Chapitre V. Ethical Studies (I) : présentation et contextualisation de l’ouvrage
p. 165-190
Texte intégral
1Compte tenu de ce que Bradley a pu écrire depuis qu’il est devenu Fellow à Merton College, le thème de l’éthique est assez surprenant. Bien entendu, ses dissertations d’étudiant et les cours de Green qu’il a pu suivre montrent qu’il était familier des questions morales telles qu’elles se posaient dans sa période et dans le camp qu’il avait choisi, et il avait lui-même développé quelques idées en la matière, mais la teneur de Ethical Studies tranche néanmoins avec les préoccupations qui étaient les siennes à cette époque, comme en témoignent à la fois sa correspondance avec son frère et son approche de la question de la relativité de la connaissance que nous avons étudiées dans le chapitre précédent. Il s’agit donc de comprendre avant toute chose les raisons qui l’ont amené à traiter un thème qui n’était pas dans le ton de ses propres recherches philosophiques.
2Par ailleurs, on peut également remarquer que la question éthique avait déjà fait l’objet d’un traitement dans le courant idéaliste, que ce soit dans les écrits philosophico-littéraires de Coleridge, dans leur étude plus approfondie par Ferrier puis par John Grote, ou encore dans les cours de Green sur la philosophie politique et morale, cours que Bradley avait suivis et qui l’avaient précipité dans la cause idéaliste. Mais il est possible, à partir de ces travaux idéalistes sur l’éthique, de comprendre pourquoi Bradley s’est lancé dans une entreprise de synthèse et de clarification, et qu’il l’ait fait au nom des principes que s’était donné le cercle d’idéalistes, auquel il appartenait, dans son programme officieux.
3En effet, ce que les idéalistes avaient écrit en matière d’éthique jusqu’alors était soit trop simpliste et dépassé, soit trop complexe ou trop fragmentaire. Les intuitions coleridgiennes, intéressantes en soi, en dépit de leur tonalité trop littéraire et pas assez philosophique, ne s’attaquaient qu’à une forme brutale d’utilitarisme (le Benthamisme), non encore transformée par la subtilité du discours de Mill, auquel il s’agissait de s’opposer. De plus, l’austérité de l’œuvre de Ferrier et le caractère confidentiel de celle de John Grote avaient rendu peu visible la position idéaliste sur l’éthique1. Quant à Green, qui poursuivait les efforts de Grote contre l’hédonisme et le positivisme2, il n’avait pas encore écrit quoi que ce soit de définitif exposant la doctrine idéaliste en matière d’éthique.
4Bradley semble avoir été conscient de cette situation, en écrivant dans la préface de Ethical Studies que même si les idées qui s’y trouvent ne sont en rien nouvelles, elles ont besoin d’être mieux connues et de montrer qu’elles sont susceptibles de résoudre les difficultés de la philosophie morale en Angleterre :
Il [l’auteur] pense que les théories éthiques reposent finalement sur des préconceptions métaphysiques et psychologiques. Il estime que nombre d’idées fondamentales et courantes de nos jours, particulièrement en Angleterre, sont confuses et même fausses [...] Il se fait connaître non pas parce que ce qu’il a à dire est nouveau, mais parce que notre littérature nous force à croire que pour la plus grande partie de notre public philosophique, et même de nos philosophes, l’essentiel de ce qui doit être dit doit être à la fois nouveau et nécessaire.3
L’activité critique dont Bradley se prévaut dans sa préface constitue une continuité certaine avec Les Présupposés de l’Histoire critique, mais il ne faut pas perdre de vue que son livre consiste plus, à notre sens, en une sorte de manuel idéaliste sur l’éthique qu’une œuvre originale écrite avec un langage métaphysique spécifiquement bradleyen car, comme nous l’avons vu précédemment, notre auteur ne dispose pas encore d’une métaphysique personnelle satisfaisante. C’est aussi en ce sens que Muirhead comprenait l’importance de cet ouvrage, en tant qu’il effectuait ce qui était demandé par la mouvance idéaliste dans une stratégie d’ensemble liée aux conditions de l’époque4. On peut donc considérer que Bradley réalise une partie du programme officieux de son cénacle idéaliste en lui donnant l’occasion non seulement de promouvoir sa doctrine sur l’éthique mais aussi de s’emparer avec force de la question de la philosophie morale en attaquant les positions des camps adverses.
