Temporalité historique et formes du récit. Les modalités de l'écriture dans les livres tardo-républicains
p. 303-316
Texte intégral
1Le principe annalistique est largement observable dans toutes les parties de l’Histoire romaine, et en particulier dans ce qu’il est convenu d’appeler les livres tardo-républicains (36-51)1 : l’annonce de l’année avec la mention des consuls éponymes et la division au sein d’une même année entre les événements intérieurs et les guerres extérieures (domi/militiae) constituent des repères récurrents, qui scandent le récit. Ce rythme annuel, soulignons-le, est indépendant de la division en livres : non seulement le nombre d’années couvert par un livre varie sensiblement2 mais le passage d’un livre à l’autre est loin de coïncider toujours avec un changement d’année3. Or, si ces variations tendent à prouver que l’unité-livre n’a chez Dion qu’une fonction structurelle limitée, voire pas de fonction structurelle du tout4, cela ne signifie pas pour autant que le cadre annalistique soit – ou soit à lui seul – porteur de structure et de sens. En réalité, bien que Dion ait utilisé une documentation qui répondait à ce mode d’organisation5, il ne cesse, tout au long de son œuvre, de multiplier les infractions à cet usage. La plus évidente d’entre elles, le recours au mode biographique, caractéristique des livres “impériaux” mais introduit dès le début du livre 456, a été largement étudiée7. Aussi voudrions-nous analyser ici d’autres formes de transgression, propres à ces livres républicains, en explorant la tension entre les contraintes engendrées par le modèle annalistique, en premier lieu le respect de la chronologie des événements, et la construction de la narration selon une autre logique, qui induit un travail de composition beaucoup plus poussé et écarte le récit du rythme annuel. On fera d’abord l’inventaire de ces entorses à l’ordre chronologique qui résultent de choix narratifs, puis on considérera la récurrence de certains thèmes de réflexion comme marques d’une autre temporalité déployée à l’échelle de l’œuvre entière.
Entorses à l’ordre chronologique
Analepses
2Le procédé le plus fréquent de distorsion du temps, dans l’Histoire romaine, est l’analepse. Ces retours en arrière prennent des formes variées, la plus simple étant le déplacement d’un fait hors de son contexte chronologique. Il se trouve alors en décalage temporel par rapport à ceux qui constituent son environnement narratif. Le cas le plus net, dans ces livres, est la mention, parmi les événements de l’année 56, de l’augurat du fils de Lentulus Spinther (39.17.1), explicitement rapporté à l’année 57. La manière dont Dion introduit l’information (“Au cours de l’année précédente s’était produit un événement d’ordre privé qui n’est pas sans rapport avec notre histoire”) – veut convaincre que le déplacement est intentionnel et ne résulte pas d’un oubli. Le lecteur est invité à rechercher la signification du fait dans le contexte narratif où il a été placé, et ce sens est manifestement le dérèglement de la vie politique provoqué par les menées de Milon et Clodius en 56 : l’interprétation historique prime sur le respect de la chronologie8.
3Un autre exemple est plus révélateur car il conduit Dion à commettre un anachronisme. C’est le passage où il présente le succès remporté par César en 63 dans son élection comme grand pontife (37.37.2) comme le résultat de la popularité qu’il avait acquise en s’opposant à l’exécution des Catiliniens, décidée par le Sénat au cours de la séance mouvementée qu’il a décrite au chapitre précédent (37.36). Or cette séance a eu lieu au début de décembre, et l’élection est antérieure, comme l’atteste le reste de la tradition9. Que l’erreur soit volontaire ou non importe peu : le choix narratif de Dion, qui produit cette inversion de l’ordre chronologique réel, correspond à son intention de mettre en valeur la quête de popularité de César, dont il fait un trait essentiel de sa personnalité et une clé de l’affrontement ultérieur avec Pompée.
4Mais c’est le livre 47 qui offre l’exemple le plus remarquable de récit rétroactif enchâssé dans un récit chronologique. Dion présente la matière de ce livre selon la division annalistique traditionnelle entre les affaires romaines (47.1-19) et les affaires extérieures (47.20-49)10, mais en réalité la structure de son récit est tripartite. La première section (47.1‑19) est consacrée à la mise en place du second Triumvirat et aux premières mesures prise par les triumvirs11 jusqu’en avril 42, moment où ils quittent Rome pour mener la guerre contre les Républicains. La deuxième section (47.20-31), au lieu de suivre les triumvirs en campagne, revient en arrière et change d’objet : elle récapitule les opérations conduites par Brutus et Cassius en Orient, depuis leur départ de Rome après le meurtre de César, en avril 44, jusqu’en novembre 43. Ce faisant, elle reprend le cours d’un récit interrompu à la fin du livre 44, les Républicains ayant totalement disparu des livres 45-4612. La troisième partie (47.32-49) revient au récit principal en relatant l’affrontement armé entre les troupes triumvirales et républicaines à Philippes, en Macédoine, en octobre 42. L’insertion de cet excursus rétrospectif suit donc une double logique : diégétique, puisqu’il s’agit de combler un vide narratif entre la fin du livre 44 et le livre 47 et d’assurer une suture entre les événements qui conduisent à l’affrontement final ; interprétative, puisqu’en intercalant les campagnes orientales des Républicains immédiatement après la démonstration de la cruauté et du cynisme des triumvirs à Rome (47.1-19), Dion provoque évidemment un contraste et invite à la comparaison entre les premiers, qui incarnent la clémence13 et le respect des adversaires14, de l’autorité sénatoriale15 et des concitoyens16, et les seconds, dont le comportement est l’exacte antithèse. La construction du récit, et les entorses à la chronologie linéaire qu’elle induit, servent le processus d’idéalisation des derniers Républicains.
5En revanche, Dion recourt assez peu aux prolepses, et celles-ci n’apparaissent que sous la forme d’évocations d’événements ultérieurs, et non de récits à proprement parler. Il utilise en général ce procédé pour conférer à sa narration une profondeur dramatique accrue. Un exemple : décrivant la scène où Vercingétorix vient se livrer à César, qui marque la fin de la révolte gauloise de 52, il oppose le sentiment de pitié qui saisit l’assistance à l’inflexibilité du vainqueur, et termine ainsi : “Il le fit aussitôt enchaîner et, plus tard, après l’avoir fait figurer dans le cortège triomphal, il le fit mettre à mort. Mais cela n’eut lieu que plus tard” (40.41.3‑42.1) – l’information est reprise au moment où est décrit le triomphe de César six ans après (43.19.4). Parfois le but recherché est différent, et l’annonce est un signal adressé au lecteur pour l’aider à appréhender les évolutions décisives par-delà les péripéties immédiates17. Cette intention est sans doute à l’origine de la prolepse la plus nette que présentent ces livres républicains, celle qu’on trouve en anticipation du récit de la conjuration de Catilina18. Terminant le récit du procès intenté à Catilina en 64, Dion écrit : “Cela le rendit encore pire, et c’est précisément ce qui causa sa perte” (37.10.3), et il ajoute que l’année suivante, quand disparut la menace de Mithridate, “Catilina entreprit une révolution politique, et, coalisant les alliés contre le régime, fit redouter une grave guerre civile” (37.10.3‑4). Le récit de la conjuration est rejeté après celui de la fin de la guerre de Mithridate, mais son annonce à ce point précis de la narration suggère que les guerres civiles prennent le relais des guerres extérieures, idée que Dion reprend plus loin en décrivant la cérémonie de l’augurium Salutis (37.24.2-25.1) : les troubles civils qui perturbent l’accomplissement de ce rite sont le signe de la gravité de la situation de Rome en cette année 63.
