Mentions des sources dans la narration
p. 51-88
Texte intégral
1Les interventions auctoriales constituent une part importante des passages où le récit s’interrompt momentanément pour permettre l’introduction d’éléments extranarratifs. Elles ne représentent toutefois pas à elles seules l’intégralité de ces ruptures. L’un des principes suivis dans le chapitre précédent était que, les informations sans accent particulier étant implicitement assumées par nos auteurs1, les passages où ils apparaissaient explicitement avaient une autre fonction : souligner le résultat des recherches entreprises, orienter le lecteur... Mais il leur arrive parfois aussi de refuser de garantir eux-mêmes certains éléments, qu’ils font dès lors dépendre de termes renvoyant à une instance située hors de la narration2 : autre auteur, archives, opinion populaire... Cette question du garant de l’information confère au texte une dimension polyphonique : la voix de l’auteur n’est pas la seule à s’exprimer, d’autres prennent aussi momentanément la parole et les deux peuvent aussi bien se compléter et s’accorder que s’opposer et se réfuter3. Il y a là, du point de vu informatif, une “dilution de responsabilité”4 : Tacite et Suétone font figurer certains éléments dans leurs œuvres, mais ils ne les assument pas en leur nom propre.
2Les termes qu’ils utilisent alors sont intéressants à plus d’un titre. Ils fournissent tout d’abord au lecteur des informations métatextuelles sur la version ainsi présentée : période d’apparition, persistance ou non jusqu’au moment de la rédaction... Par ailleurs, le large éventail des expressions choisies permet de postuler des nuances de sens, donnant des précisions implicites sur la façon dont ils ont eu connaissance de ces éléments : source orale, écrite, populaire, aristocratique... C’est ce que P. Dendale et L. Tasmowski appellent des marqueurs d’évidentialité5. Enfin, ces termes et la façon dont ils figurent dans le texte donnent des indications sur le poids que nos auteurs attribuent à la version qu’ils introduisent : par exemple, citer un auteur par son nom revient-il à présenter ce qui est avancé comme plus crédible que ce qui relève d’un dicitur6 ?
3Le présent chapitre ne relève donc pas de la Quellenforschung7. Notre but n’est en effet pas d’identifier les sources sur lesquelles s’appuient les œuvres de notre corpus, mais d’étudier les formules y faisant explicitement référence, comme nous nous sommes intéressés, dans le précédent chapitre, aux interventions directes de nos auteurs. Pour ce faire, le critère principal que nous suivrons sera le caractère extranarratif de ces expressions. Un terme comme rumor peut en effet renvoyer à une rumeur insérée dans l’action8, mais aussi à un bruit ayant circulé sur cette action et parvenu, par divers biais, jusqu’à Tacite et Suétone9. La question que nous nous poserons ne sera dès lors pas “dans quelle source ce rumor a-t-il été trouvé ?”, mais : ce terme est-il toujours associé au même type d’information ? apparaît-il toujours dans le même contexte évidentiel ? est-il associé à une plus ou moins grande crédibilité ? Nous prendrons ainsi en compte le registre temporel de l’expression relevée, sa personne et sa voix s’il s’agit d’un verbe, s’il est à un mode personnel ou non, et les termes qui y sont associés, que nous considèrerons comme des modulations. Ainsi, dans une expression comme credidere plerique, plerique module credidere en donnant une indication sur le nombre de personnes concernées : c’est donc à l’entrée du verbe que l’occurrence sera enregistrée10. De même, crebrior fama apparaîtra dans le tableau dédié à fama et non dans celui dédié à creber.
4Ces recensions permettent de mettre en évidence les expressions majoritairement utilisées par nos auteurs pour faire explicitement allusion à leurs sources. Elles seront présentées de la plus à la moins fréquente, puis les autres seront traitées par groupes de sens. Nous terminerons par les citations nominales d’auteurs : selon les principes adoptés, ces mentions constituent en effet non des termes centraux, mais leur modulation11.
Termes le plus fréquemment utilisés
Tradere
5Étant donné que les travaux de Quellenforschung attestent d’un nombre non négligeable d’œuvres historiographiques12, on pourrait s’attendre à ce que nos deux auteurs utilisent à propos de leurs sources les mêmes termes employés pour désigner leur propre activité. Or ce n’est pas le cas. Le mot qui se dégage le plus nettement de l’ensemble des expressions utilisées est le verbe tradere, avec soixante-sept occurrences en tout, loin devant credere, en deuxième place, qui apparaît quarante-cinq fois. La distinction par rapport aux interventions directes d’auteur est d’autant plus visible que tradere y est assez discret13.
6Tacite l’utilise pour ses sources aussi régulièrement dans un contexte présent que dans un contexte passé14. Chez Suétone, en revanche, il est très nettement associé au premier, n’étant conjugué au passé que quatre fois en tout sur vingt occurrences. Sa caractéristique principale est que des informations sont presque toujours données sur son sujet au moyen de tournures personnelles15, ce qui permet de constater qu’il est le verbe le plus associé à des éléments impliquant sans ambiguïté un recours à une source écrite16. À sept reprises, en l’employant, Tacite précise explicitement qu’il s’appuie sur des auteurs l’ayant précédé, qu’il s’agisse d’historiens ou non17. Chez Suétone, une occurrence, en Suet., Tib., 5.2, où le sujet au pluriel est qualifié de plures certioresque, donne aussi à penser que le biographe fait ici référence à des ouvrages dont il a vérifié la crédibilité.
7Deux passages des Histoires laissent par ailleurs entendre que cette référence à l’écrit peut être étendue même aux occurrences sans information particulière sur le sujet. Le premier se trouve en Tac., Hist., 2.50.2 et rapporte l’histoire d’un oiseau se posant dans un bois sacré pendant la bataille de Bédriac et refusant de le quitter jusqu’au moment du suicide d’Othon. Ces éléments sont présentés comme uulgatis traditisque et leur origine est très claire, car il s’agit des habitants des environs (incolae). Cette source orale correspond parfaitement au premier participe, uulgatis, ce qui amène à voir dans le second une référence à une source écrite, c’est-à-dire aux auteurs ayant repris l’anecdote18. Sa large diffusion n’est donc sans doute pas la seule raison pour laquelle Tacite la mentionne : d’autres auteurs avant lui n’avaient pas eu de scrupules à la rapporter malgré son caractère fabuleux, ce qui créait un précédent et redoublait peut-être l’attente du public19. Dans le second passage, le lien entre tradere et une source écrite est encore plus manifeste :
Celeberrimos auctores habeo tantam uictoribus aduersus fas nefasque irreuerentiam fuisse ut gregarius eques occisum a se proxima acie fratrem professus praemium a ducibus petierit. Nec illis aut honorare eam caedem ius hominum aut ulcisci ratio belli permittebat. Distulerant tamquam maiora meritum quam quae statim exsoluerentur ; nec quicquam ultra traditur.
“J’ai de très nombreux auteurs qui garantissent que les vainqueurs avaient si peu de respect pour ce qui est permis ou interdit par les dieux qu’un cavalier de la troupe déclara ouvertement qu’il avait tué son frère lors du dernier combat et demanda une récompense à ses chefs. Il n’était permis à ces derniers ni par les lois humaines de l’honorer pour ce meurtre ni par les exigences de la guerre de le punir. Ils avaient différé la question en prétextant qu’il méritait des récompenses plus grandes que celles qui pouvaient être conférées immédiatement ; et rien de plus n’est rapporté.” (Tac., Hist., 3.51.1)
8Tacite s’appuie sur “de très nombreux auteurs” (celeber impliquant non seulement une idée de nombre, mais aussi de concentration) pour introduire cette anecdote, qu’il présente comme un fait, avec un subjonctif parfait insistant sur la réalité de la conséquence, petierit, et des indicatifs pour décrire la réaction des chefs flaviens, permittebat et distulerant. Mais manifestement aucun de ces celeberrimi auctores ne racontait la fin de l’histoire, ce qu’il rapporte en utilisant le verbe tradere : nec quicquam ultra traditur, “et rien de plus n’est rapporté”, sous-entendu “par ces celeberrimi auctores”20. Dans ces deux passages, par conséquent, tradere n’est accompagné d’aucune précision quant à un sujet impliquant une source écrite, mais le contexte précise que c’est bien le cas : il est donc vraisemblable que ce verbe ait été utilisé précisément pour cette connotation-là.
9Cette association sémantique est confirmée par le type d’informations qu’il introduit souvent dans le récit et que nos auteurs ont très probablement trouvées dans des sources écrites. C’est notamment le cas des éléments d’érudition. Tacite a ainsi massivement recours à tradere, dans les Histoires, lors de son excursus sur les mœurs des Juifs et la configuration de la Palestine21, mais aussi à propos de la fondation du temple de Vénus à Paphos, de la configuration du sanctuaire du Mont Carmel, du transport par bateau de la statue du Jupiter Dis de Sinope jusqu’à Alexandrie, des premiers habitants de l’île de Capri22 ou encore de la durée de vie maximale d’un phénix23. Chez Suétone, ce verbe est utilisé à propos des origines plus ou moins légendaires des gentes impériales, que contenaient sans aucun doute leurs archives familiales24. De même, la formule plures certioresque tradunt précède la date et le lieu de naissance de Tibère selon Suétone, qui s’appuie alors sur les fastes et les acta publica25.
10Les données chiffrées font également partie des éléments auxquels nos deux auteurs ont a priori eu accès grâce à des livres ou des registres et qui apparaissent souvent dans les exemples introduits par tradere. Il est en effet difficile que des chiffres aient été transmis oralement jusqu’au début du iie siècle et un passage de Tacite confirme leur découverte dans des documents écrits :
Ordinem agminis disiecti per iram ac tenebras adseuerare non ausim quamquam alii tradiderint...
“Je n’oserais donner avec certitude l’ordre de l’armée dispersée sous l’effet de la colère et de la nuit, bien que d’autres aient rapporté...” (Tac., Hist., 3.22.2)
11Il s’agit ici de la façon dont les légions vitelliennes et flaviennes étaient disposées lors de la seconde bataille de Bédriac, c’est-à-dire de leur numéro et de l’endroit où elles se trouvaient. Tacite oppose clairement26 sa propre attitude à celle d’alii, que le parallélisme amène à considérer sinon comme des historiens eux aussi, du moins comme des auteurs ayant également traité du sujet27. Il s’agit du seul passage de notre corpus où des chiffres sont contestés : en général, ces données figurent dans le récit et sont mises au compte du sujet, sous-entendu ou non, du verbe introducteur, sans commentaire28.
12Les “micro-variations” narratives, portant, par exemple, sur le nom d’un personnage secondaire, sont elles aussi souvent associées au verbe tradere. Le passage qui, chez Tacite, relate la mort de Galba en est un bon exemple : l’historien y fournit trois variantes à propos du nom du soldat ayant frappé l’empereur en premier, mais aucune sur la façon dont il a été tué29. Or les canaux oraux de transmission ont tendance, au fil du temps, à faire grandement varier l’information véhiculée30 : si c’était ainsi que ces éléments étaient parvenus jusqu’à Tacite, les variations ne se seraient probablement pas limitées au patronyme31. Il y a dès lors une forte probabilité que Tacite soit ici en train de comparer implicitement les récits de différents auteurs.
13Cette association de tradere à des sources écrites explique à son tour les particularités que présentent ses occurrences. Le caractère presque toujours défini de ses sujets peut ainsi provenir du fait que l’auteur était tout à fait connu et aurait pu être cité. Par ailleurs, le fait que ce verbe apparaisse majoritairement au présent est sans doute en lien avec la consultation des documents en question, qui, d’une certaine manière, “réactualise” l’information : s’il était encore possible de lire en personne dans les acta publica que Tibère était né à Rome, cette information était, en quelque sorte, toujours “présente” au moment de la rédaction.
Credere
14A priori, rien de significatif ne se dégage des différentes occurrences de credere. Deuxième terme le plus utilisé par nos auteurs pour désigner leurs sources32, il est utilisé majoritairement dans des tournures impersonnelles chez Suétone33, mais cette particularité disparaît chez Tacite, où la répartition des différentes formes est parfaitement équilibrée34. Même distinction assez nette à propos des registres temporels : l’historien a presque toujours recours au passé35, tandis que le biographe préfère le présent36, ce qui donne donc plutôt à penser à des choix personnels.
15Un point commun apparaît cependant. Dans les deux cas, credere est principalement utilisé pour introduire des hypothèses ou des interprétations sinon politiques, du moins en lien avec les cercles les plus proches du pouvoir impérial : raisons pour lesquelles Galba aurait choisi d’adopter Pison (Tac., Hist., 1.14.1), attitude par laquelle Silius se serait involontairement mis en délicatesse avec Tibère (Tac., Ann., 4.18.2), anecdote d’Othon refusant de “rendre” Poppée à Néron (Suet., Otho, 3.2)... Ces éléments sont souvent intégrés au récit à la suite ou au milieu d’arguments que nos deux auteurs reprennent à leur compte, ce qui donne à la prise de distance ainsi signalée un statut assez ambigu. Le passage où la loyauté d’Aulus Caecina envers Vitellius commence à décroître à cause de la popularité de Fabius Valens, l’autre général de ce camp, en est un bon exemple37, car faits, arguments et hypothèse y sont savamment mélangés. Le point de départ est l’audace de Valens, qui profite de ses récents succès pour diminuer l’autorité du second général vitellien, avec lequel il a toujours été en rivalité. L’adverbe sane introduit alors une série d’arguments expliquant pourquoi il avait effectivement de bonnes raisons de considérer avoir l’avantage : son arrivée avait renforcé les troupes vitelliennes et il avait réussi à mettre un terme aux rumeurs qui l’accusaient de ne pas être pressé de combattre. En conséquence, les soldats vitelliens étaient manifestement persuadés que lui seul pourrait leur faire gagner la guerre. À ce moment-là intervient une hypothèse dépendant du creditur, qui présente le début des réflexions de Caecina sur l’utilité d’un passage à l’ennemi comme découlant de cette popularité inégale. Mais, arrivant après une série d’indicatifs confirmant la position de force de Valens (conualuerant ; uerterat ; adsectabatur) et relégué qui plus est dans une subordonnée (unde... creditur), ce passif impersonnel n’est pas mis en valeur. L’hypothèse qui dépend de lui reste dès lors dans l’esprit du lecteur davantage comme une affirmation que comme une éventualité.
16L’association de credere à ce type d’informations ne permet pas de déterminer avec suffisamment de certitude s’il fait référence à des sources écrites ou orales : aucun sujet de type scriptores ou auctores n’apparaît et les éléments introduits peuvent tout aussi bien provenir d’ouvrages sur la période que d’opinions contemporaines ou postérieures. En revanche, leur nature bien informée permet de penser qu’ils devaient provenir de sources proches du pouvoir, donc capables d’émettre des hypothèses et des interprétations suffisamment fines. Les bruits auxquels donna lieu la ressemblance entre le père d’Othon et l’empereur Tibère en sont une bonne illustration38. Commentés par l’expression ut plerique procreatum ex eo crederent, “de sorte que la plupart crurent qu’il avait été engendré par lui”, ils portent sur un sénateur à la carrière brillante – il fut proconsul d’Afrique – malgré une famille paternelle qui n’était parvenue que récemment aux honneurs39, et sont typiques d’une cour. Le peuple est en effet assez peu susceptible de faire courir une telle histoire à propos de quelqu’un qui, finalement, ne se fit pas particulièrement connaître par ailleurs. De même, c’est par un credere qu’est introduite l’hypothèse qu’Othon ait été conseillé par le fameux orateur Trachalus :
Mox uocata contione, maiestatem urbis et consensum populi ac senatus pro se attollens, aduersum Vitellianas partes modeste disseruit, inscitiam potius legionum quam audaciam increpans, nulla Vitellii mentione, siue ipsius ea moderatio, seu scriptor orationis sibi metuens contumeliis in Vitellium abstinuit, quando, ut in consiliis militiae Suetonio Paulino et Mario Celso, ita in rebus urbanis Galeri Trachali ingenio Othonem uti credebatur ; et erant qui genus ipsum orandi noscerent, crebro fori usu celebre et ad implendas populi aures latum et sonans.
