitions étrangères80. Ce dernier thème permet au biographe d’aborder la question de la pratique tibérienne de maintien de la paix, tant en Italie que dans ses relations diplomatiques81. Suétone fait alors remarquer que Tibère n’a pourtant pas quitté Rome pendant les deux premières années de son règne82, caractéristique qui crée ainsi le contraste nécessaire pour aborder la retraite à Capri83. Il y a donc bien là une continuité et non une succession de “morceaux” inégaux peinant à s’associer les uns avec les autres : l’impression de développement à tiroirs est en réalité le fruit de l’analyse rétrospective, car, à première lecture, aucune rupture ou “frontière de catégorie” n’est décelable.
47Enfin, le portrait global de l’empereur qui se met en place tout au long de la biographie représente lui aussi un élément de cohésion. Même les paragraphes sur les ancêtres, qui pourraient sembler sans véritable lien avec le reste, servent en réalité à illustrer des caractéristiques communes, car le Prince en a nécessairement hérité, ce qui les transforme en annonce de son comportement à venir84. Dès lors, le reste de la biographie se présente comme une sorte d’accomplissement de cet héritage : l’évolution en pire du caractère de l’empereur en est à la fois la péripétie principale et le principe de progression narrative. Voilà une autre raison pour laquelle la scène de mort est un des rares éléments systématiquement développés : elle constitue le point culminant de cette évolution85 et représente dès lors le pendant de la présentation des ancêtres, puisqu’elle contient l’accomplissement final de ce que les premiers paragraphes annonçaient.
48Il est donc bel et bien possible de parler de récit à propos du texte de Suétone, malgré son caractère discontinu, ses mentions parfois elliptiques et son traitement de la chronologie. Il ne suit certes pas une forme classique, mais il se construit petit à petit, “par touches”, jouant sur l’attente mise en place chez le lecteur. Depuis la mention des ancêtres les plus représentatifs du caractère familial jusqu’au moment de sa mort, le portrait de chaque empereur se dessine progressivement86, mais n’apparaît qu’en considérant l’ensemble de sa biographie et non son déroulement point par point. Ce recul est instauré par les effets d’annonce, impliqués culturellement et d’une façon qui nous est implicite, par des passages comme la présentation des ascendants ou la carrière précédant l’arrivée au pouvoir87, qui influent ensuite sur la façon dont le reste du récit sera reçu et interprété. La scène finale intervient alors comme ultime révélateur, scellant la cohérence du tout.
Une distinction par le contenu ?
Plutarque et Cornélius Népos
49La façon dont Tacite et Suétone ont décidé d’organiser leur matériau ne dérive donc pas du genre adopté au point qu’elle puisse lui être majoritairement attribuée. Tous deux ont recours aussi bien au principe chronologique qu’à des catégories, mais selon des modalités qui leur sont propres et qui proviennent davantage de la manière dont ils ont choisi de mener leur récit que d’un impératif générique. La distinction que fait P. Jal entre histoire annalistique et histoire thématique n’est donc pas tout à fait juste dans leur cas. Néanmoins, lorsqu’il parle d’ “historiographie de remplacement” à propos du second type88, ce n’est pas uniquement l’organisation formelle des œuvres qu’il évoque, c’est aussi leur contenu. Or le fameux passage de Plutarque, où le moraliste fait la différence entre histoire et biographie, porte précisément sur ce point89. Il y évoque deux manières de traiter le matériau historique : la première consiste à relater les événements dans leur intégralité (πάντα), un à un (καθ’ ἕκαστον) et en détail (ἐξειργασµένως), la seconde de manière sélective. L’expression employée à ce moment-là, ἐπιτεµνόντες τὰ πλεῖστα, “en retranchant la plus grande partie”, comporte une part d’ambiguïté, car on ne sait si τὰ πλεῖστα renvoie aux événements en eux-mêmes ou aux détails du récit : s’agit-il de retrancher (ἐπιτεµνόντες) certains faits ou seulement certains de leurs aspects ? C’est ici qu’intervient le fameux οὔτε γὰρ ἱστορίας γράφοµεν, ἀλλὰ βίους, “nous n’écrivons en effet pas des ouvrages d’histoire, mais des vies”, la suite permettant de comprendre pourquoi écrire des vies (βίους) peut se passer de détails systématiques et d’exhaustivité. Le but de ce genre est en effet manifestement, dans l’esprit de Plutarque, non seulement de donner les moyens de juger des vertus et des vices d’un personnage (δήλωσις ἀρετῆς ἢ κακίας), mais aussi de permettre au lecteur de saisir les particularités de son caractère (ἔµφασιν ἤθους) et, pour ce faire, les actions de peu d’importance (πρᾶγµα βραχύ), les bons mots (ῥῆµα), les bagatelles (παιδιά) sont plus révélatrices que les actions les plus éclatantes (ταῖς ἐπιφανεστάταις πράξεσι). Il laissera donc de côté ce qui fait habituellement la matière des ouvrages d’histoire (ἱστορίας), c’est-à-dire les combats faisant de nombreux morts (µάχαι µυριόνεκροι), les très grandes batailles rangées (παρατάξεις αἱ µέγισται) et les prises de villes (πολιορκίαι πόλεων) et ce alors qu’il s’apprête à relater la vie de deux grands généraux. L’attention au quotidien et à l’anecdotique explique la sélection, car ce type d’éléments implique une multiplication et une répétition peu pertinentes, amenant à ne présenter que ce qui sera considéré comme représentatif. À l’inverse, dans un ouvrage d’histoire, les hauts faits ne sont pas si nombreux et tous ont leur importance, ce qui explique pourquoi on ne peut ni en omettre, ni les traiter de façon superficielle.
50Ce passage de Plutarque dévoile donc un changement d’objectif entre l’histoire et la biographie, impliquant la prise en compte d’un matériau sensiblement différent et, dès lors, un traitement plus libre des faits. Une semblable distinction était déjà perceptible dans l’embarras de Cornélius Népos au début de la Vie de Pélopidas :
Pelopidas Thebanus magis historicis quam uulgo notus. Cuius de uirtutibus dubito quem ad modum exponam, quod uereor, si res explicare incipiam, ne non uitam eius enarrare, sed historiam uidear scribere, si tantummodo summas attigero, ne rudibus Graecarum litterarum minus dilucide appareat quantus fuerit ille uir. Itaque utrique rei occurram quantum potuero et medebor cum satietati tum ignorantiae lectorum.
“Le Thébain Pélopidas est plus connu des historiens que du peuple. Mais, pour parler de ses vertus, je ne sais pas de quelle manière les exposer, car je crains, si je commence à développer ses actions, de sembler ne pas raconter sa vie, mais écrire un ouvrage d’histoire, et, si je me contente d’en aborder les principales, que ceux qui ne connaissent pas bien la littérature grecque ne voient moins clairement quelle fut la grandeur de ce héros. C’est pourquoi je pourvoirai aux deux aspects autant que je l’aurai pu et je remédierai aussi bien à la satiété qu’à l’ignorance de mes lecteurs.” (Nep., Pel., 1.1)
51Népos confirme ici que traiter en détail des hauts faits (res explicare) est la fonction d’un ouvrage d’histoire (historiam scribere), non celle d’une biographie (uitam enarrare), qui peut, elle, ne s’attacher qu’aux principales actions (tantummodo summas) et sans entrer dans les détails (attingero). Il confirme aussi l’appui que prend la biographie sur les ouvrages d’histoire, puisque son problème est qu’une partie de ses lecteurs ne connaît probablement pas assez les seconds pour replacer le récit de la vie de Pélopidas dans son contexte et comprendre ce qu’elle a d’exceptionnel : Népos ne peut donc complètement se dispenser de rappels historiques, malgré la différence entre les genres. P. Jal a par conséquent raison de considérer les deux genres comme complémentaires90, car c’est précisément ce qui est supposé ici : c’est parce qu’il n’existait apparemment pas d’ouvrage d’histoire relatant la vie de Pélopidas que Cornélius Népos est obligé de procéder à ces rappels historiques ; sinon, il se serait contenté d’une biographie “classique”.
