Auctoritas chez Tacite
p. 93-107
Texte intégral
1Dans le cadre du projet historiographique politiquement connoté que poursuit Tacite1, l’auctoritas revêt une triple connotation. D’abord, et sans doute surtout, le terme renvoie à l’activité du Sénat et des sénateurs. Prééminente sous la République, cette auctoritas sénatoriale dut avec Auguste – et c’est le deuxième aspect – s’effacer face à une nouvelle auctoritas, celle de l’empereur. Les quatre occurrences du terme dans les Res Gestae Diui Augusti traduisent cette évolution : agissant d’abord ex senatu auctoritate (RGDA, 12), ou ex auctoritate senatu (RGDA, 20), Auguste se réfère ensuite à sa propre autorité (RGDA, 28 : mea auctoritate), avant de définir ainsi sa position après 27 p.C. (RGDA, 35) : auctoritate omnibus praestiti, potestatis autem nihilo amplius habui quam ceteri qui mihi quoque in magistratu conlegae fuerunt. Le clivage auctoritas/potestas (potentia) que formalise ce dernier texte est bien assimilé par Tacite qui le reprend dans la Germanie, une fois sur le plan intérieur (G., 11.5 : auctoritate suadendi potius quam iubendi potestate), une autre sur le plan extérieur (G., 42.2 : sed uis et potentia regibus ex auctoritate Romana). Enfin, une troisième connotation est celle du portrait du bon général ; dans le modèle qu’en livre Cicéron, l’auctoritas représente l’une des qualités traditionnelles de celui-ci, à côté de la scientia rei militaris, de la uirtus et de la fortuna (Cic., Pomp., 28)2. De matrice sénatoriale, de par ses liens avec la rhétorique triomphale3 et l’annalistique en particulier, ce type du bon général fera lui aussi l’objet de récupérations par les empereurs (déjà par César dans ses Commentarii)4.
2Tels sont les trois emplois d’auctoritas par Tacite : en lien avec l’activité sénatoriale ; en lien avec l’exercice de commandements militaires ; en lien avec sa récupération par l’empereur dans chacun de ces deux domaines. C’est sous ces trois angles que nous passerons en revue les occurences du terme, dans les Histoires d’abord, dans les Annales ensuite. Dans un troisième temps, un survol des emplois d’auctor permettra de compléter notre argumentation.
Tableau 1. Occurrences d’auctoritas et d’auctor dans les ouvrages de Tacite
Agricola | Germanie | Dialogue | Histoires | Annales | |
Auctoritas | 2 | 4 | 5 | 24 | 25 [26]5 |
Auctor | 4 | 1 | 2 | 28 | 58 |
5Tableau 2. Répartition des occurrences d’auctoritas dans les Histoires et les Annales
Histoires | Annales | |
Empereurs Sénateurs Généraux, commandants Autres Entourage impérial Accusateurs Rois, peuples étrangers | 6 6 11 1 | 1 14 3 4 1 2 |
Auctoritas dans les Histoires
Généraux
3Dans les Histoires, un grand nombre d’occurrences d’auctoritas concernent des commandants d’armées. Parmi ceux qui en sont dépourvus figurent Hordeonius Flaccus (Hist., 1.9.1 : sine constantia, sine auctoritate)6 et Antonius Novellus (Hist., 2.12.1 : Antonio Nouello nulla auctoritas) ; Spurrina, contesté par ses soldats à Plaisance, semble également en quête d’une stratégie pour conforter son auctoritas (Hist., 2.18.2) ; plus généralement, l’absence d’autorité des chefs vitelliens après leurs premiers revers invite leurs adversaires à les attaquer (Hist., 3.15.1 : antequam ducibus auctoritas […] rediret). On peut aussi citer, dans l’Agricola, Vettius Bolanus : l’affection que lui portent les soldat lui tient lieu d’autorité (Agr., 16.5).
4Inversement, le principal détenteur d’une auctoritas sur les troupes dans les Histoires est Antonius Primus7, à propos duquel le terme revient à trois reprises (Hist., 3.10.3 ; 3.20.1 : aspectu et auctoritate silentium fecerat ; 3.80.28). Autres commandants à posséder cette qualité : Cornelius Fuscus (Hist., 3.4.1), Suetonius Paulinus (Hist. 1.87.2 : auctoritatem Paulini)9, voire Annius Gallus après la défaite de Bédriac (Hist., 2.44.2). Pour tous ces hommes, néanmoins, la possession de l’auctoritas est ruinée par le contexte dans lequel ils l’exercent : non contre des ennemis du peuple romain, mais dans le cadre d’un conflit civil10. Il en va de même lorsque Othon invoque l’autorité qu’ont leurs commandants les sur soldats qui ont provoqué une émeute dans l’Vrbs (Hist., 1.83.3 : ducum auctoritas).
Empereurs
5On ne trouve pratiquement aucun passage où l’auctoritas est pleinement reconnue aux princes : celle de Galba est ressentie comme chancelante et celle de L. Pison comme dépourvue d’ancrage (Hist., 1.21.2 : dum Galbae auctoritas fluxa, Pisonis nondum coaluisset)11, celle d’Othon paraît insuffisante à empêcher certains débordements des soldats (Hist., 1.45.2 : sed Othoni nondum auctoritas inerat ad prohibendum scelus), celle de Vitellius, à régler les différends entre ses deux préfets du prétoire (Hist., 2.92.1 : inter discordes Vitellii nulla auctoritas). Même après la victoire des partisans de Vespasien, aucune autorité ne s’impose immédiatement dans l’Vrbs, la ville semblant livrée à elle-même (Hist., 4.11.1 : nulla in uictoribus auctoritas). Certes, Othon, avant son suicide, joue de son autorité pour convaincre ses partisans d’abandonner le combat ; mais ce n’est pas alors l’autorité d’un prince – qu’il n’est pratiquement plus –, mais celle que lui donne l’âge ; d’ailleurs, lorsqu’il s’adresse à des personnages plus âgés, il recourt non à l’autorité, mais aux prières (Hist., 2.48.1 : iuuenes auctoritate, senes precibus mouebat). Un dernier passage porte mention de l’autorité d’un empereur : à l’annonce du coup d’État entrepris par Othon, l’on décide d’envoyer auprès des troupes L. Piso, afin de garder intacte l’autorité de Galba au cas où des mesures plus rigoureuses devraient être prises (Hist., 1.29.1) : nec per ipsum Galbam, cuius integra auctoritas maioribus remediis seruabatur. Il reste que cette autorité, qualifiée peu auparavant de fluxa (Hist., 1.21.2), ne se manifesta en définitive jamais et il n’est pas à exclure que cette mention soit ironique.
