Eugen Fischer et la “race” des Étrusques
p. 95-113
Texte intégral
1Le développement récent de travaux sur l’implication de médecins dans la politique du IIIe Reich, non seulement par le biais d’expérimentations sur les prisonniers, mais en amont dans la justification médicale de la politique raciale nazie1 a permis de jeter la lumière sur un personnage très influent de la science nazie des années 30 : Eugen Fischer2. E. Fischer s’est rendu célèbre et a bâti sa carrière, en expliquant à un public cultivé le principe des règles mendéliennes de l’hérédité et en proposant grâce à ces règles une nouvelle interprétation du phénomène du métissage et donc des rapports entre races, interprétation qui prélude à l’établissement d’une nouvelle science la raciologie (Rassenkunde), science de la classification des groupes humains en “races” selon des règles dites scientifiques et biologiques. À ce titre, comme beaucoup de ses collègues raciologues, Eugen Fischer a fait porter ses travaux non seulement sur le présent, mais aussi sur le passé. Eugen Fischer s’est donc intéressé aux peuples des îles Canaries d’avant la colonisation espagnole, aux peuples de l’antique Éthiopie, aux Grecs, aux Romains3 et, dans une moindre mesure, aux Étrusques. Après un voyage d’étude en Italie au printemps 1938, E. Fischer publie trois articles où il prétend ajouter une nouvelle race à celles recensées dans les catalogues raciaux en vogue dans ces années 30. Nous essaierons de voir pourquoi ce médecin généticien qui, auparavant, n’avait jamais manifesté d’attention particulière pour les Étrusques s’intéresse subitement et ponctuellement aux Étrusques. Qu’apporte-t-il de nouveau et à quoi sert la démonstration raciologique d’E. Fischer ?
La méthode raciologique d’E. Fischer
2Alors qu’il n’est ni historien ni philologue ni archéologue, E. Fischer publie sur les Étrusques trois articles entre 1938 et 19394, où l’objectif scientifique est formulé de la même façon, uniquement en termes raciaux : il faut déterminer si les Étrusques forment une unité du point de vue de la race ou si la “race” des Étrusques est une des composantes d’une des races de l’Italie actuelle ou l’une des races connues.
3La méthode de recherche employée est identique et inhabituelle pour un généticien comme E. Fischer5 qui a construit sa réputation sur l’analyse du “matériel” vivant6 (fig. 1). E. Fischer a élaboré sa méthodologie si particulière dans les camps de concentration hereros du Sud-Ouest africain en 1904, alors que les Hereros et les Namas, en guerre contre l’occupation coloniale allemande, étaient victimes d’un génocide7 (fig. 2). Là, en effet, il a effectué des expérimentations anthropologiques et médicales innovantes pour l’époque et promises à un “bel” avenir, à savoir des injections de variole, de typhus et de tuberculose, quand ce n’était pas tout simplement la stérilisation8. Puis, à partir de 1908, E. Fischer a poursuivi ses recherches sur 310 enfants métis appelés les bâtards Rehoboths et il les a publiées dans Die Rehobother Bastards und das Bastardisierungsproblem beim Menschen, livre qui procure à Fischer célébrité, respectabilité et autorité dans une Allemagne d’après 1918 privée de colonies, mais fascinée par l’interprétation fischérienne des principes de Mendel qui met l’accent sur les dangers du mélange des races pour les Allemands (fig. 3). Le succès du livre lui permet de créer, en 1927, l’institut Kaiser-Wilhelm d’anthropologie, de génétique humaine et d’eugénisme, qui contribue à diffuser l’idée que les bâtards sont dangereux9. Ainsi, en 1935, E. Fischer et son collègue O. von Verschuer publient un retentissant article dans la Deutsche Zeitung du 8 février10, “L’Héritage de la honte noire”, qui réclamait la stérilisation des enfants métis noirs de la vallée du Rhin, issus du passage des troupes coloniales d’occupation françaises, en particulier sénégalaises, en 1919-1920. En 1936, les “bâtards de Rhénanie” se retrouvent ainsi pour moitié envoyés en camp de concentration, l’autre moitié étant stérilisée de force sous la supervision du docteur Fischer.
4Ce rappel me semble nécessaire pour montrer que, quand il traite des Étrusques, E. Fischer possède une assise sociale et une crédibilité scientifique qui l’autorisent à poser des jugements tranchants sur un sujet pourtant contesté. Rappelons pour mémoire que les sources littéraires antiques ne s’accordent pas sur l’origine des Étrusques et que, dans l’Allemagne des années 30, la thèse de l’origine orientale – tout en étant prédominante – ne réussit pas à s’imposer11. E. Fischer applique donc aux Étrusques des méthodes selon lui éprouvées : réservant les sources littéraires aux philologues12, il part du corps des Étrusques pour proposer une identification de type racial et il trouve ce corps ou tout au moins ce qu’il considère comme étant le corps des Étrusques sur les représentations figurées des Étrusques, sur les urnes, des sarcophages, des peintures, qu’il photographie ou dessine dans les musées et sur les sites mêmes, à Bologne, à Florence et à Tarquinia (fig. 4, 5, 6 et 7). Il évalue ensuite ces images d’Étrusques selon des critères artistiques par ailleurs déjà dépassés à son époque13. En clair, pour lui, une image d’Étrusque est réaliste, individuelle et, pour tout dire, grossière et sont laissées de côté toutes les images de qualité artistique auxquelles E. Fischer prête une influence grecque ou hellénistique.
5E. Fischer suit une démarche qui se veut scientifique et qui consiste à faire la liste des origines ou des races traditionnellement attribuées aux Étrusques, puis des races répertoriées dans le monde, pour savoir si les Étrusques forment une race à part ou s’ils se rattachent à une autre race. À chacun des traits physiques qu’E. Fischer croit typiques de ces origines, il essaie de faire correspondre des éléments physiques de représentations des Étrusques qu’il a sélectionnés. Ensuite, Fischer procède par élimination.
6La première origine envisagée – et aussi la plus développée – est l’origine asiatique, l’origine la plus couramment attribuée aux Étrusques en Allemagne. Dans son examen, E. Fischer se réfère aux travaux de F. von Luschan14, autre tenant allemand d’une biologie raciale eugénico-nordiciste, directeur de la Société d’Hygiène raciale de Berlin fondée en 1905, qu’E. Fischer admirait beaucoup et qu’il avait remplacé à la prestigieuse chaire d’anthropologie de l’université de Berlin (fig. 8). F. von Luschan croyait avoir isolé en Syrie et en Asie Mineure un type particulier – une nouvelle race – à occiput aplati et nez proéminent15, qui aurait représenté la plus vieille population autochtone d’Asie Mineure et qui descendrait des Hittites16. E. Fischer élimine la possibilité d’un rattachement à cette race en raison de caractéristiques physiques particulières des Étrusques, car le “nez étrusque” serait différent de celui de la population d’Asie Mineure ; il note aussi que les Étrusques ne se représentent pas avec une nuque verticale et avec un nez crochu mais qu’ils réservent ces traits aux images de démons. Pour autant, E. Fischer n’exclut pas que les Étrusques aient pu être originaires d’Asie mineure, mais il les rattache à la branche qui aurait quitté l’Asie mineure pour l’Italie17.
