Auctor, augeō et les notions de “force” et d’ “accroissement”
p. 25-40
Texte intégral
1Les noms d’agent latins en ‑tor dérivent souvent d’une base verbale, mais aussi d’une base nominale. Ainsi amā-tor “celui qui aime, amant” sur le thème amā‑ de amāre “aimer”, monĭ-tor “le conseiller” sur monĕ‑ō “avertir, faire penser”. Mais d’autres dérivent d’une base nominale, comme iānĭtor “portier” (sur iānua “porte”), portĭtor “douanier” (sur portŭs “port”), sarcĭnātor “raccommodeur” (sur sarcĭna “paquet, bagage” lui-même dérivé de sarciō “raccommoder”). Pour auctor, la tradition est de l’expliquer comme un dérivé de la base verbale aug‑ liée à augeō. Mais cette relation pose immédiatement des problèmes, à la fois formels – pourquoi partir de aug‑ et non de augĕ‑ (sur le modèle de monĕ‑) ? – et sémantiques : comment concilier le sens du verbe (“faire croître, augmenter”) et celui du nom (“garant, conseiller, auteur”) ? Ces deux questions sont liées : elles trouvent une solution si l’on part d’une base nominale, ce qui revient à inverser le rapport entre le nom et le verbe.
Difficultés morphologiques
2Le verbe augeō repose sur la racine *h2eu̯g‑ “être / devenir fort” (LIV : 274), conservée dans les verbes got. aukan “ajouter”, hitt. auka “grossir”, lit. áugu “croître”, toutes formes représentant le thème de présent *h2éu̯g‑e‑. Dérivée à l’aide de divers suffixes nominaux, cette racine fournit en outre des formes nominales : véd. ójas‑, av. aojah‑ (sur *h2éu̯g‑os n. “force”), mais aussi, avec un suffixe *‑to, l’adjectif latin augus-tus “solennel, consacré” ; véd. ugrá‑, av. ugra‑ (sur *h2u̯g‑ró- ‘fort’). Élargie en ‑s (*h2u̯eks‑), elle explique, entre autres, le grec αὔξοµαι (Hésiode, Pindare) “accroître” et l’avestique vaxšt “faire croître”1.
3Mais pour ce qui est de son thème, augeō est plus difficile à définir, car on peut hésiter entre trois formations de présent identifiées en indo-européen, à savoir causatif-itératif, fientif et essif2. Vu le sens habituel du verbe (“faire croître, augmenter”), celui-ci est souvent expliqué comme un causatif, du type R(o)-éi̯e/o (c’est-à-dire degré o de la racine et suffixe ‑éi̯e/o)3. Ce type est illustré par lat. moneō, monēre sur *mon‑éi̯e‑ “faire penser” c’est-à-dire “faire se souvenir”4, ou docēre “faire comprendre à quelqu’un” (gr. δοκεῖ “il semble”), c’est-à-dire “faire naître une impression, une opinion”. Sur ce modèle, M. Kümmel (LIV, 274), pose pour augeō un thème causatif *h2oug-éi̯e‑, mais de manière dubitative, dans la mesure où *h2oug‑ peut difficilement rendre compte de aug‑, qui devrait reposer sur *h2eug‑. La solution, incertaine elle aussi, consiste à supposer que le présent en e a été refait par analogie sur l’aoriste sigmatique *h2ḗug/h2éug‑s‑ (cf. parfait auxī). Tout cela est loin d’être satisfaisant, d’autant que le véritable causatif indo-européen est fabriqué sur le doublet en ‑s (*h2u̯ek‑s‑) de cette racine, de sens peut-être inchoatif : ainsi véd. vakṣáyati sur *h2u̯og‑s‑é‑i̯e‑ “faire s’accroître”5.
4Dans ces conditions, il est tentant de s’orienter vers une autre explication, qui est celle d’un fientif (décrivant l’entrée du sujet dans un état) ou d’un essif (exprimant un état). Un thème fientif a la forme *R(z)‑éh1‑/‑h1‑ (racine au degré zéro suivie d’un suffixe *‑éh1‑/‑h1‑) : par exemple, sur *men‑ “penser”, l’aoriste ion.-att. ἐµάνην “être fou” (< *mn‑eh1‑) ; ou sur *men‑ “rester”, lat. maneō (< *m°n‑eh1‑). L’essif, quant à lui, n’est qu’un dérivé en ‑i̯é/ó du fientif : *R(z)‑h1‑i̯é/ó‑. Ces fientifs sont souvent doublés d’un inchoatif en *‑ske/o‑ : albescō (à côté de albeō), rubesco (à côté de rubeō) qui insistent sur l’entrée dans un état quand le verbe en ‑eō a pu devenir un verbe d’état6. C’est le cas justement de augeō à côté duquel figure l’inchoatif augescō “s’accroître”. Ces thèmes fientifs / essifs peuvent être construits sur des bases verbales (habeo sur *ghHb‑ “saisir, prendre”), mais aussi sur des bases nominales : lat. rubeo (doublé de rubescō) sur *h1rudh‑ “rouge” (gr. ἐρυθρός) ; en slave, présents dénominatifs à valeur inchoative : starějo̜ “devenir grand” ; en hittite, dénominatifs en ‑e‑ (= ē) maršezzi “être faux”, inchoatifs en ‑eš‑ : maršešzi “devenir faux”. Dans cette hypothèse, augeō signifierait “entrer dans un état de force”, c’est-à-dire “s’accroître” ; le sens transitif serait secondaire, comme pour habeō (de formation essive : *ghHb‑h1i̯é‑), qui signifie d’abord “se trouver dans tel ou tel état” (dans des constructions avec adverbe)7 ; pour augeō, on peut imaginer qu’un accusatif d’objet interne indiquant sous quel rapport le sujet s’accroît a pu favoriser la transitivation. Ce sens intransitif de augeō, certes rare, est attesté :
Cato, Orig., 20, ap. Gel. 18.12.7 : Eodem conuenae complures ex agro accessitauere. Eo res auxit.
“Venus de la campagne, de nombreux étrangers vinrent au même endroit sans discontinuer ; en conséquence, leur situation s’améliora.”
Sal., Hist. frg., orat. Phil., 6 : Ceterum illi […] qui ignoscundo populi Romani magnitudinem auxisse, nusquam etiam tum Lepidum progressum aiebant…
“Mais ceux qui […] disaient que Rome devait sa grandeur à sa politique de pardon, ajoutant que du reste Lépidus n’avait pas encore bougé…” (trad. A. Ernout, CUF).
5Mais cette hypothèse se heurte à une difficulté morphologique : aug‑ ne peut s’expliquer par un degré zéro de la racine car *HuC‑ devrait évoluer en *uC‑ (donc †ug‑ en latin)8. Une solution consiste à reconstruite alors un *aug‑ē‑i̯e/o récent, d’émergence italique, formé à partir d’un thème nominal aug‑, celui de aug‑ur (< *aug‑os) par exemple9.
6Ces problèmes concernant le verbe rejaillissent sur le nom d’agent auctor. Si la base est de sens essif, quel signifié donner à un dérivé dont le sens devrait être agentif ? Les bases verbales des noms d’agent renvoient habituellement à une action, non à un état (comme actor sur agō, ōrātor sur ōrāre “parler”). D’ailleurs, sur la racine *h2eu̯g‑ “devenir fort”, les langues i.‑e. ont fabriqué des verbes de sens intransitif (par exemple, sur le thème de présent : got. aukan “s’agrandir”, an. auka “grossir”, lit. áugu “croître”), des noms de la force (sur *h2éu̯g-os n. : véd. ójas‑ et av. aojah‑ ) ou des adjectifs renvoyant à un état, comme lat. augus-tus “solennel, consacré” ou, sur *h2u̯g‑ró‑, véd. ugrá‑ et av. ugra‑“fort”.
