Introduction
p. 11-22
Texte intégral
1En paraphrasant le titre de la célèbre conférence de Michel Foucault, “Qu’est-ce qu’un auteur ?” (1969)1, la réflexion collective proposée dans ce volume entend revenir sur les fondements sémantiques de la notion, dans son lien originaire avec celle d’“autorité”. Il s’agit d’interroger la riche polysémie du latin auctor, dans ses implications juridiques et politiques, philosophiques et théologiques, rhétoriques et poétiques, et l’évolution vers le français auteur.
2Le nom d’agent latin a jusqu’ici moins retenu l’attention des philologues antiquisants que son dérivé abstrait auctoritas2, ou que les concepts d’auteur3 et d’autorité4 séparément ; ces deux mots ont été finalement peu étudiés ensemble5, et récemment plutôt dans le domaine médiéval6. Or pour comprendre le sens profond des notions d’auteur et d’autorité, il faut d’abord remonter à auctor et en mesurer toutes les virtualités. Mais ce terme présente deux difficultés majeures : la multiplicité de ses sens, et la distorsion avec le verbe augeo “accroître, augmenter”.
3Une explication ancienne faisait de auctor un “augmentateur”, sur la base d’une indication d’Isidore de Séville dans ses Étymologies (auctor ab augendo dictus, 10, 2) – description morphologique vraisemblable, mais exploitée au Moyen Âge dans une direction de sens réductrice. Conrad von Hirsau par exemple, au xiie siècle, dit dans son Dialogus super auctores7 : Auctor ab augendo dicitur eo, quod stilo suo rerum gesta uel priorum dicta uel dogmata augeat, “Auctor [l’auteur] vient de augere [augmenter], parce que par son écriture il augmente les faits ou les dits et doctrines des anciens” (il leur ajoute du sens, les amplifie par son interprétation et les prolonge par sa réécriture)8. À l’opposé de cette vision d’un simple augmentateur, maillon d’une chaîne intertextuelle, Émile Benveniste a tiré le signifié d’auctor vers celui de “créateur”, en supposant pour augeo un sens premier “produire, promouvoir”, dont “augmenter” ne représenterait dans la langue classique qu’une valeur affaiblie9 : selon lui, augeo aurait fondamentalement signifié non pas le fait d’accroître quelque chose qui existe déjà, mais “l’acte de produire hors de son sein”. Cette tentative de reconstitution peut paraître séduisante, parce qu’elle correspond à notre conception de l’auteur comme producteur d’une œuvre et peut suggérer un parallèle entre le latin auctor et le grec ποιητής (ποιεῖν signifiant produire un objet extérieur à l’agent). Elle est effectivement reproduite dans maints travaux10, qui s’appuient avec confiance sur l’autorité de Benveniste. Mais cette hypothèse manque de solidité, comme l’ont souligné Walter Berlardi et Maurizio Bettini dont on rappellera ici les critiques11. Benveniste invoque deux passages de Lucrèce, comme si au ier siècle a.C. ce disciple d’Épicure et défenseur de l’atomisme pouvait témoigner d’un vieil état de langue et de conceptions traditionnelles, et il plaque la traduction “faire naître” pour mieux retrouver dans le texte l’idée de création qu’il présuppose12. Il donne un troisième exemple, une prière archaïque transmise par Tite-Live (29.27), mais sans le traduire et en passant rapidement car l’idée qu’il en dégage est “promouvoir” une entreprise (ce qui ne correspond pas au sens premier supposé fort d’un acte créateur, à moins de dire : “faire advenir” ?). Il s’agit de la célèbre prière publique de Scipion, prononcée avant de prendre la mer pour porter la guerre en Afrique (204 a.C.) : Diui diuaeque qui maria terrasque colitis, uos precor quaesoque uti quae in meo imperio gesta sunt, geruntur, postque gerentur, ea mihi populo plebique Romanae sociis nominique Latino […] eaque uos omnia bene iuuetis, bonis auctibus auxitis. On peut traduire : “Dieux et déesses qui habitez les mers et les terres, je vous prie et vous supplie que tout ce qui sous mon commandement s’est fait, se fait et se fera par la suite, pour moi, pour le peuple et la plèbe de Rome, pour les alliés et la puissance latine […], tout cela vous l’aidiez heureusement et le fassiez prospérer par des développements prospères” (la répétition rend le jeu étymologique entre le substantif auctus et la forme verbale auxitis, qui redouble la même idée pour gagner en efficacité comme souvent dans les prières). Augere signifie ici “favoriser la prospérité”, sens qui apparaît déjà chez Plaute13. À la base, la proposition de Benveniste semble motivée par une méprise sur le sens de cet “accroissement” qu’exprime le radical latin aug- (peut-être par projection de notre représentation moderne). Comme l’ont bien montré W. Belardi et M. Bettini14, notamment à propos de cette prière de Scipion qui demande aux dieux de faire agir la force de croissance qu’ils possèdent, un tel agrandissement, qu’il soit d’ordre matériel (famille15, patrimoine, territoire) ou rituel (autorisation divine accordée à une entreprise, validation d’un acte juridique ou politique), procède à l’origine du modèle biologique et cosmique16. Non pas addition d’un nouvel élément, mais puissance originelle qui garantit l’expansion dans la durée.
4Pour comprendre le sens de aug- en latin et de la racine indo-européenne *h2eu̯g‑, il faut revenir à l’explication de Georges Dumézil sur le vieux nom latin reconstitué *augus (qu’on décèle dans augur “présage” puis “prêtre chargé d’examiner les présages”, et dans augus‑tus “pourvu de force sacrée, auguste”), en comparant avec védique ójaḥ17. Dumézil fait remarquer que, dans le Rig Veda, ójah désigne une force physique localisée dans les bras ou les cuisses, pas uniquement guerrière bien qu’elle soit essentiellement rapportée au dieu Indra (qui a la puissance d’un chef d’armée et d’un taureau) ; elle l’est parfois aussi à la terre elle-même, lorsque par cette force divine elle maintient fermement les arbres sous l’orage ; elle concerne les travaux cosmiques, souvent représentés comme un combat, elle peut être demandée aux dieux par les hommes, mais n’a pas de rapport avec l’idée de fécondité et de maturation. Ainsi, la notion originaire contenue dans ójah et son correspondant latin *augus était “le plein de force”, la “réserve de puissance” pour réaliser un exploit ou un travail, une provision pour l’action future18. Cette notion est du côté de la puissance plutôt que de l’acte – une force qui préside aux commencements ou au succès d’une entreprise. En latin il y a infléchissement vers la notion de présage, augur (issu de la masculinisation du neutre *augus) désignant les signes divins de ce plein de force donnés par les dieux, puis le prêtre habilité à en informer les autres comme dépositaire seulement d’un sens à transmettre – et c’est augustus qui signifie le détenteur d’une telle force accordée par les dieux19.