7D’autres “races" font l’objet d’un examen plus rapide.
8E. Fischer exclut ainsi l’appartenance des Étrusques à la race dinarique et à la race orientale ou sémitique, car les Étrusques n’auraient ni le nez ni les lèvres charnues ni les autres traits qu’il attribue à la “race” orientale ou dinarique.
9E. Fischer exclut encore la thèse d’une origine d’Asie centrale mise en avant par W. Brandenstein, car E. Fischer ne retrouve chez les Étrusques ni le pli des paupières, ni la position oblique des yeux, ni la forme des pommettes ou du nez, ni les cheveux raides, tous critères qu’il considère comme ceux de la race mongoloïde propre à l’Asie centrale.
10Puis, E. Fischer évoque une éventuelle appartenance à une “race négroïde”, expression par laquelle il désigne une nouvelle “race” prétendument découverte au début du xxe siècle sur les hauteurs de Menton – la race Grimaldi – ou celle de l’Afrique du Nord18, mais il ne discerne rien de “négroïde” chez les Étrusques.
11Il exclut ensuite des formes de rapprochement avec les races d’Italie déjà identifiées. Il met d’abord à part la race alpine qu’il juge très différente de celle des Étrusques en raison du petit visage rond avec un front bombé et un petit nez émoussé qu’auraient, selon lui, les populations de race alpine.
12Ensuite, l’hypothèse que les Étrusques seraient de la race méditerranéenne et dotés par conséquent d’un visage mince et ovale et d’un petit nez droit et gracile, est rejetée.
13E. Fischer juge également que les Étrusques ne peuvent pas faire partie de la race nordique, car seules quelques femmes étrusques, d’après lui, répondent au critère de nordicité que sont les cheveux blonds19.
14Puis, E. Fischer convient que le type assez rare de l’obesus Etruscus fait penser aux représentations de Bouddha, mais le type de l’obesus ne lui paraît pouvoir être rattaché à aucune race en particulier.
15Enfin, après avoir passé en revue toutes ces “races”, E. Fischer conclut en affirmant que les Étrusques ne correspondent à aucun type racial connu et il dégage les caractéristiques d’un type physique qu’il appelle “étrusque”, dont les traits physiques seraient constants et se seraient transmis par-delà les siècles et les millénaires.
16Le type étrusque, selon E. Fischer, se reconnaît à son visage : l’Étrusque aurait les lèvres fines, le menton rond et saillant, le front droit et haut et surtout le nez aquilin. Il s’agirait d’une race propre à l’Italie centrale, dotée de ses caractéristiques physiques et de qualités artistiques, déjà marquées, dont les débuts remonteraient à l’époque néolithique. Géographiquement, cette race étrusque serait implantée entre la “race” méditerranéenne qui n’aurait pas dépassé la ligne Rome-Ascoli et la "race” alpine qui ne serait pas descendue au-delà de la vallée du Pô. Placée dans l’entre-deux, la “race” étrusque serait une branche de la culture de la céramique cordée (Schnurkeramikkultur) et de la civilisation indo-européenne et elle aurait complété ce que Fischer appelle sa “formation raciale” en Italie centrale.
17E. Fischer note qu’une telle race en Italie centrale aurait continué d’exister, à la période médiévale et à son époque. Il en veut pour preuve la forme aquiline du nez de Dante sur les portraits de l’époque de la Renaissance20, ainsi que la forme du nez de ses contemporains toscans (fig. g). Lors de son voyage d’étude en Toscane, E. Fischer note la présence de nombreux “Étrusques vivants” (lebende Etrusker), en particulier à Chiusi, à Volterra et à Tarquinia (fig. 10). Il localise le foyer de cette race “particulière”, “aquiline”, en Toscane, en Ombrie, dans la moitié nord du Latium.
La race aquiline ou comment faire du neuf avec du vieux
18D’où vient cette idée de Fischer qu’un raciologue comme lui pourrait apporter du nouveau sur un sujet rebattu par des archéologues, des historiens ou des anthropologues et que les Étrusques devraient être répertoriés comme une race à part, “aquiline” dans un patrimoine “racial de l’humanité” ? Le nez étrusque est-il une invention d’E. Fischer ou la reprise d’un cliché ?
19E. Fischer se présente en chef de file d’une école allemande moderne, dont l’approche bioanthropologique ou raciologique renverrait la vieille école d’ethnologie et d’anthropologie au rang d’antiquité. E. Fischer s’engage en effet dans une voie particulière, un Sonderweg, une anthropobiologie, qui se veut plus moderne que la traditionnelle anthropologie, physique et métrique, qui avait régné en Allemagne jusque dans les années 20 et qui continuait en Italie de faire les beaux jours des sociétés et des revues savantes. Pour E. Fischer, en effet, l’anthropologie physique ne reposait sur rien de solide et il était inutile d’étudier indéfiniment des séries d’index céphaliques si on ignorait si ces index étaient déterminés par le génotype ou par le milieu. Cette approche qui veut tirer profit des progrès de la génétique se coupe donc de l’ethnologie et de l’anthropologie et aboutit à une nouvelle dénomination, la raciologie21, dans laquelle les chercheurs se concentrent sur un nombre limité de caractères disséminés à travers les populations.
20L’ambition fischérienne bute cependant dans le cas des Étrusques sur l’absence de nouvelles données génétiques disponibles. Aussi, tout en critiquant la vieille anthropologie physique et en prétendant fonder une anthropologie génétique moderne, E. Fischer recourt, pour son étude des Étrusques, aux résultats déjà anciens des analyses d’un capitaine de l’armée italienne du siècle précédent, Ridolfo Livi, anthropologue physicien et statisticien, chargé d’une enquête anthropométrique et démographique sur plus de 250 000 soldats italiens des classes 1859-1863 qu’il publie dans des ouvrages détaillés à partir de 188422, puis dans un manuel publié chez Hoepli en 190023. Alors que R. Livi traite de la taille, du poids, du nez, de la couleur des cheveux des Italiens, Fischer s’intéresse uniquement aux résultats de R. Livi quant à la forme du nez des Italiens24. R. Livi pense en effet que la forme du nez permet de différencier l’homme européen du “nègre” et R. Livi préconise, pour bien déterminer la forme du nez, de prendre les mesures du nez sur le vivant, – la mesure de la hauteur et de la largeur25 – et, quand faute de temps, la pratique s’avère impossible, de procéder à des descriptions de la forme du nez qui doivent être minutieuses et suivre certains critères qui font l’objet de prescriptions de la part de l’armée italienne dans une “istruzione ministeriale” du 13 août 188026. Il faut ainsi mesurer la largeur maximale des os des narines et la longueur naso-spinale, c’est-à-dire la distance entre la racine du nez et la base de l’épine nasale pour fixer l’indice nasal, ou le rapport entre ces deux mesures, si on considère que la longueur totale équivaut à 100.
