Point de vue de Cassius Dion sur l’impérialisme romain
p. 679-699
Texte intégral
1Dans la production bibliographique consacrée à Cassius Dion, on relève une écrasante domination des travaux consacrés aux idées politiques de Dion et à son point de vue concernant les régimes et changements politiques qui caractérisent l’histoire romaine. Il est aujourd’hui démontré et reconnu que l’historien sévérien portait une attention particulière aux institutions romaines, dont les évolutions constituent le cœur de son projet historiographique. En revanche, sa perception du processus que l’on a coutume de qualifier d’“impérialisme” romain, c’est-à-dire ce processus d’extension de la domination romaine en dehors de l’Italie qui, d’après la tradition antique, débute aux guerres puniques1, a encore été relativement peu abordée. La question est généralement traitée sous l’angle du pouvoir du Prince et des modalités du gouvernement impérial2, beaucoup moins sous celui de l’idée que l’historien pouvait se faire du processus d’extension territoriale sous la République. La question mérite toutefois d’être soulevée : outre qu’il s’agit d’un phénomène majeur de l’histoire romaine occupant une place centrale dans l’historiographie de Rome, Dion avait lui-même exercé plusieurs charges provinciales et il pouvait à ce titre non seulement être familier des modalités de gestion des territoires, mais aussi développer ses propres analyses concernant l’administration de l’empire et les stratégies d’extension territoriale. Il s’inscrit par ailleurs dans une tradition historiographique d’histoire globale qui a donné lieu, depuis Polybe, à des analyses bien connues des causes et motifs de l’expansion de Rome, et l’on ne peut concevoir qu’il n’ait pas été familier des réflexions antérieures. Le iie s. avait également vu s’intensifier, dans les cercles intellectuels, la réflexion sur les bénéfices ou les inconvénients de la domination romaine3, tandis qu’à l’époque sévérienne, le savoir géographique, recouvrant l’ensemble des connaissances du monde habité, de ses limites, de sa représentation, des peuples qui l’occupent, avait pris une place croissante dans la formation des élites destinées à gouverner l’empire4. Enfin, le règne des Sévères avait renoué avec une politique militaire plus offensive et marquée notamment par le retour des guerres parthiques, tandis que, en 212, la concession de la citoyenneté romaine aux habitants libres de l’empire consacrait l’intégration des populations soumises. Au moment où Dion entreprit d’écrire l’histoire de Rome, le contexte, du triple point de vue historiographique, culturel et historique, était donc favorable à une réflexion sur l’impérialisme et, plus largement, sur la forme impériale, autrement dit l’“impérialité”5. On ne peut se résoudre à penser que l’historien Dion n’y ait prêté aucune attention.
2Ce sujet de l’imperium Romanum dans l’Histoire romaine, s’il a été relativement négligé dans la bibliographie, n’est bien sûr pas entièrement vierge. Si la question n’a jusqu’ici pas fait l’objet d’une synthèse, plusieurs chapitres de récentes monographies lui ont déjà été dédiés et ont défriché les problématiques afférentes : périodisation de l’histoire romaine, nature de l’impérialisme romain, rôle et motivations des acteurs, relations diplomatiques avec les peuples extérieurs, attitude des peuples soumis. D. Fechner, dans sa monographie consacrée à la République romaine dans l’œuvre de Dion (1986), a été le premier à poser la question des interactions entre politique intérieure et politique extérieure pour Dion, dans le cadre d’une réflexion sur la validité du concept de décadence chez l’historien. L’auteur montre que comme Salluste, Dion était familier du schéma de la décadence et liait la ruine de la République à la disparition du metus hostilis après 146 a.C. Il examine ensuite les différents conflits extérieurs menés sous la République pour cerner la nature de l’impérialisme romain pour Dion, et montre que l’historien n’admet pas l’existence de guerres défensives justifiées par une importante menace extérieure. L’étude est précise et les problématiques bien posées, mais la recherche mérite d’être affinée et, surtout, complétée dans le cadre d’une synthèse englobant le Principat. Il faut signaler également l’important chapitre qu’a consacré à cette question le savant allemand M. Hose, dans un ouvrage plus largement dédié à l’historiographie romaine des iie et iiie s. p.C. (1994) : l’auteur, dont le propos est de confronter les points de vue d’écrivains des époques antonine et sévérienne, Florus, Appien et Dion, s’intéresse à la “genèse” de l’imperium Romanum chez ces trois auteurs. Il en vient à distinguer un courant moraliste, attesté par Florus et Appien, et une conception pragmatique/réaliste, qui détermine la présentation des conflits extérieurs chez Dion. Son étude est rigoureuse et s’appuie à la fois sur les analyses insérées par les auteurs dans le récit et, avec plus de réserve, dans les discours, sur les causes et motifs invoqués, et sur le portrait des acteurs (Romains et ennemis de Rome). On souscrit en partie, au vu des arguments, à cette thèse d’une conception globalement pragmatique de l’impérialisme romain, même si chez Dion les considérations morales sont plus présentes qu’il ne le reconnaît ; il reste qu’il manque à cette analyse une prise en compte des évolutions historiques susceptibles de modifier l’angle d’analyse de l’historien. L’ouvrage plus récent de M. Lavan (2013) entend également considérer le point de vue de Dion sur l’imperium Romanum : il analyse la représentation que les élites romaines se faisaient de l’empire et des provinciaux et du substrat culturel de l’impérialisme romain, comme cela a été fait pour les impérialismes à l’époque moderne ; il s’intéresse à la période comprise entre le milieu du ier s. a.C. et le début du iiie p.C., soit jusqu’au moment où l’extension de la citoyenneté romaine efface la différence entre les Romains et leurs sujets ; son corpus d’études intègre principalement la littérature latine, mais prend également en considération Dion et la correspondance impériale. Dans le cadre de cette analyse essentiellement lexicale, l’auteur constate que Dion, comme Florus, utilise le champ lexical de l’asservissement plus fréquemment que les auteurs latins antérieurs, et en déduit qu’il représente l’expansion romaine comme une œuvre d’asservissement. L’analyse n’est pas dénuée d’intérêt, même si on peut émettre quelques réserves devant des conclusions tirées d’un lexique amplement métaphorique. Mais sur le sujet, c’est dans la récente édition des livres 36 et 37 de l’Histoire romaine dans la Collection des Universités de France aux Belles-Lettres que l’on trouve peut-être les pistes de réflexion parmi les plus suggestives, dans le chapitre introductif intitulé, de manière significative “Dion, historien des conquêtes romaines”6. Il faut rappeler que les livres 36 et 37 contiennent, outre des événements politiques majeurs comme la conjuration de Catilina en 63, des épisodes militaires décisifs prenant place entre 69 et 60 a.C. tels que les opérations militaires en Arménie et Mésopotamie contre Mithridate, en Crète (Metellus, 69-67), Cilicie (Pompée contre la piraterie, 67), Pont (Pompée contre Mithridate, 66-63), les premières charges de César en Espagne (61-60), épisodes qui occasionnent des modifications des usages ancestraux en matière de commandement militaire7. L’analyse du récit de ces opérations majeures permet aux éditeurs du volume, G. Lachenaud et M. Coudry, de démontrer que l’intérêt que Dion leur porte est lié non seulement à l’accroissement de la domination romaine qu’elles occasionnent, mais aussi, et surtout, à leurs conséquences en matière d’histoire politique8. Cette analyse suggestive mérite à notre sens d’être poursuivie à l’échelle de l’ensemble de l’œuvre. C’est dans cette perspective que nous tenterons dans cet exposé de mettre en lumière l’intérêt que porte Dion aux conquêtes qui ont consacré l’extension de la puissance romaine, de nous interroger sur la place qu’il leur accorde dans son récit, sur les motifs qu’il dégage, les conséquences qu’il souligne, pour essayer d’évaluer, voire de réévaluer, la place qu’occupe l’expansion de la domination romaine dans la réflexion de l’historien.
L’expansion de Rome dans l’économie du récit
3Si le projet historiographique de Dion commence à être de mieux en mieux cerné, dans sa dimension institutionnelle et politique notamment, il n’en va pas de même de sa réflexion sur l’extension territoriale de Rome, dont on ignore, faute de préface conservée, si l’historien lui accordait une place particulière. Faut-il pour autant en déduire un manque d’intérêt pour ce processus ? Sans doute faut-il reprendre les éléments à notre disposition pour trancher, c’est-à-dire les quelques indications données par Dion sur sa méthode, et la structure de son récit.
La place de l’expansion de Rome dans le projet de Dion
4Contrairement à la plupart des ouvrages historiques de l’Antiquité, on ne dispose pas de préface de l’Histoire romaine. Il est par conséquent difficile d’établir quels sont les objectifs de Dion et quelle est sa conception globale de l’histoire romaine. Certes nous pouvons lire au début de son œuvre (1 fr. 1.2-3) et à la fin (73[72].23.1-3) quelques phrases destinées à préciser les raisons qui l’ont poussé à écrire – un récit des guerres civiles ayant opposé Septime Sévère à Clodius Albinus et un opuscule relatif aux omina imperii de Septime Sévère –, et visant à exposer sa méthode – l’ampleur de ses lectures, ses choix stylistiques, sa recherche de la vérité –, mais elles ne nous disent rien de ses préoccupations majeures ni de sa “problématique”. La comparaison avec les préfaces d’historiens antérieurs montre pourtant que le propos liminaire intégrait très souvent une réflexion sur l’empire romain. On peut rappeler brièvement celles bien connues de Polybe, d’Appien, ou de Florus, peut-être les plus explicites de ce point de vue. Au livre 1 de ses Histoires, Polybe consacre ainsi trois chapitres à présenter son projet, et il précise qu’il entend faire connaître “comment et par quel mode de gouvernement presque tout le monde habité, conquis en moins de cinquante-trois ans, est passé sous une seule autorité (ἀρχή), celle de Rome”9; suit un parallèle avec les précédents empires, Perse, Lacédémonien, Macédonien (1.2.2-6), et l’affirmation du propos : “Mon livre permettra de comprendre pour quelle raison ils ont conquis la domination universelle et par la même occasion combien et à quel point est profitable à ceux qui aiment s’instruire la science de l’histoire politique”10 ; vient enfin l’annonce de la structure de l’ouvrage. Même si au livre 3, Polybe décide de prolonger son œuvre jusqu’en 146, année de la chute concomitante de Carthage et de Corinthe, pour permettre au lecteur de juger des effets de la domination romaine (3.3.9), son objet est donc particulièrement explicite11. Sous l’Empire, l’historien latin Florus propose quant à lui une lecture métaphorique de l’histoire romaine, inscrite dans un cycle naturel biologique dans lequel les périodes historiques, correspondant aux étapes majeures de l’extension de Rome, sont assimilées aux étapes de la vie humaine12 : au cœur de ce projet, les hauts faits du peuple romain, ses exploits militaires, constituent l’objet principal de l’écriture de l’histoire et sont articulés à une réflexion d’ordre cyclique, dans un contexte où la notion d’aeternitas de Rome s’est largement imposée. Appien enfin axe son προοίµιον sur l’empire de Rome : il débute par un état des lieux des territoires dominés par Rome, puis propose, comme Polybe, une comparaison avec les précédents empires, Grecs, Asiatique, Macédonien (8.29-10.42) ; enfin, le plan de l’œuvre est annoncé, faisant apparaître une structuration par conflits militaires et par aires géographiques13. En dépit des différences de point de vue de ces auteurs, et des écarts chronologiques et culturels qui les distinguent, tous trois expriment une constante et entendent faire connaître l’empire romain.