5Cependant, il ne faut pas négliger le fait que la rédaction d’Ethical Studies a également permis à Bradley de poursuivre son programme d’approfondissement de la philosophie hégélienne, et d’élever par là-même son propre niveau philosophique. Il ne faut pas oublier qu’il était resté sur un sentiment d’insatisfaction après Les Présupposés de l’Histoire critique et ses ébauches sur la « relativité de la connaissance », et il a pu trouver, à travers son travail sur l’éthique, un moyen non seulement de mettre à profit ses prédispositions naturelles, et son talent véritable, à la critique point par point des positions philosophiques de son époque, mais aussi de poursuivre une étude de fond sur une philosophie indispensable en repoussant dans l’avenir le travail de constitution d’une métaphysique. Il est important ici de signaler que Bradley était parvenu, dans son opuscule sur l’histoire, à traiter de questions délicates à partir d’observations et de jugements qui lui semblaient plausibles, et sans entrer dans des considérations métaphysiques trop avancées : avant même d’étudier le détail de son texte et d’observer notamment comment il commente le fait de ne pas proposer de système métaphysique, il est nécessaire de remarquer que son travail sur l’éthique s’intégre dans une intention et une perspective initiale qui semble avoir été de trouver le moyen de reconstruire progressivement un tel système en Angleterre, et si cette perspective vise le courant idéaliste, elle justifie a fortiori qu’il effectue ce travail pour lui-même. Dans ses notes préparatoires à Ethical Studies, Bradley explique comment le passage par la métaphysique est impossible en Angleterre à son époque sans une étude de la philosophie hégélienne :
Toutes nos théories morales fonctionnent avec des préconceptions qu’elles ne comprennent pas entièrement, qu’elles n’ont jamais analysées. Nous n’avons pas de métaphysique en Angleterre et nous pensons ne pas en avoir besoin [...] Nous avons des synthèses valables et des observations qui accroissent notre connaissance. Mais les données à partir desquelles nous fonctionnons, consciemment ou inconsciemment, n’ont jamais été analysées. Prenez la table des matières de la Logique de Hegel. Ces conceptions abstraites, on doit les utiliser : on ne les suit aveuglément que jusqu’à ce qu’on les maîtrise. Existe-t-il un seul ouvrage écrit en anglais qui ait jamais tenté de les maîtriser ?5
6Bradley reconnaît avoir tenté de reconstruire une philosophie morale en associant une analyse des concepts hégéliens aux synthèses et aux observations disponibles dans la tradition de philosophie morale anglaise. Par ces notes, que l’on ne retrouve pas dans le texte publié de Ethical Studies6, on comprend que Bradley ait choisi de déterminer une position « plausible » à mi-chemin entre une philosophie morale fondée dans un système métaphysique total et l’utilisation de données et de concepts comme des fictions, sans savoir à quoi ils se réfèrent véritablement.
7De fait, on peut considérer que l’objectif que Bradley se fixe avec Ethical Studies est atteint : c’est son premier ouvrage important, en ce sens que les essais qui le composent ont eu une influence déterminante sur la philosophie morale de langue anglaise de son temps. Telle est l’interprétation la plus courante de l’impact de son livre.
Un ouvrage qui s’impose comme la référence en matière d’éthique pour le mouvement néo-hégélien britannique
8L’idée selon laquelle Bradley a été perçu comme le porte-parole du mouvement idéaliste anglais de tendance hégélienne, le critique patenté de l’utilitarisme à partir de la publication de cet ouvrage7 nécessite un examen plus approfondi pour déterminer la véritable place de Ethical Studies. La thèse forte d’une influence aussi directe de Bradley dans le débat philosophique anglais peu de temps (cinq ans) après son élection comme Fellow de Merton College est somme toute assez surprenante, d’autant plus que la publication des Présupposés de l’Histoire critique était passée quasiment inaperçue deux ans auparavant, et qu’il n’était pas encore prêt à l’époque à assumer un système métaphysique suffisamment stable et cohérent pour appuyer ses choix philosophiques personnels. Trois raisons principales semblent présider à la fortune de l’ouvrage.
9La première raison, si triviale qu’elle ne mérite pas un long développement, tient tout simplement dans le fait que Bradley a été le premier à écrire et à publier un texte synthétique et clair sur le thème de l’éthique. Pour exposer rapidement cela, replaçons-nous dans la perspective de la montée en puissance du mouvement idéaliste, et du programme que le cénacle des étudiants de Green s’étaient donné dans les années 1860-70. Certes, les attaques de Green contre l’empirisme et l’utilitarisme avaient été publiées en 1874 sous la forme d’une introduction substantielle à la ré-édition de l’œuvre majeure de Hume, A Treatise of Human Nature. Ses attaques auraient pu être complétées par un ouvrage plus positif : de fait, avec Prolegomena to Ethics, Green offrait une vision complète de l’éthique ; mais ce livre n’a été publié, et à titre posthume, que sept ans après Ethical Studies, et on peut se demander si l’ouvrage de Bradley n’a pas rendu inutile dans l’immédiat pour Green la composition d’un tel ouvrage. William Wallace, qui publie ses Prolégomènes précédant la traduction de la petite logique de Hegel en 1874 aurait sans aucun doute été à même de fournir une morale, mais son idiosyncrasie le disposait plutôt à être un commentateur qu’à s’essayer à une synthèse originale et polémique. C’est Bradley, de fait, dans une période où nombre d’ouvrages importants se succèdent, qui produit cette synthèse : il n’est donc pas étonnant qu’il ait été considéré comme le porte-parole du mouvement avant même qu’il ne commence à produire le système métaphysique tant attendu avec la publication de Principles of Logic en 1883, la même année que celle des Prolegomena de Green.
