Auctor uniuersi et expressions similaires
p. 173-184
Texte intégral
1“Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses ; tout dégénère entre les mains de l’homme.” Ainsi commence un ouvrage célèbre, Émile ou de l’éducation, de Jean-Jacques Rousseau. C’est bien sûr le Créateur que Rousseau appelle “l’Auteur des choses”. On peut dire aussi “l’auteur de l’univers”, “l’auteur du monde”, “l’auteur de la nature1”. Ces expressions françaises ont leurs équivalents latins : auctor rerum, auctor uniuersi, auctor mundi, auctor naturae. Ce sont ces expressions latines que nous allons étudier, chez les auteurs païens et chez les auteurs chrétiens. Dans la littérature classique les occurrences sont assez peu nombreuses, et l’on peut tenter un relevé exhaustif. Chez les auteurs chrétiens la matière est beaucoup plus abondante. S’il y a de nombreux travaux sur le thème de la création chez les Pères de l’Église, le vocabulaire de la création a été nettement moins étudié. Nous ne pourrons donc proposer que quelques pistes de réflexion, à propos de Minucius Felix, Tertullien et saint Augustin.
2Nous commencerons par quelques remarques sur le texte qui est au fondement de toute la réflexion antique sur la création : le Timée de Platon. Chacun sait que pour Platon le créateur est le démiurge, ὁ δηµιουργός, terme qui se traduit par “l’ouvrier” ou “l’artisan”2. En fait δηµιουργός n’est utilisé que six fois dans le Timée à propos de l’artisan divin3. Le plus souvent Platon écrit “le dieu”, θεός ou ὁ θεός. Dans une phrase célèbre, abondamment citée par la suite, Platon introduit deux autres termes, ποιητής et πατήρ.
Τὸν µὲν οὖν ποιητὴν καὶ πατέρα τοῦδε τοῦ παντὸς εὑρεῖν τε ἔργον καὶ εὑρόντα εἰς πάντας ἀδύνατον λέγειν.
“Découvrir l’auteur [le fabricant] et le père de cet univers est une tâche difficile, et quand on l’a découvert il est impossible d’en parler à tous4.”
3En outre Platon recourt volontiers à une possibilité que lui offre la langue grecque, celle du participe substantivé, précédé de l’article : par exemple ὁ ποιῶν, ὁ συνιστάς, expressions qui ne peuvent pas être transposées telles quelles en latin5.
4On sait que le Timée a été partiellement traduit en latin d’abord par Cicéron, puis par Calcidius au ive siècle p.C. Dans sa traduction du Timée, Cicéron n’emploie jamais le mot auctor. Il faut noter d’ailleurs que dans le vaste corpus cicéronien auctor n’est jamais appliqué à un dieu, sans doute en raison de son sens principalement juridique, ou politico-juridique6 : l’auctor est pour Cicéron un garant, un instigateur, un conseiller humain. Considérons sa traduction de Timée, 28 c : Atque illum quidem quasi parentem huius uniuersitatis inuenire difficile et, cum iam inuenerit, indicare in uulgus nefas (Ti., 6). Cicéron traduit πατήρ, mais omet de traduire ποιητής, peut-être parce que ce terme n’était pas facile à rendre en latin. Factor est très rare en latin classique et n’est pas cicéronien. Cicéron utilise effector comme équivalent du grec δηµιουργός, mais ne l’a pas employé ici : peut-être entendait-il le réserver à la traduction de δηµιουργός7.
5Calcidius, quant à lui, dans sa propre version du Timée, utilise trois fois auctor, le plus souvent comme équivalent du grec αἴτιος8. En 28 c, Platon écrit : τῷ δ’αὖ γενοµένῳ φαµὲν ὑπ’αἰτίου τινὸς ἀνάγκην εἶναι γενέσθαι (“pour celui qui est engendré, nous disons qu’il est nécessaire d’être engendré sous l’effet d’une cause”). Calcidius traduit : At uero ea quae fiunt habere auctorem suum constitit, alors que Cicéron traduisait : nihil autem gigni posse sine causis (Timée, 5). En 28 c toujours, Calcidius rend le grec ποιητής par opifex, terme qui est chez lui l’équivalent habituel de δηµιουργός. Dans sa traduction Cicéron n’emploie jamais opifex et une fois seulement artifex (Ti., 6). On sait en effet par le De natura deorum (1.18-19) que la conception platonicienne d’un dieu artisan avait suscité les moqueries des Épicuriens9. Calcidius écrit à une époque où l’épicurisme n’a plus de représentants : il peut donc se permettre d’écrire régulièrement opifex, dans sa traduction comme dans son commentaire.
6Nous avons vu que Cicéron n’applique jamais le terme auctor à une divinité10. Par contre nous rencontrons des dieux auctores chez les écrivains augustéens, Tite-Live et Virgile. Nous nous limiterons à deux exemples. Chez Tite-Live, c’est le consul M. Valerius Corvus, ou Corvinus, qui, en 343, s’adresse à ses troupes.
Non, si mihi nouum hoc Coruini cognomen dis auctoribus homines dedistis, Publicolarum uetustum familiae nostrae cognomen memoria excessit.
“Si vous, les hommes, m’avez donné ce nouveau surnom de Corvinus à l’instigation des dieux, je n’ai pas oublié l’antique surnom de Publicola porté par notre famille11.”
7Chez Virgile, c’est le pilote Palinure qui s’adresse à Énée à un moment où la tempête menace :
Magnanime Aenea, non, si mihi Iuppiter auctor
spondeat, hoc sperem Italiam contingere caelo.
