Les moulins de la Baïse (1480-1495)
p. 45-58
Texte intégral
1L’histoire des moulins est plus ancienne que celle des départements, alors pourquoi ne pas évoquer celle des moulins de la Baïse, dont les minots, farines supérieures, étaient, au xviiie siècle, exportées de Bordeaux vers les “Isles”. C’est à la découverte de leur histoire que nous vous convions1.
2À l’occasion de nos recherches sur la famille d’Albret, nous avions souligné l’absence de documents comptables dans ses archives. Il ne nous fut donc pas possible d’avoir une idée, même approximative, des revenus que les différentes branches de la famille tiraient de leurs domaines au milieu du xive siècle. Ce n’est pas, en effet, avant le règne d’Alain le Grand (1471-1521) que les sires d’Albret se dotèrent, semble-t-il, d’un service contrôlant l’ensemble des recettes de leur domaine. En tout cas, c’est du règne d’Alain que date, à notre connaissance, l’unique document qui nous soit parvenu, susceptible de nous éclairer sur les revenus des terres d’Albret et la manière dont fonctionnait leur trésorerie. Il concerne l’année 1494-1495 avec des compléments pour les douze années précédentes, ce qui laisse supposer qu’il n’avait pas eu son équivalent au cours de ces années. Grâce à ce Registre de la généralité de Monseigneur, nous savons de quelle manière étaient organisés les services financiers, nous connaissons la nature comme le montant des recettes pour l’année 1494-1495 et, en partie, leur affectation.
3À la tête des services financiers, on trouvait le général des finances, le trésorier et le receveur. C’est à l’initiative du général nommé à la Toussaint 1494 que fut établi le Registre de la généralité (“le temps où me ordonna – le sire d’Albret – son général des finances”). C’est aussi à cette époque que furent nommés trésorier, Hugues Portalh et contrôleur, Bertrand du Puy. Il existait deux autres trésoriers particuliers, l’un Pierre de Glane pour le pays “deça le Ciron”, l’autre Jehanot Chambre “pour le pays des Lannes” et, à Nérac, un grainetier. Nous n’avons pu identifier le général, mais ce n’est certainement pas un hasard si sa nomination fut accompagnée de celle de nouveaux officiers. Il y eut manifestement, en 1494-1495, un changement dans l’organisation des services financiers, du moins des “services centraux”. D’ailleurs, c’est peut-être à cette occasion que furent créés les offices de général et de contrôleur car, à la différence de celui de trésorier, il n’est jamais fait mention de leurs prédécesseurs.
4Le propos du registre est de fournir un état précis des revenus des domaines du sire d’Albret, de leur affectation pour l’année comptable 1494-95 et des arriérés des douze dernières années restant à percevoir. Cette comptabilité est établie dans le cadre de “recettes” qui correspondent soit à des circonscriptions, soit à certains types de revenus (péages, dîmes, herbages) et, tout particulièrement, aux moulins de la recette de Nérac.
5Même si les “recettes” portent le nom de seigneuries, on ne saurait toujours les confondre avec celles-ci. Cela est particulièrement vrai pour les grosses recettes, comme celles de Nérac ou de Casteljaloux. À la tête de chacune d’elles se trouvait un receveur dont l’institution était antérieure à l’établissement du registre. Ces receveurs étaient nommés par lettres patentes du sire d’Albret.
6L’intérêt du registre réside autant dans les informations détaillées qu’il nous apporte sur chaque recette que dans la vision d’ensemble qu’il nous donne des revenus de la famille. Il convient donc de rappeler ce qu’étaient les “terres d’Albret” en cette fin du xve siècle. Les deux principales rubriques sont consacrées aux terres que les Albret avaient acquises, pour l’essentiel, dès le milieu du xive siècle, considérées comme constituant la Gascogne, par opposition aux possessions extérieures : Gaure, Armagnac, Périgord, Limousin, comté de Dreux et terres de Normandie, seigneurie d’Avesnes, comté de Castres. Cette Gascogne était divisée en deux recettes principales, de part et d’autre du Ciron qui constituait une sorte de frontière comptable. À l’ouest et au nord-ouest, se trouvait le “pays des Lannes” et ses vingt-trois recettes ; au sud-est et à l’est, la “Gascogne deça le Ciron” ou Gascogne proprement dite, qui comprenait dix-neuf recettes, situées de part et d’autre de la Garonne, en Condomois, Bazadais et même Bordelais et Périgord.