7On pourrait imaginer que auctor est fait à partir de augeō à cause de son sens causatif, le garant pouvant être interprété comme “celui qui rend fort”. Mais augeō, du point de vue morpho-sémantique, n’est pas un causatif et se rapproche davantage d’un essif. D’autre part, faire reposer auctor sur *augĕtor sur le modèle de monĭtor10 (avec en plus une syncope du ‑ĕ‑ intérieur), ne serait envisageable que si sémantiquement les sens du nom d’agent étaient parallèles à ceux du verbe. Or ce n’est pas le cas.
Difficultés sémantiques : discordance entre les sens de augeō et ceux de auctor
Augeō
8Mis à part les rares occurrences où augeō signifie “croître”11, ce verbe est employé de manière transitive. Les compléments les plus fréquents renvoient à une quantité fractionnable, nombrable, qui peut être augmentée par ajout d’éléments supplémentaires (donc aussi diminuée), au premier rang desquels se trouve numerus (de Plaute à Boèce), dans des contextes où il est question d’augmenter un nombre d’hommes (e.g. Liv. 4.16 : ceterum uix credibile est numerum tribunorum patres augeri passos). Si ce n’est numerus, ce sont des termes collectifs impliquant une quantité qu’on peut augmenter ou réduire. Les troupes armées sont bien représentées : auxilia (Pl., Cist., 200) copiae (entre autres : Caes., Gal., 4.13 ; Ciu., 1.45 ; Liv. 10.30 ; 23.40 ; Tac., Ann., 6.37.3), classem “flotte” (Liv. 25.27), agmen “armée” (Liv. 24.32). Mais il peut s’agir d’autres groupes humains, désignés par des noms abstraits comme familia (Pl., Rud., 1207), multitudo (Liv. 34.31), coetus (Ov., Fast., 6.687), par des féminins collectifs (turba infantium en Plin., Pan., 28) ou par de véritables pluriels comme Itali en Verg., A., 5.565.
9Pour les inanimés, tout ce qui se rapporte à la richesse constitue une importante catégorie. Les termes génériques sont le singulier collectif res (Pl., Merc., 48 : / Lacerari ualide suam rem, illius augerier / ; Cic., Rab. Post., 38 en synonymie avec patrimonia : Qui uero duo lauta et copiosa patrimonia accepisset remque praeterea bonis et honestis rationibus auxisset…), ou les pluriels concrets (donc nombrables) tels que opes (Cic., Off., 1.17 : … in augendis opibus utilitatibusque et sibi et suis comparandis…) et fortunae (Cic., Catil., 4.19 : quanta deorum benignitate auctas exaggeratasque fortunas). D’autres substantifs renvoient plus précisément à l’argent : pecunia pour celui dont on dispose (Liv. 42.62 : summam pecuniae augens ; Tac., Ann., 2.62 : cupido augendi pecuniam), merces pour le revenu (Cic., Red. pop., 12 : … quae deliberatio… in augenda mercede consumpta est), pretium pour le prix (Plin., Nat., 37.18 : nec nisi augentibus pretium cessit “il ne les céda qu’à ceux qui renchérissaient sur le prix”). Parmi les autres domaines représentatifs, on retiendra la langue (sermo) comme ensemble de mots susceptible d’être enrichi (Cic., Fat., 1, à propos de la création, pour désigner la partie morale de la philosophie, de l’adjectif moralis : … sed decet augentem linguam Latinam nominare moralem ; Quint., Inst., 2.14.1, à propos de l’introduction du substantif rhetorice en latin : copiam Romani sermonis augere) ; mais aussi toutes les constructions (ville, rempart, tour), auxquelles on peut ajouter des éléments (Cic., Att., 13.33a.1 : Sed casu sermo a Capitone de urbe augenda “Voilà que Capito se met à parler de l’extension de la ville” ; Liv. 28.15 : saxis… augent uallum ; Tac., Hist., 4.34 : uallum turresque castrorum augebat) ; et enfin le temps : Ov., Fast., 1.612-613 : Iuppiter… / Augeat imperium nostri ducis, augeat annos.
10Dans ces contextes, augeō est employé parallèlement à des expressions contenant des verbes (ou des noms verbaux) signifiant “ajouter”, comme le très fréquent adiciō. Ainsi Quintilien, à propos de l’enrichissement des parties du discours par les Stoïciens, évoque dans un premier temps l’augmentation de leur nombre (Inst., 1.4.19 : Paulatim a philosophis ac maxime Stoicis auctus est numerus), avant de préciser ce qui avait été ajouté : (Inst., 1.4.20) Adiciebant et adseuerationem, ut “eheu“, et tractationem, ut “fasciatim”, quae mihi non adprobantur (“ils ajoutaient aussi l’assertion adjacente, comme eheu, et la dérivation comme fasciatim, ce que je n’approuve pas”). Chez Properce, la liaison intime des deux notions est soulignée par le parallèle syntaxique et phonique de deux hémistiches : (Prop. 3.7.31-32) Terra parum fuerat fatis adiecimus undas : / fortunae miseras auximus arte uias, “La terre, c’était trop peu, nous avons ajouté l’eau aux ressources du destin ; nous avons augmenté par l’art les misérables voies de la Fortune”12. D’autres verbes concurrencent adiciō : certains sont banals comme addō “mettre en plus” (Cic., Agr., 2.59 : … uix iam uidetur locus esse qui tantos aceruos pecuniae capiat ; auget, addit, accumulat, “désormais on a du mal à imaginer un lieu susceptible de contenir de tels monceaux d’argent. Rullus s’accroît, il additionne, il amasse”) ou comparō “équiper” (Cic., Off., 1.17 : in augendis opibus utilitatibusque et sibi et suis comparandis, “en accroissant ses richesses et en se ménageant des avantages pour soi-même et pour les siens”). D’autres sont des dénominatifs plus imagés, tels que accumulō, dérivé de cumulus “tas”, et exaggerō, de agger “amas de terre” (Cic., Catil., 4.19 : … quanta deorum benignitate auctas exaggeratasque fortunas, “ces richesse accrues et amassées par une si grande bienveillance des dieux”). Mais si adiciō est le plus fréquent, c’est sans doute parce que sa racine *h1i̯eh1‑ “lancer” (cf. iēcī, gr. ἥκα) est dynamique, comme *h2eu̯g‑ “être / devenir fort”, quand un verbe plus courant comme addō (sur *dheh1‑ “placer”) est plus statique.