5Cette réflexion sur l’imperium Romanum, qui caractérise l’historiographie de Rome, préoccupe également les milieux littéraires et philosophiques grecs au iie s. : la question de la légitimité de la domination romaine et du pouvoir impérial est au cœur d’un grand nombre d’ouvrages, élogieux ou plus critiques14. On peut donc légitimement attendre de l’historien sévérien qu’il insère dans son récit une analyse de l’impérialisme romain.
6Ce n’est apparemment pas tout à fait le cas. La réflexion de Dion, quand il l’expose à l’échelle globale de l’histoire de Rome, semble davantage se concentrer sur les µεταβολαί, les changements de régime politique, que sur la question de l’imperium Romanum. Ce point de vue se manifeste tout particulièrement dans le passage qui, au début du livre 52, récapitule la succession des régimes à Rome, au moment décisif qui suit la bataille d’Actium et consacre la fin de la République : une périodisation en quatre temps, qui fait se succéder royauté, République, période de pouvoirs personnels (δυναστεῖαι) et à nouveau monarchie15. Pour autant, si l’objet de Dion est indubitablement institutionnel et politique16, quelques indices montrent qu’il prend également en compte, dans l’écriture de son histoire, l’extension de l’empire. Un premier indice peut être décelé dans les quelques lignes de la “préface” par lesquelles débute l’œuvre parvenue jusqu’à nous : l’historien explique, comme il est bien connu, qu’il a lu tout ce qui a été écrit sur un objet antérieurement évoqué dans un passage que nous n’avons pas conservé (1 fr. 1.2 : <ἀνέγνων µὲν> πάντα ὡς εἰπειν τὰ περὶ αὐτῶν τισι γεγραµµένα). Cela laisse entendre que l’exposé méthodologique initial était précédé d’une présentation du contenu de l’Histoire romaine qui devait inclure, on peut raisonnablement le penser, les événements extérieurs, si l’on s’en réfère au fragment 1.1, où Dion annonce son intention d’écrire tous les hauts faits des Romains en temps de paix et en temps de guerre (συγγράψαι πανθ’ ὅσα τοῖς ῾Ρωµαίοις καὶ εἰρηνοῦσι καὶ πολεµοῦσι ἀξίως µνήµης ἐπράχθη). Mais il est évident qu’on ne peut se contenter de cette conjecture, et l’on attirera l’attention sur un deuxième indice plus probant : dans un passage réflexif correspondant à la transition entre la République et le Principat mis en place par Auguste, Dion souligne les implications qu’a eues ce changement politique sur l’écriture de l’histoire et il indique que la recherche de la vérité est désormais devenue pratiquement impossible. Mais il précise aussi, ce qui a jusqu’ici été moins remarqué, qu’un autre facteur a modifié l’écriture de l’histoire : désormais, la taille de l’empire et la multiplicité des événements extérieurs empêchent l’ἀκρίβεια de la narration et contraignent l’historien à se contenter de rapporter les épisodes les plus significatifs17. S’il est fréquent que Dion justifie ses choix narratifs par sa volonté de ne signaler que les événements dignes de mémoire, c’est la seule fois que le motif est lié à l’extension du territoire romain. De ce passage il ressort que de son point de vue, l’écriture de l’histoire est conditionnée, à parts égales, par deux facteurs : la nature du régime politique et la taille de l’empire. L’extension de Rome, contrairement à ce que nous pouvions penser de prime abord, est au cœur des préoccupations de l’historien. Ce constat nous invite donc à tenter de reconnaître la part qu’il lui accorde dans son œuvre.
La constitution de l’empire dans l’Histoire romaine
7Il peut paraître vain de tenter de repérer, dans l’Histoire romaine de Dion, un moment qui pour l’historien daterait le début de la constitution d’un empire. Il a déjà été amplement démontré que ce processus fut long et évolutif, et que le terme même désignant l’empire romain à l’époque impériale, imperium, n’a eu que tardivement une dimension territoriale18. De plus, si l’on cherche à cerner la place et les rythmes de l’expansion territoriale de Rome dans le récit de Dion, au-delà de ses implications d’ordre historiographique, les difficultés émergent rapidement, puisque les livres dans lesquels se trouvent les événements correspondant au développement de l’impérialisme à l’époque républicaine sont transmis en majeure partie par la tradition indirecte. Toute tentative pour discerner d’éventuelles modifications dans le lexique, pour commenter les analyses de l’historien ou caractériser la place des événements dans l’économie de son récit, se trouve confrontée aux difficultés habituelles liées aux modalités de transmission de l’Histoire romaine : travail de l’abréviateur byzantin Zonaras, dont le récit s’appuie à la fois sur Dion et sur Plutarque, modalités de sélection des excerpteurs constantiniens, lacunes. On peut toutefois signaler le passage du terme de χώρα, générique pour désigner l’ager Romanus aux débuts de l’Histoire romaine19, au terme d’ἀρχή, terme polysémique désignant le pouvoir des magistrats et par extension, la sphère où il s’exerce, appliqué aux empires, grecs et orientaux chez Hérodote et Thucydide20, romain chez Polybe (1.1.5) ; cet équivalent grec le plus proche d’imperium21 est habituel dans l’Histoire romaine pour désigner l’empire de Rome à la fin de la République22. On ne peut discerner toutefois le moment où apparaît, pour la première fois dans l’Histoire romaine, ce terme dans son sens d’“empire”, soit un espace géographique délimité où s’exerce la domination romaine, ce qui aurait pu contribuer à déterminer si Dion s’inscrivait dans la tradition reconnaissant les guerres puniques comme l’élément initiateur du processus. Tout au plus peut-on dire, compte tenu de la fréquence des occurrences du terme dans ce sens dans les quatrième et cinquième décades, que la constitution d’un empire est reconnue pour le ier s. a.C., ce qui correspond par ailleurs à l’évolution des mentalités romaines attestée dans les discours cicéroniens ou dans l’usage de termes comme orbis terrarum dans les inscriptions23. On peut toutefois souligner dans le lexique de Dion une évolution qui, à notre sens, n’est pas anodine : l’expression ἡ ἀρχὴ ἡ τῶν ῾Ρωµαίων / ἡ τῶν ῾Ρωµαίων ἀρχή, que l’on peut rapprocher de l’expression officielle imperium Romanum / imperium populi Romani, apparaît pour la première fois au moment de la soumission de l’Égypte en 30 a.C., et devient régulière dans les livres impériaux24. Cet usage semble indiquer que du point de vue de l’historien, le processus d’extension de la domination romaine ayant conduit à la constitution d’un empire est achevé à la fin de la République. Il n’est pas étonnant, de ce point de vue, que Mécène évoque au livre 52 les “frontières de l’empire”, confirmant ainsi la représentation d’un espace territorial délimité à la fin de la République25.
8Pour évoquer la constitution d’un imperium Romanum dont on sait que la forme et les limites territoriales étaient mouvantes, le terme d’ἀρχή n’est toutefois pas le seul terme employé par Dion, et l’on se gardera de fonder notre étude sur une recherche lexicale simple. Pour désigner les territoires et les peuples entrant dans la sphère de la domination romaine, on trouve toute une série de termes, de syntagmes ou de périphrases exprimant la soumission à l’autorité de Rome. Le terme d’ἡγεµονία est à ce titre particulièrement intéressant : désignant l’exercice du commandement du magistrat à imperium, il correspond au latin prouincia, la mission du magistrat, mais s’il traduit bien le gouvernement d’une province, il ne prend pas la dimension territoriale de son équivalent latin26 ; pour cette dernière on trouve plus fréquemment les termes d’ἔθνος, ἔθνη27. D’autres termes indiquent également l’idée de soumission à Rome, comme τὸ ὑπήκοον (ou les variantes τὰ ὑπακούοντα, οἱ ὑπήκοοι)28, ou plus rare οἱ ῥωµαΐζοντες29 ; on trouve enfin la dimension universelle de l’οἰκουµένη soumise aux Romains, soit l’équivalent le plus proche du latin orbis terrarum, dont l’usage apparaît en lien avec les commandements extraordinaires attribués à Pompée et qui reproduit la propagande développée par l’imperator à son retour d’Orient30 ; le terme devient sous l’Empire un équivalent d’ἀρχή31. De ce relevé lexical, on retiendra surtout qu’il existe une très grande variété de termes polysémiques qui peuvent être synonymes, que cette variété de termes s’observe pour l’époque républicaine et qu’elle se maintient pour l’époque impériale32 et, enfin, que son apparition semble cohérente avec l’usage observé du terme ἀρχή pour rendre compte, à partir du ier s. a.C. au plus tard, de la constitution de l’empire romain.
Un récit structuré par les étapes de l’impérialisme romain ?
9Pour évaluer la représentation que Dion se faisait du processus d’extension de la domination romaine, on ne peut s’en tenir à une approche lexicale : la structure de l’œuvre peut être une autre entrée possible, peut-être même la plus pertinente, même si, faut-il le rappeler, l’analyse est là encore nécessairement partielle et biaisée par l’état de conservation de l’œuvre. L’entreprise n’est pourtant pas entièrement vouée à l’échec : les parties fragmentaires de l’œuvre semblent pouvoir être mises en parallèle avec le passage récapitulant les grandes conquêtes des Romains dans le discours adressé par César à ses officiers au moment du déclenchement de la guerre des Gaules en 58 a.C. (38.36-46). Il convient au préalable de préciser que si ce discours est historiquement attesté par le De bello Gallico (1.40), et qu’il fut effectivement prononcé par César avant de livrer bataille contre le chef suève Arioviste en 58, celui que réélabore Dion ne s’en tient pas au contenu du discours du De bello Gallico, qui se contentait de comparer les chances de succès des Romains et de leurs adversaires33. Au livre 38, Dion insère dans le discours une première partie récapitulant les modalités et les raisons de l’expansion de Rome depuis l’époque royale jusqu’à l’époque présente destinée à justifier, par des principes généraux, la nécessité de la guerre que César entend mener (38.37-40), et il n’aborde qu’en deuxième partie la situation présente et la justification de cette guerre (38.41-46). Même s’il s’agit ici de la voix de César et non de celle de Dion, ce discours amplement retravaillé par l’historien constitue un bon point de départ pour analyser le processus d’extension territoriale de Rome tel qu’il apparaît dans l’Histoire romaine.