52Cette distinction, en particulier telle quelle est présentée dans le texte de Plutarque, évoque tout à fait les différences existant entre les œuvres de Tacite et Suétone. L’accent mis sur les vices et les vertus correspond à la bipartition de nombreuses Vies, l’attention au quotidien et à l’anecdotique résume parfaitement le contenu de certaines catégories et la nécessité de ne présenter que ce qui est représentatif est souvent exprimée très explicitement dans les Douze Césars91. Par ailleurs, les Histoires illustrent parfaitement les µάχαι µυριόνεκροι καὶ παρατάξεις αἱ µέγισται καὶ πολιορκίαι πόλεων, ainsi que les nombreuses campagnes militaires des Annales, bien que la paix de l’Empire à cette époque fasse des événements de Rome le point central du récit. La pratique de nos deux auteurs paraît donc bien coïncider avec ce que Népos et Plutarque évoquent dans leurs œuvres, ce qui confirme leur différence d’objectif littéraire, à défaut d’une différence de traitement du continuum chronologique. Ces particularités les amenant non à passer complètement sous silence certains éléments92, mais à mettre l’accent plutôt sur les uns que sur les autres, il devient intéressant d’étudier la façon dont ils abordent la partie de leur contenu a priori peu importante pour le genre qu’ils ont choisi de pratiquer, en la comparant avec la pratique de leur collègue.
Le politique comme filtre chez Tacite
53Après avoir étudié de la structure des biographies suétoniennes, il n’est plus besoin de démontrer que le thème de la famille du Prince occupe une place centrale dans son œuvre : non seulement il ouvre chaque Vie, avec la présentation des ascendants plus ou moins éloignés du protagoniste, mais il y apparaît également ensuite de manière récurrente, que ce soit au moment de la présentation des épouses et des enfants ou dans la rubrique sur les diverses exécutions de hauts personnages. Cette importance dérive bien sûr de l’influence de son entourage sur les réactions et le comportement de l’empereur, même pour les ancêtres éloignés, via l’idée d’une hérédité dans le caractère. Mais elle tient aussi, et peut-être surtout, à la place historique de la famille impériale dans la vie politique romaine : la domus Augusta était de fait un vivier non seulement de représentants du pouvoir, éventuellement appelés à succéder à l’empereur, mais aussi de rivaux potentiels, devant parfois être éliminés93. Il n’est donc pas étonnant que ce soit sous cet aspect que la famille impériale apparaisse chez Tacite. Cette dimension peut être très claire, comme à propos d’Agrippine II, femme de Claude et mère de Néron, puisque ses velléités d’exercice du pouvoir ont fini par la conduire à sa perte. Elle est donc un personnage majeur de la seconde partie des Annales, qu’il était impossible de laisser dans une ombre partielle ou complète. Mais la manière dont Tacite fait figurer la famille impériale dans son œuvre est sans doute plus manifeste à propos des personnages de moindre importance, comme Antonia, la fille aînée de Claude. Celle-ci est évoquée à seulement trois reprises dans le texte qui nous est parvenu, mais toujours dans un contexte politique : au moment où Claude considère sa mère comme une nouvelle épouse potentielle après la chute de Messaline94 ; lorsque Agrippine cherche à empêcher les enfants de Claude de quitter la chambre où leur père vient de mourir95 ; et quand sa possible participation à la conjuration de Pison est évoquée, avant d’être formellement rejetée par l’historien96. Hors de ces occasions, aucun détail particulier n’est donné sur elle : son existence dans le texte est entièrement tributaire de ses liens, réels ou supposés, avec la politique.
54Cette particularité explique sans doute pourquoi le thème de l’héritage du caractère est présent dans les Histoires et les Annales, mais de manière beaucoup plus discrète que chez Suétone. C’est notamment le cas à propos de Tibère, lorsque Auguste tombe malade et que la foule compare les deux héritiers possibles :
... Tiberium Neronem maturum annis, spectatum bello, sed uetere atque insita Claudiae familiae superbia multaque indicia saeuitiae, quamquam premantur, erumpere.
“Tibère Néro était d’âge mûr, avait fait ses preuves à la guerre, mais présentait l’orgueil depuis longtemps congénital à la famille des Claudii et de nombreux indices de cruauté, bien que réprimés, lui échappaient.” (Tac., Ann., 1.4.3)
55La formule uetere atque insita Claudiae familiae superbia n’est pas très loin des uitia quasi tradita et ingenita évoqués par Suétone à propos de Néron97 : Tibère est né avec cet orgueil typique de sa gens. Cette conception est moins claire à propos du successeur de Claude, car son jeune âge peut expliquer son comportement, mais l’idée qu’il révèle une nature intrinsèquement mauvaise est néanmoins tout à fait perceptible98. Dans les deux cas, c’est ce que ce caractère annonce des décisions à venir qui importe, aussi bien à la foule tibérienne qu’au narrateur néronien.
56Suétone s’intéresse également à ce qui relève du physique de l’empereur en général, c’est-à-dire à sa santé et son apparence, ainsi qu’à son hygiène de vie et sa sexualité99. Tacite, lui, est beaucoup moins disert à ce sujet, comme le montre sa répugnance manifeste à traiter des débauches sexuelles de Tibère à Capri. En effet, alors que le biographe y consacre une longue présentation détaillée, lui préfère rester relativement vague100. Nous avons vu que, plus que les mœurs sexuelles, réelles ou fantasmées, de Tibère en sa retraite, ce qui intéresse Tacite est l’aspect politique de ces histoires101 : ses passions poussent l’empereur à agir more regio, “selon des mœurs de roi” (c’est-à-dire, ici, de tyran), et à transgresser les interdits sociaux en s’en prenant à des jeunes gens libres (pubem ingenuam)102, avec une source d’excitation supplémentaire dans le souvenir de leurs célèbres ancêtres (imagines maiorum). Le point culminant de cette violation des règles politiques et sociales est atteint à travers les esclaves chargés de trouver et ramener sur l’île ces jeunes gens, car ils ont aussi le droit d’assouvir sur eux leurs propres désirs, ce qui constitue, là encore, une transgression sociale majeure103. Les débauches sexuelles ne sont donc pas décrites en soi, mais servent à dénoncer un comportement despotique104.
57Le même traitement prévaut pour les questions culturelles au sens large. Dans ses biographies, Suétone y accorde une grande attention, peut-être à la suite de ses Vies de grammairiens et de poètes. Quand il y a lieu, il consacre systématiquement une rubrique à l’éducation de chaque empereur, ainsi qu’à ses goûts littéraires, ses œuvres ou les spectacles qu’il a donnés105. Cette dernière “déclinaison” thématique permet de saisir le contraste entre l’historien et le biographe. Voici comment ce dernier décrit les jeux donnés par Claude lors de l’inauguration du canal du lac Fucin :
Quin et emissurus Fucinum lacum naumachiam ante commisit. Sed ut proclamantibus naumachiariis : “haue, imperator, morituri te salutant !” respondisset : “aut non”, neque post hanc uocem, quasi uenia data, quisquam dimicare uellet, diu cunctatus an omnes igni ferroque absumeret, tandem e sede sua prosiluit ac per ambitum lacus non sine foeda uacillatione discurrens partim minando partim adhortando ad pugnam compulit. Hoc spectaculo classis Sicula et Rhodia concurrerunt, duodenarum triremium singulae, exciente bucina Tritone argenteo, qui e medio lacu per machinam emerserat.
“En outre aussi, lorsqu’il eut l’intention de vider le lac Fucin, il fit donner avant une naumachie. Mais, comme les naumachiaires s’écriaient : “Bonjour, empereur, ceux qui vont mourir te saluent !”, il répondit “ou pas” et, après ce mot, comme s’il leur avait été fait grâce, personne ne voulut combattre ; après avoir longtemps hésité à les faire tous périr par le feu ou le fer, il finit par sauter à bas de son siège et, courant ici et là tout autour du lac, non sans vaciller honteusement, en partie en les menaçant, en partie en les exhortant, il les poussa au combat. Le jour de ce spectacle, les flottes de Sicile et de Rhodes s’affrontèrent, avec douze trirèmes chacune ; un triton d’argent, qui était apparu grâce à une machine au milieu du lac, les mettait en mouvement de sa trompette recourbée.” (Suet., Cl., 21.12-14)
58Ce passage fait partie de l’inventaire des types de spectacles donnés par Claude : après avoir parlé des jeux en général, dont les fameux Jeux Séculaires, Suétone passe aux combats de gladiateurs et, ainsi, à la naumachie pour le canal du lac Fucin. Ce qui l’intéresse, c’est tout d’abord le combat naval, nouveau type d’affrontement dans sa liste, introduit par l’expression quin et. Il termine ensuite son récit en évoquant les deux flottes aux prises, le nombre de bateaux engagés et le triton d’argent apparu mécaniquement au milieu du lac. Entre ces deux précisions, l’événement lui permet d’introduire l’anecdote des combattants faisant semblant d’avoir compris qu’ils étaient graciés, au grand dam de Claude. Il y a donc là un intérêt pour les détails techniques, qui provient sans doute de son De Spectaculis, malheureusement perdu pour nous, mais ce texte est aussi une illustration supplémentaire du manque de respect que même des condamnés pouvaient avoir pour l’empereur, de sa férocité (sa première idée est de les faire punir par le fer et le feu) et, finalement, du ridicule de son comportement (il s’abaisse à implorer les naumachiaires et se couvre de honte à cause de sa démarche). Le traitement de ce sujet par Tacite est sensiblement différent. La première partie de son récit ressemble à celui de Suétone :
Claudius triremis quadriremisque et undeuiginti hominum milia armauit, cincto nauibus ambitu, ne uaga effugia forent, ac tamen spatium amplexus ad uim remigii, gubernantium artes, impetus nauium et proelio solita. In ratibus praetoriarum cohortium manipuli turmaeque adstiterant, antepositis propugnaculis ex quis catapultae ballistaeque tenderentur. Reliqua lacus classiarii tectis nauibus obtinebant. Ripas et collis montiumque edita in modum theatri multitudo innumera compleuit, proximis e municipiis et alii urbe ex ipsa, uisendi cupidine aut officio in principem. Ipse insigni paludamento neque procul Agrippina chlamyde aurata praesedere. Pugnatum quamquam inter sontis fortium uirorum animo ac post multum uulnerum occidioni exempti sunt.