Les moulins
7Les moulins ne bénéficient pas dans la comptabilité générale d’un traitement particulier. Ils ne sont qu’exceptionnellement mentionnés – lors d’une construction par exemple. Leurs revenus sont inclus dans ceux des diverses recettes, mais pour des raisons qui tiennent sans doute à leur nombre, à l’importance de leurs revenus, au mode d’exploitation et au voisinage de la principale résidence des Albret, certains moulins situés sur le territoire de la recette de Nérac font l’objet d’une gestion autonome. Ils apparaissent donc sous une rubrique particulière, intitulée : “Le revenu des moulins estans soubz la charge du receveur de Nérac non compris en la recette cy devant”. Il s’agit de ceux de Nérac, Nazaret, Vianne, Barbaste et Padiern, Laroque et le Mas.
8C’est le revenu de ces moulins qui nous intéresse ici, et la manière dont ils sont gérés par les officiers du sire d’Albret. On ne saurait trop insister sur le caractère exceptionnel des informations que nous apporte le registre. En effet, si les moulins en général et tout particulièrement ici celui de Barbaste, ont fait l’objet d’études archéologiques portant sur l’alimentation en eau, l’architecture de l’usine et sa machinerie, nous ne disposons pas pour cette période d’informations précises sur la manière dont ils étaient exploités. Cela vaut pour l’Agenais et probablement pour une bonne partie de la Gascogne.
9Notons que nous avons transcrit par quarton la mesure de capacité indiquée dans les documents par q. et retenu comme équivalence 23 litres.
Géographie
10Les moulins de Nazaret, Nérac et Vianne sont situés sur la Baïse, celui de Barbaste sur la Gélise, affluent de rive gauche, qui se jette dans la Baïse à 5 km au nord de Nérac. Le débit de la rivière est à Nérac de 12 m3/s et de 14/23 m3/s en hiver et au printemps, mais peut tomber à 4 m3/s en été, ce qui n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement des usines.
11Le moulin de Nazaret est situé à 1800 m en amont de Nérac, sur la rive droite de la Baïse. Les droits des Albret y sont anciens : en 1259, Amanieu VI reconnut tenir du comte de Toulouse tout ce qu’il possédait à Nazaret et, en 1286, le château de Nazaret et ses dépendances figurent parmi les fiefs que le sire d’Albret tient d’Edouard Ier en Agenais. Probablement au début du xive siècle, dans le cadre d’un échange avec le prieur de Nérac, celui-ci abandonna ses droits sur le moulin à Amanieu VII d’Albret. Les Albret en possédèrent désormais la totalité. Ils détenaient aussi le droit de pêche, de la sortie de ce moulin jusqu’à celui de Bapaume appartenant à l’origine aux Templiers, situé en aval de Nérac.
12Le moulin de Nérac est édifié dans la ville, en aval du Pont vieux, sur la rive gauche de la Baïse. Il est attesté à plusieurs reprises, mais les droits des Albret furent fluctuants. En 1262, Amanieu VI en affecta le revenu qu’il percevait au paiement de ses legs pieux et, en 1308, il les donna à son fils Bérard pour la poursuite de ses études, au cas où il souhaiterait devenir clerc. Deux ans auparavant, dans le cadre de l’accord conclu avec le prieur de Nérac, il renonça en sa faveur au tiers de ses droits. Le prieur et le sire d’Albret s’engagèrent à nommer conjointement des meuniers et des gardes qui devaient chaque semaine, quand ils en seraient requis, rendre en même temps à chaque coseigneur sa part de revenus : grain, farine, tan, toiles, poissons ou argent. Juste en amont du moulin, on peut voir aujourd’hui encore le pont vieux par lequel passait la “route” reliant Bordeaux à Toulouse.
13Le moulin de Vianne est situé sur la rive gauche de la Baïse, au débouché de la rue principale de la bastide, perpendiculaire au cours de la rivière. Compte tenu du montant du fermage sa capacité devait être du double de celle des moulins de Nazaret ou de Barbaste.
14Le moulin de Barbaste se trouve sur la rive droite de la Gélise, en amont du vieux pont par lequel passait le chemin venant de Casteljaloux, Bazas et Bordeaux qui donnait accès à la zone de confluence avec la Baïse. De là, on pouvait soit se diriger vers Nérac, soit par le pont de Bordes passer sur la rive droite de la Baïse en direction de Lavardac puis de Vianne. C’est en 1308 et 1309 qu’Amanieu VI avait fait l’acquisition de la totalité du moulin : pour 500 livres de maître Guilhem de Lavardac, “sage en droit”, des deux tiers de la pêcherie, de la maison de pierre du moulin et des terres entre le “peiré” et la Gélise, du côté de Lausseignan ; pour 250 livres du dernier tiers, de Guilhem Arnaud de Bordes. Le moulin est un édifice de plan carré de quinze mètres de côté ; chaque angle est empâté par une tour également carrée, la plus élevée atteignant vingt-neuf mètres. Le système défensif de cet édifice exceptionnel remonte certainement dans son gros œuvre au début du xive siècle.
