Conclusion de la première partie
p. 275-276
Texte intégral
1L’étude de la présentation de la décadence a été centrée autour des questions des étapes historiques du progrès et du déclin fixées par les deux historiens. Nous avons aussi étudié la conception du temps, qui en ressort, et l’image biologique de la décadence. L’analyse de ces questions nous a mené à des conclusions importantes. Tout d’abord, il a été constaté que, même si le mot “décadence” n’existe pas à la fin de la République, Salluste a été le premier auteur conservé à avoir exposé une histoire du progrès et de la décadence. L’historien parvient à ce résultat à travers les longues digressions qu’il ajoute au récit. Tite‑Live, en adoptant la forme annalistique, dote cette histoire du progrès et de la décadence d’une dimension programmatique plus nette : il la définit comme le sujet de l’AVC dans la préface et le thème de la décadence est celui qui l’aide à fabriquer une architecture de son œuvre monumentale.
2Tite-Live tend à apporter des corrections au schéma historique de la décadence proposé par Salluste. Les traces de cette réponse se décèlent dans la préface et se concrétisent tout au long du récit. Ainsi, selon Tite‑Live, la décadence fut un processus plus lent et plus progressif que ne l’a prétendu Salluste dans ses monographies, et plus récent que ne l’a entendu le même historien dans son schéma plus pessimiste dans les Histoires. En outre, contrairement à Salluste qui s’efforce de déterminer le moment historique d’apparition de chaque vice dans l’histoire romaine, en modifiant ses interprétations au cours de ses trois œuvres, Tite‑Live admet que l’ambitio surtout, mais aussi l’auaritia et la luxuria, étaient présentes en germe dès les débuts de Rome, mais on réussissait à réprimer leur manifestation ; c’est à partir du moment où on les a laissées libres d’agir que la décadence a commencé. Ce décalage reflète une conception différente de la nature humaine qui mérite d’être étudiée en détail.
3Ensuite, en se fondant sur ces démonstrations, il a été souligné que ni Salluste, ni Tite‑Live ne professent une telle conception déterministe, mais qu’ils exploitent également des éléments empruntés à la théorie cyclique et linéaire du temps, pour souligner dans tous les cas la responsabilité des individus dans le processus de la décadence. Or, la manière particulière dont chacun fait valoir les deux théories a montré que la fin de la res publica est plus ou moins inévitable chez Salluste, alors que chez Tite‑Live la perspective d’une reprise du progrès, conformément à une conception cyclique, est plus ouverte.
4Ces mêmes conclusions ont été confirmées par la suite : il a été montré que la cité est également conçue comme un corps qui est né, a grandi, et est tombé malade. La responsabilité des citoyens pour ne pas avoir arrêté cette maladie est soulignée par les deux auteurs. Cependant, contrairement à Salluste qui met en scène une maladie violente sans évoquer les possibilités de guérison du corps malade de l’État, cette perspective est plus nettement soulignée chez Tite‑Live qui répond à Salluste, en faisant usage du même vocabulaire.
5La présentation différente de la décadence doit être liée à une interprétation différente des causes précises et de l’évolution future de ce phénomène. La responsabilité des individus dans la maladie de l’État est bien présente chez les deux historiens, mais Salluste semble faire de plus en plus place à des facteurs déterministes qui décident du destin de l’État. Or, puisqu’il ne s’agit que de conclusions préliminaires1, nous devons poursuivre cette étude pour examiner d’abord, la réflexion des deux auteurs sur les causes profondes de la maladie de l’État, et ensuite, leur position concernant la possibilité de lui apporter des remèdes.
Notes de bas de page
1 Comme l’a noté Momigliano 1966, 14 : “isolated metaphors do not make historical interpretations”.
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