“Ayant bientôt convoqué une assemblée, il exalta la grandeur de Rome et l’accord du peuple et du sénat en sa faveur et parla avec mesure contre le parti vitellien, blâmant l’ignorance des légions plutôt que leur audace, sans aucunement mentionner Vitellius, soit qu’il eût lui-même cette modération, soit que l’auteur de son discours, craignant pour lui-même, se fût abstenu d’invectives contre Vitellius ; car on croyait que, de même que, pour les décisions militaires, Othon avait recours à Suetonius Paulinus et Marius Celsus, de même, pour les affaires civiles, c’était au talent de Galérius Trachalus ; et il y en avait qui reconnaissaient sa manière même de discourir, rendue célèbre par un usage fréquent sur le forum, et large et sonnante afin de remplir les oreilles du peuple.” (Tac., Hist., 1.90.2)
17Cette remarque montre que la manière de plaider de Galérius Trachalus40 était connue de tous, y compris du peuple, sur lequel elle avait apparemment de l’effet. Toutefois, il ne s’agit pas tant ici de style que de modération dans le discours et la façon de s’occuper des affaires civiles (rebus urbanis). La ressemblance d’énonciation permettait de deviner qu’Othon n’avait sans doute pas écrit sa harangue lui-même, mais seul un bon connaisseur de la haute société romaine pouvait savoir à qui attribuer les idées et les mesures de l’empereur.
18Quelques extraits s’accordent toutefois difficilement avec cette proposition d’interprétation. Le plus clair se trouve en Tac., Ann., 5.3.1 et contient l’expression credidit uulgus à propos de l’opinion selon laquelle Livie aurait, tant qu’elle était en vie, tenté de protéger Agrippine I et son fils aîné Néro, en retenant Tibère d’envoyer des lettres accusatrices au Sénat. Cette information est sans aucun doute de nature politique : elle vise à expliquer pourquoi ce n’est qu’après la mort de sa mère que l’empereur s’est attaqué à la famille de Germanicus. Pourtant, le sujet de credidit est uulgus, ce qui empêche catégoriquement de postuler une source proche du pouvoir. Ce nom détone cependant au milieu des quelques précisions parfois données sur le sujet de ce verbe : il est en effet le seul à être précis, alors que les autres restent relativement vagues41. Tacite a donc peut-être, pour une fois, clairement précisé d’où lui venait cet élément précisément parce que son origine était inhabituelle, mais conservé credere en raison du caractère politique de l’information.
19Les autres occurrences contredisant cette interprétation sont d’une nature plus érudite ou fantastique : présentation du “phénix” aperçu sous Tibère comme sans doute un autre oiseau (Tac., Ann., 6.28.4), autre version du moment où le Capitole a été inclus dans le pomoerium de Rome (Tac., Ann., 12.24.2) ou encore histoire des bruits de pleurs et de trompettes entendus autour du tombeau d’Agrippine II (Tac., Ann., 14.10.3). Ces informations contiennent peu d’éléments en lien avec les cercles du pouvoir romain et c’est même plutôt pour la dernière citée qu’on s’attendrait à voir apparaître l’expression credidit uulgus. Faut-il en déduire que c’est malgré tout par des personnes haut placées que Tacite en a eu connaissance et qu’il a eu recours à credere pour le signaler ?
20Quoi qu’il en soit, une telle interprétation de l’utilisation de ce verbe permet de comprendre pourquoi l’historien le fait figurer dans son récit majoritairement à des temps du passé : par ce moyen, il signale qu’il s’agit d’hypothèses émises au même moment que les événements et peu de temps après eux. Le registre présent semble ainsi signaler une apparition au moment de l’écriture ou une persistance jusque-là. Suétone serait dès lors dans une perspective proche du bilan, présentant tout ce qui était encore en vigueur à son époque, attitude qui peut à son tour expliquer sa préférence massive pour les tournures impersonnelles : si son principal critère pour signaler certains éléments était leur diffusion persistante, il y a une perte de précision du point de vue de leur origine. Il devenait dès lors peu utile de qualifier, même vaguement, les personnes à l’origine de ces hypothèses : un passif impersonnel, tournure exclusivement utilisée par le biographe dans toutes les occurrences sans sujet défini, suffisait.
Ferre
21Il est difficile de déceler, parmi les occurrences de ferre, des caractéristiques significatives. Suétone a plutôt tendance à l’utiliser au présent42, mais l’usage qu’en fait Tacite est, lui, beaucoup plus équilibré43. Ce qui ressort principalement des relevés est qu’il s’agit, massivement, d’un verbe à sujet indéfini : des précisions à ce propos n’apparaissent que deux fois dans les Histoires, trois fois dans les Annales44 et jamais dans les Douze Césars. Ici, les différences de registre temporel deviennent intéressantes : parmi ces formes très majoritairement impersonnelles, c’est ferunt qui est principalement utilisé au présent45 et ferebatur au passé46. Cette distribution est nette, mais assez difficile à expliquer : l’éloignement dans le temps a pu accentuer encore ce caractère indéfini, en amenant à faire grammaticalement passer les personnes accomplissant l’action du statut de sujet impersonnel du verbe à celui de complément d’agent sous-entendu.
22Le type d’informations introduites par ferre est peu significatif. Il s’agit en effet d’éléments de nature assez diverse, où l’on retrouve des thèmes déjà abordés pour tradere et credere, sans que leur quantité et leur répartition permettent de parler de caractéristique. Ferre est ainsi, à trois reprises, le support d’éléments d’érudition47, ainsi que de quelques hypothèses et interprétations politiques semblables à celles étudiées à propos de credere48. Le seul regroupement dont on puisse dire qu’il se distingue de quelque manière dans les occurrences de ce verbe est celui des citations et bons mots, dont ferre semble le verbe introducteur privilégié. Tacite l’utilise ainsi à la fin de sa description des noces de Messaline et Silius :
Ferunt Vettium Valentem lasciuia in praealtam arborem conisus, interrogantibus quid aspiceret, respondisse tempestatem ab Ostia atrocem, siue coeperat ea species, siue forte lapsa uox in praesagium uertit.
“On raconte que Vettius Valens était monté, par jeu, dans un arbre très haut et, à ceux qui lui demandaient ce qu’il apercevait, il avait répondu une tempête horrible venue d’Ostie, soit que ce fût ce qui commençait à se voir, soit que ce mot qu’il avait laissé tomber par hasard se fût changé en présage.” (Tac., Ann., 11.31.3).
23L’annaliste ne doute pas, ici, de la réalité du mot de Vettius Valens, puisqu’il l’explique ensuite soit par une tempête qui commençait effectivement à être visible du côté d’Ostie, soit par une réinterprétation a posteriori. Il ne le fait toutefois pas figurer dans son récit avec un indicatif et préfère le lier à un ferunt, choix qui lui permet de signaler qu’il s’agit d’un détail circulant communément, puisqu’il ne nécessite pas de précisions supplémentaires quant à son origine49.
24Un second groupe d’informations, plus large, consistant en des anecdotes en général assez courtes, est peut-être en lien avec cette tendance à introduire des citations ou des bons mots. Ferre est alors pleinement un verbe introducteur de discours indirect et non un simple marqueur dégageant l’auteur de sa responsabilité vis-à-vis du propos ainsi présenté. C’est presque uniquement dans cette perspective que Suétone a recours à lui : il lui permet d’ajouter de nouveaux éléments sans pour cela accroître le récit dépendant de son autorité, par exemple dans la Vie de Tibère :
Fertur etiam in sacrificando quondam captus facie ministri acerram praeferentis nequisse abstinere, quin paene uixdum re diuina peracta ibidem statim seductum constupraret simulque fratrem eius tibicinem ; atque utrique mox, quod mutuo flagitium exprobrarant, crura fregisse.
“On raconte qu’une fois, même alors qu’il célébrait un sacrifice, saisi par le physique d’un serviteur qui lui tendait la boîte à encens, il ne put s’abstenir, presque à peine la cérémonie religieuse terminée, de l’emmener là même aussitôt à l’écart et de le violer en même temps que son frère, qui jouait de la trompette ; et que bientôt, comme ils se reprochaient mutuellement leur déshonneur, il leur fit briser les jambes à tous les deux.” (Suet., Tib., 44.3)
25Ce passage fait partie de la rubrique sur les perversions sexuelles de l’empereur : il apparaît à la fin, après la dénonciation de prétendues pratiques pédophiles et de pressions exercées sur des femmes de bonne famille. Cette dernière accusation donne elle aussi lieu au récit d’une anecdote, présentée cette fois comme absolument vraie, car précédée d’un apparuit. Seule celle sur les assistants au sacrifice dépend donc du fertur, qui crée du récit à l’intérieur du récit, en insérant une histoire supplémentaire. Se met ainsi en place une alternance entre les éléments dont le biographe est personnellement garant et ceux dont il fait prudemment porter la responsabilité à d’autres personnes non précisées.
26L’emploi de ce verbe se caractérise donc par une absence de précision tant sur son sujet que sur le type d’éléments qui lui sont associés. Il semble dès lors servir à insérer dans le récit, de manière neutre, les éléments dont les auteurs ne pouvaient ou ne voulaient pas préciser l’origine, ce qui expliquerait aussi bien la prédominance des tournures impersonnelles que le grand nombre d’anecdotes et de bons mots présentés. Un extrait de la fin de Vie de Galba donne en effet l’impression d’une nette déperdition d’information avec ferre par rapport aux deux autres verbes déjà étudiés. Après avoir décrit le physique de l’empereur et avant la notice nécrologique finale, Suétone cherche à illustrer son fort goût pour les hommes, au moyen d’une anecdote qu’il devait juger représentative. Le lecteur assiste alors à une sorte de decrescendo, car, si un traditur introduisait la question des habitudes alimentaires de l’empereur, élément précis et cité en soi, non à des fins illustratives, l’histoire du désir soudain et violent de Galba pour l’affranchi Icélus, qui venait de lui annoncer la mort de Néron, plus exemplaire qu’informative et, dès lors, plus neutre du point de vue métanarratif, n’a droit qu’à un ferebant50.
Incertum
27La répartition temporelle des vingt-cinq occurrences d’incertum est singulière, mais peut facilement s’expliquer par les critères de sélection. Il apparaît en effet dans notre corpus très majoritairement au présent, en particulier chez Suétone, où il n’est pas une seule fois lié au passé51. Toutefois, le statut narratif de ces utilisations n’est pas le même selon le contexte : une expression comme incertum erat appartient presque toujours à l’intranarratif, car elle signale une hésitation des contemporains, sans donner d’indication précise sur la position propre de l’auteur vis-à-vis de l’information, tandis qu’incertum est représente un constat d’incertitude au moment même de la rédaction, d’où une sélection presque systématique52 pour le relevé. Cet adjectif est dès lors souvent utilisé à titre de bilan rapide et ponctuel des recherches menées, au point que le verbe esse est généralement omis, ce qui fait de la proposition concernée une sorte d’a parte. Ainsi, lorsqu’il passe en revue les ancêtres d’Othon et en particulier l’origine sociale de son arrière-grand-mère, Suétone utilise un ablatif absolu, matre humili incertum an ingenua, à valeur récapitulative : au vu des informations à sa disposition, il n’a pas réussi à savoir avec certitude si cette femme, sans aucun doute d’humble naissance, était née libre ou avait été affranchie53.
28Incertum apparaît toujours en lien avec des sujets centraux, qu’il s’agisse de faits politiques ou de leur interprétation : possibilité que Domitien ait envisagé de prendre les armes contre son père et son frère (Tac., Hist., 4.86.1) ; raisons d’Auguste pour conseiller de ne pas étendre les frontières de l’empire (Tac., Ann., 1.11.4) ; pourquoi Tibère a finalement rebroussé chemin la première fois qu’il a tenté de revenir à Rome après son départ pour Capri (Suet., Tib., 72.1)... L’éphémère règne d’Othon, précisément à cause de son caractère très court, donne lieu à de nombreuses interrogations de ce type chez Tacite : a-t-il tout de suite décidé de prendre le pouvoir en assassinant Galba (Tac., Hist., 1.23.1) ? aurait-il pardonné les injures qui lui furent adressées lorsque son coup d’État fut connu (Tac., Hist., 1.47.1) ? a-t-il préservé la famille de Vitellius par grandeur d’âme ou parce qu’il avait peur de son adversaire (Tac., Hist., 1.75.2)54 ?
29Il n’y aurait là rien que d’assez banal, si Tacite n’avait pas une façon bien particulière d’utiliser les autres termes exprimant l’ignorance ou l’indécision. Ceux-ci sont au nombre de dix55 et ne donnent pas tous matière à commentaire, car ils présentent peu d’occurrences. Cependant, globalement, il apparaît que l’annaliste a recours à eux non pour signaler une incertitude, mais, au contraire, pour affirmer qu’un élément est certain56 ou laisser entendre que l’hésitation entre deux versions n’a pas lieu d’être. C’est en particulier le cas avec ambigere et ambiguus, comme, dans les Histoires, au moment de l’incendie du Capitole, où les flaviens de Rome s’étaient réfugiés pour résister aux vitelliens :
Hic ambigitur, ignem tectis obpugnatores iniecerint an obsessi, quae crebrior fama, nitentes ac progressos depulerint.
“À ce moment-là, on ne sait pas bien si le feu fut mis aux toits par les assaillants ou par les assiégés (c’est la version la plus fréquente), afin de repousser leurs efforts pour avancer.” (Tac., Hist., 3.71.4).
30Dans cet extrait, l’idée d’hésitation est mise en avant, avec un ambigitur en tout début de passage, mais elle ne dure pas très longtemps, car la version impliquant les flaviens est immédiatement précisée par la relative quae crebrior fama, elle-même appuyée par des détails circonstanciels (les tentatives des assiégés pour repousser leurs assaillants) amenant le lecteur à imaginer la scène dans ce sens. Il n’y a donc pas vraiment d’ambiguïté : sans le dire explicitement, Tacite prend parti en faveur de la seconde version57. Il est possible de considérer qu’il s’agit là d’un cas typique de loaded alternative, pour reprendre l’expression utilisée par D. Whitehead58. La différence avec un emploi “normal” d’ambigere saute aux yeux si l’on fait la comparaison avec l’unique exemple où Suétone l’utilise dans les Douze Césars :
Qui primus Sulpiciorum cognomen Galbae tulit cur aut unde traxerit ambigitur.
“On ne sait pas bien pourquoi le premier des Sulpicii qui porta le surnom de Galba le fit, ni d’où il le tira.” (Suet., Gal., 3.2)
31Cette phrase est suivie d’une longue série d’explications possibles introduites par un putant59, sans aucune indication en présentant une comme plus crédible que les autres, si ce n’est que la dernière, celle des animaux, n’est supportée que par des nonnulli60. L’ambigitur du biographe est donc différent de celui de l’histotien, car il signale une véritable difficulté à choisir entre plusieurs possibilités.
32Le même type de procédé peut être détecté avec dubium et dubitare, y compris chez Suétone cette fois, mais de manière moins flagrante. En effet, les utilisations de ces deux expressions avec des tournures négatives sont majoritaires parmi les exemples relevés61, mais aucun cas de tournure positive avec ensuite des éléments permettant de choisir n’apparaît. Un seul passage pourrait y correspondre, en Tac., Hist., 1.8.2, à propos de la possibilité qu’aurait eue Verginius Rufus de prendre le pouvoir :
An imperare noluisset dubium ; delatum ei a milite imperium conueniebat
“On ne savait pas bien s’il avait refusé d’être empereur ; mais on était d’accord sur le fait que ses soldats lui avaient offert l’empire.” (Tac., Hist., 1.8.2)
33La formulation de cette phrase est inhabituelle, car on attendrait plutôt uoluisset au lieu de noluisset, mais elle s’explique par la deuxième proposition indépendante : on était sûr que les soldats avaient proposé l’empire à leur général, la question était de savoir s’il avait immédiatement refusé ou s’il avait renoncé, jugeant trop minces ses chances de succès62. L’enchaînement des deux propositions amène subtilement à considérer que Verginius a effectivement refusé de prendre le pouvoir63, mais, à considérer la phrase de plus près, le doute peut subsister64.