Sénateurs
6À l’annonce des mutineries en Germanie, on décide d’envoyer une ambassade de sénateurs auprès de ces légions ; Tacite ajoute qu’on se demanda, lors d’entretiens privés, s’il ne fallait pas y adjoindre L. Piso, récemment adopté par Galba, de manière à ce que, à l’autorité du Sénat, s’ajoute la dignité d’un César (Hist., 1.19.2) : illi auctoritatem senatus, hic dignationem Caesaris laturus. Ainsi, aux yeux de certains, le prestige des sénateurs était devenu insuffisant s’il n’était validé par une présence impériale. Au demeurant, certaines circonstances montrent que cet aval sénatorial est secondaire, voire qu’on peut s’en passer : l’Afrique se prononce pour Othon sans attendre l’autorité de son proconsul (Hist., 1.76.3), Petilius Cerialis dit à la legio VI qu’elle a, par son autorité, fait Galba empereur (Hist., 5.16.3 : principem Galbae sextae legionis auctoritate factum).
7Quant à l’auctoritas que pourrait avoir non le Sénat en tant que corps, mais quelque sénateur en particulier, trois cas sont à signaler : le premier relève du cadre strictement privé, puisqu’il concerne l’ascendant qu’avait Flavius Sabinus, en tant que frère aîné, sur Vespasien avant l’avènement de celui-ci (Hist., 3.65.1)12 ; le deuxième renvoie à une interaction entre Cluvius Rufus, qui était l’objet d’une accusation, et Vitellius auprès duquel l’autorité de Cluvius prévaut (Hist., 2.65.2) ; le troisième se rapporte à la désignation par Vespasien de L. Vestinus pour reconstruire le Capitole, une désignation justifiée par l’auctoritas du personnage, lequel n’était pourtant que chevalier (Hist., 4.53.1). Dans ces deux derniers cas, l’auctoritas de Cluvius et de Vestinus intervient dans le contexte de leurs rapports avec le prince. Pour l’essentiel donc, et à l’exception de Hist., 1.19.2, qui tient dans une certaine mesure du contre-exemple, il n’est jamais question d’une auctoritas qui se manifeste dans le cadre de l’activité du Sénat en tant qu’assemblée.
Auctoritas dans les Annales
Généraux
8Dans les Annales, auctoritas ne figure qu’à trois reprises à propos de commandants de légions : Corbulon en fait montre (Ann., 15.26.3 : multa auctoritate, quae in uiro militari pro facundia erat)13, Caecina est en peine de l’imposer (Ann., 1.66.2 : neque auctoritate neque precibus, ne manu quidem…) ; quant à Drusus et à Germanicus, leur autorité est jugée insuffisamment établie au moment des mutineries (Ann., 1.46.1 : duorum adulescentium nondum adulta auctoritate).
Empereurs
9Par contre, le mot figure à propos de membres de la dynastie, de la cour ou de l’entourage impérial : Séjan (Ann., 1.24.2 : magna apud Tiberium auctoritate), Livie (Ann., 5.3.1 : auctoritati parentis), l’affranchi Pallas (Ann., 12.25.1 : adoptio in Domitium auctoritate Pallantis festinatur). Néron franchit même un pas en confiant une mission en province (en Bretagne), à l’affranchi Polyclite (Ann, 14.39.1). Cela ne manque d’ailleurs pas d’être tourné en ridicule par les Bretons, qui n’étaient pas encore habitués, dit Tacite, à la puissance des affranchis, un passage qui donne l’occasion d’un contraste entre l’auctoritas dont Néron espère que fera preuve son affranchi (magna Neronis spe posse auctoritatis eius non modo inter legatum procuratoremque concordiam gigni, sed et rebelles barbarorum animos pace componi) et la potentia à laquelle est assimilée sa présence (libertinorum potentia). Il n’y a pas dans les Histoires d’usage comparable d’auctoritas en lien avec l’entourage impérial, ce qui peut s’expliquer par le fait que ce qui nous est parvenu de l’ouvrage s’y prête moins. Il n’empêche que certaines occurrences dans les Annales, où le terme n’apparaît pour ainsi dire jamais en relation avec les empereurs eux-mêmes, mettent nettement en avant des structures dynastiques et curiales qui sont davantage caractéristiques de régimes monarchiques14.
10Le terme n’apparaît qu’à une seule reprise à propos d’un empereur, et encore, lorsque Néron évoque l’auctoritas d’Auguste, il la lie à son âge, et non à son statut de prince (Ann., 14.55.2 : sed in ea ipse aetate cuius auctoritas tueretur quicquid illud et qualecumque tribuisset).
Sénateurs
11Dans les Annales, le plus grand nombre d’occurrences d’auctoritas (13 sur 25) est en relation avec les sénateurs. Divers procédés et mises en contexte empêchent cependant de reconnaître à ceux-ci un exercice plein et sans réserve de cette qualité.
