Introduction
p. 17-40
Texte intégral
1L’étude des nécropoles nous renseigne non seulement sur les coutumes des populations anciennes face à la mort, mais aussi et surtout sur ce que chaque société a bien voulu montrer à propos d’elle-même à ses membres et aux autres communautés, à travers des choix et des stratégies, motivés par des raisons pratiques, des facteurs sociaux et culturels. Pour faire face à ce bouleversement et “faire du cadavre un mort”1, est mis en place un ensemble de mesures spécifiques depuis le traitement du corps jusqu’à sa commémoration, sur la base d’héritages et de traditions, perpétués ou rejetés, ajustés ou modifiés au cours du temps.
2Alors qu’au début de l’âge du Fer, de nombreuses régions de la Grèce méridionale adoptent la tombe individuelle2, le nord se distingue par l’utilisation très répandue du tumulus collectif, comme en témoigne la fouille, dans les années 1950, de l’exceptionnelle nécropole de Vergina, dont les centaines de tertres ont façonné l’image d’un “Nord” homogène et lointain à une époque où les connaissances sur les rites funéraire de l’âge du Fer étaient limitées.
3Si le concept de “Dark Ages” a été abandonné pour la Grèce égéenne du début de l’âge du Fer, la Macédoine est restée plus longtemps à l’écart des recherches archéologiques. Toutefois, depuis quelques dizaines d’années, les découvertes de nécropoles de l’âge du Fer abondent et apportent un regard renouvelé sur cette région. Les ensembles tumulaires sont certes nombreux, mais ils ne constituent pas la seule forme d’organisation possible des espaces funéraires, comme en témoignent les vastes nécropoles planes aux rituels variés découvertes dans la région de Thessalonique, les nombreuses tombes collectives à l’architecture originale identifiées dans les confins de l’Almopie. C’est toute une mosaïque de rituels qui apparaît et révèle une région aux multiples facettes entre les Balkans et l’Égée.
Les cadres de l’étude
Cadres chronologiques et géographiques
4L’âge du Fer dans le nord de la Grèce se déploie du xie siècle3 jusqu’au viiie siècle pour certaines régions, jusqu’au viie siècle pour d’autres4. En effet, les dernières phases sont marquées par deux phénomènes historiques majeurs, la seconde vague de colonisation grecque5, ainsi que la formation et l’expansion du royaume macédonien6 qui entraînent des transformations profondes et constituent un tournant vers l’époque archaïque. Aujourd’hui, le nord de la Grèce comprend plusieurs régions ou périphéries7. D’ouest en est, il y a l’Épire, la Macédoine-Occidentale, la Macédoine-Centrale, la Macédoine-Orientale-et-Thrace. Pour le début de l’âge du Fer, le terme Macédoine ne désigne aucune entité géographique ou politique. Dans l’Antiquité, il désigne avant tout la terre des Macédoniens8. Ses limites évoluent donc au fur et à mesure de la conquête du royaume, qui, au vie siècle, s’étend depuis la Piérie à la plaine d’Émathie, puis de la Haute Macédoine jusqu’au Strymon à l’époque de Thucydide. Sous Philippe II, la Macédoine comprend toute la partie occidentale au-delà des Lacs Prespa à l’ouest, jusqu’au Mont Pangée à l’est (fig. 1). Avant et durant les premiers temps de la conquête, le nord de la Grèce est occupé par des écheveaux complexes de peuples, dont les noms nous ont été transmis par les auteurs classiques : les Pières, les Bottiéens, les Péoniens, les Lyncestes, les Élimiotes, etc9. Par ailleurs, la Chalcidique et la Piérie, considérées dans les textes comme thraces10, ont leur propre histoire liée à la colonisation grecque. Les sources historiques datent les premières fondations de la fin du viiie siècle : Méthonè en Piérie11, Mendè en Chalcidique12 et Dikaia par les Érétriens13, pour ne citer que les établissements pour lesquels les sources littéraires sont les moins équivoques. Toutefois, la présence grecque est attestée bien avant pour certains établissements, notamment Mendè et Toronè, témoignant alors d’une première vague d’installations entre le xiie et le xie siècle14.
5Au vu de cette histoire complexe, l’étude des pratiques funéraires pour le nord de la Grèce ne pouvant se fonder sur une réalité historique encore difficile à appréhender pour ces périodes reculées, il semblait alors préférable de partir des données de terrain afin de saisir toute la diversité des rituels sur une vaste région, en évitant l’écueil de la “quête des origines”15. Nous utiliserons toutefois le terme Macédoine par convenance pour désigner notre zone d’étude située dans ces périphéries administratives actuelles de la Grèce.
6À l’image de la géographie de cette région située entre les Balkans et l’Égée, les pratiques funéraires très diverses, comme nous le verrons, débordent souvent des limites politiques actuelles. Citons par exemple les tumuli funéraires qui se développent massivement au début de l’âge du Fer tant dans le nord de la Grèce, qu’en Albanie ou en ARYM. Nous avons choisi de concentrer nos recherches sur les données publiées pour la Grèce, du Pinde aux premières montagnes des Rhodopes occidentaux. Néanmoins, gardant à l’esprit cette composante essentielle, nous ferons régulièrement des excursus dans les régions et les pays limitrophes.
Du Pinde aux Rhodopes : des milieux naturels variés
7La Macédoine se compose de différents milieux naturels, qui se définissent par des chaînes de montagnes, des plaines et des fleuves (fig. 2). L’ouest est bordé par la grande chaîne du Pinde qui la sépare de l’Épire et de l’Albanie. Au sud, elle est bordée par les monts Cambouniens et l’Olympe, séparés au sud du mont Ossa en Thessalie par l’étroit passage du Tempé de la vallée du fleuve Pénée. Au nord, la chaîne du Voras (ancien Barnous) marque la frontière avec l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, tout comme le mont Kerkini qui marque également la frontière avec la Bulgarie.
8À l’intérieur de cet ensemble, la grande plaine de Macédoine Centrale est bordée au sud par les monts Piériens, au sud-ouest par le mont Vermion (ancien Bermion), au nord par le mont Païkon et à l’est par le mont Kroussia (ancien Dysoros) et le mont Chortiatis (ancien Kissos). En Chalcidique, les monts Cholomons barrent la péninsule qui se développe au sud en trois promontoires, Kassandra (ancienne Pallène), Sithonia, et Agios Oros (ancienne Aktè) dominée par le mont Athos. Au nord-est, les Rhodopes forment une immense chaîne de montagne interrompue au sud par la plaine de Drama. Le mont Pangée domine la région côtière. Ces reliefs sont traversés par six fleuves majeurs. L’Haliakmon, qui prend sa source dans le Pinde, forme une boucle au sud-ouest des monts Cambouniens, sépare le mont Vermion des monts Piériens pour se jeter dans le Golfe Thermaïque. Le fleuve Axios est le second fleuve le plus important. Il prend sa source au nord-ouest de l’ARYM, traverse le passage de la “porte de fer” (Demir Kapija) avant d’entrer en Grèce et de se jeter dans le Golfe Thermaïque. À l’est, le fleuve Gallikos (ancien Echédoros), qui prend sa source dans le mont Kroussia suit parallèlement l’Axios et se jette également dans le golfe. La partie orientale de la Macédoine est traversée par le fleuve Strymon, qui prend sa source en Bulgarie pour se jeter dans le Golfe Strymonique. Un dernier fleuve, que nous n’avons pas mentionné, est l’Almopaios connu sous le nom de Moglenitsa (ancien Loudias). Il prend sa source dans le mont Voras, traverse le bassin d’Aridaia et se jette dans la plaine de Macédoine. Toutefois son tracé à l’entrée de la plaine a fortement été modifié depuis l’Antiquité et notamment au cours du xxe siècle.
9En effet, la physionomie de la région telle qu’on la connaît aujourd’hui n’est pas celle du début du xxe siècle et encore moins celle de l’Antiquité, en raison de la montée du niveau marin, de l’alluvionnement important généré par les nombreux fleuves et des travaux d’assèchement et de canalisation entrepris au siècle dernier (fig. 3). La ligne de côte s’enfonçait bien plus dans les terres qu’elle ne l’est aujourd’hui. Selon les travaux de M. Ghilardi16, dès le Ve millénaire et surtout à partir du IVe millénaire, le trait de côte n’a cessé de se déplacer vers l’est, par le comblement progressif du Golfe Thermaïque, en formant un lac et des lagunes au pied de la future Pella. Durant les siècles qui suivirent, ces systèmes complexes se sont progressivement contractés, jusqu’aux premières décennies du xxe siècle, durant lesquelles les aménagements hydrauliques asséchèrent une grande partie des zones marécageuses. Le tracé du Loudias en fut modifié et canalisé.