10La deuxième raison tient à la polémique que l’œuvre de Bradley a le bonheur de susciter immédiatement, ce qui lui confère une visibilité notoire. Jean Pucelle a remarqué que Ethical Studies n’avait pas rencontré un accueil chaleureux dans la mesure où ses essais heurtaient de front toutes les idées en vogue à l’époque8. Leur recension très critique de Henry Sidgwick dans Minet9en 1876 a contribué paradoxalement à leur succès, d’autant que cette critique était ambivalente puisque Sidgwick reconnaissait à la fin de sa recension que c’était justement leur antagonisme qui justifiait leur intérêt :
Dans l’ensemble, ce livre, bien que schématique et immature, est sans aucun doute intéressant et suggestif : peut-être surtout du fait de son opposition marquée vis-à-vis des opinions philosophiques en cours.10
Richard Wollheim, qui cite cette phrase de Sidgwick dans son introduction à l’édition de 1962 de Ethical Studies, remarque que l’hétérodoxie du livre lors de sa parution est d’autant plus étonnante qu’elle a suscité une tradition de lecture qui y a vu la marque de l’influence idéaliste à Oxford, alors que le triomphe de ces mêmes idéalistes n’est finalement venu que plus tard11. Nous étudierons la réalité précise de cette réception agitée dans l’analyse générale de l’influence directe de l’ouvrage : nous avons voulu simplement la noter ici parce qu’elle est un facteur déterminant qui explique le fait que l’œuvre de Bradley s’est imposée à un public.
11La troisième raison du succès durable de l’ouvrage et de la place importante qu’il occupe dans les représentations mérite d’être développée ici. Elle tient pour l’essentiel au fait que l’éthique de Bradley a été plus représentative du mouvement idéaliste dans sa dimension néo-hégélienne que la version greenienne, telle qu’elle s’exprimait dans ses cours à Balliol College et que l’on retrouve dans les Prolegomena to Ethics de 188312.
12Il semble que Green et Bradley aient tenu des rôles différents dans ce mouvement. Compte tenu des activités politiques de Green, de son engagement dans la société de son époque, et du retrait de Bradley de la vie publique pour des raisons qui tiennent en grande partie à sa santé précaire, c’est comme si les idéalistes avaient reconnu dans leurs deux figures de proue deux attitudes complémentaires pour défendre leurs principes, une personnalité charismatique en Green et un esprit profondément théorique en Bradley. Cependant, les deux hommes se distinguent également sur le plan politique et théorique : Green est demeuré libéral (même si sa conception du libéralisme, conventionnellement appelé New Liberalism, comporte des différences notables sur l’importance du rôle de l’État avec le Old Liberalism d’inspiration plus utilitariste) tandis que Bradley est resté profondément conservateur ; mais plus encore, c’est une différence d’inspiration, plus kantienne chez Green et plus hégélienne chez Bradley, qui doit être tenue pour responsable de la consécration de Bradley comme représentant du mouvement néo-hégélien dans son ensemble. Cette distinction entre Green et Bradley est importante sur un plan tactique pour l’ensemble du mouvement idéaliste, et il est nécessaire de l’approfondir quelque peu.