“Magnanime Énée, même si Jupiter s’en portait garant et me le promettait, je n’espérerais pas, avec ce ciel, atteindre l’Italie12.”
8Selon Élisabeth Gavoille, auctor se dit “dans divers aspects de la vie sociale, de celui qui est à l’origine d’une famille ou d’une nation, d’une institution ou d’une tradition, d’un savoir : instaurateur, inventeur, instigateur, créateur, etc.13”. À partir du moment où auctor peut s’appliquer à une divinité, il est naturel qu’il en soit venu à désigner le dieu créateur de l’univers.
9Dans la littérature latine conservée, les premières occurrences se trouvent chez Sénèque14. Trois passages sont à considérer. Dans la préface au premier livre des Questions naturelles, Sénèque célèbre l’utilité et la grandeur de la physique, ou science de la nature.
Equidem tunc rerum naturae gratias ago [...] cum disco quae uniuersi materia sit, quis auctor aut custos [...]
“Je rends grâces à la nature [...] quand j’apprends quel est le matériau de l’univers, quel en est l’auteur ou le gardien [...]15.”
10Il est clair qu’ici auctor a pour complément uniuersi : c’est de l’auteur de l’univers qu’il est ici question. Auctor est couplé avec custos, terme qui revient en 2.45.1 à propos du dieu suprême. Auctor désigne vraisemblablement la cause première, à l’origine du processus cosmique, tandis que custos est celui qui actuellement garde le monde et le maintient en bon ordre. Pour Sénèque les deux termes ont bien sûr le même référent.
11Toujours dans les Questions naturelles, le livre 5 traite des vents, de uentis. Les vents, affirme Sénèque, ont été créés par la providence, mais les hommes en font un mauvais usage : ils ont construit des navires pour aller porter la guerre et la violence au-delà des mers.
Non tamen, ut paulo ante dicebam, queri possumus de auctore nostri deo, si beneficia eius corrupimus et ut essent contraria effecimus.
“Cependant, comme je le disais tout à l’heure, nous ne pouvons pas nous plaindre de Dieu, notre créateur, si nous avons corrompu ses bienfaits et fait en sorte qu’ils nous fussent contraires16.”
12Paul Oltramare traduit “Dieu, notre bienfaiteur17”, et il est vrai que chez Sénèque auctor est souvent l’auteur d’un bienfait18. Mais ici le complément au génitif est nostri : il paraît difficile de ne pas traduire “Dieu, notre créateur”. Ainsi, pour Sénèque, Dieu est l’auteur de l’univers, mais également l’auteur de l’homme.
13Notre troisième passage se trouve dans les Lettres à Lucilius. La Lettre 107 est écrite à propos d’un incident dont Lucilius a été la victime : quelques-uns de ses esclaves se sont enfuis. Sénèque, à ce propos, rappelle à son disciple qu’il n’y a pas lieu de s’affliger de ce qu’on ne peut pas empêcher et qu’il faut se prémunir contre les incidents de la vie.
Optimum est pati quod emendare non possis, et deum quo auctore cuncta proueniunt sine murmuratione comitari : malus miles est qui imperatorem gemens sequitur.
“Le mieux est de supporter ce qu’on ne pourrait corriger et d’accompagner sans murmurer Dieu, auteur de toutes choses ; c’est un mauvais soldat, celui qui suit son général en gémissant19.”
14Dans la suite de la lettre Sénèque cite en traduction latine des vers célèbres de Cléanthe. Dieu est ici l’auteur de toutes choses, cuncta. Il est probable que, dans ce contexte, cuncta désigne moins l’univers physique que la chaîne des événements, qui correspondent à la volonté de la providence.
15Lorsqu’il évoque un dieu créateur, et un dieu créateur de l’homme, Sénèque n’est pas infidèle au stoïcisme. Certes le dieu stoïcien ne façonne pas, à la manière d’un artisan humain, une matière qui lui serait extérieure. En tant que principe actif il anime de l’intérieur une matière qui est le principe passif. Cependant, si l’on en croit Diogène Laërce, les stoïciens n’en appliquaient pas moins au principe actif le terme platonicien de δηµιουργός20. On sait qu’ils le qualifiaient également de feu artiste, ou feu artisan, πῦρ τεχνικόν21. Dans ses Entretiens, Épictète reprend les termes platoniciens de δηµιουργός et de ποιητής22. Pour lui comme pour Sénèque, Dieu est le créateur de l’homme23.
16D’autres textes latins d’inspiration stoïcienne qualifient le créateur d’auctor. Au livre 9 de la Guerre civile, Lucain raconte la visite de Caton au sanctuaire de Zeus Hammon, dans l’oasis de Siwah, en Libye. Bien que ses compagnons l’en pressent, Caton refuse de consulter l’oracle. En effet les renseignements que celui-ci peut donner portent sur des choses indifférentes ; notre raison suffit à nous éclairer sur les choses vraiment importantes24.
Haeremus cuncti superis, temploque tacente
nil facimus non sponte dei ; nec uocibus ullis
numen eget, dixitque semel nascentibus auctor
quicquid scire licet, steriles nec legit harenas
ut caneret paucis mersitque hoc puluere uerum [...]
“Tous, nous sommes attachés aux dieux d’en haut, et, même si le temple se tait, nous ne faisons rien sans la volonté divine ; un dieu n’a pas besoin de paroles, et notre créateur nous a dit en une fois, quand nous naissions, tout ce qu’il est permis de savoir ; il n’a pas choisi des sables stériles pour prédire à quelques-uns ni enfoui la vérité dans cette poussière25.”