“Claude arma des trirèmes, des quadrirèmes et dix-neuf mille hommes ; le tour du lac avait été ceint de bateaux légers, pour éviter des tentatives de fuite ici et là, et cependant suffisamment d’espace était embrassé pour la force des rameurs, l’art des timoniers, les assauts de navires et ce qui advient habituellement dans les combats. Sur les bateaux légers s’étaient postés des manipules et des escouades des cohortes prétoriennes ; devant eux, des remparts, à partir desquels déployer des catapultes et des balistes. Le reste du lac était tenu par les marins de la flotte avec des navires couverts. Une multitude innombrable envahit, à la manière d’un théâtre, les rives, les collines et les parties élevées des montagnes ; on était venu des municipes les plus proches et, pour certains, de Rome même, par désir de voir ou par devoir envers l’empereur. Il présida lui-même au combat, dans un remarquable manteau de commandement, ainsi qu’Agrippine, qui, non loin de lui, portait une chlamyde dorée. Bien qu’entre criminels, on combattit avec l’esprit d’hommes courageux et, après de nombreuses blessures, ils furent exemptés de mise à mort.” (Tac., Ann., 12.56.2-3)
59Malgré son mépris pour les détails techniques106, Tacite aussi fournit des précisions sur la nature des jeux donnés : trirèmes, quadrirèmes, nombre d’hommes employés, disposition des bateaux et des machines de guerres... Il décrit aussi en détails l’événement, mais sans dire un mot sur le refus de combattre des naumachiaires et le ridicule de Claude cherchant à les convaincre. En revanche, c’est grâce à lui qu’on apprend la catastrophe survenue ce jour-là, à cause d’une mauvaise conception du canal inauguré :
Sed perfecto spectaculo apertum aquarum iter. Incuria operis manifesta fuit, haud satis depressi ad lacus ima. Eoque tempore interiecto altius effossi specus et contrahendae rursum multitudini gladiatorum spectaculum editur, inditis pontibus pedestrem ad pugnam. Quin et conuiuium effluuio lacus adpositum magna formidine cunctos adfecit, quia uis aquarum prorumpens proxima trahebat, conuulsis ulterioribus aut fragore et sonitu exterritis. Simul Agrippina trepidatione principis usa ministrum operis Narcissum incusat cupidinis et praedarum. Nec ille reticet, impotentiam muliebrem nimiasque spes eius arguens.
“Mais, une fois le spectacle fini, on ouvrit la voie à l’eau. La mauvaise conception de l’œuvre fut manifeste : on ne l’avait pas suffisamment abaissée vers les parties les plus basses du lac. Après une intermission, on creusa plus profondément le canal et, pour rassembler à nouveau la foule, on donna pour elle un spectacle de gladiateurs en ajoutant des ponts pour un combat terrestre. En outre, même le banquet, situé près de l’ouverture du lac, provoqua chez tous une grande frayeur, parce que l’eau, jaillissant avec violence, emportait ce qui était le plus proche d’elle : ceux qui étaient plus loin étaient submergés ou totalement terrifiés par le fracas et le bruit. En même temps, Agrippine, profitant de la peur du Prince, accuse Narcisse, qui était chargé de l’ouvrage, de cupidité et de pillage. Et lui ne lui répond pas par le silence, lui reprochant son manque de maîtrise de soi féminin et ses espérances excessives.” (Tac., Ann., 12.57.1-2)
60La différence de perspective est particulièrement sensible dans les deux dernières phrases de l’extrait, qui rapportent l’affrontement entre Agrippine II et Narcisse. Tacite ne décrit donc pas pour lui-même le dispositif mis en œuvre lors des festivités, mais prépare un contraste entre le soin avec lequel tout a été préparé et le désastre complet survenant au moment du lâcher d’eau. La dimension politique de cette affaire107 est tout à fait évidente : des soldats empêchent toute fuite éventuelle des condamnés ; le recours à des machines de guerre accroît le spectaculaire sous les yeux d’un public avide de sensations fortes ; Claude est en vêtements de général triomphateur et fait preuve de clementia lorsqu’il finit par gracier les survivants qui ont bien combattu ; enfin, la terreur se répand parmi les nobles venus pour plaire à l’empereur et manquant de périr dans un glissement de terrain. Tacite ne relate dès lors pas tant un événement ponctuel que la ruine d’une “opération de communication”108. Aussi bien lui que le biographe ont conscience de cette occasion de mise en scène de l’autorité qu’étaient les spectacles : pour Suétone, cela passe par les nouveautés et le ridicule de Claude ; pour Tacite, par l’organisation déployée et son échec final, qui révèle que ce n’est pas tant l’empereur qui détient le pouvoir qu’Agrippine et Narcisse109.
61Le traitement des œuvres écrites, des goûts littéraires et de l’éducation est sensiblement différent, parce que, contrairement aux spectacles, ils ne donnent pas lieu à des événements particuliers pouvant être relatés. Tacite ne les fait donc figurer dans son œuvre que s’ils sont directement en lien avec son propos110, comme le choix de Sénèque par Agrippine II pour être le précepteur de Néron, qui n’est pas présenté en fonction de ses conséquences sur la formation du futur empereur, mais de l’effet recherché sur l’opinion publique. Dès lors, là où Suétone écrit :
Liberalis disciplinas omnis fere puer attigit. Sed a philosophia eum mater auertit monens imperaturo contrariam esse ; a cognitione ueterum oratorum Seneca praeceptor, quo diutius in admiratione sui detineret.
“Enfant, il toucha à presque tous les disciplines convenant à un homme libre. Mais sa mère le détourna de la philosophie, en l’avertissant qu’elle était contraire à qui était destiné à régner, et son précepteur Sénèque de la connaissance des anciens orateurs, afin de le maintenir plus longtemps dans son admiration pour lui.” (Suet., Nero, 52.1)
62Tacite déclare pour sa part :
At Agrippina ne malis tantum facinoribus notesceret ueniam exilii pro Annaeo Seneca, simul praeturam impetrat, laetum in publicum rata ob claritudinem studiorum eius utque Domitii pueritia tali magistro adolesceret et consiliis eiusdem ad spem dominationis uterentur, quia Seneca fidus in Agrippinam memoria beneficii et infensus Claudio dolore iniuriae credebatur.
“Toutefois Agrippine, pour ne pas être connue seulement par de mauvaises actions, obtient la grâce d’un retour d’exil en faveur d’Annaeus Sénèque et en même temps pour lui la préture, car elle pensait que cela ferait plaisir au peuple en raison de la réputation de ses études et pour que la jeunesse de Domitius mûrisse grâce à un tel maître et qu’ils utilisent ses conseils dans leurs espoirs de domination : on croyait en effet Sénèque fidèle à Agrippine en souvenir de son bienfait et hostile à Claude sous l’effet douloureux de l’injustice subie.” (Tac., Ann., 12.8.2)
63Dans le premier cas, ce qui intéresse le biographe, ce sont les conséquences plus ou moins implicites des manœuvres de Sénèque pour renforcer son contrôle sur son élève : Néron connaissait assez mal les grands orateurs. Dans le second, Tacite mentionne son rappel surtout parce qu’il s’agit d’une opération hautement politique, sur le moment comme pour plus tard111.