13Dans l’introduction à son édition des Prolegomena to Ethics de T.H. Green13, David O. Brink estimait que les points de vue de Green et de Bradley en matière d’éthique étaient proches, qu’ils défendaient une éthique de la réalisation de soi (self-realization) en s’attaquant aux positions empiristes et hédonistes, mais que la vivacité du style et le ton polémique de Bradley dans Ethical Studies avaient été préférés à l’approche plus érudite et plus traditionnelle de Green, et que c’est Bradley qui s’était finalement imposé comme le véritable pourfendeur de l’approche naturaliste et utilitariste dans la philosophie morale de l’époque, même si la popularité de Green et son engagement politique, qui avaient fait de lui une personnalité très en vue dans la société de son époque, auraient dû lui valoir une certaine préséance intellectuelle. En fait, les différences entre Prolegomena to Ethics et Ethical Studies peuvent permettre de comprendre pourquoi c’est finalement le livre de Bradley qui a été choisi pour représenter le mouvement dans son ensemble. Le projet de Green dans son livre peut se résumer assez brièvement. Green a utilisé Kant pour attaquer l’empirisme, en se fondant sur l’unité synthétique de l’aperception dans l’analytique transcendantale de la Critique de la raison pure14, et même s’il a rejeté le dualisme kantien des apparences et de la chose en soi15, il n’en a pas moins posé le principe d’une conscience nouménale, unique et transhistorique, pour fonder son idéalisme absolu16. Plus encore, son concept « perfectionniste » de réalisation de soi est une forme d’impératif catégorique, cette réalisation de soi impliquant que le bien de chacun contient en partie le bien des autres et tenant son universalité de ce principe17. Au fond, même si Green reprend de Hegel l’idée d’un progrès de la liberté et signifie que le but de la réalisation de soi est un idéal moral et politique qui trouve dans l’histoire de la civilisation occidentale le sens de sa progression, il est évident que l’influence de Hegel est indirecte et que c’est surtout chez Kant (et Aristote) qu’il faut trouver l’inspiration principale de Green :
Il n’est pas rare de voir les lecteurs de Green insister sur sa dimension hégélienne. Mais en dépit de la sympathie de Green pour un certain nombre de positions hégéliennes – en particulier l’idéalisme, une vision progressiste de l’histoire, la conception organiciste de la société, et l’importance suprême de la valeur morale et politique de la liberté – sa version personnelle de ces positions et sa façon de les défendre montrent que l’influence directe de Hegel est minime. De plus, plusieurs éléments principaux du perfectionnisme greenien – en particulier son éthique de la réalisation de soi, et le fait qu’elle soit fondée en tant que principe rationnel et comme souci pour le bien commun – révèlent des traces de l’influence d’Aristote et de Kant. Il est peut-être raisonnable de suivre Sidgwick, qui estimait que Green était principalement kantien ou, encore mieux, de se ranger à l’avis de l’étudiant de Green, D.G. Ritchie, qui suggérait que le moins faux était de dire que Green « avait corrigé Kant à l’aide d’Aristote, et Aristote à l’aide de Kant ».18
Green ayant adopté un point de vue plus kantien et moins hégélien que Bradley, et son idée de la réalisation de soi étant plus universelle et moins centrée sur la communauté que ne l’était l’approche bradleyenne, il est possible d’expliquer que Bradley ait été préféré à Green comme le théoricien principal du mouvement idéaliste, étant donné que ce mouvement s’est consolidé sur les bases d’un hégélianisme plutôt que sur l’œuvre de Kant. C’est par ailleurs ce même néo-hégélianisme qu’évoquait Pierre Dubois dans Le problème moral dans la philosophie anglaise de 1900 à 1950 pour expliquer que la rupture avec la tradition empiriste s’était faite grâce aux Ethical Studies, et pour insister sur le fait que c’est la philosophie de Bradley, profondément hégélienne dans cet ouvrage, qui doit servir d’étalon pour mesurer les évolutions de la philosophie morale en Angleterre19.
L’influence directe de Ethical Studies au moment de sa parution
14On considère habituellement que Ethical Studies a entraîné une révolution dans le domaine de la philosophie morale et instauré la domination idéaliste et néo-hégélienne dès sa publication, offrant à Bradley le prestige d’une reconnaissance précoce dans son rôle de porte-parole du mouvement néo-hégélien britannique. Cette inscription dans le néo-hégélianisme semble une évidence pour tous, tant la facture de l’ouvrage reprendrait et les concepts centraux de Hegel et sa méthode dialectique. Ces deux points si répandus dans la vulgate bradleyenne doivent être examinés : d’une part, il semble que Ethical Studies, lors de sa parution, n’a pas été aussi influent que ses interprètes ont pu le penser20, et d’autre part que la qualité « hégélienne » de l’ouvrage et le fait que Bradley ait été un hégélien confirmé mérite d’être nuancé.
15L’examen des références à cette œuvre dans Mind dès les premières années suivant sa parution ne confirme pas la thèse forte de l’influence de Ethical Studies dès sa parution. En effet, on ne trouve que la recension de Sidgwick du livre de Bradley dans le dernier numéro de Mind de 1876 ; et en-dehors de la réplique de Bradley à la recension de Sidgwick suivie de la réponse de ce dernier, seul Sidgwick a évoqué l’œuvre de Bradley dans le numéro suivant21. Un seul auteur évoque le pamphlet de Bradley, Mr. Sidgwick’s Hedonism22 dans le deuxième numéro de Mind23 en 1877 et il faut ensuite attendre la publication de Principles of Logic en 1883 pour voir réapparaître des références à Bradley dans Mind. Il est donc possible que l’ouvrage de Bradley ait fait l’objet de discussions fréquentes dans la période qui a suivi sa publication, et qu’il ait permis de consolider la position des idéalistes qui se retrouvaient dans son attaque hégélienne de l’hédonisme utilitariste, mais la reconnaissance académique de son influence n’est pas attestée comme on aurait pu s’y attendre, si tant est que l’on maintienne la thèse forte de son influence déterminante dès 1876. Paradoxalement, on pourrait même alléguer l’idée que c’est Sidgwick qui lui a permis de se faire connaître de la scène philosophique de l’époque.