10L’Axios n’avait pas la même physionomie comme l’ont montré les recherches faites autour de la Toumba Kastanas (fig. 4). Autour de 4000 avant notre ère, l’estuaire s’enfonçait à une quinzaine de kilomètres de Polykastro. Au ve siècle, il se trouvait au niveau de Kouphalia. La Toumba Kastanas était un îlot à l’embouchure du fleuve et Axiochori [66]17 (ou Toumba Vardaroftsa) constituait le point le plus haut d’une péninsule, au centre des autres établissements majeurs de la région18. Au nord-est, au début du xxe siècle il y avait encore deux lacs, Amatovo et Artzan (asséchés aujourd’hui), au nord desquels se trouvent la Toumba et la nécropole de l’âge du Fer de Chauchitsa [62].
L’histoire des découvertes archéologiques
11La recherche préhistorique en Macédoine n’a finalement qu’une centaine d’années (fig. 5). Bien que les voyageurs du xixe siècle aient considérablement enrichi nos connaissances sur la région, ce n’est qu’à la Première Guerre mondiale que l’archéologie préhistorique s’amorce réellement. C’est durant cette période de tumultes que les premières nécropoles de l’âge du Fer sont fouillées et publiées. Quelques décennies plus tard la fouille de la nécropole de Vergina [75] dans les années 1950, ainsi que sa publication en 1969, documentent pour la première fois de manière détaillée un immense ensemble funéraire tout à fait inédit. Toutefois, ce sont les quelques dernières décennies qui ont suffi à radicalement transformer l’image de cette région.
Les premières expéditions en Macédoine
12Dès le xvie, apparaissent les premiers récits de voyageurs en Macédoine19, toutefois c’est à partir de la deuxième moitié du xixe siècle que l’archéologie prend une place significative dans ces expéditions. Ces récits de voyages nous apportent peu d’information sur les vestiges de la période qui nous concerne. Les “temps reculés” ne sont le plus souvent abordés que sous l’angle de la généalogie mythique des peuples mentionnés dans les sources anciennes, ou sous celui de la géographie historique (E.-M. Cousinéry, 1747-1833)20. W. M. Leake (1777-1860), officier britannique et topographe, envoyé durant sa carrière militaire dans de nombreuses régions de l’Empire Ottoman, se passionne pour la topographie antique, identifie entre autres les cités de Mendè et de Toronè et note l’existence de quelques tertres dans la région de Piérie, près de Pella et en Thessalie21. Au milieu du xixe siècle, s’opère un changement significatif dans l’approche qu’ont les explorateurs de la région. Les deux ouvrages fondamentaux de L. Heuzey, Le mont Olympe et l’Acarnanie (1860) et Mission archéologique de Macédoine (1876), seront les points de départ de toute recherche scientifique en Macédoine au début du xxe siècle22. Lors de son expédition de 1861 à Vergina (alors nommé Palatitsia), durant laquelle il identifie le palais d’Aigai sans le savoir, il remarque alors peut-être les nombreux tumuli, lorsqu’il décrit que “la campagne environnante est couverte d’une quantité innombrable de petites buttes de toutes les formes. Les habitants prétendent qu’une bataille s’est donnée en cet endroit, et que tous ces tertres sont des tombeaux ; mais, quand on enlève la terre, on trouve partout des fondations de murs (…) Ce sont les traces d’une ville (…)”23. Les descriptions de paysages rencontrés lors de leurs pérégrinations constituent des informations précieuses, notamment pour la grande plaine de Macédoine profondément modifiée au cours des siècles.
13La première fouille d’une nécropole de l’âge du Fer est celle d’Agios Pantéléïmon, dite “Pateli” [2], sur la rive occidentale du Lac Vegoritis à la fin du xixe siècle. Elle est explorée par une équipe du Service Archéologique Russe de Constantinople à la suite de la construction d’une portion de chemin de fer. Malgré les 376 tombes exhumées et les centaines d’objets récupérés, il n’existe que deux très courts rapports en russe publiés au début du xxe siècle24 ; le mobilier est en partie au musée d’Istanbul ou perdu et il faudra attendre les années 1930, pour avoir des comptes-rendus plus accessibles25.
De la Première Guerre mondiale à aujourd’hui
14La grande majorité des nécropoles a été découverte dans le cadre de fouilles préventives. La seule fouille programmée d’un ensemble funéraire de l’âge du Fer est celle de Toronè [101] en Chalcidique – les fouilles universitaires se concentrent plutôt sur les habitats pré- et protohistoriques. Parmi les fouilles préventives on peut distinguer les opérations de sauvetage ponctuelles, liées à des découvertes fortuites, des travaux de voiries, etc., les opérations récurrentes dans le cas de vestiges situés sous des villes actuelles, et, enfin, les fouilles entraînant des programmes de recherches systématiques dans le cadre de grands travaux publics importants. Ces différents types d’opérations, en relation avec l’époque où elles ont été menées, ont une influence sur la qualité des investigations, du suivi des recherches, et des publications.
15Sur un siècle environ, nous pouvons dégager trois grands moments clés pour nos connaissances sur les pratiques funéraires de l’âge du Fer. Le premier correspond aux fouilles des nécropoles d’Axioupoli [64] et de Chauchitsa [62] par les Français et les Britanniques entre 1918 et 1922. Le deuxième moment est marqué par les fouilles de M. Andronikos puis de P. Petsas à Vergina [75] dans les années 1950 et au début des années 1960. À partir des années 1980, le nombre de fouilles et de découvertes augmente considérablement. Ces années et les suivantes sont également marquées par de grands travaux publics qui vont entraîner des opérations de sauvetage sans précédents en Macédoine.
16En 1912, l’année des Guerres Balkaniques et de la libération de la Macédoine, est créée l’Éphorie des Antiquités de Thessalonique. En 1914, la situation locale s’aggrave avec l’éclatement de la Première Guerre mondiale et les alliés envoient des milliers de soldats à Thessalonique, qui devient un vrai camp retranché. Grâce aux travaux des explorateurs de la fin du xixe siècle, les institutions françaises ont conscience des richesses archéologiques de la Macédoine et fondent le Service Archéologique de l’Armée d’Orient. Les Britanniques font de même de leur côté avec l’appui de l’École Britannique d’Athènes. En effet, pendant que les troupes sont sur le front de nombreuses découvertes sont faites, notamment lorsque les soldats installent des bases de tir sur les tells (localement appelées toumbes et trapezes – collines artificielles constituées au fil des siècles par l’accumulation des couches d’occupation). Dans ce cadre-là de nombreux habitats et deux nécropoles de l’âge du Fer sont fouillés : Chauchitsa [62], sous la direction de S. Casson, et Axioupoli [64] où L. Rey centralise les données issues de la fouille26.
17Même si, durant l’entre-deux guerres, les recherches se poursuivent27 et quelques nécropoles sont découvertes à la fin des années 1930 et 1940, comme à Kozani-Rue Philippou [21], à l’ouest de Dion [86], à Kountouriotissa [85], ce n’est que dans les années 1950 qu’on observe un tournant décisif avec la découverte de la nécropole protohistorique de Vergina [75]. La fouille de plus d’une quarantaine de tertres va fournir un matériel abondant qui sert encore de cadre de référence aujourd’hui.
18À partir de la fin des années 1970, et surtout pendant les années 1980, le nombre de fouilles augmente considérablement à cause du développement de l’agriculture intensive, des aménagements urbains, et des grands travaux publics entraînés par l’entrée de la Grèce dans l’Union Européenne. Par ailleurs, la fouille du Grand Tumulus royal de Vergina, la découverte de la tombe attribuée à Philippe II en 1977 et sa médiatisation ont attiré l’attention des chercheurs internationaux, qui était centrée sur les grandes découvertes de la Grèce méridionale28. La visibilité de l’archéologie en Macédoine va également prendre un nouvel essor en 1987 grâce au premier congrès annuel de l’AEMTh (Αρχαιολογικό έργο στην Μακεδονία και Θράκη) qui permet de présenter l’actualité scientifique annuelle des services archéologiques dont les publications ont largement contribué à l’élaboration de notre corpus.
19En Chalcidique, c’est durant cette décennie que les sites majeurs de l’âge du Fer ont été fouillés29. Les années 1980 marquent également le début des fouilles des nécropoles autour de l’ancienne Aiani, capitale des Élimiotes, identifiée aux vestiges découverts sur la colline de Megali Rachi30. Dans les champs alentours les labours entraînent de nombreuses petites fouilles qui permettent la mise au jour de plusieurs groupes de tombes de l’âge du Fer31, qui pourront être comparés avec ceux découverts sur l’autre rive du lac artificiel de Polyphyto32. En effet, à la suite de la construction d’un barrage sur le fleuve Haliakmon en 1974, une partie de la vallée est inondée. Les variations annuelles du niveau de l’eau mettent à nu et détruisent de nombreux vestiges. Dès 1985, le service archéologique grec lance un programme de recherches systématiques autour du lac artificiel, prévoyant, pendant les mois d’étiage, des prospections intensives sur les deux rives du lac, suivies par des fouilles de sauvetage pour les sites les plus en danger. En une vingtaine d’années, la carte archéologique pré- et protohistorique de la région s’est entièrement renouvelée33. Les recherches se poursuivent aujourd’hui au gré des fluctuations du niveau du lac34. Le même programme de sauvetage a été engagé en 2004, en amont du fleuve, suite à l’inondation d’une autre portion de la vallée, liée à la construction du deuxième grand barrage d’Ilariona35.