10Dans la première partie du discours de César, consacrée à la manière dont Rome, “la plus petite de toutes les cités” (38.37.5) en vint à être “une cité aussi puissante” (38.37.3), à la tête d’un “empire désormais très puissant” (38.39.1) sur des territoires jusqu’alors méconnus (38.38.4), l’énumération des conquêtes est subdivisée en trois parties : les guerres en Italie (38.37.5) ; de la première guerre contre Carthage à la victoire sur la Macédoine en 168 (38.38.2) ; les conquêtes du ier s. (Sylla et surtout Pompée : 38.38.4). Cette structuration est globalement conforme aux représentations que les Romains se faisaient de l’expansion spatiale de Rome depuis la cité du Latium jusqu’aux limites du monde connu. Mais cette liste des conquêtes romaines, par sa précision géographique qui énumère les peuples et territoires soumis, tranche avec les catalogues d’exempla stéréotypés que l’on trouve habituellement dans les discours, comme celui pronconcé par Cicéron contre Antoine lors du siège de Modène en 4334 ou celui prononcé par Octavien avant Actium en 3135. Cette précision inhabituelle révèle ici un soin particulier apporté à ce rappel des conquêtes romaines et justifie qu’on s’y intéresse.
11De fait, ce découpage en trois grandes phases semble se retrouver dans la structuration des premières décades de l’Histoire romaine36. La première décade, qui inclut l’époque royale et les débuts de la République, s’achève avec la guerre contre Pyrrhus et mentionne, à partir du livre 4 qui correspond aux débuts de la République romaine — le livre 3 étant consacré à la transition entre royauté et république —, les conflits du ve s. contre les Sabins, les guerres récurrentes contre les peuples du Latium (5 fr. 23.1), contre les Etrusques et les Samnites, contre les Lucaniens (Zonar. 8.6.5), ainsi que l’invasion des Gaulois en 390/386 (7 fr. 25.1-2 ; 25.3-4 ; 25.5-6 ; 25.7) et la guerre contre Pyrrhus, le roi d’Epire venu prêter main-forte aux Tarentins dans les années 280/270, dont le récit s’insère aux livres 9 et 10. Ces événements de la première décade correspondent à la première phase de l’énumération détaillée de César qui mentionne les principaux adversaires de Rome en Italie et la double invasion, gauloise et épirote37. La deuxième décade débute quant à elle avec le déclenchement en 264 du conflit contre Carthage autour de la Sicile38 et s’achève avec le triomphe de Paul-Émile sur Persée, à la suite de la victoire de Pydna en 168. Cette deuxième décade correspond à l’extension majeure de Rome et inclut la deuxième guerre contre Carthage conduisant à la soumission de l’Ibérie (218-202) aux livres 13 à 17, la deuxième guerre de Macédoine et la défaite de Philippe à Cynoscéphales en 198 au livre 18, la guerre contre Antiochos au livre 19 et la troisième guerre de Macédoine contre Persée au livre 2039. Les événements rapportés dans la deuxième décade correspondent ainsi précisément aux conflits contre les ennemis énumérés par César dans ce qui constitue la deuxième partie de sa liste des conquêtes romaines40. Cette périodisation n’est pas neuve, puisqu’elle correspond aux limites admises des Histoires de Polybe, et on ne saurait être surpris que Dion en soit familier ; mais on peut souligner dès maintenant que cette périodisation liée aux événements extérieurs semble avoir une incidence sur la structuration en décades de l’Histoire romaine. Elle est du reste soulignée par une observation qui est loin d’être anodine. A la fin des conflits en Italie contre Pyrrhus et les cités grecques d’Italie du sud, Dion conclut que les succès ont renforcé la confiance des Romains mais qu’ils conservent modération et concorde (10 fr. 42) : la distinction que fait ici Dion entre les grandes phases militaires de la première et de la deuxième décade est du reste renforcée chez Zonaras qui précise qu’à partir de ces victoires, les Romains commencèrent leurs guerres maritimes (8.8.1)41.
12La troisième phase de conquêtes romaines dans l’énumération césarienne correspond enfin aux événements allant de la troisième guerre punique aux conquêtes pompéiennes, dont le récit est inclus dans deux décades, la troisième et la quatrième. En ce qui concerne la troisième décade, il est difficile de savoir avec précision quels événements extérieurs y étaient rapportés, puisqu’à l’inverse des deux précédentes, on ne dispose pas de Zonaras42 et que le texte repose exclusivement sur les Excerpta Constantiniens, dont les sections consacrées à la thématique militaire sont perdues43. Il est toutefois admis, même si la division en livres est très hypothétique et que le caractère très lacunaire des fragments conservés invite à la plus grande prudence44, que la troisième décade couvrait un espace d’environ 60 ans, depuis la troisième guerre contre Carthage, entre 149 et 146, jusqu’à la guerre sociale de 91-89 a.C., et devait inclure les guerres en Espagne, la guerre en Afrique et les conflits contre les Cimbres et les Ambrons45, qui sont curieusement passés sous silence par César dans cette énumération mais qu’il rappelle plus loin (38.40.7). Quant à la quatrième décade, conservée intégralement à partir du livre 36, elle débutait avec la première guerre contre le roi du Pont Mithridate, en 88, couvrait les guerres en Orient et les conquêtes pompéiennes, lesquelles sont énumérées dans la troisième partie de la liste césarienne46, et s’achevait à la fin de la guerre des Gaules (qui est rapportée de manière discontinue dans les livres 38, 39 et 40) et à la veille du conflit civil entre César et Pompée en 49 – soit une période d’une quarantaine d’années –, les guerres civiles étant le sujet principal de la cinquième décade47.
13De ces observations, on peut déduire un certain nombre d’éléments : l’énumération des conquêtes romaines par César à la veille de la guerre des Gaules se présente comme un récapitulatif placé avant ce que Dion considère sans doute comme une des dernières étapes de l’impérialisme romain républicain avant la soumission de l’Égypte, et met en évidence les grandes phases de l’extension de Rome et de la constitution d’un empire désormais au faîte de sa puissance. La division des conquêtes en trois grandes phases, globalement proche de la division traditionnelle dans l’historiographie antique48, se retrouve dans ce que l’on cerne de la division en décades de l’Histoire romaine, avec une dilatation de la dernière phase (149-50 a.C.) qui occupe deux décades49. On note de ce point de vue un contraste avec les principes structurant les décades suivantes, liées plus nettement aux changements politiques : la cinquième décade est consacrée aux guerres civiles, les suivantes correspondant aux différentes phases du régime impérial : la mise en place du Principat augustéen et sa succession occupent la sixième décade, la septième est consacrée à la stabilisation de la monarchie jusqu’à Marc Aurèle au milieu du iie s. p.C., et la huitième s’ouvre au moment où les Romains tombent d’un “règne d’or dans un règne de fer et de rouille”, c’est-à-dire à partir du règne de Commode et des guerres civiles de l’époque contemporaine de Dion. Les remarques que formule Dion à propos de l’arrêt volontaire des conquêtes sous Auguste50 ajoutent à ce contraste entre la période impérialiste républicaine et la période impériale, qui correspondrait, selon un lieu commun de l’historiographie impériale, à une phase de consolidation de la pax Romana plutôt qu’à la poursuite de l’extension51. A l’exception de Trajan, dont le règne est marqué par les conquêtes de la Dacie et les guerres parthiques, Dion semble davantage préoccupé par la conservation des territoires : on remarque qu’il souligne le fait qu’Hadrien ne déclenche pas de nouvelles guerres mais se soucie de veiller au bon état des provinces et de maintenir la discipline dans l’armée (69.5), et qu’il se déclare également hostile aux campagnes militaires de Septime Sévère, jugées trop coûteuses (75.3.3) et justifiées principalement par l’envie de pillage (76[75].11.1). Les événements militaires figurent toujours en bonne place dans le récit des événements impériaux, mais ils ne semblent plus structurer la périodisation du récit. Cette césure historiographique que l’on décèle ici rejoint l’avertissement donné par Dion au livre 53 sur la nouvelle manière d’écrire l’histoire induite par la taille de l’empire.
14La place accordée aux conquêtes dans l’Histoire romaine de Dion est donc moins négligée que cela pouvait paraître au regard de l’intérêt indiscutable de l’historien pour les bouleversements politiques : si le lexique ne permet pas d’identifier avec certitude l’événement déclencheur de l’impérialisme romain pour Dion, les grandes phases militaires ayant abouti à la constitution de l’empire romain jusqu’à César sont toutefois perceptibles dans la subdivision en décades ; elles rythment les principales articulations du récit et sont partie intégrante de l’économie de la narration des événements républicains.
La nature de l’impérialisme romain
15Si l’impérialisme, comme nous venons de le voir, occupe une part structurante dans le récit de Dion, on peut légitimement s’interroger sur la représentation que s’en faisait l’historien sévérien. Aucune réflexion sur l’impérialisme romain ne peut en effet s’abstenir d’une interrogation sur ses motifs, même si l’on sait d’avance que la réponse ne peut être que complexe52. Une des plus anciennes théories explicatives de l’impérialisme romain, et une des plus répandues, qui fut défendue par les Romains eux-mêmes et leurs admirateurs grecs, et relayée par T. Mommsen puis par T. Franck, fut celle de l’“impérialisme défensif”, justifié par la nécessité de défendre son territoire et ses alliés et de garantir la paix53. Mais ce motif de la guerre juste est, dès l’Antiquité, doublé de la théorie d’un “impérialisme offensif”, mené délibérément dans l’intention de dominer le monde. Si Polybe évoque les hésitations des Romains à intervenir dans les affaires de Sicile en 264 et fait état des motifs défensifs invoqués pour justifier leur intervention54, il reconnaît aussi aux Romains, dès la guerre contre Hannibal et jusqu’à la victoire de Pydna, un projet de conquête, une intention délibérée de dominer la terre habitée : “Aussi ai-je fixé à cette date le point de départ de mon ouvrage : c’est en effet après cette guerre que les Romains, vainqueurs des Carthaginois et persuadés d’avoir accompli la partie essentielle et majeure de leur entreprise de conquête universelle, se sont résolus pour la première fois à porter la main sur le reste du monde et à passer avec leurs armées en Grèce et dans les pays d’Asie”55. Dans cet impérialisme offensif, les motivations économiques apparaissent également comme un motif de premier plan : l’enrichissement par toutes les modalités possibles, butin, confiscations, taxes, mainmise sur les ressources, justifie aussi la guerre en Sicile (1.11.2)56. Il convient dès lors de tenter de percevoir quels sont les motifs invoqués par Dion pour justifier les opérations militaires entreprises par les Romains.
L’impérialisme défensif : un τόπος repris par Dion ?