5On peut dès lors rapprocher *h2eu̯g‑ d’autres racines relatives à la notion de croissance originaire, telles que *genh1- “naître” (ved. ajani, gr. γίγνοµαι, lat. gignere, nascor, natura) et *bhweh2- “pousser, devenir” (gr. ἔφυν et dérivé nominal φύσις, lat. fui et fio)20. Le sens de h2eug- est “être/devenir fort, puissant” (LIV2, 274)21, avec l’idée d’un accroissement d’énergie clairement représenté, comme on l’a vu, dans ce vieux neutre indo-européen *h2éug‑e/os- (véd. ójas- “force, énergie, puissance” et lat. augus-tus)22. Et si l’on revient sur le deuxième exemple lucrétien cité par Benvéniste, DRN 5.322, on doit le comparer à d’autres occurrences, chez Pacuvius et surtout Cicéron, où le verbe augere entre dans toute une série de termes au sens très proche : on remarque qu’il se trouve souvent en deuxième position après les noms ou verbes se rapportant à l’idée de germe et de naissance (principia naturae, germen et semen, formari, gigni), et régulièrement associé à alere “nourrir” (placé avant ou après)23. Ainsi, augere paraît plutôt décrire une étape seconde après la formation originaire, c’est-à-dire le passage d’un processus premier, celui de la naissance (*genh1-) et du développement initial (*bhu̯eh2-), à l’acquisition de la force (le développement initial supposant du reste aussi bien croissance, augeri, que déclin ensuite, minui). Le verbe semble impliquer continuation de la force naturelle de naissance, renforcement d’une énergie primitive de croissance.
6Ni simplement augmentateur ni absolument créateur donc, auctor signifie fondamentalement celui qui engage un processus prospère : le “garant”, qui donne sa force à une réalisation. Le nom appartient d’abord à la langue du droit, pour désigner celui qui légitime un acte (garant d’un acte de vente, tuteur, témoin authentifiant un élément du procès, Sénat validant un vote de l’assemblée…). À cet égard il y a lieu de souligner la valeur performative des vieilles formules de droit privé et public où entre ce terme auctor – voir le cas de la périphrase auctor esse “se porter garant, prendre la responsabilité” d’où plus couramment “conseiller”24. Hors de la sphère juridico-politique, auctor se dit ensuite, dans divers aspects de la vie sociale, de celui qui est à l’origine d’une famille ou d’une nation, d’une institution ou d’une tradition, d’un savoir : instaurateur, inventeur, instigateur, créateur, etc.
7Il peut être éclairant de se reporter à la typologie proposée par Kojève des quatre formes d’autorité, au sens de pouvoir admis sans résistance (le Père, le Maître, le Chef, le Juge)25, car on y retrouvera bien des sens d’auctor. Certes on ne verrait guère l’auctor latin s’incarner dans les figures du Juge (iudex)26 et encore moins du Maître (au sens de dominus)27. Mais d’une part il recoupe à l’évidence le type du Chef (soit globalement dux, qu’on trouve souvent en synonymie avec auctor), dont la vue pénétrante et le savoir sont orientés vers l’avenir, et qui inclut des fonctions comme celles du conseiller (suasor, autre synonyme) ou du maître dont la science et la compétence s’imposent à l’élève, au non-initié (nous pourrions dire doctor, voire artifex). D’autre part il correspond en grande partie au type du Père, appuyé sur le passé et lié à la tradition – auctor à la fois en tant qu’origine d’une famille voire d’un peuple, en tant qu’auteur d’une œuvre produite, et du point de vue théologique en tant que Dieu-Père, “cause” de l’univers, créateur du monde et de l’homme.
8La dimension temporelle, la notion de commencement et l’idée de transmission inhérentes à la notion d’autorité, que Myriam Revault d’Allonnes a bien mises en évidence (Le Pouvoir des commencements. Essai sur l’autorité, 2006), devraient être soulignées déjà chez l’auctor latin28. Il est le “commenceur”, doté d’initiative29 et, bien souvent, il est ainsi désigné rétrospectivement, comme celui qui, à l’origine d’un heureux développement, a su “voir loin” (cf. le modèle cicéronien du fondateur Romulus, prototype du prudens30, et la figure du Chef définie par Kojève31). Ainsi dans l’invocation aux divinités qui ouvre les Géorgiques, cette adresse du poète à Auguste (Verg., G., 1.26-28) : … et te maximus orbis / auctorem frugum tempestatumque potentem / accipiat, [on ne sait si] “le vaste univers t’accueillera comme l’auteur des moissons et le seigneur des saisons” (trad. E. de Saint-Denis, CUF). Le Prince, assimilé à un souverain cosmique, présenté comme celui grâce à qui la végétation croît et les saisons sont bien réglées, pourra être admis après sa mort parmi les dieux en tant qu’ayant accompli une œuvre de prospérité : on voit bien ici la projection dans un accompli avec regard rétrospectif, pour célébrer le moment du commencement qui préside à la plénitude.