Variations du tempo narratif
6Une autre manière de contrevenir à l’ordre chronologique consiste à procéder à des dilatations ou des contractions du récit, en lui imposant un rythme qui s’écarte de celui de l’écoulement objectif du temps.
7Le livre 36 présente un cas remarquable de dilatation du récit, celui de l’ensemble consacré au vote de la loi Gabinia de 67 qui dotait Pompée d’un commandement extraordinaire pour combattre les pirates. Dix-huit chapitres lui sont consacrés, qui occupent la partie centrale du livre 36 (36.20-37) et en constituent le tiers. Il s’agit d’un ensemble articulé, dans lequel se succèdent un retour en arrière sur les progrès de la piraterie, destiné à contextualiser les débats et à faire comprendre leurs enjeux ; une rapide narration des oppositions suscitées par la proposition de Gabinius et des violences qui en résultent ; trois discours, les deux premiers, celui de Pompée et celui du tribun Gabinius, centrés sur la personne de Pompée et ses mérites, et se répondant, le troisième, celui de Catulus, beaucoup plus long, développant une argumentation strictement institutionnelle sur la mise en danger du système républicain des magistratures19 ; et enfin une brève narration de la campagne victorieuse de Pompée. L’ampleur de cet ensemble forme contraste avec la brièveté du passage qui évoque le vote, l’année suivante, de la loi Manilia qui accordait à Pompée un commandement analogue pour lui permettre de mettre fin à la guerre de Mithridate, et qui, comme nous le savons par le discours que Cicéron prononça à cette occasion, provoqua les mêmes violents débats (36.42.4). La raison de cette étonnante disproportion est à chercher du côté de la réflexion institutionnelle de Dion, qui se représente la loi Gabinia comme emblématique des perturbations institutionnelles qui, en introduisant des commandements extraordinaires, ruinèrent le régime républicain et anticipèrent les pouvoirs d’Auguste20. À ce titre, il jugeait nécessaire de la présenter plus en détail, à titre de premier exemple. En somme, l’épisode du vote de la loi Gabinia permet à Dion d’introduire au sein du récit une réflexion sur la succession des régimes, le thème central de son Histoire romaine.
8Dans deux autres exemples, la narration est ralentie pour rendre sensible l’importance des faits évoqués. Le premier est celui de la conjuration de Catilina, dont le récit occupe 12 chapitres dans le livre 37, séparés en deux ensembles (37.29-36; 37.39-42) correspondant aux deux phases, romaine puis italienne, du complot. La composition d’ensemble et les éléments que Dion choisit de développer correspondent là encore à une interprétation générale de l’épisode, présenté comme une grave mise en cause de l’équilibre politique – l’insistance sur la dimension italienne de la conjuration est propre à Dion, de même que l’idée de la complicité du consul Antonius –, efficacement combattue par le Sénat – le rôle de Cicéron comme consul est délibérément minimisé21. Le second exemple illustre, à une échelle plus réduite, le même procédé que celui utilisé pour le vote de la loi Gabinia, développer un épisode particulier pour en faire saisir les implications générales, et passer en quelques phrases sur les suivants qui ne font que les confirmer : il s’agit du vote très conflictuel de la loi agraire de César, qui occupe tout le début du livre 38 qui commence avec le récit de son consulat de 59 (38.1.1-7.3). Les multiples péripéties du vote de la loi sont détaillées à l’extrême, afin de montrer la panoplie des moyens politiques mis en œuvre de part et d’autre et de caractériser la pratique politique de César, puis Dion indique que César fit voter bien d’autres lois, et ajoute : “Parce que ces lois sont très nombreuses et n’apportent rien à notre histoire, je les passerai sous silence” (38.7.6).
9Dilatation, puis contraction du récit sont des choix soigneusement réfléchis, qui se manifestent avec une fréquence particulière dans la cinquième décade, la seule dont l’amplitude chronologique soit aussi réduite, puisqu’elle couvre un espace de moins de vingt années, de janvier 49 à septembre 31. Cette dilatation du récit n’est pas seulement due à la richesse de la documentation disponible, mais à la variété des procédés visant à souligner l’intensité dramatique des événements et leur valeur historique. Les événements eux-mêmes constituent certes la matière principale du récit, mais ils sont étroitement entrelacés de réflexions, d’analyses, de mentions de prodiges et de discours de toutes sortes. Les livres 45 et 46 par exemple couvrent un espace d’une seule année et demie, d’avril 44 à octobre 43, mais le récit des événements proprement dits n’occupe que trente-neuf des cent-trois chapitres, soit moins de la moitié des deux livres, et le reste de la matière est composé des deux discours prononcés au sénat par Cicéron et Calenus (45.18-47 ; 46.1-28), des commentaires de l’auteur lui-même (45.4.1-2 ; 45.8.4 ; 45.11.2 ; 46.34.2 ; 46.34.4-5) et des listes de prodiges qui rythment les temps forts du récit22. De même, la mort de César, qui constitue le thème unique du livre 44, fait l’objet d’un traitement remarquable : le récit de son assassinat (44.3-20) est encadré
par une réflexion générale de Dion sur les régimes politiques et leurs avantages respectifs (44.1-2) et par une série de prodiges (44.21-22) annonciateurs de désastres ; puis suivent deux discours, celui de Cicéron qui en appelle au rétablissement de la concorde (44.23-33), et l’éloge funèbre de César prononcé par Antoine (44.36-49). La dilatation du récit assure l’unité thématique du livre et renforce l’intensité dramatique de l’événement dont les conséquences conduisent sans échappatoire aucune à la ruine de la République. À l’échelle de l’œuvre, cette dilatation fait écho à l’importance particulière que Dion accorde à la mort des empereurs dans les livres julio-claudiens23 et, de ce fait, souligne la place et le rôle qu’il attribue à César dans le processus de mutation des régimes.