21R. Livi distingue ainsi plusieurs formes de nez, en réalité des formes empruntées à la classification de P. Topinard27, d’A. Bertillon28, de S. Ottolenghi29 et d’A. Mori30. R. Livi reproduit les cinq formes de profil de nez de Bertillon combinées aux degrés possibles d’inclinaison de la base du nez, à savoir 1 ° relevée, 2 ° horizontale et 3 ° réduite. R. Livi31 aboutit à la liste suivante : 1 ° nez concave, 2 ° nez rectiligne, 3 ° nez convexe, 4 ° nez ondulé et 5 ° nez gibbeux. R. Livi s’intéresse surtout aux trois premières formes qu’il considère comme fondamentales (les quatrième et cinquième formes n’étant que des variantes des trois premières), mais ce qui intéresse E. Fischer, ce sont surtout les deux premières catégories, les nez que R. Livi et E. Fischer appellent nez aquilin et grec. R. Livi avait en effet construit des cartes de répartition géographique des formes de nez en Italie et il avait relevé à l’aide de ces cartes la prédominance d’un nez aquilin chez les recrues de l’armée italienne des classes 1859-1863, résidant en Toscane (fig. 11). R. Livi va jusqu’à croiser des critères comme la hauteur de l’individu32, la couleur des cheveux et la forme du nez. R. Livi observe ainsi une proportion de nez aquilins plus importante chez les recrues de haute taille que chez les petits et chez les recrues aux cheveux blonds que celles aux cheveux bruns. Il note ainsi qu’on trouve le plus nombre d’individus brachycéphales, blonds et grands parmi ceux qui ont un nez aquilin. R. Livi répartit ensuite les soldats italiens dans des cartes de répartition régionale en fonction de ces critères physiques. Il aboutit à la définition d’une race toscane pure ayant gardé les mêmes traits physiques, en particulier le nez aquilin, parce que la Toscane serait l’une des régions d’Italie les moins touchées par les vagues d’immigration33.
22E. Fischer se réfère aussi à des résultats plus récents de l’anthropologie italienne, à savoir ceux de l’école de G. Sergi34, professeur d’anthropologie à l’université de Bologne de 1880 à 1884, théoricien d’une anthropologie physique où la primauté est accordée de nouveau à l’architecture du crâne et du squelette35. E. Fischer avait une mauvaise opinion de G. Sergi, qu’il considérait comme complètement juif au sein d’un milieu d’anthropologues italiens pour lui aussi en majorité juifs et à qui il lui reprochait d’avoir empêché l’examen anthropologique des crânes de l’université de La Sapienza36. Après s’être intéressé lui aussi à la forme générale et aux anomalies des squelettes des nécropoles préromaines de Bologne37, G. Sergi avait découvert de nouvelles catégories de crânes et il avait noté, par exemple, parmi les crânes du territoire étrusque38, l’existence de trois types différents : dolichomorphe méditerranéen appartenant à la population néolithique et énéolithique d’Italie, brachymorphe appartenant aux envahisseurs eurasiatiques, et dolichomorphe méditerranéen des Étrusques39. G. Sergi s’était servi de ces analyses pour affirmer l’existence d’une vraie race méditerranéenne (“stirpe mediterranea”), avec une physionomie et une histoire unitaire et particulières, et surtout avec une supériorité sur les autres races. E. Fischer ne cite pas directement les travaux de G. Sergi, qu’il connaît, qu’il a lus et qu’il apprécie peu, mais ceux de F. Frassetto40, héritier de la chaire d’anthropologie de Bologne, qui continuait à creuser le filon des études craniologiques en appliquant les méthodes de G. Sergi à l’examen de crânes d’hommes célèbres, comme l’avaient déjà fait à la fin du xixe et au début du xxe siècle P. Mantegazza pour U. Foscolo, C. Lombroso pour A. Volta, et G. Canestrini pour Pétrarque. F. Frassetto avait ainsi fait partie de l’équipe de G. Sergi, qui, du 28 au 31 octobre 1921, pour le 600e anniversaire de la mort du poète, avait repris l’examen des os du Dante découverts à Ravenne en mai 1865, et renouvelé l’interprétation des restes du poète italien41. Il ne pouvait plus affirmer de but en blanc, comme il avait été fait avant lui dans le premier livre sur le sujet édité par le Conseil municipal de Ravenne : “Il cranio degli uomini superiori comunemente è più grande e più bello di quello degli uomini di mediocre intelligenza”42, mais, en 1933, F. Frassetto se sert au contraire des nouvelles techniques de son époque, pour proposer dans ses des analyses de type racial43. En effet, F. Frassetto superpose des reproductions de photographies de portraits de Dante avec des dessins du crâne, de manière à créer une copie du crâne de Dante en surface et en volume censée être de même mesure que le vrai. Le 11 février 1938, il va à Berlin dévoiler le buste de Dante et proposer sa propre analyse de la race du poète : il revendique ainsi l’appartenance de Dante au type racial méditerranéen, dont Dante serait l’un des plus glorieux représentants. Il insiste sur le volume exceptionnel du crâne de Dante44, plus grand que celui de Pétrarque, de Raphaël, de Saint Ambroise et de U. Foscolo, Il confirme aussi les paroles de Boccace pour qui Dante avait un nez aquilin : “il loro dorso [delle ossa nasali] è concavo nella parte superiore e convesso nella parte inferiore : sono relativamente grandi e, piuttosto che dirigersi in basso, sono sporgenti in avanti, dato che le apofisi montanti del mascellare, su cui poggiano, sono più larghe dell’ordinario. Si forma cosi’quel naso prominente e aquilino, come l’aveva il poeta”45. G. Sergi et F. Frassetto, dans un premier temps, font de cette forme du nez, avec la forme dolichomorphe du crâne et la petite taille, un argument en faveur de l’appartenance de Dante à la race méditerranéenne, “cioè quella grande razza, che ha una storia di cinquemila anni”46. F. Frassetto, ensuite, estime que la forme du crâne de Dante rappelle celle des Étrusques47 et c’est cette dernière affirmation et son présupposé sur une continuité de la race étrusque à travers les âges qui servent à E. Fischer de base à sa “découverte" d’une race étrusque. On notera que E. Fischer préfère ainsi la thèse de F. Frassetto à celle de H. S. Chamberlain48, pour qui Dante était germanique, comme étaient germanique le développement des Communes et de la Renaissance.