11Une deuxième catégorie de compléments de augeō transitif renvoie non pas à une quantité nombrable, mais à une qualité susceptible d’avoir des degrés, si bien que dans ces syntagmes, le verbe signifie “renforcer, rehausser”. On y retrouve les séries habituelles de noms de qualité, à savoir tout d’abord les dérivés en ‑tās, comme maiestās (Cic., Part., 105 : maiestas autem […] aucta potius quam deminuta), lībertās (Cic., Sest., 137 : senatum […] plebis libertatem et commoda tueri atque augere uoluerunt “ils voulurent que le Sénat protège et renforce la liberté de la plèbe”), fertilitās ou fēcunditās (Sen., Ep., 90, 21 : … tamquam non nunc quoque plurima cultores agrorum noua inueniant per quae fertilitas augeatur : “comme si les travailleurs de champs n’inventaient pas, aujourd’hui non plus, un très grand nombre de procédés nouveaux capables d’améliorer la fertilité” ; Col. 8.5.2 : augere fecunditatem auium). L’adjectif qui constitue la base de la dérivation peut remplacer le substantif attendu13. Cette série de noms de qualité est complétée par celle des dérivés abstraits en ‑ia, formés sur une base non nécessairement adjectivale mais relevant sémantiquement du champ de la qualité ; ainsi gloria (Liv. 3.10 : Lucretius cum ingenti praeda, maiore multo gloria rediit. Et auget gloriam adueniens exposita omni in campo Martio praeda, “Lucretius revint avec un immense butin et une gloire beaucoup plus grande. Il va même jusqu’à rehausser sa gloire dès son arrivée en exposant sur le Champ de Mars tout son butin”), elegantia (Cic., De orat., 3.39 : Sed omnis loquendi elegantia, quamquam expolitur scientia litterarum, tamen augetur legendis oratoribus et poetis, “Mais tout ce qui touche à la pureté de l’expression, quoique poli par la connaissance des Lettres, est rehaussé par la lecture des orateurs et des poètes”) et saeuitia (Suet., Tib., 62 : Auxit intenditque saeuitiam, “Il accrut sa férocité et l’exacerba”).
12Sémantiquement, les termes les plus courants sont ceux qui renvoient à la force morale (animus) ou à des sentiments (Sal., Jug., 20 : suis animum, terrorem hostibus augere, “renforcer le courage chez ses hommes, la terreur chez les ennemis” ; Ov., Fast., 3.65 : Vt genus audierunt, animos pater editus auget, “une fois leur origine apprise, savoir qui était leur père renforce leur courage”). Augeō s’oppose ici à minuō (Liv. 37.39 : ne et suorum animos minueret detractando certamen et hostium spem augeret, “pour éviter, en refusant le combat, d’affaiblir le courage des siens et d’augmenter l’espoir des ennemis”) ou à dēbilitō, dérivé de dēbilis “sans force”14 (Cic., Phil., 7.5 : eorum augeas animos, bonorum spem uirtutemque debilites, “tu accroîtrais leur ardeur, tu affaiblirais l’espoir et la vaillance des gens de bien”). Augeō est en revanche synonyme de verbes signifiant globalement l’accroissement, comme inflammō (Cic., Inu., 1.21, à propos de la bienveillance qu’on demande à un public hostile : … non modo ea non inuenitur sed augetur atque inflammatur odium) et amplificō (Cic., Fin., 1.38 : uoluptas […] augeri amplificarique non possit). Ce champ sémantique est sans doute centré autour de la notion de force, déjà présente dans la racine du verbe : animus, terme le plus fréquent dans cette liste, signifie d’abord “l’âme” et la famille de la racine *h2enh1‑ “respirer” (anima “souffle de vie”, gr. ἄνεµος “vent”, véd. ánila‑ “vent” et aná‑ “respiration”) laisse penser que celle-ci est conçue comme un souffle, donc comme une force. Animus a ensuite développé le sens “siège des passions”, du “courage”, du “désir”, selon une évolution qu’on retrouve dans d’autres langues indo-européennes, comme vha. anto “désir, envie émotion”, alb. ëndë “désir, plaisir”. La notion de souffle (vital) dérive aisément vers celle du sentiment exprimé par le souffle : le vieil irlandais osnad signifie “le soupir, le gémissement”, de même qu’en français nous disons “soupirer de douleur (ou d’aise)” et que “aspirer à” signifie “désirer”. Il est probable que cette orientation sémantique de animus explique la série des termes de sentiment dans les compléments du lat. augeō.
13Les forces non individuelles, parfois métaphoriques, constituent elles aussi une importante catégorie. Ainsi, la puissance de la parole (Quint., Inst., 1. praef. 23, à propos des buts recherchés par l’enseignement : alere facundiam, uires augere eloquentiae “nourrir l’aisance oratoire, rehausser la puissance de l’éloquence”), le pouvoir politique ou militaire (Liv. 31.11 : ad firmandum augendumque regnum ; Cic., Phil., 5.48 : populi Romani imperium auxerint), ou encore la force d’un élément physique (Lucr. 6.342 : et ualidas auget uiris et roborat ictum : “[la foudre] augmente la puissance de sa force et intensifie sa frappe”). Dans de tels contextes augeō est rapproché d’expressions signifiant “porter plus haut” comme altius tollere, et s’oppose au causatif extenuō (“rendre mince”) ou à abiciō (l’inverse de adiciō) – cf. Cic., De orat., 3.104, au sujet l’amplification : … quod ualet non solum ad augendum aliquid et tollendum altius dicendo sed etiam ad extenuandum atque abiciendum, “ce qui vise non seulement à renforcer ou à élever quelque chose par l’expression, mais aussi à le diminuer et à le rabaisser”.
14À ces différents emplois de augeō, intransitifs et transitifs, pourrait correspondre un nom d’agent, sur le modèle d’autres familles : à ōrāre intransitif “parler” correspond ōrātor, à condō transitif “fonder” (urbem par ex.) conditor (urbis). S’il en était ainsi, on devrait trouver des syntagmes tels que *auctor numeri, *auctor pecuniae, *auctor animi. Or ce n’est pas le cas.
Auctor
Étude des syntagmes
15Non seulement l’apparition d’une construction de auctor avec un génitif est tardive – on n’en trouve aucune trace en latin archaïque –, mais les compléments au génitif ne se réfèrent ni à une quantité nombrable ni à une qualité. Dans les emplois les plus courants, c’est-à-dire dans des contextes non marqués, il s’agit de noms abstraits, le plus souvent noms d’action, formant avec auctor un syntagme où le nom d’agent signifie “conseiller, instigateur” – Cic., Planc., 49 : … tum harum ipsarum legum ambitus auctor15 ; Cic., Phil., 2.24 : pacis, concordiae, compositionis auctor esse non destiti16. Parfois le contexte, en fournissant des synonymes (dux, princeps) ou des antonymes (dissuasor) aide à préciser le sens du nom d’agent – cf. Cic., Brut., 106 : multarum legum et auctor et dissuasor fuit ; Cic., Red. sen., 24 : … nisi ut erga duces ipsos et principes atque auctores salutis meae satis gratus iudicarer…17. Comme le nom abstrait renvoie à un procès qui, par rapport au moment du conseil, est à venir, il peut être remplacé par un gérondif (Cic., Att. 3.9 : In hunc me casum uos uiuendi auctores impulistis, “Voilà où vous m’avez conduit en me conseillant de continuer à vivre”18). Mieux encore, le syntagme auctor + génitif est l’équivalent de incitare ad + acc., cf. Liv. 1.54 : … ipse identidem belli auctor esse […] Ita cum sensim ad rebellandum primores Gabinorum incitaret, “ Il était le promoteur de la guerre […] Ainsi il poussait peu à peu les principaux Gabiens à reprendre les armes…”
16À côté de ces emplois généraux figurent plusieurs séries particulières, qu’on peut considérer comme marquées dans la mesure où le sens de auctor dépend davantage du contexte. Ainsi, par rapport à testis, neutre du point de vue sémantique si l’on admet qu’il signifie “celui qui se tient en tiers”19, auctor ajoute l’idée d’autorité et de confiance, cf. Cic., Flac., 40 : Qui hoc euenit ut, qui locuples testis doloris et sanguinis sui non fuerit, idem grauis auctor iniuriae publicae ?, “Comment se peut-il qu’un homme dont le témoignage n’a pas été tenu pour irrécusable quand il s’agissait d’une offense personnelle et de son propre sang fasse autorité dans une accusation publique ?20” Une autre série s’articule autour de la notion de source originelle. Il peut s’agir du fondateur d’une lignée (gens), en synonymie avec parens (Verg., A., 4.365 : Nec tibi diua parens generis nec Dardanus auctor21) ; du créateur, en synonymie avec potens (Verg., G., 1.26-28, à propos d’Auguste : … et te maximus orbis / auctorem frugum tempestatumque potentem / accipiat22) ; du fondateur (Liv. 1.42.4 : Numa diuini auctor iuris) ; de l’auteur comme premier inventeur (Quint., Inst., 1.6.39 : etymologiae auctorem clarum sane in litteris23) ; de l’écrivain, dans des contextes mentionnant une œuvre ou l’activité de l’écriture (Cic., Fam. 3.8.5 : doctissimis auctoribus quorum sunt de amicitia gerenda praeclarissime scripti libri24) ; d’un modèle à suivre, dans une alliance avec doctor (Cic., De orat., 3.126 : Namque illos ueteres doctores auctoresque dicendi nullum genus disputationis a se alienum putasse accepimus25). Enfin, auctor forme avec fundi une expression relative au droit économique, dans laquelle il désigne, pour une vente (emptio), celui qui se porte garant du bien en cas de contestation entre acquéreurs – cf. Cic., Caec., 27 : Duo praeterea testes nihil de ui, sed de re ipsa atque emptione fundi dixerunt : P. Caesennius, auctor fundi, non tam auctoritate graui, quam corpore, “Les deux témoins suivants ont déposé non sur la violence exercée, mais sur le fond de l’affaire et sur l’acquisition de la terre : P. Cesennius, vendeur-garant du domaine, dont la garantie a moins de poids que le corps26.”