34Cela ne signifie bien sûr pas que Tacite n’émette jamais de doute, ni qu’il cherche toujours à orienter plus ou moins discrètement son lecteur dans la direction voulue. D. Whitehead montre en effet que seul un tiers des alternatives présentées comportait un accent sur l’un ou l’autre de ses termes65. Ce procédé est donc beaucoup moins fréquent qu’on pourrait le penser et c’est ici qu’intervient incertum, dont Tacite se sert pour véritablement exprimer un doute ou une incertitude66. Sa première apparition dans les Annales, au moment de la lecture du testament d’Auguste, est tout à fait représentative, car elle met en évidence la différence d’emploi par rapport aux exemples d’ambigere ou de dubium cités plus haut. Tacite y utilise incertum pour se demander si le conseil de ne pas accroître l’Empire était dicté par la peur ou l’envie, sans aucune indication en amont ou en aval du passage, qui pourrait fournir une réponse à cette question67. Le lecteur est donc laissé totalement libre de choisir, comme lorsque Suétone présentait les différentes origines possibles du cognomen de Galba.
35Pour finir, on notera également que fort peu d’expressions liées à la vérité apparaissent dans notre corpus : ne s’y trouvent en effet, en contexte historiographique, que trois occurrences de l’adjectif uerus ou de son adverbe uere, une dans chaque œuvre68. Cette absence presque totale est peut-être due à l’approche rhétorique que les Anciens avaient de l’historiographie. La narratio d’un avocat ne devait pas nécessairement être vraie, mais suffisamment vraisemblable pour avantager son client. C’est dans cette perspective que s’inscrit l’analyse, par A. J. Woodman, des théories historiographiques de Cicéron, qui opposent non le vrai et le faux, mais le vrai et le préjugé69. Ce dernier est le principal écueil à éviter, car il empêche de discerner le vraisemblable et, dès lors, de s’approcher autant que possible de la vérité. Une des occurrences de uerus illustre parfaitement cette manière de penser. Tacite y examine qui a bien pu donner l’ordre de faire exécuter Agrippa Postumus dès la mort d’Auguste : était-ce lui ou Tibère et Livie70 ? Il est plus favorable à une culpabilité des deux derniers, car il la juge propius uero, “plus proche du vrai”, en d’autres termes : parce qu’elle lui paraissait plus vraisemblable71. Sur ce même sujet, Suétone, lui, signale un doute et n’émet pas de préférence72, alors qu’il est tout aussi peu favorable à Tibère que Tacite. Dès lors, l’objectif à atteindre n’est pas tant de discerner le vrai que d’être apte à raisonner sans parti pris à partir des informations transmises, d’où, peut-être, un certain désintérêt lexical pour l’adjectif uerus dans ce contexte.
Constare
36À première vue, les vingt-deux occurrences de constare présentent les mêmes caractéristiques que celles d’incertum : dans les Histoires et les Douze Césars, ce verbe apparaît presque exclusivement au présent73, avec une nette valeur de bilan. Cette ressemblance n’est pas étonnante, car les deux verbes représentent, en quelque sorte, les deux faces d’une même médaille : d’un côté, on constate une hésitation, de l’autre, une incertitude. Les Annales viennent rompre ce parallèle, car les occurrences qu’elles contiennent sont, elles, presque uniquement au passé74 : Tacite a donc, dans cette œuvre, préféré, comme pour credere, signaler le moment d’apparition de la conviction, plutôt que sa persistance jusqu’à l’époque de la rédaction. L’effet est particulièrement net en Tac., Ann., 13.16.4, à propos de la réaction d’Agrippine devant l’assassinat de Britannicus :
Agrippinae is pauor, ea consternatio mentis, quamuis uultu premeretur, emicuit ut perinde ignaram fuisse atque Octauiam sororem Britannici constiterit.
“L’effroi d’Agrippine, le trouble de son esprit furent si visibles, malgré sa maîtrise de son expression, qu’il fut certain qu’elle avait été tout autant dans l’ignorance qu’Octavie, la sœur de Britannicus.” (Tac., Ann., 13.16.4)
37La certitude qu’Agrippine ne savait rien des projets criminels de son fils a été établie sur le moment même et le subjonctif parfait constiterit en vient souligner la réalité. L’historien est ici manifestement intéressé par le caractère simultané de cette conviction et non par l’absence de gens, sur le moment ou par la suite, pour affirmer une complicité d’Agrippine75.
38Une autre caractéristique tacitéenne de l’utilisation de ce verbe confirme que l’emploi de constare est plus complexe que celui d’incertum. En effet, seuls deux passages précisent par une modulation entre qui l’accord d’opinion a été établi ; un troisième permet de le savoir grâce à un développement où tradere apparaît76. La plupart du temps, Tacite se sert de cette formule pour signaler non la présence partout de la même information, mais la possibilité effective d’un basculement de la situation, au moindre geste d’un des personnages. C’est ainsi que le constat qui apparaît en début de phrase à propos de l’hostilité grandissante des prétoriens à l’égard de Galba n’a pas tant pour fonction de souligner un accord que d’affirmer que Galba aurait pu rétablir sa situation s’il avait su surmonter son avarice77. L’information sur les sources passe ici au second plan, par rapport à celle sur la situation historique.
39Ce type d’utilisation de constare n’est pas une caractéristique de Tacite. Suétone aussi, malgré ses occurrences uniquement au présent, ne semble pas particulièrement chercher à signaler un accord sur un point qui pourrait être litigieux, comme à propos des répercussions de la conjuration de Pison, en 65 :
Damnatorum liberi urbe pulsi enectique ueneno aut fame ; constat quosdam cum paedagogis et capsaris uno prandio pariter necatos, alios diurnum uitum prohibitos quaerere.
“Des enfants de condamnés furent chassés de la ville et tués par le poison ou la faim ; c’est un fait établi que certains furent tués ensemble lors d’un seul déjeuner, avec leurs pédagogues et leurs porteurs de livres, que d’autres reçurent l’interdiction de chercher de quoi manger chaque jour.” (Suet., Nero, 36.4)
40La proposition dépendant du constat a ici pour but d’illustrer enecti ueneno aut fame, qui la précède : la partie sur le déjeuner mortel correspond à ueneno, celle sur l’interdiction d’acheter à manger à fame. Étant donné que la première phrase est à l’indicatif, il s’agissait déjà d’une affirmation pure et simple que Suétone reprenait à son compte : signaler un accord sur deux éléments déjà présentés comme des faits a dès lors peu d’utilité. Cette tournure a donc en réalité pour but de souligner et renforcer la véracité de l’élément introduit. Son utilisation à la suite d’un indicatif devient ainsi plus claire : elle a servi à renforcer l’affirmation qui la précédait. Les nombreuses modulations dont Suétone accompagne ce verbe accroissent à leur tour cette insistance, en général au moyen de l’adverbe satis78. Par conséquent, chez Tacite comme chez Suétone, constare ne sert pas à signaler un accord, mais à mettre l’accent sur une information.
Fama
41Rien de particulier ne ressort de la répartition temporelle des quatorze occurrences de fama. Elle est à peu près équitable chez Tacite79 et, si Suétone préfère manifestement le présent, ce terme n’apparaît pas assez dans son œuvre pour en tirer de véritables conclusions80. En revanche, ses emplois dans notre corpus sont intéressants, car ils permettent de distinguer différentes extensions81.
42Fama est majoritairement utilisé pour introduire dans le récit des versions alternatives d’un même événement. C’est notamment le cas à propos de la mort de Claude, dans la biographie que Suétone lui consacre82, où l’expression fama diuersa est introduit deux développements différents quant à ce qui arriva à l’empereur après l’ingestion des champignons empoisonnés : selon une première version, il devient muet, souffre atrocement toute la nuit et meurt à l’aube ; mais selon une autre, il commence par s’endormir, puis vomit à tel point que les conspirateurs jugent nécessaire de lui redonner du poison.
43Deux autres acceptions se dégagent ensuite, selon qu’on accroît ou réduit ce sens de version particulière d’un événement. À un moindre niveau, fama peut introduire un simple élément additionnel, ne constituant pas une alternative au récit principal. Suétone précise ainsi, à propos des performances théâtrales de Néron :
Inter cetera cantauit Canachen parturientem, Oresten matricidam, Oedipoden excaecatum, Herculem insanum. In qua fabula fama est tirunculum militem positum ad custodiam aditus, cum eum ornari et uinciri catenis, sicut argumentum postulabat, uideret, accurrisse, ferendae opis gratia.
“Entre autres, il chanta Canacé en train d’accoucher, Oreste matricide, Œdipe aveuglé, Hercule devenu fou. Et dans cette pièce, on raconte qu’un jeune soldat placé là pour surveiller les entrées, le voyant préparé et lié de chaînes, comme le demandait l’intrigue, a accouru pour lui porter secours.” (Suet., Nero, 21.5-6)
44L’anecdote du jeune soldat ne faisant plus la différence entre fiction et réalité ne remplace pas l’énumération des rôles incarnés par l’empereur, mais illustre soit son talent d’acteur, soit la naïveté du garde. À l’inverse, à un niveau plus large, fama peut désigner l’ensemble de ce qui circulait sur un sujet précis, comme lorsque Tacite cherche à savoir qui, de Néron ou d’Agrippine, était à l’origine de la tentative d’inceste et se range à l’opinion de Cluvius Rufus, qui incriminait la mère :
Sed quae Cluuius eadem ceteri quoque auctores prodidere et fama huc inclinat, seu concepit animo tantum immanitatis Agrippina, seu credibilior nouae libidinis meditatio in ea uisa est quae puellaribus annis stuprum cum Lepido spe dominationis admiserat, pari cupidine usque ad libita Pallantis prouoluta et exercita ad omne flagitium patrui nuptiis.
“Mais, ce que Cluvius a livré, d’autres auteurs aussi l’ont fait et l’opinion générale penche de ce côté, soit qu’Agrippine ait conçu dans son esprit une si grande monstruosité, soit que la conception de cette nouvelle débauche ait paru plus crédible chez une femme qui, dans sa jeunesse, s’était donnée à Lépidus dans l’espoir de dominer et qui, dans un semblable désir, s’était abaissée jusqu’à coucher avec Pallas et entraînée à tous les déshonneurs par ses noces avec son oncle.” (Tac., Ann., 14.2.2)
45Le raisonnement de l’historien est que Cluvius n’est pas le seul à avoir tranché de cette façon : tous les autres auteurs sont de son avis et la fama va dans ce sens83. Ce terme ne désigne donc ici ni une version alternative (qui est évoquée avant ce passage, sous le nom de Fabius Rusticus), ni un détail additionnel : il renvoie à une réalité plus globale, qui comprend aussi bien les personnes citées que ce qui circulait dans la société romaine, sur le moment ou par la suite84.
46Il est dès lors intéressant de constater que fama apparaît souvent dans un contexte de modulation85, comme si sa simple mention ne suffisait pas. Elle est principalement qualifiée par des adjectifs, dont le but est généralement de souligner une caractéristique renforçant la crédibilité de ce qui est avancé. Ainsi, à propos de l’incendie du Capitole en 69, la version incriminant les flaviens est qualifiée de fama crebrior86 : littéralement, elle se rencontre plus souvent, elle est soutenue par davantage de sources.
47Le fait qu’une fama ait des soutiens plus nombreux n’est cependant pas le seul critère qui lui donne plus de poids : sa persistance jusqu’au moment de la rédaction en est aussi un. En particulier, cette caractéristique est fréquemment invoquée dans les emplois introduisant un détail additionnel, par exemple lorsqu’il est question, dans les Annales, de l’étonnante absence de poursuites contre Gaetulicus, alors qu’il était un très bon ami de Séjan. Tacite explique qu’il était alors particulièrement aimé de ses légions de Germanie et que les troupes voisines, tenues par son beau-père, Lucius Apronius, lui étaient aussi favorables. Puis il a recours à l’expression unde fama constans pour ajouter que ces éléments amenèrent à penser qu’il avait envoyé une lettre à Tibère, déclarant qu’il ne se dresserait pas contre lui si l’empereur le laissait tranquille87. Il ne s’agit donc pas ici d’une version alternative, mais d’une explication possible au maintien de ce général à son poste. L’adverbe unde la présente comme issue précisément de cette situation anormale : c’est parce que Gaetulicus est resté en Germanie qu’on a cherché à comprendre pourquoi. La lettre évoquée a tout d’une fiction étiologique, mais l’adjectif constans tend à contrecarrer cette conclusion, en sous-entendant que cette diffusion persistante amène au moins à prendre l’élément en compte88. L’historien a beau qualifier cette histoire de mira, “étonnante”89, il contribue à sa solide installation dans l’esprit du lecteur, car il termine son paragraphe par un rappel que Gaetulicus fut le seul proche de Séjan épargné et utilise l’ablatif absolu reputante Tiberio pour développer, dans son propre texte, le raisonnement que l’empereur aurait pu tenir en recevant la lettre.
48Fama est aussi utilisé comme modulateur, mais toujours avec le verbe tradere et, sauf dans un cas, toujours lui-même modulé par un comparatif90. Tacite écrit ainsi dans son récit de la mort de Galba :
De percussore non satis constat : quidam Terentium euocatum, alii Laecanium ; crebrior fama tradidit Camurium, quintae decimae legionis militem, impresso gladio iugulum hausisse.
“Le nom de son assassin n’est pas assez attesté : selon certains, c’était un soldat rengagé du nom de Térentius ; selon d’autres, il s’appelait Laecanius ; une tradition plus fréquente a rapporté que c’est Camurius, un soldat de la XVème légion, qui l’a tué en lui coupant la gorge avec son glaive.” (Tac., Hist., 1.41.3)
49De nombreux éléments de ce passage attestent du caractère écrit des informations dont dispose Tacite : outre la présence du verbe tradere, les variations ne portent que sur un élément, le nom du soldat à avoir donné le premier coup, et les détails accompagnant la dernière version donnent à penser que l’historien suit ici de près un texte qu’il a sinon sous les yeux, du moins bien en mémoire. Par ailleurs, nous verrons que prodere, qui apparaît un peu avant ce passage91, à propos des derniers mots de Galba, est lui aussi lié à l’activité historiographique. Le mot fama se distingue de ce contexte et y apporte donc une information supplémentaire : on peut penser à des informations ayant d’abord circulé globalement et ensuite mises par écrit dans des ouvrages où Tacite les a trouvées. L’adjectif crebrior justifie une telle mention : c’est parce que cette version était celle qu’il rencontrait plus fréquemment dans ses sources écrites qu’il l’a faite figurer à son tour dans son propre récit. Fama n’est en effet pas à associer systématiquement à ce type de support, car elle peut aussi contredire les éléments qu’il fournit. Ainsi, lorsque Suétone passe en revue les légendes familiales de la gens Claudia, deux fins alternatives du fameux épisode de la prise de Rome par les Gaulois s’opposent : l’une dépend d’un traditur92 et raconte que c’est le premier Drusus qui rapporta la rançon que les Romains durent payer ; l’autre est liée à une incise ut fama est et fait jouer ce rôle à Camille, au moment même du paiement93. La distinction entre tradere et fama prend ici tout son sens : les textes aristocratiques sont introduits par le premier, tandis que l’histoire plus largement répandue et probablement soutenue par diverses sources est qualifiée de fama.