23Ce faisant, E. Fischer continue – il avait commencé dès les années 20, sinon avant49 – de montrer le chemin à certains anthropologues italiens, fascinés par les accents racistes de science allemande et qu’il rassure, au titre de spécialiste des croisements raciaux, en affirmant que la race “étrusque” est restée indemne des effets des mélanges raciaux. E. Fischer est ainsi apprécié de G. Landra, autre élève de G. Sergi, directeur de l’Ufficio Razza50, qui aime se présenter comme disciple d’E. Fischer, qui suit au printemps 1938, les conférences qu’E. Fischer tient sur le racisme allemand en Italie, puis qui, à la fin de l’année 1938, participe à une visite organisée et encadrée par W. Gross, le chef du Rassenpolitisches Amt der NSDAP51, en Allemagne, pour voir les principaux instituts d’anthropologie, dont l’IKW d’E. Fischer52. C’est le même G. Landra qui, au printemps 1938, pousse Mussolini à promouvoir une politique raciale inspirée de celle allemande ; à cette même période, le préfet A. Le Pera dit à W. Gross que le Duce cherche à obtenir des informations sur la politique raciale allemande en matière d’eugénisme. Mussolini souligne, de fait, l’appartenance de sa famille aux peuples racialement purs en Italie le 24 juin 1938, selon G. Bottai : Mussolini se déclare lui-même nordique, mais un nordique davantage en relation avec les Anglais et les Allemands que les Français. “Ma fille est mariée à un Toscan !”, se serait-il exclamé, “mon fils à une Lombarde !”.
24La découverte d’une nouvelle race “étrusque” intéresse donc au plus haut point les anthropologues italiens, pressés de fournir un point de vue scientifique clair sur l’état racial de la nation italienne. Dans les milieux gravitant autour de la Difesa della razza, on formule le projet d’une liste des caractéristiques biologiques des Italiens (fig. 12). En août 1938, le président de l’ISTAT (Istituto Nazionale di statistica), E Savorgnan53 souhaite une mise à jour de l’enquête anthropométrique de R. Livi : “un’indagine antropometrica condotta su vasta scala sembra pertanto, oggi, più che opportuna. Essa potrà mostrare quali caratteri fisici si presentino con maggiore frequenza nella razza italiana (...) e determinare le caratteristiche differenziali della piccola razza italiana in confronto con altre facenti parte della grande famiglia indo-europea”. Derrière cette enquête, se profile le problème du métissage qui hante les auteurs de La difesa della razza depuis le premier numéro. G. Landra54 se sert ainsi des résultats d’E. Fischer sur les bâtards de Rehoboths pour démontrer les effets désastreux des croisements raciaux et L. Franzi’55, dans un article au titre parlant “Il meticciato. Insidia contro la salute morale e fisica dei popoli”, paru dans La difesa della razza, en 1938, détaille l’étendue des effets qualitatifs (maladies, troubles mentaux) et quantitatifs (stérilité, avortements) du mélange des races et il préconise l’interdiction des unions interraciales. L’enquête d’E. Fischer sert donc à appuyer des manœuvres qui aboutiront au manifeste des scientifiques racistes, publié une première fois de manière anonyme sur Il Giornale d’Italia le 15 juillet 1938 avec pour titre “Le fascisme et le problème de la race” et republié dans le numéro de La difesa della razza, le 5 août 1938. Le paradoxe, c’est qu’E. Fischer prétend démontrer la modernité de l’anthropologie allemande, en utilisant des méthodes anthropométriques traditionnelles italiennes qu’il adopte sans critique.
Mieux que Günther : l’approche raciologique
25On est encore plus étonné de voir qu’à l’aide de vieilles “recettes”, E. Fischer vise, en publiant en allemand et d’abord dans des revues allemandes, ses propres collègues raciologues, en premier lieu H. F. Günther, qui a publié plusieurs pages sur le problème racial posé par les Étrusques.
26E. Fischer essaie en effet de consolider un statut menacé au sein de l’anthropologie allemande. E. Fischer, malgré son poste prestigieux, suscite encore des réticences. Inscrit au parti nazi seulement en 1932, il a fait l’objet de campagnes de dénigrement en 1933 et 1934, de la part de la presse national-socialiste qui déplore son manque d’empressement à appuyer les thèses racistes et nationaliste du parti56. Il a été élu recteur par les professeurs de Puniversité de Berlin, contre l’avis des nationaux-socialistes : des collègues et des assistants ont envoyé des lettres de dénonciations contre lui et contre son institut au ministre de l’intérieur57. En 1938, il est nommé par Rudolf Hess, suppléant du Führer, pour représenter le Reich au iie Congrès international d’anthropologie et d’ethnologie de Copenhague, mais il est accompagné de Walter Gross, directeur du Bureau de politique raciale (Rassenpolitisches Amt) du NSDAP, chargé de le surveiller.
27Pour E. Fischer, il y a aussi un enjeu personnel lié à ses origines. Il était né à Karlsruhe en 1874 dans le Bade-Wurtemberg et il était donc badois et fier de l’être58. Il est donc de race dinarique selon les critères raciologiques en cours en Allemagne. Or, la race dinarique était regardée avec beaucoup de condescendance, voire de mépris par les raciologues allemands, pour la plupart originaires du Nord de l’Allemagne59, qui la plaçaient dans leur hiérarchie des races après la race nordique et après la race “ostique”. Pire, certains se fondaient sur la brachycéphalie des crânes dinariques pour apparenter la race dinarique à la race levantine et donc aux Juifs. E. Fischer, en tant que Badois au crâne dit brachycéphale60, se trouve menacé par de la controverse autour des thèses de la “dénordification” ou de l’“orientalisation” du peuple allemand. H. F. Günther s’était servi de cette théorie de la “dénordification” pour formuler la “théorie nordique des races”. Pour “Günther la race”, son surnom, tous les maux de la nation et de la société allemande trouvent leur cause dans l’“hybridation”, car le métissage nuirait à la “pureté de la race nordique”. Et H. F. Günther vise non seulement les Juifs, mais les “classes inférieures de moindre valeur”, représentant une race brachycéphale, non aryenne et asiatique, dite “alpine”. Ainsi, il craint que la race aryenne, c’est-à-dire nordique, disparaisse, dépassée par le grand nombre de naissances chez les deux autres races européennes, alpine et méditerranéenne61 et il préconise donc une politique de “renordification” (Aufnordung) fondée sur un programme multipliant les mariages entre nordiques. L’agacement d’E. Fischer est visible dans ses comptes rendus des publications de H. F. Günther. E. Fischer critique le vocabulaire employé et, surtout, les qualités prêtées aux différentes races, en particulier – et ce n’est bien sûr pas un hasard – à la race alpine62.