La personnalité du Prince comme filtre chez Suétone
64Que la vie politique romaine soit la préoccupation majeure de Tacite est une évidence. Il se montre ainsi tout particulièrement attentif aux relations du prince avec le Sénat112, à la question du respect du droit113, aux enjeux liés à la maîtrise du pouvoir par l’empereur. Ces thèmes ne se déclinent bien sûr pas toujours de la même façon selon l’œuvre prise en compte, en raison de situations historiques fort différentes. Les enjeux de maîtrise du pouvoir, dans les Histoires, reposent principalement sur le contrôle de l’armée et la capacité de chaque protagoniste à ramener l’ordre ; dans les Annales, il faut aussi prendre en compte les enjeux dynastiques, les conjurations, le soutien ou non du peuple... Ces thèmes sont présents chez Suétone, mais pour ainsi dire incidemment. Les relations avec le Sénat servent ainsi à mesurer l’évolution du régime : la ciuilitas de l’empereur, cette capacité à se comporter comme s’il n’était qu’un citoyen parmi d’autres, est par exemple souvent soulignée en début de règne, préparant un contraste avec la seconde partie de la biographie, où de nombreuses exécutions de sénateurs sont généralement rapportées en tant qu’exemples de crudelitas. Les rapports de l’empereur avec le Sénat ne sont donc pas traités en eux-mêmes, mais pour illustrer certaines particularités du caractère du Prince. La façon de rendre la justice est abordée de la même manière, comme le montre la phrase introduisant cette rubrique dans le Diuus Claudius :
In cognoscendo autem ac decernendo mira uarietate animi fuit, modo circumspectus et sagax, interdum inconsultus ac praeceps, nonnumquam friuolus amentisque similis.
“Par ailleurs, dans ses enquêtes et ses sentences, il fut étonnamment inconstant dans ses avis, tantôt circonspect et sagace, de temps en temps irréfléchi et précipité, quelquefois léger et semblable à un fou.” (Suet., Cl., 15.1)
65Suétone ne cherche clairement pas à mettre en avant ici le respect ou non du droit, mais la palette d’attitudes de Claude au moment de rendre la justice. La structure de la phrase met en avant cette diversité, grâce à la triple répétition d’un adverbe de temps (modo... interdum... nonnumquam...) suivi de deux adjectifs (circumspectus et sagax... inconsultus ac praeceps... friuolus amentisque similis). Il ne s’agit donc pas tant de gouvernement inconséquent que d’inconstance du caractère.
66Quant à la question de la maîtrise du pouvoir, le biographe ne s’attache à ses soubresauts que comme s’il s’agissait d’épiphénomènes, peu importants du moment qu’ils ne conduisent pas à la suppression du protagoniste114. La conjuration de Pison, événement majeur du règne de Néron, que Tacite relate longuement115, est ainsi évoquée par Suétone en un seul paragraphe, comme un nouveau développement de la cruauté impériale116.
67Après avoir raconté comment Néron a fait périr la plupart de ses proches, Suétone aborde une autre catégorie de victimes de l’empereur, les foris et externi, c’est-à-dire les personnes qui ne faisaient pas partie de sa famille. Dans ce contexte, il évoque deux conjurations, celle de Pison et celle de Bénévent, dont la première est présentée comme prior maiorque, mais reste syntaxiquement sur le même plan et n’a droit à aucun détail additionnel permettant de savoir pourquoi elle fut plus importante117. Surtout, la répression sanglante qu’elle déclencha passe pour une tentative de détournement d’un présage funeste, qui est raconté avant même l’évocation des complots118. Tacite mentionne lui aussi ce fait juste avant son récit des événements119 et les présages qu’il évoque sont clairement mis en relation avec ce qui va suivre, puisqu’ils sont présentés comme des nuntia imminentium malorum, “des annonces des malheurs imminents”. Par ailleurs, l’adverbe semper fait de la réaction de Néron, qui décide d’expier par le sang des nobles les dangers à venir, une habitude et non une décision conjoncturelle. Suétone n’est donc pas le seul à avoir utilisé cet événement à des fins de caractérisation de l’empereur pour ainsi dire hors du contexte historique. Mais, dans les Annales, au début du paragraphe suivant, le rappel de l’entrée en charge des nouveaux consuls120 distingue clairement cette cruauté liée aux présages et ce qui va suivre121, alors que Suétone a conservé la mise en rapport, en faisant des deux conjurations un moyen de cacher, sous couvert de répression, la véritable raison de ces exécutions : la peur superstitieuse de l’empereur, qu’attise l’astrologue Balbillus122. Dès lors, les procès des conjurés paraissent au lecteur des parodies de justice123 et on ne comprend pas pourquoi Néron s’en prit également à leurs enfants124.
68Une telle approche ne relève cependant pas d’un goût gratuit pour l’atroce, car elle s’explique lorsqu’on prend en compte la dynamique générale de l’ensemble de ces paragraphes sur les exécutions. La narration passe en effet de l’élimination de personnes très proches du pouvoir (Nero, 35), qui auraient donc pu appuyer des prétentions dynastiques, à des étrangers qui n’auraient pu en avoir. Ce qui est en jeu est ainsi la motivation des exécutions ordonnées : si elles sont de moins en moins justifiées, la transition est parfaite vers le paragraphe suivant, qui aborde celles n’ayant dépendu que d’un caprice de l’empereur (Nero, 37). Pour Suétone, Pison et ses acolytes n’étaient pas des proches du pouvoir, mais il lui était difficile de reconnaître, à cet endroit, que leur exécution était tout à fait justifiée, sous peine d’aller à l’encontre de la dynamique narrative qu’il était en train de mettre en place. Il a donc amoindri l’importance de leur conjuration, en la transformant en prétexte pour des éliminations en réalité dues à la superstition. Dès lors, la façon dont leurs enfants innocents ont été tués à leur tour, dont l’horreur est soulignée par un constat, relève déjà des morts sans raison et la route est pavée pour le récit du Grand Incendie de Rome (Nero, 38)125.
69Suétone n’évoque donc pas la question des rivaux et des menaces comme des thèmes politiques à aborder en soi, mais comme des occasions pour illustrer divers traits de caractère de l’empereur. Ce traitement n’est toutefois pas systématique. Ainsi, pour les trois éphémères successeurs de Néron, la question du contrôle de l’armée n’est certes pas aussi longuement traitée que chez Tacite, mais elle est quand même abordée là où elle devait l’être : refus par Galba de payer le donatiuum promis aux prétoriens par leur ancien préfet et indignation des armées de Germanie126 ; manœuvres d’Othon auprès des mêmes prétoriens avant l’adoption de Pison127 ; joie de l’armée de Germanie en voyant arriver Vitellius, fils d’un père trois fois consul et général qui ne leur refusait rien128. Suétone adopte ainsi une perspective centrée sur la personne de l’empereur, mais il n’omet pas certains éléments sans rapport avec elle s’ils sont incontournables dans le déroulement de son règne. Lorsqu’ils ne jouent pas un rôle fondamental, ils sont en revanche systématiquement passés sous silence.
70Ces choix thématiques sont très visibles dans le traitement des affaires extérieures. Celles-ci sont souvent en lien avec les questions “purement romaines”, en particulier dans les Histoires, où le destin de Rome se joue loin de la Ville. L’historien s’intéresse ainsi bien sûr aux guerres et aux manœuvres diplomatiques, mais aussi à la question de la discipline militaire et aux relations entre le Prince et ses généraux victorieux. En comparaison, il serait faux de prétendre que Suétone se moque de tout ce qui a trait, de près ou de loin, à la diplomatie : une de ses catégories y est presque systématiquement consacrée129. Elles sont néanmoins souvent limitées au minimum : là où Tacite relate longuement la conquête de la Bretagne par Claude, le biographe n’y consacre qu’un seul paragraphe, dont la moitié concerne en réalité le triomphe qui suivit130. Cette dichotomie révèle sans doute autant la conception générale du genre biographique par les Romains que les choix narratifs de Suétone. Les opérations militaires étaient un élément du règne qu’il fallait mentionner, certainement parce qu’elles faisaient date, mais elles n’étaient pas centrales pour le portrait d’un empereur : c’était donc sans risque que le biographe pouvait se contenter, à leur sujet, d’une rapide allusion131.
