Denys d’Halicarnasse, source et modèle de Cassius Dion ?
p. 179-190
Texte intégral
1Longtemps, la question des sources historiographiques et des modèles littéraires de Cassius Dion a été dominée par deux “monuments” : Tite-Live, que l’historien sévérien aurait servilement suivi au moins pour la partie de son œuvre consacrée à la République moyenne et tardive1, et Thucydide, qu’il aurait partout cherché à imiter, surtout dans ses discours2. Cette vision binaire n’a plus cours aujourd’hui : une série d’études majeures a démontré l’indépendance de Dion par rapport à Tite-Live3 et l’intérêt s’est déplacé vers d’autres sources latines potentielles, pré- ou post-liviennes (Valérius Antias, Asinius Pollion, César, Tacite, Suétone…), tandis que la liste des modèles grecs de Dion – avérés ou probables – s’est allongée. Dans ce second cas, cependant, les études portent essentiellement sur les auteurs classiques qui faisaient partie du bagage culturel de Dion (Hérodote4, Xénophon5, Démosthène6…) et ne s’intéressent à son rapport à la tradition des “historiens grecs de Rome” (Polybe, Denys d’Halicarnasse, Appien, auxquels on peut ajouter Plutarque) qu’à travers la problématique des sources7 ou celle, historique celle-là, de l’attitude des intellectuels grecs ou hellénophones face au pouvoir romain8. En d’autres termes, l’attention reste focalisée sur les historiens de langue latine, chez lesquels Dion aurait trouvé à la fois la matière de son ouvrage et ses modèles narratifs (le récit annalistique et la biographie impériale9), et la bibliographie continue de minorer ou d’ignorer la part de l’héritage grec, qui est perçu et présenté moins comme un élément structurant que comme un ornement, y compris dans les travaux les plus récents et les plus suggestifs10. En effet, si chacun reconnaît que l’Histoire romaine est le creuset d’influences multiples, le poids de la tradition romaine (historiographique et littéraire) est survalorisé au détriment des “assaisonnements” grecs (citations classiques, imitatio Thucydidis et Herodoti, schémas discursifs, débats philosophico-politiques, énoncés gnomiques, anthropologie universaliste). Ces derniers, qui plus est, sont rapportés exclusivement à la “formation rhétorique” de Dion, c’est-à-dire à la rhétorique d’école, qui a joué effectivement un rôle capital dans la παιδεία des élites gréco-romaines d’époque impériale11, mais que les Modernes réduisent trop souvent à des exercices techniques répétitifs (προγυµνάσµατα, suasoriae…) alimentés par des catalogues de citations, de figures de style, des répertoires d’exemples, alors que l’enseignement du rhéteur (aussi bien latin que grec) comprenait également un entraînement poussé à la critique littéraire, fondé sur la lecture – extensive – d’auteurs représentatifs de tous les genres12. Pour des professeurs comme Denys, comme Quintilien, en effet, c’est la lecture qui “forme l’esprit”13 et le rend capable d’imitation14 : elle ne se limite pas au temps de l’école, mais ne devrait finir qu’avec la vie. Tout porte donc à croire que Dion avait développé une relation directe, personnelle, élaborée, avec “les lettres grecques”, peut-être semblable à celle dont Athénée témoigne pour les πεπαιδευµένοι qu’il met en scène dans ses Deipnosophistes : lectures immenses et de “première main” – ce qui n’empêche pas le recours à des intermédiaires15 – ; prise de notes ; re-contextualisation de leur contenu dans de nouveaux écrits16. C’est cette relation en tout cas qui peut expliquer – au moins en partie – son choix d’écrire son Histoire romaine en grec plutôt qu’en latin17 et qui justifie qu’on le prenne au mot et au sérieux lorsqu’il affirme “avoir lu pour ainsi dire tout ce qui avait été écrit sur les Romains”18, c’est-à dire, selon nous, toutes les sources rédigées in utraque lingua, y compris, par exemple, les Antiquités romaines de Denys, que le primat accordé à Tite-Live par l’histoire positiviste a contribué à écarter d’emblée de la liste des sources et des modèles possibles de Dion. C’est pourquoi nous voudrions réexaminer ici la question des rapports entre Dion et Denys, sur la base d’indices – éparpillés dans des études plus ou moins récentes ou révélés par les recherches menées dans le cadre du programme ANR Dioneia – qui rendent, selon nous, hautement probable une connaissance – sinon une utilisation – directe de l’un par l’autre.
2Le premier argument en faveur d’une telle utilisation est extérieur à l’œuvre de Dion et concerne la réception de Denys à l’époque impériale. Bien qu’on doive en ce domaine distinguer entre le rhéteur, dont les traités ont connu dès leur publication un rayonnement certain – qui s’est amplifié pendant tout l’Empire et à Byzance19 –, et l’historien de Rome, qui n’est mentionné en son temps que par Strabon20 et dont la thèse des origines grecques de l’Vrbs ne trouve aucun écho dans la littérature conservée21, il n’est pas impossible que la fortune de l’un ait assuré la survie de l’autre ou que, dans le contexte de la Seconde Sophistique, cette œuvre classicisante, atticisante et très rhétorisée, qui faisait le pont entre romanité et grécité, soit devenue ou redevenue à la mode. Toujours est-il que les Antiquités étaient accessibles à l’époque de Plutarque, qui les a utilisées comme source directe et avouée pour ses Vies de Romulus, Coriolan et Pyrrhus22, et diffusées en milieu alexandrin au iiie s., comme l’atteste un papyrus d’Oxyrynchos, vestige probable d’un uolumen contenant le livre 423.