28Et E. Fischer, pour vanter les qualités de la race dinarique auprès du grand public, ne peut compter sur ses succès d’édition, contrairement à son collègue de vingt ans plus jeune, H. F. Günther né en 1891. La Rassenkunde des deutschen Volkes, soit l’“Étude raciale du peuple allemand” (1922) de H. F. Günther est rééditée pendant les années 20 à un rythme vertigineux, la première édition date de juillet 1922, la deuxième de décembre 1922, la troisième de juin 1923, la sixième de l’automne 1924, la neuvième de début de l’année 1926, la douzième de janvier 1928, la quatorzième de 1930 et la seizième de l’été 1933 (fig. 14). 50 000 exemplaires ont été vendus entre 1922 et 1933. La “Petite étude raciale du peuple allemand”, abrégé de l’“Étude raciale du peuple allemand”, atteint le chiffre de 145 000 exemplaires entre 1929 et 1935 (et celui de 295 000 en 1942). Le tirage de 15 livres de H. F. Günther parus en 1940 atteint 500 000 exemplaires ; la “Petite étude raciale du peuple allemand” (Kleine Rassenkunde des deutschen Volkes) a été vendue à 270 000 exemplaires entre 1929 et 1943. Seul un manuel d’E. Fischer, écrit avec Erwin Baur, et avec un hygiéniste spécialiste de la génétique médicale, Fritz Lenz, publié à Munich en deux volumes Menschliche Erblichkeitslehre und Rassenhygiene (Eugenik) qui devient rapidement un manuel de référence, réédité cinq fois entre 1921 et 1936-1940, peut prétendre à de grands tirages63. D’un livre à l’autre, H. F. Günther expose et présente une seule méthode dont les principes sont simples. Les races existent, elles sont fixes dans le temps et elles se caractérisent par une série de critères physiques, censés exprimer l’âme des individus. Au cours du temps, ces races se seraient mélangées entre elles et avec des populations extra-européennes”, à savoir les races “nègre”, “orientale”, “d’Asie antérieure” et “d’Asie intérieure”. Pour Günther, la “race” étrusque en est l’exemple parfait : issue d’une immigration asiatique, elle se serait mélangée à la population autochtone d’Italie centrale. Aussi, H. Günther donne donc un diagnostic racial complexe et nuancé – autant dire peu clair pour le lectorat de ce type de manuels – des Étrusques, parce que H. Günther estime qu’il faut distinguer dans les formes et les conséquences de l’immigration orientale. Seules les femmes auraient immigré, par voie de terre, indique-t-il, sans donner de précisions sur les formes de ce voyage ; il affirme ensuite qu’une classe nordique dominante a pu exister pour un temps chez les Étrusques, que le peuple étrusque a pu être dans l’ensemble à prédominance méditerranéenne et qu’il a pu exister chez les Étrusques une petite quantité d’individus de race alpine, ce qui fait déjà quatre races chez les Étrusques.
29Comme pour E. Fischer, les critères de distinction des races consistent en une série de caractéristiques physiques simples, visibles à l’œil nu, à la fois décrites dans le texte et illustrées par des photographies de peintures, d’urnes ou de crânes censés être étrusques. Les quatre races composant la population étrusque ne font pas toutes l’objet d’un traitement identique, mais toutes sont illustrées par une photographie. Trois des quatre races font l’objet d’une double explication, écrite et imagée. Il en est ainsi de la race alpine, que H. F. Günther discerne sur les représentations d’Étrusques trapus au visage rond et au nez court. Tout en affirmant que les Étrusques présentent une sorte de kaléidoscope racial, H. F. Günther déprécie les formes psychologiques de deux de quatre éléments raciaux des Étrusques : la race proche-orientale et la race dinarique. À propos de la race orientale, il met en avant le sens du commerce, la superstition et les mœurs débridées des Étrusques, et il illustre la part d’individus de race-proche orientale par la photographie d’un individu aux cheveux et yeux foncés, le nez busqué et la peau sombre, composant la quatrième photographie du quadrilatère déjà évoqué. Et H. F. Günther ajoute à ces explications des notations psychologiques qui ont pu toucher E. Fischer : les éléments alpins ou dinariques de la race étrusque auraient été plus nombreux, selon H. F. Günther, dans les classes inférieures que dans les classes supérieures. Il affirme que “certains indices donnent à penser que la race alpine au sein du peuple étrusque s’est accrue vers la fin de l’époque étrusque [soit au moment de ce que l’on pensait être la décadence des Étrusques] et que le nombre de ses représentants a augmenté à partir des classes inférieures [parce que celles-ci auraient comporté plus d’éléments dinariques]”.
30Les trois articles d’E. Fischer offrent donc une réponse claire et simple à un problème qui paraît, à lire H. F. Günther, compliqué et irrésolu. Ils constituent aussi une riposte à l’affirmation que les Étrusques de la décadence seraient majoritairement de composition “raciale” alpine.
31L’ambition d’E. Fischer de résoudre l’énigme raciologique des Étrusques s’est soldée par un échec. Les analyses de Fischer n’ont pas été reprises les étruscologues. Les étruscologues germanophones ont préféré s’abstenir de les commenter64, ainsi que la plupart des étruscologues italiens et R. Bianchi Bandinelli, dès 1939, a dressé une critique sévère et ironique des articles d’E. Fischer65. Quant aux anthropologues, ils n’ont pas modifié leur classification des races66, à l’exception de G. Landra, qui, sous un pseudonyme, dans un numéro de la Difesa della razza, publie un article qui fait l’éloge des conclusions de E. Fischer sur la permanence de la race étrusque. E. Fischer part à la retraite en 1938, sans avoir pu prendre l’ascendant sur la nouvelle génération d’anthropologues, et il n’est associé ensuite que de très loin aux grandes entreprises anthropologiques du régime nazi. Enfin, E. Fischer semble avoir avoué malgré lui son erreur dans ses mémoires, Begegnungen mit Toten : aus den Erinnerungen eines Anatomen, publiées à Fribourg en 195967 : il raconte dans le livre qu’il rêve un jour du jeune homme toscan qu’il avait photographié de profil et qui lui avait fait l’effet d’un “véritable Étrusque” (fig. 15). E. Fischer le voit venir vers lui, alors qu’il est assis dans un café ; ce jeune homme dit, dans la conversation, s’appeler Aloisio Breitenmoser, être un Bavarois prisonnier de guerre – un homme de “race” dinarique, donc, – après la Première Guerre mondiale, et resté sur place en Italie. E. Fischer avoue alors : “Un monde disparut devant moi. Je me réveillai juste après” ; il ne s’agissait que d’un rêve : le “véritable Étrusque” était italien. “Nous étions heureux d’avoir trouvé le véritable Étrusque”, dit-il pour conclure ses mémoires. Dans le rêve d’E. Fischer, l’Étrusque était donc de race dinarique ; ce que défendait Fischer était donc moins une idée de la “race” étrusque que de la “race” dinarique à laquelle Fischer était censé appartenir (fig. 16). On comprend mieux sa susceptibilité aux propos de H. F. Günther. E. Fischer lui-même semble avoir trahi son embarras dans le nom rêvé de l’Étrusque : Breitenmoser est à la fois die breite Nose / Nase68 “le large nez” ou nez aquilin qu’E. Fischer attribuait aux Étrusques, mais aussi das breite Moos, “le large bourbier”, bourbier dans lequel E. Fischer s’était engagé avec sa “nouvelle race étrusque” à laquelle aucune autorité scientifique n’a cru et surtout avec ses classifications, préludes à une politique de stérilisation et d’extermination qu’il avait cautionnée69.