Memorare
50Ce n’est qu’en septième position qu’apparaît enfin un des termes qui ont été étudiés au chapitre 1 et servaient alors à désigner l’activité propre de nos deux auteurs94. Memorare comporte onze occurrences et, de même qu’il n’était utilisé de manière significative que par Tacite95, de même c’est dans ses seules œuvres que se trouvent ses occurrences à propos des sources : pas une seule fois Suétone n’a recours à lui. Cet état de fait n’est cependant pas étonnant, car nous verrons que les préoccupations mémorielles sont particulièrement importantes dans la manière dont l’historien considère son travail96. Sa répartition temporelle est elle aussi typique de Tacite et de sa préférence à souligner le moment d’apparition d’un élément plutôt que de faire un bilan de la question au moment de la rédaction : trois formes sur quatre de memorare dans les Histoires appartiennent au registre présent, ce qui concorde avec le sujet relativement récent de cet ouvrage ; à l’inverse, dans les Annales, dont le sujet est plus ancien, cinq références sur sept sont au passé.
51Lorsqu’il désigne des sources aussi, memorare paraît tout particulièrement lié au genre historique. C’est notamment le cas dans la préface des Histoires97, où il renvoie aux œuvres antérieures, notamment à celles portant sur la période républicaine :
Initium mihi operis Seruius Galba iterum Titus Vinius consules erunt. Nam post conditam urbem octingentos et uiginti prioris aeui annos multi auctores rettulerunt, dum res populi Romani memorabantur pari eloquentia ac libertate.
“Le début de mon œuvre sera le second consulat de Servius Galba et le premier de Titus Vinius. En effet, de nombreux auteurs ont relaté les huit cent vingt ans de la période précédente qui ont suivi la fondation de la ville, période où le souvenir des hauts faits du peuple romain a été perpétué avec autant d’éloquence que de liberté de parole.” (Tac., Hist., 1.1.1)
52Plusieurs éléments permettent de voir que memorabantur se réfère ici à une source écrite. Tout d’abord, son sujet, res populi Romani, désigne sans ambiguïté les hauts faits du peuple romain, c’est-à-dire l’histoire comme matière à ouvrages historiques. Le groupe à l’ablatif pari eloquentia ac libertate confirme cette interprétation : faire preuve d’éloquence et de liberté de parole suppose l’écriture d’un texte et non une simple diffusion orale. Enfin, dans la proposition principale, l’expression multi auctores rettulerunt est très claire et amène à considérer que la subordonnée introduite par dum s’inscrit dans le même contexte.
53Une telle connotation explique pourquoi ce verbe est parfois précisé par des sujets renvoyant explicitement à un support écrit98 ou peut introduire des éléments d’érudition99. Toutefois, memorare ne signifie pas nécessairement que l’information en question n’a été diffusée qu’au moyen de livres. L’exemple de l’oiseau aperçu au moment de la première bataille de Bédriac amène en effet à envisager des supports variés, à la manière de fama, car c’est memorant qui introduit cette histoire100. Memorare peut être associé à des témoignages de contemporains101, mais ici, puisque ce sont des incolae qui racontent l’anecdote, il est impossible d’interpréter ce verbe comme l’affirmation qu’ils auraient eux-mêmes écrit un ouvrage sur la question. Toutefois, comme Tacite précise que ces éléments sont uulgatis traditisque, leur diffusion a été vraisemblablement à la fois orale et écrite. Il cherche à justifier la mention de cet élément touchant au merveilleux dans une œuvre qu’il veut sérieuse et memorant peut avoir pour utilité de contre-balancer ce caractère incroyable, visible dans la phrase longue et contournée qui introduit l’ensemble du passage102.
54Il semble en effet que ce verbe et plus particulièrement le substantif qui lui est associé, memoria, plutôt qu’une mémoire en action, signalent une dignité à être rappelé. Tacite qualifie ainsi les événements de l’année 57 de pauca digna memoria103, littéralement “peu dignes d’être rappelés”, afin de justifier leur traitement lapidaire. Un historien d’aujourd’hui mettrait en avant leur contenu et les présenterait comme de peu d’intérêt, mais c’est sur leur préservation dans les mémoires que porte l’accent de l’annaliste : il y a ce qui mérite d’y demeurer et le reste. Une telle interprétation va de pair avec le fait que toutes les occurrences de memoria apparaissent dans un contexte passé, cette longévité temporelle étant même, dans la moitié des cas, soulignée par l’adjectif uetus104. Ainsi, lorsque Tacite compare implicitement un soldat vitellien réclamant une récompense pour avoir tué son frère avec un soldat républicain qui, selon Sisenna, se serait suicidé dans les mêmes circonstances, la formule finale est la suivante :
Sed haec aliaque ex uetere memoria petita, quotiens res locusque exempla recti aut solacia mali poscet, haud absurde memorabimus.
“Mais cette anecdote et d’autres tirées d’une ancienne mémoire, chaque fois que le sujet ou le lieu requerra des exemples de bonne conduite ou des soulagements au mal, il ne sera pas absurde que nous les rappelions.” (Tac., Hist., 3.51.2)
55Le thème de la mémoire est clairement visible dans cette phrase : Tacite commence par qualifier de uetus memoria la matière où il pourra trouver des parallèles à dresser avec les événements qu’il raconte lui-même, puis il utilise memorare pour désigner sa propre activité, verbe qui servait également à introduire l’anecdote de Sisenna105. Le processus à l’œuvre est donc circulaire : l’historien républicain a permis à cette histoire de s’inscrire dans la memoria, celle-ci a rassemblé l’ensemble des éléments dont le souvenir méritait d’être perpétué et Tacite, en les rappelant à son tour, contribue lui aussi à leur préservation.
Autres termes utilisés
56Les sept termes analysés ci-dessus ne sont bien sûr pas les seuls utilisés par nos deux auteurs pour introduire les informations qu’ils ne veulent pas reprendre directement à leur compte. D’autres apparaissent également, qui seront présentés ici, par commodité, selon leur sens. Ne seront toutefois commentés que ceux dont une utilisation caractéristique se dégage des passages relevés et dont le nombre d’occurrences était suffisant pour garantir un minimum de solidité à l’analyse : s’il est en effet intéressant de commenter l’utilisation d’un terme à un endroit précis, aucune hypothèse générale ne peut en être tirée s’il n’est présent qu’une seule fois dans notre corpus. Chaque groupe commencera par une présentation des termes le composant, puis continuera avec une exposition des caractéristiques sémantiques de ceux qui se prêtent à analyse. Les tableaux de relevés de tous les termes, y compris ceux qui n’auront pas été commentés pour une raison ou pour une autre, sont néanmoins disponibles sur le compte HAL d’Ausonius Éditions.
Termes relevant du domaine de l’écriture
57Cinq termes relevant du domaine de l’écriture apparaissent dans nos relevés : auctores, componere, inserere, scribere, scriptores.
58Le plus attendu est bien sûr scribere. Ce verbe n’apparaît pourtant que trois fois dans notre corpus et, plus étonnamment, davantage chez Suétone que chez Tacite. À chaque fois, il est en lien avec un moment-clé de la vie d’un personnage, sa mort ou sa naissance106. Dans les Douze Césars, il sert à présenter différentes versions du même événement, que l’auteur prenne position ou non pour l’une d’entre elles, comme à propos de la mort de Tibère, où scribere intervient tout à la fin de l’énumération des types de mort possibles107. Les informations qu’il introduit sont nettement plus circonstanciées et accompagnées du nom de l’auteur qui les a rapportées, deux caractéristiques qui les distinguent. Cette plus grande précision peut provenir de ce que Suétone avait à ce moment-là le texte de Sénèque sous les yeux, mais aussi de ce que l’écriture semble avoir, chez nos deux auteurs, une importance particulière. Ainsi la désapprobation de Suétone est décelable lorsqu’il condamne ceux qui ont affirmé que Tibère était né un an avant ou un an après la date qu’il donne lui-même, alors que cette information était consignée à la fois dans les Fastes et les acta publica. Juste après l’évocation de ces archives, qui lui permettaient déjà de corriger d’autres auteurs sur le lieu de naissance de l’empereur108, l’expression nec tamen desunt qui... scribant109 est plus péjorative que la leuis coniectura ayant mené les autres à l’erreur110, comme si cette mise à l’écrit-là était plus fautive que les autres. Dans l’unique occurrence présente chez Tacite, celui-ci cherche à prévenir l’incrédulité de son lecteur devant le “mariage” de Messaline et Silius111, en insistant sur le fait qu’il ne rapporte que des audita scriptaque112 : ces éléments n’ont pas seulement été racontés, ils ont aussi été écrits.
59Cette dimension n’est cependant pas décelable dans les emplois de scriptor, qui apparaît presque uniquement dans les Annales113. Dans la moitié de ces passages, il est modulé par l’expression eorundem temporum114, qui peut être comprise de deux manières : soit ce génitif désigne le sujet choisi, soit il renvoie à la période à laquelle les auteurs ont vécu. L’introduction de l’épisode où les Chattes proposent à Tibère d’empoisonner Arminius permet de trancher la question :
Reperio apud scriptores senatoresque eorundem temporum Adgandestrii, principis Chattorum, lectas in senatu litteras, quibus mortem Arminii promittebat, si patrandae neci uenenum mitteretur...
“Je trouve chez les auteurs et les sénateurs de cette même époque qu’on lut au Sénat une lettre d’Adgandestrius, le prince des Chattes, dans laquelle il promettait qu’Arminius mourrait, si on lui envoyait du poison pour perpétrer l’assassinat.” (Tac., Ann., 2.88.1)
60Ici, eorundem temporum ne peut que renvoyer à l’époque, même si, dans les deux cas, la référence implique un récit écrit115. Ce caractère contemporain explique l’emploi de cette expression dans des passages qui pourraient être controversés, tel celui sur la mort de Claude. Tacite présente en effet un récit sans mention de divergences116, alors qu’il existait des variantes117. Son insistance sur la diffusion généralisée des détails, au moyen de l’expression cuncta pernotuere, et sur son recours à des auteurs ayant vécu à cette époque (illorum temporum scriptores) n’est dès lors pas étonnante : il s’agissait pour lui de justifier sa présentation unitaire. Scriptores ne signale toutefois pas nécessairement, sous sa plume, un consensus ou une appréciation positive des sources évoquées : il est aussi utilisé dans des contextes où l’historien signale des divergences118, marque son désaccord avec une version119 ou met en cause leur partialité120.
61Une telle interprétation de la modulation eorundem temporum amène à remettre en question une traduction systématique de scriptor par “historien”. C’est en effet plutôt le terme auctor qui paraît relever d’un contexte historiographique. Là encore presque uniquement présent chez Tacite121, à deux reprises, il est précisé par les génitifs rerum ou annalium, ce qui ne laisse aucun doute quant au type d’auteurs auxquels l’annaliste renvoie122 ; dans un troisième cas, il introduit des éléments d’érudition123. C’est peu, sur seize occurrences comme terme principal ou en combinaison, mais l’évaluation presque systématique de la crédibilité de ce type de sources paraît confirmer un contexte historiographique. Qu’il s’agisse de leur antiquité, de leur divergence ou bien du nombre de personnes soutenant la même affirmation, cette question est manifestement centrale lorsque ce terme est utilisé. Le passage où Tacite présente une version alternative de la mort de Drusus II en est un bon exemple, car il est particulièrement riche du point de vue des sources et de son attitude à leur égard. Il y qualifie la variante où Tibère est persuadé par Séjan de tuer son propre fils de rumor124, qu’il assimile ensuite à des fabulosa et immania125, puis à des incredibilia126. Le passage contient deux occurences du terme auctor : à propos de la version retenue (plurimis maximaeque fidei auctoribus127) et à propos de celle qui a été refusée (nullo auctore certo128). À chaque fois, l’information est évaluée de deux façons : du point de vue du nombre (ce sont les auteurs les plus nombreux qui soutiennent la version choisie vs aucun auteur certain ne soutient celle qui a été refusée) ; puis du point de vue du sérieux de ces sources (auteurs les plus dignes de confiance pour la première vs aucune certitude pour la seconde, ce qui entraîne un commentaire sur la fama devenant plus atroce au sujet des dirigeants lorsqu’ils atteignent la fin de leur règne129). Pour sa part, l’unique scriptor présent n’est accompagné que d’un quisquam trop vague pour donner des éléments sur sa crédibilité130. Or ce sont les historiens qui l’ont précédé qu’un auteur d’ouvrages historiques se doit d’évaluer sans cesse pour assurer le sérieux de son récit. Il semble ainsi que auctor ait plutôt tendance à désigner des historiens, tandis que scriptor renverrait davantage à un auteur en général.
62Enfin, componere n’est présent que deux fois dans notre corpus, là encore uniquement chez Tacite et toujours pour désigner l’activité de ses prédécesseurs, mais il semble à chaque fois connoté négativement. Il apparaît ainsi au début des Annales, dans le passage sur l’évolution de l’historiographie romaine, où les termes utilisés pour les différentes périodes sont révélateurs de la position de l’auteur. L’époque plus ancienne, celle de la République, dépend d’un memorare, ce qui concorde avec l’analyse qui a été faite des emplois de ce verbe. Mais le règne d’Auguste dépend d’un simple dicere, que nous étudierons plus tard, et les règnes des quatre autres Julio-Claudiens d’un componere. Le propre travail de Tacite, lui, est qualifié par un tradere. La détérioration de l’écriture historique est donc également signalée par le choix des verbes : de memorare, on passe à un simple dicere et l’utilisation, ensuite, de componere souligne le caractère construit des récits des règnes de Tibère, Caligula, Claude et Néron131. Ces termes correspondent à l’adoption d’une perspective méliorative, puis péjorative par les historiens qui ont traité de ces périodes. Il n’est dès lors pas étonnant que componere apparaisse aussi dans le passage des Histoires qui critique les auteurs flaviens132, ni que Tacite l’utilise très peu pour parler de sa propre activité133.
Termes relevant du domaine de l’accord ou du désaccord
63Les termes d’accord ou de désaccord sont tous des verbes : abnuere, congruere, consentire, conuenire, discrepare, dissentire, uariare. Ils sont relativement nombreux et ont chacun peu d’occurrences, mais présentent quand même deux caractéristiques d’ensemble.
64Tout d’abord, ils sont utilisés presque exclusivement à des tournures impersonnelles, que ce soit à la voie active ou passive. Suétone écrit ainsi, au début de son récit de la mort de Claude :
Et ueneno quidem occisum conuenit ; ubi autem et per quem dato discrepat.
“Et du moins sur le fait qu’il a été tué avec un poison, il y a accord ; mais sur où et par l’intermédiaire de qui il lui a été donné apparaissent des divergences.” (Suet., Cl., 44.3)
65Ici, qu’il y ait accord ou désaccord, ceux-ci sont constatés sans préciser entre qui ou quoi. Dans quatre occurrences, un sujet est exprimé, mais il est si vague qu’elles confirment malgré tout cette analyse : Tac., Ann., 4.65 a seulement scriptores, dont nous venons de voir qu’il a plutôt un sens général ; le sujet de Tac., Ann., 6.28.1 doit être inféré de la phrase qui précède ; la relative qui formam eius effinxere, en Tac., Ann., 6.28.2, reste vague134, tout comme la tournure sunt qui abnuant, en Tac., Ann., 14.9.1.
66Le début du récit de la mort de Claude par Suétone est également représentatif d’une autre caractéristique de ce groupe sémantique : ces verbes sont toujours conjugués au présent, ce qui concorde avec la valeur de bilan attribuée à ce temps, même si on relève deux exceptions. Ainsi, Tacite utilise conueniebat à propos de la proposition des soldats de Germanie à Verginius Rufus de le faire empereur135, mais il s’agit des chapitres où il dresse un tableau de la situation au 1er janvier 69 : la perspective est donc toujours celle d’un bilan et le contexte passé permet de signaler que cette conviction date d’immédiatement après les faits, ce qui accroît sa crédibilité. L’autre exemple se trouve au moment où Suétone donne son sentiment sur les variations qu’il constate à propos du fondateur de la gens Vitellia :
quod ego per adulatores obtrectatoresque imperatoris Vitellii euenisse opinarer, nisi aliquanto prius de familiae condicione uariatum esset.