16En l’occurrence, la publication de The Methods of Ethics en 1874 avait été très remarquée et elle avait suscité de nombreuses réactions : les travaux de Bradley, en tant qu’ils représentaient une opposition philosophique avérée contre l’empirisme hédoniste, ont donc pu bénéficier d’une forme de reconnaissance particulière. On peut donc convenir que c’est justement cette opposition à Sidgwick qui a valu à Bradley et au mouvement néo-hégélien d’être reconnus par le public philosophique comme une force d’opposition novatrice, surtout après l’échange d’arguments entre les deux philosophes et la publication de Mr. Sidgwick’s Hedonism en 1877. George Croom Robertson, alors rédacteur en chef de Min d notait, dans sa présentation d’un énième article sur le livre de Sidgwick :
En dépit du fait que beaucoup d’espace a déjà été consacré dans Mind à la critique de l’ouvrage de M. Sidgwick, je n’ai aucune hésitation à produire l’article suivant dans la mesure où il apporte un point de vue original. L’intérêt que continue de susciter The Methods of Ethics, démontré encore récemment par la parution de l’opuscule de M.F.H. Bradley (Mr. Sidgwick’s Hedonism, King & Co.), est un fait notable de la philosophie anglaise actuelle, et il est important que ce fait soit consigné comme il se doit dans les pages de cette revue.24
Alfred Barratt, l’auteur de l’article en question, a laissé une note sur le problème de l’égoïsme, qui distinguait (et rapprochait) son propre point de vue de celui de Bradley. Il suggérait que si Sidgwick avait élaboré une suite d’arguments qui, pour finir, justifiaient l’égoïsme (c’est-à-dire que l’hédonisme était au final une défense de l’égoïsme), Bradley en avait conclu que c’était justement l’égoïsme qui discréditait l’hédonisme de Sidgwick, et l’hédonisme tout court, quelles que soient ses métamorphoses ou ses interprétations25. Compte tenu de l’antipathie grandissante contre l’égoïsme du laissez-faire qui se jouait dans la civilisation victorienne à l’époque, il est possible de justifier a posteriori l’influence de la position de Bradley et de son point de vue philosophique dans les années qui ont suivi26.
17Après avoir analysé le premier point concernant la lecture rétrospective de l’ouvrage, et qui avait trait à l’importance de son influence au moment de sa parution, il est nécessaire de se tourner vers la lecture qui a interprété ce texte comme un ouvrage profondément hégélien.
18En fait, la préface de Principles of Logic (1883) nous permet de comprendre que l’importance attribuée à l’hégélianisme de Ethical Studies est vraisemblablement due à une lecture rétrospective. En outre, cette préface signale une tension perceptible dans le livre de Bradley ; elle reconnaît sa dette envers Hegel27 et donc indirectement son insertion dans le mouvement néo-hégélien qui triomphe dans les années 1880, même si Bradley reste circonspect quant à l’existence d’une « école hégélienne » en Angleterre28, mais elle laisse aussi entendre qu’il avait commencé à s’émanciper de la philosophie hégélienne29, ce que son œuvre ultérieure réalise précisément, en parfaite connaissance de cause ; c’est aussi l’avis de R. Mackintosh, qui écrivait au début du vingtième siècle :
La seule remarque préliminaire que l’on ait besoin de faire, c’est que l’hégélianisme britannique n’est pas un phénomène statique mais un mouvement de pensée vivant, et que plusieurs de ses représentants font preuve d’une transformation si ce n’est d’une dissolution de leurs doctrines hégéliennes originelles. C’est très net chez un des plus forts d’entre-eux, F.H. Bradley. M. Bradley a longtemps protesté de l’existence d’une école hégélienne chez nous. Selon notre acception de ce mouvement, elle existe, et M. Bradley a été un de ses champions ; mais il cesse – s’il n’a pas tout à fait cessé – de figurer dans ce cadre, quand bien même sa pensée révèle un développement d’un grand intérêt sur des questions fondamentales de la métaphysique.30
Damian Ilodigwe31 a défendu l’idée selon laquelle l’éthique de Bradley dans Ethical Studies et ses travaux sur la logique dans Principles of Logic expriment les principes préliminaires et implicites de sa métaphysique de l’absolu, qu’il défend de façon explicite dans Appearance and Reality. Il explique que Bradley, dans sa préface à Principles of Logic, avait émis l’intention de continuer son œuvre de refondation de la philosophie anglaise en proposant de renouveler le discours philosophique en Angleterre, en s’opposant à la philosophie dominante qui y règne par une réflexion et un travail de fond intégrant la pensée d’auteurs non-anglais (allemands en l’occurrence)32, reprenant par là-même sur le plan de la logique le travail qu’il avait entrepris