16La théorie de l’impérialisme défensif est largement répandue dans l’historiographie antique, et on en trouve déjà une expression dans le célèbre dialogue des Athéniens et des Méliens reconstitué par Thucydide (5.85-111), dialogue qui offre une analyse critique de l’impérialisme athénien57. Compte tenu des réminiscences et des citations thucydidéennes dont l’Histoire romaine regorge, il n’est pas étonnant de retrouver cette théorie dans le point de vue exprimé par Dion sur l’impérialisme romain. On ne peut toutefois réduire ce point de vue à une simple imitation thucydidéenne, ou à la répétition d’un τόπος : les échos thucydidéens sont nombreux dans l’Histoire romaine, mais on a pu montrer qu’ils sont insérés à des moments particuliers du récit pour en souligner l’intensité et servir le propos de l’historien58. Par ailleurs, la cohérence entre les points de vue exprimés dans les parties discursives et ceux exprimés dans les parties narratives témoigne d’une unité de la pensée de l’auteur qui ne se contente pas de répéter ce lieu commun.
17Depuis la royauté d’Ancus Marcius (2 fr. 8) jusqu’au discours prononcé par César à Vesontio à la veille de l’affrontement avec le chef suève Arioviste (38.38.1), l’idée d’opérations militaires à but “défensif”, destinées à protéger les Romains et leurs alliés, à garantir la paix et conserver intacts le territoire et la puissance de Rome, traverse le récit des guerres romaines. On en trouve l’expression dans des analyses de l’auteur lui-même, formulées lors du déclenchement des conflits, notamment les conflits contre Carthage, mais aussi dans des discours reconstitués, notamment avant la guerre contre Hannibal et avant le déclenchement de la guerre en Gaule. La défense des alliés, soit lors de difficultés intérieures ou d’attaques ennemies, est un lieu commun de l’intervention romaine et un motif légitime de faire la guerre, que l’on retrouve dans le récit de Dion, lors de l’expédition contre Volsinies en 265 par exemple (Zonar. 8.7.4) ; ce motif est bien connu des adversaires de Rome puisque Hannibal attaque les Sagontins parce qu’il sait qu’ils sont soumis à Rome et que Rome va les défendre (Zonar. 8.21.4). La défense du territoire romain, en l’occurrence Rome et l’Italie, constitue également un motif de guerre : c’est le cas de la guerre contre Philippe de Macédoine, motivée à la fois par l’agression de Philippe contre les cités grecques (le prétexte) et par la volonté de l’empêcher d’asservir la Grèce et de là, d’envahir l’Italie comme l’avait fait Pyrrhus (la vraie raison : Zonar. 9.15.2)59.
18Mais c’est le déclenchement des conflits contre Carthage qui donne l’occasion à Dion de confronter les points de vue sur l’impérialisme romain et de réfléchir, plus généralement, aux buts de guerre et aux raisons des succès. On remarque que dans la deuxième décade, qui débute par le premier conflit contre Carthage, se multiplient les remarques sur les motivations des belligérants et les justifications de la guerre ainsi que ses conséquences. Le déclenchement du premier conflit met en évidence l’audace des Carthaginois et donne lieu à un éloge de la modération dont on comprend qu’elle caractérise alors l’attitude des Romains (11 fr. 43.14-15). Lors du déclenchement du deuxième conflit, l’historien analyse longuement la puissance des Romains, l’équilibre auquel ils sont parvenus et l’ὁµόνοια qui règne encore à Rome (13 fr. 52.1). Il insère ensuite, après un long portrait d’Hannibal (13 fr. 54), un débat entre un partisan du vote de la guerre contre Hannibal, L. Cornelius Lentulus, et un opposant, Q. Fabius Maximus, favorable à l’envoi d’ambassades (13 fr. 55.1 ; 55.2 ; 55.3a ; 55.3b-5 ; 55.6 ; 57.12 ; 55.7 ; 55.8 ; Zonar. 8.22.1-3). Ce débat est précédé d’une sentence, appartenant peut-être à un sénateur opposé à la guerre, confrontant les avantages de la paix, qui procure et préserve la richesse, et les méfaits de la guerre, qui la détruit. On sait que la décision de déclarer la guerre aux Carthaginois fit l’objet d’importantes délibérations au sénat, mais il est intéressant de noter que Dion place ces débats lors du deuxième conflit, alors que Polybe évoque de longues délibérations à l’occasion du premier60. Comme à plusieurs reprises, Dion a choisi de placer ce débat, connu des sources antérieures et faisant figure d’exercice rhétorique, dans un autre contexte, sans doute pour se démarquer de ses prédécesseurs, mais probablement aussi parce que le deuxième conflit représente un moment décisif de son point de vue dans les intentions conquérantes des Romains61. Le désir de guerre l’emporte désormais sur la σωφροσύνη.
19Les raisons économiques, autre motif traditionnellement évoqué, figurent également en bonne place parmi les buts de guerre, et sans surprise il s’agit cette fois des buts de guerre officieux. C’est le cas notamment lors de l’attaque de la région de Calabre en 267, un des tout derniers épisodes de la guerre contre Pyrrhus et les Tarentins, après la chute de Tarente : le prétexte (προφάσει µέν) en est le soutien apporté par cette région à Pyrrhus et les torts infligés aux peuples alliés de Rome, mais la vraie raison (τῇ δ’ ἀληθείᾳ), plus offensive, est la volonté de s’emparer de Brindes pour bénéficier de son potentiel portuaire (Zonar. 8.7.3). C’est encore plus net lors du déclenchement du conflit contre Carthage, les causes invoquées par l’un et l’autre camp ne sont que des prétextes parce que ni l’un ni l’autre ne veulent sembler aspirer à plus de possessions (11 fr. 43.1 : σκήψεις ἐποιοῦντο) ; mais la vérité est toute autre (ἠ δὲ ἀλήθεια ἄλλως ἔχει) : les deux puissances, l’une bien installée, l’autre en voie d’agrandissement, éprouvent de la jalousie et ont conscience que la seule manière de conserver leurs acquis et d’en assurer l’intégrité est d’acquérir les biens des adversaires (11 fr. 43.2).
20L’historien combine donc les motifs traditionnels de l’impérialisme romain quand il en analyse les ressorts. Mais il souligne aussi un changement majeur dans les ambitions des Romains après la guerre contre Pyrrhus : jusque-là, les succès romains n’ont pas modifié leur comportement, les Romains disposent d’une confiance accrue mais conservent la modération et la concorde (10 fr. 42). Ce n’est plus le cas à partir du déclenchement du deuxième conflit contre les Carthaginois, qui marque le début d’opérations dont la légalité n’est plus qu’un prétexte donné aux ambitions immodérées de conquêtes et qui entraîne manifestement la rupture de l’ὁµόνοια à Rome.
21Les conquêtes opérées par les Romains à l’époque républicaine entrent donc pour l’essentiel dans le cadre normal et attendu des guerres justes, liées à un motif légitime de défense du peuple romain, de son territoire et de ses alliés, même si l’historien est bien conscient des enjeux économiques de certaines opérations militaires. C’est ce motif que l’on retrouve dans le discours de César qui fait figure de bilan de la phase d’expansion territoriale romaine sous la République, et qui justifie les opérations en Gaule envisagées par César en 58. Mais dès les guerres contre Carthage, ce motif est érigé au rang de prétexte officiel, masquant de plus en plus difficilement les ambitions romaines et, plus tard, celles des imperatores.
L’impérialisme et l’ambition personnelle des imperatores
22On notera en effet que César, dans son discours, cherche à légitimer des opérations militaires qui sont clairement, pour Dion, liées à son ambition personnelle. De fait, la thèse d’un impérialisme défensif a disparu des raisons invoquées par Dion pour les conquêtes césariennes. Le contraste entre les arguments du discours de César et les motivations prêtées par Dion à César dans les passages qui précèdent est manifeste : c’est l’ambition personnelle et le rêve d’égaler la gloire de Pompée qui sont à l’origine des opérations militaires menées par César lors de sa préture en Espagne (37.52.1 : δόξης ἐπιθυµῶν) ; de même, la guerre en Gaule est liée au désir de faire la guerre continuellement (38.31.1)62 et c’est la raison pour laquelle César refuse d’accéder à la demande d’Arioviste (38.34.6)63 ; la guerre rapporte puissance et gloire et c’est ce qui motive César (38.34.3) ; les soldats se sentent engagés dans une guerre qui n’est due qu’à l’ambition de César (38.35.2 : διὰ τὴν ἰδίαν τοῦ Καίσαρος φιλοτιµίαν)64. Il apparaît évident que le point de vue de Dion sur la guerre des Gaules est celui d’une guerre illégitime, qui sert la construction du pouvoir de César65. Ce dernier illustre et amplifie une dérive qui caractérise le récit des conquêtes au ier s. a.C. : depuis les opérations menées par Sylla contre Mithridate, on assiste à une personnalisation progressive des buts de guerre. Dans la République du ier s., la guerre est devenue un moyen de gagner en gloire et en puissance. C’est le cas pour Sylla, qui tente d’obtenir le commandement de la guerre contre Mithridate en 88 (fr. 102.2)66, pour Metellus, futur Creticus (36.18.1)67 ; c’est encore le cas pour Crassus, en 54 : le proconsul, investi du gouvernement de la Syrie suite aux accords avec César et Pompée, engage la guerre contre les Parthes dans son intérêt personnel68 : certes la cupidité de Crassus est un τόπος dans l’historiographie de la période (Vell. Pat. 2.46.2 ; App., BC, 2.18.65, avec les mêmes termes ; Plu., Crass., 16.1-3 ; Florus et Orose), et l’émulation un thème fréquent dans la biographie de Plutarque, mais on constate que l’ambition personnelle des imperatores devient un leit-motiv dans le récit.
23Il est intéressant de noter que cette dérive caractérise également les grandes campagnes militaires que Dion rapporte dans les livres impériaux, notamment celles de Trajan et celles de Septime Sévère. Après les succès contre les Daces, la guerre contre les Arméniens et les Parthes fut initiée par Trajan sous le prétexte que le roi d’Arménie tenait son trône des Parthes et non des Romains, mais en réalité parce qu’il souhaitait gagner en gloire (68.17.1 : τῇ δ’ ἀληθείᾳ δόξης ἐπιθυµίᾳ)69 ; de même après la prise de Ctésiphon, l’empereur conçut le désir de poursuivre jusqu’à la mer Erythrée (68.28.3) pour connaître une gloire similaire à celle d’Alexandre (68.29.1). C’est le même désir de gloire qui poussa Septime Sévère, après le siège de Byzance, à mener campagne contre les barbares (75.1.1 : ἐπιθυµίᾳ δόξης). Si l’on rapproche ces motivations personnelles du jugement négatif porté par Dion sur le coût excessif des guerres menées par Septime Sévère, on comprend mieux les réserves de l’historien à reconnaître l’importance des conquêtes républicaines, menées pour l’essentiel pour satisfaire les ambitions des imperatores et non plus pour garantir la paix et la sécurité des Romains.
24La théorie des guerres “défensives” court dans le récit et apparaît comme un motif justifiant les interventions romaines jusqu’aux guerres puniques, mais ce motif devient ensuite rapidement un prétexte, pour laisser entièrement la place aux ambitions personnelles des détenteurs de l’imperium. On ne saurait s’étonner de ce glissement entre des décisions collectives, correspondant, comme l’a bien montré A. Kemezis, à l’épanouissement de la δηµοκρατία, et la prédominance des ambitions individuelles caractérisant la période des δυναστεῖαι, mais il souligne un point de vue sur l’impérialisme particulièrement critique du point de vue des motivations : les conquêtes servent le désir de gloire des imperatores et nourrissent leur rivalité politique.