9De surcroît, l’auctor assure une transmission de force, un transfert de puissance32, avec continuation ou reprise du geste initial, comme le montrent divers emplois : le garant d’un acte juridique donne de la validité à celui-ci, le témoin authentifie un élément du procès, le promoteur d’une loi communique au projet la puissance qu’il tient de son charisme personnel, celui qui est à l’origine d’une nouvelle lui apporte sa caution, celui qui est à la source d’un savoir historique, scientifique ou philosophique autorise un certain développement discursif, et les modèles de la tradition – ancêtres ou auteurs anciens – suscitent une force d’imitation (aemulari, imitari, sequi). L’auctor est celui auquel on se réfère, vers lequel on peut se retourner – souvent un titre décerné a posteriori33. Le Chef ou le Père, dont l’Auteur serait une variante, représente la figure vers laquelle on fait retour – figure de commencement, plutôt que de commandement. Ainsi, par rapport à inuentor ou conditor, qui se rapportent au moment premier de la découverte ou de la fondation, auctor considère la durée, la garantie dans le temps – le moment initial en tant qu’il est gros d’avenir34.
10Outre ce rapport privilégié au temps (passé et futur ensemble, passé du futur ou futur dans le passé), une autre composante importante du sens, au cœur de la polysémie de auctor, est la notion de fides : le respect qu’on voue, la confiance qu’on accorde et sur laquelle repose l’influence, le prestige – dans le domaine non seulement politique mais culturel : information, savoir, philosophie... Auctor est celui à la responsabilité ou au témoignage de qui l’on s’en remet35.
11D’autres perspectives d’étude sont suggérées par les deux sens principaux auxquels l’évolution aboutit en français médiéval : d’une part Dieu créateur du monde, et d’autre part l’écrivain par rapport à son œuvre36. Pour exprimer l’idée de l’“auteur” divin, on note que, dans la traduction cicéronienne du Timée, le mot auctor ne se rencontre pas (mais on a artifex, fabricator, effector mundi et molitor ou aedificator, parens uniuersitatis), alors qu’on en trouvera ensuite plusieurs occurrences dans la traduction et le commentaire de Calcidius, en équivalence avec le grec αἴτιος. La désignation de Dieu comme auctor divin n’apparaît guère qu’avec le stoïcien Sénèque (qui, à côté de artifex, conditor et dispositor, rector ou dux et custos, présente déjà deux attestations d’auctor dans cet emploi37) et c’est avec les auteurs chrétiens qu’elle s’imposera (Tertullien, Lactance, Ambroise, Augustin) : y a-t-il là cohérence ou bien mutation, par rapport au sémantisme traditionnel d’auctor ?
12Quant au sens littéraire d’“auteur” d’une œuvre, il émerge au ier siècle a.C., surtout chez Cicéron38 ; mais il apparaît encore au croisement de plusieurs emplois existants : fondement de pensée (en parlant des philosophes), source historique ou scientifique, et enfin modèle littéraire, notamment en poésie et en rhétorique (voir chez Quintilien). Auctor désigne celui à qui l’on se réfère, comme garant de vérité ou exemple à imiter, et connote la déférence, là où scriptor indique simplement l’agent par rapport à l’œuvre écrite, aux scripta. C’est ce sens de modèle à suivre (pour le contenu de discours ou pour la forme du langage), d’instance de véridiction éprouvée qui va s’affirmer. Au Moyen Âge, qu’est-ce qui définira exactement le canon des auctores ? Peut-on dire que l’esthétique y reste subordonnée à l’éthique ? Y a-t-il un tournant à la Renaissance, où la figure moderne de “l’auteur” se construirait non plus seulement dans l’imitation/émulation, mais aussi à travers la critique de la tradition – l’auteur contre les auctores, en quelque sorte ?
13Pour finir, on doit revenir sur les éléments constitutifs de la “fonction-auteur” dégagés par Foucault : l’auteur est une construction identitaire répondant au besoin d’attribuer un texte à un nom propre, pour lui donner une valeur qui surclasse l’usage banal de la parole, pour lui trouver un principe d’unité dans la production du sens, mais aussi pour lui assigner une responsabilité pénale, par rapport à la censure et à la répression. Sur ce dernier point, on peut songer au cas d’Ovide, dont la relégation aux confins du monde romain, sur les bords de la mer Noire, avait pour motif officiel l’immoralité de l’Art d’aimer39. Le poète manie très consciemment la notion d’auteur : il emploie à de nombreuses reprises le mot auctor à propos de l’œuvre qui lui a valu d’être exilé, et pour plaider sa cause il exploite la distinction entre la moralité de l’homme (Ovide) et les regrettables badinages de l’auteur (Nason). Il se met par exemple en scène comme auteur lorsqu’il prête la parole à ses petits livres des Tristes qui, envoyés à Rome, se voient refuser l’accès des bibliothèques : “L’infortune d’un malheureux père (auctor) retombe sur sa progéniture et nous, ses enfants (nati), nous subissons le même exil que lui” (Trist., 3.1.73-74) – en jouant sur l’ambiguïté de auctor, à la fois “auteur” d’une œuvre et “père” d’une lignée, “auteur des jours” d’un être. D’après ces critères, on peut conclure que la notion d’auctor/auteur existait déjà dans l’Antiquité, même si elle n’était pas aussi clairement dégagée qu’à l’époque moderne depuis l’invention de l’imprimerie et la constitution du droit d’auteur40. Si l’on veut caractériser la “prénotion” antique, l’auteur n’est pas celui qui s’affirme dans un je, le créateur considéré au moment de son énonciation, c’est bien plutôt une fonction construite dans l’après-coup : il est désigné à la 3e personne dans le discours d’un locuteur comme tiers prestigieux à qui l’on fait remonter une tradition d’écriture, que l’on revendique comme modèle. Auctor en ce sens n’existe que dans l’énonciation a posteriori, dans le constat d’un énoncé préexistant et fondateur, d’une “instauration discursive”.
14Tels sont donc les multiples aspects de la question “qu’est-ce qu’un auctor ?”, qu’abordent les quinze contributions du présent volume. Elles se répartissent en quatre sections : “forme et significations de auctor” (étymologie et sémantique) ; “auctor dans ses fondements juridiques, politiques et historiques” (sens juridico-politiques et emplois dans l’historiographie) ; auctor appliqué aux domaines philosophique, littéraire et théologique, dans la latinité païenne et chrétienne ; évolutions au Moyen Âge et à la Renaissance, du latin auctor jusqu’au français auteur.