dans Ethical Studies, et commenté à la fin de son premier essai33. C’est donc comme si Principles of Logic consistait en une continuation du projet dans lequel s’inscrit Ethical Studies34 en le portant sur le terrain de la logique, Ilodigwe (mais aussi de nombreux autres commentateurs avant lui) a estimé que les principes de cette opposition à la philosophie orthodoxe de l’époque et de l’orientation générale de ses propres choix en direction d’une conception orientée par l’idéalisme allemand (et notamment hégélien) consistaient en un socle intellectuel à partir duquel Bradley aurait conçu les développements de sa propre philosophie, avant qu’il ne les énonce clairement dans Appearance and Reality. Il est donc possible d’établir qu’une reconstruction rétrospective de son apport à la philosophie de son temps ait été menée par ses laudateurs, au vu de la fortune ultérieure de ses écrits métaphysiques, plus construits et plus denses que Ethical Studies.
19L’enjeu d’une surestimation de l’influence hégélienne dans Ethical Studies due à une illusion rétrospective est bien de déterminer l’originalité réelle de Bradley dès les débuts de son activité philosophique. C’est un des points fondamentaux qu’il nous faudra examiner dans la lecture suivie du texte de notre auteur. Cette surestimation possible est encore renforcée par l’attention majeure qui a été portée au cinquième de ses essais, « My Station and its Duties », et qu’il nous faut examiner maintenant.
L’importance démesurée attribuée à l’essai « My Station and its Duties »
20Dans Ethical Studies, Bradley n’entend pas seulement comprendre et exposer la nature de la moralité, il déborde aussi de son sujet en établissant les bases d’une réflexion sur le rapport entre la moralité, la philosophie et la religion. En réfléchissant sur l’être de la moralité, Bradley pose des questions qui engagent une interrogation sur la nature de la réalité35 : ce sont des aspects de son livre qui ont été régulièrement abordés par la critique. Par exemple, un point souvent étudié est la conception du sentir (feeling) que Bradley développe déjà pour effectuer une critique générale de la notion d’expérience et du soi (self), centrales dans ses écrits métaphysiques ultérieurs36. Cependant, pour des raisons de contexte, quelques essais ont été mis en valeur pour ce qu’ils contenaient philosophiquement parlant, et certains passages ont connu un réel écho politique et social quelques années après la publication de l’ouvrage, suggérant l’idée d’un Bradley conservateur. C’est notamment le cas de sa position concernant la conception organique de l ’État et la problématique du conformisme communautariste dans l’essai intitulé « My Station and its Duties », considéré comme si central dans le livre qu’il esquisserait la position définitive de Bradley en matière d’éthique. Cette interprétation remonte à la lecture que Sidgwick avait faite du livre dans sa recension et qui, finalement, ne s’est pas contentée de présenter Bradley au public, mais aussi de l’enfermer dans une interprétation très limitée en l’accusant de dogmatisme et de propagande37.
21Pour le résumer simplement, le modèle dialectique construit par Bradley dans Ethical Studies tel qu’il a souvent été présenté consisterait, en introduction, à observer les conceptions ordinaires de la morale de son temps et à voir comment les positions philosophiques orthodoxes en vogue ont choisi de répondre à la question de la responsabilité, fondamentale pour la philosophie morale (Essai I : « The Vulgar Notion of Responsibility in Connexion with the Théories of Free-will and Necessity »), puis à montrer que le problème de la moralité nécessite de partir du principe qu’elle dépend de la notion de réalisation de soi (Essai II : « Why Should I be Moral ? »). Bradley examinerait ensuite, pour prouver que ces conceptions sont partielles, partiales et inadéquates en l’état (pne-sided, non-consistenf), l’utilitarisme hédoniste (Essai III : « Pleasure for Pleasure’s Sake ») et l’idéalisme kantien (Essai IV : « Duty of Duty’s Sake ») pour les dépasser et résoudre dialectiquement le problème de la réalisation de soi en une synthèse finale (Essai V : « My Station and its Duties »), typiquement hégélienne, qui articulerait son propre point de vue sur l’éthique. Il est particulièrement révélateur que les essais suivants (Essai VI : « Ideal Morality », Essai VII : « Selfishness and Self-Sacrifice ») et la conclusion (« Concluding Remarks ») n’ont été que très rarement intégrés dans la démarche dialectique de Bradley et qu’ils ont été généralement présentés comme une réflexion sur une conception génétique du soi (self)38 et sur l’idée que la moralité ne peut se résoudre que dans la religion.