Impérialisme et bouleversements politiques
25Dans l’Histoire romaine, le point de vue sur l’impérialisme romain, caractérisé par des phases régulières d’extension de la domination romaine, est empreint de réserves : depuis les guerres contre Carthage, les motivations sont liées aux ambitions personnelles d’imperatores avides de gloire et d’honneurs, et soucieux de surpasser les exploits déjà accomplis. Rarement les conséquences en sont évaluées positivement70. Le cas de Pompée est révélateur à cet égard : Dion consacre à ses commandements extraordinaires et à ses campagnes militaires en 67 et 66 plus de la moitié du livre 36, à quoi il faut ajouter vingt-trois chapitres du livre 37 pour les campagnes de 65. Cette ampleur narrative indique l’importance que Dion accorde à ces succès dans le processus d’extension de la domination romaine en Orient, mais on ne lit nulle part dans ces passages un éloge pour l’accroissement du territoire romain dont il reconnaît pourtant la réalité71 ; tout au plus Dion rappelle-t-il en une phrase que Pompée a soumis des villes et des territoires, sans détailler72. En revanche, Dion consacre quatre chapitres (37.20-23) à son refus d’accepter des honneurs excessifs et souligne sa modération, répétant à deux reprises qu’il refusa de prendre un surnom tiré de ses victoires. Il oppose ainsi la modération de Pompée aux pratiques des précédents imperatores qui, depuis Scipion le vainqueur d’Hannibal, avaient obtenu l’honneur d’un surnom commémorant leur victoire73.
26Mais ce qui frappe surtout, c’est la contextualisation politique des campagnes militaires et de leurs conséquences : le récit de Dion entrelace, dans la veine annalistique, les événements de Rome et les événements extérieurs, mais il s’agit de bien plus que d’une convention historiographique. Si c’est l’ambition des imperatores qui occasionne les guerres tardo-républicaines, elle est également à l’origine des discordes internes. Un passage nous semble à cet égard très instructif : les troubles liés au tribunat de la plèbe de Ti. Sempronius Gracchus, qui ouvre manifestement la période des δυναστεῖαι74, sont très clairement attribués au désir de gloire de Tiberius. Celui-ci, inspiré par l’exemple de son grand-père Scipion l’Africain, s’étant vu refuser le triomphe et les honneurs qu’aurait dû lui valoir la signature du traité de Numance, se tourna, pour obtenir la gloire convoitée, vers le peuple (fr. 83.3). Plus significatif encore, dans la quatrième décade le récit des campagnes militaires permet de comprendre le déclenchement de la guerre civile entre Pompée et César qui ouvre la cinquième décade : l’importance du commandement exercé par César en Gaule l’empêche de revenir à une vie de simple particulier et explique son refus de licencier ses légions75, raison pour laquelle le sénat le déclare hostis76. Les conquêtes césariennes, dont le récit est échelonné sur trois livres, ne sont pas traitées par l’historien comme un épisode majeur de l’accroissement de l’empire, mais apparaissent au contraire comme un ressort et une illustration des dégradations de la vie politique et des institutions. Elles mettent en évidence à la fois les tensions qu’elles suscitent à Rome – jalousie, envie, et la nécessité de réformes liées à l’exercice des commandements provinciaux77. Dans cette analyse de Dion, dont on trouve trace pour la première fois à propos du commandement détenu par Scipion contre Hannibal78, on retrouve l’importance prise par la détention de l’imperium au ier s. a.C., devenu un des enjeux majeurs de la compétition aristocratique79. Mais entre les guerres puniques et le ier s., la situation a considérablement évolué : l’ambition de Scipion n’était attribuée qu’à sa jeunesse et à l’envie de se dépasser, tandis qu’au ier s. ce sont la jalousie et la rivalité entre imperatores qui sont la cause de nouvelles guerres extérieures80. Elles sont également cause de conflits intérieurs, déstabilisant la vie politique et ruinant la stabilité de l’État : au début du livre 44, l’analyse portée par Dion sur l’assassinat de César, ses causes et ses conséquences, est éclairante de ce point de vue. Ce sont la jalousie et la haine liées aux succès de César qui provoquent son assassinat, lequel a pour conséquence de mettre un terme à la stabilité du gouvernement et de plonger la ville dans le chaos de la guerre civile81.
27Pour Dion, les conséquences des conquêtes ne se traduisent pas par une extension louable de la domination romaine sur des territoires de plus en plus étendus. Au contraire, son point de vue est très critique sur l’ampleur excessive de l’empire romain. Loin d’en faire l’éloge, Dion insiste sur la grandeur excessive de l’empire romain, qui, à la fin de la République, contrarie l’équilibre politique assurant jusque-là la stabilité du régime : à deux reprises l’historien montre l’inadéquation des institutions républicaines à la taille désormais revêtue par l’empire et souligne l’impossibilité de conserver la modération et la concorde, deux qualités indispensables à leur fonctionnement82. Dans les deux passages, le contraste sert la mise en évidence du caractère inéluctable du Principat : dans le premier en effet, Dion ajoute que si Brutus et Cassius avaient eu conscience de cette contradiction, ils n’auraient pas accompli leur geste criminel contre César, dans le second, il souligne la vanité de la lutte menée par les césaricides à Philippes en 42. Ces analyses, dont il faut souligner qu’elles sont celles de l’historien83, font écho aux réflexions qui accompagnaient le déclenchement de la deuxième guerre contre Carthage, quand Dion signalait que jusque-là, les citoyens vivaient dans la concorde84.
28Pour Dion, les raisons des victoires romaines ne sont pas politiques, elles sont morales85 : ce sont la modération et la sagesse qui garantissent les victoires et conservent la sécurité des Romains et de leurs territoires ainsi que la concorde entre les citoyens86. En cela, Dion se distingue de l’analyse de Polybe, qui voyait dans la πολιτεία romaine la cause de l’hégémonie des Romains sur la terre habitée. On ne trouve nulle part dans l’Histoire romaine de lien explicite de cause à effet entre l’équilibre des institutions républicaines et la puissance de Rome, à l’exception, qui ne saurait surprendre, du discours d’Agrippa qui en défend les avantages ; mais cette défense des institutions républicaines que Dion prête à Agrippa intervient alors que l’historien a dans le récit qui précède donné de nombreux signes de leur incapacité à garantir la sécurité de Rome. Au contraire, la relation de causalité est inversée : les succès de Rome, et de ses imperatores, ont affecté le fonctionnement des institutions républicaines et démontré leur inefficacité. Dion se démarque ainsi de l’admiration de Polybe pour les raisons de la domination romaine87, tout autant qu’il s’écarte des panégyriques d’époque impériale reconnaissant la puissance romaine sur la terre habitée. Si son analyse contribue à mettre en évidence la nécessité pragmatique du Principat, Dion ne reconnaît pas pour autant à ce dernier la capacité intrinsèque à se prémunir contre les risques liés à l’extension de l’empire88. La taille acquise par l’empire romain, au terme des grandes phases d’expansion des iier et ier s. que Dion lie à l’ambition rivale des imperatores, fut un des facteurs de la ruine de la République, mais le risque ne disparaît pas sous l’Empire. C’est en ce sens que doivent se comprendre la recommandation d’Auguste à Tibère, dans son testament, de ne pas chercher à accroître l’empire89 et les vives critiques émises à l’encontre de la politique expansionniste de Trajan et de celle, encore plus offensive, des Sévères ; de même, on saisit le sens du jugement positif porté sur Hadrien et sur Marc Aurèle, le premier, estimé pour n’avoir pas déclenché de nouvelles guerres et avoir su achever celles en cours (69.5.1), le second, louable pour avoir su conserver l’intégrité de l’empire (72[71].36.3). Lorsque Dion écrit l’Histoire romaine, à l’écart de la vie politique active, les débats sur les risques, notamment financiers, des guerres extérieures, semblent avoir agité le milieu des élites dirigeantes dont l’historien avait longtemps fait partie. Le retour à une politique offensive sous les Sévères, loin de donner lieu à un éloge appuyé des succès du Prince, fournit à Dion les éléments d’une réflexion critique sur la politique extérieure de Rome, et, peut-être, motive son retour à l’engagement politique à un âge anormalement avancé pour un sénateur90. L’historien, dont la carrière présente un profil plus civil que celle de contemporains comme Marius Maximus91, porte un regard distancié sur ce qui constitue encore à son époque le fondement de la légitimité du Prince. L’extension de la domination et du territoire romains restent pour Dion, à rebours de l’idéologie impériale dominante, un élément de fragilisation du pouvoir impérial et, assurément, un des ressorts potentiels des µεταβολαί dont l’analyse est au cœur du projet de l’historien.
Notes de bas de page
1 Le terme d’“impérialisme”, longtemps connoté négativement dans l’historiographie moderne sous l’influence de la lecture simpliste de Polybe et de l’histoire des empires post-classiques, a aujourd’hui un sens plus factuel : parmi les multiples études sur le sujet, qui connaît dans les années 2000 un regain d’intérêt, on pourra relire avec profit l’introduction de Garnsey & Whittaker 1978, 1-6, qui prend acte du tournant historiographique.
2 C’est le cas notamment de De Blois 1998 et 1998-1999.
3 Voir Bowie 2009 ; Madsen 2014.
4 Voir Arnaud 2007 ; pour la familiarité de Dion avec les savoirs géographiques, voir Bertrand 2015b et, dans ce volume, la contribution “L’empire de Cassius Dion”.
5 Ce concept, apparu dans le cadre des réflexions d’ordre comparatiste sur les empires, a été appliqué récemment au contexte romain (v. Hurlet 2011, 117-118 n. 27) : il désigne la forme que prend le pouvoir dans les empires.
6 Lachenaud & Coudry 2014, l-lix.
7 C’est le cas notamment de l’imperium de Pompée conféré par la lex Gabinia en 67 ; sur ce thème, voir dans ce volume les contributions de F. Hurlet et d’E. Bertrand et M. Coudry.
8 C’est en ce sens également que vont les analyses de Kemezis 2014, qui renouvelle l’approche de la périodisation historique et historiographique de l’œuvre de Dion.
9 Plb. 1.1.5.
10 Plb. 1.2.7-8. Le texte est lacunaire et restitué (Pédech 1969), mais confirmé par la répétition de cet objectif au livre 39.8.7.
11 Sur l’apparente incohérence entre l’objectif énoncé au livre 1 et celui du livre 3, on consultera la mise au point de Ferrary 2003.
12 Flor., Praef.
13 App., Praef., 13.49-52.
14 Voir Bowie 2009.
15 52.1.1. Cette périodisation politique semble avoir été déjà exprimée dans la préface, selon la démonstration convaincante qu’en a faite Fromentin 2013. Sur ce point, voir également dans ce volume la contribution de C. Carsana.