3Un deuxième argument qui, curieusement, n’a jamais été avancé, à notre connaissance, réside dans le rapport de Denys à Tite-Live. Denys, qui est arrivé à Rome juste après Actium, qui a fréquenté des cercles proches du pouvoir augustéen24, n’a pas pu ignorer l’existence de l’œuvre de l’historien padouan25, qui était déjà en grande partie publiée quand il fit paraître le premier livre de ses Antiquités romaines, en 7 a.C.26 Il est même probable – bien qu’il n’y fasse nulle part référence ou allusion – qu’il se soit déterminé par rapport à elle, dans une relation d’émulation où entrait une part de polémique. En effet, la thèse des origines grecques de Rome, défendue dans le livre 1 des Antiquités romaines, prend le contre-pied du “melting-pot originel” fièrement revendiqué par Tite-Live à propos de la légende de l’asylum romuléen27 et, au-delà, de l’idéologie augustéenne qui mettait l’accent, dans l’ethnogenèse romaine, sur les divers apports italiques28. De manière générale, s’agissant de Romulus, Denys s’écarte sur bien des points de la version suivie par Tite-Live29. Il récuse aussi avec vivacité la généalogie des Tarquins transmise par Fabius Pictor (et reproduite par Tite-Live)30 et son traitement des figures de Servius Tullius31 et de Tarquin le Superbe présente avec celui qu’on trouve chez l’historien padouan des divergences significatives qui engagent l’interprétation même de ces règnes32. Ces différences s’expliquent par le parti-pris hellénisant adopté par Denys mais aussi et surtout par la quantité considérable de sources qu’il a brassées, nombre d’entre elles transmettant des versions alternatives à la vulgate annalistique suivie par Tite-Live. Il n’est pas impossible non plus que Denys ait cherché à creuser l’écart avec Tite-Live sur un autre plan, formel celui-là : nous avons proposé ailleurs33 de lire le premier livre des Antiquités romaines comme une réécriture du récit livien correspondant (1.1-7) selon l’ordre strictement chronologique, le seul acceptable en histoire selon Denys, c’est-à-dire comme une “leçon de composition” que l’historien grec aurait adressée à son homologue romain, comme il l’avait fait pour Thucydide en réécrivant le début de la Guerre du Péloponnèse dont il jugeait l’économie déplorable à cause de ses analepses narratives et de ses digressions34. Rien ne permet pour autant d’affirmer que Denys était un “anti-livien” délibéré35 (ses véritables adversaires, plusieurs fois désignés, sont les propagandistes anti-romains qui entretiennent la haine de Rome dans les parties grecques de l’empire et empêchent la réconciliation des vainqueurs et des vaincus36), mais il n’en a pas moins écrit, comme Dion, une version alternative de l’histoire des premiers siècles de Rome, fondées sur des traditions hétérodoxes, grecques et pré-liviennes37, ce qui justifie qu’on s’interroge sur le rôle qu’ont pu jouer les Antiquités romaines dans la documentation rassemblée par l’historien sévérien.
4La comparaison entre le texte de Dion et celui de Denys est cependant rendue difficile par le caractère fragmentaire de leurs œuvres respectives. Les dix premiers livres de l’Histoire romaine, qui correspondent à la période couverte par les vingt livres des Antiquités romaines (depuis la fondation de Rome jusqu’aux prodromes de la première guerre punique) sont entièrement perdus dans la tradition directe, et c’est aussi le cas des livres 12 à 20 de Denys. En revanche, les livres 1 à 10 de Tite-Live, qui couvrent aussi grosso modo la période antérieure aux guerres puniques38, sont conservés, ce qui rend possible une comparaison à trois, voire à quatre, si l’on prend compte le témoignage de Plutarque dans les Vies romaines correspondantes. D. Briquel, dans un article du présent volume, a mené cette étude pour les primordia Romana et la période royale, et ses conclusions sont globalement décevantes pour la question qui nous occupe : “Dion ne suit pas Tite-Live, pas plus qu’on ne pourrait dire qu’il suit Denys d’Halicarnasse. Son récit offre des éléments d’information qui se trouvent tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, ou qui apparaissent chez les deux à la fois, ou encore sont absents de leurs histoires à tous deux. On ne peut pas dire non plus que sa narration privilégie une source à un moment : la distribution de ces rapports éventuels avec Tite-Live ou Denys ne montre pas qu’il les ait suivis d’une manière exclusive pour certains épisodes … Le récit de Dion ne garde pas la moindre trace de ce qui pourrait apparaître comme un héritage des orientations des histoires de Tite-Live ou de Denys dans ce qu’elle avaient de plus original”39. Dans ces conditions, deux hypothèses sont envisageables : “soit Dion a lui-même procédé à une recomposition à partir de sources diverses qu’il a compilées, comme Tite-Live, Denys et d’autres encore, pour nous indéterminables, soit il s’est borné reprendre une autre version de l’histoire la plus ancienne de la cité que celles qui nous sont parvenues”. Nous avons relevé néanmoins quelques passages de Dion qui permettent peut-être de sortir de cette aporie, en ouvrant une nouvelle voie. Tous comportent des discours.
5Le premier exemple, et le plus intéressant, se situe au début du livre 3 de l’Histoire romaine et concerne la révolution de 509, avec l’expulsion des Tarquins, l’abolition de la royauté (devenue tyrannique) et l’instauration d’un nouveau régime. Les fragments conservés pour cet épisode sont de deux sortes : il y a d’un côté le récit de Zonaras et de l’autre des fragments gnomiques conservés par les extraits constantiniens De sententiis.
6Zonaras s’étend assez longuement sur les méfaits de Tarquin le Superbe et de ses fils, le viol de Lucrèce, le complot mené par Brutus pour renverser le régime, mais ne consacre qu’une brève notice, d’ailleurs assez confuse, aux aspects institutionnels :
Zonar. 7.12.1 : ὁ µὲν οὖν Ταρκύνιος πέντε καὶ εἴκοσι τυραννήσας ἐνιαυτοὺς οὕτως ἐξέπεσε τῆς ἀρχῆς, οἱ Ῥωµαῖοι δὲ πρὸς τὸν Βροῦτον ἀπέκλιναν καὶ αὐτὸν εἵλοντο ἄρχοντα· ἵνα δὲ µὴ ἡ µοναρχία βασιλεία δοκῇ, καὶ συνάρχοντα αὐτῷ ἐψηφίσαντο τὸν τῆς Λουκριτίας ἐκείνης ἄνδρα τὸν Κολλατῖνον Ταρκύνιον, ὡς ἀπεχθῶς πρὸς τοὺς τυράννους πιστευόµενον ἔχειν διὰ τὴν βίαν τῆς γυναικός.