17Si le latin archaïque ne connaît pas la construction de auctor avec un génitif, on y trouve cependant celle avec un datif, attestée également dans la correspondance de Cicéron, et concurrencée par le tour prépositionnel ad + acc. :
Ter., Ad., 671 (à propos d’un mariage) : auctor his rebus quis est ?, “Quel est le répondant pour cette affaire ” (trad. J. Marouzeau, CUF, modifiée).
Cic., Att., 8.3.3 (à propos de Pompée) : ille legibus per uim et contra auspicia ferendis auctor, “Lui qui a pris la responsabilité de porter des lois en usant de violence et contre les auspices” (trad. J. Bayet, CUF).
Cic., Tusc., 1.26 : Auctoribus quidem ad istam sententiam, quam uis obtineri, uti optimis possumus, quod in omnibus causis et debet et solet ualere plurimum…, “À l’appui de l’opinion que tu désires voir établir, nous pouvons en tout cas recourir aux autorités les meilleures, et c’est là une preuve qui en droit et en fait a la plus grande force dans toutes les causes” (trad. J. Humbert, CUF).
18Ces datifs, référant à des inanimés, pourraient être considérés comme finaux, susceptibles justement de compléter des substantifs (par ex. Cic., Phil., 13.15 : receptui signum)27. Mais la concurrence entre le datif final et le tour latif en ad + acc. n’est attestée que pour des verbes28. Aussi le rapprochement le plus satisfaisant du point de vue de la syntaxe et du sens doit-il être fait avec les datifs signifiant “l’attitude envers”, qu’on trouve après des adjectifs comme utilis29. Un tel parallèle renforcerait l’hypothèse selon laquelle auctor a été adjectif avant d’être substantif30. La substantivation expliquerait l’apparition de la construction avec génitif, comme pour amicus suivi du datif quand il est adjectif mais du génitif s’il est substantif.
19Cette construction de auctor avec le datif ne correspond à aucun emploi de augeō + acc., et la distance est d’autant plus grande avec le verbe que auctor est vraisemblablement ici un adjectif31. Quant à la construction du substantif auctor avec le génitif, nous avons vu qu’elle ne saurait être comprise, elle non plus, comme la transposition de augeō + acc., pour des raisons de discordance sémantique entre le nom et le verbe d’une part, entre les compléments au génitif et à l’accusatif d’autre part32.
20Il faut donc renoncer à voir dans auctor un dérivé du verbe augeō, et abandonner définitivement l’hypothèse d’une explication de auctor par un *aug(ĕ)tor qui aurait subi une syncope intérieure.
Sémantisme de auctor
21En revanche, tous les emplois portent la même idée : celle d’un être doué non pas peut-être d’une “force vitale”, pour reprendre le sens étymologique, mais plus largement d’une force qui est source d’un développement à venir. L’auctor est le dépositaire, le siège d’une force destinée à un bénéficiaire (exprimé au datif) qui assure le bon développement d’une action à venir. C’est en ce sens qu’il convient de prendre le terme français garant souvent associé à auctor33. Cette force correspond, dans le domaine humain, au “plein de force mystique nécessaire à la réussite d’une action” dont Dumézil a parlé à propos de *augos, et dont l’augur constate la présence ou l’absence34. Pour auctor, il s’agit d’un plein de force morale. L’idée de garantie, inséparable de la fides, donne à auctor sa spécificité par rapport aux termes partiellement synonymes avec lesquels il est souvent rapproché.
22Le conseiller auctor ne se contente pas seulement d’avoir recours à la douceur de la persuasion (suasor) : il donne une telle assise et une telle crédibilité à son conseil que celui-ci s’impose avec force. C’est pourquoi Tibère, par aversion pour les flatteries, demande qu’on ne l’appelle pas auctor mais suasor :
Suet., Tib., 27 : Alium dicentem “sacras” eius occupationes et rursus alium “auctore eo” senatum se adisse, uerba mutare et pro auctore “suasorem”, pro sacris “laborias” dicere coegit35.
23Le témoin auctor est digne de confiance, ce que n’implique pas testis, non marqué, neutre36. Ainsi, pour mieux dénigrer Meandrius, déjà qualifié de sordidus et de sine honore, et exclu du groupe des graues homines (Flac., 52), Cicéron encadre ironiquement une série de termes signifiant “témoin” par auctor :
Cic., Flac., 53 : Qua re, si hunc habent auctorem Tralliani doloris sui, si hunc custodem litterarum, si hunc testem iniuriae, si hunc auctorem querelarum…
“C’est pourquoi, si les Tralliens n’ont personne d’autre pour garantir qu’ils ont souffert, s’ils n’ont que lui comme dépositaire de leurs actes officiels, comme témoin des injustices qu’ils ont subies, s’ils n’ont que lui pour garantir leurs plaintes…”
24Pour le fondateur, auctor véhicule l’idée d’une base morale qui assure la pérennité d’une cité (institutions, religion), alors que conditor, en vertu de son sens étymologique (racine *dheh1‑ “placer, poser”), est plus concret et de moindre extension.
Quint., Inst., 3.7.18 : Adferunt laudem liberi parentibus, urbes conditoribus, leges latoribus, artes inuentoribus, nec non instituta quoque auctoribus, ut a Numa traditum deos colere.
“Les enfants font rejaillir leur gloire sur leurs parents, les villes sur leurs fondateurs, les lois sur les législateurs, les arts sur leurs inventeurs et même les institutions sur leurs auteurs : par exemple, c’est Numa, dit-on, qui organisa le culte des dieux” (trad. J. Cousin, CUF).
25Se rapportant à l’auteur, auctor suggère l’idée de référence et de fiabilité, alors que scriptor semble plus neutre :
26Liv. 4.23 : Tubero et Macer libros linteos auctores profitentur ; neuter tribunos miilitum eo anno fuisse traditum a scriptoribus antiquis dissimulat, “Tubéro et Macer se réclament l’un comme l’autre de l’autorité des Livres de toile, et ni l’un ni l’autre ne nous cache qu’à en croire les auteurs anciens, il y aurait eu des tribuns militaires cette année-là” (trad. G. Baillet, CUF).