“personnellement, je penserais que c’est le fait des adulateurs de l’empereur Vitellius et de ses opposants, si ce n’était pas quelque temps auparavant qu’étaient apparues des variations sur la condition de sa famille.” (Suet., Vit., 1.1)
67Le biographe établit bien ici que les divergences sont apparues dans le passé, avant même que Vitellius soit devenu empereur. Néanmoins son premier sentiment montre qu’elles ont persisté bien après, probablement jusqu’au moment de la rédaction. Le présent tradunt dans la phrase introductrice qui précède immédiatement et le fait que le subjonctif imparfait opinarer ait ici valeur d’irréel du présent confirment cette interprétation.
68Les verbes d’accord et de désaccord présentent donc au départ les mêmes caractéristiques que celles mises en évidence plus haut pour constare. En revanche, contrairement à lui, ils ne servent pas à attirer l’attention sur la réalité de l’information qu’ils introduisent, mais bien à signaler une concordance ou une divergence des sources. L’exemple de Suétone à propos de la mort de Claude l’illustre bien : ce qui l’intéresse à ce moment-là n’est pas de souligner que l’empereur a réellement été empoisonné, mais de signaler qu’il y a accord d’un côté et désaccord de l’autre, d’où le parallélisme conuenit... discrepat. L’intention avec laquelle ces termes sont utilisés est donc différente de celle qui accompagne l’emploi d’un constat.
Termes relevant du domaine de la large diffusion
69Les termes exprimant une idée de large diffusion sont au nombre de sept : celeber, emanare, notatus, percrebrescere, pernotescere, rumor et uulgare. S’y ajoutent les occurrences de uulgus et de son ablatif à valeur adverbiale uulgo lorsqu’ils apparaissent dans un contexte de circulation d’une information. Les occurrences des composantes de ce groupe sont un peu plus nombreuses que pour chaque expression d’accord ou de désaccord, mais elles requièrent néanmoins toujours d’être traitées ensemble et non séparément pour présenter des particularités intéressantes.
70À chaque fois, c’est bien sûr une très grande diffusion de l’information introduite qui est signalée. Était-elle d’origine populaire ou, du moins, circulait-elle en particulier parmi le peuple ? La question se pose notamment pour uulgare, dont le lien avec cette catégorie sociale est évident. Sur vingt-deux passages relevés, seuls six peuvent être directement ou indirectement associés au peuple. L’histoire selon laquelle le jeune Néron aurait été protégé d’assassins envoyés par Messaline grâce à un immense serpent en est un bon exemple. Tacite la mentionne en passant, au moment où la faveur populaire pour le fils d’Agrippine éclate pendant les Jeux Séculaires donnés par Claude :
Vulgabaturque adfuisse infantiae eius dracones in modum custodum, fabulosa et externis miraculis adsimilata
“Et on racontait partout que des serpents avaient veillé sur son enfance à la manière de gardiens, histoire fabuleuse et tournée sur le modèle des prodiges exotiques” (Tac., Ann., 11.11.3)
71L’historien donne ici peu de détails et rien ne permet de conclure que uulgare fait plutôt référence à une diffusion populaire136. La version de Suétone, dans son récit chronologique de l’enfance de Néron, est un peu plus longue et circonstanciée :
Gratia quidem et potentia reuocatae restitutaeque matris usque eo floruit ut emanaret in uulgus missos a Messalina uxore Claudii, qui eum meridiantem, quasi Britannici aemulum, strangularent. Additum fabulae eosdem dracone e puluino se proferente conterritos refugisse.
“Mais, grâce à la faveur et à la puissance de sa mère, qui avait été rappelée et rétablie dans sa position, il atteignit des sommets tels qu’il se répandit dans le peuple que Messaline, la femme de Claude, avait envoyé des émissaires pour l’étrangler pendant sa sieste sous prétexte qu’il était un rival pour Britannicus. On ajouta à cette fable que ces mêmes hommes avaient fui, terrifiés par un serpent qui s’était dressé à côté de son oreiller.” (Suet., Nero, 6.7-8)
72Chez le biographe, le doute n’est plus permis : cette histoire circulait bel et bien au sein du peuple, mais elle a ensuite été encouragée par des manigances d’Agrippine. Contrairement à Suétone, Tacite n’a mentionné que cette seconde partie : son uulgari signifie donc, sans doute davantage que “faire diffuser dans le peuple”, “être diffusé” ou “se diffuser dans le peuple”. Les autres exemples d’une référence aux classes populaires concernent la seconde version de la mort de Drusus II137, la conviction que Livie protégeait Agrippine I et ses enfants des menées de Tibère138 et l’histoire de Néron chantant la chute de Troie devant les flammes de l’incendie de 64139. S’y ajoutent sans doute les deux occurrences de uulgo adverbial chez Suétone sur Julie attirée par Tibère bien avant leur mariage et les “mâchoires lentes” de ce dernier selon Auguste140.
73Il n’est toutefois pas possible d’interpréter systématiquement uulgare comme signalant une diffusion populaire. Un exemple des Histoires empêche en effet catégoriquement toute conclusion mécanique. Il s’agit de la phrase introduisant la liste des prodiges survenus au moment du départ en campagne de l’armée d’Othon :
Prodigia insuper terrebant diuersis auctoribus uulgata.
“En outre, des prodiges, diffusés largement par différents garants, répandaient la terreur.” (Tac., Hist., 1.86.1)
74Qu’on comprenne auctor ici comme renvoyant à des historiens ou à de simples garants, l’hypothèse d’une origine populaire du récit de ces prodiges ne peut être avancée à cause de ce complément d’agent : s’il y avait des auctores, alors cette histoire n’est pas née de la rumeur populaire141. Par ailleurs, dans le passage sur l’oiseau pendant la première bataille de Bédriac142 uulgatis, opposé à traditis, a un net sens de voie orale, complémentaire d’un support écrit.
75C’est donc plutôt l’idée d’une large diffusion, touchant dès lors aussi le peuple et, par conséquent, orale, qui semble devoir être privilégiée, avec une traduction de type “circuler largement” ou “publiquement”. Cette interprétation est confirmée par les deux verbes percrebrescere et pernotescere, dont le préverbe per- signale que l’information en question était répétée partout et connue de tous. Ainsi, à propos d’une possible victoire des othoniens sur les vitelliens si Suétonius Paulinus n’avait pas jugé plus prudent de faire sonner la retraite, Tacite écrit : utrisque in partibus percrebrescuerit, “elle se répandit partout dans les deux partis”143. La précision utrisque in partibus est ici tout à fait claire : les états majors othonien ou vitellien voyaient là une occasion ratée, mais aussi leurs soldats et, vraisemblablement, les partisans de l’une ou l’autre cause absents de la bataille. La diffusion manifestement immédiate de cette opinion rend incontournable une voie orale144.
76À l’inverse, notatus paraît se référer davantage à un contexte écrit, vu le type d’information que ses deux occurrences introduisent chez Suétone. Celui-ci s’en sert en effet à chaque fois pour introduire des éléments soit d’érudition, soit très vraisemblablement tirés d’ouvrages d’histoire antérieurs. C’est notamment le cas du caractère général des Claudii, dont le biographe déclare que notatissimum est, “il est tout à fait notoire”, qu’ils ont toujours été arrogants et opposés au peuple145. Il fait ensuite allusion à des épisodes fameux de l’histoire romaine, qui devaient être connus dans les classes populaires, mais étaient surtout plus probablement rappelés à plusieurs reprises dans les ouvrages qu’il avait consultés, d’où deux exemples assez précis. De même, l’association constante de l’adjectif celeber soit à des termes liés à l’écrit146, soit à des sujets d’érudition147 laisse penser qu’il introduit des informations fréquemment rencontrées dans des livres. Les termes signalant une diffusion large ne seraient par conséquent pas uniquement liés à une diffusion orale, mais aussi, dans ces deux cas, à une diffusion écrite.
Termes relevant du domaine de la parole
77Onze termes relèvent du domaine de la parole, tous des verbes : addere, adseuerare, affirmare, aiunt, arguere, dicere, iactare, perhibere, persuadere, prodere et referre.
78Au vu des occurrences relevées, il est manifeste que prodere est associé à l’activité historiographique. En effet, dans la moitié des passages où il apparaît, il est accompagné de termes en lien avec elle, par exemple lorsque Suétone évoque comme source les ouvrages d’histoire écrits par Claude148. Parmi les autres occurrences se trouvent des passages qui non seulement présentent les divergences entre différentes versions, laissant penser à des supports écrits, mais qui en fournissent aussi une évaluation. Le développement de Tacite sur les derniers mots de Galba en constitue un bon exemple :
Extremam eius uocem, ut cuique odium aut admiratio fuit, uarie prodidere. Alii suppliciter interrogasse quid mali meruisset, paucos dies exsoluendo donatiuo deprecatum ; plures obtulisse ultro percussoribus iugulum : agerent ac ferirent, si ita <e> re publica uideretur.
“Ses derniers mots ont été rapportés différemment selon la haine ou l’admiration qu’on avait pour lui : pour les uns, il demanda en suppliant quel mal il avait mérité, en les priant instamment de lui donner quelques jours pour payer le donativum ; pour des gens plus nombreux, il offrit de lui-même sa gorge à ses assassins : allons, qu’ils frappent, si cela leur semblait bon pour l’État.” (Tac., Hist., 1.41.2)
79Ici, l’expression uarie prodidere est pour ainsi dire “déclinée” par alii, puis plures, dont le plus grand nombre accroît la crédibilité de la seconde version. La précision de la citation qu’elle contient, également présente chez Suétone, où ces derniers mots sont aussi introduits par plures prodiderunt149, signale très probablement une source écrite. Il paraît dès lors pertinent d’interpréter l’utilisation de prodere comme le signe du recours à une source écrite de type historique.
80Par ailleurs, dans les quatre passages où il est présent, le verbe perhibere introduit toujours des éléments de type légendaire : nom du roi ayant fondé il y a très longtemps le temple de Vénus à Paphos (Tac., Hist., 2.3.1) ; manière dont on raconte que la statue de Jupiter Dis a quitté la Séleucie pour Alexandrie (Tac., Hist., 4.84.4) ; lieu de naissance d’Hercule (Tac., Ann., 2.60.2) ; invention de l’écriture (Tac., Ann., 11.14.1). Cette association est, pour ainsi dire, systématique. Le recours à ce verbe signale donc probablement que les informations qui suivent relèvent de ces histoires légendaires se passant dans un temps si reculé que leur caractère réel ou fictionnel devient incertain. Il n’est dès lors pas étonnant que, dans un cas, il ait uetus memoria comme sujet150.
81Les autres termes de ce groupe ne présentent malheureusement pas de constantes suffisamment visibles pour qu’il soit possible d’en déduire quoi que ce soit du point de vue sémantique. En revanche, aiunt et dicere paraissent utilisés dans des buts bien précis. Le premier n’apparaît que chez Suétone ; le second comprend à peu près autant d’occurrences chez l’historien que chez le biographe151. Ce dernier a recours à eux plus ou moins de la même manière et s’en sert dans deux types de passages : pour présenter des versions différentes d’un même événement ou pour introduire un élément constituant le point culminant de son récit. Ces deux utilisations sont parfaitement équilibrées pour aiunt152 ; dans le cas de dicere, les éléments climaxiques l’emportent nettement153. C’est notamment le cas lorsque Suétone décrit la “tournée” de Néron en Grèce et les conditions qu’il y imposait à son public :
Cantante eo ne necessaria quidem causa excedere theatro licitum est. Itaque et enixae quaedam in spectaculis dicuntur et multi taedio audiendi laudandique clausis oppidorum portis aut furtim desiluisse de muro aut morte simulata funere elati.
“Lorsqu’il chantait, il ne fut permis de quitter le théâtre pas même pour une raison impérieuse. C’est pourquoi, dit-on, des femmes accouchèrent pendant des spectacles et beaucoup, lassés de l’écouter et de le louer, comme les portes des bourgs étaient fermées, soit sautèrent furtivement au bas du mur soit, simulant la mort, furent emportés pour être ensevelis.” (Suet., Nero, 23.3)
82La seconde phrase de cet extrait est à la fois une illustration de ce qu’annonce la première (il était interdit de sortir du théâtre) et la présentation d’éléments extrêmes (des femmes obligées d’accoucher sur place, des hommes se faisant passer pour morts afin d’être évacués). L’utilité du dicitur apparaît d’elle-même : quand bien même il serait arrivé, une fois, qu’une femme ait accouché en plein spectacle ou qu’un homme ait fait mine de mourir, il est peu probable que cela ait été des femmes et des hommes ; il s’agit bien plutôt d’une généralisation abusive, procédé connu chez le biographe154. Présenter ces éléments en les faisant dépendre d’un dicitur lui permet ainsi de les faire figurer dans son récit sans toutefois devoir en assumer pleinement la responsabilité. Ces verbes ont aussi comme avantage d’être assez neutres sémantiquement : ils restent ainsi en arrière-plan tout en mettant en avant le contenu de leur proposition infinitive.
83Les passages où Tacite a recours à dicere témoignent d’une utilisation assez semblable, mais nettement moins systématique et, surtout, moins marquée. Le moment où il discute des raisons qu’avait Tibère de ne pas assister aux jeux de gladiateurs donnés par son fils en est un bon exemple, car dicere y apparaît trois fois155 : à propos des reproches de Tibère à Drusus II ; des deux premières raisons de son absence aux jeux (dégoût de la foule ; tristesse et peur de la comparaison avec Auguste) ; enfin de la troisième raison qui en est donnée (malveillance envers son fils)156. Le deuxième emploi correspond parfaitement à celui de présentation de différentes versions157. Le troisième peut être une introduction d’éléments climaxiques, mais il faudrait considérer qu’il y a là déjà l’idée que Tibère est si peu sûr de son pouvoir qu’il cherche même à nuire à son fils naturel. Le premier emploi, en revanche, n’entre ni dans un cadre, ni dans l’autre : il sert simplement à introduire l’idée que l’empereur aurait peut-être fait des reproches à son fils pour son goût du sang parce que cela avait effrayé le peuple. Il semble donc qu’il faille se garder ici d’appliquer mécaniquement une proposition d’interprétation qui paraît surtout valable pour Suétone.
Termes relevant du domaine de la pensée
84Seize termes exprimant une idée de jugement ou de pensée apparaissent dans notre corpus : arbitrari, arguere, argumentum, coniectare, coniectura, credibile, existimare, interpretari, interpretatio, opinari, opinio, persuadere, putare, suspectare, suspicere, suspicio. Aucune caractéristique particulière d’utilisation ne se dégage de chacun d’eux individuellement. En revanche, collectivement, nos deux auteurs ont recours à eux à de très nombreuses reprises dans le même contexte énonciatif. Ces verbes, noms et adjectif introduisent en effet majoritairement des opinions reposant sur des arguments et non sur une simple conviction. Ce ne sont pas nécessairement ceux de Tacite et Suétone, car ils sont assez souvent précédés ou suivis d’une réfutation, mais cela ne les empêche pas de figurer dans le récit. Les raisons, selon Suétone, de l’envoi de Vitellius par Galba en Germanie Inférieure sont représentatives de cet emploi :
A Galba in inferiorem Germaniam contra opinionem missus est. Adiutum putant Titi Vini suffragio, tunc potentissimi et cui iam pridem per communem factionis Venetae fauorem conciliatus esset ; nisi quod Galba prae se tulit nullos minus metuendos quam qui de solo uictu cogitarent, ac posse prouincialibus copiis profundam gulam eius expleri, ut cuiuis euidens sit contemptu magis quam gratia electum.