121. Les mentions les plus explicites d’une auctoritas du Sénat figurent non dans le récit, mais dans des propos prêtés à des empereurs où des membres de l’entourage impérial : Germanicus (Ann., 1.42.2 : senatus auctoritas) ; Tibère (Ann., 2.34.1 ; 4.14.3 : auctoritate patrum ; 6.13.1 : publica auctoritate) ; Vitellius s’adressant à Claude (Ann., 12.5.2 : auctoritati senatus) ; Néron (Ann., 13.4.1 : auctoritate patrum)15. N’est-il pas frappant que les seuls à nommer l’autorité sénatoriale soient précisément ceux qui la musèlent, à savoir les princes ? D’autant que dans trois de ces exemples, ceux-ci s’abritent derrière le Sénat pour prendre des mesures impopulaires (Ann., 4.14.3, contre les histrions ; Ann., 6.3.1, contre les émeutes sur le blé) ou contraires à la tradition (Ann., 12.5.2, sur le mariage entre oncle et nièce), recourant ainsi à ce que les historiens ont appelé leur “réserve d’invisibilité”16. De tels contextes suggèrent qu’il n’y a d’auctoritas sénatoriale que lorsque celle-ci arrange le prince.
132. L’exercice de l’auctoritas par les sénateurs reste limité par les circonstances. C’est ce que dit Cassius dans son discours sur le châtiment des esclaves : s’il n’avait guère exprimé ses vues traditionnalistes plus tôt, c’est qu’il ne voulait pas ruiner ce qu’il pouvait y avoir d’autorité dans l’assemblée afin de le garder intact en cas de besoin (Ann., 14.43.2). Les mots de Cassius, quicquid hoc in nobis auctoritatis est, indiquent une restriction au champ de l’autorité sénatoriale. La notice nécrologique du sénateur Memmius, quelques chapitres plus loin, en explicite la nature : cet homme se distinguait par son autorité, sa constance, sa réputation, “dans la mesure cela est permis à l’ombre du pouvoir impérial” (Ann., 14.47.1 : auctoritate, constantia, fama, in quantum praeumbrante imperatoris fastigio datur, clarus). Quelques situations illustrent concrètement cette tutelle impériale : lorsque les proches de Pison mettent sur le même pied son autorité de légat et les instructions qu’il a reçues en propre de l’empereur (Ann., 2.77.1) ou lorsque Mithridatès regrette de ne trouver sur place aucune autorité qui lui paraisse suffire à lui donner des garanties (Ann., 12.18.1)17. Subordonnés ainsi au prince, les sénateurs tendront à mettre leur autorité au service de celui-ci, sombrant alors dans l’adulation, comme après le procès de Libo Drusus (Ann., 2.32.2 : auctoritates adulationesque)18. En fait, pour les sénateurs, le modèle de bon comportement – le nouveau modèle d’auctoritas – réside dans un équilibre, dans une adaptation aux nouveaux rapports de force laissant place à la manifestation mesurée d’une indépendance liée à la tradition de leur ordre19 ; c’est sur ce mélange que repose l’autorité dont jouit auprès du prince un Lepidus (Ann., 4.20.2 : aequabili auctoritate et gratia apus Tiberium uiguerit), lequel a trouvé le juste milieu entre adulation et résistance. L’auctoritas d’un Agricola, pour parler d’un opuscule, s’inscrit elle aussi dans ce juste milieu, cette moderatio, qui est caractéristique de ses manières (Agr., 9.3 : nec illi, quod est rarissimum, aut facilitas auctoritatem aut seueritas amorem deminuit)20. À l’inverse, Thrasea semble plus intempestif21 et use de son autorité pour faire tomber un accusateur, Capito Cossutianus (Ann., 16.21.1) ; mal lui en prend, ce Cossutianus figurera parmi les plus acharnés à le perdre.
14En somme, l’auctoritas sénatoriale apparaît dévoyée sous le Principat. Comme l’autorité du stoïcisme, derrière laquelle se cache un autre accusateur au moment du procès de Thrasea (Ann., 16.32.3)22, elle devient au mieux un paravent qui se révèle parfois pratique pour l’empereur, lorsqu’il souhaite ne pas se mettre lui-même en avant. Quant aux sénateurs, il leur faut composer avec le prince afin de trouver la juste attitude : un Lepidus, un Agricola y parviennent ; d’autres, en mettant leur auctoritas à l’appui de sententiae gonflées d’adulation, se déconsidèrent et déconsidèrent le Sénat ; d’autres encore, comme Thrasea, en montrant trop de rigidité et d’indépendance, dressent contre eux le prince et finissent par perdre la vie.
15En définitive, il y a, de toutes les Annales, un seul emploi d’auctoritas qui paraisse dépourvu de toute connotation restrictive ou défavorable. Elle figure à la fin du procès de Cremutius Cordus23, lorsque Tacite souligne l’inefficacité de l’autodafé auquel fut soumise l’œuvre historique de celui-ci (Ann., 4.35.4-5) :
4. Egressus dein senatu, uitam abstinentia finiuit. Libros per aediles cremandos censuere patres ; sed manserunt, occultati et editi. 5. Quo magis socordiam eorum inridere qui praesenti potentia credunt exstingui posse etiam sequentis aeui memoriam. Nam contra, punitis ingeniis, gliscit auctoritas, neque aliud externi reges aut qui eadem saeuitia usi sunt, nisi dedecus sibi atque illis gloriam peperere
“4. Après avoir ensuite quitté le Sénat, il mit fin à ses jours en cessant de s’alimenter. Les Pères décrétèrent de charger les édiles de faire brûler ses livres. Mais ils survécurent, cachés, puis publiés. 5. Raison de plus de moquer la veulerie de ceux qui croient que leur pouvoir présent leur permet d’étouffer la mémoire de la génération à venir. En effet, que du contraire, pour avoir puni des hommes de talent, leur autorité s’en accroît et les rois étrangers ou ceux qui ont reproduit leur cruauté ne sont arrivés à rien d’autre qu’à se couvrir de honte, qu’à les couvrir de gloire”.