Brouillage chronologique : achronie
10Dans certains développements, il est manifeste que Dion néglige délibérément la chronologie des faits qu’il rapporte, au point de rendre leur succession difficile, voire impossible à démêler en l’absence de sources complémentaires. Ce mode d’exposition, relativement rare, tranche sur celui qui correspond aux conventions de l’annalistique. Il paraît répondre à des intentions diverses, à la fois d’ordre littéraire, atténuer la parcellisation de l’information à laquelle oblige le rythme annalistique, et d’ordre historique, dégager une logique des faits et leur conférer une intelligibilité dans une perspective générale.
11Un premier exemple : au livre 36, les chap. 38-41 rassemblent, après le très long récit du vote de la loi Gabinia évoqué ci-dessus, des épisodes mouvementés de la vie politique à Rome pendant l’année 67 : les plébiscites proposés par le tribun Cornelius et les conflits qui en résultent. Au lieu de présenter les informations par juxtaposition de petits éléments séparés, Dion énonce une idée générale, les efforts des Romains pour lutter contre la corruption, s’efforce d’y subordonner tous ces éléments, et y ajoute des allusions à des faits antérieurs et postérieurs de plusieurs années se rattachant à cette question de la corruption. Cette interprétation, qui lui est propre, confère au passage une certaine unité, mais c’est au détriment de la précision chronologique24. En outre, cet assemblage est peu réussi sur le plan littéraire, l’hétérogénéité du matériau qu’il utilise, les notices sur les plébiscites voisinant avec des exempla, restant très visible, et même la cohérence thématique de l’ensemble laisse à désirer.
12Un second exemple présente une égale confusion chronologique, mais une clarté d’analyse bien supérieure : quand Dion évoque le retour de Pompée à Rome à l’issue de ses campagnes victorieuses en Orient et le licenciement de son armée (37.20-23), il rassemble en un développement unique des faits qu’il ne date pas, mais que nous savons être répartis sur trois années, 63 (vote d’honneurs exceptionnels à Pompée en son absence), 62 (débarquement à Brindes) et 61 (triomphe), sans compter un renvoi à l’époque des débuts de Pompée, à propos de son surnom Magnus. Ce développement présente une forte cohérence thématique, avec un éloge de Pompée et une réflexion sur le renoncement au pouvoir que confèrent les armes, et sur les dangers politiques des honneurs excessifs. Ces considérations générales prennent le pas sur la précision chronologique, et il est significatif que pas une seule fois, dans la suite du récit, Dion ne précise la date du débarquement de Pompée à Brindes ni celle de son arrivée à Rome.
13Un troisième exemple est celui du long passage qui décrit la situation d’anarchie politique qui conduisit à la désignation de Pompée comme consul sans collègue, en 52 (40.45-50). Sa composition est soignée. Les troubles politiques sont décrits d’abord de manière générale (40.45-46), en mêlant des faits des années 53 et 52, en signalant le projet de recourir à Pompée, et en évoquant, pour illustrer leur gravité, les présages de ces deux années (40.47). Puis le récit se focalise sur le meurtre de Clodius, pris à titre d’exemple (40.48.2), et la description de ses conséquences, les violences orchestrées par les tribuns à l’occasion de ses funérailles (40.49), ramène Pompée sur le devant de la scène en montrant comment les sénateurs, qui jusque-là s’étaient opposés aux triumvirs, cherchent maintenant un homme providentiel et se l’attachent (40.50). C’est la fin de cette unité narrative qui donne la clé de sa cohérence, en replaçant les événements de ces deux années dans la perspective plus large des rapports de force entre les sénateurs, Pompée, et César à l’arrière-plan. Il est remarquable, en effet, que ce long passage soit précédé par un chapitre liminaire (40.44) formant une transition avec le récit de la fin des campagnes de César en Gaule, et montrant dans quelle situation politique difficile il se trouvait désormais. Ce cas est unique dans les livres 36 à 40, car d’ordinaire le changement de cadre – Rome/l’extérieur – est indiqué en deux mots. Ici l’intention de Dion est clairement de poser à l’avance les éléments qui conduiront à la rupture de la fin de l’année 50 et à la guerre civile. La volonté de dramatisation du récit l’a conduit à choisir un mode d’exposition qui rompt nettement avec le principe annalistique.
14Ce travail de composition, qui privilégie une logique d’interprétation au détriment d’un déroulé annuel du récit, produit aussi un effet paradoxal : il rend plus visibles les traces de l’application mécanique des conventions de l’écriture annalistique et de la difficulté de s’en affranchir. On trouve ainsi ce qu’on pourrait appeler des scories du matériau annalistique rassemblé et utilisé par Dion, par exemple des “récits-croupions”, comme pour l’année 68 où la section consacrée aux affaires de Rome comporte une seule indication25; ou bien des récits isolés, déconnectés de la trame générale, comme celui de la guerre de pacification menée contre les Allobroges en 62-61 (37.47-48)26 ; ou bien encore des ensembles qui tiennent plus de la juxtaposition de fiches que de la narration suivie27. Autres signes de la difficulté à s’affranchir du rythme annuel de la narration, les récits éclatés, comme celui du retour d’exil de Cicéron aux livres 38 et 3928, où Dion ne parvient pas à renoncer au principe d’organisation annalistique, et les répétitions qui résultent du travail de regroupement en un seul récit d’informations concernant plusieurs années successives, comme la mention des mêmes prodiges en deux endroits différents du récit29. Un autre élément, enfin, qui illustre la difficulté à concilier cadre formel annalistique et cohérence narrative est la rareté des connexions explicites entre des événements se déroulant dans des lieux différents. L’alternance, comme dans le récit de Tite-Live, de passages consacrés aux évènements de Rome (domi) et de passages consacrés aux opérations extérieures (militiae) reste la règle dans ces cinq livres. Les transitions sont généralement lapidaires, comme si cette alternance était mécanique et attendue par le lecteur30. Le récit n’échappe que rarement à ce cloisonnement31.