20À partir du milieu des années 1990, puis durant les années 2000, eurent lieu trois chantiers importants : l’autoroute Egnatia, la route nationale Patras-Thessalonique (ΠΑΘΕ), la voie ferrée Platamona-Thessalonique-Alexandroupolis. Les travaux de l’autoroute Egnatia, qui traverse l’Épire, le Pinde, la Macédoine Occidentale, les montagnes du Vermion le long de l’Haliakmon, la plaine de Thessalonique puis la Thrace, ont entraîné de nombreuses fouilles préventives, et permis la découverte de sites importants dans des régions reculées alors mal documentées, comme celui de Tzamala [68]36.
21Depuis une vingtaine d’années, la Piérie a vu ses fouilles augmenter considérablement. En effet, l’aménagement de la route nationale Patras-Thessalonique (ΠΑΘΕ), ainsi que la portion de voie de chemin de fer reliant Platamona à Thessalonique, a entraîné de nombreuses fouilles de sauvetage, qui ont permis de documenter les pratiques funéraires locales du Bronze Ancien à l’âge du Fer. De l’ancienne Hérakleion à l’ancienne Méthonè, c’est toute une région qui émerge. Au nord de Thessalonique, la portion de chemin de fer reliant Thessalonique à Alexandroupolis a entraîné la fouille d’une partie du site de Nea Philadelpheia [91], dont la nécropole de l’âge du Fer et ses plus de 2000 tombes datées entre le ixe et le viie siècle.
22Autour de Thessalonique, d’autres grands ensembles funéraires ont été découverts ces dernières années et sont d’ailleurs régulièrement en cours de fouille. Il s’agit de la nécropole de Stavroupoli-Polichni au pied de la trapeza de Lembet [94], de celle de la toumba-trapeza de Thessalonique [95], du grand ensemble funéraire de Nea Efkarpia [93], de celui d’Oraiokastro [92], et de celui de Thermi [96]. Toutes ces découvertes ont été faites dans le cadre de fouilles préventives. Ces “super” nécropoles alimentent nos connaissances sur les pratiques funéraires à l’âge du Fer en Macédoine, mais ont l’inconvénient de ne laisser que peu de répit aux archéologues pour se consacrer aux publications.
23En dehors des grands travaux, ce sont souvent les pillages destructeurs qui amènent les archéologues à faire des fouilles de sauvetage et des programmes systématiques de recherches et de prévention. C’est entre autres le cas pour l’ancienne Almopie (bassin d’Aridaia). Le potentiel archéologique de cette région est resté longtemps méconnu, les terrassements se sont faits sans diagnostic préalable et les nécropoles ont été la proie de nombreuses fouilles clandestines et de pillages pendant des années. Dans les années 1990, les archéologues du service de Pella font des sondages entre les villages de Neromyloi et Prodomos [48] et mettent au jour un type de monument inédit, la tombe collective à habitacle avec dromos, enchâssée dans un tertre fait de pierres37. D’autres opérations d’urgence sont menées et en une quinzaine d’années, c’est tout une région aux pratiques funéraires inédites qui émerge notamment avec les ensembles de Konstantia [49], d’Apsalos-Margarita Ampelia [51], de Nea Zoï-ΣΤ [52] et de Prophiti Ilias-Skliropetra [57].
24Cet aperçu historique des découvertes en Macédoine nous montre combien les opérations de terrain sont variées. La bibliographie disponible pour constituer notre corpus reflète cette hétérogénéité.
Une documentation hétérogène
Les types de publications disponibles
25Les informations concernant les nécropoles recensées proviennent pour la plupart de rapports préliminaires publiés dans les chroniques de fouilles, ou les actes de congrès régionaux ou internationaux. Ainsi, les publications portent souvent davantage sur la présentation des vestiges que sur une analyse de fond des ensembles funéraires en regard avec le reste de la Grèce et des Balkans à l’âge du Fer. Le catalogue des nécropoles fait par J. N. Corvisier pour sa thèse soutenue en 1987, constitue déjà un état des lieux de la recherche à cette époque-là38. Malgré tout, ces travaux sont anciens et les données se sont largement renouvelées depuis.
26Il n’y a actuellement que trois grandes monographies de nécropoles de l’âge du Fer : Vergina [75], Toronè [101] et Agrosykia [58]. C’est celle de Toronè [101], qui est la plus complète39. Le détail des fouilles, de la stratigraphie et du mobilier ainsi que les analyses des spécialistes (ostéologie, archéozoologie, botanique, pétrographie) sont intégrés et replacés dans un contexte plus large. La monographie de Vergina [75] publiée par M. Andronikos en 196940 est également une référence et doit probablement ses lacunes à l’ancienneté des fouilles (aucune étude anthropologique, archéozoologique ou archéobotanique). Les publications de K. Rhomiopoulou en 1989 et d’A. Bräuning et I. Kilian-Dirlmeier en 2013 permettent de compléter nos connaissances et à ce jour les tombes fouillées entre les années 1950 et 1970 sont publiées41. Toutefois, les fouilles restent anciennes et les données stratigraphiques ainsi que les analyses ostéologiques des quelques os conservés manquent cruellement. La publication des quelques tombes de l’ensemble fouillé à Agrosykia [58] est plus limitée, mais reste importante pour les comparaisons possibles avec les autres sites voisins de la région42. D’autres nécropoles, sans avoir fait l’objet de publication à part entière, ont été présentées dans des articles. C’est par exemple le cas des nécropoles d’Arnissa [40], Axioupoli [64], Chauchitsa [62], Plagia [61], Tzamala [68] ou encore de Panagitsa-Zervi Ampelia [39]. Dans les cas d’Axioupoli [64] et de Chauchitsa [62], les fouilles sont anciennes et il y a peu ou pas d’information sur les défunts.
27Les opérations de fouilles de sauvetage sont rapportées annuellement dans les chroniques du Deltion (service archéologique grec), puis dans celles du BCH (École française d’Athènes) ou dans les AR (British School at Athens). Ces rapports peuvent parfois être très brefs ou largement détaillés, comme pour la nécropole de Tzamala [68]43.
28Au vu de cette situation, la publication d’actes de colloques ou d’autres rencontres scientifiques apparaît comme indispensable. Les plus importantes sont celles du congrès de l’AEMTh, spécifique à la Grèce du Nord qui fait un état des découvertes chaque année depuis 198744. Les sept colloques Ancient Macedonia organisés par l’Institut des Études Balkaniques entre 1968 et 200245 complètent nos informations déjà récoltées. Nous avons également quelques petites synthèses régionales qui font un état de la recherche dans l’ancienne Almopie et la Bottiée46, la moyenne vallée de l’Haliakmon47, la région de l’ancienne Aiani et la région du Boïon48, l’Émathie49, la région de l’Olympe50, le nord de la Piérie51 et la région de Kilkis52. Nous devons également mentionner les notices des habitats et nécropoles de l’âge du Fer, insérées par A. Hochstetter dans la publication des fouilles de Kastanas en 198453, la synthèse régionale faite par H. Koukouli-Chryssanthaki dans la publication des nécropoles protohistoriques de Thasos en 199254, ainsi que le catalogue des sites de Macédoine aux époques préhistoriques de D. B. Grammenos, M. Besios et S. Kotsos publié en 199755.
Les données de l’anthropologie funéraire
29Les pratiques funéraires concernent avant tout des défunts. Si cela paraît être une évidence, l’intérêt porté aux restes osseux en Grèce est relativement récent. Ils paraissaient secondaires au profit de l’architecture de la tombe ou du mobilier. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, les premiers travaux anthropologiques sur la Grèce ancienne avaient pour objectif principal de déterminer le type racial des individus dans le but d’identifier l’origine des populations et de répondre à la question de l’arrivée des premiers Grecs dans le bassin égéen56. Les travaux de J. L. Angel s’inscrivent dans ce courant, mais le dépassent, par une réflexion autour des problèmes taphonomiques et de la relation entre les défunts, les milieux de dépôts et les rites funéraires57. Il faut toutefois attendre les années 1980 et 1990 pour voir les premiers travaux proposant une approche plus dynamique, combinant les contextes archéologiques et les données anthropobiologiques dans une approche sociale du fait funéraire. Pour les périodes pré- et protohistoriques en Macédoine, la majorité des travaux exploités pour notre étude ont été conduits sous l’autorité de S. Triantaphyllou, dont la thèse parue en 2001 se consacre à l’analyse de restes osseux de plusieurs nécropoles dont celles de l’âge du Fer découvertes en Piérie : Makrygialos [80], Dion [86], Petra Treis Elies [88]58. Trois autres ensembles funéraires ont fait l’objet d’une étude ostéologique : Toronè [101]59, Tzamala [68]60 et Nea Philadelpheia [91]61. Ajoutons également la petite étude faite sur quelques dents trouvées dans les tombes de Vergina [75] fouillées en 197062. Hormis l’étude faite sur les squelettes de Toronè [101], qui est intégrée dans la publication des tombes, et dont les résultats sont discutés en regard avec le contexte de découvertes, les autres études ont été publiées indépendamment des tombes, qui restent encore pour beaucoup inédites. Nous ne pouvons en retenir que les informations générales relatives au rite (inhumation individuelle, collective, manipulations des défunts, etc.), à la démographie et à l’état sanitaire des populations. Nous ne pouvons pas encore étudier pleinement le lien entre le défunt, la forme de la tombe et le mobilier associé, bien que nous ayons conscience de l’intérêt des recherches pluridisciplinaires dans l’étude des sépultures63.