16On retrouve ici l’opposition entre potentia et auctoritas24, le premier terme renvoyant à de mauvais gouvernants, le second à un sénateur, certes, mais un sénateur qui ne s’est pas distingué à la curie, voire auprès des légions, mais par son travail d’écriture. Lui seul semble détenir une auctoritas pleine et durable, dénuée de concessions ou de vils calculs. Le fait, certes, parmi la cinquantaine d’occurrences du terme, est isolé. Mais ce caractère même le rend d’autant plus remarquable et il est difficile de ne pas en tirer une leçon : face aux mutations politiques, face au nouveau régime, le dernier bastion où le sénateur peut faire entendre sa voix et résonner son autorité à destination des générations futures serait l’écriture de l’Histoire.
17Est-ce là un signe du glissement de l’autorité sénatoriale dans la sphère de l’activité littéraire25 ? Ce trait s’inscrirait en tout cas parmi d’autres observations concordantes qui, en particulier sous le vocable d’autoreprésentation, ont été faites cette dernière décennie sur la manière dont Tacite le sénateur se projetait, voire se mettait en scène, dans le travail de Tacite l’historien26.
Auctor dans les œuvres de Tacite
Tableau 3. Répartition des occurrences d’auctor dans les œuvres de Tacite : d’une part dans l’Agricola, la Germanie, les Histoires (prioritairement tournés vers les opérations militaires et la politique extérieure) ; d’autre part dans le Dialogue des orateurs et les Annales (prioritairement tournés vers les affaires intérieures)
Agricola, Germanie, Histoires | Dialogue, Annales | |
Empereurs Sénateurs Généraux, commandants Autres Entourage impérial Accusateurs Rois, peuples étrangers Troupes, soldats Pompée Énée Sérapis Indéterminés Écrits, sources littéraires Sources non littéraires, garants des faits | 1 6 1 3 6 1 13 2 | 11 8 2 3 1 9 2 1 1 4 17 3 |
Empereurs
18Aucune occurrence d’auctor dans les Histoires ne concerne des empereurs. Dans l’Agricola, une unique référence, sur la reprise des opérations militaires en Bretagne à l’instigation de Claude (Agr., 13.2), semble positivement connotée. Dans les Annales, où auctoritas ne renvoie jamais à la fonction impériale, auctor qualifie quelquefois les empereurs, indice que, si Tacite reste réticent à leur attribuer une qualité qui est traditionnellement attachée au Sénat, il reconnaît le rôle de moteur et de leader qu’ils jouent concrètement. Deux domaines sont concernés : la vie publique d’une part, les intrigues dynastiques de l’autre. Quatre princes apparaissent alors comme auctor : Auguste, Tibère, Néron, Vespasien ; quant à Claude, qui n’est que rarement sujet d’un verbe d’action dans les livres qui lui sont consacrés27, il n’est jamais désigné comme auctor. Dans le domaine des intrigues de cour, le contexte est toujours défavorable : rôle joué par Tibère dans la mort de Sempronius Gracchus (Ann., 1.53.6), par Néron dans le meurtre d’Agrippine (Ann., 14.7.1). Dans le domaine de la vie publique, certaines interventions sont rapportées de manière neutre, voire de façon à laisser entendre quelque assentiment de la part de l’historien : division de la Thrace par Auguste (Ann., 2.64.3), châtiment par Tibère d’hommes coupables de fausses accusations de lèse-majesté (Ann., 3.37.1), aide à des cités frappées par un tremblement de terre (Ann., 4.13.1), Vespasien comme modèle d’un mode de vie plus austère (Ann., 3.55.2) ; l’éventualité que Néron prenne une ordonnance contre les trahisons des affranchis (Ann., 13.26.1) relève aussi de ces emplois. Dans d’autres cas, le contexte paraît plus critique28 : il y a suggestion d’hypocrisie lorsque Tibère est à l’origine d’honneurs à Germanicus ou à ses proches (Ann., 1.58.5 ; 3.19.1) ; de même, bien que le rôle de Néron dans la décision prise sur le vote de remerciements aux gouverneurs de provinces soit digne d’approbation (Ann., 15.22.1), le prince semble alors reprendre cette proposition à Thrasea Paetus, si bien que l’épisode est inscrit dans l’antagonisme entre les deux hommes29 ; enfin, l’instauration des jeux quinquennaux est vue comme un facteur potentiel de lascivité dans la Ville ; la critique est dans ce cas explicite, mais elle est placée dans la bouche de tiers via un style indirect (Ann., 14.20.4).
19Par ailleurs, les membres de l’entourage impérial, lorsqu’ils sont mentionnés comme auctores – et cela était aussi le cas pour leur auctoritas – le sont dans des contextes dépréciateurs. Il en va principalement ainsi dans les Annales : l’évocation de Pallas comme auctor du mariage avec Agrippine et de l’adoption de Néron (Ann., 13.2.1 : Pallantem, quo auctore Claudius nuptiis incestis et adoptione exitiosa semet peruerterat) rappelle celle qui avait été faite de son auctoritas à propos de la même affaire (Ann., 12.25.1). Les autres exemples sont Lollius qui sous Auguste aurait suscité Caius, le petit-fils du prince, contre Tibère (Ann., 3.48.2), et Tigellin à propos d’un testament (Ann., 16.14.1) ainsi que, dans les Histoires, les proches d’Othon qui l’incitent à engager le combat contre Vitellius (Hist., 2.33.2 : deterioris consilii auctores). On serait tenté d’y adjoindre l’instigateur d’une fausse accusation contre Pallas, un autre familier du prince (Ann., 13.23.1). Quant à l’auctor qu’invoquent ceux qui alimentent le feu au moment de l’incendie de le Ville (Ann., 15.38.7 : esse sibi auctorem uociferabantur), il est indéterminé, mais, qu’ils mentent ou non, le contexte laisse entendre que l’empereur peut, à quelque degré, être impliqué.