Le cas particulier des discours
15Les discours, comme l’a vu par exemple avec le débat tripartite sur la loi Gabinia, peuvent être perçus et analysés comme des éléments perturbateurs du rythme narratif : les focalisations, “les arrêts sur image” qu’ils opèrent ralentissent et dilatent tout à la fois le temps du récit et ménagent au lecteur des “pauses” propices à la réflexion. On aurait tort cependant d’oublier que telle n’est pas la fonction première des discours en histoire : c’est d’abord en tant qu’actions, et surtout en tant que causes des événements relatés, qu’ils ont droit de cité, depuis Thucydide au moins, dans le récit historique. Cette dimension est très présente dans les trois premières décades de l’Histoire romaine32, où Dion souligne souvent l’effet produit par une harangue ou une prise de parole au Sénat, et leur traduction en actes33. L’exemple le plus probant à cet égard est celui de l’intervention d’Ap. Claudius Caecus au Sénat lorsqu’on y discute les propositions de paix du roi Pyrrhus (livre 9). Zonaras oppose l’irrésolution antérieure des sénateurs (8.4.11), paralysés par l’effet des présents apportés par Cynéas (8.4.9-10), à l’effet immédiat des paroles d’Appius : le Sénat ne tergiverse plus, mais décide aussitôt et à l’unanimité l’expulsion de Cyneas et la poursuite de la guerre (8.4.12). Il est remarquable que le fragment du De sententiis qui se rapporte à l’épisode ait conservé le commentaire explicite de Dion sur la nature de l’éloquence et son efficacité34. L’historien met ainsi en évidence un processus de prise de décision collective, fondé sur une éloquence véritablement délibérative et véritablement efficiente qui constitue l’une des caractéristiques fondamentales de la δηµοκρατία romaine ; qui plus est, les débats portent sur des questions d’intérêt général (faut-il restaurer les Tarquins, entrer en guerre contre Carthage, détruire Carthage ?) et les orateurs n’ont en vue que le bien commun35. Dans les livres tardo-républicains, en revanche, les discours sont beaucoup plus rares, plus espacés, la parole confisquée par un petit groupe de “dynastes” et les interventions de citoyens inspirés par l’esprit républicain, comme Caton, vouées à l’échec36 : il n’y a ni véritable débat ni même possibilité de débattre, les institutions étant bloquées et la persuasion rendue impuissante par le recours systématique à la force. Cette comparaison prouve, selon nous, que Dion fait un usage varié et original des discours, qui va bien au-delà des fonctions (éthopoiétique37, diégétique38 et méta/extra-diégétique39) qui leur sont traditionnellement assignées. Leur fréquence, leur niveau de παρρησία, leur capacité à convaincre sont – tout autant, sinon plus, que leur contenu – les marqueurs privilégiés de l’état de santé du régime républicain40. Ils sont donc mis au service d’une logique interprétative qui ne se révèle et prend tout son sens qu’à l’échelle du temps long et de l’œuvre tout entière.
Les temps de l’analyse historique
16On a vu plus haut que certains ensembles narratifs, qui rassemblent des informations constituant d’ordinaire des notices séparées, sont construits par Dion en développements cohérents par la mise en exergue d’une idée directrice : par exemple la lutte contre la corruption, qui sert de fil conducteur pour les péripéties politiques de l’année 67 (36.38‑41). Ces idées directrices ont parfois une fonction plus large, fournir, à l’échelle d’ensembles de livres, des repères qui permettent au lecteur de saisir le sens que Dion veut donner aux grandes évolutions qu’il décrit.
Les thèmes filés de la crise politique tardo-républicaine
17Le thème de la corruption, qui dans ce large développement recouvrait surtout la corruption électorale (ambitus) et les abus des gouverneurs de provinces (repetundae), resurgit trois livres plus loin à propos des procès de Gabinius à son retour de sa province de Syrie (39.55), puis au livre suivant dans le récit de la paralysie due au report incessant les élections en 53 et 52, à cause notamment de l’ampleur de la brigue (40.45 ; 40.48.1), et enfin à propos des réformes judiciaires de Pompée, qui visaient la corruption parmi d’autres crimes (40.52).
18De manière analogue, le thème de l’usage pernicieux que font de leur pouvoir les tribuns de la plèbe court dans ces cinq livres, depuis le coup de force de Gabinius pour museler l’opposition de deux de ses collègues à sa rogatio en 67 (36.30), avec les troubles causés par les tribuns de 63 et notamment le procès de Rabirius (37.25-27), l’amplification délibérée de l’agitation suscitée par meurtre de Clodius en 52 (40.49), les initiatives provocatrices de Curion à la veille de la guerre civile (40.61-62).
19Autre thème récurrent, celui des dangers que les honneurs excessifs accordés à de puissants personnages font courir à eux-mêmes et au système politique républicain. Il apparaît au moment du vote de la loi Gabinia, dans la bouche de Catulus, comme en avertissement à Pompée (36.35.1), puis revient dans le passage étudié plus haut qui décrit et commente le choix qu’il fait, à son retour d’Orient, de licencier ses troupes et de renoncer au pouvoir personnel (37.23). On le retrouve, plus amplement développé, à propos de César, dans l’analyse que fait Dion des causes de son assassinat (44.3.2-3), mais aussi à propos d’Auguste, dans le discours de Mécène (52.35.2), et plus loin encore, à propos de la chute de Séjan (58.12.2), et de l’attitude ambiguë de certains empereurs, Caligula (59.23.2-3) et Domitien (67.4.1-2), vis-à-vis des honneurs que leur décrètent les sénateurs. Dans tous ces passages, ce n’est plus le régime républicain qui est en cause, mais le régime impérial : on voit comment Dion amorce, à propos de Pompée, une réflexion qui prend de l’ampleur dans les livres augustéens et impériaux41. Ce thème court donc sur une grande partie de l’œuvre, et définit implicitement une temporalité historique qui ne se déploie pas sur quelques années, mais à une échelle de temps bien supérieure. La même remarque vaut pour les deux autres thèmes relevés ci-dessus. Celui de la corruption reparaît dans les livres augustéens, mais avec une inflexion particulière : Dion, qui a signalé avec soin les incidents survenus à plusieurs reprises sous le règne d’Auguste à propos des élections, et mentionné ses mesures successives visant l’ambitus (54.16.1 ; 55.5.3), fait une place à ce thème dans son éloge funèbre (56.40.4), en affirmant qu’il sut “veiller à la dignité des élections” et “remplacer dans l’esprit des citoyens l’ambition par le souci de la renommée”, en d’autres termes éliminer la corruption électorale. Contrairement au thème précédent, celui-ci ne court que sur les livres républicains et augustéens. Le troisième, celui des effets néfastes du tribunat de la plèbe sur le système républicain, n’apparaît plus au-delà du livre 45, lorsqu’il est question du projet d’Octavien, venu recueillir l’héritage de son père adoptif, d’utiliser le tribunat pour acquérir popularité et puissance (45.6.3) ; inversement, il tenait sans doute une place très importante dans le récit des années gracchiennes, bien que son état soit trop fragmentaire pour qu’on puisse être plus précis, et la même hypothèse peut être avancée pour le thème de la corruption42.