“Tarquin fut privé du pouvoir après avoir régné en tyran pendant ving-cinq ans. Les Romains se tournèrent vers Brutus et le choisirent comme ‘magistrat’. Afin que le ‘gouvernement d’un seul’ ne ressemblât pas à une royauté, ils choisirent aussi pour lui comme ‘collègue/co-magistrat’, l’époux de Lucrèce, Tarquin Collatin, parce qu’il était connu pour avoir été hostile aux tyrans à cause du viol de sa femme”.
7Cette notice ne désigne pas les deux “consuls” de 509 par le terme (usuel en grec au moins depuis Polybe) de ὕπατοι : elle présente Brutus comme un ἄρχων (αὐτὸν εἵλοντο ἄρχοντα), et son collègue, Tarquin Collatin, comme un συνάρχων. Or, il ne s’agit pas d’une erreur ou d’une fantaisie de Zonaras, comme l’a bien démontré G. Urso40 : pour Dion, comme l’atteste un autre passage transmis par Zonaras41, ce n’est qu’à partir de 449 a.C. que les “magistrats” (ἄρχοντες) créés en 509 furent appelés usuellement ὕπατοι (lat. consules) ; ils étaient jusque-là désigné du nom de “préteurs” (gr. στρατηγοί, lat. praetores). Ainsi, sur l’origine du consulat, Dion suivait une tradition hétérodoxe, différente de la vulgate selon laquelle les nouveaux magistrats créées en 509 pour remplacer les rois auraient été appelés d’emblée du nom de consuls. Il s’écarte donc sur ce point à la fois de Denys et de Tite-Live.
8Les fragments transmis par les Extraits constantiniens sont de nature tout à fait différente : leur forme sentencieuse laisse penser qu’ils figuraient chez Dion dans des discours prononcés par les protagonistes de cette révolution, Brutus au premier chef. Ils évoquent “les dangers des changements, surtout politiques” (πᾶσαι µὲν γὰρ µεταβολαὶ σφαλερώταταί εἰσι, µάλιστα δὲ αἱ ἐν ταῖς πολιτείαις)42 et les risques de dérive tyrannique qui guettent inévitablement quiconque exerce la royauté43. Ces lieux communs relèvent d’une tradition littéraire, rhétorique et philosophique qui remonte au moins à Hérodote et au fameux “débat perse”44 (en ce qui concerne l’ὕβρις qui saisit fatalement celui qui exerce un pouvoir sans partage) et à Thucydide (pour les dangers de la µεταβολή en politique). On pourrait s’en tenir à ce constat et expliquer ces échos une fois de plus par la culture rhétorique de Dion, mais il est possible d’aller plus loin.
9Chez Denys en effet, Brutus prononce trois longs discours qui occupent à peu près la totalité des chapitres 70-84 du livre 4. Dans le premier, qui est tenu devant les témoins du suicide de Lucrèce, Brutus jure sur le cadavre de la jeune femme de la venger et de chasser les Tarquins ; il exhorte ses compagnons à prêter le même serment (4.70.4-71.1). Ce discours a son équivalent chez Tite-Live (1.59.1-2). Le troisième discours est tenu devant le peuple de Rome réuni en assemblée sur le forum et il contient les mêmes éléments chez Denys (4.76.4‑84.3) et chez Tite-Live (1.59.8-11), quoiqu’exposés dans un ordre différent. En revanche, le deuxième discours (4.72-75) est une innovation de Denys car rien de tel ne se trouve chez Tite-Live ni dans aucune des autres sources parallèles ; c’est le discours le plus politique des trois, celui où Brutus pose la question du changement institutionnel et ouvre un débat sur le meilleur régime45. Or la réponse donnée par Brutus à cette question fait écho mot pour mot au fragment de Dion (cité plus haut) qui évoque les µεταβολαὶ σφαλερώταται :
D.H. 4.73.1 : Καινὴν µὲν οὐδεµίαν οἴοµαι δεῖν ἡµᾶς καθίστασθαι πολιτείαν κατὰ τὸ παρόν· ὅ τε γὰρ καιρός, εἰς ὃν συνήγµεθα ὑπὸ τῶν πραγµάτων, βραχύς, ἐν ᾧ µεθαρµόσασθαι πόλεως κόσµον οὐ ῥᾴδιον, ἥ τε πεῖρα τῆς µεταβολῆς, κἂν τὰ κράτιστα τύχωµεν περὶ αὐτῆς βουλευσάµενοι, σφαλερὰ καὶ οὐκ ἀκίνδυνος.
“Je crois que nous ne devons pas instituer un nouveau régime pour le moment. En effet, le temps auquel nous sommes réduits par les circonstances est court et ne permet pas facilement de changer pour l’améliorer l’organisation politique d’une cité, et la tentative de changement, même si nous prenons la meilleure décision à son sujet, est risquée et non sans danger”46.
10Il paraît donc certain que Dion connaissait ce discours, et probablement aussi l’ensemble discursif – unique en son genre – constitué par les chapitres 70-84 du livre 4 des Antiquités romaines, et qu’il s’en est inspiré. Ce choix va bien au-delà d’une simple imitation rhétorique : il s’explique probablement par une convergence de vues entre Dion et Denys et une même volonté de traiter la révolution de 509 sous un angle exclusivement politique et institutionnel (abolition de la royauté, création des nouveaux magistrats, définition de leurs pouvoirs et signification de leurs insignes)47, quelles qu’aient pu être par ailleurs leurs divergences sur des points qui n’étaient pas que de détail, comme les noms des nouveaux magistrats, que Denys appelle d’emblée ὕπατοι alors que Dion, nous l’avons vu, suit une tradition hétérodoxe.
11Trois autres passages de Dion, au moins, semblent eux aussi conserver la trace d’un hypotexte dionysien.