“Galba l’envoya contre toute attente en Germanie Inférieure. On pense qu’il fut aidé par une recommandation de Titus Vinius, qui était alors très puissant et qu’il s’était déjà concilié depuis longtemps au moyen d’une commune faveur pour la faction des Bleus, si ce n’est que Galba déclara que personne n’était moins à craindre que ceux qui ne pensent qu’à la nourriture et que les ressources de sa province pouvaient combler son profond appétit, de sorte qu’il est évident pour quiconque que ce fut plus par mépris que par faveur qu’il a été choisi.” (Suet., Vit., 7.1-2)
85Le biographe n’est très manifestement pas d’accord avec la cause dépendant de putant : non seulement il la réfute en citant ce que Galba aurait dit pour l’occasion, mais il déclare aussi que n’importe qui pouvait arriver aux mêmes conclusions que lui (ut cuiuis euidens sit...). Pourtant, cette explication ne reposait pas uniquement sur ce que croyaient les personnes auxquelles putant se réfère : puisque Vitellius était un ami de Titus Vinius, très puissant auprès de Galba, celui-ci pouvait être intervenu en sa faveur. Suétone donne ces arguments, mais s’en démarque immédiatement : le subjonctif plus-que-parfait conciliatus esset indique en effet que l’apposition et la relative ne relèvent pas d’un commentaire de l’auteur (comme on aurait pu le penser s’il n’y avait eu que tunc potentissimi), mais font partie du discours indirect dépendant de putant. L’utilisation de ce type d’expression n’équivaut donc pas forcément à une reprise au compte de l’auteur.
86Les nombreux autres exemples de ce type d’emploi158 invitent à envisager une connotation propre aux verbes de pensée. Ils ne sont pas de simples “incises”159, qui ne serviraient qu’à introduire une idée en signalant qu’on ne la reprend pas ou pas officiellement à son compte : ils ne sont donc pas des équivalents d’un dicitur. Certes, ils ont la même fonction de distanciation du narrateur par rapport à ce qu’il écrit, mais ils indiquent aussi que la source évoquée s’appuyait sur des éléments concrets. La comparaison entre nos deux auteurs confirme cette interprétation, car, parfois, lorsque les raisons de ces affirmations ne sont pas données par l’un, elles le sont par l’autre. C’est notamment le cas à propos de la mort de Pison, accusé de l’assassinat de Germanicus. Le biographe écrit dans la Vie de Tibère qu’on croit (creditur) que Pison fut à l’origine de sa mort et qu’on pense (putant quidam) qu’il aurait pu produire les instructions qu’il avait reçues de l’empereur160. Suétone n’explique pas pourquoi certains ont été amenés à penser que le légat de Syrie était prêt à dévoiler des ordres secrets, mais Tacite le fait, puisque nous avons vu dans le chapitre 1 que, dans le même contexte, il dit avoir lui-même entendu (audire me memini) des personnes âgées (ex senioribus) raconter cette version161. Une comparaison entre ces deux passages nous permet donc de savoir que les quidam suétoniens s’appuyaient sur ce que racontaient des contemporains ou quasi contemporains162. Le putant du biographe faisait donc bien référence à un raisonnement procédant d’éléments concrets, ce qui confirme la connotation de ce type d’expression, même lorsque lesdits éléments ne sont pas donnés.
Citations nominales d’auteurs
87Il nous reste enfin à examiner les passages où Tacite et Suétone ne se sont pas contentés de formules anonymisées de type traditur ou fama est, mais ont fait figurer dans leur texte le nom de la source utilisée.
88En Tac., Ann., 13.20.2, Tacite énonce les principes qu’il suivra lorsque ses sources lui fourniront des informations divergentes : il tiendra pour établi ce qui fera consensus et, sinon, donnera les noms des différents auteurs qui s’affrontent. C’est de fait la démarche qu’il suit face aux allégations d’inceste entre Néron et Agrippine II163 : confronté à des versions différentes, l’annaliste les rapporte toutes les deux, l’une sous le nom de Cluvius Rufus, l’autre sous celui de Fabius Rusticus164 ; puis, comme d’autres auteurs (ceteri quoque auctores)165, ainsi que l’opinion générale (fama), concordent avec Cluvius, il le suit à son tour, tout en signalant qu’il ne sait pas si cela s’est effectivement passé ainsi ou bien si le passé d’Agrippine a rendu plus crédible la version l’incriminant166. Le même procédé se trouve chez Suétone, à propos des origines familiales de la gens Vitellia : d’un côté il met en avant l’opuscule de Quintus Elogius offert à Quintus Vitellius, alors questeur d’Auguste, qui les mythifie totalement ; de l’autre, il cite Cassius Sévérus et “non moins d’autres” (nec minus alii) pour parler d’une possible extraction très modeste167.
89Or, s’il arrive assez souvent à nos deux auteurs de confronter des versions qui ne s’accordent pas, les noms des personnes les ayant transmises apparaissent en vérité très peu nommément. Seulement dix passages chez Tacite168 et quatre chez Suétone169 contiennent des mentions nominales de sources, car, en réalité, celles-ci apparaissent principalement dans le texte sous des termes vagues, tels alii, plures, ou même seulement comme sujet sous-entendu d’un verbe de type dicunt. C’est notamment ce qui se passe lorsque le biographe mentionne plusieurs sources à propos de la date et du lieu de naissance de Tibère170 : nous avons des quidam, dont l’action est rapportée par le verbe existimare ; des plures certioresque associés à un tradere et confortés par les Fastes et les acta publica, dont il est sous-entendu que Suétone les a consultés ; enfin, un dernier groupe de personnes est introduit par l’expression négative nec tamen desunt qui..., sujet du verbe scribere. L’argumentation qui suit le quidam existimauerunt, la mise en avant de documents officiels et le verbe scribere donnent à penser qu’il s’agit, dans les trois cas, de sources écrites, qui, ici, divergent plus ou moins171. Pourtant, le texte ne contient ni nom, ni indication permettant d’identifier au moins un de ces auteurs : la seule information les concernant est que le groupe 2 est manifestement plus nombreux (plures) et, selon Suétone, plus digne de confiance (certiores).
90Par ailleurs, la plupart des citations nominales sert majoritairement non à confronter les sources, mais à introduire dans le récit des éléments nouveaux172, sans que ce caractère identifié et écrit semble conférer une quelconque prééminence à l’élément ainsi introduit. Lorsque le biographe présente les différentes versions de la mort de Tibère, sa dernière référence, Sénèque, est citée après des qui putent, des alii et des nonnulli et rien, dans le texte, sinon sa position en fin de paragraphe, ne permet de savoir si ce récit avait sa faveur davantage que les autres173. Par conséquent, pourquoi nos deux auteurs ont-ils parfois considéré nécessaire de donner explicitement le nom de leurs sources ? Celles-ci ont une particularité commune : il s’agit à chaque fois de personnes ayant un point de vue privilégié sur l’élément qu’accompagne leur nom. On y trouve ainsi notamment des témoins directs des événements pour lesquels ils sont cités : Vipstanius Messala était officier dans l’armée flavienne pendant les combats contre les vitelliens174 ; Agrippine II était très bien placée pour savoir si sa mère avait désiré se remarier ou non175 ; Fabius Rusticus et Cluvius Rufus ont fait partie de la cour de Néron176 ; Corbulon a dirigé les troupes romaines contre les Parthes177 ; le père de Suétone, malgré les réserves exprimées au chapitre 1178, était manifestement considéré par son fils comme un témoin direct des derniers moments d’Othon179. D’autres étaient des historiens qui devaient très probablement faire autorité sur leur sujet : c’est pour son ouvrage sur les guerres de Germanie que Tacite mentionne Pline l’Ancien à propos du comportement d’Agrippine I lorsque les soldats de Germanicus rentrèrent de leur expédition outre-Rhin180 ; de même, l’expérience militaire de Sisenna181 lui donnait très probablement une certaine autorité lorsque, dans son ouvrage historique, il parlait d’anecdotes survenues pendant un combat.
91Ces noms apparaissent parfois au sein de formules englobant d’autres sources, qui, elles, restent anonymes182. Cette différence de traitement donne à penser qu’il s’agissait de ceux qu’il suffisait de mentionner pour que la solidité de l’information ainsi établie soit acceptée par le public. Il devient dès lors compréhensible que ce soit précisément à propos des points sur lesquels elles divergent que leurs noms apparaissent en association avec chacune des versions183 : la contradiction paraît rendre nécessaire une citation nominale, pour permettre au lecteur d’évaluer le poids de chaque partie184. Cette nécessité est peut-être en lien avec l’importance de l’évaluation des préjugés. Ainsi, dans le passage de Tacite sur le prétendu inceste entre Agrippine et Néron, Cluvius Rufus était un proche de l’empereur, tandis que Fabius Rusticus était un ami de Sénèque : leurs positions respectives peuvent donc aussi s’expliquer par une certaine partialité de leur récit185. De même, chez Suétone, à propos des origines de la gens Vitellia, il est clair que Quintus Elogius a voulu flatter Quintus Vitellius, alors questeur d’Auguste, en attribuant des origines nobles à sa famille ; quant à Cassius Sévérus, le portrait qu’en fait Tacite dans les Annales montre la violence des propos qu’il pouvait tenir, ainsi que son absence d’hésitation pour recourir à la calomnie186. Ces deux auteurs illustrent donc parfaitement l’introduction de Suétone Vitelliorum originem alii aliam et quidem diuersissimam tradunt187, dont ils représentent les deux extrêmes : d’un côté, la plus grande flatterie, de l’autre, la pure calomnie. Donner leurs noms permettait certainement au lecteur de replacer leurs affirmations dans un contexte plus général et, dès lors, de se faire sa propre opinion sur leur véridicité.
92Que peut-on conclure, à présent, d’un tel passage en revue ? Tout d’abord, que les termes utilisés au sujet des sources par nos deux auteurs ne coïncident que très peu avec ceux qui désignent leur propre activité. Seul memorare figure aussi bien d’un côté que de l’autre de manière significative : les autres, dicere, referre..., sont présents, mais en proportions bien moindres que lorsque Tacite et Suétone y ont recours pour eux-mêmes. À l’inverse, des mots d’une importance marginale pour désigner leur propre travail (tradere, credere, fama...) en prennent notablement lorsqu’il s’agit de signaler une distance d’avec ce qui est relaté. Il y a ainsi sinon deux sphères mentales, du moins deux conceptions différentes au moment de rédiger un ouvrage d’histoire. Tacite et Suétone ne paraissent en effet pas considérer les sources sur lesquelles ils s’appuient, y compris celles qui sont historiographiques, comme des travaux de confrères ayant étudié le même sujet. Lorsque eux travaillent, ils font vivre dans la mémoire de leur lecteur (memorare), présentent un point afin de le soumettre à leur sagacité (referre). Lorsque leurs sources “travaillent”, elles transmettent (tradere) ou elles contiennent des hypothèses (credere) et, pour voir apparaître les verbes memorare et scribere, il faut que nos deux auteurs aient décidé de les citer nommément.
93Or ce type de mention est rare, car il n’apparaît pas dans n’importe quelle condition. Il ne faut en effet pas prendre au pied de la lettre la phrase où Tacite affirme qu’il donnera le nom des sources à chaque fois qu’elles divergeront entre elles188 : il signale à de nombreux endroits différentes versions possibles d’un même événement, mais il n’en fournit pas pour autant nécessairement les références. En vérité, il semble bien qu’il y ait eu, sur la période traitée dans notre corpus et à propos de certains sujets, des auteurs qui faisaient autorité : soit ils étaient des témoins privilégiés des événements, soit ils possédaient des compétences particulières. Ces caractéristiques avaient d’autant plus d’importance qu’historien n’était à l’époque pas un métier en soi et constituait seulement une activité acceptable pour l’otium de tout homme politique en fin de carrière189. Néanmoins, même lorsque ces sources ont vraisemblablement été utilisées pour le récit d’un événement, elles ne sont pas systématiquement nommées190. Leur nom n’apparaît dans le texte que lorsqu’elles entrent en conflit entre elles ou lorsqu’il est possible de les mettre en parallèle. Si un conflit se produit entre une autre source, moins considérée, et elles, il semble qu’une citation nominale ne soit pas nécessaire.
94Cette pratique a pour conséquence que l’immense majorité des mentions de sources dans notre corpus est anonymisée au moyen d’expressions comme dicitur, incertum ou fama est. Toutes ne prêtent pas à commentaire, principalement parce que toutes ne sont pas présentes en quantité suffisante pour pouvoir en tirer des remarques générales qui puissent être pertinentes, mais il est quand même possible de retenir un certain nombre de caractéristiques, qui permettent de mieux comprendre l’utilisation que nos deux auteurs font de ces termes.
95Pour commencer, plusieurs d’entre eux se distinguent par leur association plus ou moins systématique au domaine de l’écrit, bien que le recours à scribere soit très limité. Tradere paraît ainsi spécifiquement utilisé pour faire référence à une source écrite, qu’il s’agisse d’un ouvrage d’histoire, d’une chronique ou de simples mémoires. Divers autres verbes, moins répandus, mais néanmoins présents, ont également cette fonction, avec un sens plus précis : prodere désigne l’activité historiographique en général ; memorare est utilisé lui aussi toujours dans ce contexte ; perhibere est le terme qui introduit les récits légendaires. Par ailleurs, scriptor et auctor paraissent avoir des sens relativement complémentaires. Le second est souvent utilisé dans des contextes où il ne peut désigner que des auteurs d’ouvrages historiques, emploi qui s’explique sans doute par son sens originel de garant, qui n’en fait pas n’importe quel auteur : il est celui qui a suffisamment de poids personnel pour en conférer aussi à ce qu’il rapporte191 ou qui a suffisamment prouvé ce qu’il avançait pour que son récit en ait. Scriptor, lui, a un sens plus large d’auteur en général, avec une possible spécialisation en “auteur contemporain des événements rapportés”.
96À l’inverse, certains termes sont liés à une idée de large diffusion orale, comme uulgari, rumor ou percrebrescere. Il n’est toutefois possible pour aucun d’entre eux de démontrer qu’ils sont associés à une origine nécessairement populaire, y compris lorsqu’ils sont étymologiquement liés à cette idée. Fama est sans aucun doute le plus utilisé d’entre eux : très souvent modulée, elle renvoie d’abord à une version parmi d’autres, soutenue par diverses sources, mais son champ sémantique peut aussi être réduit ou accru et elle désigne alors soit une simple histoire en circulation, soit l’ensemble de ce qui a circulé sur un sujet.
97Les verbes de pensée, eux, sous-entendent manifestement plus de précisions, soit parce que l’information provient de cercles proches du pouvoir (credere), soit parce qu’elle résulte d’un raisonnement appuyé sur des faits (putare, opinari...). Ils sont donc surtout liés à des hypothèses ou des interprétations particulières, d’où, peut-être, cette plus grande régularité dans leur contexte d’utilisation. Tacite utilise ainsi credere presque uniquement au passé, comme pour signaler qu’il s’intéresse principalement à ce qui s’est pensé sur le moment : il considérait sans doute que leur caractère contemporain donnait plus de poids à ces diverses tentatives d’explication, en particulier pour la politique de Tibère. Cette insistance sur le fait qu’une information était contemporaine des événements relatés est récurrente chez l’historien.
98Les expressions signifiant le savoir ou l’ignorance sont elles aussi utilisées de manière très particulière par nos deux auteurs. Tacite a notamment recours à dubium ou ambigere dans des situations où, précisément, aucun doute ou ambiguïté ne subsiste : soit la tournure utilisée est négative, soit la suite du paragraphe permet de choisir entre les deux membres de l’alternative présentée. Le seul terme indiquant une véritable hésitation dans ses œuvres est incertum, dont les fréquentes occurrences au présent possèdent une nette valeur de bilan. Constare paraît avoir des caractéristiques similaires à celles d’incertum, mais sa fonction principale n’est pas tant de marquer un accord unanime des sources sur un point que d’insister sur le caractère indiscutable de ce qui est raconté. Ce terme vise donc plus à mettre en valeur l’information ainsi introduite que l’état des sources à son sujet. Pour signaler un accord ou un désaccord, ce sont en effet des verbes comme conuenire ou dissentire qui apparaissent dans le texte.