20Tous ces thèmes “politiques” (ambition, compétition, brigue, cupidité, corruption) se rejoignent dans une seule et même notion, psychologique et morale, celle-là, qui les résume et les explique tout à la fois : la πλεονεξία thucydidéenne, ce “désir d’avoir toujours plus”, plus qu’auparavant et plus que les autres, qui constitue l’un des fils rouges interprétatifs de l’Histoire romaine et court d’un bout à l’autre de l’œuvre, même s’il est particulièrement présent dans les livres tardo-républicains. Selon Dion, en effet, les Romains ont longtemps vécu à l’abri de la πλεονεξία43, c’est-à-dire dans la modération (ἐπιείκεια, σωφροσύνη, µετριότης) qui seule apporte le succès (εὐπραγία, εὐτυχία) contre les ennemis de la patrie et garantit la concorde en interne (ὁµόνοια)44. Mais ce bel équilibre, que Dion constate juste avant le déclenchement de la deuxième guerre punique, moment dans lequel Polybe, de la même façon, plaçait l’ἀκµή de la “constitution mixte”, finit par se rompre : les Romains, qui faisaient jusqu’alors figure d’exception, tombèrent sous le coup de la loi universelle qui veut que l’εὐπραγία et l’εὐτυχία engendrent la ὕβρις et la πλεονεξία45, qui elles-mêmes provoquent les plus grands désastres46, aussi bien dans les affaires extérieures47 que dans les affaires intérieures, avec l’irruption de la στάσις48. Dion ne date pas précisément, du moins dans ce qui nous reste de son œuvre, le moment de cette rupture, mais il en attribue la cause, entre autres facteurs, à un “excès d’empire” (ἀρχῆς ὄγκος), qui provoque en interne tous les dysfonctionnements institutionnels évoqués plus haut et, pour finir, la mort du régime républicain49.
21Ce dispositif si caractéristique de l’œuvre de Dion – la récurrence de réflexions politiques focalisées sur quelques thèmes spécifiques – répond donc au souci de faire ressortir des évolutions de fond qui permettent de donner une meilleure intelligibilité aux événements : il est au service d’une interprétation historique générale. Du coup, il imprime au récit un autre rythme que celui des péripéties du temps court et l’inscrit dans une sorte de temps long, qui semble-t-il – c’est ce que suggèrent les analyses présentées ci-dessus – coïncide avec celui des régimes successifs de Rome.
Les échelles du temps
22Ce procédé de composition mis au service de l’interprétation historique fait apparaître une “périodisation thématique” qui se déploie à l’échelle d’ensembles de livres, coïncidant la plupart du temps avec une décade. Les décades deux, trois et quatre semblent ainsi structurées en fonction de la périodisation de l’impérialisme romain50 mais c’est la cinquième décade, consacrée aux guerres civiles tardo-républicaines, qui constitue l’exemple le plus éclairant d’une logique thématique complexe. Elle s’ouvre sur la séance sénatoriale à l’issue de laquelle César fut déclaré hostis (en 49 a.C.), et s’achève à la bataille d’Actium, qui consacre la ruine de la République après dix-huit ans de guerres civiles ininterrompues. C’est la décade la plus détaillée de l’œuvre, la seule à couvrir moins de vingt ans, et cette ampleur inhabituelle est sans ambiguïté liée à la mise en évidence d’une µεταβολή politique majeure, qui non seulement détermine un changement de régime mais justifie la forme qu’il prend et ses différentes composantes51. A l’intérieur de cette décade, des groupes de livres rythment la décomposition du régime républicain et en marquent les étapes. Les livres 41, 42 et 43 associent la guerre civile entre Pompée et César et la mise en œuvre de la µοναρχία césarienne, suggérant qu’ils constituent les prémisses du changement de πολιτεία : le pouvoir mis en place par César et qualifié, dans ces derniers livres, de µοναρχία, constitue une tentative de nouveau régime, avortée par l’attentat des Ides de mars. Dans les livres 44 à 47 le récit est focalisé sur l’inévitable agonie de la République : aux réflexions initiales sur les régimes (µοναρχία / δηµοκρατία) du livre 44, répond avant la bataille de Philippes une série d’antithèses entre la libera res publica (τήν τε ἐλευθερίαν καὶ τὴν δηµοκρατίαν) défendue par le camp de Brutus et Cassius et la dominatio sur l’ensemble de leurs compatriotes (ἄρξαι πάντων τῶν ὁµοφύλων) à laquelle aspirent les triumvirs52. Le motif de la ruine de la République court d’ailleurs tout au long de ces livres, annoncé par des prodiges53, ou explicité par l’historien (47.39). Il se trouve de surcroît mis en exergue par l’abandon de la structure annalistique, qui intervient dès le livre 41, le premier de la décade, et devient la règle dans les suivants : les changements de livres ne correspondent plus régulièrement à des changements d’année54, les repères calendaires deviennent rares, le récit est rythmé par les grandes batailles, Pharsale, Philippes55. Aussi remarquable est l’apparition, pour la première fois dans l’œuvre, d’un nouveau mode narratif qui sera généralisé dans les livres impériaux : l’arrivée sur la scène politique du futur Princeps, après la mort de son père adoptif, donne lieu à une séquence biographique rétrospective (45.1-2) consacrée aux origines et à l’éducation du jeune César ainsi qu’aux “signes d’élection”, aux présages d’Empire qui marquèrent sa jeunesse. Enfin, les livres situés en fin de décade sont centrés sur la rivalité des triumvirs et le désir qu’a chacun d’eux de confisquer à son profit un pouvoir qui, dès lors, ne peut plus être que monarchique. Ce choix narratif est anticipé, d’une certaine manière, par l’organisation du récit des affrontements militaires qui constitue la matière principale des livres de cette décade : la focalisation sur les protagonistes, César et Pompée, Brutus et Cassius, Octavien et Antoine, n’est pas seulement une facilité d’exposition qui compense la difficulté à rendre compte d’opérations dispersées en des lieux mutiples, c’est aussi une façon d’avertir que le destin des Romains est désormais entre les mains de quelques-uns, et bientôt d’un seul.