17Auctor est employé ici sans complément. S’agit-il d’un emploi absolu, comme on parle en français du Créateur avec une majuscule ? Si l’on tient compte du contexte, de la place d’auctor à côté de nascentibus, auctor est bien plutôt à comprendre comme “notre créateur”, “celui qui nous a fait naître”, pour reprendre la traduction de Bourgery et Ponchont, les traducteurs de la CUF26. Ces vers sont à rapprocher du passage des Questions naturelles, où Sénèque, oncle de Lucain, écrivait de auctore nostri deo27.
18Dans le premier chapitre du livre 7 des Nuits attiques, Aulu-Gelle expose la manière dont le stoïcien Chrysippe a répondu aux adversaires de la providence. Ceux-ci s’appuient principalement sur l’existence du mal dans le monde. Pour Chrysippe l’existence du mal est inséparable de celle du bien. Il se demande si les maladies des hommes se produisent selon la nature. Pour lui elles ne correspondent pas à un dessein premier de la nature, mais se produisent par voie de conséquences que la nature n’a pas voulues28. C’est dans ce contexte qu’apparaît le mot auctor.
[Chrysippus] existimat autem non fuisse hoc principale naturae consilium, ut faceret homines morbis obnoxios, numquam enim hoc conuenisse naturae auctori parentique omnium rerum bonarum.
“Chrysippe pense que ce ne fut pas le dessein premier de la nature de soumettre les hommes aux maladies, car cela n’aurait jamais convenu à la nature, auteur et mère de toutes les choses bonnes29.”
19De son propre aveu, Aulu-Gelle suit ici le traité de Chrysippe Sur la providence. L’original du passage étant perdu, on ne sait pas à quels termes grecs répondent les termes latins. En tout cas le texte permet de préciser la pensée des stoïciens : Dieu, ou la nature, est auctor uniuersi, mais il n’est pleinement auctor que des choses bonnes, puisqu’il n’a pas voulu le mal, qui n’est présent dans le monde qu’à titre de conséquence nécessaire.
20L’emploi d’auctor pour désigner le créateur n’est pas réservé aux textes stoïciens : on en trouve aussi des exemples dans l’œuvre du platonicien Apulée. Au début du De deo Socratis, Apulée distingue à la suite de Platon des dieux visibles – les astres – et des dieux invisibles. Après avoir présenté les dieux invisibles, qui sont, pour l’essentiel, les douze dieux olympiens, il continue en ces termes :
Quorum parentem, qui omnium rerum dominator atque auctor est [...], cur e[r]go nunc dicere exordiar [...]
“Quant à leur père, qui est le souverain et l’auteur de toutes choses, pourquoi entreprendrais-je maintenant d’en parler30 ?”
21Le langage humain est en effet incapable d’exprimer la perfection divine. Ce père des dieux est le démiurge du Timée, qui, selon Platon, est le père des dieux secondaires31. En tant que démiurge il est omnium rerum... auctor.
22Parmi les opuscules philosophiques d’Apulée figure aussi le De mundo, traduction ou plutôt adaptation d’un texte grec, le traité Du monde attribué à Aristote. Même si on en a parfois douté, Jean Beaujeu, éditeur et traducteur du texte latin, considère qu’il s’agit probablement d’une œuvre d’Apulée32. Après une première partie cosmologique, le traité contient une seconde partie théologique : l’auteur estime en effet qu’on ne peut parler du monde sans évoquer le dieu suprême qui le dirige. Ce dieu suprême est présenté ainsi :
Vetus opinio est atque cogitationes omnium hominum penitus insedit, deum [esse] originis haberi auctorem deumque ipsum salutem esse et perseuerantiam earum, quas effecerit, rerum.
“C’est une opinion ancienne et elle a pénétré profondément les pensées de tous les hommes : Dieu est considéré comme l’auteur de l’origine et il assure lui-même le salut et la persistance des choses qu’il a faites33.”
23Ici le complément d’auctor n’est ni uniuersi ni rerum, mais originis. Origo peut référer soit à la création du monde, soit à la naissance, l’origine de chaque chose. Si l’on compare le texte latin à l’original grec, on s’aperçoit qu’auctor ne traduit pas un substantif, mais un tour prépositionnel : ἐκ θεοῦ πάντα.
24Auctor apparaît dans un autre passage, qui traite des noms divins : pour l’auteur, Dieu est unique même s’il est invoqué sous une pluralité de noms.
Idem ab iuuando Iuppiter dictus, quem Ζῆνα Graeci, quod uitae nostrae auctor sit, rectissime appellant.
“Il est aussi appelé Jupiter, du verbe iuuare [aider], lui que les Grecs appellent très justement Ζῆνα, parce qu’il est l’auteur de notre vie34.”
25De même que Jupiter est mis en rapport avec iuuare35, de même Ζῆνα, accusatif de Zeus, est implicitement rapproché de ζῆν, infinitif du verbe signifiant “vivre”. Zeus est l’auteur de notre vie : ici nous ne sommes pas très loin de Sénèque, pour qui Dieu est auctor nostri36.
26Nous en arrivons maintenant aux textes chrétiens37. L’idée de création a été profondément renouvelée par la pensée chrétienne, avec la notion de création ex nihilo, ou de nihilo, déjà présente dans l’Ancien Testament (2 Maccabées, 7.28)38. Selon Pierre-Marie Hombert, la doctrine de la création “trouve sa nature véritablement chrétienne quand elle dit l’acte créateur comme trinitaire et qu’elle lie de manière inséparable cet acte et l’ensemble du dessein divin39”. Pour ce qui est du vocabulaire, et pour nous limiter aux termes désignant le créateur, les Pères grecs, à la suite de Philon d’Alexandrie40, reprennent les termes platoniciens, ποιητής et δηµιουργός41. Quelques auteurs font des réserves sur δηµιουργός, qui pourrait laisser entendre que Dieu n’a pas créé à partir du néant, mais a façonné une matière préexistante42. En raison sans doute du platonisme des Pères, δηµιουργός n’en est pas moins courant dans la littérature grecque chrétienne43. Les Pères grecs recourent à un troisième terme, fourni par la Bible grecque des Septante : κτίστης, littéralement “le fondateur”44.