16 Voir, dans ce volume, les contributions de M. Coudry, et plus spécialement “Institutions et procédures politiques de la République romaine”.
17 53.19.4 : καὶ µέντοι καὶ τὸ τῆς ἀρχῆς µέγεθος τό τε τῶν πραγµάτων πλῆθος δυσχερεστάτην <τὴν> ἀκρίβειαν αὐτῶν παρέχεται. Sur cette double périodisation, historique et historiographique, nous renvoyons à l’excellente analyse de Kemezis 2014, 94-98.
18 Voir spécialement Richardson 2008, 43-44, 53-54.
19 4 fr. 15a : ἀλλὰ τῆς τε χώρας τῆς ῾Ρωµαικῆς κατέδραµον (et Zonar. 7.13.9 : οἱ µέντοι Σαβῖνοι δι’ ὀργὴν ὧν ἔπαθον οὐδὲ τὸν χειµῶνα ἠρέµησαν, ἀλλὰ τὴν ῾Ρωµαΐδα χώραν κατέδραµον).
20 Freyburger-Galland 1997, 32.
21 Le Roux 2011, 180.
22 38.39.1, dans le discours de César, s’adressant à ses officiers avant le déclenchement de la guerre des Gaules : “Munis de tels exemples, ne jetez pas l’opprobre sur les exploits de vos pères et n’abandonnez pas un empire désormais très puissant (µήτε τὴν ἀρχὴν µεγίστην ἤδη οὖσαν προῆσθε)”; 41.56.1, selon les propos de Dion lui-même, avant la bataille de Pharsale : “C’était la ville de Rome et tout son empire, déjà vaste et puissant, qui en était le prix proposé” (ἥ τε γὰρ πόλις ἡ τῶν ῾Ρωµαίων καὶ ἡ ἀρχὴ αὐτῆς ἅπασα, καὶ πολλὴ καὶ µεγάλη ἤδη οὖσα, ἆθλόν σφισι προύκειτο); voir aussi 47.39.5. Dans la cinquième décade, le terme ἀρχή désigne l’ensemble des provinces administrées par Rome, que se partagent notamment les futurs triumvirs lors des accords de Bologne en 43 (46.55.4) ou Antoine et Octavien après Philippes en 42 (48.1.3) ; aussi 48.29.1, à Brindes.
23 Comme dans la lex Gabinia Calpurnia de Délos en 58 a.C., CIL I2, 2500, l. 19 ; voir Nicolet 1989, 890 ; Richardson 2008, spéc. 105-106.
24 51.17.8 ; 53.12.9 ; 65[66].4.3 ; 66.26.4 ; 67.2.3 ; 68.9.6 ; 73[72].10.1 ; 79[78].41.2 ; dans les livres impériaux, le terme d’ἀρχή est fréquent pour désigner, seul ou accompagné de τῶν Ῥωµαίων, l’empire romain dans sa dimension territoriale : voir 69.9.4, quand Hadrien se préoccupe de conserver une activité des soldats dans l’empire : πᾶν τὸ στρατιωτικὸν δι’ ὅλης τῆς ἀρχῆς ἤσκησε. Contrairement à ce qu’affirme Freyburger-Galland 1997, 33, on note donc bien une évolution sémantique du lexique désignant l’empire romain.
25 52.27.3 : οὔτε γὰρ ἐπὶ τῶν καιρῶν βοηθείαις τισὶν ἔτι χρῆσθαι δυνάµεθα, αὐτοί τε τοσοῦτον ἀπὸ τῶν τῆς ἀρχῆς ἐσχατιῶν ἀπηρτηµένοι καὶ πολεµίους ἑκασταχόθι προσοικοῦντας ἔχοντες (“En effet il ne nous est plus possible, du fait de la distance qui nous sépare des frontières de l’empire et de la présence d’ennemis tout autour de nous, de mobiliser des renforts quand le besoin s’en fait sentir”). On peut souligner qu’il s’agit de l’unique occurrence de cette expression dans l’Histoire romaine.
26 En 47.7.1, il s’oppose à ἀρχή ; en 40.56.1 (ἐς τὰς ἔξω ἡγεµονίας), 42.20.4 (τάς τε ἡγεµονίας τὰς ἐν τῷ ὑπηκόῳ), 46.48.3 (ἡγεµονίας ἐθνῶν), il désigne les commandements provinciaux. On ne manquera pas de rappeler que le verbe ἄρχειν désigne également très fréquemment le commandement d’une province.
27 41.24.2 ; 53.4.4 ; 53.5.4 ; 53.9.6 ; 53.12.1 ; 54.4.1 ; 54.30.3. L’équivalent grec le plus courant de prouincia, ἐπαρχία, ne se trouve qu’une fois dans l’Histoire romaine, mais dans un passage transmis par Xiphilin (69.9.1) : on ne peut donc avec certitude l’attribuer à Dion.
28 Seul ou associé aux peuples alliés, qui entrent dans la sphère d’influence des Romains, comme déjà chez Polybe (3.3.9) : 37.25.4 ; 38.10.1 ; 38.36.5 ; 41.10.4 ; 41.55.2 ; 42.3.4 ; 43.9.2 ; 45.9.2 ; 47.39.3 ; 48.49.1.
29 50.6.4 : οἵ τε ἐκ τοῦ πρὶν ῥωµαΐζοντες.
30 37.21.2 ; 39.9.3 : οὕτω καὶ τότε ἐπὶ τῷ <σίτῳ> πασῆς αὖθις τῆς οἰκουµένης τῆς ὑπὸ τοῖς ῾Ρωµαίοις τότε οὔσης ἄρξειν ἔµελλε (sur la diffusion de l’idée de domination romaine en lien avec la propagande pompéienne, voir Nicolet 1980, 79 ; Nicolet 1988a, 45-47, 52-55) ; on trouve le terme utilisé dans ce sens (qui n’est pas son sens exclusif) à propos de la statue érigée par César sur le Capitole : 43.14.6 ; 43.21.2 ; le terme est encore utilisé pour désigner la domination exercée par Rome à la veille des Ides de mars : 44.2.4 ; on le retrouve, dans une formulation quasiment identique à la précédente, mais cette fois dans la bouche d’Octavien harangant ses troupes avant Actium : 50.24.3.
31 Voir 52.8.4 : ἅτε τοσαύτης οἰκουµένης ἄρχοντα ; 63.22.3 : πᾶσαν τὴν τῶν ῾Ρωµαίων οἰκουµένην σεσύληκεν ; 73[72].24.2 : οὐκ ἐν τῇ πόλει τὸ δεινὸν στήσεται, ἀλλὰ καὶ ἐπὶ πᾶσαν τὴν οἰκουµένην αὐτῆς ἀφίξεται (et 79[78].26.1, pour la même expression, que l’on peut rapprocher de 41.56.1). On peut signaler l’ambiguïté de l’unicum κόσµος, en 53.26.2 (ἐπείπερ ἐς τὸν τῶν ῾Ρωµαίων κόσµον … ἐσεγεγράφατο), qui désigne l’ordre romain et, par extension sans doute, l’espace soumis à l’ordre romain, soit l’“empire”.
32 Voir en 106 p.C., un tremblement de terre affecte πᾶσα ἡ οἰκουµένη ἡ ὑπὸ τοῖς ῾Ρωµαίοις οὖσα (68.24.2). Vespasien augmente les taxes dans les territoires soumis : ἐν τῇ ἄλλῃ ὑπηκόῳ τῇ τε Ἰταλίᾳ (65[66].8.4) ; voir aussi 56.18.3 ; 60.9.5 ; 68.14.3 ; 69.5.2.
33 Voir à ce propos Gabba 1993, 167-168 ; Lachenaud & Coudry 2011, lxii.
34 45.32.2 : “Est-ce nous qui t’avons demandé de désigner quelqu’un comme tyran, nous qui avons refoulé Pyrrhus hors d’Italie, qui avons repoussé Antiochos au-delà du Taurus, qui avons mis un terme à la tyrannie que subissait la Macédoine ?”.
35 50.24.3 : “Que nous qui assurément sommes des Romains et commandons à la plus grande et à la meilleure terre habitée, nous soyons méprisés et foulés aux pieds par une femme égyptienne, est en effet indigne de nos pères qui ont abattu Pyrrhus, Philippe, Persée et Antiochos, qui ont dépeuplé Numance et Carthage, qui ont mis en pièces les Cimbres et les Ambrons”.
36 La structure de l’Histoire romaine en huit décades est probablement voulue par Dion ; elle est présente et indiquée par la Souda. On est moins assuré que la division en livre soit intentionnelle : voir, dans ce volume, V. Fromentin, “Cassius Dion et les historiens grecs”.
37 38.37.5 : “Grâce à de tels principes politiques, ces hommes, qui à l’origine étaient fort peu nombreux et habitaient la plus petite de toutes les cités, vinrent à bout des Latins, triomphèrent des Sabins, maîtrisèrent les Tyrrhéniens, les Volsques, les Opiques (= les Osques), les Lucaniens et les Samnites, soumirent en un mot toutes les régions de ce côté des Alpes et repoussèrent tous les peuples étrangers qui les envahissaient”. Dans cette énumération, seule la mention des Opiques est un ἅπαξ.
38 Le fr. 43.4, qui est placé en tête du livre 11 dans l’édition Boissevain, analyse les causes du déclenchement de la guerre entre Carthaginois et Romains et souligne : ὅτι τὸ ἀγώνισµα λόγῳ µὲν περὶ Μεσσήνης καὶ Σικελίας, ἔργῳ δὲ καὶ περὶ τῆς οἰκείας ἑκάτεροι ἐκεῖθεν ἤδη κινούµενον ᾐσθάνοντο.
39 Pour cette partie de l’œuvre, la division en livres autour de ces principaux conflits mise en évidence par Boissevain semble probable : voir dans ce volume la contribution de J. Rich ; cela n’a en tout état de cause qu’une incidence mineure sur notre propos qui s’intéresse à la structuration en décades.
40 38.38.2 : “A quoi bon énumérer point par point la Sardaigne, la Sicile, les Macédoniens, les Illyriens, la Grèce, l’Ionie d’Asie, les Bithyniens, les Ibères, les Africains ? En tout cas les Carthaginois leur auraient donné de fortes sommes d’argent pour éviter de les voir débarquer chez eux, de fortes sommes aussi Philippe et Persée pour les empêcher de faire campagne contre eux ; Antiochos aurait beaucoup donné, tout comme ses fils et ses descendants, pour qu’ils restent en Europe”.
41 On peut raisonnablement penser que la précision est issue du texte de Dion, puisque les phrases qui suivent concordent quasiment mot pour mot avec le fr. 43.1-3 évoquant les causes, réelles ou feintes, du conflit.
42 L’Epitomé de Zonaras s’interrompt entre la fin de la troisième guerre contre Carthage en 146 et les succès de Pompée en Orient, faute de pouvoir disposer du texte de l’Histoire romaine de Dion, déjà perdu à son époque : voir dans ce volume la contribution de M. Bellissime et B. Berbessou-Broustet. Pour une présentation critique de la troisème décade, voir la nouvelle édition qu’en a donnée Urso 2013a (spéc. p. 7-23).