27Le contexte peut expliciter cette idée de fiabilité, par des qualifications de auctor (certus, maximae fidei) ou par des verbes dont le nom est complément, comme stari “être fidèle à, suivre” :
Liv. 8.40 : nec quisquam aequalis temporibus illis scriptor extat, quo satis certo auctore stetur, “Il n’y aucun écrivain contemporain, à cette époque-là, susceptible d’être suivi comme une source suffisamment sûre”37.
Tac., Ann., 4.10 : In tradenda morte Drusi, quae plurimis maximaeque fidei auctoribus memorata sunt rettuli, “En racontant la mort de Drusus, j’ai rapporté les faits relatés par les auteurs les plus nombreux et les plus dignes de foi.” (Trad. P. Wuilleumier, CUF.)
28Le sens fondamental étant assez stable, les différentes acceptions (“vendeur”, “père”, “fondateur”, “auteur”) dépendent du contexte38. La seule acception vraiment immotivée en contexte est celle de “conseiller”, “promoteur”, “instigateur”, vraisemblablement parce qu’elle correspond, pour le sens, à la formule verbale archaïque auctor sum “conseiller”, c’est-à-dire “se porter garant de la validité de son conseil et, par là-même, donner la force nécessaire à la réalisation d’une action”. Rappelons à ce sujet quelques points essentiels sur cet emploi premier de auctor39. La périphrase verbale auctor sum est une vieille formule rituelle qui appartient à la jurisprudence de l’ancienne Rome, si l’on en croit un passage du De domo sua qui fait référence aux conditions dans lesquelles intervient la déchéance de la liberté et de la citoyenneté :
Cic., Dom., 77 : Sed, cum hoc iuris a maioribus proditum sit ut nemo ciuis Romanus aut sui potestatem aut ciuitatem possit amittere, nisi ipse auctor factus sit – quod tu ipse potuisti in tua causa discere : credo enim, quamquam in illa adoptatione legitime factum est nihil, tamen te esse interrogatum auctorne esses ut in te P. Fonteius uitae necisque potestatem haberet ut in filio.
“Mais telle est la jurisprudence transmise par nos ancêtres qu’aucun citoyen romain ne peut perdre sa liberté ni sa citoyenneté sans son consentement officiel – ce que tu as pu apprendre toi-même dans ta propre cause : en effet, bien qu’on n’ait suivi dans cette adoption aucune forme légale, je pense qu’on t’a demandé si tu autorisais officiellement que P. Fonteius ait droit de vie et de mort sur toi, comme sur un fils.” (Trad. P. Wuilleumier, CUF, modifiée.)
29La déchéance en question exige la prononciation de certaines formules : l’un doit demander auctor es ut [ciuitatem amittas] ? (“acceptes-tu solennellement de perdre ta citoyenneté ?”), l’autre répond auctor sum (“j’accepte solennellement”) et, ce faisant, s’engage publiquement ; comme il est dans une situation d’infériorité, la traduction qui s’impose ici est “donner son accord, accepter, permettre”. Le sens fondamental “se porter formellement garant” peut être décrit à l’aide des sèmes suivants : / donner une force morale / dans un cadre institutionnel juridico-religieux / à une action à venir / proposée /. Dans les contextes plus courants, auctor sum signifie “conseiller”, c’est-à-dire se porter garant de la validité du conseil. Par rapport à *augos et augur, il reste dans auctor sum (et dans auctor seul) un aspect fondamental, qui est sémantique, à savoir les notions de « force » et de « garantie », héritées de l’art augural où l’on demande à Jupiter, garant du droit, de conférer une force mystique à la réalisation d’une action. Celui qui demande quid auctor es ? attend certes un conseil, mais demande surtout à l’autre s’il est capable de le garantir comme bon, et la réponse auctor sum sert à prendre la responsabilité du contenu propositionnel. C’est de cet emploi de auctor adjectif que sort, secondairement, le substantif auctor “conseiller” au sens de “qui garantit un conseil comme bon”40. Le substantif connaît d’ailleurs des emplois juridiques, à propos des patres qui sont auctores quand ils ratifient (une élection par exemple)41.
30Les synonymes et les antonymes du nom d’agent auctor confirment cette idée fondamentale d’une force qui est source d’un développement à venir, autrement dit d’une “garantie pour l’avenir”. Ainsi auctor est rapproché de conseruator “celui qui conserve, respecte, sauve”42, et de custos “gardien”, dans des groupes où le second terme met l’accent sur l’idée de pérennité :
Cic., Sest., 138 (à propos des optimates) : Qui autem praecipue suis ceruicibus tanta munia atque rem publicam sustinent, hi semper habiti sunt optumatium principes, auctores et conseruatores ciuitatis, “Ceux, principalement, qui portent sur leurs épaules de si lourdes fonctions et la charge de l’administration, ont toujours été regardés comme les chefs des aristocrates, les tuteurs et les mainteneurs de la cité.” (Trad. J. Cousin, CUF.)
Sen., Nat., 1. praef. 3 (à propos du dieu créateur) : Equidem tunc rerum naturae gratias ago […] cum disco quae uniuersi materia sit, quis auctor aut custos… “Pour moi, je me sens plein de reconnaissance envers la nature, quand […] j’apprends de quels matériaux l’univers est fait ; quel en est le créateur ou le gardien…” (Trad. P. Oltramare, CUF.)
31Mais par rapport à inuentrix, qui se rapporte au moment premier de la découverte, c’est auctor qui suggère la durée, la garantie dans le temps, cf. Ov., Fast., 6.709 (Minerve et la musique) : / Sum tamen inuentrix auctorque ego carminis huius / “c’est moi qui ai inventé cet art et en suis la patronne”.
32Opposé à reprehensor, dont le sens premier est “qui prend et ramène en arrière”43, auctor signifie bien celui qui donne l’impulsion vers l’avant, vers l’avenir :
Ov., Ep., 16.219-221 (Hélène à Pâris) :
Ipse mihi quotiens iratus “adultera” dices,
Oblitus nostro crimen inesse tuum !
Delicti fies idem reprensor et auctor.
“Que de fois, irrité, toi-même m’appelleras adultère, oubliant que dans mon crime il y a le tien ! De mon péché, tu deviendras le censeur et l’instigateur.” (Trad. M. Prévost, CUF.)
33Quant à l’opposition avec exstinctor qui signifie proprement “celui qui éteint (au propre et au figuré)”, elle suggère que l’auctor confère une force vitale :
Cic., Dom., 101 : … ut apud posteros nostros non exstinctores coniurationis et sceleris, sed auctores et duces fuisse uideamur ? “… pour que nos descendants se figurent que nous avons non pas étouffé, mais inspiré et dirigé une conjuration criminelle ?” (Trad. P. Wuilleumier, CUF.)
34Ce sémantisme de auctor a en commun avec la racine *h2eu̯g‑ le trait de sens “force”. C’est pourquoi il est concevable que auctor dérive non pas de augeō, mais directement de la racine, ce qui conduit à réinterpréter les relations entre nom et verbe, en inversant les rapports de dérivation. Cette perspective nouvelle permet de mieux articuler les sémantismes du nom et de verbe et de comprendre comment a pu se dégager secondairement un augeō causatif.
Augeō dénominatif de auctor ?