27En latin les termes retenus sont sensiblement plus nombreux. Nous nous limiterons à quelques remarques sur Minucius Felix, Tertullien et saint Augustin. Nous commencerons par Minucius Felix, qui assure la transition avec les textes païens. En effet l’Octavius donne d’abord la parole au païen Cécilius avant de la confier au chrétien Octavius. À propos de l’origine de l’univers, Cécilius semble favorable à la thèse épicurienne. Il montre en tout cas qu’il n’est pas nécessaire de supposer l’existence d’un dieu créateur.
Sint principio omnium semina natura in se coeunte densata : quis hic auctor deus ? Sint fortuitis concursionibus totius mundi membra coalita, digesta, formata : quis deus machinator ?
“À supposer qu’à l’origine les semences de toutes choses se soient condensées, la nature s’unissant à elle-même : quel est alors le dieu créateur ? À supposer que par des rencontres fortuites les membres de tout l’univers se soient formés, mis en ordre, façonnés : quel est le dieu architecte45 ?”
28Un peu plus loin nous lisons :
[...] in fontem refluunt et in semet omnia reuoluuntur, nullo artifice nec iudice nec auctore.
“[...] toutes choses refluent vers leur source et retournent à elles-mêmes, sans l’intervention d’un artisan, ni d’un juge, ni d’un créateur46.”
29Dans ces deux passages, avons-nous affaire à un emploi absolu d’auctor ? Dans le premier texte on peut considérer qu’auctor a pour complément implicite omnium ; on traduirait dans ce cas : “quel dieu en est alors l’auteur ?” Mais dans le second texte auctor est mis sur le même plan qu’artifex et iudex. Il paraît donc difficile de ne pas voir là un emploi absolu. Le monde existe sans artisan, ni juge, ni créateur.
30Dans sa réponse, le chrétien Octavius s’appuie sur l’ordre du monde pour démontrer l’existence de la providence.
Quid ? cum ordo temporum ac frugum stabili uarietate distinguitur, nonne auctorem suum parentemque testatur [...] ?
“Eh quoi ? quand l’ordre des saisons et des récoltes se distingue par une diversité régulière, ne témoigne-t-il pas de son auteur et père47 ?”
31Dieu est l’auteur, le créateur de l’alternance des saisons, mais il en est aussi le garant, le responsable. Minucius Felix joue ici de manière intéressante sur la polysémie d’auctor.
32Ce Dieu qui exerce sa providence connaît les hommes un par un. Octavius rappelle que le soleil est présent partout et se mêle à toutes choses.
Quanto magis deus auctor omnium ac speculator omnium, a quo nullum potest esse secretum, tenebris interest, interest cogitationibus nostris quasi alteris tenebris !
“Combien davantage Dieu, auteur et observateur de toutes choses, à qui rien ne peut être caché, est présent dans les ténèbres, est présent à nos pensées comme à d’autres ténèbres48 !”
33Le chrétien Minucius Felix rejoint ici le païen Apulée, pour qui Dieu est omnium rerum... auctor.
34L’œuvre de Tertullien est plus vaste et plus complexe, mais nous pouvons nous appuyer sur les recherches de René Braun, qui dans son livre Deus christianorum a consacré un chapitre au vocabulaire de la création49. Voici, pour ce qui nous concerne, les grandes lignes de son analyse : dans la Bible des Septante, Tertullien trouvait deux verbes pour exprimer l’action créatrice de Dieu, ποιεῖν et κτίζειν, équivalents de l’hébreu bârâ’. Ces deux verbes sont facilement transposables en latin avec facere et condere. D’où une terminologie double, à laquelle viennent s’annexer d’autres mots. À condere correspond le substantif conditor, que les auteurs classiques employaient déjà pour désigner le créateur (des exemples figurent chez Sénèque, et aussi Manilius, Juvénal et Stace50). Il était plus difficile de trouver un substantif correspondant à facere, en équivalence avec ποιητής. Factor est très rare en latin classique et semble avoir eu une spécialisation technique (Caton l’utilise dans le De agricultura à propos de la fabrication d’huile51). Tertullien l’emploie douze fois au sens de “créateur”, mais il lui préfère notre terme auctor. Il substitue auctor à factor comme équivalent de ποιητής et l’utilise quarante-sept fois dans son œuvre pour désigner l’auteur de toute existence et de toute réalité52.
35Un autre terme est encore beaucoup plus fréquent chez lui, celui de creator, qui, selon René Braun, apparaît 800 fois (dont 763 pour le seul Aduersus Marcionem). Curieusement Tertullien, qui fait un si grand usage de creator, n’emploie presque jamais le verbe creare dans son acception théologique. Creator chez lui constitue essentiellement la désignation du Dieu des chrétiens face à celui des gnostiques ou des hérétiques. D’où sa fréquence dans le Contre Marcion53.
36Précisons les emplois d’auctor chez Tertullien. Dieu est auctor omnium (c’est l’expression la plus fréquente), auctor naturae (expression que nous n’avions pas encore rencontrée54), auctor uniuersitatis, auctor substantiarum55. Il est dit “auteur” de certains éléments de la création : l’âme humaine, la raison, la chair, l’homme lui-même56. Tertullien recourt aussi au féminin auctrix, à propos de la bonté divine ou à propos de la matière dans le système de son adversaire Hermogène57.