71La discipline militaire, en revanche, n’était manifestement pas un point cardinal, alors qu’il s’agissait d’un élément central du portrait d’un bon général en chef132. Cette question est en effet totalement absente des biographies de notre corpus : c’est tout juste si, à propos de la marche de Vitellius sur Rome après sa victoire, Suétone signale la licentia générale par un ablatif absolu133. Mais, là encore, tout dépend de l’empereur, car hors des Vies étudiées ici, dans celle de Vespasien, un long paragraphe aborde la restauration de l’ordre dans l’Empire en général et l’armée en particulier134 et joue le rôle de catégorie traitant des rapports avec l’armée et les provinces : pour cet empereur-là, il était donc nécessaire d’aborder le sujet. Ce n’était par contre apparemment pas le cas pour l’attitude du Prince vis-à-vis de ses généraux victorieux. L’exemple le plus fameux de notre corpus est celui de Tibère et Germanicus, qui est le seul évoqué par le biographe : rien n’est dit de Corbulon ou Verginius Rufus et Dolabella n’apparaît que très rapidement, parce que Galba l’utilisa comme prétexte pour licencier la cohorte germaine135. Germanicus reçoit un traitement assez similaire : quand Tibère arrive au pouvoir, il est mentionné en raison de sa popularité auprès des légions de Germanie et son obstination à refuser le pouvoir est soulignée en fin de phrase136. Mais le possible rival qu’il aurait pu être disparaît ensuite totalement de la narration, pour n’y revenir qu’au moment de la rubrique sur la haine de l’empereur contre les membres de sa famille137 : il est alors associé à Drusus II, le fils naturel de Tibère, et les soupçons autour de sa mort sont présentés comme une preuve supplémentaire de l’hostilité de l’empereur, préparant ainsi le récit du traitement réservé à Agrippine I et à ses fils. Sur ce point comme sur d’autres, Suétone soit a réutilisé les éléments en lien avec le caractère de l’empereur, soit n’a mentionné que le minimum nécessaire.
Un effacement des frontières génériques entre histoire et biographie ?
72Suétone a donc bien, comme Tacite, un “filtre” opérant dans sa façon de traiter son sujet : chez l’historien, il s’agit de la politique ; chez lui, c’est la mise en évidence du caractère du Prince. On retrouve bien là les τὰ τῆς ψυχῆς σηµεῖα dont parlait Plutarque en Alex., 1.3 : la biographie s’intéresse à ce qui révèle “l’âme” de son protagoniste, non les actions les plus importantes qu’il a pu accomplir. Celles-ci peuvent être évoquées, mais uniquement si elles révèlent ou confirment une particularité : dans le cas contraire, quand il n’est pas possible de les passer sous silence, elles ne bénéficient que d’une brève mention dans le récit, dont elles disparaissent presque immédiatement.
73Les différences génériques entre nos deux auteurs relèvent par conséquent de la perspective adoptée dans le traitement de leur matériau commun, ce qui est à la fois beaucoup et finalement assez peu. Ces deux orientations les amènent en effet à porter tous deux une très grande attention au même point central : la personnalité de l’empereur. Celle-ci est l’objet principal du genre biographique, celui qui fonde sa différence par rapport à l’histoire, mais cette dernière, lorsqu’elle traite de la période impériale, ne peut pas non plus négliger ce facteur, car la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul, principe fondateur du régime fondé par Auguste, fait du Prince l’origine de toutes les décisions138. Même les campagnes militaires menées au loin par d’autres le sont sous ses propres auspices et, dès lors, disent quelque chose de lui dans leurs succès comme dans leurs échecs. Par ailleurs, le passage du gouvernement effectif des bancs du Sénat au Conseil du Prince induit non seulement une restriction de l’accès à l’information, mais aussi un soupçon de manipulation pesant perpétuellement sur les éléments officiellement diffusés : reflètent-ils la vérité ou seulement ce que l’empereur veut que l’on sache ? Le secret des délibérations impériales empêche de le déterminer avec certitude, conduisant inévitablement à une remise en question systématique, très visible dans les Annales. Dès lors, le seul élément sur lequel s’appuyer, en apparence d’autant plus solide que le régime rendait l’arbitraire toujours possible, était la personnalité du Prince : il est ciuilis et donc cherche réellement à associer le Sénat à ses décisions ; il est crudelis, donc utilise en réalité les conjurations pour assouvir sa soif de sang.
74Ces conséquences historiographiques dues au changement de régime à Rome amènent le genre historique à adopter la même pratique que le genre biographique : les actions de l’empereur sont expliquées non par le contexte, mais par son caractère. L’exemple de Claude en est une bonne illustration : étant donné qu’il est présenté comme faible et aisément manipulable, ses décisions sont soit privées de justification, ce qui les fait sembler absurdes et arbitraires, soit attribuées à ses épouses et ses affranchis139. Les exécutions de hauts personnages, en particulier au début de son règne, sont ainsi justifiées par des caprices de son entourage, alors qu’elles visaient à consolider les prétentions dynastiques de Claude et, ensuite, Britannicus140. Ainsi, lorsque Tacite aborde la chute de Valérius Asiaticus, il se contente de dire que Messaline désirait se venger de lui parce qu’il avait été son amant et s’emparer de ses jardins141, motifs futiles qui mettent en évidence le pantin qu’est l’empereur, ce que souligne ensuite la condamnation de deux chevaliers pour avoir fait un rêve considéré comme prémonitoire142. Or, bien que l’accusation de conjuration semble feinte143, ce personnage était loin d’être inoffensif144 et des questions dynastiques sont très vraisemblablement entrées en jeu145, mais la représentation de Claude en homme crédule et sans volonté propre146 amène à ne pas véritablement s’interroger sur ses motivations.
75Cette utilisation de la personnalité du Prince comme principale explication de son comportement est donc directement liée à la personnalisation du pouvoir. À cela s’ajoute que l’absence de réelle contestation du Principat, particulièrement évidente au moment de la mort de Caligula, a déplacé l’attention de la question des institutions à celle de l’homme occupant la fonction suprême. Voilà qui explique sans peine la fortune du genre biographique après Suétone et, avant cela, ses développements en Grèce pendant la période hellénistique147. Cette situation particulière a notamment amené C. C. Mierow à considérer que Tacite était davantage un biographe qu’un annaliste148. Pour lui, le fil narratif des Histoires et des Annales s’organise autour de biographies longues (personnages principaux) et courtes (personnages secondaires)149, technique étroitement liée au caractère monarchique du régime150. Il serait exagéré de ne voir dans l’œuvre de Tacite qu’une succession de portraits d’individus, car les thèmes développés et la façon dont ils sont mis en œuvre dépassent largement le simple cadre biographique151. Néanmoins, il est vrai que cette attention constante et soutenue à la personnalité du Prince brouille sensiblement les frontières génériques entre histoire et biographie, phénomène accentué par la communauté de sources et d’époque de rédaction de nos deux auteurs. D’une certaine manière, quel que soit le genre choisi, c’est à partir des considérations en cours à leur époque que nos deux auteurs ont effectué leurs choix narratifs.
Notes de bas de page
1 Introduction, p. 14-15.
2 Jal 1997. L’attitude de P. Jal vis-à-vis de ce second type d’historiographie est ambiguë : il refuse à ces auteurs le titre d’historiens (cf. p. 31-32 : “il ne saurait être question de [leur] donner le nom d’historiens”), tout en reconnaissant qu’ils produisent des ouvrages d’histoire (cf. p. 32 : “Quoi qu’on en pense en général, ces auteurs écrivent des ouvrages à certains égards historiques, quant au fond, car c’est bien une sorte d’histoire, une histoire que j’appellerai, faute d’un terme plus adéquat, histoire thématique, histoire découpée en “sujets” particuliers, en rubriques, en catégories spécialisées, qu’ils nous offrent”).
3 Jal 1997, 27 : “[L’historiographie thématique] joue un rôle subsidiaire à la première” ; cf aussi p. 35, où il parle d’ “historiographie de remplacement”. Momigliano 1971 se pose, lui, la question de la relation entre le genre biographique et l’érudition.
4 Jal 1997, 34.
5 Jal 1997, 35.
6 Cité en exemple d’historiographie thématique par Jal 1997, 35.
7 Jal 1997, 34, ne se prononce pas explicitement sur le statut de l’œuvre de Suétone : il le rapproche de Plutarque et reconnaît qu’ils utilisent tous deux “les procédés de l’histoire thématique”, mais c’est occulter que le Grec respecte l’ordre chronologique au point de le préserver même entre son Galba et son Othon, tandis que Suétone non seulement débute chacune de ses Vies à la naissance de son protagoniste, mais aussi subvertit complètement la perspective temporelle en introduisant ses catégories dans le récit (cf. Gascou 1984, 390-437, qui parle de “chronologie sacrifiée” et d’“écrasement de la perspective historique”).
8 “rapporter chaque fait dans son année”.
9 Tac., Hist., 1.1.1. Il est probable que la partie perdue des Histoires suivait un cours semblable à celui des Annales, tel qu’il est déjà perceptible à partir des livres IV et V.