Le corpus documentaire : constitution, état et limites
30Le corpus détaillé ne comprend que les ensembles funéraires situés dans les périphéries de la Macédoine actuelle continentale, entre le Pinde (région de Grevena) et les premières montagnes des Rhodopes occidentaux (région de Drama). Le lecteur trouvera en deuxième partie de l’ouvrage les notices des sites précédées d’une carte de localisation (catalogue, fig. 1). Ce corpus n’a pas pour objectif d’être exhaustif. Il s’agit d’un état des lieux et sa constitution résulte de choix qu’il convient détailler (fig. 6).
Fig. 6. Tableau récapitulatif des ensembles funéraires de l’âge du Fer recensés en Macédoine Occidentale, Centrale et Orientale.
Région | N° | Site | Type de nécropole | Nombre de tertres ou de TC | Nombre de tombes ind. | Information sur la chronologie | |
1 | Florina | 1 | Agios Pantéléïmon | Tumulaire | 14+ | 600+ | ixe au vie s. |
Florina | 2 | Aetos | - | - | - | Début de l’âge du Fer | |
Florina | 3 | Petres | - | - | - | Âge du Fer | |
Florina | 4 | Vegora | - | - | - | Âge du Fer | |
2 | Kastoria | 5 | Avgi -Hatzoglou | Tombe seule | - | 1 | Age du Fer ou archaïque |
Kastoria | 6 | Ano Pteria | - | - | - | Âge du Fer | |
Kastoria | 7 | Fotini | - | - | - | Âge du Fer | |
Kastoria | 8 | Kastoria | Tumulaire ? | - | 40 | du viiie à la fin de l’époque Archaïque | |
Kastoria | 9 | Krepeni | - | - | 3+ | c. viie s. | |
3.1 | Kozani-Boïon | 10 | Aïdonochori -Goura Rachi | - | - | - | Âge du Fer |
Kozani-Boïon | 11 | Lefkothea-Dragasia | - | - | - | Âge du Fer | |
Kozani-Boïon | 12 | Sianitsi | - | - | - | Âge du Fer | |
Kozani-Boïon | 13 | Tsotili-Saranta Gortsies | - | - | - | Âge du Fer | |
Kozani-Boïon | 14 | Vronti-Ampelotopia | - | - | - | Âge du Fer | |
3.2 | Kozani-Vermion | 15 | Pyrgoi | - | - | - | Âge du Fer |
Kozani-Vermion | 16 | Karyochori | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer | |
Kozani-Vermion | 17 | Tetralopho | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer | |
Kozani-Vermion | 18 | Kapnochorio-Kissas | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer | |
Kozani-Vermion | 19 | Koilada-Potistra | - | - | 38 | Début de l’âge du Fer | |
3.3 | Kozani | 20 | Kozani-Koursona | Tombe seule | - | 1 | Début de l’âge du Fer |
Kozani-Ville | 21 | Kozani-Rue Philippou | - | - | 2+ | Entre le xie et le viie s. | |
3.4 | Kozani-Aiani | 22 | Aiani-Leivadia | - | - | 6 | Age du Fer et vie s. |
Kozani-Aiani | 23 | Aiani-Rachi Kommenoi | - | - | 11 | ixe s. | |
Kozani-Aiani | 24 | Aiani-Koupoutsina | - | - | 3 | Début de l’âge du Fer et une tombe du viie s. | |
Kozani-Aiani | 25 | Aiani-Giannouka Vryssi | - | - | 6 | Début de l’âge du Fer (xie s.) | |
Kozani-Aiani | 26 | Aiani-Agios Ioannis Prodromou | - | - | 6 | Fin de l’âge du Bronze début de l’âge du Fer | |
Kozani-Aiani | 27 | Aiani-Isiomata | - | - | 13+ | Début de l’âge du Fer | |
Kozani-Aiani | 28 | Milia-Kerasia | Tombe seule | - | 1 ? | Âge du Fer | |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 29 | Elati-Longas | - | - | - | Âge du Fer |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 30 | Frourio-Kambos | Tumulaire (TC) | 6 | - | xiie-xie s. |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 31 | Anavrika-Tranovalto | Tumulaire ? | - | 4+ | Âge du Fer |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 32 | Rymnio-Ampelia | Tumulaire ? | - | 13 | c. viiie-viie s. |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 33 | Kranidia-Kryovryssi | - | - | 10+7 | xiie-xie s. + G |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 34 | Servia-Kokkinoï | - | - | 1 (4) | viiie-viie s. |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 35 | Servia-Kolitsaki | - | - | 6 | Début de l’âge du Fer |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 36 | Servia-Liakou | Tombe seule | - | 1 | viie-vie s. |
3.5 | Kozani-Haliakmon | 37 | Velventos-Kato Bravas | - | - | 1 (4) | Début de l’âge du Fer |
4 | Grevena | 38 | Spilaio | Tumulaire ? | - | 3+ | Début de l’âge du Fer |
5.1 | Pella-Vegoritis | 39 | Panagitsa-Zervi | - | 13 | Fin ixe-début viiie | |
5.1 | Pella-Vegoritis | 40 | Arnissa | Tumulaire | 2 | 20 | Entre le viiie et le vie s. |
5.1 | Pella-Vegoritis | 41 | Agras | Plane | - | 56 | Début de l’âge du Fer |
5.1 | Pella-Vegoritis | 42 | Kato Grammatikou | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 43 | Notia-24 Platania | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 44 | Aloros | Tombe seule | - | 1 | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 45 | Chryssi-Kara Dere | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 46 | Archangelos-Perikleia | - | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 47 | Foustani | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 48 | Neromyloi-Prodromos | Tumulaire (TC) | 56 | - | Début de l’âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 49 | Konstantia | Tumulaire (TC) | 40 | - | Début de l’âge du Fer au vie ou ve s. |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 50 | Apsalos-Verpen | Tumulaire | 1 | 4 | Fin de l’âge du Bronze début de l’âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 51 | Apsalos-Margarita | Tumulaire (TC) | 1+ | - | |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 52 | Nea Zoï-ΣΤ | Tumulaire (TC) | 11 | - | Fin de l’âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 53 | Nea Zoï-Terikleia | Plane? | - | 15 | Fin de l’âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 54 | Nea Zoï-Amygdaleonas | - | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 55 | Samari-Mantri Bitzoli | Tumulaire ? | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 56 | Krania | Tumulaire (TC) | - | - | Âge du Fer |
5.2 | Pella-Bassin d’Aridaia | 57 | Prophiti Ilias-Skliropetra | Tumulaire (TC) | 16 | - | Âge du Fer |
5.3 | Pella-Piémont du Païkon | 58 | Agrosykia | Tumulaire ? | - | 10 | Fin viiie - début viie |
5.3 | Pella-Piémont du Païkon | 59 | Archontiko | Plane | - | 227? | Fin de l’âge du Fer à époque hellénistique |
5.3 | Pella-Piémont du Païkon | 60 | Giannitsa-Talabassi | Plane | - | 9+ | Fin du viie - début du vie s. |
6 | Kilkis | 61 | Plagia | - | - | 3 | viiie s. |
6 | Kilkis | 62 | Chauchitsa | - | - | 43 | Âge du Fer au viie s. |
6 | Kilkis | 63 | Karathodoreïka | Plane ? | 66 | début du viie à la fin du ive s. | |
6 | Kilkis | 64 | Axioupoli | Plane ? | - | 50 | 650-550 ou 625-550 |
6 | Kilkis | 65 | Palio Gynaikokastro | Tumulaire et Plane | 12+ | 500+ | xe-viie s. |
6 | Kilkis | 66 | Axiochori | Tombe seule | - | 1 | Âge du Fer |
7 | Émathie | 67 | Lefkopetra-Kallipetra | - | - | - | Âge du Fer |
7 | Émathie | 68 | Tzamala | Tumulaire | 11 | 17+ | Située entre le ixe et le viie s. |
7 | Émathie | 69 | Assomata-Delik-Tash | - | - | 3+ | Âge du Fer |
7 | Émathie | 70 | Assomata-Egnatia | - | - | 8 | Début de l’âge du Fer |
7 | Émathie | 71 | Assomata-Plaka | - | - | - | Âge du Fer |
7 | Émathie | 72 | Assomata-Tsardaki | Tombe seule | - | 1 | Âge du Fer |
7 | Émathie | 73 | Veria | - | - | 3 | Âge du Fer |
7 | Émathie | 74 | Kombos Veria-Xirokampo | - | - | - | Âge du Fer |
7 | Émathie | 75 | Vergina | Tumulaire | 44 | 391 | xe-au début viie s. |
7 | Émathie | 76 | Kypseli | - | - | 2 | Début de l’âge du Fer |