37René Braun relève une vingtaine d’emplois absolus58. En fait, quand auctor n’a pas de complément au génitif, il arrive souvent qu’un complément se dégage du contexte. Mais dans quelques passages l’emploi apparaît vraiment comme absolu. Ainsi dans le Contre Hermogène, 7.4. Tertullien combat Hermogène, qui affirmait l’éternité de la matière ; il cherche à montrer que si la matière est éternelle on ne peut pas la dire inférieure à Dieu.
Quomodo ergo discernere audebit Hermogenes atque ita subicere deo materiam, aeternam aeterno, innatam innato, auctricem auctori [...] ?
“Comment donc Hermogène osera-t-il faire des distinctions et soumettre ainsi la matière à Dieu, celle qui est éternelle à celui qui est éternel, celle qui est incréée à celui qui est incréé, celle qui est créatrice à celui qui est créateur [...] ?”
38Auctor est employé ici sans complément. La matière éternelle d’Hermogène est auctrix comme Dieu est auctor. Tertullien reproche à son adversaire d’attribuer à la matière la qualité d’auctor, la puissance créatrice que l’orthodoxie chrétienne réserve à Dieu.
39À propos de Deus auctor dans l’œuvre immense de saint Augustin, nous ne pouvons donner que de brèves indications. Dans l’article “Creatio, creator, creatura” de l’Augustinus-Lexikon, Cornelius Mayer souligne la richesse du vocabulaire augustinien de la création59. Augustin emploie de préférence creare et ses dérivés creator, creatura, creatio, qui, à son époque, font figure de termes canoniques. Mais on trouve aussi chez lui de nombreux autres verbes avec leurs dérivés : condere (le terme le plus fréquent après creare), facere, instituere, formare, fabricare. Cornelius Mayer ne mentionne pas auctor, qui pourtant semble relativement fréquent.
40Dans la Cité de Dieu, pour désigner le Dieu créateur, on rencontre 81 fois creator, 23 fois conditor et 17 fois auctor. D’autres termes apparaissent moins fréquemment : artifex (13 fois), ordinator (6 fois), effector (terme cicéronien, 3 fois), fabricator (2 fois), factor (2 fois), opifex (2 fois). Auctor est couplé deux fois avec creator et trois fois avec conditor60. Dieu est auctor rerum, auctor uniuersitatis, auctor omnium substantiarum, auctor omnium essentiarum61. Il est aussi auteur de l’homme62. Auctor est souvent employé avec le mot natura : Dieu est auteur de toute la nature63, de toutes les natures64, de notre nature65, de la nature de l’homme pécheur66, de la nature des mauvais anges67, de la nature du ciel et de la terre68.
41Chez Tertullien, chez saint Augustin, auctor n’est-il qu’un simple synonyme de termes comme creator ou conditor ? Une expression commune aux deux auteurs va nous éclairer sur ce point : c’est l’expression auctor mali. Elle apparaît plusieurs fois dans le Contre Hermogène de Tertullien. Hermogène affirme, nous l’avons vu, l’éternité de la matière. Pour lui, si Dieu a tout créé à partir du néant, il est nécessairement auctor mali, le mal ne pouvant pas avoir une autre origine69. Tertullien lui répond que, si Dieu a laissé subsister des maux qu’il avait tirés de la matière, il n’en est pas moins auctor mali70. La thèse d’Hermogène ne résout donc nullement la question de l’origine du mal, la fameuse question Vnde malum ?
42Tertullien aborde aussi la question dans sa polémique contre Marcion. Pour Marcion, le Dieu créateur, le Dieu de l’Ancien Testament, qu’il oppose au Dieu de bonté révélé en Jésus-Christ, est auctor mali71. Tertullien estime, quant à lui, qu’il faut distinguer l’auteur de la faute, qui est le diable, et l’auteur du châtiment, qui est le Dieu unique, le Dieu de la foi chrétienne72.
43Le De libero arbitrio de saint Augustin s’ouvre sur une question qu’Évodius pose à Augustin : Dic mihi, quaeso te, utrum Deus non sit auctor mali (“Dis-moi, je t’en prie, si Dieu n’est pas l’auteur du mal”). Augustin répond que Dieu est l’auteur du châtiment, mais non l’auteur des mauvaises actions. Chaque méchant est l’auteur de ses mauvaises actions73. Augustin est ainsi conduit à développer sa doctrine du libre arbitre, qui est à la source du péché.
44La question est formulée exactement de la même manière (Vtrum Deus auctor mali non sit ?) dans le De diuersis quaestionibus, où elle constitue la question 21. Dans tous ces textes, c’est le terme d’auctor qui est retenu74. Il s’agit de défendre Dieu contre l’accusation d’être auctor mali, c’est-à-dire le créateur du mal, mais aussi le responsable du mal. Auctor introduit une idée de responsabilité qui est étrangère à des termes comme conditor ou creator. En grec le terme équivalent serait αἴτιος75. Une homélie de Basile de Césarée s’appelle en effet : Οὐκ ἔστιν αἴτιος τῶν κακῶν ὁ θεός (“Dieu n’est pas la cause des maux”)76.