43 Caire 2006, 95 ; Urso 2013a, 53.
44 Urso 2013a, 9-10 donne de l’état du texte un état des lieux précis et très prudent.
45 Ne restent de ces événements que quelques fragments d’inégale longueur : le portrait de Scipion Emilien, vainqueur de Carthage en 146 (fr. 70.4-9), les origines du conflit en Achaïe (fr. 72), sept fragments concernant la révolte de Viriathe en Espagne et la prise de Numance en 133 (fr. 73 ; 75 ; 76 ; 77 ; 78 ; 79 ; 82), la guerre contre les Salasses (fr. 74.1 ; 74.2), les négociations entre Metellus et Jugurtha (fr. 89.1) et cinq fragments concernant la guerre contre les Cimbres et les Ambrons (fr. 90 ; 91.1-3 ; 91.4 ; 94.1 ; 94.2).
46 38.38.4 : “À quoi bon citer encore en détail la Crète, le Pont, Chypre, l’Ibérie asiatique, l’Albanie de là-bas, les deux peuples syriens, les deux peuples arméniens, les Arabes et les Palestiniens ?”.
47 La cinquième décade s’ouvre au 1er janvier 49, avec la séance sénatoriale conduisant à la déclaration de César comme hostis, et s’achève avec la victoire d’Octavien à Actium en 31.
48 Il est à noter toutefois une divergence avec l’Histore romaine de Tite-Live, dont le découpage en décades ne correspond pas à cette périodisation tripartite (voir dans ce volume la contribution de G. Zecchini).
49 Il est significatif que dans la troisème décade, les événements extérieurs occupent un peu plus de la moitié des fragments conservés (16/29), ce qui confirme l’importance accordée aux conflits extérieurs depuis la reprise du conflit avec Carthage. L’ampleur croissante dédiée à ces événements n’est peut-être pas sans rapport avec le fait que les Histoires de Polybe n’allaient pas au-delà de l’année 146. Si l’on admet que Dion pouvait avoir dans l’idée de continuer, en l’amplifiant, le récit polybien, on peut peut-être également voir un indice de cette position dans l’élaboration d’une œuvre en 80 livres, contre 40 pour les Histoires de Polybe.
50 54.9.1 : οὐδ’ ἠξίωσεν οὔτε ἐκείνῳ τι προσθέσθαι οὔτε ἕτερόν τι προσκτήσασθαι, ἀλλ’ ἀκριβῶς ἀρκεῖσθαι τοῖς ὑπάρχουσιν ἐδικαίου, καὶ τοῦτο καὶ τῇ βουλῇ ἐπἐστειλεν ; 56.33.5 : γνώµην τε αὐτοῖς ἔδωκε τοῖς τε παροῦσιν ἀρκεσθῆναι καὶ µηδαµῶς ἐπὶ πλεῖον τὴν ἀρχὴν ἐπαυξῆσαι ἐθελῆσαι.
51 Sur ce lieu commun, voir Hurlet 2011, 110.
52 Comme le rappelait à juste titre Nicolet 1989, 887.
53 Le thème a été analysé de manière approfondie et nuancée par Harris 1979, 163-200 ; voir aussi le rappel de Hoyos 2013, 7.
54 1.10.9 : “Les Romains prévoyant cela et considérant qu’ils étaient dans la nécessité de ne pas abandonner Messine et de ne pas laisser les Carthaginois se faire en quelque sorte un pont pour passer en Italie (τὴν εἰς Ἰταλίαν αὑτοῖς διάβασιν), délibérèrent longuement”.
55 1.3.5-6 : διὸ καὶ τὴν ἀρχὴν τῆς αὑτῶν πραγµατείας ἀπὸ τούτων πεποιήµεθα τῶν καιρῶν· τῷ γὰρ προειρηµένῳ πολέµῳ κρατήσαντες ῾Ρωµαῖοι Καρχηδονίων, καὶ νοµίσαντες τὸ κυριώτατον καὶ µέγιστον µέρος αὑτοῖς ἠνύσθαι πρὸς τὴν τῶν ὅλων ἐπιβολήν, οὕτως καὶ τότε πρῶτον ἐθάρρησαν ἐπὶ τὰ λοιπὰ τὰς χεῖρας ἐκτείνειν καὶ περαιοῦσθαι µετὰ δυνάµεως εἴς τε τὴν Ἑλλάδα καὶ τοὺς κατὰ τὴν Ἀσίαν τόπους. L’usage du terme ἐπιβολή (τῶν ὅλων) et de ses dérivés est fréquent : voir par ex. 6.57.5. Baronowski 2011, 67-68, a bien mis en évidence ce point de vue de Polybe, qui concerne aussi l’extension de Rome en Italie entre l’invasion gauloise et la guerre contre Pyrrhus.
56 Le passage a été interprété en ce sens par Eckstein 1980, 175-190 (cité par Baronowski 2011, 68 n. 3).
57 Th. 5.97 : la soumission des Méliens est, pour les délégués athéniens, nécessaire à la sécurité de l’empire (τὸ ἀσφαλὲς ἡµῖν διὰ τὸ καταστραφῆναι ἂν παράσχοιτε).
58 Bertrand 2010. Gabba 1993, 170 a également souligné que le point de vue thucydidéen, au demeurant largement relayé dans l’historiographie et la littérature classiques, n’était que le point de départ de la réflexion de Dion concernant un impérialisme défensif, revisité au prisme des événements contemporains.
59 Contra Fechner 1986 (spéc. p. 235), qui nie la fréquence du motif en s’appuyant sur des exemples issus des événements du ier s. a.C., soit une période pour laquelle les ambitions personnelles des imperatores dominent en effet.
60 On ne trouve nulle trace non plus de ces débats dans le récit que fait Tite-Live du déclenchement du conflit contre Hannibal au livre 21.
61 Le même procédé s’observe à propos du débat autour du vote d’un commandement extraordinaire à Pompée en 67 : le débat est attesté par Cicéron, mais au moment du vote de la lex Manilia en 66, alors que Dion propose ce débat lors du vote de la lex Gabinia l’année précédente. Ce choix indique que Dion propose une analyse personnelle des moments charnières de l’Histoire romaine. Sur l’intention de Dion de se démarquer de ses prédécesseurs, voir aussi dans ce volume la contribution de S. Gotteland. L’attention pour le deuxième conflit est soulignée par cette comparaison entre les deux guerres conservée par Zonaras: la deuxième, moins longue que la précédente, fut néanmoins plus importante et plus difficile tant du point de vue des exploits que du point de vue des souffrances (Zonar. 8.21.1).
62 “Cependant, la paix n’y fut pas durable et un premier conflit qui s’était déclaré contre lui sans qu’il le voulût en entraîna un autre qui lui permit, comme il le désirait par-dessus tout, de faire continuellement la guerre et avec succès”.
63 “Si César agissait ainsi (réponse à Arioviste) ce n’était pas pour l’effrayer, mais parce qu’il espérait provoquer sa fureur et disposer ainsi d’un bon prétexte, d’un prétexte honorable pour faire la guerre” (πρόφασιν τοῦ πολέµου καὶ µεγάλην καὶ εὐπρεπῆ) ; même analyse en 39.48.3-4 : “Il envoya une délégation pour réclamer (les Usipètes et le Tenctères), non pas qu’il s’attendît à ce qu’ils fussent livrés …, mais afin d’avoir un prétexte pour passer le fleuve (le Rhin). Il désirait vivement accomplir ce qu’aucun de ses semblables n’avait réalisé auparavant”.
64 “Ils se disaient qu’ils s’engageaient dans un conflit qui ne les concernait pas, qui n’avait pas fait l’objet d’un décret et n’était dû qu’à l’ambition de César (φιλοτιµία)”.
65 Voir encore le point de vue sur la traversée en Bretagne (40.1.2) : “Il fit à nouveau la traversée vers la Bretagne (en 54), sous prétexte (πρόφασιν) qu’ils n’avaient pas rendu les otages … mais en réalité, il convoitait si fortement cette île qu’il eût en tout état de cause trouvé un autre prétexte (σκῆψιν) s’il n’avait pas eu celui-là”.
66 “Sylla, voyant que la guerre était inéluctable et aspirant à la gloire qui en résulte…” (ὁ γὰρ Συλλας τήν τε ἀνάγκην τοῦ πολέµου ὁρῶν καὶ τῆς δόξης αὐτοῦ γλιχόµενος…).
67 “Par passion pour le pouvoir, il attaqua les Crétois qui avaient conclu un accord avec Pompée” (δυναστείας τε ἐρῶν καὶ τοῖς Κρησὶ τοῖς ὁµολογήσασιν αὐτῷ προσέβαλε).
68 40.12.1 : “Crassus désirait lui aussi accomplir quelque chose qui le glorifierait et lui profiterait : voyant que cela était impossible en Syrie, … il fit campagne contre les Parthes, bien qu’il n’eût aucun grief contre eux et sans être autorisé par décret à faire cette guerre. On lui disait en effet qu’ils étaient très riches…”. V. aussi 40.27.3.
69 Dion précise d’ailleurs que ces opérations lui valurent, outre les honneurs habituels, le surnom d’Optimus : 68.23.1.
70 Il est impossible, dans le cadre nécessairement contraint de ce chapitre, de traiter aussi des conséquences sur les populations soumises : le thème sera traité ultérieurement.
71 41.13.4 : “Voilà pourquoi … au lieu de la gloire que lui avait valu d’avoir agrandi sa patrie, (Pompée) connut le déshonneur suprême pour l’avoir abandonnée” ; 41.56.1 : César et Pompée s’affrontent pour la ville de Rome et “son empire, déjà vaste et puissant”.
72 Voir les remarques formulées en ce sens par Lachenaud & Coudry 2014, lix.
73 Scipion Africanus : Zonar. 9.14.13 ; Scipion Asiaticus : Zonar. 9.20.13.
74 Le premier fragment dans lequel apparaît Tiberius Gracchus introduit le récit de son tribunat de la manière suivante : ὅτι ὁ Γράκχος ὁ Τιβέριος ἐτάραξε τὰ τῶν ῾Ρωµαίων (fr. 83.1), conformément à la tradition faisant du tribun l’un des initiateurs des troubles civils de la République finissante ; dans un second fragment, le conflit qui l’oppose à son collègue Marcus Octavius à propos du vote de la loi agraire en 133 appelle le commentaire suivant de Dion : πολλὰ µὲν καὶ βίαια, ὥσπερ ἐν δυναστείᾳ τινὶ ἀλλ’ οὐ δηµοκρατίᾳ, ἔπραξαν (fr.. 83.4) ; sur ces fragments, et la δυναστεία des tribuns, voir en dernier lieu Urso 2013a, 96-97.