15Du moulin de Padiern nous ne connaissons que le montant des fermages de 1493-1494. Il porte le nom d’une ancienne paroisse, aujourd’hui lieu-dit Padière, à 3 km au nord-est de Nérac. Le moulin était peut-être établi sur le ruisseau du Galeau qui coule au nord de la paroisse. À la recette du Mas, seul le péage bénéficie d’une rubrique particulière (fol. 23 r°, 24 v°). Le moulin de Laroque porte le nom d’une ancienne paroisse située sur la rive gauche de la Baïse, à 3 km au sud de Nérac. Nous ne disposons d’aucune information sur cette usine, ce qui est étonnant car les moulins établis sur la Baïse sont de loin les plus importants. Nous nous demandons donc s’il ne s’agirait pas du moulin de ce nom, situé dans la paroisse de Lausseignan sur le ruisseau de Larebuson, ou Arebuson, affluent de la Baïse.
16Trois autres moulins dépendant de la recette de Nérac sont mentionnés dans le registre. Il s’agit :
du moulin de Lavaquère, dont il est fait état au sommaire des moulins et que l’on retrouve au bordereau comptable, mais qui se trouve dans la “charge” de P. de Glane, trésorier “deça le Ciron”. Nous n’avons pu encore le localiser.
d’un moulin dont il n’est fait état, ni au sommaire, ni au bordereau, comme d’ailleurs des dîmes de Nérac. Il s’agit de celui de Moncrabeau avec mention du fermage de 1491. À la recette de Moncrabeau, une main a noté qu’il fallait savoir s’il était tenu compte du moulin dont sont mentionnés deux fermages triennaux non datés (fol. 30 v°). Il s’agit peut-être du moulin appelé aujourd’hui de Vialère.
du moulin et de la dîme de Lavardac. Seul le produit de la dîme de 1494-1495 figure à la fois dans la recette de cette seigneurie (fol. 12 r°) et dans une rubrique particulière du receveur de Lavardac qui en reçoit décharge en février 1495 (fol. 29 r°).
17Partant du montant des fermages, on peut établir un classement de ces moulins selon leur capacité. Les deux plus importants sont ceux de Nérac et de Vianne. Viennent ensuite ceux de Lavaquère, Nazaret et Barbaste dont la capacité est de la moitié de celles des précédents. Le moulin de Padiern comme celui de Laroque, élevés sur un ruisseau, sont tout à fait modestes.
Les documents
18Nos informations étant, pour l’essentiel, de nature comptable, bien des aspects du fonctionnement des moulins nous échappent encore et ce que nous présentons ici correspond à l’état de nos recherches.
19Les brèves indications qui accompagnent le nom des moulins et portent essentiellement sur le contenu des contrats de fermage en cours en 1494-1495, ne nous éclairent que sommairement sur chacun d’eux. Il existe, d’autre part, dans la tenue du registre, un grand désordre dû à l’intervention de plusieurs mains qui considèrent le registre comme un cahier de notes, une sorte d’aide-mémoire. Ainsi les informations pour la période 1481-1494, soit treize années, sont réparties en deux ensembles : le premier, du fol. 26 v° au fol. 34 v° ; le second, à la fin du registre, du fol. 120 v° au fol. 137 v°. L’absence de “rédaction”, l’écriture souvent trop cursive rendent parfois délicate la lecture ou l’interprétation de ces notes. Restent enfin les erreurs, parfois manifestes, commises lors de leur rédaction. Enfin, les auteurs des notes l’ont parfois mentionné, certaines pièces comptables ne furent pas retrouvées et les questions qu’ils ont pu se poser sont aussi les nôtres. Ces notes présentent néanmoins un grand intérêt pour l’histoire de la meunerie en Agenais. À notre connaissance, il n’existe pas de documents de cette nature à la même époque, aussi bien en Agenais que dans les Landes, le Bazadais ou le Bordelais. C’est la raison pour laquelle nous avons entrepris, pour chaque moulin, de constituer un dossier regroupant toutes les informations le concernant.
L’exploitation
20Les moulins de Nazaret, Nérac, Barbaste, Vianne et probablement Moncrabeau étaient exploités directement en régie ou en fermage, une situation dont nous ne savons, en l’état de nos recherches, si elle était courante en Agenais en cette fin du xve siècle.