12Au livre 2 de l’Histoire romaine, Dion (dont le texte est transmis par Zonaras) raconte comment, après l’assassinat de Tarquin l’Ancien par les fils d’Ancus Marcius, Servius Tullius se voit confier la réalité du pouvoir royal par la seule volonté de la reine Tanaquil. Cette dernière fait d’abord croire aux Romains que Tarquin n’est que blessé et qu’il a désigné son gendre Servius comme tuteur de ses enfants et régent du royaume. Mais quand la mort du roi est enfin annoncée, Servius, loin de se retirer, fait obstacle à la désignation d’un nouveau roi selon la procédure usuelle : grâce à des mesures populaires (distributions de terres et d’argent, affranchissement d’esclaves) et pour prendre de cours les patriciens qui lui sont hostiles, il parvient – fait jusqu’alors inouï dans l’histoire de la royauté romaine – à se faire élire roi par les seuls comices curiates, sans que le Sénat ait donné son accord48 :
Zonar. 7.9.5-8 : κἀκεῖνος τότε τόν τε θάνατον τοῦ Ταρκυνίου ἐξέφηνε καὶ φανερῶς τῆς βασιλείας ἐπείληπτο. Καὶ πρῶτον µὲν τοὺς τοῦ Ταρκυνίου παῖδας προυβάλλετο ὡς αὐτὸς τὴν ἡγεµονίαν ἐπιτροπεύων, εἶτα πρὸς θεραπείαν τοῦ δήµου ἐτράπετο, ὡς ῥᾷστα µᾶλλον τὸν ὅµιλον ἢ τοὺς εὐπατρίδας ὑποποιησόµενος, χρήµατά τε αὐτοῖς ἐδίδου καὶ γῆν ἑκάστῳ προσένειµε καὶ τοὺς δούλους ἐλευθεροῦσθαι καὶ φυλετεύεσθαι παρεσκεύασεν. ᾽Αχθοµένων δ’ ἐπὶ τούτοις τῶν δυνατῶν, ἔταξέ τινα τοὺς ἐλευθερωθέντας τοῖς ἐλευθερώσασι σφᾶς ἀνθυπουργεῖν. ὡς δὲ χαλεπῶς εἶχον οἱ εὐπατρίδαι αὐτῷ, καὶ διεθρόουν ἄλλα τε καὶ ὅτι µηδενὸς αὐτὸν ἑλοµένου τὴν ἀρχὴν ἔχει, συναγαγὼν τὸν δῆµον ἐδηµηγόρησε· καὶ πολλὰ ἐπαγωγὰ διαλεχθεὶς αὐτῷ οὕτω διέθετο ὡς αὐτίκα πᾶσαν αὐτῷ τὴν βασιλείαν ἐπιψηφίσασθαι. Ὁ δὲ αὐτοὺς ἀµειβόµενος ἄλλα τε ἐφιλοτιµήσατο καὶ ἐς τὸ συνέδριόν τινας αὐτῶν ἐνέγραψεν.
“Alors, celui-ci [Servius Tullius] révéla la mort du roi Tarquin et s’empara de la royauté. Tout d’abord il se servit des enfants de Tarquin pour se protéger, en se présentant comme le gardien du pouvoir souverain, puis il donna tous ses soins aux peuple, pensant qu’il contrôlerait plus rapidement la multitude que les patriciens. Il leur [aux plébéiens] distribua de l’argent et leur attribua à chacun une terre ; il entreprit aussi d’affranchir les esclaves et de les faire inscrire dans les tribus. Comme les hommes puissants de la cité s’en irritaient, il ordonna aux esclaves affranchis de rendre quelques services à ceux qui les avaient affranchis. Mais comme les patriciens restaient très mal disposés à son égard et faisaient courir le bruit, entre autres griefs, qu’il détenait le pouvoir sans que personne l’eût élu, il réunit le peuple en assemblée et prononça un discours. En usant de beaucoup d’arguments séduisants, il le [le peuple] mit dans une disposition d’esprit telle qu’il lui vota sur le champ la royauté tout entière49. En retour il les gratifia de nombreux cadeaux et fit entrer certains d’entre eux au Sénat”.
13Cette version des faits, qui présente Servius Tullius comme le partisan de la plèbe, s’oppose à celle de Tite-Live, qui souligne à l’inverse les aspects oligarchiques de sa vie et de son œuvre50 et relate les différentes étapes du règne selon une chronologie tout autre. Cette tradition du roi démocrate et populaire est majoritaire dans nos sources51, mais on ne trouve que chez Denys les traits ambigus (cynisme, calcul, manipulation) qui caractérisent le comportement de Servius dans le récit de Zonaras. Cependant, la ressemblance entre les deux témoins ne s’arrête pas là.
14En effet, chez Denys, deux grands discours scandent l’ascension de Servius Tullius vers le pouvoir. Dans le premier (4.9), Servius se présente comme le protecteur des enfants royaux et annonce plusieurs mesures destinées à améliorer le sort de la plèbe (abolition des dettes, suppression de l’esclavage pour dettes, redistribution de l’ager publicus). Le second discours (4.10-11) est prononcé après que Servius a entrepris quelques-unes des réformes annoncées et constaté l’hostilité croissante des sénateurs à son égard : face à ce péril, il dramatise la situation en s’avançant sur le Forum, “enveloppé dans un manteau sale, l’air sombre”52. Il se présente comme le champion de la plèbe contre le patriciat et se dit menacé : l’émotion suscitée par cette révélation lui permet de réunir en hâte les comices curiates et se faire élire roi par le peuple53. Or on constate que le résumé de Zonaras suit le même déroulement que chez Denys (premières mesures populaires, hostilité des patriciens, élection par le peuple seul), même si l’abréviateur ne fait état que d’un seul discours (le deuxième chez Denys). On peut dès lors se demander si le texte de Dion ne comportait pas, originellement, deux discours au peuple lui aussi : de même qu’il se borne à mentionner l’existence du second discours sans en rapporter le contenu mais en soulignant son rôle déterminant dans l’enchaînement des faits54, Zonaras a peut-être, selon un procédé analogue, choisi d’escamoter le premier discours, programmatique, pour se concentrer sur les premières mesures populaires qui ont concrétisé les promesses faites par le régent (distributions d’argent et de terres, libération d’esclaves). Mais même si l’on suppose que le résumé de Zonaras reproduit fidèlement sa source dionienne et que cette dernière ne comprenait qu’un discours, la ressemblance avec le récit de Denys n’en demeure pas moins frappante : de telles similitudes de fond et de forme ne peuvent s’expliquer, selon nous, que si Dion connaissait le texte dionysien, et peu importe, en définitive, qu’il ait voulu en reproduire la structure discursive (deux harangues au peuple) ou innover en narrativisant le premier discours.