99Tous les termes n’ont toutefois pas de sens particulier plus ou moins marqué. Ainsi ferre, aiunt ou dicere sont plus neutres, ce qui leur permet d’introduire des éléments tout en restant à l’arrière-plan, à la manière d’incises. Cette caractéristique explique sans doute que le premier accompagne souvent des citations ou des anecdotes, tandis que les deux derniers sont utilisés par Suétone en lien avec des exemples extrêmes : il n’en porte ainsi pas la responsabilité, sans pour autant en diminuer l’effet sur son lecteur. Ces exemples, comme les autres, montrent bien cependant que chaque occurrence n’est pas à associer systématiquement à un sens sous-entendu particulier : il convient, à chaque fois, de prendre en compte le contexte pour vérifier que les tendances interprétatives générales présentées ici sont pertinentes pour un exemple particulier, sans une interprétation obligatoire et systématique des termes étudiés. C’est ce que nous nous proposons de faire dans le chapitre 3.
Notes de bas de page
1 Il s’agit ici de la maxime de qualité de Grice 1989, 22-40 : l’un des présupposés d’une conversation est que les interlocuteurs ne diront que ce qu’ils pensent vrai. Par conséquent, sauf mention contraire, ils sont considérés comme garants de la véridicité de ce qu’ils avancent (sans préjuger d’une possible erreur : l’important est qu’ils ne mentent pas).
2 Barthes 1982, p. 14 appelle ce type d’expressions des “embrayeurs d’écoute” et les considère comme une caractéristique de la narration historique.
3 Le jeu polyphonique peut aller très loin : la ScaPoLine, la Théorie Scandinave de la Polyphonie Linguistique, considère par exemple qu’une négation sous-entend une phrase affirmative dont le narrateur nie la véridicité (cf. Nølke et al. 2004, passim).
4 L’expression est de H. Nølke, dans Nølke 1994. Cf. aussi Nølke et al. 2004, 43-50, sur les liens énonciatifs, en particulier sur celui de non-responsabilité.
5 Dendale, Tasmowski 1994. Le terme “évidentialité” est formé à la fois sur le français “évidence” et sur l’anglais evidence, qu’ils proposent de traduire alors par “moyen de justification”. Un bon exemple de marqueur d’évidentialité est la phrase “je l’ai entendu jouer de la trompette” : le destinataire comprend alors que c’est par l’ouïe qu’on a eu accès à l’information “il joue de la trompette”.
6 C’est ce que Coates 1983 appelle “modalité épistémique” : “Epistemic modality (...) is concerned with the speaker’s assumptions or assessment of possibilities and, in most cases, it indicates the speaker’s confidence (or lack of confidence) in the truth of the proposition expressed.” (cité par Núñez 1991, 151)
7 Travail magistralement accompli par Gascou 1984 pour Suétone et Devillers 2003 pour les Annales. Une étude d’ampleur manque encore pour les Histoires, peut-être en raison de leur caractère plus contemporain : Tacite pouvait davantage s’appuyer sur des témoignages directs que sur des ouvrages antérieurs.
8 Galba est ainsi attiré hors du Palatin par de fausses rumeurs : cf. Suet., Gal., 19.4.
9 Par exemple Tac., Ann., 4.10.1 : non omiserim eorundem temporum rumorem..., “je ne saurais omettre une rumeur de ces temps-là...”
10 Des tableaux récapitulatifs de tous les termes et de leurs occurrences sont disponibles sur le compte HAL d’Ausonius.
11 Autre différence notable entre notre démarche et celle d’une étude de Quellenforschung : face à une expression de type Seneca scribit, celle-ci s’intéressera au nom de l’auteur ; nous nous demanderons pour notre part pourquoi Sénèque est précisé ici et pas ailleurs et quel rôle joue cette précision dans la narration.
12 Gascou 1984, 9-346 et Devillers 2003, 7-45.
13 Chapitre 1, 27-28.
14 Neuf occurrences au présent, onze au passé dans les Histoires ; quatorze au présent, treize au passé dans les Annales.
15 Seuls treize cas n’en comportent pas : Tac., Hist., 1.41.1 ; 2.50.2 ; 3.51.1 ; Ann., 1.80.2 ; 4.57.3 ; 6.28 ; et en Suet., Tib., 3.6 ; Nero, 1.1 ; 30.8 ; Gal., 3.4 ; 22.1 ; Otho, 12.2 ; Vit., 13.3.
16 Sept occurrences (Tac., Hist., 2.101.1 ; 5.6.4 ; Ann., 1.69.1 ; 4.53.2 ; 5.9.2 ; 13.17.2 ; 16.6.1) contre trois pour memorare (Tac., Hist., 1.1.2 ; 4.10.1 ; 4.53.2) et prodere (Tac., Ann., 12.67.1 ; 15.38.1 ; Suet., Cl., 21.4), deux pour consentire (Tac., Hist., 5.3.1 ; Ann., 6.28.2) et une pour referre (Tac., Hist., 1.1.1), uulgare (Tac., Hist., 1.86.1), componere (Tac., Hist., 2.101.1), constare (Tac., Hist., 3.29.2), dissentire (Tac., Ann., 4.65), congruere (Tac., Ann., 6.28.1), inserere (Suet., Tib., 61.7), scribere (Suet., Tib., 73.4) et addere (Suet., Nero, 63.4).
17 Tac., Hist., 2.101.1 : scriptores temporum ; 5.6.4 : ueteres auctores ; Ann., 1.69.1 : Pline l’Ancien ; 4.53.2 : Agrippine II ; 5.9.2 : temporis eius auctores ; 13.17.2 : plerique eorum temporum scriptores ; 16.6.1 : quidam scriptores.
18 Pour Chilver 1979, ad loc., p. 214, cette source écrite pourrait être Pline l’Ancien. Il ne prend en revanche pas en compte la dimension orale de la diffusion de cette histoire.
19 Cf. Develin 1983, 69, pour qui cette phrase introductive “in fact masks Tacitus’ desire to include good copy”.
20 Cet exemple amène à relativiser le traditur sans complément d’agent qui a, pour cette raison, été d’abord considéré comme sans sujet défini : il n’en a pas stricto sensu, mais un examen plus large du contexte montre que le sujet de l’action peut être inféré de ce qui précède. De même, en Tac., Ann., 6.28.2, le traduntur introduisant la durée de vie maximale d’un phénix est vraisemblablement à rattacher aux doctissimi indigenarum et Graecorum évoqués un peu avant.
21 Tac., Hist., 5.2.2-3 : Quidam... (peuple fuyant l’ Égypte), plerique... (peuple originaire d’Ethiopie), sunt qui tradant... (émigrés assyriens), alii... (peuple descendant des Solymes, célébrés par Homère), mais aussi Tac., Hist., 5.6.4 : sic ueteres auctores, sed gnari locorum (à propos de la manière de récolter le bitume). On notera que Tacite utilise lui-même le verbe tradere à la première personne pour introduire son développement (Tac., Hist., 5.2.1 : quoniam famosae urbis supremum diem tradituri sumus) et que, outre les auctores déjà cités, l’expression plurimi auctores consentiunt apparaît aussi en Tac., Hist., 5.3.1, ce qui confirme que Tacite a eu recours ici à une ou plusieurs source(s) écrite(s).
22 Respectivement Tac., Hist., 2.3.1 ; 2.78.3 ; 4.84.3 ; Ann., 4.67.2.
23 Tac., Ann., 6.28.2. Cf. n. 22 sur comment ce traduntur sans sujet défini peut en fait être rattaché à une expression renvoyant à une source écrite. De fait, Koestermann 1965, ad loc., p. 307, évoque ici Hérodote et Pline l’Ancien.
24 Suet., Tib., 3.6 (version alternative, impliquant un Drusus, de la récupération de l’or donné par les Romains aux Gaulois en 390) ; Nero, 1.1 (récit étiologique expliquant le nom Ahenobarbus) ; Gal., 3.4 (guerre de Viriathe provoquée par un Servius Galba) ; Vit., 1.1 (extrême diversité des origines des Vitellii selon qui les rapporte). Tacite aussi utilise tradere, à propos des origines familiales de Curtius Rufus, en Tac., Ann., 11.21.1. Le caractère écrit de ce type d’informations (qu’il s’agisse d’archives familiales, de laudationes funebres ou d’ouvrages d’histoire proprement dits) est bien démontré par l’ouverture de la Vie de Vitellius, dont la formule introductrice, Vitelliorum originem alii aliam... tradunt, est développée par des références à deux textes : tout d’abord, un opuscule d’un certain Quintus Elogius, qui était encore consultable au moment de la rédaction des Douze Césars, puisque Suétone l’introduit avec le verbe extat ; ensuite, soit un ouvrage de l’orateur augustéen Cassius Sévérus, soit un recueil de ses bons mots et autres attaques ad hominem.
25 Suet., Tib., 5.2. Le comparatif certiores pourrait ainsi signaler un appui sur des “éléments matériels”, notamment des archives publiques, davantage qu’une meilleure information en soi.
26 Mais non sans ambiguïté : cf. chapitre 1, 45.
27 Heubner 1972, ad loc., p. 69, n’envisage que des sources écrites, soit Vipstanius Messala, soit des “flavianische Berichterstatter”.
28 Autres exemples de chiffres introduits par tradere : Tac., Ann., 6.28.2 ; 14.37.2 ; Suet., Nero, 30.8 ; Vit., 13.3.
29 Tac., Hist., 1.41.3.
30 Kapferer 1995 [1987], 159-169.
31 Autres exemples : Tac., Hist., 2.8.1 (statut social du premier faux Néron) ; Ann., 1.13.3 (noms des capaces imperii cités par Auguste avant sa mort) ; 2.40.2 (statut social des deux personnes utilisées par Sallustius Crispus pour capturer le faux Agrippa Postumus) ; 15.53.2 (nom du temple où Scaevinus aurait pris le poignard avec lequel il comptait frapper Néron) ; Suet., Tib., 5.2 (date et lieu de naissance de Tibère). Les autres variations sont plus étendues et représentent plus une version différente qu’une simple divergence sur un point de détail.
32 Quarante-cinq occurrences.
33 Sept occurrences sur huit.
34 Huit formes impersonnelles et huit personnelles dans les Histoires, dix et dix dans les Annales.
35 Seulement trois occurrences au présent dans les Histoires, aucune dans les Annales.
36 Six occurrences, contre deux au passé.
37 Tac., Hist., 2.93.2.
38 Suet., Otho, 1.3.
39 Le grand-père d’Othon était un homo nouus, devenu sénateur et préteur grâce à la faveur de Livie, mais il était lui-même fils d’un simple chevalier et, peut-être, d’une affranchie : cf. Suet., Otho, 1.2.
40 Donné en exemple à suivre par Quintilien en Quint., I. O., 12.5.5-6.
41 Alii (Tac., Hist., 3.75.1), non deerant/defuerunt qui crederent (Tac., Hist., 3.11.4 ; Ann., 15.64.2), fuere/erant qui crederent (Tac., Hist., 1.7.2 ; 2.2.1 ; Ann., 4.57.2 ; 14.10.3 ; 15.43.5), multi (Tac., Hist., 3.75.1), nonnulli (Tac., Ann., 6.28.4), plerique (Tac., Hist., 2.99.2 ; 5.22.3 ; Ann., 4.18.2 ; 15.52.3 ; Suet., Otho, 1.3), quidam (Tac., Hist., 1.14.1 ; Ann., 2.43.4), ut quisque credidit (Tac., Ann., 12.52.2)
42 Quatre occurrences sur six en tout.
43 Sept formes au présent contre cinq au passé dans les Histoires, douze contre huit dans les Annales.
44 En Tac., Hist., 3.75.2 et 5.4.4 et en Tac., Ann., 6.34.2 ; 12.7.2 et 14.59.1.
45 On ne trouve, dans notre corpus, sur trente-huit occurrences de ferre, que quatre fertur : deux dans les Histoires (Tac., Hist., 1.15.1 et 5.4.4), une dans les Annales (Tac., Ann., 2.40.3) et une chez Suétone (Suet., Tib., 44.3).
46 Seulement deux ferebant : en Tac., Ann., 16.5.3 et en Suet., Gal., 22.2.
47 Tac., Hist., 5.4.4 (coutumes religieuses des Juifs) ; 5.7.1 (géographie de la Palestine) ; Ann., 6.11.1 (divers préfets de la Ville).
48 Tac., Hist., 3.75.2 (la mort de Sabinus ne serait finalement pas une si mauvaise chose) ; 4.39.1 (Antonius Primus aurait proposé à Scribonianus de prendre le pouvoir) ; Ann., 3.76.2 (Tibère tout particulièrement irrité par la prétention de Tacfarinas) ; 12.26.2 (Britannicus cachait son caractère sous de l’indolence) ; Suet., Tib., 51.1 (les vieilles lettres d’Auguste utilisées par Livie pour se plaindre de son fils auraient été la principale raison de la retraite à Capri).
49 Autres exemples de citations (au discours direct ou indirect) et bons mots introduits par ferre : Tac., Hist., 1.64.2 ; Ann., 2.40.3 ; 2.54.4 ; 4.34.2 ; 11.37.2 ; 13.14.1 ; 14.59.1 ; 15.23.4.
50 Suet., Gal., 22.
51 Chez Tacite, en revanche, six occurrences apparaissent dans un contexte passé : en Tac., Hist., 2.41.1 ; 3.84.5 ; 4.86.1 et en Ann., 4.5.4 ; 6.45.2 ; 15.36.1.
52 Les présents de narration ont bien sûr été exclus du relevé, car ils appartiennent au récit, non aux commentaires de l’auteur.
53 Suet., Otho, 1.2.
54 Un seul cas n’est pas lié de manière directe ou indirecte à un thème politique : celui portant sur la manière dont le phénix se reproduit avant de mourir (Tac., Ann., 6.28.6).
55 Ambigere, ambiguus, certum, cognoscere, dubitare, dubium, manifestus, obscurus, scire et uerum.
56 Il a alors recours à une tournure négative, par exemple, en Tac., Ann., 6.28.6, à propos du phénix : Haec incerta et fabulosis aucta ; ceterum aspici aliquando in Aegypto eam uolucrem non ambigitur, “Ces informations ne sont pas certaines et on les a accrues d’éléments fabuleux ; mais que l’on aperçoive de temps en temps cet oiseau en Égypte, il n’y a aucun doute.”
57 Cf. Heubner 1972, 151 : “Tacitus wendet sich wiederum gegen die flavische Version, die allein Vitellius und die vitellianischen Soldaten verantwortlich machte”. Il souligne néanmoins, ad loc., p. 170, le souci de Tacite de rendre la situation aussi claire que possible.
58 Whitehead 1979.
59 Suet., Gal., 3.3.
60 Les deux autres ont respectivement quidam et alii.
61 Cinq occurrences sur neuf au total dans notre corpus.
62 En réalité, c’est par trois fois que les soldats de Verginius Rufus lui ont proposé l’empire : cf. Cosme 2012, 28-30. P. Cosme parle d’ “ambiguïté sciemment entretenue” (p. 27) à propos de l’attitude de ce général durant la période qui alla de la révolte gauloise de Vindex jusqu’à la victoire des Flaviens.