21Quelle que soit la formule retenue, fermage ou régie, les contrats vont d’une Saint-Jean à l’autre, du 24 juin au 23 juin suivant, l’année de référence étant la seconde, selon la formule “finissant IIIIxx et XV à Saint Jehan”. Dans le cas du fermage, le fermier qui prend en charge le moulin verse chaque année au grainetier une certaine quantité de grain (froment ou méture). Quand le moulin est en régie, le grainetier reçoit la redevance directement du meunier.
22Pour chaque moulin figurent, en principe, pour l’année 1494-1495 :
recette prévisionnelle ou bordereau, établie à partir de la recette effective de l’année précédente (1493-94) ;
montant du fermage prévu par le contrat pour l’année en cours (1494-95) ;
c’est-à-dire la différence entre le montant du fermage et celui figurant sur le bordereau : cet état est croissant en recette ou en dépense.
23Comme on peut le constater, cette façon de procéder est indépendante du déroulement des contrats. Prenons l’exemple du moulin de Nazaret “arrenté” pour trois ans : 434 q. de froment et 217 q. de “mixture”, soit 651 q. de “tout blé” et pour l’an 1494-95, froment : 144 q. 1/3, mixture : 72 q. 1/3. Or, sur le bordereau, il n’est fait état que de 133 q. de froment et 67 q. de mixture. Ainsi, l’état croît en recette de 11 q. 1/3 de froment et 5 q. 1/3 de “mysture”.
24On aurait pu aussi penser qu’au terme de l’année en cours 1494-95, la recette réelle aurait figuré à la suite sur le registre. Il n’en est rien et s’il est par la suite question du moulin de Nazaret, c’est uniquement à propos du règlement des arriérés des douze dernières années, évoqués dans le plus grand désordre.
25La mise en régie des moulins est exceptionnelle et limitée dans le temps. Pour les quatre moulins sur lesquels nous sommes bien documenté, nous n’avons relevé de régie qu’à Nérac (23 nov. 1484-25 juin 1485), soit sept mois et à Nazaret une année durant (25 juin 1488-4 juin 1489), enfin à Barbaste, mais cela n’est pas certain, en 1486-87. La régie apparaît comme une solution provisoire imposée par les événements comme le décès d’un fermier ou la difficulté pour en trouver un. Ainsi, au mois de juin 1488, faute d’avoir pu conclure un fermage pour la gestion du moulin de Nazaret, le moulin se trouvant ainsi “dans la main de monseigneur”, c’est le grainetier qui “en a la charge” et traite directement avec le meunier - “le molinier” (fol. 125 r°). Cette situation a pu continuer jusqu’en 1489. Le moulin de Nérac resta lui aussi “dans la main de monseigneur” du 23 novembre 1483 au 23 juin 1485, probablement cette fois à la suite du décès du fermier ou d’une défaillance subite, car la prise en charge a lieu cinq mois après le début du bail. À Barbaste, la prise en régie attestée en 1486-87, fait suite à un bail de fermage qui a toutes les apparences d’un triennal, commencé en juin 1484. Elle est due probablement à la rupture du contrat. Les fermiers, un couple, eurent de la peine à payer les fermages de 1484-85 et 1485-86, qu’ils réglèrent partiellement en bois et en vin. Leur compte fut finalement soldé par une remise de dettes.
Le fermage
26La pratique courante dans les années 1480-1495 est celle du fermage, annuel ou triennal. Elle nous est connue, soit de manière explicite, soit indirectement par les changements de fermiers d’une année à l’autre. La ferme annuelle a été en usage à Nazaret en 1481-82 au moins, car pour les deux années suivantes notre information est moins sûre ; à Nérac, en 1481-82,1482-83, 1483-84, puis en 1485-86 ; à Barbaste, en 1482-83 et 1483-84, puis, après une absence d’information, de nouveau de 1487 à 1492 ; à Vianne, en 1481-82, puis peut-être de 1483 à 1485 avec le même fermier. Il semble donc qu’au début des années 80, le fermage annuel soit de règle, mais à partir de 1486, ce sont les baux triennaux qui l’emportent. Ce pourrait être le cas à Moncrabeau dès 1486-1489 avec Menjon du Calhau et Guilhem de Puymartin ; en toute certitude, à Nérac, sous Andrivet du Vergier et Ramonet Dirouart. Ces fermiers prennent ensuite simultanément en fermage - mais sous trois contrats différents - les moulins de Nazaret, Nérac et Vianne de 1489 à 1492, puis A. du Vergier seul de 1492 à 1495. Le moulin de Moncrabeau est affermé de la même façon, de 1489 à 1492 et probablement de 1492 à 1495.