Notes de bas de page
1 Cf. Frei 1991 ; Massin 1993b, 197-262.
2 Sur lui, cf. Crips 1993, 7-24 ; Lösch 1997 ; Horst & Maier 1999, 698-705 ; Roller 2002,130-133 ; Gessler 2007 ; Schmuhl 2008.
3 Cf. Fischer 1926a, 87-88 ; Fischer 1926b, 226-230 ; Fischer 1931a, 258-273 ; Fischer & Wölfel 1931, 2009-2011.
Sur l’intérêt d’E. Fischer pour les Canaries, cf. Farrujia de la Rosa 2007.
Sur l’Éthiopie, cf. Fischer 1929,339-341. Sur la Grèce, cf. Fischer 1930-1931, 320-331 ; Fischer 1931b, 207-212.
4 Fischer 1938 ; 1939a ; 1939b. Sur ces articles, voir Haack 2014.
5 On notera toutefois qu’E. Fischer, dans son analyse de masques funéraires de dignitaires mycéniens, avait trouvé les traces d’une origine nordique. Cf. Fischer 1930-1931, 320-331.
6 Dans son article Fischer 1939a, 101, E. Fischer considère que la pratique de l’incinération était prédominante chez les Étrusques et il oublie ou feint d’oublier que beaucoup d’études avaient été menées avant lui, dans la deuxième moitié du xixe siècle et jusque dans les années 1930, sur les crânes étrusques. Voir la très abondante bibliographie : Maggiorani 1857-1858, 383 sq. ; Nicolucci 1869 ; Zannetti 1871, 166-181 ; Brinton 1889 ; Giuffrida-Ruggeri 1904, 240-278 ; Cantacuzène 1909, 329-352 ; Cipriani 1927, 391-405 ; Frassetto 1928-1929, 3-7 ; Sergi 1933, 3-22. Il est vrai, cependant, qu’une position très réservée sur la possibilité de trouver des crânes “étrusques” avait été adoptée par Mochi 1927, 407-409, qui pensait que le caractère étrusque était un problème de culture et non pas de race. Dans son article (Fischer 1938, 250), E. Fischer convient qu’ont existé des études sur les crânes étrusques, mais d’après lui, elles n’ont rien apporté à l’étude des Étrusques.
7 Sur le génocide des Hereros, voir Zimmerer & Zeller 2003 ; Madley 2005, 454-456 ; Brehl 2007 ; Zimmerer 2010, 329 ; Olusoga & Erichsen 2011. Pour les études allemandes en Afrique, cf. Espagne et al. 2014, mais sans attention particulière pour le cas d’E. Fischer.
8 Cf. Lusane 2003.
9 Weindling 1989 ; Schmuhl 2008.
10 Cf. “Das Erbe der Schwarzen Schmach”, Deutsche Zeitung, 7 février 1935.
11 Cf. Haack 2012.
12 E. Fischer connaît ces sources grâce au livre de Brandenstein 1937. Pour une mise au point sur les différentes thèses sur les origines des Étrusques, cf. Aigner-Foresti 1974.
13 Il reprend la vieille opposition entre noblesse de l’art grec et rudesse de l’art romain et italique. Avant la découverte des statues de Véies, on pouvait écrire comme Körte 1907, 759, que l’art étrusque restait dépendant des modèles grecs et qu’il manquait aux artistes étrusques le rapport direct à la nature, le sens de l’ensemble et qu’ils restaient donc des artisans. Après la découverte des statues de Véies, publiée en partie par Giglioli 1918-1926, 27-33, tav. 45-55, fig. 1-14, les historiens d’art R. Bianchi Bandinelli et G. Kaschnitz von Weinberg discutent du caractère cubiste et expressionniste du buste de Brutus. Cf. Harari 2015a et Pucci dans ce volume. Ce manque d’intérêt pour les travaux des historiens de l’art est clairement affiché par E. Fischer.
14 Cf. Luschan 1927. Sur les rapports entre Luschan et Fischer, cf Massin 1993a, 387-404. Les deux anthropologues ont entretenu une correspondance suivie à propos de l’étude d’E. Fischer sur les Rehoboths. Cf Laukötter 2007, 96-97.
15 Les analyses de F. von Luschan sont dénuées de jugement dépréciatif. F. von Luschan rappelait l’ancienneté de la civilisation sémite et la dette culturelle, scientifique et religieuse des Européens à leur égard : “L’Européen éduqué reconnaît en son concitoyen juif non seulement le témoin vivant et l’héritier d’une civilisation antique et vénérable, mais il le respecte, l’estime et l’aime comme son meilleur et plus fidèle camarade de combat dans la lutte pour les plus beaux idéaux de cette terre, dans la lutte pour le Progrès et la liberté intellectuelle” (Luschan 1892, 99-100).
16 Cf. Luschan, in Petersen & Luschan 1889. Voir surtout le chapitre XIII, anthropologische Studien, 198-226, rédigé par F. von Luschan à partir de tableaux de mesures des têtes et des oreilles. Voir aussi Luschan 1893. Sur la conception de F. von Luschan sur les races, cf. Lösch 1997, 279-284 ; Smith & Du Bois 2002, 23-38. Sur F. von Luschan, cf. Ruggendorfer & Szemethy 2009.
17 E. Fischer pense aux populations de “race alpine" qu’aurait découvertes W. M. Krogman dans les fouilles d’Alisar d’après des critères craniologiques. Cf Krogman 1937, 213-293.
18 Cf. Verneau 1902 ; 1906 ; 1924, 225 sq. Cette nouvelle “race” faisait aussi l’objet d’un grand intérêt dans les études allemandes : cf Vatter & Bückmann 1925 ; Obermaier 1931. Cette “race de Grimaldi” est un faux, comme l’a montré Masset 1989.