10 Syme 1958, 253-271.
11 Sur la façon dont Tacite adapte le cadre annalistique à ces propres objectifs, cf. Ginsburg 1981, passim. Je remercie O. Devillers de m’avoir suggéré cet ouvrage.
12 Grimal 1990, 265 : “la chronologie des événements n’est pas marquée avec rigueur”.
13 Par exemple, pour l’Agricola, Hanson 1993 ; pour les Histoires, Syme 1958, 157-166.
14 Même celle-ci ne permet en réalité pas de savoir exactement quand ont eu lieu les événements abordés ensuite : cf. Ginsburg 1981, 10-18.
15 Respectivement en Tac., Ann., 2.41.2 et 4.70.1. La date de l’exécution de Titus Sabinus est surtout donnée parce qu’elle a eu lieu un 1er janvier, jour où la tradition voulait qu’on n’exécute personne, sous peine de mauvais présage pour toute l’année à venir.
16 Sur at comme particule typique de Tacite pour changer de sujet, cf. Ginsburg 1981, 59.
17 Ginsburg 1981, 118, n. 15 : “Such phrases sometimes appear to be more standard historical copulatives than accurate chronological indications.”
18 Cette expression désigne effectivement le début de l’année calendaire et non une période plus vaste : cf. Ginsburg 1981, 20-21.
19 Syme 1958, 271-287.
20 Syme 1958, 278 : “The first hexad of the Annales contains an abundance of information patently deriving from the official protocol and only there to be discovered.”
21 Jal 1997, 30.
22 Ginburg 1981 se demande néanmoins, tout au long de son étude, s’il est vraiment possible de considérer Tacite comme un annaliste “traditionnel” : cf. p. 23 et p. 99-100. Elle déclare notamment, p. 99 : “Tacitus shows himself to be fully aware of the conventions of annalistic history. But Tacitus, even when he pays lip service to the traditional form, does not behave as we would expect a traditional annalist to behave.”
23 Devillers 1994.
24 Cf. l’analyse minutieuse qui en est faite, livre après livre, par Devillers 1994, 25-97. Cela n’empêche toutefois pas date et glissement de parfois coïncider, par exemple lorsque la dégradation du règne de Tibère est présentée comme une conséquence de la mort de Drusus II. Sur la façon dont Tacite utilise aussi les références temporelles pour dramatiser son récit, cf. Cogitore 2012.
25 Grimal 1990, 265, les qualifie d’ “appendices”.
26 Sur la façon dont cette formulation correspond au cadre annalistique traditionnel et sa réappropriation par Tacite, cf. Ginsburg 1981, 40-52.
27 Tacite adopterait alors une pratique similaire à celle de Suétone, qui énumère indistinctement les bonnes actions qu’il n’a pas pu mentionner dans une catégorie, avant de passer à l’aspect négatif du règne : cf. infra.
28 Toutes les morts ne sont bien sûr pas mentionnées en fin d’année si elles servent les besoins de la narration : celle de Livie, qui ouvre le livre VI, en est un excellent exemple. De même, si la réfection d’un bâtiment ou une proposition d’honneurs sont liées à une séance du Sénat particulière, elles apparaissent dans le texte à cette place (cf. par exemple Tac., Ann., 3.72.1 pour la permission donnée à Lepidus de restaurer la basilique Emilia et 3.72.4 pour les ornamenta triumphalia décernés à Junius Blaesus).
29 Cette caractéristique est très visible pour les notices nécrologiques : cf. Tac., Ann., 1.53.1 (eo anno Iulia supremum diem obiit) ; 3.30.1 (Fine anni excessere uita insignes uiri) ; 3.75.1 (Obiere eo anno uiri inlustres) ; 3.76.1 (Et Iunia (...) supremum diem expleuit) ; 4.15.1 (Idem annus alio quoque luctu Caesarem adficit) ; 4.44.1 (Obiere eo anno uiri nobiles) ; 4.61 (Fine anni excessere insignes uiri) ; 4.71.4 (Per idem tempus Iulia mortem obiit) ; 6.10.3 (Per idem tempus Lucius Piso pontifex (...) fato obiit) ; 6.27.4 (Obiit eo anno et Marcus Lepidus) ; 6.39.3 (Fine anni Poppaeus Sabinus concessit uita) ; 13.30.2 (At Lucius Volusius egregia fama concessit) ; 14.19 (Sequuntur uirorum inlustrium mortes) ; 14.47.1 (Eo anno mortem obiit Memmius Regulus) ; 16.17.1 (Paucos quippe intra dies, eodem agmine Annaeus Mela, Cerialis Anicius, Rufrius Crispinus ac Titus Petronius cecidere).
30 Tac., Ann., 4.6.1-4. Autres exemples : Tac., Ann., 1.3.6-4.1 ; 4.5.1-4. Les Histoires contiennent également ce genre de passages : cf. Tac., Hist., 1.5.1-11.3 ; 2.4.3-4 ; 2.11.1-3.
31 Contrairement aux excursus, dont le but est souvent de remettre en perspective le propos.
32 Dans les livres sur le règne de Néron, il s’excuse à nouveau de la tristesse et de la monotonie de sa matière, en arguant d’un tribut dû à la mémoire des victimes : cf. Tac., Ann., 16.16.1-2.
33 Suet., Tib., 20.6 et Cl., 3.6.
34 Jal 1997, 34, considère également que les anticipations de développements encore à venir relèvent aussi du catégoriel : “Lorsqu’il lui arrive d’écrire, dans telle ou telle de ses biographies, “mais tout cela eut lieu plus tard”, Plutarque (qui se défend par ailleurs, on le sait, d’être un historien au sens traditionnel du mot) utilise les procédés de l’histoire thématique, au même titre que son contemporain, Suétone, lorsque celui-ci sépare, dans la Vie de Néron, le bon et le mauvais empereur et revient en arrière, pour ce faire, dans le cours des événements.”
35 Ginsburg 1981, 79 : “the only principle of arrangement to which he felt strictly bound was that of narrating events under the year in which they occurred: ‘suum quaeque in annum referre’. Within the year Tacitus is only interested in recording events “as they really were” when it suited his purposes to do so.” Le passage souligné est de mon fait.
36 H. Ailloud, dans la préface à son édition pour la CUF, p. xvii, pense qu’elle provient de la perte d’un quaternion entre le vie et le ixe siècle. Jean Lydus signale en effet, au vie siècle, que l’ouvrage était dédié au préfet du prétoire Septicius Clarus, ce qui veut dire qu’il était encore intact à ce moment-là. À l’inverse, le plus ancien manuscrit des Vies, le Memmianus, qui date du ixe siècle, commence par une majuscule ornée, comme s’il s’agissait de son début normal : la perte avait donc déjà eu lieu à ce moment-là.
37 Depuis Leo 1901, à présent assez critiqué, on peut citer, notamment, Cizek 1977, qui consacre tout un livre à la question, ou encore Croisille 1969-1970 et Bérard 2007.
38 Ce terme de species n’est pas anodin et renvoie à un contexte aristotélicien qui en dit long sur la façon dont Suétone entendait caractériser ses empereurs. Je remercie A. Videau de m’avoir signalé cette particularité.
39 Gascou 1984, 390-437.
40 Par exemple dans le Tiberius : 1.1-4.7 : ascendants ; 5.1-6.6 : enfance ; 7.1-6 : jeunesse ; 8.1-9.5 : début de sa carrière.
41 Suet., Cl., 43.1-44.2.
42 Suet., Cl., 45.1-2.
43 Chapitre 4, p. 152-160 pour l’arrivée au pouvoir et p. 160-163 pour la mort.
44 Tac., Hist., 1.71.1-75.2 et 1.77.2-78.2.
45 Les paragraphes 12 à 15, sur un total de vingt-trois, pour le Galba et 11 à 14 pour le Vitellius, sur un total de dix-huit.
46 Elles sont précédées d’une rubrique sur les folles dépenses de Néron (Suet., Nero, 30.1-32.7) et suivies de la liste de celles qui appartenaient à son cercle de proches (Suet., Nero, 35.7-12).
47 Suet., Nero, 33.1-2.
48 Suet., Nero, 33.2-7.
49 Suet., Nero, 34.1-8.
50 Suet., Nero, 34.9.
51 Suet., Nero, 35.3-4.
52 Suet., Nero, 35.5.
53 Suet., Tib., 42.1.
54 Giua 1991. Pour Suétone, le basculement se fait avec la mort de Germanicus, puis de Drusus II (cf. Suet, Tib., 39.1). Pour Tacite, la mort de Drusus II est, certes, un tournant du règne (cf. Tac., Ann., 4.1.1), mais c’est surtout celle de Livie qui aurait enlevé tout frein à l’empereur (cf. Tac., Ann., 5.3.1).