27Sans que l’on sache s’il s’agissait d’une innovation ou du retour à des pratiques anciennes, le fermage triennal était évidemment la formule la plus avantageuse pour le seigneur car elle facilitait la gestion. L’afferme devait se faire en principe aux enchères au plus offrant, mais était-ce toujours le cas ? On peut en douter. En effet on a l’impression que les contrats étaient conclus à la suite de négociations entre les candidats et le grainetier ou tel autre officier de la seigneurie.
28Les fermages, quelle qu’en soit la durée, sont pris par un ou deux fermiers qui renouvellent parfois le contrat arrivé à son terme. On rencontre tous les cas de figure. Le plus fréquent, surtout au cours de la décennie 1480-1490, est tout de même celui du fermier unique prenant à ferme un moulin pour un an, puis disparaissant : Jean de Cassereilz, à Nazaret (1481-82) ; Guilhem Arn. de Forcet (1481-82) et Guilhem Ferre (1482-83), à Nérac ; Et. du Faget (1489-90) et Jean de La Sebide (1491-1492), à Barbaste ; Guilhem de Faux (1481-82), à Vianne ; G. de Puymartin (1492-95), à Moncrabeau. D’autres renouvellent leur contrat, soit l’année suivante, comme c’est le cas de Jehan du Pont, à Barbaste (1482-83 et 1483-84) et probablement celui de Jean de Saubes (1493-94 et 1494-95) ; soit deux ans après : Ymbert du Nau, à Nazaret (1481-82 et 1483-84) ; soit aussi trois ans de suite comme Perdon de L’Ospital, à Vianne, de 1483 à 1486.
29Aussi fréquentes sont les associations, dont certaines sont éphémères : Pierre Dirouart et Guilhem Alere, à Nérac (1485-86), Guilhem de Lesparre et Arnaudet de Callapian (1487-88), à Barbaste ; d’autres renouvelées avec un nouveau partenaire : ainsi P. Arn. de La Salle afferme-t-il le moulin de Nazaret, d’abord associé à P. Chevreux (1485-86), ensuite à Monet Servant (1486-87) ; d’autres durables : Bertrand de La Roque et son épouse, à Barbaste (1484-86), Menjon du Calhau et G. de Puymartin, à Moncrabeau (1487-89) ; la plus remarquable est celle d’André du Vergier et Ramonet Dirouart, associés pour le moulin de Nérac en 1486-89, qui la renouvellent pour 1489-92, en ajoutant cette fois au moulin de Nérac, ceux de Nazaret et de Vianne ; André du Vergier reprendra seul les trois moulins de 1492 à 1495, comme l’avait fait Menjon du Calhau pour le moulin de Moncrabeau de 1489 à 1492. Exceptionnelle, en revanche, est l’association à trois conclue entre J. Bancherel, Bertrand de Laborde, et Arnaud de Caperoyat pour Vianne de 1486 à 1489. Les renouvellements de baux annuels ou triennaux par des fermiers seuls ou associés furent sans doute plus nombreux que ceux qui nous sont révélés par une documentation très incomplète. Dans le cas de contrats triennaux, il est implicitement admis que le fermier devra payer le fermage par tiers chaque année. Nous connaissons les clauses des deux contrats triennaux (1489-92 et 1492-95) et les montants de deux baux de Moncrabeau non datés et nous avons pu reconstituer les baux de Barbaste de 1485-86 et 1492-95.
30On ne sait que fort peu de choses sur ces fermiers, leur profession - négociants, gros tenanciers - leur origine géographique, leur parenté éventuelle. On notera cependant que les premiers fermiers connus de Barbaste sont originaires de Lavardac (Jean du Pont) ou de Nazaret (B. de La Roque) et que Bertrand de La Roque s’est associé avec son épouse, enfin que deux Dirouart, Pierre et Ramonet, sont successivement fermiers de Nérac.
31Les contrats présentent plusieurs points communs témoignant de l’existence à Nérac d’un contrat type, en cette fin du xve siècle. Le montant du fermage est toujours exprimé en grain. Sont précisés la quantité de grain pour la durée du fermage - un ou trois ans -, la nature des grains et la proportion de chacun d’eux, quartons de froment et de seigle ou de méture (fol. 26 r°), dans la proportion de 2/3, 1/3, la nature de la méture - mexture, mysture, mixsture - n’étant jamais précisée. Notons que seigle et méture sont deux “blés” qu’on ne saurait confondre, comme le prouve la composition de la dîme de Nérac : “mexture 13 q., seigle 32 q.” même si leur valeur est identique : “deu segle : 21 quartons, que on prend pour mesture” (fol. 32 r°). La quantité de froment figurant dans le contrat est supérieure à celle de la méture (Nérac, Nazaret, Vianne, Barbaste : 2/3-1/3), en revanche, à Padiern la quantité de méture est du double de celle du froment et, à Casteljaloux, on a 1002 q. de mesture pour seulement 601 q. de froment.