7 | Émathie | 77 | Rovia | Plane (?) | - | 13 | vers le viie s. |
8 | Piérie | 78 | Aiginio Melissia | Tombe seule | - | 1 | Début de l’âge du Fer |
8 | Piérie | 79 | Makrygialos-Dexameni | Tombe seule | - | 1? | Début de l’âge du Fer |
8 | Piérie | 80 | Makrygialos | Plane + T.C | - | 125 | ixe s. |
8 | Piérie | 81 | Alykes Kitrou | Tumulaire (T. C) | 1 | Début de l’âge du Fer | |
8 | Piérie | 82 | Kitros-Ammos | Tombe seule | - | 1 | Début de l’âge du Fer |
8 | Piérie | 83 | Moschochori | Tombe seule | - | 1? | Fin de l’âge du Bronze, début de l’âge du Fer |
8 | Piérie | 84 | Neokaisaria-Aisona | - | - | - | Âge du Fer |
8 | Piérie | 85 | Kountouriotissa | - | - | 12 | Fin du IXe début du viiie s. |
8 | Piérie | 86 | Dion | Tumulaire | 19 | 79 | Début de l’âge du Fer |
8 | Piérie | 87 | Kalogeros | - | - | - | Âge du Fer |
8 | Piérie | 88 | Petra-Treis Elies | Plane | - | 55 | xie s. |
9 | Thessalonique | 89 | Lefkochori | Tombe seule | - | 1? | Début de l’âge du Fer |
9 | Thessalonique | 90 | Assiros-Toumba | Tombe seule | - | 1 | environ 800 |
Région | N° | Site | Type de nécropole | Nombre de tertres ou de TC | Nombre de tombes ind. | Information sur la chronologie | |
9 | Thessalonique | 91 | Nea Philadelpheia | Plane et tumulaire ? | - | 2228 | ixe à la fin du viie ou début du vie |
9 | Thessalonique | 92 | Oraiokastro | Plane | - | 210+ | viiie s. |
9 | Thessalonique | 93 | Nea Efkarpia | Plane et tumulaire | - | 437+ | xe au viiie s. |
9 | Thessalonique | 94 | Stavroupoli-Polichni | Plane | - | 501+ | ixe-viiie s. |
9 | Thessalonique | 95 | Thessalonique-Toumba | Plane | - | 12 + | ixe au ive s. |
9 | Thessalonique | 96 | Thermi | Plane | - | nr | du viiie au iiie s. |
9 | Thessalonique | 97 | Plagiari | - | - | 2 | c. xe-ixe s. |
10 | Chalcidique | 98 | Nea Kallikrateia | Plane ? | - | 15+ | Fin viiie-début viie s. |
10 | Chalcidique | 99 | Mendè | Plane | - | 239 | Fin du viiie au vie s. |
10 | Chalcidique | 100 | Nikiti-Aï Giannis | Plane | - | 71 | Début de l’âge du Fer à époque classique |
10 | Chalcidique | 102 | Koukos | Plane | - | 98 | xe-viiie s. |
10 | Chalcidique | 102 | Toronè | Plane | - | 134 | xie à mi-ixe s. |
10 | Chalcidique | 103 | Ierissos | Plane | - | 117 | xe à la fin du viiie s. |
11 | Serres | 104 | Amphipolis-Kastas | Tumulaire | 2 | 18+ | Entre le xe et le viiie s. |
11 | Drama | 105 | Drama-Z. I. | Tumulaire | 3 | 9+ | antérieur au viiie jusqu’au viie s. |
11 | Drama | 106 | Nevrokopi-Exochi | Tumulaire | 1 | - | Bronze Récent au ixe s. |
31Le premier est d’ordre géographique. Comme nous l’avons vu, une approche globale du fait funéraire dans le nord de la Grèce ne peut se borner aux limites des frontières politiques actuelles, car elles n’ont aucune signification pour les périodes reculées que nous étudions. Certains types de nécropole ont une aire d’expansion souvent plus large. Néanmoins certaines contraintes matérielles, notamment liées aux cadres de la recherche archéologique, variable d’un pays à l’autre, impactent sur la vision d’ensemble. En Grèce, l’archéologie préventive est gérée par les services régionaux (éphories) qui publient annuellement la plupart des opérations menées sur le terrain sous forme de courts rapports. Malgré des données parfois lacunaires, il est possible de s’informer des nouvelles découvertes et de faire un suivi des recherches en cours. Une telle organisation est spécifique à la Grèce et ne se retrouve pas forcément en ARYM ou en Albanie. Afin de saisir la manière dont s’insère cette région dans un cadre plus vaste, nous proposons néanmoins deux courtes synthèses sur les nécropoles d’ARYM d’une part (catalogue-annexe 2), d’Albanie méridionale et du nord de l’Épire actuelle d’autre part (catalogue-annexe 3), agrémentées d’une sélection de références bibliographiques. Les régions limitrophes sont bien sûr prises en considération dans la synthèse. Les nécropoles de Thasos64 ne seront pas intégrées dans le corpus car elles présentent des particularités qui ne trouvent que peu ou pas de parallèles dans le reste de notre région. Nous l’intègrerons néanmoins au cours de notre réflexion dans la synthèse.
32Le second choix qui a guidé la sélection des ensembles funéraires est lié à la chronologie. Le début de l’âge du Fer en Grèce du Nord remonte au moins au xie siècle65, tandis que la fin de l’âge du Fer varie d’une région à l’autre. En Grèce du Nord, la chronologie pose de nombreuses difficultés. Le système utilisé pour le reste du pays, fondé sur la céramique tournée, ne pouvait être utilisé dans des contextes dépourvus d’importations ou d’imitations locales. Toutefois la publication des fouilles des tells de Kastanas66, de Sindos67, les recherches conduites sur ceux d’Assiros68 et de Thessalonique69 offrent un cadre de référence indispensable non seulement localement mais aussi pour les Balkans et la Grèce méridionale70. La céramique locale, modelée et tournée, se caractérise par un conservatisme dans les formes et les décors71 qui compliquent la datation de tombes dépourvues de tout autre objet72. Par ailleurs les objets provenant des tombes ne datent pas forcément du temps des funérailles, comme en témoigne la sépulture du guerrier de Lefkandi, dont les restes issus de sa crémation ont été placés dans une amphore chypriote en bronze d’une centaine d’années plus ancienne que la tombe elle-même73. La majorité des ensembles funéraires n’ayant pas été publiée, les phasages chronologiques sont rarement établis. Des bornes chronologiques sont données, mais pas pour tous les sites. K. Kilian, dans son ouvrage Trachtzubehör der Eisenzeit zwischen Ägäis und Adria, publié en 1975, a proposé un système chronologique, fondé sur les objets métalliques et la céramique décorée, dans lequel il intègre les nécropoles de Chauchitsa [62] et de Vergina [75], qu’il synchronise avec les systèmes chronologiques de la Grèce égéenne, des Balkans et d’Europe centrale74. Toutefois, la totalité des tombes n’a pas été prise en compte et certaines critiques ont été formulées par A. Hochstetter qui s’appuie sur les données de Kastanas75. Pour Vergina [75], le phasage de K. Kilian a été revu, mais les publications ne permettent pas de savoir en détail l’attribution des chronologies pour la totalité des tombes76. Pour le choix des nécropoles, nous avons donc dû nous fier aux dires des fouilleurs. Nous avons intégré quatre ensembles datés de la toute fin de l’âge du Bronze ou transition Bronze-Fer (Aiani-Agios Ioannis Prodromou [26], Frourio-Kambos [30], Kranidia-Kryovryssi A [33], Apsalos-Verpen [50]). Si les trois premiers se justifient par la présence d’objets en fer, le dernier est peut-être un peu plus ancien.
33La limite entre l’âge du Fer et l’époque archaïque est également problématique. La fin de l’âge du Fer est généralement placée vers 700. La fin du viiie siècle est marquée par les fondations des colonies de Méthonè en Piérie, Mendè en Chalcidique77. Par ailleurs, dans le Golfe Thermaïque, le Géométrique Récent (760/750-700) est marqué par des transformations dans certains habitats en tells, comme à Sindos et Kastanas, qui se traduisent par une intense activité de construction – des phénomènes encore difficiles à interpréter78.