35Pour apporter une solution aux problèmes morphologiques et sémantiques que pose augeō, il convient de préciser l’hypothèse d’un *aug‑ē‑i̯e/o récent : celui-ci, d’abord porteur d’un sens essif et intégré à une série de verbes latins construits sur un thème nominal au degré plein, a sans doute pris ensuite un sens causatif au terme d’une réinterprétation encore plus tardive, favorisée par divers facteurs internes à la langue latine. Auctor semble avoir pu jouer un rôle capital dans la constitution de ce thème nominal qui a servi de base de dérivation.
Augeō et les essifs bâtis sur un thème nominal issu d’une racine verbale
36Le verbe augeō, récent, emprunterait sa base à des noms déjà constitués (on cite souvent *augos44). Mais, alors que la plupart des verbes dénominatifs sont bâtis sur une racine nominale (alb-us “blanc” → alb-eo “être blanc”), augeō présenterait l’originalité d’avoir une base nominale elle-même issue d’une racine verbale (*h2eu̯g‑ “être / devenir fort”). Dans cette hypothèse, augeō peut être interprété comme un essif bâti sur un thème nominal de degré plein, secondairement tiré d’une racine verbale. C’est une manière, satisfaisante du point de vue morphologique et sémantique, d’expliquer le degré plein de timbre e d’un thème de sens essif (normalement un essif est bâti sur le degré réduit), sans avoir recours à l’analogie45. Augeō n’est pas isolé : il existe une petite série de verbes provenant de racines verbales i.‑e., qui n’ont pas conservé de thème radical réduit et pour lesquels on reconstruit une forme de degré plein. Par exemple : aceō “être aigre” sur *h2ek‑ “être acéré” (l’essif normal devrait reposer sur *h2k‑h1i̯é‑) ; āreō “être sec” sur *h2eh1s‑ “se dessécher sous l’effet de la chaleur” (essif normal *h2h1s‑h1i̯é‑) ; egeō “être dans le besoin, être privé de” sur *h1egH‑ “manquer de” (et non *h1gH‑h1i̯é‑) ; frīgeō “avoir froid, être froid” sur *srei̯Hg‑ “geler, frissonner” (et non *sriHg‑h1i̯é‑) ; tepeō “être chaud” sur *tep‑ “être chaud” (au lieu de *tp‑h1i̯é‑)46. Le degré plein de tous ces verbes, généralement de timbre e, peut être expliqué par l’analogie (c’est ce qu’on trouve généralement dans le LIV), mais peut indiquer aussi, selon M. Vernet i Pons, un ancien thème nominal i.‑e. (ce qui fait de ces verbes des dénominatifs) : aceō reposerait sur le thème nominal *h2ék‑ (voir lat. acus, ‑us, m. “aiguille”), areō sur *h2éh1s‑ (hitt. ḫas(s)‑ “sec”), egeō sur *h1eg‑(es)‑ (lat. egestās), frīgeō sur *srei̯Hg‑(os)‑ (lat. frīgus, gr. ῥῖγος), tepeō sur *tep‑(e/os)‑ (indo-ir. tápas‑ “chaleur”)47.
37Augeō peut être ajouté à cette liste : il reposerait sur un thème nominal *h2éu̯g‑, pour lequel on cite souvent le nom abstrait dérivé en ‑e/os (*augos) cf. ved. ójas‑ “force”. Mais plutôt que de passer par un *augos reconstitué, il semble plus simple (puisque le terme est attesté) et plus efficace du point de vue sémantique de voir en auctor un intermédiaire capital entre la racine i.‑e. et la création d’un thème verbal latin.
De auctor à augeō
38Au départ, auctor a le statut d’un adjectif. C’est ainsi qu’il a pu entrer dans la constitution, à date archaïque, de la périphrase verbale auctor sum, où il a le statut d’un adjectif verbal48. Son sens premier serait “qui incarne la force vitale aug‑”, “qui est ou devient fort”. La nature adjectivale de auctor explique l’absence de féminin correspondant en ‑trīx. Celui-ci n’apparaît que chez Tertullien, alors que les formations en ‑trīx ont existé à toutes les époques. Le nom n’a dû se dégager de l’adjectif que tardivement, comme l’illustre, par exemple, la juxtaposition par Ovide de inuentrīx et du nom d’agent auctor, à propos du rapport de Minerve à la musique (cf. supra, Fast., 6.709 : /Sum tamen inuentrix auctorque ego carminis huius/).
39Morphologiquement, seul un adjectif peut rendre compte de l’existence (dès Plaute) de auctōritās qui, comme tout abstrait en ‑tās, ne peut dériver que d’une base adjectivale49. Auctor illustrerait donc les propos de F. Bader, pour qui “ce qu’on appelle ‘nom d’agent’ n’est rien d’autre qu’un adjectif (verbal) substantivé50” ; elle souligne également que les vieux noms d’agent (ou adjectifs) sont morphologiquement indépendants du verbe correspondant : ainsi index, ‑dĭcis ne présente pas le ī de dīcō, les noms en ‑ceps sont indépendants de capio car ils sont autant passifs qu’actifs : manceps est actif chez Plaute (Curc., 515), actif chez Festus (115, 19) ; princeps est glosé passivement par Festus (“primum captus”), mais le sens actif existe (“qui prend la première part”)51. Les rapprochements fréquents de auctor et de princeps ne sont donc peut-être pas seulement dus à leur proximité sémantique mais aussi à leur morphologie :
Cic., Red. sen., 24 : … ut erga duces ipsos et principes atque auctores salutis meae satis gratus iudicarer…, “… que de montrer assez de gratitude à ceux-mêmes qui ont conduit, mené et inspiré la défense de mes droits…” (trad. P. Wuilleumier, CUF)52.
40Sur la racine *h2eu̯g‑ « être fort » se seraient donc développés d’une part un thème verbal i.-e. bien connu (prés. *h2éu̯g‑e‑ > got. aukan “s’accroître” ; aor. *h2éu̯g‑s > lat. auxī), et d’autre part un thème nominal *h2éu̯g‑ “force vitale, accroissement”, responsable de formes indubitablement anciennes telles que le neutre *h2éug‑os > véd. ójas‑, av. aojah‑ “force” (lat. augur par masculinisation) et en latin le dérivé en *‑tōr *h2éu̯g‑tōr > auctor d’abord adjectif “qui devient fort” (par ex. dans auctor sum “se porter garant”, et servant de base de dérivation à auctōritās) puis nom d’agent.
41À partir de là seraient apparus (phase 2), en latin, un certain nombre de dérivés formés sur cette base nominale, au premier rang desquels augeō intransitif “croître, s’accroître”, essif bâti sur un thème nominal de degré plein. La formule auctor sum, dont le sens premier est “devenir fort vis-à-vis de”53, a pu jouer un rôle important dans la constitution d’un tel verbe signifiant “entrer dans un état de force”, c’est-à-dire “s’accroître”. L’adjectif augustus “pourvu de force vitale” est un dérivé en *‑to‑ dont la base ne peut être (comme pour augeō) la racine verbale au degré réduit : il dérive plutôt d’un substantif neutre *augus (qui n’existe pas à l’état isolé en latin, puisqu’il a été masculinisé en augur). Auctificus, doté d’un sens actif “qui rend *auctus, développe”, est une forme exceptionnelle dans la mesure où le premier membre est suffixé en *‑to, ce qui fait dire à F. Bader que auctificus remplace un plus attendu *augificus54. Mais le premier membre aucti‑ reposant sur *auctus “doté de force (vitale)” signale une base nominale aug‑ (comme dans barba-tus) plutôt qu’une base verbale auge‑ tirée de augeō (auquel cas on aurait plutôt eu *augitus). Augificāre (Ennius) “augmenter, accroître” a une formation anomale si on considère que le premier membre aug(i)‑ est verbal (il est exclu que dans un composé le premier membre soit verbal quand le second est déjà un nom d’agent, comme ‑ficus) ; mieux vaut donc y voir une base nominale aug‑, le composé signifiant “rendre fort”. Les deux noms d’action auctūs et auctiō ont des statuts différents : auctūs, avec son sens subjectif “accroissement, augmentation”, se rattache indubitablement à augeō fientif ; auctiō “vente” apparaît clairement comme le correspondant de auctor déjà substantif (dans le syntagme auctor fundi “vendeur”), et non de auctor adjectif. Comme la plupart des noms d’action en ‑tūs, auctūs est donc plus ancien que son correspondant en ‑tiō.