15Un autre passage, qui appartient au livre 4 de l’Histoire romaine, met en scène M. Valérius Volusus, qui fut nommé dictateur en 494 a.C., afin de mobiliser le peuple de Rome pour une nouvelle guerre contre les Sabins, les Èques et les Volsques, dans un contexte de crise sociale liée aux problèmes des dettes. Valérius obtient la mobilisation grâce à un décret empêchant les créanciers de poursuivre leurs débiteurs. Il remporte la victoire sur les ennemis de Rome et souhaite alors améliorer le sort des débiteurs, mais le Sénat s’oppose à lui : il démissionne de ses fonctions. Le texte est transmis par Zonaras :
Zonar. 7.14.4 : ἐπὶ τούτοις ἄλλας τε τῷ Οὐαλλερίῳ ὁ δῆµος τιµὰς ἐψηφίσατο καὶ Μάξιµον ἐπωνόµασεν· ἐξελληνιζόµενον δὲ µέγιστον σηµαίνει τὸ ὄνοµα. Ὁ δὲ θέλων τῷ δήµῳ χαρίσασθαι πολλὰ διελέχθη τῇ γερουσίᾳ, ἀλλ’ οὐκ ἔσχε ταύτην πειθήνιον. Διὸ σὺν ὀργῇ ἐκπηδήσας τοῦ συνεδρίου δηµηγορήσας τε πρὸς τὸν δῆµόν τινα κατὰ τῆς βουλῆς, τὴν ἡγεµονίαν ἀπείπατο.
“Là-dessus, le peuple, entre autres honneurs, décerna à Valérius par un vote le surnom de Maximus, qui en grec signifie ‘très grand’. Ce dernier, qui désirait donner satisfaction au peuple, eut un long débat avec le Sénat mais ne parvint pas à le persuader. C’est pourquoi il s’élança, furieux, hors de la curie, et prononça devant le peuple un discours hostile au Sénat ; puis il démissionna de sa charge”.
16On a donc ici la trace de deux discours de Valérius (l’un au Sénat, l’autre devant la plèbe), qui figuraient chez Dion mais dont Zonaras n’a pas résumé le contenu : il se borne à signaler que le discours au Sénat n’eut pas l’effet escompté (οὐκ ἔσχε ταύτην πειθήνιον) et qu’ensuite, devant le peuple, Valérius parla contre le Sénat (κατὰ τῆς βουλῆς). Les Extraits constantiniens n’apportent rien de plus : le seul extrait conservé pour cet épisode, qui provient du De sententiis55, évoque uniquement la conséquence de la démission de Valérius, c’est-à-dire la révolte de la plèbe et sa retraite sur le mont Sacré. Qu’en est-il dans les sources parallèles? Tite-Live (2.31.9-10) rapporte (au style direct) un seul discours de Valérius, au Sénat, alors que Denys, comme Dion, fait prononcer deux discours au dictateur démocrate : le premier, au Sénat, est narrativisé (6.43.2), alors que le second, nettement plus long, est rapporté au style direct (6.43.3-44.3). La disparition totale des deux discours chez Dion ne permet pas de pousser plus avant la comparaison avec Denys, mais le premier semble ici marcher dans les pas du second.
17Nous sommes tentée d’avancer la même hypothèse à propos de l’histoire de Coriolan. Son traitement chez Plutarque doit beaucoup à Denys, comme cela a déjà été souligné56, et Dion, dans les fragments conservés du livre 557, utilise pour caractériser cette figure ambiguë le même vocabulaire (ἀνδρεία, θυµός, ὀργή, παρρησία) que ces deux auteurs58. S’agissant des parties rhétoriques, et en particulier de l’ambassade des femmes romaines menées par Véturie, la mère de Coriolan, et Volumnia son épouse, le contraste est frappant entre le mutisme de Coriolan chez Tite-Live59 (seule Véturie s’exprime et Coriolan se borne à “embrasser les siens et à les renvoyer”) et la réponse (identique) qu’il fait à sa mère chez Denys60, chez Plutarque61 et chez Dion62. Cependant, si l’écart entre Dion et Tite-Live est patent, il serait imprudent de conclure à une filiation directe Denys-Dion, d’autant plus que chez Denys le dialogue entre Coriolan et sa mère ne donne pas lieu à deux tirades mais à quatre63. En réalité c’est de Plutarque que Dion semble ici le plus proche du point de vue de la composition rhétorique et de l’alternance récit-discours, mais nous parlons d’un Dion réduit à l’état de maigres fragments qui ne reflètent que partiellement le texte d’origine, lequel se caractérisait peut-être par une amplification rhétorique à la mesure de celle qu’on trouve chez Denys pour cet épisode.
18Ce type d’analyse comparative pourrait être menée sur d’autres exemples encore : le fameux discours de Menenius Agrippa à la plèbe (apologue de l’estomac et des membres), dont Dion, transmis par Zonaras (7.14.8-9) et l’extrait 27 du De sententiis (C.D. fr. 17.10-11), donne une version plus proche de celle de Denys (6.86) que de Tite-Live (2.32) ; l’échange de lettres entre Pyrrhus et Laevinus qui n’est attesté, en dehors de Dion (Zonar. 8.3.4-5 uniquement), que par Denys (19.9-10) et par Plutarque (Pyrrh., 16.4-5, qui parle cependant de hérauts et non de lettres), mais le texte correspondant chez Tite-Live est perdu, ce qui fragilise la comparaison64.