19 Ce critère est vanté et analysé par l’anthropologue Sieglin 1935. Dans ce catalogue, l’auteur recense tous les personnages réels, fabuleux ou fictifs désignés comme blonds ou bruns dans la littérature antique. Tout en traitant près de 700 cas antiques rangés par origine, à savoir 1) Hellènes 2) Itales 3) Gaulois 4) Germains et Suédois, Juifs et Égyptiens, W. Sieglin ne dit rien sur les Étrusques dans la rubrique “Italier”. Dans cette rubrique non justifiée par l’auteur, on trouve des blonds (111 dont les divinités Amor, Apollon, Jupiter, Minerve, Victoria, des personnages mythiques comme Didon, L. Domitius Ahenobarbus et des personnages historiques comme le triumvir Antoine, Auguste, Caracalla, Gordien) et des bruns (29 dont les divinités Portunus, Bellona ; des personnages historiques comme Messaline, Properce ou Pescennius Niger. Ce silence dénote un manque d’intérêt ou de connaissance des Étrusques, alors que les Celtibères sont étudiés. Dans la préface p. 15, W. Sieglin mentionne pourtant les chefs d’oeuvre (“Hans F. K. Günthers Meisterwerke”) de H. F. Günther. E. Fischer lui-même a adopté et vanté ce critère. Cf. Fischer 1924, 47-48 ; 1928, 238-244, où E. Fischer prétend ajouter de nouvelles nuances de blond : en tout, 30 tons plutôt que 27 sur la nouvelle table qu’il présente avec son co-auteur, K. Saller.
20 Pendant longtemps, on a considéré que l’image de Dante était fixée dans un portrait de Giotto pris “sur le vif” dans la fresque de la chapelle du Podestat de Florence. Cette image a servi de modèle aux représentations d’Orcagna, d’Andrea del Castagno, de Domenico di Michelino, de Botticelli ou encore de Signorelli, et de nombreuses enluminures de manuscrits. Mais, dès 1865, l’attribution de ce portrait à Giotto a été remise en cause par l’éditeur de Vasari, G. Milanesi. Cf. Milanesi 1865. Sur les représentations de Dante, cf. Holbrook 1911 ; Brieger et al. 1969. Puis, le mouvement s’est amplifié avec la découverte du crâne de Dante à Ravenne dans les travaux d’anthropologues qui se sont aussi mis à douter que les traits physiques attribués à Dante par le portrait du podestat fussent ceux du vrai Dante. Cf. Mather Jr 1921 ; De Vecchie 1921 ; Frassetto et al. 1923, 17 ; Babini 1928 ; Frassetto 1933 ; 1939, 171· Le même F. Frassetto s’était intéressé aussi aux crânes étrusques dans son article : Frassetto 1928-1929, 3-7. Pour une mise en perspective de ces reconstructions, cf. Feldman 2007, 110-117. Pour de nouvelles reconstructions du portrait de Dante, cf. Benazzi 2008. On notera que le compte rendu de la conférence d’E. Fischer par Hartmann 1941, 208 commence par le rappel des portraits de Dante au nez crochu.
21 Dans un exposé prononcé devant le congrès des généticiens en 1929, “Essai d’une analyse génétique de l’homme. Avec une attention particulière portée aux races de l’anthropologie systématique”, il termine par cet appel : “Ce qui est urgent pour l’anthropologie, c’est de la recherche génétique et encore de la recherche génétique”. Cf. Fischer 1930.
22 Livi 1884a et b ; 1894 ; 1896a et b ; 1897 ; 1898.
23 Livi 1900.
24 Cf. Livi 1896b, qui propose une carte de densité des nez aquilins d’Italie (tav. XIV-XV). Pour une mise en contexte des résultats de R. Livi, cf. Patriarca 1996.
Livi 1896a, 104 : “Forma del naso – Anche questo connotato ha un grande importanza in antropologia. A tutti è noto come esso à una delle più evidenti caratteristiche che differenziano l’uomo europeo dal negro. Sul cranio queste differenze tra razza e razza per riguardo alla forma del naso si determinano più specialmente misurando la larghezza massima delle narici ossee, e la lunghezza naso-spinale, cioè la distanza tra la radice del naso e la base della spina nasale. Il rapporto tra queste due misure, fatta eguale a 100 la lunghezza, si chiama indice nasale. Broca classificò i cranii in tre categorie, secondo l’indice nasale, chiamando platirrini quelli in cui il naso è molto largo, ossia l’indice nasale molto alto ; leptorrini quelli con naso sottile ed affilato, ossia come indice molto piccolo ; mesorrini i cranii intermedii”.
25 Pour Livi 1900, 20 : “Il rapporto tra l’altezza e la larghezza del naso ha (...) molta importanza come carattere gerarchico, e serve anche per la divisione delle razze”, il sert en effet à calculer l’“indice nasal”.
26 Livi 1896a, 105 : “Secondo l’istruzione ministeriale del 13 agosto 1880 (cf. Giornale militare ufficiale, 1880, parte 1 °, dispensa 32, Atto 117, 333 sq.) la qualità caratteristica da notarsi in prima linea era il profilo del dorso ; quindi si distinsero tre forme : aquilino, greco ed arricciato”.
27 Cf. Topinard 1873.
28 Cf. Bertillon 1887.
29 Cf. Ottolenghi 1888.
30 Cf. Mori 1897.
31 Cf. Livi 1900, 50-53.
32 Ce critère avait fait l’objet d’une étude particulière dans l’ouvrage de Livi 1884a, qui s’inspirait des travaux de C. Lombroso.
33 Cf. Livi 1900, 153 : “abita qui dunque una razza, che, benchè circondata da popolazioni di diversa conformazione, ha potuto mantenersi abbastanza pura e ben delimitata. Noi ci contenteremo di aver constatato il fatto, o per dir meglio di averlo confermato, poichè già era notissima”.
Cette idée d’une continuité entre Étrurie et Toscane est aussi exprimée dans l’ouvrage de Livi 1884a, 52-53, où celui-ci note une différence entre la stature des conscrits toscans du Nord et du Sud de la Toscane et où il l’explique par la conservation en Étrurie du Sud de traits propres aux Étrusques : “Ma, tornando a considerare la Toscana in generale, mi pare abbastanza evidente la differenza fra la sua parte settentrionale e la meridionale (...). La provincia d’Arezzo si trova proprio a metà della linea di divisione, e forse, se essa fosse divisa in due circondarli, uno settentrionale, l’altro meridionale, potrebbe darsi che il primo avesse una statura simile a quella di Firenze, l’altro a quella di Siena. Ad ogni modo, anche spezzata com’è, questa linea mi sembra corrisponda con molta approssimazione, al limite settentrionale dell’Etruria propria, la quale, prima che gli Etruschi, cresciuti di forza e di civiltà, estendessero il loro dominio a cosi’gran parte dell’Italia superiore, stava tutta compresa fra l’Arno, il mare e il Tevere. Ciò confermerebbe, se non m’inganno, la statura degli Etruschi essere stata piuttosto mezzana che alta”.