Sénateurs
20En relation avec le Sénat, les emplois d’auctor sont proches de ceux d’auctoritas. Ou bien un empereur présente l’assemblée comme auctor d’une décision pour s’en dédouaner : lorsque Tibère dit que Piso a été nommé en Orient auctore senatu (Ann., 3.12.1), lorsqu’il rejette sur autrui la responsabilité de sévir contre le luxe (Ann., 2.33.1). Ou bien le Sénat ne peut se départir d’une forme de tutelle impériale, comme l’indique en Ann., 14.20.4, l’expression principe et senatu auctoribus (cf. aussi Ann., 3.37.1 : auctore principe ac decreto senatus). Ou alors, concernant le comportement individuel de sénateurs, sont évoquées des interventions mal équilibrées, excessives, soit dans le sens de l’adulation soit dans celui de la résistance. Pour ce qui est du premier pôle, Cotta Messalinus se montre l’instigateur des motions les plus cruelles (Ann., 6.51) ; l’adulation est par ailleurs à ce point répandue que l’historien se trouve à louer un L. Piso pour n’avoir suscité aucune motion servile (Ann., 6.10.1). Pour ce qui est de la résistance, le fait d’avoir été auctores figure dans les reproches adressés par leurs accusateurs à deux victimes du prince : Valerius Asiaticus30 se ferait gloire d’avoir été le principal auctor du meurtre de Caligula (Ann., 11.1.2) ; Thrasea Paetus passait pour le possible auctor d’un changement, pour ne pas dire d’une révolution (Ann., 16.22.4). De manière identique, on impute à Faustus Cornelius Sylla la paternité d’un complot contre Néron (Ann., 13.47.1) ; le complot est imaginaire, mais Sylla n’en est pas moins exécuté. Le plus souvent, pourtant, les sénateurs répugnent à se manifester contre les princes : après la mort de Claude aucune voix ne s’élève contre la nomination de Néron (Ann., 12.69.1 : nullo in diuersum auctore) ; l’historien ne se dit pas en mesure de trouver l’instigateur de la conjuration dite de Pison (Ann., 15.49.1 : nec tamen facile memorauerim quis primus auctor) ; dans ces deux passages, il n’est même pas assuré que ce soit précisément à un sénateur que songe Tacite. Enfin, un cas particulier est illustré par le consulaire Munatius, que les mutins de Germanie soupçonnent d’être l’instigateur d’un sénatus-consulte qui leur aurait été défavorable (Ann., 1.39.3), alors qu’un tel sénatus-consulte n’est que le fruit de leurs fantasmes. Il n’y donc au total aucun emploi, sur le plan de la politique intérieure en tout cas, qui renvoie à une situation où un sénateur soit à la fois désigné comme auctor et reçoive l’approbation de l’historien.
Généraux
21Comme pour auctoritas, les occurrences d’auctor en relation avec des généraux sont les plus nombreuses dans les Histoires. Elles sont au nombre de 5, toutes dans le contexte dévalorisant des guerres civiles (Hist., 2.35.2 ; 3.2.4, à propos d’Antonius Primus31 ; 3.12.2 ; 3.43.4 ; 4.27.2), à deux reprises pour attribuer la responsabilité d’un revers (Hist., 2.35.2 ; 4.27.2). Un emploi dans l’Agricola, à propos de Petilius Cerialis, mentor d’Agricola (Agr., 8.3), semble, dans le contexte de guerres aux frontières de l’empire, approbateur.
22Dans les Annales, les généraux romains ne sont jamais qualifiés d’auctores dans le cadre d’opérations contre des ennemis. On adjoindra néanmoins à cette catégorie des mentions relatives à des généraux deux hommes envers lesquels Tacite se montre en l’occurrence critique : le procurateur Iulius Paelignus pousse Radamiste à prendre la couronne (Ann., 12.49.1) ; après la mort d’Agrippine, Burrus suscite une adulation des centurions et des tribuns envers Néron (Ann., 14.10.2)32.
Divers
23La troupe et les soldats33 apparaissent comme auctores, tout particulièrement lors de mutineries ou de désordres, dans la plupart cas avec seditionis comme complément d’auctor (Hist., 1.18.2 ; 1.82.3 ; 2.49.1 ; Ann., 1.29.4), une fois avec tumultus (Ann., 4.27.1) ; Antonius s’adresse aux soldats de Mésie comme auctores belli, ce qui est surtout flatteur de son point de vue (Hist., 3.42.2), et pendant l’incendie du Capitole, les soldats sont dits ne prendre que conseil que d’eux-mêmes (Hist., 3.71.1 : nullo duce, sibi quisque auctor).
24En relation avec des étrangers, la valorisation d’une action est question de point de vue comme le montrent les Bataves, auctores seditionis selon un regard romain (Hist., 4.14.2), libertatis auctores selon la réputation qui leur est faite en leurs contrées (Hist., 4.17.1). Dans le récit tacitéen, toutefois, auctor est, en relation avec les mouvements contre Rome, négativement connoté (Hist., 3.45.1 ; Ann., 13.54.1 ; 14.24.3) ; lorsqu’il s’agit d’interactions entre étrangers, n’engageant pas les Romains, il est utilisé de manière neutre (Ann., 6.31.2 ; 6.36.2 ; 12.29.1 ; 12.31.1).
25Même neutralité pour quelques emplois périphériques : Ptolémée à l’origine du culte de Sérapis (Hist., 4.84.4), Aerias à l’origine du temple de Vénus à Paphos (Ann., 3.62.4), Cadmos ayant introduit l’alphabet auprès des Grecs (Ann., 11.14.2), Christus à l’origine du nom des chrétiens (Ann., 15.44.3). On y ajoutera un exemple isolé, sur l’intervention du dieu Sérapis lors de la visite de Vespasien à Alexandrie (Hist., 4.81.1). Enfin, il a été difficile de classer Énée, origine de la gens Iulia : même si elle est placée dans la bouche de Néron (Ann., 12.58.1), la formule semble valorisante au moins pour le locuteur.