19Cette enquête a d’évidentes limites, à commencer par le faible nombre de passages où la confrontation du texte de l’Histoire romaine avec les Antiquités romaines et avec Tite-Live est possible et l’ignorance où nous sommes, le plus souvent, des autres sources compilées par Dion. Mais elle tend néanmoins, pensons-nous, à accréditer l’idée d’une imitation rhétorique de Denys par Dion, qui constituerait un aspect, jusque-là sous-évalué, du rapport complexe, fait d’émulation et de mise à distance, que l’historien sévérien entretenait avec Tite-Live65. Souligner cette parenté formelle entre les deux historiens grecs n’exclut pas pour autant la possibilité que Dion ait aussi utilisé Denys comme source historiographique et comme modèle interprétatif, comme nous l’avons vu avec les fragments relatifs à l’élection de Servius Tullius et au passage de la royauté à la République. Car, comme l’écrivait J. Bompaire, toute µίµησις n’est-elle pas “une imitation technique au service d’une similitude de pensée” ?66
20Au delà de ces rapprochements parfois fragiles, c’est la question du rapport de Dion à la rhétorique comme partie intégrante de la narration historique qui est posée. La notion d’imitation n’en épuise certainement pas toute la richesse et la complexité car Dion a aussi été un grand créateur dans ce domaine, comme l’attestent par exemple (pour la période tardo-républicaine) la consolation de Philiscos à Cicéron (livre 38)67, les discours antilogiques de Cicéron et Calénus (livres 45-46)68 et, bien évidemment, le débat entre Agrippa et Mécène (livre 52)69. Il a également observé l’une des règles fondamentales du genre historique, théorisée notamment par Denys70, l’alternance entre récit et discours : bien que nous n’ayons conservé aucune déclaration de Dion à ce sujet, la structure même des livres 36-60 (que nous avons tenté de mettre en évidence dans le tableau donné en annexe), où des séquences discursives intenses sont suivies de longues plages narratives, prouve que Dion était conscient de cette problématique et de ses enjeux. C’est dire si nous avons encore beaucoup à découvrir sur une facette de sa personnalité : la réhabilitation du Dio rhetoricus, complémentaire du Dio historicus, ne fait que commencer.
Annexe : l’alternance récit-discours dans les livres conservés de l’Histoire romaine
livres de l’HR | nature des discours | place des discours | part relative des discours |
livre 36 | débats au Sénat sur les pouvoirs de Pompée | c. 25-26 c. 27-29 c. 31-36 | 11 chapitres sur 54 (20%) |
livre 37 | pas de discours | 58 chapitres | |
livre 38 | -dialogue Cicéron-Philiscos -harangue de César à Vesontio | c. 18-29 c. 36-46 | 23 chapitres sur 50 (50%) |
livres 39-40 | pas de discours | 65 + 66 chapitres | |
livre 41 | discours de César aux mutins à Plaisance | c. 27-35 | 9 chapitres sur 63 (15%) |
livre 42 | pas de discours | 58 chapitres | |
livre 43 | discours de César au Sénat | c. 15-18 | 4 chapitres sur 51 (8%) |
livre 44 | -discours de Cicéron au Sénat -oraison funèbre de César par Antoine | c. 23-33 c. 36-49 | 25 chapitres sur 53 (50%) |
livre 45 livre 46 | -discours de Cicéron au Sénat contre Antoine -réponse de Calénus | c. 18-47 c. 1-28 | 30 chapitres sur 47 (66%) + 28 sur 56 (50%) |
livre 47-49 | pas de discours | 49 + 54 + 44 = 147 chapitres | |
livre 50 | -harangue d’Antoine -harangue d’Octavien avant Actium | c. 16-22 c. 24-30 | 7 + 7 = 14 sur 35 (45%) |
livre 51 | pas de discours | 27 chapitres | |
livre 52 | débat entre Agrippa et Mécène | c. 2-13 : Agrippa c. 14-40 : Mécène | 12 + 27 = 39 sur 43 (95%) |
livre 53 | discours d’Octavien au Sénat | c. 3-10 | 8 sur 33 (25%) |
livre 54 | pas de discours | 36 chapitres | |
livre 55 | dialogue Auguste-Livie | c. 14-21 | 8 sur 34 (25%) |
livre 56 | -discours d’Auguste au Sénat -oraison funèbre d’Auguste par Tibère | c. 2-9 c. 35-41 | 8 + 7 sur 47 (35%) |
livres 57-60 | pas de discours | 24+ 28+30 +35 = 117 |
21Parties narratives en blanc /parties oratoires en gris (par nombre de chapitres)
11 | 93 | 23 | 161 | 9 | 100 | 4 | 57 | 25 | 21 | 58 | 190 | 14 | 33 | 47 | 72 | 8 | 14 | 8 | 25 | 17 | 123 |
36, 25 ––– 38,17 | 38,18 ––– 41, 26 | 41, 27 ––– 43, 14 | 43,15 ––– 44, 22 | 44, 23 ––– 45, 17 | 45, 18 ––– 50, 15 | 50, 16 ––– 52, 1 | 52, 2 ––– 55, 13 | 55, 14 ––– 56, 1 | 56, 2 –– 56, 34 | 56, 35 –– fin du livre 60 |
Notes de bas de page
1 Schwartz 1899.
2 L’idée remonte au moins à Phot., Bibl., 71 : ἐν δέ γε ταῖς δηµηγορίαις, ἄριστος καὶ µιµητὴς Θουκυδίδου, πλὴν εἴ τι πρὸς τὸ σαφέστερον ἀφορᾷ. Σχεδὸν δὲ κἂν τοῖς ἄλλοις Θουκυδίδης ἐστὶν αὐτῷ ὁ κανών. Sur Dion et Thucydide, on se reportera notamment à Litsch 1893 et en dernier lieu à Bertrand 2010 (avec la bibliographie).
3 Voir notamment : Manuwald 1979 pour la période postérieure aux guerres civiles ; Lintott 1997 pour la fin de la République en général ; Urso 2011 et Urso 2013a pour la fin de la période royale et les premiers siècles de la République ; Bleckmann 2002 et Zecchini 2002, pour les guerres puniques.
4 Zecchini 1983 ; Lintott 1997 ; Kuhn-Chen 2002 ; Lachenaud 2003 ; voir aussi la contribution de
G. Lachenaud dans ce volume.
5 Lucarini 2003.
6 Gotteland 2015.
7 Polybe : Vulic 1929 ; Bleckmann 2002 ; Simons 2009 ; Urso 2013a ; Appien : Freyburger & Roddaz 1994 ; Plutarque : Monaco 1980 ; Moscovich 1990 ; Hillmann 1996 ; Martinelli 2000.