55 Tac., Ann., 14.51.1.
56 Cf. pour les biographies de notre corpus, Suet., Tib., 42.1 ; Cl., 29.1 ; Nero, 19.5 ; Gal., 14.1 ; Vit., 10.2.
57 Chapitre 5, 220-223. Cette conception en deux parties touche également la vie d’Auguste, mais selon un procédé contraire, puisque on passe d’une partie négative à une partie entièrement positive. C’est aussi le cas de celles de Vespasien et de Titus, où une amélioration est nettement signalée.
58 Gascou 1984, 173-249.
59 Idée explicitement exprimée par Suétone, en Suet., Tib., 4.
60 Personne ne fait ce reproche, par exemple, à Valère-Maxime.
61 Suet., Gal., 16.4-17.1. Les légions de Germanie avaient effectivement commencé par en appeler au Sénat, mais c’était pour que leur soulèvement soit mieux accueilli à Rome : cf. Tac., Hist., 1.12.1.
62 Gascou 1984, 349-390, a étudié en détail toutes ces répétitions et leurs conséquences. Il est intéressant de noter que cette partie de son travail s’intitule “La composition et ses limites” et qu’il parle de “récit” d’un côté (en voulant manifestement désigner les parties chronologiques) et de species de l’autre : pour lui, les catégories ne sont donc pas du récit. Cf. aussi Mouchová 1967, 17-65.
63 Suet., Cl., 27.6, à comparer avec Tac., Ann., 12.25.1-26.1 pour l’adoption de Néron ; 12.4.1-3 et 12.8.1 pour le procès et la mort de Silanus. L’exécution de Pompeius devait être relatée dans un des livres perdus des Annales.
64 Cette mention “en passant” fait penser à la première apparition de Néron dans les Annales, en Tac., Ann., 11.11.3, où Tacite l’appelle Lucius Domitius et le présente seulement comme mox in imperium et cognomentum Neronis adscitus, “bientôt associé au pouvoir et au surnom de Néron”.
65 Cf. le titre donné par Cizek 1977, 32, à l’une de ses sous-parties : “Suétone travaille sans sa tête et rien qu’avec ses mains.” Il s’agit pour lui ici de résumer l’opinion antérieure sur cet auteur, non de s’y associer. A. Wallace-Hadrill, pour sa part, bien que sa monographie soit relativement favorable au biographe, va jusqu’à parler de rejet de la narration pour ce genre de passages : cf. Wallace-Hadrill 1983, 10-15.
66 Il ne reste de ces biographies que le Galba et l’Othon, mais le catalogue de Lamprias permet de savoir qu’il avait commencé avec Auguste et fini avec Vitellius (cf. K. Ziegler in RE, s. v. Plut. von Chair., col. 696-702). Or la Vie d’Othon continue directement celle de Galba, reprenant le récit là où elle l’avait laissé, alors que Suétone, pour sa part, débute par les ancêtres du futur empereur, son enfance... Cette caractéristique donne à penser à R. Flacelière et E. Chambry, dans la notice à leur édition du Galba et de l’Othon pour la CUF (p. 133-134), qu’il devait en être de même pour le Vitellius. Plutarque aurait donc respecté la chronologie de façon extrême, en allant jusqu’à ne pas même la rompre entre ses biographies d’empereurs, comme s’il écrivait un ouvrage d’histoire classique.
67 Suet., Vesp., 1.1.
68 Suet., Tib., 26.1 ; Cl., 11.1 ; Nero, 9.1 ; Gal., 11.2 ; Vit., 11.1-12.1. La Vie d’Othon étant totalement chronologique, ses premières mesures (en l’occurrence, l’ouverture de négociations avec les vitelliens) ne peuvent être considérées comme servant de transition.
69 Suet., Tib., 26.1-5.
70 Suet., Tib., 27.1-2.
71 Suet., Tib., 28.1-2.
72 Cf. Suet., Tib., 29.1.
73 Suet., Tib., 29.2-32.2.
74 Suet., Tib., 32.3-4.
75 Suet., Tib., 32.5.
76 Cf. Suet., Tib., 33.1.
77 Suet., Tib., 33.2.
78 Suet., Tib., 34.1-4.
79 Suet., Tib., 35.1-4.
80 Suet., Tib., 36.1-3.
81 Suet., Tib., 37.1-9.
82 Suet., Tib., 38.1.
83 Suet., Tib., 39.1-40.2.
84 Chapitre 4, 128-130. Gascou 1984, 691-695, signalait déjà l’importance des premiers chapitres pour la “mise en condition” du lecteur.
85 Chapitre 4, 160-163.
86 Pour Syme 1986, cette progression est aussi un élément de cohésion entre les biographies, qui apparaissent comme des “déclinaisons” d’un même type.
87 Chapitre 4, 150-152.
88 Jal 1997, 35.
89 Plut., Alex., 1.1-3.
90 Jal 1997, 27.
91 Par exemple Suet., Tib., 61.3 : Singillatim crudeliter facta eius exequi longum est ; genera, uelut exemplaria saeuitiae, enumerare sat erit, “Il serait trop long de passer en revue une à une ses actions cruelles ; il suffira d’en énumérer les genres, comme représentatifs de sa dureté.”
92 Ni Plutarque, ni Suétone ne taisent les principaux événements de la vie de leurs protagonistes. De même, Tacite aussi inclut périodiquement dans sa narration des éléments relevant du quotidien et de l’anecdotique.
93 Corbier 2007, 173-196.
94 Tac., Ann., 12.2.1. Sur le haut caractère politique des mariages romains, cf. Corbier 2004.
95 Tac., Ann., 12.68.3.
96 Tac., Ann., 15.53.3.
97 Suet., Nero, 1.6.
98 Tac., Ann., 14.13.2 : seque in omnis libidines effudit, quas male coercitas qualiscumque matris reuerentia tardauerat, “il se répandit dans tous les plaisirs que son respect pour sa mère, quel qu’il ait été, avait mal réprimés en en retardant le développement.” Cette formule rappelle celle de Suétone à propos de Tibère à Capri (Suet., Tib., 42.1 : cuncta simul uitia male diu dissimulata tandem profudit, “il laissa enfin s’échapper en même temps tous ses vices longtemps mal dissimulés”), où le biographe combine l’idée de l’héritage d’un caractère “familial” et celle d’une révélation du véritable caractère de l’empereur au fur et à mesure que l’exercice du pouvoir absolu fait son effet. À propos de Tibère aussi, Tacite considère que la mère de l’empereur, tant qu’elle était encore en vie, modérait les vices de son fils, notamment sa haine contre Agrippine I et ses fils aînés : cf. Tac., Ann., 5.2.1.
99 Pour l’apparence physique de chaque empereur, cf. Suet., Tib., 68.1-4 ; Cl., 38.1-2 ; Nero, 51.1-2 ; Gal., 21.1-2 ; Otho, 12.1 ; pour leur santé, cf. Suet., Tib., 68.5-6 ; Cl., 31 ; pour leur hygiène de vie, cf. Suet., Tib., 42.2-6 ; Cl., 32.1-33.3 ; Nero, 27.2-4 ; Gal., 22.1 ; Otho, 12.2-3 ; Vit., 13.1-6 ; pour leur sexualité, cf. Suet., Tib., 43.1-45.2 (à Capri) ; Cl., 33.4 ; Nero, 28.1-29.2 ; Gal., 22.2.
100 Tac., Ann., 6.1.1-2.
101 Chapitre 3, 107-108.
102 Sur l’aspect transgressif de tels accouplements, cf. Dupont & Eloi 2001, 14-26.
103 Cf. Woodman 2018, ad loc., p. 93 : “The wrenching of children from parents is a feature of tyrannical behaviour, while the slaves here behave in exactly the opposite manner to that demanded of the associates of a good ruler.”
104 Cf. Galtier 2011, 222, à propos des débauches à Capri : “Sa puissance sans bornes incite en effet le tyran à satisfaire toutes ses pulsions, y compris celles qui sortent des limites imposées par ce qui définit l’être humain en tant que tel. Il est ainsi happé par le cycle sans fin des désirs et des caprices que suscitent en lui sa libido et sa superbia.” La sexualité du tyran n’est donc d’intérêt que parce qu’elle illustre un comportement politique déviant et y participe. Koesterman 1965, ad loc., p. 241, se demande s’il ne faut pas voir ici aussi une allusion à des accusations portées contre Domitien.