Écrivains, témoins garants des faits
26Si l’on se situe non plus au plan de l’action, mais à celui de l’information, il faut différencier les cas où auctor renvoie à une œuvre littéraire et ceux où il n’y renvoie pas. Deux emplois d’auctoritas, non encore signalés, relèvent de ce second cas : dans les Histoires, l’auctoritas de la prophétesse Véléda tient au fait d’avoir prédit les revers des Romains et les succès des Germains (Hist., 4.61.2 : tuncque Veledae auctoritas adoleuit : nam prosperas Germanis res et excidium legionum praedixerat) ; dans la Germanie, la version qui place le berceau des Germains dans le pays des Semnons est accréditée par la fortune de ce peuple (G., 39.4). Auctor a un sens apparenté dans les Histoires, celui de “porteur de nouvelles”, fiables dans le cas de la mort d’Othon (Hist., 2.55.1 : certi auctores), sujettes à caution dans le cas du soulèvement de Vespasien (Hist., 2.73.1 : uagis adhuc et incertis auctoribus). Dans les Annales, les champs de bataille font place aux tribunaux, et auctores désigne les témoins : lors du procès de Libo Drusus (Ann., 2.29.1), dans le cadre d’une fausse accusation contre Agrippine (Ann., 13.21.1). C’est aussi comme auctor qu’est évoqué l’homme qui a fait miroiter à Néron l’existence d’un trésor à Carthage (Ann., 16.2.1 : igitur Nero non auctoris, non ipsius negotii fide satis spectata).
27Il reste que dans un peu moins d’un tiers de ses occurrences, auctor renvoie à des auteurs d’œuvres littéraires, un emploi qui apparaît comme relativement propre à Tacite34. Cela marque une grande différence avec auctoritas qui, dans les opera maiora, ne figure qu’à une seule reprise dans un tel contexte, une unique occurrence qui est celle, nous l’avons vu, qui est la plus favorablement connotée. Qu’en est-il d’auctor ?
28D’abord, il apparaît qu’on trouve très peu de contextes défavorables. Dans le Dialogue, Aper critique certes les auteurs d’œuvres poétiques (D., 9.1), mais c’est dans le cadre d’une argumentation que d’autres opinions viendront par la suite équilibrer35. De même, dans les Histoires, dans l’excursus sur les Juifs, à propos du bitume, Tacite affirme que les ueteres auctores sont contredits par ceux qui connaissent les lieux (Hist., 5.6.4 : sic ueteres auctores, sed gnari locorum tradunt)... Sur trente occurrences, ce sont là les deux seules dans lesquelles une critique semble s’adresser à des auctores, et encore, le premier des deux cas ne traduit pas l’opinion de Tacite. Quant à incerti auctores, sur des auteurs de pamphlets (Ann., 1.72.4), et incerto auctore, à propos d’un livre sibyllin (Ann., 6.12.1), ils renvoient simplement au fait que les textes concernés sont anonymes.
29Pour le reste, le plus souvent dans le cadre d’allusions par Tacite à sa démarche heuristique ou à des confrontation de sources, la majorité des mentions est neutre : même si parfois l’auctor est nommé (Hist., 3.25.2 et 3.28.1 : Vipstanus Messalla ; Ann., 13.20.2 : Fabius Rusticus ; 14.2.2 : Cluvius Rufus), il s’agit le plus souvent d’expressions qui maintiennent l’anonymat des garants, comme (apud) auctores, omnes auctores, plurimi auctores (ou auctorum), nostri auctores, eius temporis auctores, consensus auctorum ou diuersis auctoribus…36 Des versions sont certes alors réfutées (Hist., 2.37.1), mais il reste que Tacite juge digne ou intéressant de les signaler. Ou encore lorsqu’il rejette une version (sur la mort de Drusus) parce qu’elle n’est attestée par aucun auteur sûr (Ann., 4.11.1 : nullo auctore certo)37, ce que suggère Tacite est qu’il dispose habituellement d’un dossier documentaire de qualité – ce que ne fait que souligner la mention exceptionnelle de garants moins fiables38.
30Au demeurant, tous ces exemples ne concernent que des renvois à des passages ou des points précis des sources utilisées par l’historien. Lorsqu’un ouvrage ou une œuvre est considéré dans son ensemble, la référence est davantage positive, comme lorsque dans le Dialogue, il est question de l’étude des auteurs (D., 30.1 : de auctoribus cognoscendis) ou, dans les Annales, des maîtres de l’éloquence (Ann., 2.83.3 : auctores eloquentiae). Plus nettement encore, un adjectif valorisant peut qualifier de façon générale les auctores39, ainsi celeberrimi (Hist., 3.51.1) ou maximae fidei (Ann., 4.10.1), voire nommément certains d’entre eux : Tite-Live et Fabius Rusticus (Agr., 10.3 : eloquentissimi auctores), César (G., 28.1 : summus auctorum), Salluste (Ann., 3.30.1 : rerum Romanarum florentissimus auctor).