45Notre étude a montré la plasticité du terme auctor, qui correspond parfois au grec ποιητής, parfois au grec αἴτιος77. Appliqué au créateur, le mot est susceptible de recevoir des compléments très divers. Dieu est auctor de l’univers, mais aussi auctor de l’homme, auctor hominis, auctor nostri, alors qu’en français on hésiterait à le dire “auteur de l’homme”. Nous avons relevé en outre, chez les auteurs chrétiens, quelques emplois absolus. Dans les passages étudiés, il y a, nous semble-t-il, cohérence par rapport au sémantisme traditionnel d’auctor : l’auctor est créateur, fondateur, instaurateur, mais aussi responsable, en quelque sorte juridiquement responsable, de ce qu’il a créé, fondé ou instauré.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Le Tartuffe de Molière déclare à Elmire : “Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature, / Sans admirer en vous l’auteur de la nature” (Tartuffe, vers 941-942). Et Lamartine écrit dans “Le Vallon” : “Sous la nature enfin découvre son auteur” (vers 62).
2 Xénophon (Mem., 1.4.7) qualifie lui aussi le créateur de “démiurge”. Chez Platon, voir R., 6.507 c ; 7.530 a ; Plt., 270 a ; 273 b ; cf. Sph., 265 c. Sur le créateur-démiurge, voir Theiler 1957 ; O’Brien 2015.
3 Ti., 28 a, 29 a, 41 a, 42 e, 68 e, 69 c. Pour d’autres emplois de δηµιουργός, voir 24 a, 40 b, 75 b.
4 Ti., 28 c (traduction personnelle, comme pour tous les textes cités). A. Rivaud (Timée-Critias, CUF, Paris, 1925) traduit ποιητής par “l’auteur”, L. Brisson (Timée-Critias, GF-Flammarion, Paris, 1992) par “le fabricant”. Sur la postérité de cette phrase célèbre, voir Nock 1962 ; Morlet 2008. Dans la tradition latine, voir Cic., N.D., 1.30 ; Apul., Pl., 1.5.191 ; cf. Soc., 3.124 ; Apol., 64.7 ; Tert., Apol., 46.9 ; Minuc., Oct., 19.14 ; Lact., Inst., 1.8.1 ; Ira Dei, 11.11 ; cf. Epit., 64.5.
5 Voir Ti., 29 d, 30 c, 31 b, 32 c, 36 d, 76 c, etc.
6 Sur le sens “fondamentalement juridico-politique” du terme auctor, voir Gavoille 2015, 24 et 33, note 14.
7 Effector traduit δηµιουργός aux § 40 et 47. Cf. les emplois d’efficere au § 4 et d’effectrix au § 37. Effector apparaît aussi au § 17. Cf. Tusc., 1.70 (où Cicéron se réfère à Platon). Sur la traduction de δηµιουργός par Cicéron, voir Lambardi 1982, 105-109.
8 Auctor correspond à αἴτιος en 28 c et 29 a. En 37 a, a praestantissimo auctore traduit ὑπὸ τοῦ ἀρίστου (sans substantif).
9 Sur la critique épicurienne du “créationnisme”, voir Sedley 2007, 139-150.
10 On ne trouve pas non plus de dieu auctor chez Plaute, Térence, Lucrèce, César (et le corpus césarien), Salluste. Dans un fragment de l’Évhémère d’Ennius (XII, 142-145 Vahlen), Vénus est qualifiée d’auctor, mais précisément dans un contexte “évhémériste”, où elle est présentée comme une simple femme. Il est vrai que dans le De lingua Latina, 6.64, Varron cite une formule augurale qui commence par Si mihi auctor es. Il est possible, mais non certain, que cette formule s’adresse à une divinité.
11 Liv. 7.32.15. Sur l’épisode célèbre qui a valu son surnom à Valerius, voir 7.26. Pour les dieux qualifiés d’auctores, voir Préface, 7 ; 1.4.2 ; 5.24.11 ; 9.14.4 ; 10.40.5 ; 21.45.9 ; 26.41.18 ; 28.28.11 ; 31.7.15 ; 40.58.6.
12 Verg., A., 5.17-18. Voir aussi 7.49 ; 8.336 ; 10.67 ; 12.159 ; 12.405 ; G., 1.27 (Octave, promis à la divinisation, est dit auctor frugum) ; 3.36. Voir aussi Ov., Met., 1.615 ; 2.88 ; 2.281 ; 3.18 ; 4.257 ; 4.640, etc. ; Pline le Jeune, Ep., 10.102 ; Apul., Met., 11.29.5.
13 Gavoille 2015, 26.
14 Chez Manilius, 2.112, auctor semble désigner le créateur. Mais les vers 111-114 s’intègrent mal au contexte et G. P. Goold (édition des Astronomica, coll. Loeb, 1977) les tient pour interpolés.
15 Nat., 1, praef. 3.
16 Nat., 5.18.13. L’incise ut paulo ante dicebam renvoie à 5.18.5, où Sénèque a utilisé l’expresssion prouidentia ac dispositor ille mundi deus.
17 Questions naturelles, t. 2, éd. et trad. P. Oltramare, CUF, Paris, 1961, p. 237.
18 Voir Ben., 1.12.1 ; 1.15.4 ; 2.4.2 ; 2.10.2, etc. En 7.31.4, c’est Dieu qui est dit beneficiorum auctor. Pour d’autres passages du De beneficiis où auctor s’applique à Dieu ou aux dieux, voir 4.7.1 ; 7.31.2.