22Une telle présentation de la philosophie morale de Bradley dans Ethical Studies ne rend pas justice à la dialectique de l’ouvrage dans sa totalité, et Richard Wollheim remarquait déjà au début des années 1960 que cette réflexion dialectique ne s’arrêtait pas avec le cinquième essai mais continuait de fonctionner jusqu’au bout de l’ouvrage, contrairement à ce que la lecture Sidgwickienne de l’œuvre de Bradley avait suggéré39. En réalité, la position arrêtée dans « My Station and its Duties », où le point de vue hégélien est indubitable (et souligné comme tel sans réserve par tous les commentateurs), n’est pas jugée entièrement satisfaisante40 par Bradley qui, dès le chapitre suivant sur la moralité idéale, commence à se défaire de l’emprise hégélienne en mettant en place une réflexion sur le feeling et sur la genèse du soi où percent des dissonances, et en émettant l’idée qu’il est impossible de résoudre les contradictions de la moralité autrement que dans la sphère religieuse, par l’union du divin et de l’humain41. La suite de Ethical Studies, à partir de « Idéal Morality », élabore ainsi un point de vue où Bradley prend ses distances par rapport à Hegel, qui n’attribuait pas à la religion la place que lui accorde Bradley et qui, au contraire, conférait une importance à la philosophie pour déterminer l’Absolu que Bradley n’a jamais pu accepter.
23La question du rapport de Bradley à la philosophie hégélienne est alors moins ambiguë, et il convient dès lors de considérer que la thèse de son hégélianisme doit être remise en question dans la mesure où il commence dès Ethical Studies à développer une position personnelle qui s’en démarque : si Bradley emprunte à Hegel des éléments essentiels de sa philosophie, il n’est donc pas possible d’affirmer pour autant qu’il est entièrement hégélien dans la mesure où la composition de son ouvrage opère précisément un dépassement original de la position hégélienne, pour changer de perspective, en direction d’un point de vue qui cherche à se construire.
24Cette question est importante et Damian Ilodigwe a fort justement insisté sur la nécessité de restituer à Bradley l’espace qui est le sien dans sa lecture de Hegel, et qui ne peut se réduire, malgré ses nombreux emprunts, à une transposition de Hegel en langue anglaise. En fait, on remarque que Bradley, outre son utilisation de la méthode dialectique, réutilise de nombreux développements hégéliens comme ceux que l’on trouve dans l’exposé que fait Hegel de la philosophie de l’esprit, dans la troisième partie de l’Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé42, où est expliqué le passage de l’esprit subjectif à l’esprit absolu, via l’esprit objectif, dont les paragraphes concernant la vie éthique (« les bonnes mœurs ») ont si fortement imprimé leur marque dans « My Station and its Duties ». Or, Ilodigwe insiste sur l’importance cruciale de l’Essai VI (« Idéal Morality ») et des « Concluding Remarks » dans la constitution d’une ontologie bradléenne authentique qui, contrairement à la philosophie hégélienne, n’accorde pas à la philosophie une priorité sur la religion pour déterminer l’Absolu. Ce faisant, Ilodigwe a sérieusement attaqué de nombreux commentateurs de l’œuvre de Bradley, qui ont volontairement laissé ces essais de côté pour se focaliser sur « My Station and its Duties », et déployer ainsi leurs interprétations de la philosophie de Bradley pour servir leurs propres desseins philosophiques43. Qui plus est, Ilodigwe a aussi stigmatisé la tradition de lecture analytique et néo-positiviste de la philosophie de Bradley, qui s’est contentée de le rejeter en même temps que Hegel lorsqu’il s’est agi de décrier les prétentions de la métaphysique, ainsi qu’une tradition hégélienne continentale qui, ne jurant que par Hegel, n’a jamais considéré Bradley que comme un sous-Hegel44. Il existe effectivement une unité de l’œuvre de Bradley, non-réductible à des lectures orientées et simplificatrices, et Ethical Studies en est un point nodal.