23Au début de la sixième décade, l’incipit du livre 51, consacré au règlement de la victoire d’Actium, manifeste clairement que la transition politique est désormais achevée : Dion donne, fait rare dans l’œuvre, une date calendaire, celle de la bataille d’Actium et justifie cette précision en indiquant : “Si j’ai donné cette date précise, contrairement à mon habitude, c’est parce que, pour la première fois alors, Octavien détint seul tout le pouvoir. Aussi le dénombrement des années de son règne se fait-il exactement à partir de ce jour” (51.1.1-2). Ainsi est annoncé un nouveau principe d’organisation, et une nouvelle échelle du temps est introduite, le règne, qui désormais va largement déterminer le rythme narratif du reste de l’œuvre. Pourtant, les six livres (51 à 56) qui correspondent au règne d’Auguste, s’ils présentent déjà les caractéristiques essentielles des livres impériaux, avec notamment la réintroduction de la structure annalistique, forment un ensemble singulier. De même que le motif de la décomposition du régime républicain courait tout au long des livres de la cinquième décade, celui de la construction – idéologique et institutionnelle – du régime impérial fait l’unité de ces livres “augustéens”. Ils forment comme le second versant de la description de la µεταβολή, et contribuent à en préciser l’ampleur et à en définir exactement la nature. Le primat d’une “périodisation thématique” apparaît clairement dans ce large ensemble qui va du premier livre de la guerre civile (41) au dernier du principat d’Auguste (56), articulant autour du pivot que représente la bataille d’Actium deux ensembles disposés en miroir.
24L’analyse des livres conservés de l’Histoire romaine permet donc de constater à quel point, malgré des imperfections de détail, la composition qu’a conçue Dion est réfléchie, et avec quelle efficacité elle sert la perspective historique qu’il a choisie, tout en charmant le lecteur par la variété de procédés que sa culture lui permettait de mettre en œuvre.
Notes de bas de page
1 Ces livres 36-51 couvrent la période allant de 69 a.C. (début de la montée en puissance de Pompée) jusqu’à la bataille d’Actium et à ses suites immédiates (31-29 a.C. : mort d’Antoine et de Cléopâtre, règlement du statut de l’Égypte, honneurs et triomphe votés à Octavien par le Sénat), le Principat proprement dit commençant au livre 52 (année 27). Cependant il s’agit là d’une périodisation moderne, dont rien ne garantit qu’elle coïncide avec celle de Dion : voir contra l’hypothèse d’une séquenciation par “décade” avancée par Millar 1964, 39 et reprise récemment par Bertrand 2015b et infra.
2 Par exemple, le livre 47 correspond à une seule année (nov. 43 - oct. 42 a.C.) alors que les livres 36 et 37 comprennent respectivement trois et cinq années et que les livres 48 et 49 couvrent à eux deux près de dix années.
3 Pour la séquence 36-51, qui nous occupe ici, seuls les livres 37, 38, 39, 41 et 43 commencent avec l’année consulaire. Les événements de l’année 54 a.C. sont à cheval sur les livres 39 et 40 et ceux de l’année 36 a.C. sur les livres 48 et 49. Le livre 45 débute en mai 44 et si le livre 46 s’ouvre bien par un discours prononcé au sénat en janvier 43, le changement d’année a été noté au milieu du livre précédent, au chapitre 17, où prend place un premier discours prononcé lors de la séance sénatoriale inaugurale de l’année 43.
4 Rich 1990, 10 ; Lachenaud & Coudry 2014, xi ; V. Fromentin, “Cassius Dion et les historiens grecs”, dans ce volume.
5 Voir par exemple les remarques de Rich 1990, 7-8.
6 Au moment de l’entrée en scène politique du jeune César (Fromentin & Bertrand 2008, xiii). Voir dans ce volume la contribution de M. Coudry, “Figures et récit dans les livres républicains (livres 36 à 44)”.
7 Voir dans ce volume M. Coltelloni-Trannoy, “Les temporalités du récit impérial dans l’Histoire romaine de Cassius Dion” (avec la bibliographie afférente).
8 On peut envisager aussi que la recherche de l’élégance littéraire ait joué un rôle dans ce choix, et que Dion n’ait pas souhaité inclure cette notice dans le récit des autres événements de Rome de 57, les péripéties du rappel de Cicéron (39.6-11), qui forment un ensemble narratif cohérent, dans lequel il aurait détoné.
9 Voir Lachenaud & Coudry 2014, xxx, lxxix, 171 n. 258.
10 47.20.1 : “Quand ils eurent mis ces mesures en œuvre, César et Antoine partirent en campagne contre Brutus et Cassius, tandis que Lépide restait à Rome, pour, comme je l’ai dit plus haut, administrer la Ville et l’Italie”.
11 Vote de la loi Titia, proscription, mesures fiscales, divinisation de César.
12 À l’exception d’une seule allusion, en 46.40.3, la dernière mention de Brutus et Cassius remonte à leur réconciliation avec les sénateurs après le discours d’amnistie prononcé par Cicéron le 17 mars 44 (44.3.7).
13 47.33.4 : “Là, [Cassius] n’infligea aucune violence aux Rhodiens”.
14 47.30.6 : “Cassius accorda une sépulture [à Dolabella et ses proches], bien que ces derniers n’en eussent pas fait autant avec Trebonius, dont ils avaient abandonné le corps”.
15 47.22.1 : “Cela fait, et après s’être emparé de la totalité de la Macédoine et de l’Epire, Brutus adressa un message au Sénat pour l’informer de ses actes et placer sous son autorité sa propre personne ainsi que les provinces et les soldats gagnés à sa cause”.
16 47.38.3 : Cassius et Brutus nourrissaient “l’espoir de vaincre sans s’exposer eux-mêmes à un péril mortel et sans causer de pertes humaines” parmi leurs concitoyens.
17 Par exemple l’annonce, au moment où Crassus quitte Rome pour entreprendre sa campagne contre les Parthes, en 55, de la défaite de Carrhes qui en sera l’issue, et qui est racontée au livre suivant. La prolepse est brève et allusive – “Il ne tarda pas à connaître la défaite” (39.39.7) –, et permet à Dion d’accentuer le contraste qu’il vient de décrire entre la situation politique de Pompée, favorable, et celle, critique, de Crassus, appelé à disparaître de la scène politique, et de faire pressentir la confrontation directe entre Pompée et César qui va aboutir à la guerre civile.
18 Annoncée déjà de façon allusive, par l’évocation de conjurations, à l’occasion des prodiges de l’année 65 (37.9.1-2), puis des présages de l’année 63, celle de la conjuration (37.25.1-2).
19 Voir Coudry 2015b.
20 Voir Coudry 2016 et, dans ce volume, la contribution d’E. Bertrand et M. Coudry.
21 Voir Lachenaud & Coudry 2014, lxvi-lxviii.
22 L’arrivée du jeune César à Rome après la mort de César (45.4.4) ; la séance sénatoriale de janvier 43 concernant la déclaration de guerre à Antoine (45.17), avec un doublon (45.17.9 ; 46.33.1) ; le début de la guerre de Modène en 43 (46.33). Voir Fromentin & Bertrand 2008, xvii-xviii.
23 Voir, dans ce volume, la contribution de M. Coltelloni-Trannoy citée supra (n. 7).
24 Voir Lachenaud & Coudry 2014, xxxiii, 70-74.
25 L’un des consuls étant mort au début de l’année et son remplaçant également, avant d’entrer en fonction, l’autre exerça seul la fonction (36.4.1).