34En Chalcidique nous avons retenu, en plus des nécropoles de Toronè [101], Koukos [102] et Ierissos [103], celles de Mendè [99] et de Nea Kallikrateia [98] dont les tombes les plus anciennes connues à ce jour remontent à la fin du viiie siècle. Le viie siècle correspond à une nouvelle vague de fondations coloniales (Sanè, Stagire, Acanthe - à Ierissos)79. La fondation d’Acanthe remonterait à 655 ou 656, ce que semblent confirmer les vestiges marqués par l’abandon progressif de la nécropole du début de l’âge du Fer et la fondation d’un nouvel espace aux pratiques funéraires modifiées80. Nous n’avons pas retenu les nécropoles clairement archaïques découvertes à Sanè81, Scionè82, Polychrono83, Aphytis84, et Olynthe85dont les premières tombes datent du vie siècle. Dans la région orientale du Golfe Thermaïque, les nécropoles mises en place avant le viiie siècle continuent d’être utilisées, sans rupture notable semble-t-il jusqu’au viie siècle. Des changements se manifestent surtout à partir du vie siècle, avec l’abandon et/ou la création de nouveaux espaces funéraires et des transformations dans les pratiques funéraires et/ou dans le mobilier. Le reste de la Macédoine n’est pas touché directement par le phénomène colonial, mais par l’expansion du royaume macédonien dont les étapes restent encore difficiles à dater avec précision. La nécropole tumulaire protohistorique de Vergina [75] est utilisée jusqu’à la fin du viie siècle selon le nouveau phasage chronologique et on constate que les changements majeurs dans les pratiques funéraires surviennent vers le vie siècle. Nous avons donc intégré les quelques nécropoles du viie siècle (Giannitsa-Talabassi [60], Krepeni-Giole [9], Axioupoli [64], Karathodoreïka [63]), rattachées aux dernières phases de l’âge du Fer localement.
35Nous avons retenu au total 106 ensembles funéraires, dont 13 tombes seules ou isolées (fig. 6). Certains ont livré très peu d’information ‒ parfois seule la mention d’une nécropole repérée est portée à connaissance. Toutefois, au total, cela signifie que plus de 6595 tombes de l’âge du Fer ont été mises au jour, même si une infime partie est publiée (un peu plus de 500, dont la majorité provient de Vergina). Les tombes collectives correspondent aux tombes à chambre, à tholos et aux tombes construites découvertes en Almopie. Elles ne peuvent être considérées de la même manière que les tombes isolées individuelles86, ni comme les tertres collectifs à tombes individuelles car leur usage diffère. Nous serons amenée à rediscuter de ces questions typologiques.
36Une dernière remarque portera sur les nécropoles de type tumulaire, recensées pour la région du bassin d’Aridaia (Almopie)87 et des pentes occidentales du Mont Vermion88. Nombre d’entre elles ont simplement été repérées lors de prospection. Leur identification comme nécropole se fonde souvent sur la forme des tertres (des amoncellements de pierres) et les objets ramassés en surface (parures, accessoires, armes). En l’absence de fouille systématique, leur interprétation funéraire ne peut être assurée, en témoigne la nécropole tumulaire de Neromyloi-Prodromos [48], dans laquelle deux tumuli, repérés en prospection, se sont avérés être finalement des amoncellements de pierres naturels89. Les prospections et les repérages de ces formations, qu’elles s’avèrent naturelles ou artificielles et réellement funéraires, sont nécessaires pour prévenir les éventuelles destructions et pillages. Toutefois des sondages sont importants afin de déterminer la nature exacte des gisements et éviter la surreprésentation de cette forme funéraire à l’âge du Fer, qui n’est pas la seule en Macédoine.
37Les informations sont variables d’un site à l’autre et on ne peut pas proposer d’étude statistique générale, mais pour chaque thématique abordée les données disponibles seront précisées. Dans les nécropoles utilisées de manière continue aux époques postérieures, le nombre de tombes datées de l’âge du Fer n’est pas toujours précisé (Kastoria [8], Karathodoreïka [63], Thermi [96]). Dans le cas des vastes nécropoles fouillées sous l’actuelle Thessalonique et sa banlieue, les proportions des rituels et des types de tombes ne sont pas toujours connues, mais les tendances précisées permettent aisément de les intégrer dans la réflexion.
Cadres théoriques et problématiques
38Pour comprendre la manière dont les modes funéraires ont été envisagés, il nous faut revenir sur la manière dont la Macédoine protohistorique a été abordée. Comme nous l’avons vu, la recherche en préhistoire dans le nord de la Grèce ne remonte qu’à une centaine d’années. Après avoir intéressé les chercheurs durant la Première Guerre mondiale, jusque dans les années 1930, les travaux effectués ont quelque peu été oubliés, éclipsés par les grandes fouilles de la Grèce méridionale et insulaire, des paradigmes à travers lesquels se sont forgés la protohistoire égéenne et l’archéologie classique.
39Alors que les fouilles sont peu nombreuses en Macédoine jusque dans les années 1970 (pour l’âge du Bronze et l’âge du Fer), les pré- et protohistoriens ne reconnaissent pas, dans le nord, les traits caractéristiques connus en Grèce du sud. Avec sa situation géographique d’arrière-pays, son contexte géopolitique particulier des premières décennies du xxe siècle, “Macedonia gradually became the Other of Southern Greece”90. C’est à travers cette altérité macédonienne que s’est forgée l’archéologie pré- et protohistorique locale et que se sont formulées les premières interprétations des vestiges. Cette région a longtemps été étudiée par rapport aux relations qu’elle entretenait avec le nord et le sud, mais finalement assez peu pour elle-même. Pour l’âge du Bronze et l’âge du Fer elle a souvent été envisagée soit comme une “périphérie” du monde grec, dans le cadre de l’étude sur l’expansion du monde mycénien ou de la colonisation grecque, soit comme un “couloir” nord-sud entre les Balkans et l’Égée, dans le cadre de l’étude des migrations et du peuplement de la Grèce91. Toutefois, les approches se sont diversifiées avec la multiplication des travaux de recherches faits dans les habitats de l’âge du Bronze et de l’âge du Fer, mettant en lumière un réseau d’agglomérations et des sociétés complexes qu’on ne commence à connaître réellement que depuis peu92. C’est pourquoi nous proposons d’envisager la région dans son ensemble, en prenant en considération à la fois les nécropoles côtières de Chalcidique, installées sur des sites touchés par la colonisation grecque à une période ancienne, mais aussi celles plus reculées, de l’arrière-pays, afin d’ouvrir le débat sur la perspective d’approche de cette région particulière.
40Les pratiques funéraires correspondent à l’ensemble des réponses apportées pour le traitement des défunts dans l’objectif de leur offrir une sépulture : le traitement du cadavre (inhumation ou crémation), le choix du lieu de sépulture, le type de contenant, la position du corps, le type de tombe ou de marqueur ainsi que le mobilier. À la fin du xixe siècle, les rites funéraires ont d’abord été envisagés par les anthropologues sous un angle religieux et eschatologique, ne s’intéressant aux formes des tombes ou aux objets associés que dans le sens où ils renverraient à certaines croyances ou superstitions que l’on se plaisait alors à comparer d’une société à l’autre. Dans cette approche, qui présuppose une croyance de la survivance de l’âme après la mort, les rites funéraires permettraient aux vivants de faire face à la peur du cadavre et de l’âme du défunt par le biais de solutions matérielles (aménagements de la tombe, objets d’accompagnement, etc.). Les changements de comportement face à la mort seraient liés à un changement de conception de l’Au-Delà93.
41Cette approche idéaliste et évolutionniste, qui présuppose l’existence de croyances communes régissant les comportements des humains face à la mort dans les sociétés primitives, a été critiquée par E. Durkheim et les membres de l’Année Sociologique, notamment par R. Hertz, qui ont souligné l’importance du rôle de la société et des institutions sociales dans la formation des représentations collectives, ainsi susceptibles de varier d’une société à une autre94. L’approche des rites et du mobilier sous un angle eschatologique ne sera délaissée qu’au cours du xxe siècle, comme en témoigne l’article d’O. Murray qui refuse l’idée d’un banquet eschatologique95. Parallèlement, les théories diffusionnistes, les modèles migrationnistes et l’approche historico-culturelle du début du xxe siècle96 ont eu un important impact sur la recherche dans les Balkans97. Les travaux de N. G. L. Hammond sur la Grèce du Nord98 sont incontournables et constituent de loin les travaux de synthèse les plus complets. L’auteur couvre les régions grecques du nord de la Thessalie, de la Macédoine, de l’Épire, et les actuels Albanie, Serbie, Monténégro, Kosovo, ARYM jusqu’à la frontière bulgare, car comme il l’écrit non sans une pointe d’humour : “if we try to define Macedonia on political lines, we shall be chasing a chameleon through the centuries”99. Toutefois, les pratiques funéraires y sont surtout abordées comme supports à ses théories sur le peuplement, fondées en partie sur les modèles diffusionnistes, selon lesquels le développement culturel se comprend à travers le processus de diffusion entre des peuples “porteurs” d’une culture archéologique, définie en amont par des traits caractéristiques. Les changements observés sont alors souvent expliqués par des déplacements de populations. N. G. L. Hammond tente alors de tracer l’origine des groupes ethniques dont les noms nous sont connus dans les sources antiques100. Cette approche des pratiques funéraires a également été utilisée par V. R. d’A. Desborough101 et fortement critiquée par A. Snodgrass qui rejette toute interprétation ethnique des pratiques funéraires, la répartition des types de tombes n’étant pas significative102.