34 Sur lui, cf. Pizzato 2011-2012 ; Quine 2013.
35 Voir, par exemple, l’essai de Sergi 1893, publié dans le premier numéro des Atti della Società Romana di Antropologia, société créée par G. Sergi en 1893.
36 Cf. Gillette 2002, 68.
37 Cf. Sergi 1883, puis, G. Sergi étudie lui aussi les crânes dans Sergi 1884, où il étudie dix crânes étrusques des nécropoles de Bologne.
38 Cf. Sergi 1900.
39 II reprend l’identification par G. Nicolucci des critères physiques d’identification des crânes étrusques : absence de rugosité, os fins ; calotte crânienne ovoïde ; front peu haut, fuyant ; arcades sourcilières peu relevées ; orbites arrondies ; protubérance occipitale peu développée. Il arrive même à discerner formes étrusques pures de crânes et crânes felsinéens. Mais il dispose seulement de 10 crânes incomplets !
40 Sur lui, cf. Pantone 2013, 181-183.
41 Cf. Frassetto et al. 1923.
42 Conti, R. 1870, X.
43 Cf. Frassetto 1933.
44 Cf. Frassetto 1933, 14 : “E’molto grande, perché misura 1.700 cm3 di capacità, mentre i valori medi della capaccità cranica, tanto negli italiani, quanto negli Europei in genere, sono compresi per i crani maschili – secondo nostra classificazione – fra 1.450 e 1.550 cc.”.
45 Cf. Frassetto et al. 1923, 23.
46 Cf. Frassetto et al. 1923, 26.
47 F. Frassetto avait étudié les crânes étrusques. Cf. Frassetto 1928-1929, spéc. 24.
48 Cf. Chamberlain 1904. Cette position était déjà défendue par Woltmann 1903. Contre cette position, cf. Niceforo 1917, 29-31.
49 E. Fischer est intervenu sur les croisements raciaux lors de la réunion annuelle de l’International Federation of Eugenic Organizations (IFEO) tenue au Congresso Italiano de 1929, où il fait l’éloge de l’Italie et de son “grande duce” pour les mesures déterminées et énergiques de sa politique démographique. Cf. Fischer 1980, 345-346 : Mussolini est selon lui “the great statesman who, in the Eternal City, shows more than any other leader today, both in deed and word, how much he has the eugenic problems of his people at heart”. Il finit par “Videat Konsul !” E. Fischer est intervenu lors du Congresso intemazionale per gli Studi sulla populazione de Rome en 1931. Cf. Fischer 1934, 179-188.
50 Cf. Gillette 2002b, 357-375.
51 Voir le rapport par le chargé d’affaires de l’ambassade d’Italie daté du 23 décembre 1938, Visita del professor Landra in Germania, in De Felice 1962, 652-653.
52 Cette collaboration se traduira par la publication de plusieurs articles d’E. Fischer dans la revue La difesa della razza. Cf. Fischer 1939c ; 1940.
53 Cf. Savorgnan 1938, cité par Cassata 2006, 226.
54 Cf. Landra 1938, 16-17.
55 Franzi 1938.
56 Cf. Schmuhl 2008,135-139.
57 Cf. Müller Hill 1989, 85.
58 II est même l’auteur d’un article de type anthropologique sur le Badois, cf. Fischer 1925.
59 Voir Heiden 1932, 7 : “En tant que puissance spirituelle, le national-socialisme est l’œuvre de quelques intellectuels, avant tout Allemands du Nord”, cité par Conte & Essner 1995, 65.
60 Le livre de Lösch 1997, 3, commence par ces mots : “Eugen Fischer war Badener ! Die Liebe zu seiner badischen Heimat, seine zeitlebens andauernde Verbundenheit mit Freiburg, mit Land und Leuten, dies sind die Konstanten in einem bewegten Leben. Unzählige Briefe, die vielen Artikel für die ‘Badische Heimat’, seine persönlichen Lebenserinnerungen legen von dieser innigen Heimatsverbundenheit Zeugnis ab”. E. Fischer affronte de façon récurrente le problème de la brachycéphalie des Allemands du Sud. Dans Fischer 1923, E. Fischer met la brachycéphalie sur le compte de des facteurs endocrinaux et musculaires et revendique pour les territoires d’Allemands du Sud une population originelle nordique. Puis, dans Fischer 1925,44, il explique que la population originelle alpine du Bade aurait été repoussée par les Celtes nordiques, puis par les Germains nordiques dans les hautes vallées alpines, tandis que la race nordique serait restée dans les vallées.
61 Cf. Günther 1924.
62 Voir le compte rendu d’Fischer à la Rassenkunde de H. F. Günther in Fischer 1926c, 161. Sur les critiques formulées par E. Fischer à l’encontre des publications de H. F. Günther, en particulier de son manuel, Rassenkunde des deutschen Volkes, cf. Fangerau 2001, 175-177.
63 Baur et al. 1932.
64 Seul Vetter 1956 – et bien après la guerre – rend compte de la publication de l’article et il le fait de façon très neutre. La presse nazie, en revanche, réserve un accueil favorable à la découverte d’E. Fischer. Cf. Hartmann 1941, 208, qui souligne que la découverte d’E. Fischer dépasse le cadre strict de la question de l’origine étrusque. On notera que Cles-Reden 1948, 34, dans un livre destiné au grand public réédité plusieurs fois, adopte, sans la discuter, la thèse de Fischer.
65 Cf. Bianchi Bandinelli 1939, 98-88. La presse raciste et fasciste italienne se montre, comme la presse nazie, favorable à la thèse d’E. Fischer. Cf. Pensabene (sous le pseudonyme de G. Dell’Isola) 1939, 8-9 et Gurrieri 1941, 10.
66 Pourtant, la découverte d’une nouvelle race est un enjeu de rivalités au sein de la communauté des anthropologues.
67 L’anecdote est rappelée par Müller Hill 1989, 95-96.
68 Müller Hill 1989 fournit d’autres explications du nom de l’Étrusque.
69 Cette caution scientifique lui vaut une lettre ouverte de F. Weidenreich au magazine Science. “Si quelqu’un doit l’être, c’est lui qui devrait être mis sur la liste des criminels de guerre” (Weidenreich 1946, 399). F. Weidenreich, lui-même anthropologue, avait dû quitter l’Allemagne parce qu’il était juif, et il avait assisté en 1938 au IIe Congrès international d’anthropologie à Copenhague, où E. Fischer avait déclaré qu’il existait des dispositions mentales innées, indélébiles, qui sont spécifiques jusqu’au sein de chaque tribu de même race et couleur (témoignage du Times du 5 août 1938).
Auteur
Université de Picardie Jules Verne – Institut Universitaire de France ; marie-laurence.haack@u-picardie.fr
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