Un prêtre. 1948
p. 117-118
Texte intégral
1Franz Stock, aumônier de Fresnes, a joué un rôle fondamental dans la vie spirituelle de Michelet emprisonné au secret et interrogé par la Gestapo en 1943. Avec une grande prudence, il a su le rassurer et rassurer sa famille. Il a donné à un nationaliste classique comme Michelet une autre image de l’Allemagne. Cet article, publié dans La Croix le 3 mars 1948 et TC Hebdo le 2 avril, Pax Christi…, a aussi été publié par Temps présent, l’organe du RPI (parti Républicain Populaire Indépendant dont Michelet était le président national), le 5 mars. Franz Stock, pacifiste et francophile, assistant des fusillés du Mont-Valérien, se mit après la guerre au service des Allemands prisonniers, pour lesquels il organisa un « Séminaire des barbelés » à Chartres avec l’aide de Michelet. Outre l’ancien ministre, le nonce Roncalli était également présent aux obsèques de Franz Stock.
2L’autre matin, nous étions bien peu nombreux, une douzaine, tout au plus, devant l’église Saint-Jacques du Haut-Pas. On venait d’y achever les obsèques très simples d’un mort dont la dépouille s’en allait maintenant dans l’humble cercueil des pauvres, vers le cimetière de Thiais – où l’on conduit habituellement le corps des suppliciés.
3Et pourtant, s’il avait été possible d’aviser tous ceux auxquels ce mort avait été jadis secourable, il est à croire que la foule n’aurait pas pu tenir dans l’église. On peut ajouter que la cérémonie n’aurait pas manqué de pittoresque si tous les clients survivants du prêtre qu’on allait ainsi mettre en terre s’étaient donné rendez-vous et avaient accompagné – comme il avait fait si souvent pour tant de condamnés à mort – celui qui s’en allait aujourd’hui, presque honteux et seul, dans l’indifférence générale.
4Si nous ne vivions pas dans un temps d’affreuse grisaille où l’imagination fait défaut et où la crainte des audaces interdit toute initiative, j’aurais aimé qu’on donnât à ces obsèques un caractère solennel, symbolique, qui aurait eu une profonde signification des deux côtés du Rhin – et même ailleurs.
5Car celui qu’on aurait ainsi justement honoré n’était pas seulement un prêtre. C’était aussi un Allemand : notre aumônier de la prison de Fresnes, l’abbé Stock, resté en France à la Libération pour servir ses compatriotes prisonniers, comme il avait servi, quatre années durant, les Français détenus par la Gestapo, qui menaient la lutte contre le nazisme.
6Naturellement, il nous avait semblé alors qu’un aumônier français aurait mieux fait notre affaire que ce prêtre blond aux lunettes d’or qui ressemblait si bien aux images que nous nous faisions d’un Herr Docktor germanique. Pourtant, il faut admettre honnêtement qu’un compatriote n’aurait sans doute pas été en mesure d’agir avec autant d’efficacité que lui. Au surplus la témérité de nos prêtres français était telle – nous les avons vus à l’œuvre dans les camps de la mort – qu’elle excluait absolument cette hypothèse. Ils se seraient tous fait fusiller les uns après les autres.
7L’abbé Stock était donc allemand. C’est dire qu’il professait pour tout ce qui est strictement interdit – streng verboten – la crainte révérentielle de ses compatriotes. Et cela n’en donnait que plus de prix aux innombrables services qu’il nous a rendus au péril de sa vie, pour nous permettre de sauver la nôtre.
8Il arrivait habituellement à l’improviste dans nos cellules, accompagné d’un feldwebel qui se tenait dans l’entrebaillement de la porte. Parfois une conversation singulière s’engageait alors : « Nous allons réciter ensemble un Ave Maria », disait-il à voix basse. On s’agenouillait auprès de lui. Et il continuait du même ton monocorde : « Ave Maria, gratia plena… votre femme est venue me voir hier. Elle va très bien. Dominus tecum… Elle vous fait dire de ne pas vous inquiéter… benedicta tu in mulieribus… ».
9Comme ces nouvelles tombaient bien ! Quelques jours auparavant, rue des Saussaies ou avenue Foch, on nous avait assuré qu’on avait arrêté celle dont l’abbé Stock nous apportait ainsi des nouvelles toutes fraîches. Il ne s’agissait donc que d’un chantage de la Gestapo. On pouvait donc repartir avec plus d’aplomb vers le prochain interrogatoire.
10On conçoit sans peine tout ce qu’il fallait de tact et de sereine audace pour concilier ces précieux secours profanes avec l’exercice scrupuleux d’un ministère sacré. L’abbé Stock s’est acquitté de cette double tâche avec bonheur. Simplement parce que, au milieu d’écueils invraisemblables, il avait su rester prêtre.
11Temps Présent
5 mars 1948
Brive, CEM, 3 EM 183
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Essai sur le philosémitisme catholique
Entre le premier et le second Vatican. Un parcours dans la modernité chrétienne
Olivier Rota
2012
La traversée France-Angleterre du Moyen Âge à nos jours
Stéphane Curveiller, Florence Hachez-Leroy et Gérard Beauvillain (dir.)
2012
Les religions dans le monde romain
Cultes locaux et dieux romains en Gaule de la fin de la République au iiie siècle après J.-C : persistance ou interprétation ?
Marie-Odile Charles-Laforge (dir.)
2014
Les archives Princières xiie-xve siècles
Xavier Hélary, Jean-François Nieus, Alain Provost et al. (dir.)
2016
Les Comtes d’Artois et leurs archives. Histoire, mémoire et pouvoir au Moyen Âge
Alain Provost (dir.)
2012
Mobilités et déplacement des femmes
Dans le Nord de la France du Moyen Âge à nos jours
Youri Carbonnier, Stéphane Curveiller et Laurent Warlouzet (dir.)
2019
Deux siècles de caricatures politiques et parlementaires
Pierre Allorant, Alexandre Borrell et Jean Garrigues (dir.)
2019