15La première partie vise à présenter l’origine et l’amplitude des significations que revêt auctor. Laurent Gavoille d’abord propose de redéfinir la relation qui unit auctor “le conseiller, le garant” et augeo “augmenter”, d’un point de vue morphologique et sémantique. Si auctor était le nom d’agent dérivé de augeo, il n’aurait vraisemblablement pas cette forme et en aurait gardé le sens. Mieux vaut donc faire dériver auctor directement de la racine *h2eu̯g‑ “être fort” et considérer que augeo, qui ne correspond à aucune catégorie de présent indo-européen, est récent, bâti sur un thème nominal secondaire de degré plein *h2éu̯g‑ “force vitale, accroissement” (voir le sens premier “croître, devenir fort” de augeo, l’emploi causatif étant le fruit d’une réinterprétation). Dans la constitution formelle de cette base de dérivation aug‑, ainsi que dans la construction du sémantisme du verbe, auctor (d’abord adjectif signifiant “qui devient fort”, dans la vieille formule auctor sum) a joué un rôle d’un intermédiaire capital entre la racine et le verbe latin. Élisabeth Gavoille ensuite tente de dégager un signifié profond et constant, une sorte de schéma notionnel d’auctor, y compris derrière le sens premier “garant” et au-delà dans les autres emplois, qu’on peut percevoir dans des associations contextuelles avec d’autres termes : conditor, actor, suasor, magister, doctor, princeps et dux, ou encore artifex, rector et scriptor. De ces “variations synonymiques” ressort l’idée d’une force instituante, d’une puissance inaugurale supérieure aux réalisations et productions auxquelles elle donne lieu (la puissance par rapport à l’acte).
16La deuxième partie concerne la définition de auctor dans les institutions politiques, sa conception et sa représentation dans l’histoire. Michèle Ducos revient sur le sens de auctor en droit privé et en droit public, et se penche particulièrement sur la signification juridico-politique de l’expression formulaire patres auctores, depuis les premiers temps de la cité romaine jusqu’à la fin de la République, pour montrer comment la notion d’autorité du Sénat a évolué : jadis ratification postérieure au vote des comices, puis autorisation en amont de celui-ci, l’auctoritas des sénateurs représente une force d’influence, dans la délibération et l’élaboration des décisions, une puissance à faire agir, avec un aspect dynamique bien distinct de cet état de prééminence reconnu que désigne maiestas. Chez Tite-Live, Liza Méry s’intéresse parmi les multiples emplois de auctor à une occurrence clé, dans le fameux passage consacré au débat sur les dépouilles opimes (20, 4) qui est essentiel pour comprendre le rapport de l’historien à Auguste : célébrer le Prince comme auctor templi à propos de la réfection du temple de Jupiter Férétrien, c’est reprendre le style de la dédicace mais aussi marquer la distance avec un rôle d’auctor dans les questions historiographiques, c’est lui rappeler que son domaine (faire l’histoire) n’est pas celui des auctores qui l’écrivent (Licinius Macer et les annalistes, Tite-Live lui-même) – “à chacun son auctoritas” en somme. La même distinction vaut dans la contribution d’Olivier Devillers qui, examinant l’ensemble des occurrences de auctor et auctoritas dans les œuvres de Tacite, met en évidence deux plans, politique (l’auctor à l’initiative d’une action ou d’une décision) et historiographique (l’auctor comme source de l’information) : il ressort de cette analyse que Tacite conçoit l’activité littéraire comme un substitut d’activité politique, et l’historiographie en particulier comme le seul champ qui permette à un sénateur d’œuvrer véritablement au bien de l’État et de retrouver son auctoritas. Enfin, l’étude que Ida Gilda Mastrorosa consacre à la réception de la figure de Lucius Junius Brutus, Rei publicae Romanae auctor, embrasse un vaste corpus, de Tite-Live et Denys d’Halicarnasse jusqu’au xviiie siècle chez le juriste allemand Christoph Ludwig Crell, en passant par Pétrarque et Machiavel : elle montre comment s’est construit, à la fin de la République romaine et au début du Principat, un véritable “mythe” de Brutus auctor au sens de fondateur de la république et artisan de la liberté, inventeur du consulat, père de la république bien plutôt que de ses fils, qui a ensuite été réactivé et exploité selon le contexte idéologique, comme un paradigme fonctionnel qui transcende la réalité historique.