42Durant les années 1960-1970, l’archéologie funéraire délaisse ces questions et connaît un renouveau considérable avec l’apport de l’anthropologie sociale, notamment en Amérique du Nord avec le courant de la New Archaeology, ou archéologie processuelle, notamment sous l’impulsion de L. Binford103. Cette nouvelle manière d’envisager l’archéologie, qui s’appuie sur des études ethnographiques, s’oppose à l’approche historico-culturelle, jugée trop statique et descriptive. L’archéologie peut mettre en évidence les processus sociaux, religieux ou culturels qui régissent les sociétés anciennes. Les changements culturels trouvent leur source dans les sociétés elles-mêmes ou les facteurs environnementaux, et non dans la seule explication des influences ou des migrations. Dans la compréhension du fait funéraire, L. Binford met en relation l’identité sociale du défunt et les rites funéraires qui lui sont pratiqués. Il introduit entre autres le concept de social persona, définie par l’âge, le sexe, la position et l’affiliation sociale au cours de la vie de l’individu, les conditions de sa mort et le lieu de son décès, autant de facettes qui se refléteraient directement dans les rituels funéraires ainsi susceptibles de varier au sein d’une même nécropole ou d’une communauté à l’autre. Il y aurait donc une forte corrélation entre variabilité funéraire et complexité des sociétés anciennes104.
43Ce courant de pensée a permis de donner un souffle nouveau à l’archéologie, mais a suscité beaucoup de critiques dans les années 1980, au moment où se développent de nouvelles théories rassemblées sous le nom générique d’archéologie post-processuelle ou postmoderne, comme le montrent les travaux d’I. Hodder qui reproche, entre autres, une certaine réification des sociétés dans cette approche trop rigide et fonctionnaliste105. L’intentionnalité des individus dans la constitution de la culture matérielle, en tant qu’agents actifs, leurs idéologies et leur univers symbolique jouent un rôle essentiel dans la constitution de la société. Ainsi, pour les partisans de ce nouveau courant de pensée, les pratiques funéraires ne sont pas le reflet passif de la société des vivants106. Ce principe se traduit également dans les travaux d’I. Morris qui, par des méthodes empruntées aux démographes et grâce à l’outil mathématique, remet en question la corrélation entre multiplication des tombes dans les nécropoles et essor démographique, à travers l’exemple athénien. Les variations du nombre de tombes dans les nécropoles seraient davantage liées à leur visibilité archéologique, résultant d’une extension ou d’une restriction de l’accès à une sépulture formelle (formal burial)107. L’individu, la communauté et leurs attitudes face à la mort sont placés au centre de la réflexion. On retrouve déjà cette question sociale, mais abordée différemment par le biais de l’anthropologie historique, dans le fameux ouvrage de 1982, La mort, les morts dans les sociétés anciennes, issu d’un colloque organisé à Ischia en 1977 par L’Institut oriental de Naples et le Centre Louis Gernet de recherches comparées sur les sociétés anciennes de Paris. Comme l’écrit alors J.-P. Vernant, “On ne va plus de l’univers des morts à celui des vivants pour découvrir dans le premier la trace du second. On part d’une société globale, dans l’ensemble de ses pratiques, de ses institutions, de ses croyances ; on s’efforce d’y repérer, par une analyse à plusieurs niveaux, le faciès particulier qu’elle a conféré à la mort, la façon dont elle s’est située elle-même par rapport à la mort (…), en bref dans ses traditions, sa vie, sa survie”108. Les lieux de sépultures, le rituel, l’architecture funéraire et les objets, soigneusement sélectionnés, composent un discours sur les défunts et la société elle-même, selon une idéologie et une “politique de la mort” qui lui est propre et qui est susceptible d’évoluer dans le temps109. Ainsi, comme le propose S. Houby-Nielsen, il est possible d’identifier des modes de représentation funéraire spécifiques à des sociétés et à des époques, comme l’idéologie du guerrier et de la parure, celle du banquet puis celle du parfum, propres aux tombes riches athéniennes entre l’âge du Fer et l’époque classique110.
44Si la question sociale a fait l’objet de riches discussions, celles sur la géographique funéraire, les identités ethniques et les relations entre les communautés, avaient été mises de côté. Elles ont récemment été reprises par J.-M. Luce. L’auteur a montré qu’une nécropole n’était pas définie par un seul type de tombe ou un seul rituel, mais par l’ensemble des solutions offertes par la communauté pour le traitement de ses défunts, constituant alors une “séquence” qui a une épaisseur chronologique et une dimension spatiale, et qu’il est possible dès lors d’identifier des régions funéraires. La question des identités s’est alors reposée avec un regard nouveau. La mise en place des pratiques funéraires relève de décisions collectives. L’identité étant un discours sur soi, les coutumes funéraires ont pu de manière consciente et intentionnelle être utilisées par les peuples comme support pour un discours à portée identitaire. Il n’y a toutefois aucune relation mécanique simple et cette approche permet de poser la question d’une manière plus dynamique en partant du point du vue des communautés111.
45L’archéologie funéraire a une longue et complexe histoire qui se poursuit aujourd’hui rapidement, notamment avec le développement de l’anthropologie funéraire et des méthodes visant à identifier les gestes et les rites précis effectués sur et autour des dépouilles. Au cours du développement, nous aurons l’occasion de revenir sur ces différentes approches. Les connaissances sur les pratiques funéraires en Grèce du Nord se sont profondément renouvelées ces quelques dernières années. La documentation riche mais fragmentaire ne permet pas d’aborder tous les aspects du fait funéraire en profondeur, notamment en ce qui concerne les questions sociétales à l’intérieur des communautés112. Nous proposons tout d’abord un état des lieux des connaissances. Nous avons privilégié une certaine approche géographique permettant de confronter les communautés entre elles sur le plan funéraire. Contre l’image ancienne d’une région où seul le tumulus semblait exister par le prisme de la nécropole de Vergina, les nombreuses fouilles ont amené le constat d’une diversité évidente de rituels, qu’il convient de mettre en perspective face aux contextes culturels environnants.
46L’état des données disponibles et l’objectif de synthèse souhaité dans ce projet nous a invité à partir des lieux de sépultures pour arriver au traitement des défunts afin de souligner la pluralité des configurations existantes à l’âge du Fer dans cette région de confluence culturelle. Après un premier chapitre consacré à la topographie funéraire, aux modes d’organisation des tombes et à l’architecture tumulaire, une analyse typologique permettra d’aborder chaque type de tombe dans son développement chronologique et son extension géographique. Cette approche analytique soulignera la quasi absence de lien mécanique entre architecture funéraire et mode d’organisation spécifique des tombes à l’intérieur des nécropoles. Ce travail sur plusieurs échelles mettra alors en évidence la position originale de cette région entre des traditions balkaniques et égéennes ainsi que l’émergence de pratiques locales singulières.
47Nous avons attaché de l’importance à l’apport de l’anthropologie funéraire dans la compréhension des rites, des gestes effectués autour des défunts et dans la restitution des populations enterrées. C’est donc au cours du troisième chapitre que nous discuterons de l’utilisation de l’inhumation ou de la crémation dans le traitement funéraire, et qu’il sera possible de proposer une analyse préliminaire des profils de mortalité en mettant en évidence, par exemple, les attitudes variées des communautés face aux sépultures d’enfants. L’analyse de la position et de l’orientation du corps des défunts dans les tombes sera également abordée. Si la première permet de réfléchir à son utilisation comme marqueur chronologique, on se demandera si la seconde ne joue pas un rôle dans la construction des identités collectives à travers la référence à des univers symboliques communs.
48Si ces premiers chapitres suivent une approche assez traditionnelle, ils permettent néanmoins de décomposer les pratiques en “traits” funéraires et d’en révéler toute la diversité et la complexité. Il nous semblait intéressant d’en comprendre les logiques spatiales dans un quatrième chapitre, en questionnant à notre tour l’existence d’une géographie funéraire nord-égéenne, à partir des données détaillées et maintenant connues pour cette région longtemps restée dans l’ombre. Nous montrerons en quoi l’étude combinée des différentes pratiques identifiées pour chaque nécropole fait apparaître une mosaïque de régions aux pratiques spécifiques, une image bien différente de celle d’un pays de tumuli, différente encore d’une simple dualité qu’on aurait pu présumer entre un arrière-pays indigène et un littoral colonial, une nouvelle carte funéraire que nous avons choisi d’articuler avec l’étude du mobilier abordé sous l’angle des thématiques funéraires.
49Dans un dernier chapitre, cette géographie funéraire sera en effet comparée à celle des idéologies funéraires à travers l’analyse des objets sépulcraux envisagés sous l’angle de leur symbolique. Renvoyant à des thématiques définissant l’identité des défunts, les objets sont également porteurs de systèmes de valeurs que nous proposons d’identifier à partir de l’étude des catégories fonctionnelles auxquelles ils se rattachent, dans la lignée des travaux de S. Houby-Nielsen113. Il sera alors possible de voir que, si dans notre région comme dans le reste de la Grèce les idéologies funéraires semblent connaître une évolution chronologique, s’en dégage également une logique spatiale, moins morcelée que celle des pratiques, mais peut-être davantage touchée par la proximité de la mer et les contacts avec la Grèce méridionale.
