Avant-propos
p. 9-10
Texte intégral
1Depuis quelque temps, historiens et théologiens s’interrogent sur le lien existant entre image et religion. En mettant l’accent sur l’Écriture (Sola scriptura), donc sur la Parole, les protestants minimisèrent la place de l’image dans la relation qu’entretient le fidèle avec son Créateur. Ce refus de l’image s’appuyait sur l’interdit du Décalogue : « Tu ne feras pas de statue... » (Ex, 20-4). Or, derrière cet interdit n’y a-t-il pas quelque chose de plus large : une condamnation de l’acte de créer ?
2En effet, qui dit création (ou créativité) dit innovation, c’est-à-dire action de faire naître ce qui n’existe pas. En créant, l’artiste chercherait à participer à l’œuvre divine et à glorifier Dieu. Mais, d’un autre côté, le créateur ne risque-t-il pas de s’identifier à la Divinité et donc à l’abaisser ? L’innovation, parce qu’elle était censée faire naître de l’inexistant ou de l’invisible, put aussi apparaître aux yeux de certains comme synonyme de supercherie et de tromperie, soit une œuvre diabolique.
3L’objet du colloque organisé les 21 et 22 octobre 2004 à l’Université d’Artois, dont les actes sont ici présentés, fut de saisir la légitimité de toutes sortes de créations dans le monde protestant. Créer de nouvelles formes en matière artistique, produire de nouveaux sons et de nouvelles harmonies, imaginer de la fiction littéraire, n’était-ce pas sacrilège et démarche blasphématoire aux yeux des protestants ? En définitive, le protestantisme n’était-il pas d’abord : « une théologie vide d’esthétique » ?
4Apparemment, les protestants surent trouver des réponses à ces interrogations car très vite s’exprima une création artistique et littéraire protestante. Aussi faut-il s’interroger sur le sens que peut donner un artiste ou un écrivain protestant à son œuvre. Toute création est, par ailleurs, une rupture par rapport à une tradition. En quoi la création protestante introduisit-elle de la nouveauté dans la production artistique et littéraire européenne des XVIe, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ? Il n’y eut pas, en effet, un art protestant et une littérature protestante coupés du monde. Tout d’abord parce que l’art et les lettres furent pour beaucoup un tremplin permettant de s’insérer dans des sociétés souvent dominées par les catholiques, en France tout particulièrement. La création protestante n’était d’ailleurs peut-être pas très éloignée de ses pendants catholique ou profane. Le tableau retenu pour illustrer cet ouvrage évoque, en effet, des liaisons fort complexes.
5Ce tableau, attribué aux frères Le Nain, est intitulé L’Académie1 [Paris, musée du Louvre (R.F.701), 1,16 x 1,46]. Il rappelle l’existence des nombreuses petites académies qui se réunissaient à Paris au XVIIe siècle, à commencer par le salon du protestant Valentin Conrart, salon qui sera à l’origine de l’Académie française en 1634-1635. Avec Valentin Conrart, se trouvait son cousin Antoine Godeau, futur évêque de Grasse, ainsi que Germain Hebert de Cerisy, abbé de Notre Dame des Rochers à Paris. Des catholiques pouvaient donc fréquenter des salons protestants et vice versa. Dans le même ordre d’idées, nous trouvons des protestants à l’origine de l’Académie de peinture et de sculpture fondée en 1648 aux côtés du catholique Charles Le Brun : Sébastien Bourdon (1616- 1671) ou Henri Testelin (1616-1695).
6Pour revenir au tableau, de fins observateurs2 y retrouvent de grands personnages des années 1630-1640 : si le prince de Condé (le joueur de Luth ?) n’était plus depuis longtemps protestant, le duc de Bouillon (bras en écharpe ?) l’était peut-être encore (il aurait abjuré vers 1637…). À leurs côtés, des gens d’Église et des officiers.
7Ce tableau peut donc parfaitement bien illustrer la complexité des relations qu’entretinrent les protestants avec le monde des arts et des lettres...
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