Préface
Entre temporel et spirituel
p. 7-9
Texte intégral
1Michelet et l’Église ! Quoi de plus fondamental pour la vie, le combat, l’œuvre d’Edmond Michelet ! Je sais que vous allez détailler les principaux aspects de ce vaste problème. Je me contenterai, en introduction, de rappeler quelques-uns des traits, souvent obscurcis et oubliés, de ce que fut la riche personnalité d’Edmond Michelet, ministre du général de Gaulle et serviteur de l’Église. Je résumerai ainsi mon propos : Michelet, toujours indulgent aux hommes, a également toujours été très ferme sur les principes de son action. Mais cette fermeté ne l’a jamais enfermé dans une tour d’ivoire : il a su appliquer ces principes avec souplesse et réalisme et même, à en croire Étienne Borne, avec une « pincée de ruse »… D’où une dialectique, parfois difficile à suivre, entre le « spirituel » et le « temporel » pour reprendre le langage de Péguy, étant entendu qu’il pouvait arriver au spirituel de « coucher dans le lit du temporel ». De fait, Edmond Michelet, qui aimait répéter cette formule, fut un homme politique beaucoup moins simple, béat et bénisseur qu’on a trop souvent voulu le présenter. Ce fut d’abord, au nom même de ses principes, un homme capable de ruptures. Je vais tenter de le démontrer dans quatre cas majeurs de son parcours : son refus de l’Action française après la condamnation de Rome ; son refus du régime de Vichy ; son refus des dérives du MRP ; son refus de l’Algérie de « papa ».
2On sait que le départ du jeune Edmond Michelet de la mouvance de l’Action française lui fut pénible et même douloureux. Mais Rome avait parlé, bien que ce fût sans beaucoup de clarté. Il fallait donc obéir au magistère. Ce fut fait, sans ambiguïté. Mais – et c’est sans doute la complexité d’Edmond Michelet – cette prise de position de ses jeunes années ne l’empêcha pas, par la suite, de rester attaché, sans que cela n’altère en rien son gaullisme, à l’idée monarchique. Ce n’est pas un hasard s’il fut, pendant plusieurs années, jusqu’en 1967, l’intermédiaire entre le comte de Paris et le général de Gaulle : en survolant les contingences de la « politique », ne se plaçait-il pas ainsi sur le plan de la mystique ?
3Je n’insisterai pas sur le refus immédiat, viscéral, d’Edmond Michelet à l’égard de l’armistice de 1940 et du régime de Vichy qui s’ensuivit. Il le rendit public dès le 17 juin, dans un appel dont certaines phrases étaient empruntées à Péguy, et organisa très vite à Brive une résistance « gaullicane », avec les abbés démocrates de la ville et le père Maydieu.
4Mais cette fermeté, qui le conduisit jusqu’au martyre de Dachau, ne l’empêcha pas d’être, avec Louis Terrenoire, dès 1950, l’un des premiers protagonistes, à l’Assemblée nationale, des lois d’amnistie. Ni de concevoir, comme ministre des Anciens combattants en 1958, le projet généreux de confier à une équipe mixte de résistants et d’anciens de 1914-1918 le soin de faire transférer à Verdun la dépouille du maréchal Pétain. Ni de garder des liens amicaux avec des personnalités de Vichy, tel l’ancien ministre de la Jeunesse, Georges Lamirand, ce qui lui permit de tenter de sauver du peloton d’exécution le gendre de ce dernier, Bastien-Thiry, l’auteur de l’attentat du Petit-Clamart, en faisant reconnaître son irresponsabilité mentale. Malheureusement, dans ces deux derniers cas, le geste de charité et de pardon d’Edmond Michelet fut repoussé par ceux qui auraient pu en être bénéficiaires.
5On connaît aussi la gravité du conflit qui opposa Edmond Michelet au MRP. Il avait été pourtant, avant guerre, un des précurseurs du rassemblement des forces démocrates et chrétiennes qui devaient constituer, après 1944, le MRP. Mais à partir de 1947, Michelet s’écarta de ce parti, auquel il avait naturellement adhéré après son retour de déportation, en lui opposant un refus très ferme de l’acceptation des institutions de la Quatrième République. Fidèle au vœu d’une partie des résistants, qui avaient réclamé le renforcement du pouvoir exécutif dans la nation libérée, fidèle à la personne et au message du général de Gaulle qui, dans son discours de Bayeux en 1946, avait préconisé cette voie, Michelet tenta en vain d’y rallier ses « amis ». Ceux-ci, à une très grande majorité, refusèrent son « refus » et l’exclurent. Ce fut un des drames de sa vie politique : je peux personnellement en témoigner. Mais cette rupture ne fut jamais totale : jusqu’à la fin de sa vie, Edmond Michelet tenta de rapprocher les frères – démocrates-chrétiens gaullistes et démocrates-chrétiens MRP – devenus ennemis. Il ne se découragea jamais et accorda même son pardon à certains de ceux qui l’avaient malmené, voire trahi, dans ce conflit. Mais là aussi, il resta jusqu’au bout ferme sur les principes : l’essentiel l’emporta toujours chez lui sur le conjoncturel.
6Enfin je souhaiterais évoquer, à propos du problème algérien, la complexité de sa position, nourrie, non par la contradiction, mais par la superposition en lui de deux points de vue. Le patriote français qu’il demeura envers et contre tout ne pouvait que souhaiter que l’Algérie restât aussi française que possible, tout en se refusant à accepter les procédés qu’il dénonça dans son livre Contre la guerre civile ainsi que dans ses prises de positions ultérieures, parce qu’ils étaient contraires à l’honneur de la nation. Le chrétien, l’humaniste, le gaulliste revenu des camps de la mort ne pouvait refuser de comprendre ce que signifiait le soulèvement du peuple arabe et kabyle pour obtenir son indépendance. C’est ce qui conduisit Edmond Michelet, Garde des sceaux de 1959 à 1961, à adoucir autant qu’il le put la répression qu’imposait une rébellion souvent sanglante, de même qu’à se refuser à « couper les ponts » avec les chefs de cette rébellion, prisonniers de la France depuis 1957 : l’action menée en ce sens par ses collaborateurs Joseph Rovan et Hervé Bourges déclencha la fureur de Michel Debré et provoqua à son encontre une réprobation durable des partisans de l’Algérie traditionnelle. Là encore, Edmond Michelet paya sa rupture d’une exclusion, gouvernementale et morale. Mais là encore, en fondant en 1963 et en développant l’Association France-Algérie, il rappela qu’il ne fallait jamais « insulter l’avenir ».
7J’ai tenté, dans ces quelques remarques, de montrer la complexité et la richesse d’une personnalité hors du commun qui, pour beaucoup, fut à la fois un modèle en politique et un maître spirituel. Sur la route de Chartres, un jour de 1970, c’est le spirituel qui eut le dernier mot sur le temporel.
Auteur
† Ancien ministre, ancien maire de Brive
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