19 Ep., 107.9.
20 D.L. 7.147 (= SVF 2, 1021) : τὸν µὲν δηµιουργὸν τῶν ὅλων καὶ ὥσπερ πατέρα πάντων. Cf. l’emploi du verbe δηµιουργεῖν en 7.134. Voir Long 2010, 47-49. Le mot “démiurge” est même employé dans un texte où est explicitement rejetée l’assimilation du créateur à un artisan humain ; voir SVF 2, 323 a (= Gal., Qual. inc., 6) : οὐδὲ γὰρ ποιητὴν εἶναί φασι, καθάπερ τινὰ χειροτέχνην, τὸν ∆ία, ἀλλ’ὅλον δι’ὅλης τῆς ὕλης διεληλυθότα πάντων δηµιουργὸν γεγονέναι (“Ils disent que Zeus n’est pas le fabricant, semblable à quelque travailleur manuel, mais le démiurge de toutes choses, répandu tout entier à travers toute la matière”). Voir sur ce texte Pépin 1964, 49.
21 Aet., 1.7.33 (= SVF 2, 1027) ; D.L. 7.156. Voir Cicéron, N.D., 2.57 : ignem [...] artificiosum.
22 Arr., Epict., 1.9.7 (ποιητής) ; 2.8.21 (δηµιουργός) ; cf. 3.24.10 (δεδηµιούργηται). Épictète emploie aussi τεχνίτης (1.6.8-10 ; 2.8.18-20).
23 Arr., Epict., 1.9.7 ; 2.8.19-21 ; 3.24.2. Pour Épictète, Dieu est aussi le père des hommes (1.3.1 ; 1.9.6-7 ; 3.24.16). Voir sur ce point Ehrhardt 1968, 156, qui établit un rapprochement avec D.L. 7.147 (cité note 20).
24 Cette attitude à l’égard de la divination est à rapprocher de celle d’Épictète : Arr., Epict., 2.7 ; Ench., 18 et 32.
25 Luc. 9.573-577.
26 Guerre civile (Pharsale), t. 2, éd. et trad. A. Bourgery et M. Ponchont, CUF, Paris, 1930, p. 155.
27 Il est à noter que, dans la littérature latine conservée, Lucain est le premier à qualifier le dieu créateur de creator (10.266-267 : ille creator / atque opifex rerum). Il est vrai qu’avant lui l’épicurien Lucrèce avait évoqué, métaphoriquement, la natura creatrix (1.629 ; 2.1117 ; 5.1362). Dans un passage traduit de l’Iliade (cité en Diu., 2.64), Cicéron emploie l’expression deum creator pour désigner Jupiter, “le père des dieux”.
28 Voir sur ce passage Hadot 1992, 170-171.
29 Gel. 7.1.8 (= SVF 2, 1170). R. Marache (Nuits attiques, tome 2, CUF, Paris, 1978, p. 83) traduit : “cela est en incompatibilité constante avec l’auteur de la nature, qui a engendré tout le bien”. Mais, dans le contexte, c’est la nature elle-même qui est présentée comme agissante. Il nous paraît donc préférable de faire de naturae non pas un génitif complément d’auctor, mais un datif complément de conuenisse, avec auctori en apposition. P. Hadot construit ainsi et traduit : “jamais un tel dessein n’a été compatible avec la Nature, créatrice et mère de toutes les choses bonnes” (Hadot 1992, 170).
30 Soc., 3.124.
31 Ti., 42 e.
32 Voir Jean Beaujeu, in : Apulée, Opuscules philosophiques, CUF, Paris, 1973, xxviii-xxix et 118-119.
33 Mun., 24.342. Traduction de Arist., Mu., 397 b 13-15 : Ἀρχαῖος µὲν οὖν τις λόγος καὶ πάτριός ἐστι πᾶσιν ἀνθρώποις ὡς ἐκ θεοῦ πάντα καὶ διὰ θεὸν συνέστηκεν (“C’est pour tous les hommes une tradition antique et ancestrale que toutes choses viennent de Dieu et subsistent par Dieu”).
34 Mun., 37.370. Traduction de Arist., Mu., 401 a 13-15 : Καλοῦµεν γὰρ αὐτὸν καὶ Ζῆνα καὶ ∆ία, παραλλήλως χρώµενοι τοῖς ὀνόµασιν, ὡς κἂν εἰ λέγοιµεν δι’ὃν ζῶµεν (“Nous l’appelons et Ζῆνα et ∆ία, utilisant parallèlement les deux termes, comme si nous disions celui par qui [δι’ὃν] nous vivons [ζῶµεν]”). Ζῆνα et ∆ία sont deux formes d’accusatif du nom de Zeus. Le traducteur latin simplifie et ne reprend que Ζῆνα.
35 Pour le rapprochement Iuppiter-iuuare, voir Cicéron, N.D., 2.64.
36 Aux textes littéraires que nous avons étudiés, le Thesaurus linguae Latinae, II, col. 1205, ajoute quelques textes épigraphiques : Carm. epigr. 1504.39 (seu cupis genitor uo<cari> et auctor orbis aut physis ipsa) ; CIL, XII, 2058 ; XII, 5862 ; XIII, 6.
37 Sur la création chez les Pères, voir l’ouvrage récent de P.-M. Hombert (2015) avec sa bibliographie (141-153). Voir aussi les actes de colloques publiés par M.-A. Vannier (2011) et B. Bakhouche (2016).
38 Voir May 1978, Clavier 2011.
39 Hombert 2015, 55.
40 Dans le De opificio mundi, Philon emploie ποιητής en 7, 21, 53, 77 et 88, et δηµιουργός en 10, 36, 68, 72, 138, 139, 146 et 171.