17La troisième partie regroupe les analyses littéraires, philosophiques et théologiques. Sophie Aubert-Baillot se propose d’étudier les valeurs et nuances des mots auctor et auctoritas en philosophie, d’après les œuvres de Cicéron : quelles sont les figures ainsi désignées et pourquoi d’autres ne le sont-elles pas ? qu’est-ce qui garantit la “fiabilité” des auctores ? quel rapport est ainsi marqué avec le savoir et la sagesse ? Auctor qualifie le fondateur d’une école ou d’une lignée, le philosophe qui combine expérience pratique et éminence intellectuelle (auctor doctissimus exalte non seulement l’idée mais son mode d’expression, et Platon est qualifié de diuinus auctor). Le nom auctor accompagné d’un génitif a un sens plus faible (Épicure n’est que auctor atomorum), tandis que, employé absolument, il est pourvu d’un sens fort, pour référer aux académiciens et aristotéliciens, et impliquer une puissance de pensée qui autorise une liberté d’interprétation. Quant à l’abstrait auctoritas, il dénote les qualités intellectuelles et la rigueur éthique à la fois, il représente une source doxographique et se trouve associé à antiquitas, mais il peut servir aussi à dénoncer le dogmatisme et l’excessive révérence, voire la témérité dans le cas d’une argumentation orgueilleuse. Aldo Setaioli s’intéresse ensuite aux rapports entre auctor et interpres selon Sénèque. Chez le philosophe stoïcien, le nom auctor signifie surtout celui qui est “à l’origine” (la divinité qui crée et régit l’univers) ou le “garant” (source historique ou scientifique, notamment dans les Questions naturelles) mais, rapporté au domaine littéraire, il perd cette notion de garantie pour désigner l’écrivain, envisagé du point de vue des idées et non du style – il y a ainsi des auteurs mauvais. Les philosophes sont auctores sapientiae, mais si l’on se contente de répéter leur enseignement, on ne reste qu’un interpres : il faut lire les auteurs éprouvés (auctores probati) pour s’approprier leur vertu nourricière et devenir soi-même auctor dans un sens normatif et exigeant, c’est-à-dire en apportant sa contribution et en construisant une pensée originale, en accroissant ce qu’on a reçu, en ajoutant de nouvelles connaissances. Sylvie Franchet d’Espèrey part des deux valeurs principales de auctor, “instigateur” dans l’action politique et “garant” juridique, pour montrer comment sur cette seconde ligne s’est développé le sens littéraire d’“auteur”, avec l’expansion du domaine des lettres au ier s. p.C. Si l’auctor contribue à la persuasion, c’est en tant qu’il inspire confiance et suscite l’adhésion (fides), et l’expression consacrée par la tradition fides penes auctores erit (“on fera confiance aux auteurs”) exprime bien un transfert de responsabilité. Les auctores sont ceux auxquels on se réfère (notamment dans les textes préfaciels), jusqu’à constituer ce “canon” qui contient toujours l’idée de garantie : modèle à imiter ou “initiateur” d’un genre, auctor en littérature n’a pas le sens moderne de “créateur”. Cécile Biasi montre ensuite comment saint Jérôme construit sa persona d’auteur, se posant à la fois en artisan d’une technique et en exemplum, à travers la double image du directeur de conscience et du savant retiré du monde. Cette figure d’auteur procède du statut d’interpres, à la fois traducteur et promoteur de la ueritas hébraïque – la Bible représentant la vérité ultime, l’auctoritas au-delà de laquelle on ne remonte pas mais qui contient une force d’engendrement pour d’autres textes. Ainsi, l’auteur tient son autorité du livre sacré tout en accroissant à son tour la portée de celui-ci, et son geste de remontée à la source même, à la vérité au sens philologique et spirituel, rehausse l’interpres au niveau d’un prophète. François Guillaumont enfin se penche sur la notion d’auteur divin, créateur du monde (auctor uniuersi et expressions similaires) : chez les auteurs païens auctor est généralement évité pour rendre l’idée du démiurge, car trop marqué sans doute par le sens juridico-politique de “garant”, mais un tel emploi apparaît avec le stoïcien Sénèque et sera développé chez les écrivains chrétiens (à côté de creator certes plus fréquent), tels que Tertullien, Minucius Félix et saint Augustin, et intégré à un vocabulaire de la création particulièrement riche (artifex, creare/creator, condere/conditor, facere/factor, formare, fabricare/fabricator, ordinator…). Au total, il faut souligner à la fois la plasticité de cet emploi de auctor, qui correspond au grec ποιητής ou αἴτιος, et sa cohérence par rapport au sémantisme traditionnel du mot latin, le “créateur du monde” étant responsable de ce qu’il a instauré.
18La quatrième partie est consacrée aux prolongements et mutations du Moyen Âge et de la Renaissance, en conjuguant les domaines latin et français. Alberto Ricciardi s’intéresse à l’intervention de l’auctor dans l’écriture et la réécriture des textes hagiographiques d’époque carolingienne, notamment à travers les exemples d’Hincmar de Reims ou d’Alcuin : même si l’auteur – comme l’intellectuel – n’a pas encore de statut véritablement défini, et même subordonné à un commanditaire de l’œuvre, il s’affirme comme interprète de sources légendaires, exégète des Écritures, recréateur de textes perdus et acteur culturel. Au Moyen Âge toujours, mais cette fois dans le champ vernaculaire, Fanny Oudin se propose de rapprocher de la “fonction auteur” (Foucault) la position du signataire de lettres. À l’époque le terme d’ “auteur” est réservé à ceux qui sont consacrés par la tradition, et “epistolier” désigne un livre de lettres, mais l’on peut s’intéresser au “mandateur” ou expéditeur de la lettre, identifié par rapport à son destinataire et dans son rôle social grâce à l’expression “de par” (de la part de, au nom de) : on retrouve ici la notion d’origine et de cause propre à auctor, celle aussi de fides (qu’impose la relation épistolaire), et celle de “promotion d’une action” (à travers la salutation qui signifie les rôles). Enfin, on peut considérer comme auteur celui qui réunit ses lettres pour en composer un recueil, éditer sa correspondance et ainsi “faire œuvre”. Les deux contributions suivantes ouvrent sur la modernité renaissante. Laurence Bernard-Pradelle réfléchit à son tour au statut d’auctor épistolaire, à travers l’exemple de l’humaniste Marc-Antoine Muret qui, en publiant sa correspondance privée, ne prétend pas “faire autorité” en matière de style pas plus que d’action politique ; mais, examinant minutieusement le sous-groupe constitué par les lettres à son ami imprimeur Paul Manuce, qui portent sur les éditions de Catulle et de Tibulle ainsi que sur toutes sortes de difficultés, elle montre que le choix des lettres retenues pour publication et leur agencement en deux périodes, l’une heureuse et l’autre sombre, sont conçus pour mettre en évidence le brillant parcours d’un philologue dont le cruel retournement de fortune est en fin de compte surmonté grâce au soutien indéfectible de l’ami et à la reconnaissance de ses qualités propres d’érudit : Muret fonde ainsi son auctoritas d’exemple et d’auteur à la fois. La contribution finale de Violaine Giacomotto-Charra analyse la manière dont, du xvie au xviie siècle, et tout particulièrement dans les textes savants et les œuvres de vulgarisation – chez André Vésale, Charles Estienne, Pierre Belon, Guillaume Rondelet ou Scipion Dupleix –, la figure de l’auteur passe de l’autorité scientifique à celle d’ “auteur” au sens moderne – un auteur qui, s’affranchissant du modèle des Anciens et d’une tradition dont le souvenir n’est plus que rapporté, se constitue comme source nouvelle et affirme son originalité.