42Vu l’ancienneté de auctor dans auctor sum (vocabulaire du droit), on peut considérer que auctor (qui présente sur *augos l’avantage d’être attesté) occupe la place d’intermédiaire nominal entre la racine et augeō. Sémantiquement, son statut adjectival est cohérent avec la constitution de augeo essif “devenir fort, croître”, augificare “rendre fort”, auctificus “qui rend fort”.
43Toutes ces formes (des phases 1 et 2) sont relativement anciennes. Le causatif augeō “rendre fort” est, lui, récent (phase 3), et ne peut que résulter d’une réinterprétation de augeō essif. Cette évolution s’explique par la présence, dans la famille, de termes porteurs d’un sens clairement causatif tels que auctificus “qui développe” et augificāre “augmenter, accroître”. Il ne faut pas oublier non plus l’influence des agentifs que sont auctor et augur. Enfin, la formule auctor sum correspond à un acte de parole à la fois performatif déclaratif et perlocutoire, tourné vers l’action55. Ce n’est donc pas seulement par une mésinterprétation de sa forme que augeō a pu devenir causatif, c’est aussi à cause de sa famille.
Conclusion
44Pour répondre à la question “qu’est-ce qu’un auctor ?”, nous pouvons donc dire que ce nom d’agent, pour des raisons tant morphologiques que sémantiques, ne peut en aucun cas être considéré comme l’équivalent de “qui auget”. Directement construit sur une base nominale (et non verbale), il se rapporte au dépositaire d’une force morale exercée vis-à-vis d’une action, à laquelle elle confère développement et pérennité. De formation secondaire, le verbe augeō dérive de la même base nominale et porte d’abord un sens essif. Ce n’est qu’ensuite qu’il a été réinterprété en causatif, pour sa parenté formelle avec le type moneō, mais aussi parce que sa propre famille était sémantiquement porteuse d’un trait de sens causatif.
Bibliographie
Bader, F. (1962) : La formation des composés nominaux du latin, Paris.
Belardi, W. (1995) : “Auctor e auctoritas. Sopravvivenze del significato e del significante nel tempo”, Storia, Antropologia e Scienze del Linguaggio, 10, 127-190.
Benveniste, É. (1935) : Origines de la formation des noms en indo-européen, Paris.
Bettini, M. (2005) : “Auf unsichtbaren Grundlagen. Eine linguistische Beschreibung der auctoritas”, in : Das Sichtbare und das Unsichtbare der Macht, hrsg. G. Melville, Cologne - Weimar - Vienne, 237-258.
DELL = Ernout, A. et Meillet, A. : Dictionnaire étymoloique de la langue latine, Paris.
Dumézil, G. (1974) : La religion romaine archaïque, Paris.
Garnier, R. (2010) : Sur le vocalisme du verbe latin : étude synchronique et diachronique. Innsbruck.
Gavoille, É. (2015) : “Auctor et auctoritas : le paradigme latin de ‘l’instauration discursive’ ”, in : L’autorité dans le monde des Lettres, éd. par É. Gavoille, M.‑P. de Weerdt-Pilorge & P. Chardin, Paris, 21-38.
Gavoille, L. (2017) : “La formule de conseil auctor sum dans la correspondance de Cicéron. Étude étymologique, pragmatique et sémantique”, in : Conseiller, diriger par lettre (Epistulae antiquae IX), éd. par É. Gavoille & F. Guillaumont, Tours, 53-70.
Gavoille, L. (à paraître) : “Auctor adjectif verbal dans la périphrase auctor sum ‘conseiller’, Actes du 19th International Colloquium on Latin Linguistics (ICLL) – Munich, 24-28 April 2017
Hardarson, J. A. (1993) : Studien zur urindogermanischen Wurzelaorist und dessen Vertetung im Indoiranischen un Griechischen, Innsbruck.
LIV (2001) : Lexicon der indogermanischen Verben. Die Wurzeln und ihre Primärstammbildungen, Zweite, erweiterte und verbesserte Auflage bearbeitet von M. Kümmel und Helmut Rix, Wiesbaden.
Meiser, G. (1998) : Historische Laut‑ und Formenlehre der lateinisichen Sprache, Darmstadt.
Récanati, F. (1981) : Les énoncés performatifs, Paris.
Schrijver, P. (1991) : The Reflexes of the Proto-Indo-European Laryngeals in Latin, Amsterdam.
Serbat, G. (1996) : Grammaire fondamentale du latin. Tome VI. L’emploi des cas en latin, Louvain - Paris.
Tichy, E. (1992) : “Zur Rekonstruktion der nomina agentis auf *-tér- und *‑tor-”, in : Rekonstruktion und relative Chronologie. Akten der VIII. Fachtagung der Indogermanischen Gesellschaft (Leiden, 31. August-14. September 1987), hrsg. von Robert S.P. Beekes et al., Innsbruck, 411-420.
Vernet i Pons, M. (2008) : La segona conjugació verbal llatina : Estudi etimologic i Comparatiu sobre l’Origen Protoindoeuropeu de la Formació dels seus Temes Verbals, Barcelone.
Notes de bas de page
1 Cf. LIV, 288-289. M. Kümmel explique que la racine *h2u̯eks‑, pour laquelle il fait une entrée particulière, est vraisemblablement issue de *h2eu̯g‑ élargie en ‑s (formation inchoative ?).
2 Je renvoie ici à la classification de Rix dans LIV, 10-25.
3 L’autre type possible R(ṓ)‑i̯e‑ (*su̯ṓp‑i̯e‑se > lat. sōpīre) est exclu pour augeō.
4 Sur *men‑ “penser” c’est-à-dire “concevoir une pensée”.
5 Cf. Garnier 2010, 448.
6 Le latin a innové : les verbes d’état de la 2e conjugaison ont un suffixe en *‑eh1‑i̯é/ó‑ qui, selon Hardarson 1993, 323, serait issu des présents dénominatifs sur base thématique, type seneō (*sen-e-h1-i̯é/ó‑) dénominatif de *sen-e/o-s.
7 Cf. Le Grand Gaffiot, p. 736.
8 Cf. Schrijver 1991, 74-75.
9 Pour *aug‑ē‑i̯e/o, voir Vernet i Pons 2008, 135 et Garnier 2010, 448.
10 Issu de *monĕtor sur le thème verbal de monĕō.
11 Cf. supra.
12 Trad. S. Viarre, CUF.
13 Cic., Fin., 1.133 … in uoce autem duo sequamur, ut clara sit, ut suauis, utrumque omnino a natura petundum est, uerum alterum exercitatio augebit, “pour la voix nous devons rechercher deux qualités : la clarté et la douceur ; l’une et l’autre doivent être en général demandées à la nature, mais la première sera améliorée par l’exercice”.
14 L’élément °bilis repose sur un étymon *belo‑ “force” cf. gr. βελτίων, véd. bala‑ “force”, cf. Meiser 1998, 99.
15 “… mais qui avait appuyé les lois sur la brigue dont nous parlons” (trad. P. Grimal, CUF).