63 Ce qu’il a par la suite toujours affirmé, au point de faire graver sur sa tombe : Hic situs est Rufus, pulso qui Vindice quondam imperium adseruit non sibi sed patriae, “Ici se trouve Rufus, qui, après avoir autrefois repoussé Vindex, défendit le pouvoir, non pour lui-même, mais pour sa patrie” (Plin., Ep., 6.10.4). Tacite connaissait parfaitement tout cela, car c’est lui qui fut ensuite amené, comme consul, à prononcer l’éloge funèbre de Verginius (cf. Plin., Ep., 2.1.6).
64 Cf. Heubner 1963, ad loc., p. 36 : “hier, wie das adversative Asyndeton beweist, im Sinne eines wirkliches Zweifels”.
65 Whitehead 1979.
66 Contra : Develin 1983, 66-68, qui considère que pour incertum aussi le doute ne dure jamais longtemps, mais étudie en réalité la catégorie plus globale d’expression d’une incertitude, pour laquelle il arrive à la même conclusion que moi.
67 Tac., Ann., 1.11.4.
68 Respectivement en Tac., Hist., 1.6.2 ; Ann., 1.6.2 et Suet., Gal., 12.5.
69 Woodman 1988, 77-117, en particulier p. 81-83.
70 Tac., Ann., 1.6.2.
71 Koestermann 1963, ad loc., p. 83, paraphrase propius uero par ueri similius.
72 Suet., Tib., 22.1.
73 Toutes les références suétoniennes sont au présent. Une seule occurrence des Histoires est au passé, en Tac., Hist., 3.75.1.
74 Seules deux d’entre elles sont au présent, en Tac., Ann., 1.13.6 et 11.31.1.
75 Il est en revanche difficile de savoir si les présents, dans les Histoires, signalent une conviction contemporaine, étant donné le peu d’éloignement chronologique des événements relatés dans cet ouvrage.
76 Les deux premiers passages sont Tac., Hist., 3.29.2 et 3.75.1. Le dernier est Tac., Hist., 1.41.3.
77 Tac., Hist., 1.18.3.
78 Suet., Tib., 1.2 (quod magis constat) ; 49.2 (satis constat) ; Cl., 15.13 (satis constat) ; Vit., 7.3 (satis constat).
79 Deux occurrences dans un registre présent contre trois dans un registre passé dans les Histoires ; trois contre deux dans les Annales.
80 Seulement quatre formes, dont trois au présent et une au passé.
81 Sur l’extrême difficulté à cerner le sens exact de fama, cf. la solide introduction de Hardie 2012, en particulier les p. 3-11, “The duplicities of fama”.
82 Suet., Cl., 44.5-7.
83 Pour une analyse plus précise de cet épisode, cf. chapitre 3, 95-101.
84 Sur les implications de ce sens, notamment en termes de réputation, cf. Néraudau 1993 et Dangel 2001. Sur la conception grecque de la φήµη, cf. Detienne 1982 et Gotteland 1997.
85 C’est le cas de la moitié des occurrences, en Tac., Hist., 1.42 ; 1.66.2 ; 3.71.4 ; Ann., 6.30.3 ; 11.34.1 ; 14.2.2 ; Suet., Cl., 44.5.
86 Tac., Hist., 3.71.4.
87 Tac., Ann., 6.30.2-4.
88 Une diffusion persistante était vue comme un signe de véracité, puisque, avec le temps, ceux qui continuaient à rapporter une histoire n’avaient plus ni faveur à acquérir, ni haine à satisfaire : cf. le cas des “miracles” de Vespasien à Alexandrie, en Tac., Hist., 4.81.3.
89 Haec, mira quamquam... (Tac., Ann., 6.30.4.)
90 Quatre occurrences : Tac., Hist., 1.41.3 (fama crebrior tradidit) ; 2.3.1 (fama recentior tradit) ; 4.84.3 (maior fama tradidit) ; Ann., 6.67.2 (fama tradit).
91 Tac., Hist., 1.41.2 : Extremam eius uocem... uarie prodidere.
92 Ce qui permet de supposer qu’elle se trouvait dans les archives familiales des Claudii.
93 C’est bien sûr cette version-là que nous connaissons le mieux, puisque c’est elle que Tite-Live a choisi de rapporter : cf. Liv., 5.49.1-7.
94 Chapitre 1, 27-28.
95 Chapitre 1, 28.
96 Chapitre 7, 285-288.
97 Tacite a également recours à lui dans celle des Annales, en Tac., Ann., 1.1.2.
98 En plus de l’exemple que nous venons de citer, cf. Tac., Ann., 1.1.2 (clari scriptores) ; 4.10.1 (plurimi maximaeque fidei auctores) ; 4.32.1 (historiens ayant écrit sur la période républicaine) ; 4.53.2 (Agrippine II écrivant l’histoire des siens).
99 Par exemple Tac., Hist., 5.2.1, à propos de l’arrivée des Juifs en Libye.
100 Tac., Hist., 2.50.2.
101 Tac., Hist., 4.81.3, à propos des “miracles” de Vespasien à Alexandrie. Tacite considère manifestement cette anecdote comme vraie, car il utilise des indicatifs tout au long de son récit, qu’il introduit par multa miracula euenere, “de nombreux miracles survinrent” (Tac., Hist., 4.81.1).
102 Tac., Hist., 2.50.2.
103 Tac., Ann., 13.31.1.
104 Tac., Hist., 3.51.2 et Ann., 6.28.4.
105 Tac., Hist., 3.51.2 : ut Sisenna memorat.
106 Tac., Ann., 11.27 : mort de Messaline ; Suet., Tib., 5.3 : date de naissance de Tibère ; 73.4 : mort de Tibère.
107 Suet., Tib., 73.4.
108 Suet., Tib., 5.1-2.
109 Suet., Tib., 5.3.
110 Suet., Tib., 5.1
111 Koestermann 1967, ad loc., p. 89 : “Tacitus knüpft an den Kapitelanfang an (fabulosum).”
112 Tac., Ann., 11.27.
113 Une seule occurrence dans les Histoires, en Tac., Hist., 2.101.1, aucune dans les Douze Césars.
114 Tac., Hist., 2.101.1 (scriptores temporum) ; Ann., 2.88.1 (scriptores senatoresque eorundem temporum) ; 12.67.1 (scriptores eorundem temporum) ; 13.17.2 (plerique eorum temporum scriptores).
115 On peut se demander si senatores renvoie aux acta senatus ou à des mémoires. Koestermann 1963, ad loc., p. 413, considère que scriptores senatoresque est un hendiadyn et qu’il faut donc comprendre : “des historiens, qui étaient aussi des sénateurs”. Goodyear 1981, ad loc., p. 445-446, n’est pas d’accord avec cette interprétation, précisément en raison de la précision eorundem temporum, qui devait renvoyer à la période de rédaction pour scriptores et au sujet traité pour senatores. Il considère néanmoins que c’est dans les acta que Tacite a dû trouver cette histoire.
116 Tac., Ann., 12.67.1.
117 Suet., Cl., 44.3-7 et chapitre 4, 164-165, puis 166-168.
118 Comme sur le nom du roi ayant permis à Caelius de s’installer à Rome, en Tac., Ann., 4.65.
119 Par exemple en Tac., Ann., 16.6.1, où Tacite réfute la version selon laquelle Néron aurait fait empoisonner Poppée enceinte et préfère celle où il la tue accidentellement d’un coup de pied au ventre.
120 Tac., Hist., 2.101.1.
121 Un seul exemple, en position de modulateur, chez Suétone, en Suet., Nero, 34.6.
122 Tac., Ann., 3.3.2 (auctores rerum) ; 4.53.2 (auctores annalium).
123 Tac., Hist., 4.83.1 (origines du temple de Sérapis à Alexandrie).
124 Tac., Ann., 4.10.1.
125 Tac., Ann., 4.11.2.
126 Tac., Ann., 4.11.3.
127 Tac., Ann., 4.10.1.
128 Tac., Ann., 4.11.1.
129 Tac., Ann., 4.11.2.
130 Tac., Ann., 4.11.2.
131 Pour Goodyear 1972, ad loc., p. 99, falsae pourrait renvoyer à une idée de falsification, faisant ainsi écho à componere.
132 Tac., Hist., 2.101.1.
133 Seulement deux occurrences, au sens relativement neutre : une dans les Histoires (Tac., Hist., 1.4.1), une dans les Annales (Tac., Ann., 11.11.1).
134 Koestermann 1965, ad loc., p. 307, évoque Hérodote et Pline l’Ancien, mais rien, dans la phrase, ne permet de savoir si c’est à eux que Tacite pense ici.
135 Tac., Hist., 1.8.2.
136 Dans son édition pour la CUF, P. Wuilleumier le traduit d’ailleurs par “on répandait aussi le bruit”, ce qui revient à se mettre du côté de ceux qui font circuler à dessein cette fable.
137 Le rumor évoqué en Tac., Ann., 4.10.1 est associé au peuple par l’expression récapitulative haec uulgo iactata en Tac., Ann., 4.11.1. Koestermann 1965, ad loc., p. 64, considère qu’il a dû être mis en circulation par un groupe aristocratique, qu’il identifie aux Asinii, car Asinius Gallus était le demi-frère de Pison. Pour Woodman 2018, ad loc., p. 111, l’allusion à la large diffusion de cette rumeur est une justification de sa mention dans les Annales.
138 Tac., Ann., 5.3.1.
139 Tac., Ann., 15.39.3.
140 Suet., Tib., 7.3 et 21.3.
141 Heubner 1963, ad loc., p. 184, considère que l’adjectif diuersis signale que l’information pouvait sans doute être trouvée dans des sources aussi bien favorables que défavorables à Othon.
142 Tac., Hist., 2.50.2.
143 Tac., Hist., 2.26.2.
144 Pour un autre exemple de diffusion immédiate d’une information, cf. Tac., Ann., 12.67.1, à propos des détails de l’assassinat de Claude, introduits par : Adeo cuncta mox pernotuere ut...
145 Suet., Tib., 2.8. L’autre occurrence de notatus est en Suet., Tib., 11.5.
146 Ainsi, en Tac., Hist., 3.51.1 : celeberrimos auctores habeo...
147 Comme, en Tac., Hist., 4.84.4, à propos de la façon dont la statue de Jupiter Dis est arrivée à Alexandrie.
148 Suet., Cl., 21.4.
149 Suet., Gal., 20.2.
150 Tac., Hist., 2.3.1.
151 Respectivement sept et six occurrences.
152 Sur quatre occurrences, deux sont des présentations de versions différentes (Suet., Cl., 44.6-7 et Otho, 6.5), deux des points culminants (Suet., Tib., 62.5 et Nero, 53.3).
153 Un seul passage contient une version alternative, en Suet., Vit., 3.3.
154 Gascou 1984, 450-456.
155 Dont une, la deuxième, où il est sous-entendu et où Tacite ne mentionne que ses sujets, alii et quidam, qui développe l’expression uarie trahebant, “les explications différaient”.
156 Tac., Ann., 1.76.3-4.
157 Pour Goodyear 1981, ad loc., p. 173, il n’y aurait ici aucune nuance de reproche, seulement allusion à la présence de cette histoire ailleurs.
158 Par exemple, en Tac., Hist., 4.84.5. ; 5.5.5 ; Ann., 14.51.1 ; Suet., Tib., 5.1 ; 67.2 ; Vit., 14.6.
159 En particulier putare dans sa forme putant.
160 Suet., Tib., 52.6. Le texte est malheureusement lacunaire après un nisi qui devait manifestement expliquer pourquoi Pison n’avait pas produit ces documents. Les manuscrits contiennent nisi ea secreto ostentant, ce qui n’a pas de sens dans ce contexte. La conjecture de Roth, nisi ea secreto ostentant<i auferenda ipsumque iugulatum curasset>, est séduisante, mais ne s’appuie malheureusement sur rien de concret.
161 Chapitre 1, 35.
162 Sur les conséquences que cette longévité doit avoir dans l’évaluation des sources de Tacite, cf. Koestermann 1963, ad loc., p. 445.
163 Tac., Ann., 14.2.1-2.
164 Pour un point sur les différentes positions des chercheurs quant à l’utilisation de ces deux auteurs par Tacite, cf. Koestermann 1968, ad loc., p. 24.
165 Koestermann 1968, ad loc., p. 25-26, suggère qu’il pourrait s’agir de Pline l’Ancien ou de Servilius Nonianus.
166 Tac., Ann., 14.2.2.
167 Suet., Vit., 1.2-2.1. Autres passages avec des citations nominales consistant à confronter des sources entre elles : Tac., Hist., 3.28 ; Ann., 13.20.2.
168 En Tac., Hist., 3.25.2 ; 3.28 ; 3.51.1 et en Ann., 1.69.2 ; 4.53.2 ; 13.20.2 ; 14.2.1-2 ; 15.16.1-2 ; 15.53.3 et 15.61.3.
169 En Suet., Tib.,73.4 ; Nero, 2.2 ; Otho, 10.1-2 et Vit., 1.2-2.1.
170 Suet., Tib., 5.1-3.
171 Il semble que les groupes 1 (quidam existimauerunt) et 2 (plures certioresque tradunt) soient d’accord sur la date, tandis que les groupes 2 et 3 (nec desunt qui scribant) s’accordent sur le lieu.
172 C’est le cas en Tac., Hist., 3.25.2 ; Ann., 1.69.2 ; 15.16.1-2 ; 15.53.3 ; 15.61.3 ; Suet., Tib., 73.4 et Nero, 2.2.
173 Suet., Tib., 73.3-4.
174 Tac., Hist., 3.25.2.
175 Tac., Ann., 4.53.2.
176 Tac., Ann., 14.2.1-2.
177 Tac., Ann., 15.16.1.
178 p. 42.
179 Suet., Otho, 10.1.
180 Tac., Ann., 1.69.2. Goodyear 1981, ad loc., p. 125-126 pense que Tacite cite nommément Pline l’Ancien parce que son ouvrage a tout particulièrement attiré son attention pour ses détails sur le conflit entre Agrippine I et Tibère. Il fait également l’hypothèse, en s’appuyant aussi sur Tac., Ann., 14.2.1 et Tac., Ann., 15.61.3, que l’expression tradere + nom de l’auteur, assez rare dans l’œuvre de Tacite, serait une manière pour lui de signaler ses sources principales.
181 Cité en Tac., Hist., 3.51.2.
182 Par exemple Tac., Ann., 14.2.2 ou Suet., Vit., 2.1 : Contra plures... prodiderunt, Cassius Seuerus nec minus alii...
183 Tac., Hist., 3.28 : Vipstanius Messala et Pline l’Ancien, à propos du responsable de l’incendie de Crémone ; Ann., 13.20.2 : Fabius Rusticus, Pline l’Ancien et Cluvius Rufus, à propos des doutes de Néron sur la loyauté de Burrus lors de la première dénonciation de complot à l’égard d’Agrippine ; Ann., 14.2.1-2 : Cluvius Rufus et Fabius Rusticus, à propos de qui eut l’initiative de l’inceste entre Néron et Agrippine.
184 Les cas sans opposition s’expliqueraient alors par le fait que l’information se trouverait uniquement chez cet auteur.
185 Partialité qu’il nous est malheureusement impossible d’évaluer, puisque leurs œuvres ne nous sont pas parvenues.
186 Tac., Ann., 1.72.4 et 4.21.6. Cela lui vaudra d’être exilé par Tibère.
187 “Les origines des Vitellii diffèrent et même sont opposées, selon qui les rapporte” (Suet., Vit., 1.1).
188 Tac., Ann., 13.20.2.
189 À l’exception notable de Tite-Live, qui n’a, semble-t-il, jamais exercé de fonctions politiques ou militaires.
190 Par exemple, il est fort probable que le récit des négociations entre Vitellius et Flavius Sabinus provienne du témoignage de Cluvius Rufus, qui y a participé en tant que témoin et, peut-être, intermédiaire. Mais il n’apparaît, chez Tacite, que comme personnage (Tac., Hist., 3.65.2) et n’est cité nulle part chez Suétone.
191 Il s’agit ici d’un mécanisme d’auctoritas très classique à Rome.
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