Notes de bas de page
1 M. Foucault (1969), “Qu’est-ce qu’un auteur ?”, Bulletin de la société française de philosophie, 63, 73-104 ; repr. in : Dits et écrits I (1994), Paris, 789-821.
2 Voir par exemple J. Gaillard (1978), “Auctoritas exempli : pratique rhétorique et idéologie au ier siècle av. J.‑C.”, REL, 56, 30-34 ; P. Gros (1989), “L’auctoritas chez Vitruve. Contribution à l’étude de la sémantique des ordres dans le De Architectura”, in : Munus non ingratum. Proceedings of the International Symposium on Vitruvius’ De Architectura and the Hellenistic and Republican Architecture (Leiden, 23-24 January 1987), Leyde, 126-133 ; L. Calboli Montefusco (1990), “L’auctoritas nella dottrina retorica”, Vichiana, 1, 41-60 ; J.-F. Thomas (2014), “Le prestige politique à Rome : de l’auctoritas patricienne au prince Augustus”, in : F. Hurlet, I. Rivoal, I. Sidéra (dir.), Le Prestige. Autour des formes de la différenciation sociale, Paris, 47-56.
3 Cf. M. Couturier (1995), La Figure de l’auteur, Paris ; G. Chamarat et A. Goulet, dir. (1996), L’auteur, Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle (4-8 oct. 1995), Caen ; N. Lavialle et J.‑B. Puech, dir. (2000), L’Auteur comme œuvre. L’auteur, ses masques, son personnage, sa légende, Orléans ; A. Brunn (2001), L’Auteur, Paris ; N. Jacques-Lefèvre et F. Regard, dir. (2001), Une histoire de la fonction-auteur est-elle possible ?, Saint-Étienne ; S. Dubel & S. Rabau, dir. (2001), Fictions d’auteur ? Le discours biographique sur l’auteur de l’Antiquité à nos jours, Paris ; L. Garino-Abel, F. Genton & F. Gramusset, dir. (2003), L’auteur, théories et pratiques, Actes des journées d’étude des 24 et 25 avril 2002, Grenoble ; C. Calame et R. Chartier, dir. (2004), Identités d’auteur dans l’Antiquité et la tradition européenne, Grenoble ; C. Hayez et M. Lisse, dir. (2005), Apparitions de l’auteur. Études interdisciplinaires du concept d’auteur, Berne ; récemment A. Compagnon, Cours du collège de France Qu’est-ce qu’un auteur ? mis en ligne sur le site Fabula.
4 Outre les analyses fondatrices d’Alexandre Kojève (La Notion de l’autorité, 1942) et de Hannah Arendt (“Qu’est-ce que l’autorité ?”, 1972), voir G. Leclerc (1996), Histoire de l’autorité. L’assignation des énoncés culturels et la généalogie de la croyance, Paris ; G. Mendel (2002), Une histoire de l’autorité. Permanences et variations, Paris ; M. Revault d’Allonnes (2006) : Le Pouvoir des commencements. Essai sur l’autorité, Paris.
5 Voir W. Belardi (1995), “Auctor e Auctoritas. Sopravvivenze del significato e del significante nel tempo”, Storia Antropologia e Scienze del Linguaggio 10, 127-190 ; M. Bettini (1998), “Le parole dell’autorità e la costruzione linguistica del leader”, in : Nazismo, fascismo, comunismo. Totalitarismo a confronto, Milan, 379-403 ; (2000), “Alle soglie dell’autorità”, saggio in B. Lincoln, L’autorità, Torino, vii-xxxiv (en particulier pour une analyse critique de l’hypothèse benvenistienne sur le sens premier de augeo “produire hors de soi”) ; enfin (2005), “Auf unsichtbaren Grundlagen. Eine linguistische Beschreibung der auctoritas”, in G. Melville (Hrsg.), Das Sichtbare und das Unsichtbare der Macht. Institutionelle Prozesse in Antike, Mittelalter und Neuzeit, Cologne - Weimar - Vienne, 237-258.
6 Cf. E. Andersen, J. Haustein, A. Simon & P. Strohschneider, dir. (1998) : Autor und Autorschaft im Mittelalter: Kolloquium Meißen 1995, Tubingen ; M. Zimmermann, dir. (2001), Auctor & auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14‑16 juin 1999), Paris ; E. D’Angelo & J. Ziolkowski, dir. (2014), Auctor et Auctoritas in Latinis Medii Aevi Litteris. Author and Authorship in Medieval Latin Literature. Proceedings of the VI Congress of the International Medieval Latin Committee (Benevento and Naples, November 9-13, 2010), Florence ; S. Friede & M. Schwarze, dir. (2015) : Autorschaft und Autorität in den romanischen Literaturen des Mittelalters, Berlin.
7 In : R.B.C. Huygens, éd (1970), Accessus ad auctores, Leyde.
8 Sur cette conception médiévale de l’auteur, voir E. Baumgartner, “Sur quelques constantes et variations de l’image de l’écrivain (xiie-xiiie s.)”, in : Zimmermann 2001, 391 : “Est qualifié d’auteur celui qui ajoute un supplément de matière et de sens, d’interprétation, au texte qui lui sert de source et de support”.
9 É. Benveniste (1969), Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, t. 2. Pouvoir, droit, religion : “Le ‘censor’ et l’‘auctoritas’ ”, 149-151.
10 G. Mendel (2002, 26) retient de l’interprétation benvenistienne une “action d’origine divine” ; Béatrice Fraenkel (“Pour une théorie de l’auteur dans une théorie de l’action – Approche étymologique”, in : Hayez & Lisse 2005, 37-61) oppose schématiquement la “perte de sens” ou la “déchéance” de l’augur selon Dumézil (qui dévaloriserait la notion indo-européenne initiale de “plein de force”, en tant que simple interprète des signes de cette force divine), et le “récit heureux” de l’auctor benvenistien (qui retrouverait force dans l’énonciation). Voir aussi José-Luis Diaz, “La notion d’auteur (1750-1850)”, in : Jacques-Lefèvre & Regard 2001, 170 ; M. Revault d’Allonnes, 2006, 70 sq. ; dernièrement Antoine Compagnon dans son cours en ligne sur Fabula, Qu’est-ce qu’un auteur ? (“Quatrième leçon : Généalogie de la notion d’autorité”).