75 40.44.1-2 : “La guerre avait cessé et il n’avait plus d’excuse honorable pour éviter de licencier ses légions et de revenir à la vie privée … Craignant de tomber au pouvoir de Pompée et de ses autres ennemis à lui s’il était privé de ses soldats, il ne les congédia pas” ; 40.60.1 : “César, qui ne pouvait donc supporter de redevenir un simple particulier après un commandement (ἡγεµονία) d’une telle importance et d’une telle durée et qui redoutait d’être à la merci de ses ennemis, prenait ses dispositions pour conserver sa fonction (ἀρχή) contre leur volonté”.
76 41.1.4 pour les propositions de César ; 41.3.2 pour la décision du Sénat. Sur la délicate question de la déclaration de César comme hostis, voir le bilan de Allély 2012, 83-84.
77 C’est ainsi qu’est expliquée la lex Iulia de 46 (43.22.3) : “Et comme c’était en gouvernant la Gaule pendant plusieurs d’années de suite qu’il avait conçu lui-même la passion du pouvoir et qu’il en était arrivé à posséder de telles forces, il limita par loi la charge des propréteurs à un an, et celle des proconsuls à deux années consécutives, et décréta que personne ne pouvait exercer une charge plus longtemps” (sur cette loi, et sur la portée politique des commandements extraordinaires, voir dans ce volume la contribution d’E. Bertrand et M. Coudry).
78 C.D. 13 fr. 57.54-55 ; Zonar. 9.11.3.
79 Dalla Rosa 2014, spéc. p. 65.
80 L’idée est soulignée par toute une série de réflexions sur l’impact des commandements militaires qui provoquent la “jalousie” (φθόνος), la “haine” (µῖσος) : voir dans ce volume la contribution d’E. Bertrand et M. Coudry ; sur l’importance accordée par Dion à la morale / absence de morale des imperatores à la fin de la République, voir aussi la judicieuse analyse de Burden-Strevens 2016. On notera que pour la période impériale également les succès militaires provoquent la jalousie et la haine, ce qui explique la confiscation des honneurs triomphaux par le pouvoir impérial : c’est le cas de Corbulon, rappelé à Rome par la jalousie (φθόνος) de Claude après ses victoires en Germanie (61[60].30.4-5) et d’Agricola, tombé en disgrâce aux yeux de Titus pour avoir accompli des exploits trop importants en Bretagne (66.20.3).
81 44.1.2 : τῆν πόλιν ὀρθῶς ἤδη πολτευοµένην ἐστασίασαν.
82 44.2.4 : πόλιν τε αὐτήν τε τηλικαύτην οὖσαν καὶ τοῦ τε καλλίστου τοῦ τε πλείστου τῆς ἐµφανοῦς οἰκουµένης ἄρχουσαν, καὶ πολλὰ µὲν ἀνθρώπων ἤθη καὶ διάφορα κεκτηµένην πολλοὺς δὲ καὶ µεγάλους πλούτους ἔχουσαν, ταῖς τε πράξεσι καὶ ταῖς τύχαις παντοδαπαῖς καὶ ἰδίᾳ καὶ δηµοσίᾳ χρωµένην, ἀδύνατον µὲν ἐν δηµοκρατίᾳ σωφρονῆσαι, ἀδυνατώτερον δὲ µὴ σωφρονοῦσαν ὁµονοῆσαι (“Or Rome elle-même, dans l’état où elle était, Rome, qui commandait à la partie la plus belle et la plus grande du monde connu, qui avait conquis des peuples de mœurs si diverses, qui renfermait des trésors si nombreux, qui se distinguait, État et particuliers, par des hauts faits et des exploits de toute espèce, ne pouvait garder la modération sous un gouvernement républicain ; elle pouvait bien moins encore, en s’écartant de la modération, conserver la concorde”) ; 47.39.5 : ὁµοφρονῆσαι µὲν γὰρ ἐν τῷ καθεστῶτι τρόπῳ τῆς πολιτείας οὐκέθ’ οἷοί τε ἦσαν· οὐ γὰρ ἔστιν ὅπως δηµοκρατία ἄκρατος, ἐς τοσοῦτον ἀρχῆς ὄγκον προχωρήσασα, σωφρονῆσαι δύναται (“Le régime politique qui était le leur ne leur permettait plus de vivre dans la concorde (il est absolument impossible qu’une démocratie pure, une fois parvenue à empire aussi démesuré, reste dans les limites de la modération)”).
83 On les retrouve dans le fameux discours de Mécène dénonçant les inconvénients du régime républicain (52.16.1-3) : τέως µὲν γὰρ οὔτε πολλοὶ ἦµεν οὔτε µεγάλῳ τινὶ τῶν πλησιοχώρων διεφέροµεν, καλῶς τε ἐπολιτευόµεθα καὶ πᾶσαν ὀλίγου τὴν Ἰταλίαν κατεστρεψάµεθα· ἀφ’ οὗ δὲ ἔξω αὐτῆς ἐξήχθηµεν, καὶ ἐπὶ πολλὰ καὶ τῶν ἠπείρων καὶ τῶν νήσων ἐπεραιώθηµεν, καὶ πᾶσαν µὲν τὴν θάλασσαν πᾶσαν δὲ τὴν γῆν καὶ τοῦ ὀνόµατος καὶ τῆς δυνάµεως ἡµῶν ἐνεπλήσαµεν, οὐδενὸς χρηστοῦ µετεσχήκαµεν, ἀλλὰ τὸ µὲν πρῶτον οἴκοι καὶ ἐντὸς τοῦ τείχους κατὰ συστάσεις ἐστασιάσαµεν, ἔπειτα δὲ καὶ ἐς τὰ στρατόπεδα τὸ νόσηµα τοῦτο προηγάγοµεν (“En effet, tant que nous n’étions pas nombreux et que nous ne l’emportions pas de beaucoup sur nos voisins, nous avons bien administré notre État et nous avons soumis presque toute l’Italie ; mais à partir du moment où nous sommes allés au-delà des frontières italiennes, où nous avons atteint bien des terres et des îles et où notre renommée et notre puissance ont empli l’espace de toutes les terres et de toutes les mers, rien de bon ne nous est arrivé. Bien au contraire nous avons d’abord connu la guerre civile, au gré des factions, chez nous, à l’intérieur même de nos murs, et nous avons porté ce fléau jusque dans les camps de nos légions)”.
84 13 fr. 52.1 : ὅτι οἱ Ῥωµαῖοι τὰ τοῦ πολέµου ἤκµαζον καὶ τῇ πρὸς ἀλλήλους ὁµονοίᾳ ἀκριβῶς ἐχρῶντο (“Les Romains jouissaient de la gloire des armes et vivaient dans une parfaite concorde”).
85 Même si l’on a réévalué l’importance des considérations morales dans l’analyse polybienne (voir Eckstein 1995, repris par Ferrary 2003, 21-25), l’écart entre les deux historiens reste sensible.
86 De ce point de vue, Dion s’inscrit pleinement dans une réflexion moraliste, contrairement aux conclusions auxquelles parvient Hose 1994, 381, comme le montrent les réflexions suivantes, qui précèdent le déclenchement de la deuxième guerre contre Carthage : 13 fr. 52 : ὅτι οἱ Ῥωµαῖοι τὰ τοῦ πολέµου ἤκµαζον καὶ τῇ πρὸς ἀλλήλους ὁµονοίᾳ ἀκριβῶς ἐχρῶντο, ὥσθ’ ἅπερ τοῖς πολλοῖς ἐκ µὲν ἀκράτου εὐπραγίας ἐς θάρσος, ἐκ δὲ ἰσχυροῦ δέους ἐς ἐπιείκειαν φέρει, ταῦτά τε αὐτοῖς τότε διαλλαγῆναι· ὅσῳ γὰρ ἐπὶ πλεῖον εὐτύχησαν, ἐπὶ µᾶλλον ἐσωφρόνησαν, τὸ µὲν θράσος, οὗ τὸ ἀνδρεῖον µετέχει, πρὸς τοὺς ἀντιπάλους ἐνδεικνύµενοι, τὸ δὲ ἐπιεικὲς οὗ κο<ι>ν<ωνεῖ ἡ> εὐψυχία, κατ’ ἀλλήλους παρεχόµενοι· τήν τε γὰρ ἰσχὺν πρὸς µετριότητος ἀκινδύνου ἐξουσίαν καὶ τὸ κόσµιον πρὸς ἀνδρείας ἀληθοῦς κτῆσιν ἐλάµβανον, µήτε τὴν εὐπραγίαν ἐς ὕβριν µήτε τὴν ἐπιείκειαν ἐς δειλίαν ἐξάγοντες. οὕτω µὲν γὰρ τό τε σωφρονοῦν ἐξ ἀνδρείας καὶ τὸ θαρσοῦν ἐκ θάρσους φθείρεσθαι, ἐκείνως δὲ τὸ µέτριον ὑπ’ ἀνδρείας ἀσφαλέστερον καὶ τὸ εὐτυχοῦν ὑπ’ εὐταξίας βεβαιότερον γίγνεσθαι ἐνόµιζον. καὶ διὰ τοῦτο καὶ τὰ µάλιστα τούς τε προσπεσόντας σφίσι πολέµους κράτιστα διήνεγκαν καὶ τὰ σφέτερα τά τε τῶν συµµάχων ἄριστα ἐπολίτευσαν. On rapprochera ces considérations de cette sentence énoncée à propos de l’attitude respective des Carthaginois et des Romains lors du déclenchement du premier conflit : 11 fr. 43.14 : τὸ µὲν σωφρονοῦν καὶ κτᾶται τὰς νίκας καὶ γενοµένας φυλάσσει.
87 La question du jugement porté par Polybe sur la domination romaine reste bien sûr “l’un des thèmes les plus controversés des études polybiennes” (Ferrary 2003, 15), et son point de vue est loin d’être purement admiratif.
88 Il se démarque ici des propos sur la nécessité pour un vaste empire d’être dirigé par un seul homme, que Tacite prête à Galba sur le point de désigner un successeur : si immensum imperii corpus stare ac librari sine rectore posset, dignus eram a quo res publica inciperet (Hist., 1.16.1).
89 56.33.5 : µηδαµῶς ἐπὶ πλεῖον τὴν ἀρχὴν ἐπαυξῆσαι ἐθελῆσαι. Voir aussi 54.9.1.
90 Comme l’a aussi très justement fait remarquer M. Christol dans ce volume.
91 Sur l’originalité de la carrière de Dion, voir dans ce volume M. Molin (“Biographie de l’historien Cassius Dion”) et M. Christol.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Architecture romaine d’Asie Mineure
Les monuments de Xanthos et leur ornementation
Laurence Cavalier
2005
D’Homère à Plutarque. Itinéraires historiques
Recueil d'articles de Claude Mossé
Claude Mossé Patrice Brun (éd.)
2007
Pagus, castellum et civitas
Études d’épigraphie et d’histoire sur le village et la cité en Afrique romaine
Samir Aounallah
2010
Orner la cité
Enjeux culturels et politiques du paysage urbain dans l’Asie gréco-romaine
Anne-Valérie Pont
2010