8 Voir notamment Gabba 1959 ; Swain 1996, Ameling 1997 ; Whitmarsh 2001.
9 Questa 1957.
10 Kemezis 2014, 92 : “Dio adopts a series of Roman historiographical traditions, including annalistic form and a senatorial narrative persona more generally, that had seemingly be defunct since Tacitus’ time. He then transfers those from a Latin to a Greek idiom and combines them with non-narrative devices such as political-theoretical excursuses and quasi-philosophical debates”.
11 Sur cette question on se reportera à la synthèse de Pernot 1993, spécialement tome I. Histoire et technique, qui dresse un tableau complet de la rhétorique gréco-romaine et du rôle central que joue la notion d’imitation dans cette formation.
12 Bompaire 1958, 33-43.
13 Quint, Inst., 10.1.59 ; 10.2.
14 D.H., L’imitation, epit. 1.2.
15 Zecchini 1989 passe en revue les historiens cités de première main par Athénée et ceux qu’il écarte délibérément ou qui ne sont déjà plus accessibles à son époque.
16 Nous remercions M. Coudry de nous avoir suggéré ce rapprochement. Sur les pratiques lettrées documentées par les Deipnosophistes, voir Jacob 2013, spéc. 71-75.
17 Sur le bilinguisme de Dion, voir notamment Aalders 1986, 283.
18 C.D. fr. 1.2. Le texte de ce passage, transmis par les Extraits constantiniens de sententiis, est lacunaire en son début : <…> πάντα ὡς εἰπεῖν τὰ περὶ αὐτῶν τισι γεγραµµένα, συνέγραψα δὲ οὐ πάντα ἀλλ’ ὅσα ἐξέκρινα. Bekker, suivi par Boissevain, a ajouté ἀνέγνων (“j’ai lu”) tandis que Millar 1964, 33-34, a proposé συνέλεξα (“j’ai rassemblé”), d’après un fragment du livre 73[72] (73[72].23.5) qui établit une distinction entre le rassemblement de la documentation (συνέλεξα) et la rédaction de l’œuvre (συνέγραψα) : συνέλεξα δὲ πάντα τὰ ἀπ’ ἀρχῆς τοῖς Ῥωµαίοις µέχρι τῆς Σεουήρου µεταλλαγῆς πραχθέντα ἐν ἔτεσι δέκα, καὶ συνέγραψα ἐν ἄλλοις δώδεκα· τὰ γὰρ λοιπά, ὅπου ἂν καὶ προχωρήσῃ, γεγράψεται. Si la conjecture de Millar nous paraît être la meilleure, elle ne change rien sur le fond car Dion a nécessairement lu – ou au moins parcouru – les textes rassemblés.
19 En témoignent notamment : Quintilien, qui se réfère plusieurs fois à Denys (Inst., 3.11.16 ; 9.3.89 ; et 9.4.88) ; le lexique d’Harpocration (E 51) ; le P Oxy. 853 (P.Cairo inv. JE 47408) daté de 150 environ p.C., qui contient un passage de son Sur Thucydide ; l’Art du discours politique (la τέχνη τοῦ πολιτικοῦ λόγου), transmis par l’Anonyme de Séguier et daté de la première moitié du iiie s. p.C. (Patillon 2005, xvii, 48) et le succès du traité Περί συνθέσεως ὀνοµάτων (De compositione uerborum ou Composition stylistique) dont la doctrine est restée bien vivante pendant tout l’Empire et à Byzance (Aujac 1975, 9-12).
20 Str. 14.2.16.656 le mentionne parmi les natifs célèbres d’Halicarnasse (καὶ καθ’ ἡµᾶς Διονύσιος ὁ συγγραφεύς).
21 Delcourt 2005, 120-121.
22 Plu., Rom., 16.8 ; Cor., 41.4 ; Pyrrh., 17.7 ; 21.13. Sur les relations entre Plutarque et Denys, voir spéc. Gabba 1991, 213-214 ; Russell 1963 ; Pelling 2002, 387-411 (pour la Vie de Coriolan). Denys, cependant, n’est pas la seule source utilisée par Plutarque pour ces Vies.
23 Le P.Oxy. 4946 contient une partie des chapitres 77 et 78 du livre 4 : il s’agit du début du long discours (4.77-83) que Brutus (après le viol et le suicide de Lucrèce) adresse au peuple romain réuni en assemblée, pour lui demander de sanctionner par un vote l’expulsion des Tarquins et l’instauration d’une nouvelle magistrature (le consulat). Selon l’éditeur (Obbink 2009), le papyrus devait contenir l’ensemble du livre 4 et non pas seulement une sélection de discours.
24 Fromentin 1998, xii-xxii ; Delcourt 2005, 21-38.
25 L’histoire de Tite-Live a fait l’objet d’une publication échelonnée, avec très probablement une première édition partielle (des trois premiers livres) dès 33-31 a.C (voir Burton 2008 ; Burton 2000, 444, avec discussion des thèses antérieures ; et déjà Bayet, in : Bayet & Baillet 1940, xviii-xxii).
26 Denys date lui-même la publication du premier livre des Antiquités romaines de 7 a.C. (1.3.4 ; 1.7.2).
27 Liv. 1.8.6. L’idéologie augustéenne mettait l’accent, dans l’ethnogenèse romaine, non pas sur les influences grecques mais sur les divers apports italiques : par ex., Virgile, dans son Énéide, présente les Troyens comme un peuple italien et l’arrivée d’Enée au Latium comme un retour à la terre d’origine (Gabba 1991, 11 sq. ; Fromentin 1998, 4-5).