Le règlement des fermages
32Il ne se faisait pas avec régularité, les fermiers s’acquittant de leur “loyer” en plusieurs fois, en fonction de leurs disponibilités et de l’activité saisonnière des moulins. De toute façon, à l’échéance du contrat, les comptes font apparaître des “restes” plus ou moins importants dont le règlement nous fait découvrir des aspects nouveaux du fonctionnement des contrats. En voici un exemple concernant le moulin de Nérac. En juin 1485, Colinet d’Autrigny, grainetier, reconnut avoir reçu de Minjon Ferre, fils de Guilhem Ferre, décédé, 17 q. de froment au titre de l’année 1482-83. Cependant, à la même date, Minjon reconnaît devoir encore 42,5 q. de froment et 52, 5 q. de méture, sans que l’on sache si c’était au titre de l’année 1482-83 ou 1483-84, année pour laquelle nous ignorons qui fut fermier du moulin de Nérac. En novembre 1484, le moulin fut mis en régie, peut-être à la suite du décès de G. Ferre. Par la suite, Minjon s’acquitta d’une partie du reliquat et versa 12, 5 q. de froment, mais restaient encore dus, 25, 5 q. de froment et la totalité de la méture, soit 52, 5 q. Cependant, lors du compte rendu par le grainetier, le 16 février 1486, Menjon Ferre avait une créance de 36 F bordelais pour des réparations faites au moulin et du vin - pour les ouvriers ? A cette date le quarton de froment valait 1 F petit et la méture 2/3 d’écu. C’est probablement sur cette base que le compte fut finalement apuré, le 30 juillet 1487, par Rollet, le capdet de Duras et Mornille et Menjon Ferre reconnu redevable de 9 F bordelais (fol. 33 v°). Cette somme devait être payée par Jehan Ferre en 1495 à Hugues Portalh, le nouveau trésorier : portée par erreur 3 1.1 sou tournois (fol. 121 r°), elle figure plus loin pour 61.5 s. t., ce qui correspond bien à 9 F (1F = 15 s. t.) (fol. 124 r°). Le 30 octobre 1495, les fermiers du moulin de Nérac payèrent 100 F bordelais, valeur de 200 q. de grain, 13 q. de froment et 66,66 q. de méture.
33Le règlement pouvait se faire aussi non pas au grainetier, mais à un autre “officier” du sire d’Albret. Ainsi en 1485-86, Bertrand de La Roque et sa femme, de Nazaret, redevables de 123,33 q. de froment et 42,40 q. de méture, payèrent au “bouteiller” officier de l’hôtel du sire d’Albret, 4 pipes de vin rouge pour la “despence de la maison” ainsi que du bois (de chauffage), estimés 24 q. de froment et 8 q. de méture. Ils restaient redevables de 102,33 q. de froment et 35,66 q. de méture, dont ils furent tenus quittes suite à une donation faite par “mesdemoiselles” à leur chambrière, Jehanne de Colon, qui épousa Pierre de Roque, fils des fermiers.
34Il arrivait aussi que l’on demande au fermier de se substituer au trésorier et d’effectuer lui-même des règlements, une pratique courante pour les redevances payées en argent : ainsi, en 1481-82, G. Arn. de Forcet redevait 15 q. de froment et 56 q. de méture, mais de ce reste il fut “rabatu” – il eut un abattement – de ce qu’il avait donné “aux gendarmes, par ordonnance de Mgr de Lyssac”.
35À la lecture des difficultés rencontrées par les fermiers pour respecter les termes de leur contrat nous nous demandons s’ils avaient fait des offres trop élevées ou s’ils rencontraient de leur côté, des difficultés pour se faire payer par les usagers des moulins.
Montant des fermages
36Étant donné, selon les moulins, les dates différentes des contrats sur lesquels nous sommes bien informé, il n’est pas possible de dresser un tableau général. Voici les informations dont nous disposons :
Moulin de Nérac
371489-92 :1100 q., 2/3 froment (733 q.) 1/3 méture (367 q.), dont 1/3 au prieur et 2/3 au sire d’Albret, soit 488, 66 q. de froment et 248, 33 q. de méture et par an 162,88 q. de froment et 87,77 q. de méture (fol. 28 r°).
381492-95 :1300 q. dont 2/3 froment, soit 900 q. et 1/3 méture, soit 450 q. dont 1/3 au prieur et 2/3 au sire d’Albret, soit 600 q. de froment et 300 q. de méture et par an 200 q. de froment et 100 q. de méture (fol. 26 r°).