11 Berlardi 1995, 146 et Bettini 2005, 250 ; à leur suite, Gavoille É. 2015, 27-29.
12 Lucr. 5.80 (à propos de la natura gubernans, la nature qui dirige les évolutions des astres, ceux-ci ne recelant ni spontanéité dans leur course ni obéissance à quelque volonté divine) : morigera ad fruges augendas atque animantis, les astres “dociles pour faire croître des moissons et des êtres animés” ; 5.322 (le monde, étant composé de particules, est périssable – rappel ici de l’isonomie ou loi d’équilibre entre les éléments) : Nam quodcumque alias ex se res auget alitque, / deminui debet, recreari, cum recipit res, “car tout ce qui fait croître et nourrit à partir de soi d’autres corps doit subir une perte, et se réparer en retrouvant ces corps”.
13 Cf. Epid., 192 : Di hercle omnis me adiuuant, augent, amant, et Men., 550a : Di me quidem omnes adiuuant, augent, amant, “Tous les dieux m’aident, me favorisent, m’aiment” ; Ps., 1128 (c’est le proxénète Ballion qui parle) : boni me uiri pauperant, improbi augent, “les hommes de bien m’appauvrissent, les gens malhonnêtes m’enrichissent”.
14 Berlardi, 1995, 147 et Bettini, 2005, 251-253.
15 Voir l’expression liberis auctum esse (Pl., Truc., 384 et 516 ; Sen., Oed., 881 ; Tac., Ann., 2.84.2) et ses variantes : filiolo (Cic., Att., 1.2.1), filio (Gel. 12.1.1), filia (Tac., Agr., 6.2). Elle condense l’idée que l’être “se prolonge” dans la procréation (voir là-dessus Cic., Tusc., 1.31).
16 Voir Sal., Jug., 2.3 : corporis et fortunae bonorum, ut initium, sic finis est, omniaque orta occidunt et aucta senescunt, “Les biens du corps et de la fortune ont un terme, comme un commencement : tout ce qui est né périt, et tout ce qui a crû vieillit”.
17 G. Dumézil (1969), “Augur”, in : Idées romaines, Paris, 80-102.
18 Il conclut en effet par ces formules : “L’ójas est plutôt une réserve, un stock de force, préalable et entretenu, où le héros ou l’agent puise la force particulière nécessaire à tel exploit ou tel travail ; quelque chose, en langage moderne, comme le parc de munitions derrière la batterie, ou “le plein d’essence” […] qui permet ensuite la performance du moteur” (p. 92). En tant que “réserve de force, condition préalable des manifestations particulières de la force” (ibid.), l’ójas n’est pas proche de l’action ou d’un instrument de l’action, mais représente “une provision pour l’action future” (93) ou “le plein de force fait en vue de l’action” (94).
19 Ibid., 95-100.
20 À quoi on pourrait ajouter *h2ner- “force d’homme” (véd. av. nar-, hitt. innara-, gr. ἀνήρ, lat. Nerō) et *u̯ih1- “force, vigueur” (gr. ἶφι “par la force”, lat. uīs, véd. vayas-) avec dérivé u̯iH-ró- “doué de force, homme” (lat. uir, v.-irl. fir, got. wair) : cf. José Luis García Ramón (2006), “Homme comme force, force d’homme : un motif onomastique et l’étymologie du vieil irlandais *gus”, in : La langue poétique indo-européenne, éd. par G.-J. Pinault & D. Petit, Louvain - Paris, 79-93 (part. 85).
21 Le sens factitif de augere “faire croître” est secondaire : cf. dans ce volume la contribution de L. Gavoille.
22 Cf. G.-J. Pinault (2006), “Compétition poétique et poétique de la compétition”, in : La langue poétique indo-européenne, éd. par G.-J. Pinault & D. Petit, Louvain-Paris, 367-411 (part. 384-385).
23 Pac., 90-92 R2 = 112-114 W (ap. Cic., Diu., 1.131) : Quidquid est hoc, omnia animat format alit auget creat, “Quel que soit cet être, il anime, façonne, nourrit, développe, crée toute chose” ; Cic., Fin., 5.26 : res quas natura alit, auget, tuetur, “les choses que la nature nourrit, fait croître, conserve” ; 5.39 (les productions de la terre sont comparables aux êtres animés) : earumque [sc. rerum quas terra gignit] augendarum et alendarum quandam cultricem esse, quae sit scientia et ars agricolarum, “pour les faire pousser et les nourrir, il existe une certaine méthode de culture, qui relève du savoir et de la pratique des paysans” ; 5.43 : sunt enim prima elementa naturae, quibus auctis uirtutis quasi germen efficitur, “car ce sont les éléments premiers de la nature qui en se développant produisent ce qu’on pourrait appeler le germe de la vertu” (trad. J. Martha, CUF, modifiée) ; 5.58 : Omnium enim rerum principia parua sunt, sed suis progressionibus usa augentur, “Car toutes choses ont de petits commencements et c’est seulement avec les progrès de leur âge qu’elles grandissent” (trad. Martha) ; N.D., 1.35 (sur le péripatéticien Straton de Lampsaque) : omnem uim diuinam in natura sitam esse censet, quae causas gignendi augendi minuendi habeat, “il estime que toute la force divine réside dans la nature, qui porte en elle-même les causes de la naissance, de la croissance et du déclin” ; 2.33 (l’échelle des êtres, argument du providentialisme stoïcien) : prima enim animaduertimus a natura sustineri ea quae gignantur e terra, quibus natura nihil tribuit amplius quam ut ea alendo atque augendo tueretur, “Nous avons d’abord remarqué que la nature sauvegardait les êtres qui naissaient de la terre [le règne végétal], qu’elle se contentait de protéger en les nourrissant et faisant croître ; 2.41 (Cléanthe sur la puissance artisane du feu) : ille corporeus [sc. ignis] uitalis et salutaris omnia conseruat alit auget sustinet, “ce feu corporel, en tant que source de vie et de santé, préserve, nourrit, développe et sauvegarde toutes choses” ; 2.81 : materia, qua ali augerique possit semen ; 2.83 : stirpes amplexa alat et augeat terra.