41 Voir Braun [1962] 1977, 335 et 379, qui se réfère à Justin et aux autres auteurs des iie et iiie siècles. Pour le ive siècle, voir par exemple Basile de Césarée, Homélies sur l’Hexaéméron, 1.2.3 D ; 1.4.5 A, etc. ; Grégoire de Nysse, De opificio hominis, 132 d (ποιητής) ; Basil., Hom. Hex., 1.2.3 C ; 1.5.5 C, etc. ; Greg. Naz., Orat., 38.11 (δηµιουργός). Les Pères grecs emploient volontiers les tours participiaux (ὁ ποιήσας, ὁ πεποιηκώς, ὁ κτίσας, etc.). Voir par exemple Basil., Hom. Hex., 1.9.10 A ; 1.11.1 E ; Greg. Nyss., De opif. hom., 125 b ; 129 a ; 149 b, etc.
42 Voir notamment Cohortatio ad Graecos, 22.4 (éd. M. Marcovich, Berlin - New York, 1990, 54). Voir sur ce passage Braun [1962] 1977, 335 et 379, note 1.
43 ∆ηµιουργός est fréquemment utilisé par Origène dans le Contre Celse. Voir l’index de l’édition M. Borret, SC 227, Paris, 1976, 386.
44 Voir dans la Septante, 2 S 22.32 ; Jdt 9.12 ; 2 M 1.24 ; 7.23 ; 13.14 ; Si 24.8. Pour l’emploi de κτίστης chez les Pères grecs (Justin, Irénée, Clément), voir Braun [1962] 1977, 335 et 354. Voir aussi Basile de Césarée, Hom. Hex., 1.3.4 C ; 1.5.5 C.
45 Oct., 5.7.
46 Oct., 5.8.
47 Oct., 17.7.
48 Oct., 32.9.
49 Braun [1962] 1977, 327-406 : “Chapitre quatrième : la création” (344-346 : “Auctor”).
50 Sen., Prou., 5.8 ; Ep., 119.15 (cf. 91.16) ; Phœn., 655 ; Man. 2.701 ; Stat., Theb., 3.483 ; Juv. 15.148.
51 Agr., 13.1 ; 64.1 ; 66.1 ; 67.1 ; 145.2 ; 146.3.
52 Braun [1962] 1977, 344-345. Dans son relevé R. Braun ne tient pas compte des expressions auctor boni, mali, delicti, ueritatis, etc. où, selon lui, “le mot perd son sens précis et n’est plus en rapport avec la création proprement dite”. Auctor est plus fréquent que conditor, qui n’apparaît que vingt-deux fois chez Tertullien (Braun [1962] 1977, 349 et 354).
53 Braun [1962] 1977, 369-378.
54 Chez Horace (Carm., 1.28.14-15), auctor naturae signifie “une autorité sur la nature” (à savoir Pythagore).
55 Auctor omnium : Tert., Herm., 6.1 ; 6.3 ; cf. 5.1 ; Marc., 2.5.4 ; cf. 1.11.3 et 2.12.3 ; An., 43.6. Auctor naturae : An., 16.2 ; Cor., 5.4 ; Cul., 1.8.2. Auctor uniuersitatis : Herm., 5.1. Auctor substantiarum : Marc., 4.20.1.
56 L’âme : An., 1.6 ; Carn., 12.4 ; Test., 1.7 ; 5.2. La raison : An., 16.1 ; 16.2 ; Paen., 1.2. La chair : Marc., 3.8.2 ; 3.8.6 ; 3.9.2 ; Res., 2.6 ; 63.6. L’homme : Marc., 1.24.5 ; 2.2.7 ; 2.6.8 ; 2.8.2 ; 4.11.3 ; 5.8.1.
57 Marc., 2.12.3 ; Herm., 5.1 ; 6.2 ; 7.4.
58 Braun [1962] 1977, 345.
59 Mayer 1996-2002, col. 63 : “Terminologische Vielfalt”.
60 Voir August., C.D., 14.4.1 (auctor couplé deux fois avec creator) ; 5.9.4 ; 12.1.2 ; 12.4 (auctor + conditor).
61 Auctor rerum : C.D., 8.5. Auctor uniuersitatis : 8.10.1. Auctor omnium substantiarum : 12.1.2. Auctor omnium essentiarum : 12.2.
62 C.D., 14.4.1 ; 22.1.2.
63 C.D., 5.9.4.
64 C.D, 11.25 ; 21.7 ; cf. 12.4 et 13.14.
65 C.D., 11.25.
66 C.D., 12.6.
67 C.D., 12.2.
68 C.D., 21.8.2.
69 Tert., Herm., 10.1.
70 Herm., 14 ; 15.3 ; 16.
71 Tert., Marc., 1.2.
72 Marc., 2.14.
73 August., Lib. arb., 1.1.1.
74 Voir aussi August., De mor. Manich., 2.3 ; De Genesi ad litteram, 25.3 ; Contra Iulian. Pelag., 3.9.18 (PL 44, col. 711) ; Lact., Ira Dei, 3.2 ; 3.3.
75 Sur l’équivalence auctor-αἴτιος, voir Braun [1962] 1977, 344, note 1.
76 Voir PG 31, col. 329-353. La traduction latine du titre est : Quod Deus non est auctor malorum.
77 L’étude des noms latins du créateur mériterait d’être élargie et approfondie. Sur le vocabulaire de la création chez Lactance, voir Loi 1970, 102-128. Lactance n’emploie pas creator, mais conditor, artifex, opifex. Selon Loi, il montre peu de faveur pour le terme auctor (aux textes cités p. 112-113 on peut ajouter Inst., 1.5.7 ; 6.2.5 ; 7.7.9). Auctor est en revanche fréquent chez saint Ambroise pour désigner le créateur : dans l’Exameron on rencontre 34 fois creator, 24 fois auctor et 4 fois conditor (en 1.2.5 : auctor mundi).
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