31Deux mentions, en particulier, situées toutes deux dans le contexte très sensible de préfaces, retiennent l’attention. D’une part, dans l’Agricola, c’est comme auctores que sont désignés Herennius Senecio et Arulenus Rusticus, dont les biographies d’Helvidius et de Thrasea furent brûlées sur ordre d’un pouvoir qui croyait pouvoir éteindre la liberté (Agr., 2.1) :
Legimus, cum Aruleno Rustico Paetus Thrasea, Herennio Senecioni Priscus Helvidius laudati essent, capitale fuisse, neque in ipsos modo auctores, sed in libros quoque eorum saeuitum, delegato triumuiris ministerio ut monumenta clarissimorum ingeniorum in comitio ac foro urerentur. Scilicet illo igne uocem populi Romani et libertatem senatus et conscientiam generis humani aboleri arbitrabantur…
“Nous lisons que comme Arulenus Rusticus avait livré un éloge de Thrasea Paetus, Herennius Senecio un éloge d’Helvidius Priscus, il leur en coûta la vie, et on ne sévit pas contre ces auteurs seulement, mais contre leurs ouvrages aussi, puisqu’il fut confié aux triumvirs de faire brûler sur le comitium, au forum, les chefs-d’œuvre de ces esprits parmi les plus éclairés. Sans doute, dans ce feu, pensait-on faire disparaître la voix du peuple romain, la liberté du Sénat, la conscience du genre humain…” (trad. orig.).
32Le ton est très semblable à celui qui est employé dans les Annales à propos de Cremutius Cordus40, emploi le plus clairement favorable d’auctoritas dans les opera maiora : même contexte d’autodafé, même lien avec la liberté des sénateurs…
33D’autre part, les premiers mots des Histoires évoquent ces auctores de la République, qui alliaient éloquence et liberté (Hist., 1.1.1 : pari eloquentia ac libertate), une situation à laquelle mit fin la bataille d’Actium, qui conféra le pouvoir politique à un seul (omnem potentiam ad unum conferri). Ici encore : éloge des historiens, lien avec la libertas, opposition entre celle-ci et la potentia.
34Ainsi, comme pour ce qui est de l’auctoritas, mais à plus grande échelle, l’activité littéraire est le domaine pour lequel on trouve, en relation avec l’activité sénatoriale, le plus grand nombre d’emplois d’auctor qui soient positivement connotés, qui plus est, dans des contextes qui ne sont pas toujours strictement littéraires, mais qui se mêlent de considérations politiques (à travers spécialement l’association avec la libertas).
Conclusion
351. Auctoritas est employé majoritairement par Tacite dans le contexte de relations politiques ou de rapports de force. Dans la presque totalité de ses emplois, l’historien laisse planer une ombre sur cette auctoritas, laquelle apparaît factice, inopportune, limitée ou mal intentionnée… Cette incapacité à faire valoir l’auctoritas dans le contexte politique romain est peut-être aussi à confronter avec les deux occurrences du terme dans la Germanie, dans le cadre du fonctionnement politique des Germains (G., 11.5 ; 12.3). Ceux-ci en effet ont tendance à être investis, dans l’opuscule, de qualités que les Romains ont perdues41, et on ne s’étonne dès lors pas que figure à leur propos ce terme d’auctoritas qui n’est utilisé qu’avec réserve à propos des Romains. Il en va de même de quatre des cinq occurrences d’auctoritas dans le Dialogue, où il est certes question d’une autorité sénatoriale, mais en relation avec des personnages ou des situations d’époque républicaine (D., 10.6 ; 30.2 ; 36.4 et 5) : là aussi, la différence avec le Principat (où cette auctoritas apparaît amoindrie) serait implicite.
362. Alors que Tacite répugne à parler de l’auctoritas des princes, il n’hésite pas à signaler ceux-ci comme auctores de diverses initiatives, mesures ou actions. On y verra le signe que s’il reste réticent, sur un plan idéologique, à leur suprématie, il ne nie pas que celle-ci s’exerce concrètement. En ce sens, il n’est pas toujours défavorable aux actions qui émanent des princes et les juge au cas par cas, même s’il est plus régulièrement critique lorsqu’est considéré le champ de la dynastie et de la cour. Pour ce qui est des sénateurs, ils éprouvent, à le lire, autant de difficulté à être d’efficaces auctores qu’ils n’en éprouvent à faire valoir leur auctoritas.
373. Les passages où auctor est attaché à une activité littéraire – c’est aussi le cas pour la seule occurrence de ce type d’auctoritas – sont ceux dans lesquels on perçoit le plus nettement trace d’un jugement positif. Pour Tacite, le domaine des lettres, et plus exactement l’historiographie, reste, pour un sénateur et sous le Principat, le meilleur (le seul ?) champ où s’illustrer pour le bien de l’État. En ce sens, il apparaît qu’à ses yeux l’activité littéraire est vécue comme un substitut d’activité politique, un “transfert” dont ses œuvres offrent d’autres exemples42.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Sur l’idéologie de Tacite en dernier lieu Strunk 2017 ; aussi Leake 1987.
2 Cic., Pomp., 28 : Ego enim sic existimo in summo imperatore quattuor has res inesse oportere, scientiam rei militaris, uirtutem, auctoritatem, felicitatem. L’affirmation est reprise en Pomp. 49, : et cum ei imperatorem praeficere possitis, in quo sit eximia belli scientia, singularis uirtus, clarissima auctoritas, egregia fortuna. Cette définition détermine le plan de l’exposé de Cicéron qui envisage ensuite successivement la scientia rei militaris (Pomp., 28), la uirtus (Pomp., 29-42), l’auctoritas (Pomp., 43-46), la felicitas (Pomp., 47-48). Sur l’influence de ce modèle sur Tacite dans l’Agricola, Devillers 2005.
3 Spéc. Combès 1966, 193-204.
4 Cf. Ramage 2003 ; aussi Rambaud 19662.
5 En Ann., 14.16.1, une conjecture de Haase propose de lire auctoritas à propos des spécialistes de littérature qui entourent Néron. Cette conjecture n’est toutefois généralement pas adoptée.
6 Sur ce général dans les Histoires, cf ; Meulder 1995, 84-85.
7 Meulder 1995, 76. Sur Antonius Primus chez Tacite, cf. Treu 1948 (p. 242, pour l’insistance sur l’auctoritas) ; aussi Aubrion 1985, 252-253.