24 Cf. L. Gavoille (2017), “La formule de conseil auctor sum dans la correspondance de Cicéron. Étude étymologique, pragmatique et sémantique”, in : É. Gavoille et F. Guillaumont (dir.), Conseiller, diriger par lettre, Tours, 53-70.
25 Cf. Kojève 2004, 67-88. Dans ces pages le philosophe construit un véritable système à partir des quatre modèles fournis par la théorie platonicienne (le Juge), aristotélicienne (le Chef), scholastique (le Père), hegelienne (le Maître).
26 Le iudex montre/dit le droit (ius dicere), il impose mais ne garantit rien, il ne pose pas la loi et la force qu’il lui donne est illocutoire. En revanche l’auteur d’une loi, celui qui la propose (en latin auctor legis), donne de la validité au texte de loi lui-même, il engage sa parole, sa fides.
27 Le dominus ordonne (imperare) et, comme le juge qui dit le droit, opère dans le présent – auctor en revanche entretient un lien particulier avec le passé et l’avenir.
28 Cf. É. Gavoille (2015), “Auctor et auctoritas : le paradigme latin de l’instauration discursive”, Paris, 21-38 (part. 29-31).
29 À cet égard, il répond à la définition laudative chez Hannah Arendt d’un agent incarnant la “faculté de liberté”, cette “capacité de commencer qui anime et inspire [diverses] activités humaines et qui est [à l’origine] de la production de toutes les grandes et belles choses” (“Qu’est-ce que la liberté ?”, in : La crise de la culture, trad. fr. 1972, Paris, 186-222, p. 219).
30 Cic., Rep., 2.5-11.
31 Kojève 2004, 73-74 : l’autorité du type Chef repose sur la supériorité d’un savoir, liée à la capacité de prévoir et de concevoir un projet, donc caractérisée par son orientation vers l’avenir.
32 Cf. Bettini 2000, xxx, et Gavoille É. 2015, 30. Sur l’idée d’une transmission de puissance, Kojève renvoie à la figure du Père, du point de vue familial, politique, théologique etc. (2004, 81) : “dans l’Autorité du Père […] la notion d’hérédité intervient naturellement : […] il est naturel d’admettre que l’Autorité du Père passe – comme un héritage – au Fils (dans la mesure où il devient Père à son tour et [que] son propre Père meurt).”
33 Voir M. Fruyt (1990), “La plurivalence des noms d’agent latins en ‑tor : lexique et sémantique”, Latomus, 49/1, 59-70, et en particulier son analyse de Cic., Att., 8.3.3 (p. 65-66) : à propos de Pompée, la concentration des noms en ‑tor (parmi lesquels figure auctor), pour dénoter des actions particulières voire uniques, situées dans le passé du locuteur, en concurrence avec des verbes au parfait (aluit, auxit, armauit), implique une valeur emphatique – grauitas procurée par une expression plus resserrée qu’une tournure verbale, et/ou “titre” décerné au vu d’une situation résultant d’une action passée.
34 Voir dans ce volume les contributions de L. Gavoille et É. Gavoille.
35 Voir la formule des historiens citée par Sénèque, fides penes auctores erit (Nat., 4b.3.1), pour avancer une affirmation en s’abritant derrière leur source – formule étudiée dans ce volume par Sylvie Franchet d’Espèrey.
36 Du Robert historique et du TLFi, on tire que le français auteur est attesté depuis le xiie siècle, sous diverses formes (auctur chez Wace, autor chez Guernes de Pont-Sainte-Maxence), avec pour principaux emplois : 1° “écrivain, celui qui a écrit un livre” – d’où le diminutif autorel (péj.), “écrivaillon” ; 2° “celui qui est à l’origine de qqch”, particulièrement en parlant de Dieu créateur, auteur du monde. La graphie autheur (Nicot, 1606 “celui de qui on tient un droit” dans la langue juridique) peut s’expliquer par confusion avec authentique qui, en passant par le bas latin authenticus, “original et correctement attribué” (adj., en parlant d’un texte) et authenticum “acte juridique qui fait foi” (subst. neutre), vient du grec tardif αὐθεντικός (de αὐθ-έντης, “qui agit de/par lui-même” et, passif, “que l’on accomplit de sa main”).
37 Sen., Nat., 1. praef. 3 et 5.18.13. Voir dans ce volume l’étude de F. Guillaumont.
38 Chez Térence, ce sens qui semble déjà poindre dans le prologue polémique et métalittéraire de l’Andrienne n’est en fait guère dégagé de celui de “garants” à exhiber, “modèles” derrière lesquels s’abriter en réponse à l’accusation de contaminatio (Névius, Plaute, Ennius). Cf. Ter., An., 19-20 : … quos hic auctores habet, / quorum aemulari exoptat neglegentiam, “voilà ceux que notre poète a pour répondants, dont il aspire à imiter la négligence” (trad. J. Marouzeau, CUF, un peu modifiée).
39 Cf. J.-P. Néraudau (1996), “Ovide ou la difficulté d’être un auteur : réflexions sur les Tristes et les Pontiques”, in : L’auteur, Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle (4-8 oct. 1995), Caen, 27-35.
40 Pour une brève histoire de la notion d’auteur (depuis Théognis), qu’il me soit permis de renvoyer à Gavoille É. 2015 (Présentation p. 8-18, part. 10-13), d’après : D. Auger (1987) : “De l’artisan à l’athlète : les métaphores de la création poétique dans l’épinicie et chez Pindare”, in : Le Texte et ses représentations, Paris, 39-56 ; J. Svenbro (1996), “La notion d’auteur en Grèce ancienne”, in : L’auteur, Caen, 15-26 ; F. Létoublon (2003), “L’invention de l’auteur”, in : L’Auteur, Théories et pratiques, Grenoble, 19-39 ; C. Calame (2004), “Identités d’auteur à l’exemple de la Grèce classique”, in : Calame et Chartier, 11-39.
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