28 Musti 1970.
29 Delcourt 2005, 255-269.
30 D.H. 4.4-7 ; Delcourt 2005, 350.
31 Delcourt 2005, 335-336.
32 Delcourt 2005, 345-354.
33 Fromentin 2008, 68-70.
34 D.H., Th., 11.1 ; 13.3 ; 20.
35 Comme Zecchini 1979, 86 l’a fait pour Dion ; voir aussi Urso 2013a.
36 D.H. 1.4-5 ; Fromentin 1998, xxix-xxxi ; Briquel 1997, 117-152.
37 Briquel 1989.
38 Le livre 10 de Tite-Live s’arrête en 293 a.C.
39 D. Briquel, dans ce volume, p. 134-135.
40 Urso 2005, 15-26 ; Urso 2011.
41 Zonar. 7.19.1 : οἱ δ’ ὕπατοι (τότε γὰρ λέγεται πρῶτον ὑπάτους αὐτοὺς προσαγορευθῆναι, στρατηγοὺς καλουµένους τὸ πρότερον· ἦσαν δὲ Οὐαλέριος καὶ Ὁράτιος)… (“Les consuls – c’est à ce moment-là en effet qu’ils furent pour la première fois désignés du nom de ‘consuls’ car auparavant on les appelaient ‘préteurs’ ; il s’agissait de Valérius et Horatius – …”).
42 C.D. fr. 12.3a (ES 17) : πᾶσαι µὲν γὰρ µεταβολαὶ σφαλερώταταί εἰσι, µάλιστα δὲ αἱ ἐν ταῖς πολιτείαις πλεῖστα δὴ καὶ µέγιστα καὶ ἰδιώτας καὶ πόλεις βλάπτουσι· διὸ οἱ νοῦν ἔχοντες ἐν τοῖς αὐτοῖς ἀεί, κἂν µὴ βέλτιστα ᾖ, ἀξιοῦσιν ἐµµένειν ἢ µεταλαµβάνοντες ἄλλοτε ἄλλα ἀεὶ πλανᾶσθαι.
43 C.D. fr. 12.9 (ES 19) : ὅτι τὸ τῆς βασιλείας πρᾶγµα οὐκ ἀρετῆς µόνον ἀλλὰ καὶ ἐπιστήµης καὶ συνηθείας, εἴπερ τι ἄλλο, πολλῆς δεῖται, καὶ οὐχ οἷόν τέ ἐστιν ἄνευ ἐκείνων ἁψάµενόν τινα σωφρονῆσαι· πολλοὶ γοῦν ὥσπερ ἐς ὕψος τι µέγα παρὰ λόγον ἀρθέντες οὐκ ἤνεγκαν τὴν µετεώρισιν, ἀλλ’ αὐτοί τε καταπεσόντες ὑπ’ ἐκπλήξεως ἔπταισαν καὶ τὰ τῶν ἀρχοµένων πάντα συνηλόησαν.
44 Hdt. 3.80-82 et spéc. le discours d’Otanès.
45 “Quel régime politique instituerons-nous après nous être débarrassés du tyran ?” (D.H. 4.72.1).
46 C’est d’ailleurs pourquoi Brutus propose de “ne pas instituer un nouveau régime pour le moment”, mais de “corriger” les défauts inhérents aux monarchies et qui font qu’elles dégénèrent en tyrannies. Cette correction consiste à changer le nom du régime et à transférer le pouvoir royal à une magistrature collégiale et annuelle, le consulat (D.H. 4.73.3-74.4).
47 Tite-Live n’évoque pas du tout ces aspects institutionnels au livre 1 et ne les aborde que très brièvement au début du livre 2.
48 À Rome, les rois sont élus selon une procédure immuable, qui aurait été mise en place après la mort de Romulus, que les sources évoquent à chaque changement de règne et dont Denys (4.40.2) fournit une description précise.
49 C’est-à-dire que c’est le seul vote du peuple (sans avis préalable du Sénat) qui confère à Servius Tullius la totalité du pouvoir suprême (voir supra n. 48).
50 Chez Tite-Live (1.41.6), à l’inverse, Servius fut “le premier qui devint roi sans être choisi par le peuple et avec le seul consentement du Sénat” (primus iniussu populi, uoluntate patrum regnauit).
51 Gabba 1961 ; Thomsen 1980, 9-26.
52 D.H. 4.10.6.
53 D.H. 4.12. Denys révèle in fine que le plébiscite fut moins spontané et moins improvisé qu’il n’y parut : ceux qui, après le discours de Servius, réclamèrent à grands cris qu’on le fît roi, étaient en réalité “des gens qui sur ses ordres, avaient quadrillé le Forum” (4.12.1).
54 Sur ces discours disparus, dont Zonaras est le seul à témoigner, voir Fromentin 2016b.
55 C.D. fr. 17.6 (ES 26).
56 Freyburger 2001; Pelling 2002 (voir supra, n. 22).
57 C.D. fr. 18.8-12 (ES 33) ; Zonar. 7.16.8-10.
58 Freyburger 2001.
59 Liv. 2.40.
60 D.H. 8.46-53
61 Plu., Cor., 36.5.
62 C.D. fr. 18.11 (ES 33) ; Zonar. 7.16.9-10.
63 Le premier discours de Coriolan est en D.H. 8.47.
64 Pittia 2002a, 284-286, 333-334.
65 Sur “l’émulation rhétorique” entre Dion et Tite-Live, voir la contribution de M. de Franchis dans ce volume.
66 Bompaire 1958, 65.
67 Même si la littérature de consolation fait florès pendant la Seconde Sophistique, le discours de Philiscos est une invention originale en ce qu’elle puise sa matière dans les écrits de Cicéron lui-même et constitue un hommage probable de l’historien à son contemporain, le rhéteur thessalien Philiscos qui fréquentait comme lui le cercle de l’impératrice Julia Domna (Lachenaud & Coudry 2011).
68 Cicéron et Calénus se sont bel et bien affrontés à ce moment-là (janvier 43 a.C.) sur la conduite à tenir face à Antoine. Appien, quant à lui, rapporte un débat entre Cicéron et un partisan de la paix, L. Calpurnius Pison (BC, 3.52.213-53.220 ; 3.54.222-60.248) et ce débat, devenu fameux, a donné lieu à des exercices d’école. Mais ce qui fait l’originalité de Dion, c’est la synthèse de la matière des Philippiques (2, 3 et 5) et le transfert en grec de l’éloquence cicéronienne (Fromentin & Bertrand 2008 ; Gotteland 2015).
69 Voir en dernier lieu, M. Bellissime, “Fiction et rhétorique dans les prosopopées de l’Histoire romaine”, dans ce volume.
70 Fromentin 1998, xxxvii-xlv.
Auteur
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