Moulin de Nazaret
391489-92 : 630 q. dont froment : 420 q. ; méture : 210 q. (fol. 28 r°), soit, par an, froment : 140 q. ; méture : 70 q.
1492-95 : 650 q. dont froment : 434 q. ; méture : 217 q. (fol. 26 r°), soit, par an, froment : 144,33 q. ; méture : 72, 33 q. Par le bordereau il n’est fait état que de 133 q. de froment et de 67 q. de méture ; l’état croît en recette de 11,33 q. de froment et de 5,33 q. de méture.
Moulin de Barbaste
401485-86 : les montants dus pour cette année ne semblent pas des restes. Froment : 123, 33 q. ; méture : 40,66 q. On songe à un contrat triennal de 370 q. de froment et 122 q. de méture.
1489-90 : affermé pour 170 q., nature non précisée (fol. 36 v°).
1493-94 : fermage : froment 146,66 q. ; méture 73,33 q. Il s’agit donc d’un fermage triennal de 440 q. de froment et 220 q. de méture. D’après le bordereau, il est fait état de : froment : 133 q. ; méture : 67 q. L’état croît donc en recette de : froment : 13q., méture : 6,33 q.
Moulin de Vianne
411489-92 :1320 q. dont 2/3 de froment : 880 q. et 1/3 de méture : 440 q., soit par an, froment : 293, 33 q. et méture : 146,66 q. (fol. 28 r°).
1493-95 :1500 q. dont froment : 1000 q. ; méture : 500 q., soit par an, froment : 333,33 q. et méture : 166, 66 q. (fol. 26 v°), soit la même quantité que sur le bordereau.
Moulin de Padiern
42Année 1493-1494 : froment : 14 q. ; méture : 30 q. “On n’en fait pas état par le bordereau, donc l’état croît en recette”.
Moulin de Moncrabeau
431489-92 : Le moulin fut affermé de 1489 à 1493 pour 310 q. de grain. Il s’agit probablement d’un bail de trois ans (fol. 30 v°).
Moulin de Lavardac : néant
44Au total, le montant moyen des fermages en quarton de froment ou de méture s’élève donc, entre 1490 et 1495, à :
Moulin de Nérac : 181 q. de froment et 94 q. de méture
Moulin de Nazaret : 142 q. de froment et 71 q. de méture
Moulin de Barbaste : 146 q. de froment et 73 q. de méture
Moulin de Vianne : 313 q. de froment et 156 q. de méture
Moulin de Padiern : 14 q. de froment et 30 q. de méture
Moulin de Moncrabeau : 103 q. de “blés”
Soit en tout : 952 q. de froment et 527 q. de méture.
45Pour mémoire : moulin de La Vaquere : froment 167 q. ; méture : 84 q. (fol. 30 r°).
46Les dîmes de Tauziède et Tauzenx pour l’année s’achevant en 1494 s’élèvent à 303 q. de froment, 24 q. de mexture, 32 q. de seigle, 24 q. de syvade (avoine), 16 q. de fèves.
47La recette de Nérac rapportait de son côté 1200 livres et 13 q. de froment, 17 q. de seigle, 1 q. de mil, 15 q. d’avoine et 6 q. de fèves. Elle recueillait donc en année moyenne dans les années 1490-1495 :1268 q. de froment et 600 q. de mexture.
Des questions
48Si le Registre de la généralité de Monseigneur est riche d’enseignements sur la gestion des moulins de la recette de Nérac - il l’est encore plus sur celle des finances-, en l’état actuel de nos recherches, bien des questions restent encore en suspens.
49La première concerne le fonctionnement des moulins. Lors de la prise d’un moulin en régie, c’est avec le “moliney” que traite le grainetier, ce qui laisserait supposer qu’il y avait des meuniers à “demeure” dans les moulins du sire d’Albret. La présence de meuniers professionnels se comprendrait d’autant mieux que les usines de la Baïse étaient les plus importantes de la région. Or, il arrive aussi que des fermiers soient qualifiés de “moliniers” : à Barbaste en 1487-88 (fol. 31 r°), à Moncrabeau en 1487-88 et 1488-89 (fol. 32 v°). Qu’il y ait eu, parmi les fermiers, des “meuniers” capables de faire fonctionner un moulin est aussi tout à fait possible, mais la présence de meuniers attachés à un moulin ne fait aucun doute. Le fonctionnement de la meunerie de la Baïse au xviiie siècle nous apporte des éléments de réponse : il y avait effectivement alors des fermiers qui étaient aussi des meuniers, mais la plupart des fermiers sous-louaient le moulin à des meuniers professionnels. En fait, le mode de fonctionnement des moulins nous échappe encore.