26 De même les deux derniers chapitres du livre 39, mentionnant la mort de Julie et le triomphe de Pomptinus, font figure d’appendice au récit qui précède, consacré aux remous provoqués à Rome par les procès de Gabinius, et très bien construit.
27 Comme pour les événements de l’année 65 à Rome, où sont mentionnés l’édilité somptueuse de César, les prodiges, et le désaccord entre les censeurs à propos des Transpadans, et où l’annonce de la conjuration de Catilina qui termine apparaît comme un effort pour compenser cette faiblesse formelle (37.8-10). Même chose pour le chapitre consacré aux affaires de Rome de l’année 60 (37.51), qui donne l’impression de réunir des éléments du matériau annalistique (échec de Clodius au tribunat, loi du préteur Metellus sur les taxes, combats de gladiateurs donnés par Faustus Sylla) que Dion ne parvient pas à intégrer dans les unités narratives élaborées qui l’encadrent.
28 La narration du conflit entre Clodius et Cicéron s’achève sur le départ en exil de celui-ci (38.17) et fait place à ce long morceau de rhétorique que constitue le discours de consolation de Philiscos (38.18-29). Puis le récit reprend, en présentant les changements survenus à la fin de l’année 58, qui annoncent le rappel de Cicéron l’année suivante (38.30), et Dion passe ensuite au récit des campagnes de César, qui n’ont aucun lien avec ces événements de Rome. Or chacun des événements évoqués, rappel de Cicéron, mission de Caton à Chypre, sera énoncé à nouveau au livre suivant (39.6-8 ; 39.22-23).
29 Dans le tableau dressé par Dion de l’anarchie politique qui provoqua la désignation de Pompée comme consul sans collègue en 52, les prodiges survenus à Rome sont mentionnés deux fois, d’abord dans le contexte du début de l’année 53 (40.17.1-2), en relation avec le retard des élections, puis au début de l’année 52 (40.47.2), dans un contexte politique analogue – un passage de Julius Obsequens (63) permet d’affirmer qu’il s’agit bien chaque fois des mêmes.
30 Le changement de cadre est indiqué par des formules rapides, comme “tandis que ces événements se déroulaient en ville” (38.31.1), ou “tandis que ces événements de déroulaient en Gaule” (39.6.1) ; voire par de simples adverbes, “César, de son côté” (39.40.1), “de son côté Crassus” (40.12.1), ou des expressions adverbiales, “pendant ce temps” (39.54.1), “à la même époque” (39.55.1).
31 Fait exception un passage du livre 40, où le raccord entre la fin des campagnes de César en Gaule et les péripéties qui conduisent à la désignation de Pompée comme consul unique à Rome occupe un chapitre entier (40.44), et où une relation logique est établie entre ces deux séries d’événements. Il en va de même pour le développement consacré au retour d’Orient de Pompée, que Dion articule très explicitement au bilan de ses campagnes en opposant la puissance qu’il s’était acquise, et qu’il aurait pu utiliser pour devenir le maître de Rome, à sa décision de n’en rien faire (37.20.5).
32 Pour les livres 1 à 21 (les seuls pour lesquels nous disposons du récit continu de Zonaras en plus des Extraits Constantiniens), on recense plus d’une quarantaine de discours conservés en tout ou partie, ou simplement mentionnés. En effet, la liste établie par Kemezis 2014, 106 n. 35, d’après le témoignage des Extraits Constantiniens ou des Extraits Constantiniens et de Zonaras, peut être complétée en tenant compte des discours attestés (mais non rapportés) par Zonaras et par lui uniquement : par ex. Zonar. 7.9.7 (C.D., livre 2) discours de Servius Tullius au peuple romain ; Zonar. 7.14.4 (C.D., livre 3) discours de M. Valerius Volusus au sénat puis au peuple romain. Sur ces discours perdus, voir Fromentin 2016b.
33 Par ex. au livre 21 de l’Histoire romaine, après le débat au Sénat pour savoir s’il faut détruire Carthage, Dion (Zonar. 9.30.8) conclut : ἐκ τούτων οὖν τῶν λόγων πάντες κατασκάψαι τὴν Καρχηδόνα ὡµογνωµόνησαν, µήποτε εἰρηνήσειν ἐκείνους πιστεύσαντες ἀκριβῶς. Voir aussi C.D. 11 fr. 43.10 (= ES 117) : ὅτι ὁ Κλαύδιος καταλαβὼν τοὺς Μαµερτίνους ἐν τῷ λιµένι συνεστραµµένους ἐκκλησίαν τε αὐτῶν ἐποίησε καὶ εἰπὼν ὅτι “οὐδὲν δέοµαι τῶν ὅπλων, ἀλλ’ αὐτοῖς ὑµῖν διαγνῶναι πάντα ἐπιτρέπω”, ἔπεισέ σφας µεταπέµψασθαι τὸν Ἄννωνα ; Zonar. 7.14.4 (C.D., livre 4) : ἐπὶ τούτοις ἄλλας τε τῷ Οὐαλλερίῳ ὁ δῆµος τιµὰς ἐψηφίσατο καὶ Μάξιµον ἐπωνόµασεν· ἐξελληνιζόµενον δὲ µέγιστον σηµαίνει τὸ ὄνοµα. Ὁ δὲ θέλων τῷ δήµῳ χαρίσασθαι πολλὰ διελέχθη τῇ γερουσίᾳ, ἀλλ’ οὐκ ἔσχε ταύτην πειθήνιον.
34 C.D. 9 fr. 40.40 (= ES 105) : τοιαύτη µὲν ἡ τοῦ λόγου φύσις ἐστὶ καὶ τοσαύτην ἰσχὺν ἔχει ὥστε καὶ ἐκείνους ὑπ’ αὐτοῦ τότε µεταβαλεῖν καὶ ἐς ἀντίπαλον καὶ µῖσος καὶ θάρσος τοῦ τε δέους τοῦ Πύρρου καὶ τῆς ἐκ τῶν δώρων αὐτοῦ ἀλλοιώσεως περιστῆναι.
35 Nous empruntons une partie de cette analyse à Kemezis 2014, 105-107.
36 Voir, dans ce volume, le tableau répertoriant ces discours et leurs locuteurs, donné en annexe à la contribution de V. Fromentin, “Denys d’Halicarnasse, source et modèle de Cassius Dion ?”.
37 Construction du “caractère” (ἦθος) des personnages, explicitation de leurs intentions à travers leurs prises de parole.