105 Pour l’éducation, cf. Suet., Cl., 3.1 ; Nero, 52.1 ; Gal., 5.1 ; pour les goûts littéraires, cf. Suet., Tib., 70.1-6 ; Cl., 42.15 ; pour la production littéraire, cf. Suet., Cl., 41.1-5 ; Nero, 52.2-3 ; pour les spectacles, cf. Suet., Tib., 47.1 ; Cl., 21.2-14 ; Nero, 11.1-13.4.
106 Cf. la remarque sur les auteurs aimant à parler de fondations et de charpentes, en Tac., Ann., 13.31.1.
107 Sur l’importance politique des spectacles pour les relations entre l’empereur et la plèbe, cf. Engels 1972, 439-443 et, plus généralement, 429-443. Cf. aussi bien sûr Veyne 1976.
108 Cf. la précision quo magnificentia operis a pluribus uiseretur, “afin de faire voir à un plus grand nombre la magnificence de l’œuvre”, dans la phrase qui ouvre le récit, en Tac., Ann., 12.56.1.
109 Grimal 1990, 301 : “Tout aboutit finalement à mettre en lumière, une fois de plus, la dégradation du pouvoir entre les mains de Claude.” Sur la façon dont Tacite discrédite l’utilisation politique des jeux par les empereurs à travers l’exemple de Néron, cf. Devillers 2007 b.
110 Cela ne l’empêche en revanche pas de s’appuyer sur eux pour nourrir son œuvre, telles les œuvres d’érudition de Claude pour certaines de ses digressions. Je remercie Fr. Bérard de m’avoir signalé ce point.
111 Tacite a aussi une autre façon d’utiliser les éléments culturels liés aux empereurs qu’il met en scène. Ainsi, s’il ne mentionne pas les velléités d’historien de Claude (cf. Suet., Cl., 41.1-4), il se sert de ce goût dans sa réécriture de son plaidoyer pour l’adlection des Gaulois au Sénat. Pour une analyse des rapports entre le discours rédigé par Tacite et celui gravé sur les tables de Lyon, ainsi que de leurs conséquences historiographiques, cf. Devillers 1994, 197-209. Les œuvres érudites de Claude ont également été utilisées comme source par Tacite pour les Jeux Séculaires, les lettres étrusques ajoutées à l’alphabet ou encore, très probablement, la digression sur le Caelius.
112 Jusque dans l’organisation de son matériau : cf. p. 241-242 du présent chapitre.
113 Ducos 1991.
114 Cogitore 2002, 13-14 : “Chez lui (scil. Suétone), les conspirations sont comme intégrées dans le récit, comme fondues dans le texte. La mention d’une conspiration se fait simplement, en passant” et un peu plus loin, p. 14 : “Suétone utilise les conspirations en passant, pour dater, pour situer. Il recourt très fréquemment aux incises, aux propositions relatives, aux participes apposés, pour signaler l’existence d’une conjuration ; il ne s’intéresse que rarement à elles-mêmes et le seul récit long est celui consacré à la conjuration de Chaéréa, donc la seule qui, sous les Julio-Claudiens, ait atteint son but.”
115 Tac., Ann., 15.48.1-74.3.
116 Suet., Nero, 36.1-37.1.
117 Suet., Nero, 36.2.
118 Suet., Nero, 36.1-2.
119 Tac., Ann., 15.47.1.
120 Tac., Ann., 15.48.1.
121 Koestermann 1968, ad loc., p. 263 : “Der Drang zu einer dramatisch geschlossenen Erzählung im Gegensatz zur annalistischen Aufsplitterung tritt bei Tacitus immer stärker hervor.”
122 Suet., Nero, 36.2 : nobilissm cuique exitium destinauit ; enimuero multo magis et quasi per iustam causam, duabus coniurationibus prouulgatis, “il destina à la mort tous les plus nobles ; en vérité, il prit d’autant plus cette décision, comme s’il avait de justes motifs, que deux conjurations furent rendues publiques”. Notez le quasi de l’expression quasi per iustam causam, alors que, précisément, la découverte d’une conjuration était précisément une raison valable pour condamner quelqu’un à mort.
123 Suet., Nero, 36.3.
124 Suet., Nero, 36.4.
125 Sur la façon dont Suétone rend Néron pleinement responsable de l’incendie de 64, cf. chapitre 3,
118-119.
126 Suet., Gal., 16.1-4. On y retrouve la même réplique de Galba que chez Tacite, sur le fait qu’il choisissait ses soldats et ne les achetait pas (cf. Tac., Hist., 1.5.2).
127 Suet., Otho, 4.3, qui contient, là encore, l’anecdote également évoquée par Tacite du champ acheté pour un soldat (cf. Tac., Hist., 1.23.1-24.2).
128 Suet., Vit., 7.5-8.1.
129 Suet., Tib., 37.8-9 ; Cl., 17.1-6 ; Nero, 18.1-2. La brièveté des règnes de Galba, Othon et Vitellius, ainsi que leur contexte historique, ne donnaient pas lieu à une telle catégorie, mais on la retrouve aussi dans les biographies qui ne font pas partie de notre corpus : cf. Suet., Aug., 20.1-21.7 ; Cal., 43.1-2 ; Dom., 6.1-4.
130 Suet., Cl., 17.1-6. L’expédition est qualifiée de modica (Suet., Cl., 17.1) et le récit du triomphe occupe les sections 4 à 6. À comparer avec Tac., Ann., 12.31.1-40.5, qui ne relate que le soulèvement mené par Caratacus, puisque la conquête en elle-même a eu lieu au début du règne de Claude, dont dans une partie des Annales qui ne nous est pas parvenue. Il est néanmoins possible de penser qu’elle y était traitée en détails, étant donné la minutie du résumé que Tacite en fait dans la Vie d’Agricola (cf. Tac., Agr., 13.2-17.4).
131 Pour Devillers 1994, p. 261, les affaires extérieures prennent aussi une telle place chez Tacite parce qu’elles font partie des attendus de l’historiographie annalistique, ce qui explique, par contre-coup, leur quasi absence chez Suétone. Cette répartition thématique correspond donc tout à fait à ce qu’évoque Plutarque en Plut., Alex., 1.3.
132 Chapitre 4, p. 132-135.
133 Suet., Vit., 10.3 : nulla familiae aut militis disciplina, “sans que ses proches ou ses soldats ne maintiennent aucune discipline”.
134 Suet., Vesp., 8.1-7.
135 Suet., Gal., 12.4.
136 Suet., Tib., 25.4.
137 Suet., Tib., 52.1-7. Sa vie est cependant racontée dans le Caligula (cf. Suet., Cal., 1.1-7.1), en tant que père du futur Prince et, implicitement, modèle dont ce dernier déchut.
138 Sur ce point, cf. Marincola 1997, 86-95, qui ne va cependant pas jusqu’au bout de son raisonnement, même en traitant de Tacite, car il ne prend pas en compte le genre biographique.
139 Cf. Suet., Cl., 25.15, qui clôt l’exposé des bonnes mesures prises par Claude.
140 Levick 1990, p. 58.
141 Tac., Ann., 11.1.1.
142 Tac., Ann., 11.4.1-2. Cette surenchère rappelle la scène, rapportée par Suétone, où Claude fait condamner à mort Appius Silanus sur la foi d’un “rêve partagé” rapporté par Messaline et Narcisse : cf. Suet., Cl., 37.3-4. Là aussi, la facilité avec laquelle Claude a été manipulé est soulignée par les remerciements qu’il adresse ensuite à Narcisse au Sénat, en déclarant qu’il veillait sur lui même dans son sommeil.
143 Levick 1990, 62 et Cogitore 2002, 206, puis 209-210.
144 Levick 1990, 63 et Cogitore 2002, 205, où il est qualifié de “personnage troublant”.
145 Cogitore 2002, 209. Pour elle, c’est la volonté des accusateurs comme des défenseurs d’Asiaticus de cacher leurs véritables intentions qui donne l’impression que cette affaire n’a pas de dimension dynastique, alors “[qu’elle] se justifierait pleinement ici”.
146 Chapitre 5, 192.
147 Marincola 1997, 91, fait remarquer que les historiens grecs eurent moins de problèmes à s’adapter aux nouvelles conditions d’écriture de l’histoire induites par l’instauration du Principat, car cela faisait longtemps qu’ils s’intéressaient aux mœurs et au comportement des individus.
148 Mierow 1938, 36 : “to reveal him [...] as a biographer rather than an annalist” ; p. 38 : “He is fundamentally a biographer” ; p. 43 : “primarily a moralist and a biographer”.
149 Mierow 1938, 38-41, en particulier p. 40 : “the chief interest of Tacitus was in people and his favorite method of writing history was through the lively portrayal of individuals”.
150 Mierow 1938, 37.
151 Devillers 1994, passim.
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