50On peut s’interroger aussi sur l’origine des blés apportés aux moulins. Les fermiers se contentaient-ils d’exploiter les moulins ou bien apportaient-ils eux-mêmes des grains dont ils revendaient la farine et, si tel était le cas, d’où provenaient ces “blés”, de la région de Nérac ou aussi du haut pays comme ce fut le cas plus tard ? Nous sommes d’autant plus enclin à le penser que la capacité des moulins de la Baïse dépassait probablement la production de grains du Néracais dont les terres ne sont pas des plus riches. Si les Albret contrôlaient les moulins de la Baïse, sauf celui de Bapaumes en aval de Nérac, nombreux étaient les moulins établis sur les ruisseaux affluents destinés à moudre le grain apporté par les producteurs locaux.
51Comment interpréter enfin le poids ou le volume des grains réunis par la recette de Nérac. Était-ce à leur demande ou à celle du grainetier que les fermiers payaient leur fermage en nature, à moins qu’ils n’y aient trouvé chacun des avantages. Si l’on estime que le quarton valait, comme au xviiie siècle – ce qui n’est qu’une hypothèse – aux environs de 23 livres, le grainetier aurait dû recevoir en moyenne, chaque année 266 hl de froment (1268 q. x 23 litres) et 138 hl de méture (600 q. x 23 litres), soit 404 hl de grain dont on peut donner une estimation en livres tournois. Le 30 octobre 1495, les fermiers payèrent au trésorier Portalh, 100 F bordelais, valeur de 200 quartons de “grain” : 13, 33 q. de froment et 66,66 q. de méture (fol. 132 v°, 137 r°). Sachant que 1 F bordelais vaut 15 sous tournois, 100 F équivalent à 1500 s. t. ou 75 livres, et 1868 quartons de grain peuvent être estimés 700 1. Cette somme s’ajoutant aux 1200 1. en espèces, la recette de Nérac devait rapporter aux environs de 2000 livres à la fin du xve siècle, juste après le péage du Mas. On ne voit guère ce que le grainetier aurait pu faire de 400 hl de grain, soit 430 sacs de quatre cartons. Certes, le paiement des contrats en grain plutôt qu’en espèces permettait d’attendre le meilleur moment pour procéder à leur vente et en tirer ainsi un profit complémentaire. On ne saurait cependant exclure une autre hypothèse, suggérée par le règlement partiel de certains fermages en espèces. Le paiement des fermages aurait été fait en livres, sur la base du prix du quarton de froment ou de méture à l’échéance annuelle.
52Le registre de la Généralité, étant un document comptable, ne peut apporter de réponse à ces questions. La découverte de contrats du xve siècle étant peu probable, c’est dans ceux de la période moderne que nous espérons la trouver, mais le riche fonds des archives de Malte est aussi susceptible de nous apporter de précieuses informations.
Notes de bas de page
1 Il s’agit de l’ébauche d’une enquête en cours sur les finances des Albret dont nous avons extrait les éléments d’un chapitre concernant les moulins. Notre source est unique. Il s’agit du document conservé aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques sous la cote E 89 :246 f. dont 103 blancs. Les informations concernant la famille d’Albret et ses possessions proviennent de Marquette J.-B. (2010) : Les Albret. L’ascension d’un lignage gascon (xie siècle-1460), Bordeaux, Ausonius. Celles se rapportant à la minoterie en Albret à l’époque moderne de Delpont H. (1982) : La minoterie néracaise, 1685-1900, mémoire de maîtrise sous la direction de Paul Butel, Université de Bordeaux III et – (1983) : Deux siècles d’économie en Albret, 1685-1900, Société Académique d’Agen.
Le moulin de Barbaste à fait l’objet d’une étude historique et archéologique de Ph. Lauzun publiée dans la Revue de l’Agenais, en 1903 (tome 30, p. 5-26). Nous avons aussi fait appel à l’ouvrage de Poitrineau A. et al. (1996) : Les anciennes mesures locales du Sud-Ouest d’après les tables de conversion, Clermont-Ferrand, Publications de l’Institut d’études du Massif Central, 129. Nérac ne figure pas à la rubrique des mesures de capacité pour les grains. La valeur du quarton varie en Agenais de 21 à 28 litres. Nous avons retenu celui d’Astaffort.
Nous tenons à exprimer nos remerciements à Alain Beschi chercheur au service régional du Patrimoine et de l’Inventaire pour l’aide qu’il nous a apportée pour l’identification de certains moulins.
Auteur
Professeur émérite à l’Université Bordeaux-Montaigne
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