8 Dans ce dernier cas, dans le cadre d’une comparaison avec Petilius Cerialis : plus auctoritatis.
9 Cf. Meulder 1995, 82.
10 Cf. aussi, à propos plus spécialement d’Antonius Primus, Meulder 1995, 81 : “Il lui accorde l’auctoritas, mais mêlée à la faconde et à la démagogie”.
11 Il s’agit de pensées prêtées à Othon.
12 C’est aussi à ce domaine du privé que, pour citer les opera minora, ressortit l’auctoritas que possède Secundus en tant qu’arbitre du débat que consigne le Dialogue des orateurs : D., 4.2.
13 Plus généralement sur le “prestige” de Corbulon, cf. Meulder 1995, 77-78.
14 Sur la notion de cour, cf. Winterling 1999 ; à propos plus spécialement de Claude, cf. Michel 2015. On note à cet égard une mention d’auctoritas en contexte non romain, à propos d’un membre de l’entourage du souverain parthe Tiridatès : Ann., 6.44.4.
15 Dans ce dernier cas, l’autorité sénatoriale est balancée par le consensus de l’armée (Ann., 13.4.1) : de auctoritate patrum et consensu militum praefatus.
16 Hurlet 2010, 139.
17 De même, si Tacite note l’ancienne autorité d’un chef germain comme Inguiomer auprès des Romains en général (Ann., 1.60.1 : uetere apud Romanos auctoritate), il reste que c’est à Tibère en particulier (et non aux Romains en général) que s’adressera pour un secours Maroboduus avec lequel Inguiomer se sera allié (Ann., 2.46.5).
18 Sur ce procès, cf. Mastrorosa 2010.
19 Sur cet idéal tacitéen du “juste milieu”, cf. par ex. Kapust 2009. Le poids du “juste milieu” dans la théorie politique de Tacite est toutefois nuancé par Strunk 2017 (par ex. p. 5, 13-22).
20 Sur le passage, brièvement, Benfehrat 2010, 91. Plus largement, sur la moderatio d’Agricola, cf. par ex. Aubrion 1985, 423-424 ; Birley 1999, 94 ; 2009, 50 ; Balmaceda 2015, 51-54.
21 Sur la posture politique de Thrasea ou de Lepidus, cf. Strunk 2010 ; 2017, 97-121.
22 Cf. Pigón 2015, 323-324.
23 Cf. Meier 2003 ; Wisse 2013 ; Kapust 2015 (aussi 2009, 301-302) ; Strunk 2017, 151-166 ; brièvement Pigón 2015, 317-319.
24 Spéc. Pigón 2015, 318.
25 Cela rejoindrait l’analyse de Kapust 2009 (spéc. p. 294) qui estime que si pour Tacite une liberté politique n’est plus réalisable sous le Principat, il reste néanmoins une forme de liberté morale à laquelle prétend en particulier l’historien.
26 Cf. spéc. Sailor 2008.
27 Ainsi Ryberg 1942, 404 n. 85. Sur la passivité de Claude dans la tradition historiographique, cf. par ex. Triggiano 2013, 3-4 ; Hurley 2014, 34 ; Michel 2015, 280-281.
28 Cette dualité des hommes de pouvoir, qui utilisent leur position à bon ou mauvais escient, trouve un écho dans ce qui est dit de Pompée, “à la fois créateur et destructeur de ses propres lois” (Ann., 3.28.1 : suarumque legum auctor idem ac subuersor).
29 Devillers 2002, 298, 301-302.
30 Sur cette affaire, cf. par ex. Tagliafico 19996 ; De Vivo 2009.
31 Voir supra pour les emplois d’auctoritas en relation avec le même personnage.
32 Sur le statut dans une certaine mesure “intermédiaire” (entre favorable, entre défavorable ; entre cour et armée) de Burrus dans les Annales, cf. Devillers 2016a.
33 Sur Tacite et les soldats, cf. Kajanto 1970.
34 Duchêne 2014, 96 (plus largement p. 96-97 pour une discussion d’auctor comme renvoyant à des sources littéraires ; aussi p. 116, 435-436).
35 Sur le rôle d’Aper dans le Dialogue, cf. Deuse 1975 ; Champion 1994 ; Goldberg 1999 ; brièvement Kapust 2009, 306.
36 Hist., 1.86.1, manifestation de prodiges ; 2.37.1, sur l’état d’esprit des troupes lors des guerres civiles ; 3.29.2, sur l’identité d’un personnage ; 4.83.1, sur l’origine de Sérapis ; 5.3.1, sur les Juifs ; Ann., 1.81.1, sur les élections consulaires sous Tibère ; 3.3.2, sur Antonia, mère de Germanicus ; 4.57.1, sur Tibère à Capri ; 5.9.2, sur le meurtre de la fille de Séjan ; 13.20.2, à propos d’un événement à la cour de Néron ; 14.64.3, sur les événements à l’époque de Néron ; 15.38.1 : sur l’incendie de Rome.
37 Sur ce passage, cf. Pigón 2001 ; Feldherr 2008 ; Duchêne 2014, 96-97, 208, 373-374.
38 Sur les formes d’autoreprésentation auxquelles concourent les mentions de sources, cf. Devillers 2016b. Plus largement, sur la construction par les auteurs anciens d’une persona d’historien destinée à asseoir leur “autorité”, Marincola 1997.
39 Aussi Duchêne 2014, 96.
40 Par ex. Klingner 1958, 198.
41 Sur le contraste implicite entre Romains et Germains dans la Germanie, cf. par ex. Thomas 2009, 71-72.
42 Par ex. Devillers 2003, 75-97 (à propos de la notion de libertas) ; Duarte Joly & Faversani 2013, 144. Aussi Fernandes Lino de Azevedo 2012, 32, qui signale ce que la mise en évidence de cette analogie doit aux recherches de R. Syme qui, en recourant à la prosopographie pour expliquer l’œuvre historique de Tacite, a jeté les bases d’une association entre l’historien et son contexte social.
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