16 “C’est encore moi qui ne cessai de prôner la paix, l’union, la conciliation…” (trad. A. Boulanger et P. Wuilleumier, CUF).
17 “… si ce n’est de montrer assez de reconnaissance à l’égard de ceux-là mêmes qui ont conduit, mené, promu la défense de mes droits…”
18 Trad. L.-A. Constans, CUF, modifiée.
19 Cf. DELL, s.u.
20 Trad. A. Boulanger, CUF.
21 “Non, une déesse n’est pas ta mère et Dardanus n’est pas l’auteur de ta race” (trad. J. Perret, CUF). Cf. aussi Liv. 1.3 : Ascanius… quem Iulum eundem Iulia gens auctorem nominis sui nuncupat, “Ascagne…, celui qu’on appelle aussi Iule et duquel la famille Julia affirme tirer son nom” (trad. G. Baillet, CUF).
22 “Le vaste univers t’accueillera-t-il comme l’auteur des moissons et le seigneur des saisons ?” (trad. E. de Saint-Denis, CUF).
23 Cf. Cic., Fin., 5.20 : Carneades, non ille quidem auctor [fruendi], sed defensor disserendi causa fuit “Carnéade, qui ne fut pas, il est vrai, le premier à [en] avoir l’idée [de la jouissance] mais qui, pour les besoins de la discussion, s’en fit l’avocat” (trad. J. Martha, CUF).
24 “Sur la foi de très savants auteurs qui ont écrit sur la pratique de l’amitié des livres fort remarquables” (trad. L.‑A. Constans et J. Bayet, CUF).
25 “Ces vieux maîtres et modèles dans l’art de parler, nous savons qu’ils ne regardaient aucune matière de discussion comme hors de leur domaine.”
26 Trad. A. Boulanger, CUF. Voir aussi Cic., Caec., 54 et Top., 23 pour l’expression voisine auctoritas fundi “la garantie d’un fonds”.
27 Cf. Serbat 1996, 478.
28 Cf. Serbat 1996, 480.
29 Cf. Serbat 1996, 492-495.
30 Sur auctor adjectif, voir Gavoille L. à paraître.
31 Une telle discordance illustre bien les difficultés qu’il y a à considérer, avec Kuryłowicz, le datif comme un simple allomorphe de l’accusatif. L’exemple d’auctor donne raison à G. Serbat (cf. par exemple 1996, 495).
32 Là encore, un tel exemple doit servir à remettre en cause la postulat, défendu par Kuryłowicz et Benveniste, que la relation verbo-nominale est première par rapport à la relation adnominale. Voir là-dessus Serbat 1996, 304.
33 Voir à ce sujet Belardi 1995, Bettini 2005, Gavoille É. 2015.
34 Dumézil 1974, 132. Pour un développement plus long sur ce parallèle, voir Gavoille L. 2017, 65-67.
35 “Un autre qualifiant ses opérations de sacrées, et un troisième déclarant qu’il s’était présenté au Sénat sur son ordre, il les força de modifier leurs expressions et de dire non pas ‘sur son ordre’ mais ‘sur son conseil’, et ‘laborieuses’ au lieu de ‘sacrées’ ” (trad. H. Ailloud, CUF) ou : “un autre disait que ses occupations étaient ‘sacrées’, et un troisième qu’il avait paru au Sénat ‘sur sa décision’ : il les força à changer de registre et à dire ‘sur son conseil’ au lieu de ‘sur sa décision’, et ‘laborieuses’ au lieu de ‘sacrée’ ” (trad. G. Flamerie de Lachapelle, Les Belles Lettres, 2016). Cette qualité de l’auctor est explicitée par Virgile par non futilis, dont la valeur est essentiellement morale : cf. A., 11.339 (à propos de Drancès) consiliis habitus non futilis auctor, “tenu dans les assemblées comme conseiller dépourvu de frivolité (légèreté)”.
36 Cf. supra pour son sens.
37 Cf. aussi Tac., Ann., 4.11 : Haec uulgo iactata, super id quod nullo auctore certo firmantur, prompte refutaueris, “Ces rumeurs lancées dans la foule, outre qu’aucune autorité ne les confirme, on les aura vite réfutées” (trad. P. Wuilleumier, CUF).
38 Cf. supra.
39 Pour plus de détails, cf. Gavoille L. 2017, 61 sq.
40 Sur auctor d’abord adjectif, cf. Gavoille L. à paraître.
41 Cf. par ex. Liv 1.17 : Patres deinde, si dignum qui secundus ab Romulo numeretur crearitis, auctores fient, “Si vous nommez un homme qui soit le digne successeur de Romulus, ils [les Pères] ratifieront l’élection” (trad. G. Baillet, CUF).
42 Cf. DELL, 620.
43 Prehendo sur *ghed‑ “prendre, saisir” (gr. χάνδανω), cf. LIV, 194.
44 Cf. Garnier 2010, 448.
45 Cf. LIV, 275 pour l'analogie.
46 Nous empruntons la liste d’exemples à Vernet i Pons 2008.
47 Poteō (sur *pot‑) est le seul à présenter un vocalisme o, peut-être par influence du nom *pot‑ et du vocalisme o caractéristique de la catégorie des causatifs-itératifs.
48 Voir là-dessus Gavoille L. 2017 et Gavoille L. à paraître.
49 Par exemple liberālitās sur liberālis, suāuitās sur suāuis.
50 Bader 1962, 190. É. Benveniste avait déjà noté cette particularité (1935, 109) : “Le sens premier des mots en *-ter est simplement celui d’un adjectif marquant l’exercice d’une activité non transitive : le praetor (*prai-itor) est ‘celui qui marche à la tête (des armées)’ ; gr. βατήρ est glosé par βαίνων, comme un simple participe ; skr. gántar signifie de même ‘allant, venant’.”
51 Bader 1962, 58 et 63-64.
52 Il y a vraisemblablement une progression entre les deux noms : à l’idée de primauté portée par princeps, auctor ajoute celle d’une force susceptible de faire vivre ensuite l’action. Quant à dux, il est secondaire par rapport à redux (adjectif), selon Bader 1962, 58.
53 Cf. Gavoille L. 2017, 67-68.
54 Cf. Bader 1962, 219.
55 Cf. Gavoille L. 2017, 67. Comme cet apport de force se fait dans la profération même d’une formule, on dira que auctor sum est un acte de parole “performatif déclaratif” : en déclarant auctor sum, je donne ma garantie que le conseil (ou l’ordre, ou la permission) est bon (et, si les conditions de félicité sont réunies, j’y parviens) ; secondairement – sous la forme d’un acte cette fois-ci perlocutoire – je rends possible l’action. Comme pour toute formule performative déclarative, l’énonciation crée une nouvelle situation : en disant auctor sum, le locuteur donne une garantie (juridique au départ) sur l’action à venir. L’acte de parole permet donc d’entrer dans une situation nouvelle, qui diffère de l’ancienne par une prise de responsabilité inédite. Sur les notions de “performatif” et de “perlocutoire”, voir la classification des actes illocutionnaires proposée par F. Récanati (Recanati 1981, 175 sq.).
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Tradition et innovation dans l’épopée latine, de l’Antiquité au Moyen Âge
Aline Estèves et Jean Meyers (dir.)
2014
Afti inè i Kriti ! Identités, altérités et figures crétoises
Patrick Louvier, Philippe Monbrun et Antoine Pierrot (dir.)
2015
Pour une histoire de l’archéologie xviiie siècle - 1945
Hommage de ses collègues et amis à Ève Gran-Aymerich
Annick Fenet et Natacha Lubtchansky (dir.)
2015