Notes de bas de page
1 D’Agostino, Schnapp 1982, 17.
2 Snodgrass 1971, 177 sq.
3 Weninger, Jung 2009.
4 Sauf mention contraire, toutes les dates s’entendent avant notre ère.
5 Tiverios 2008.
6 Hatzopoulos 1995.
7 Première subdivision administrative de la Grèce.
8 Hammond 1972, 430-431.
9 Th. 2.99. ; Hammond 1972, 430-441 ; Hammond & Griffith 1979, 27-30.
10 Th. 1.57.5 ; Str. 10.3.17 ; Plu., Mor, 293 B.
11 Selon Plutarque (Plu., Mor, 293 B), les Érétriens auraient fondé Méthonè après avoir été expulsés de Corcyre en 733 (ou 709) ; Tiverios 2008, 5-6.
12 Th. 4.123.1.
13 Hammond 1998, 395 sq.
14 Tiverios 2008 ; Papadopoulos J. K. 2005, 580-588.
15 Treuil 2002, 239.
16 Ghilardi 2007 ; Ghilardi 2015.
17 Les numéros entre crochets correspondent aux numéros attribués aux sites décrits dans le catalogue accompagnant cette synthèse. [...] = catalogue principale. [b-...] = catalogue - annexe 1. [Rmb-...] et [Rmf-...] = catalogue - annexe 2. [AL-...] et [EP-...] = catalogue - annexe 3.
18 Savvopoulou 1998, 26, 30-31 ; Schulz 1989.
19 Bellier et al. 1986, 49 sq.
20 Cousinery 1831.
21 Leake 1835.
22 Heuzey & Daumet 1876, Introduction ; Dausse 1992, 16-20, 26.
23 Heuzey 1860, 20.
24 Bulletin archéologique russe de Constantinople, 4, 1989, 149 ; 6, 1909, 472.
25 Rey 1932, 44-45 ; Heurtley 1939 ; Makridis 1937.
26 Adam-Veleni & Koukouvou, éd. 2012.
27 Heurtley 1939.
28 Kotsakis 1998.
29 Mendè [99], Nikiti-Aï Giannis [100], Toronè [101], Koukos [102].
30 Karamitrou-Mentessidi 2008, 45.
31 Aiani-Leivadia [22], Aiani-Rachi Kommenoi [23], Aiani-Koupoutsina [24], Aiani-Giannouka Vryssi [25], Aiani-Agios Ioannis Prodromou [26], Aiani-Isiomata [27].
32 Frourio-Kambos [30], Anavrika-Tranovalto Zidaniou [31], Rymnio-Ampelia [32], Kranidia-Kryovryssi [33], Servia-Kokkinoï [34], Servia-Kolitsaki [35], Velventos-Kato Bravas [37].
33 Chondroyanni-Metoki 2009.
34 Pateli 2009.
35 Par exemple, voir le site d’Elati-Longas [29].
36 Lilimbaki-Akamati 2004.
37 Chrysostomou & Stefani 1994.
38 Corvisier 1987, 149-164 ; Corvisier 1991.
39 Papadopoulos J. K. 2005.
40 Andronikos 1969.
41 Rhomiopoulou & Kilian-Dirlmeier 1989 ; Bräuning & Kilian-Dirlmeier 2013.
42 Chrysostomou P. et al. 2007.
43 AD 56-59, 2001-2004, B’3B, Chr., 419-426 (A. Kottaridi).
44 Sur le même modèle, récemment s’est mis en place un congrès spécifique à la Macédoine Occidentale, le AEAM : Το Αρχαιολογικό Έργο στη Άνω Μακεδονία.
45 Ancient Macedonia Ι, 1968 (publié en 1970), II, 1973 (publié en 1977), III, 1977 (publié en 1983), IV, 1983 (publié en 1986), 1989 (publié en 1993), VI, 1996 (publié en 1999), 2002 (publié en 2007).
46 Chrysostomou A. 1995a, ; 1999 ; 2000 ; 2011.
47 Chondroyanni-Metoki 1998, 2009.
48 Karamitrou-Mentessidi 2011a ; 1999.
49 Stefani L. 2004.
50 Poulaki-Pandermali 2013.
51 Besios 2010.
52 Savvopoulou 1998 ; 2004 ; 2007.
53 Hochstetter 1984, 277-325.
54 Koukouli-Chryssanthaki 1992, 627-637.
55 Grammenos et al, 1997.
56 Fürst, 1930 ; Breitinger 1939.
57 Angel 1971. Pour la Macédoine, le même auteur a étudié entre autres les restes osseux de la nécropole d’Olynthe, cf. Robinson 1942, 211-240.
58 Triantaphyllou 2001.
59 Papadopoulos J. K. 2005, 243-315 (étude faite par J. H. Musgrave).
60 Antikas L. W. & Antikas T. G. 2002.
61 Mika & Papageorgopoulou 2004.
62 Rhomiopoulou & Kilian-Dirlmeier 1989, 150-151 (étude faite par U. Wittwer-Backofen).
63 Duday et al. 1990 ; Duday 2009 ; Duday 2012.
64 Koukouli-Chryssanthaki 1992.
65 Weninger & Jung 2009 ; Jung et al. 2009 ; Andreou S. 2009. Pour l’habitat de Toumba Assiros, une datation plus haute est proposée, cf. Newton et al. 2003 ; Wardle et al. 2014 ; Papadopoulos et al. 2011.
66 Hochstetter 1984 ; Hänsel 1989 ; Jung 2002.
67 Gimatzidis 2010.
68 Newton et al. 2003 ; Wardle K. A & Wardle D. 2007.
69 Andreou S. 2009 ; Jung et al. 2009.
70 Gimatzidis 2012 ; Jung et al. 2009.
71 Gimatzidis 2012, 308.
72 On le voit par exemple dans le cas de la tombe ∆-VIII de Vergina [75] renfermant un alabastre de style mycénien, un type de vase, qui, en Grèce du nord semble perdurer au début de l’âge du Fer, cf. Jung 2002, 160-163.
73 Popham et al., éd. 1993, 86 sq.
74 La Macédoine est divisée en quatre grandes phases : IA (= SM), IB1 (PG), IB2 (GA-GM), IB3 (GR), IIA et IIB (Protoattique), IIC (Figure noire), III (Figure rouge), cf. Kilian 1975, pl. 101-102.
75 Hochstetter 1984, 302-308.
76 Bräuning & Kilian-Dirlmeier 2013 ; Pabst 2008 ; Pabst 2009.
77 Tiverios 2008, 5-6.
78 Gimatzidis 2012, 310.
79 Tiverios 2008, 52 sq.
80 Trakossopoulou-Salakidou 1996, 298-299 ; Graham 1982, 160 ; Osborn 1996, 123 ; Corvisier 1991, 193 ; Tiverios 2008, 54-55 ; Kaltsas 1998.
81 AD, 41, 1986, Chr., 147 (K. Sismanidis).
82 Tsingarida & Mantazi 2003.
83 Vokotopoulou 1990b.
84 Misaïlidou-Despotidou 2006.
85 Robinson 1942.
86 Snodgrass 1971, 141.
87 Sites de Chryssi-Kara Dere [45], Foustani [47], Notia-24 Platania [43] et Samari-Mantri Bitzoli [55].
88 Sites de Kapnochorio-Kissas [18], Karyochori [16] et Tetralopho [17].
89 T. 5 et T. 8, cf. AD, 56-59, 2001-2004, B’3B, Chr., 361 (A. Chrysostomou).
90 Kotsakis 1998, 46-47.
91 Fotiadis 2001, 121.
92 Andreou S. et al. 1996 ; Soueref 2011.
93 Frazer 1886 ; Binford 1972, 209.
94 Hertz 1905-1906.
95 Murray 1988.
96 Trigger 1989, 163-164 ; Childe 1927.
97 Gori 2012.
98 Hammond 1967a ; 1972.
99 Hammond 1972, 3.
100 Hammond 1967b ; 1976.
101 Desborough 1964 ; 1972, 106-111.
102 Snodgrass 1971, 177 sq.
103 Binford 1962 ; 1971.
104 Binford 1971, 18-19 ; Pearson 1999, 27-29.
105 Hodder 1982a, 6.
106 Pearson 1999, 84.
107 Morris I. 1987, 57-155 ; 1992.
108 Gnoli & Vernant 1982, 6 (introduction par J.-P. Vernant).
109 Gnoli & Vernant 1982, 7.
110 Houby-Nielsen 1992.
111 Luce 2007a ; 2007b ; 2009 ; 2014 ; Luce (à paraître).
112 Comme l’ont montré les analyses statistiques d’I. Morris (1987), ces études nécessitent une documentation détaillée des vestiges afin de saisir pleinement la variabilité interne des pratiques funéraires dans les nécropoles, dans leurs dimensions spatiales et temporelles (la proportion des différents types de tombes et des rituels et leur localisation dans les nécropoles, une chronologie fiable et précise, le détail du mobilier, l’âge et le sexe des défunts).
113 Houby-Nielsen 1992.
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