38 Insertion des discours dans la chaîne des causes et des effets qui sert de trame au récit historique.
39 Commentaires ou réflexions de l’auteur exprimé(e)s par un ou plusieurs “porte-parole”.
40 Comme les institutions, la παρρησία républicaine est dégradée par les abus qu’en font les sénateurs, conduisant au blocage institutionnel : la conclusion de l’ample débat entre Cicéron et Calenus aux livres 45-46, sur l’attitude à tenir face aux agressions d’Antoine, est explicite : “Quand Calenus eut prononcé à peu près ce discours, Cicéron ne le supporta pas … Alors donc, laissant de côté l’examen des affaires publiques, il entreprit d’insulter Calenus : ce jour-là par conséquent, pour cette raison surtout, se passa sans résultat” (46.29.1). Voir Fromentin & Bertrand 2008, xviii, xxxvii.
41 Dans ceux-ci, on remarque à quel point Dion est attentif à l’attitude des empereurs successifs vis-à-vis des honneurs dont eux-mêmes, ou les membres de la famille impériale, ou les affranchis impériaux, sont destinataires : voir les références rassemblées dans Talbert 1984, 358-360.
42 Pour le thème, lui aussi récurrent, de l’exercice des commandements provinciaux (multiplication, durée, source de compétition et de rivalité), voir, dans ce volume, la contribution d’E. Bertrand “Point de vue de Dion sur l’impérialisme romain” et la contribution d’E. Bertrand et M. Coudry.
43 Voir par ex. la réponse de Fabricius aux “cadeaux” de Pyrrhus (C.D. 9 fr. 40.38 = ES 103) : ὁ τὴν ψυχὴν ἅπαξ τὴν ἑαυτοῦ τὸ µὴ τοῖς παροῦσιν ἀρκεῖσθαι διδάξας ἀόριστον τὴν τῆς πλεονεξίας ἐπιθυµίαν λαµβάνει (“Apprendre à l’âme à ne pas se contenter des biens présents, c’est l’ouvrir à tous les appétits d’une cupidité sans bornes”).
44 C.D. 13 fr. 52 = ES 132.
45 C.D. 7 fr. 26.3 (= ES 48) : …καὶ <αἱ> εὐπραγίαι συχνοὺς ἐς συµφορὰς ἀντιρρόπους προάγουσιν· ἐξαίρουσαι γὰρ αὐτοὺς πρὸς τὰς ἐλπίδας τῶν ὁµοίων τοῦ τε πλείονος ἀεὶ ποιοῦσιν ἐπορέγεσθαι καὶ ἐς τὸ ἐναντιώτατον σφαλέντας καταβάλλουσι (“Les succès mènent les hommes vers des malheurs tout aussi grands. En suscitant chez eux l’espoir d’obtenir encore la même chose (les mêmes succès) ils les poussent à désirer toujours plus et les précipitent quand ils échouent dans l’extrême inverse”).
46 C.D. 9 fr. 39.3 (= ES 83) : οἱ Ταραντῖνοι … ὥστε καὶ ἐπαληθεῦσαι ὅτι καὶ αἱ εὐπραγίαι, ἐπειδὰν ἔξω τοῦ συµµέτρου τισὶ γένωνται, συµφορῶν σφισιν αἴτιαι καθίστανται· προαγαγοῦσαι γὰρ αὐτοὺς ἐς τὸ ἔκφρον (οὐδὲ γὰρ ἐθέλει τὸ σῶφρον τῷ χαύνῳ συνεῖναι) τὰ µέγιστα σφάλλουσιν, ὥσπερ που καὶ ἐκεῖνοι ὑπερανθήσαντες ἀντίπαλον τῆς ἀσελγείας κακοπραγίαν ἀντέλαβον (“Les Tarentins … confirmèrent l’adage selon lequel les succès démesurés deviennent pour ceux qui les éprouvent causes de malheurs. En les conduisant à la déraison – la modération ne fait pas bon ménage avec la vanité –, ils provoquent les plus grands désastres ; de même, les Tarentins, après avoir connu une exceptionnelle prospérité, récoltèrent des échecs pour prix de leur insolence”).
47 C.D. 36.1.2 (Mithridate, à propos des Romains ) : φύσει τε γὰρ πᾶν τὸ νικῶν ἄπληστον τῆς εὐπραγίας εἶναι καὶ µηδένα ὅρον τῆς πλεονεξίας ποιεῖσθαι, καὶ τούτους, ἅτε καὶ ἐν κράτει πολλῶν δὴ γεγονότας, οὐκ ἐθελήσειν αὐτοῦ ἀποσχέσθαι (“Par nature toute puissance victorieuse ne peut se rassasier de son succès et ne fixe aucune limite à son désir d’avoir davantage ; aussi les Romains, ayant triomphé de peuples nombreux, ne voudront-ils pas s’abstenir de s’en prendre à lui”).
48 C.D. 44.29.1-2 (éloge funèbre de César par Antoine) : “Ainsi, lorsque quelques citoyens ont une fois commencé à exciter des séditions et cherchent sans cesse à repousser la violence par la violence, lorsque, au lieu de régler leurs vengeances sur la modération et l’humanité, ils n’écoutent que leur passion et la licence des armes, il se produit nécessairement comme un cercle perpétuel de maux, et une période de calamités qui se succèdent et s’attirent fatalement l’une l’autre. La bonne fortune, en effet, abuse avec insolence de ses avantages et ne met aucune borne à ses abus (τό τε γὰρ εὐτυχῆσαν ὕβρει τε πλεονάζει καὶ οὐδένα ὅρον τῆς πλεονεξίας ποιεῖται) ; l’irréussite, par la colère qu’excite le malheur, inspire, à moins que la ruine ne soit immédiate, le désir de se venger de l’oppresseur jusqu’à ce que ce désir ait été satisfait”.
49 C.D. 47.39.4-5. Voir sur ce thème la contribution d’E. Bertrand citée supra (n. 42).
50 Voir ibid.
51 Une dilatation similaire s’observe, pour la période impériale, dans la huitième décade consacrée à l’époque contemporaine de Dion et aux bouleversements du Principat après le règne de Marc Aurèle : voir Bertrand 2015b, 170-171.
52 47.42.3-5.
53 L’unité thématique est d’ailleurs renforcée par des doublonnements de prodiges, qui, intentionnels ou non, scandent le motif des maux annoncés : 45.17.2 et 47.40.2 ; 45.17.9 et 46.33.1. Voir Fromentin & Bertrand 2008, xviii n. 8.
54 Le changement d’année 44/43 intervient au milieu du livre 45 (45.17) ; celui de l’année 43/42, avec repère consulaire, au milieu du livre 47 (47.15.4), à l’intérieur de la section consacrée aux affaires intérieures.
55 Pharsale détermine la coupure entre les livres 41 et 42, Philippes entre les livres 47 et 48.
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