Ethical Studies dans l’œuvre de Bradley
25Il importe en outre de signaler deux points importants pour tempérer toute lecture qui insisterait sur le holisme social de Bradley, ou qui chercherait à mettre exclusivement en évidence les motifs métaphysiques de Ethical Studies appelés à une postérité métaphysique d’envergure dans ses ouvrages ultérieurs. Tout d’abord, son objectif est purement spéculatif et non pratique :
Tout ce que la philosophie se doit de faire, c’est de « comprendre ce qui est » ; et la philosophie morale doit comprendre la morale existante, non pas la concevoir ou donner des indications pour en créer une.45
Ensuite, Bradley n’est pas seulement conscient de ne pas faire reposer son éthique sur une métaphysique totalement constituée, il revendique également la possibilité de réfléchir à la question de la moralité sans recourir, précisément, à une métaphysique :
Comment peut-on prouver que la réalisation de soi est la finalité ? Il n’y a qu’une seule façon de le faire. Cela consiste à savoir ce que l’on entend par « soi », « réel », « réaliser », et « fin » ; et à avoir quelque chose comme un système métaphysique pour dire que cela revient à exposer ce système. Au lieu de faire remarquer, donc, que nous manquons de place pour développer nos vues, commençons par avouer franchement que, à proprement parler, nous n’avons pas de telles vues à développer, et que nous ne pouvons donc pas prouver notre thèse. Tout ce que nous pouvons faire, c’est expliquer en partie, et chercher à être plausible. C’est une formule que nos essais successifs satisferont d’une certaine manière, et que nous recommandons ici par avance au lecteur.46
Afin de recentrer l’étude du livre sur sa continuité dans le projet philosophique initial de Bradley, pour rendre justice à la construction de l’ouvrage, pour en démontrer les mécanismes et connaître l’insertion de son projet à la fois dans le contexte intérieur de la rationalité subjective de Bradley et dans les circonstances de son époque, il faut revenir sur les étapes de sa conception et sur la procédure qu’a suivie Bradley pour réfléchir sur la nature de la moralité sans essayer nécessairement de faire le lien avec sa philosophie future, même si cette question est aussi importante47. Or, ce recentrage est capital car il montre que si Bradley tente de clarifier des notions qui lui importaient dans ses premiers écrits, il suit un cheminement qui ne se satisfait pas de résultats simples l’amenant à une position stable mais cherche en permanence à comprendre la finalité des choses.
26À cet effet, il est utile de passer par les propres jugements de Bradley sur Ethical Studies pour montrer que son attitude générale est commandée par une authentique quête de la vérité, alliée à un certain perfectionnisme. Bradley a presque toujours été très critique vis-à-vis de ses propres travaux, et Ethical Studies ne déroge pas à cette règle ; il est donc nécessaire de reprendre la chronologie de ses réactions connues concernant l’éventualité de procéder à une réédition de l’ouvrage pour tenter de comprendre son attitude.
27En 1881, il expliquait à sa sœur, Marian de Glehn, qu’il ne concevait que dégoût pour son ouvrage et qu’il devrait écrire un autre livre si on lui demandait de préparer une nouvelle édition48, et en 1886 qu’il ne répudiait pas le livre ni ne s’opposait à une réédition mais pensait encore qu’il lui fallait le ré-écrire totalement49. Pourtant, dans Appearance and Reality (1893), il estimait que le livre continuait d’exprimer son opinion :
Mes Ethical Studies de 1876, un livre qui continue globalement d’exprimer mes opinions, contient une discussion complémentaire sur plusieurs points. Concernant mes idées sur la nature du plaisir, du désir et de la volition, je me dois de renvoyer au numéro 49 de Mind. Mon précédent volume aurait pu être réédité, si je n’avais exprimé le désir de le réécrire. Mais j’estime que la parution d’autres ouvrages, ainsi que le déclin de ces superstitions contre lesquelles il était essentiellement dirigé, m’ont laissé libre de choisir ou non de le reprendre.50
Mais il rejette à nouveau une requête pour une réédition de Ethical Studies en 1901 :
J’ai écrit un livre sur l’éthique il y a longtemps & mon éditeur me demande de le re-publier, avec ou sans révisions. Cette idée me rend malade. J’ai voulu répondre : suis-je donc un chien qui ré-ingurgite son vomi ? Mais j’ai juste répondu que je ne pouvais pas.51
Enfin, dans la préface de Essays on Truth and Reality (1914), il signale son intention de re-publier ses premiers ouvrages et regrette en 1920 que Ethical Studies soit épuisé, vu le rôle historique qu’il a pu jouer, et réitère son intention de le faire réimprimer en y intégrant quelques notes52, ce qui sera finalement fait, après sa mort (survenue en 1924), grâce à l’activité éditoriale de Marian de Glehn et de Harold Joachim (en 1927).
28Que penser de cette série de volte-faces apparentes, et des réticences de Bradley à préparer une seconde édition à son volume, sachant qu’il a promptement travaillé à une réédition de Appearance and Reality et que la seconde édition de Principles of Logic a fait l’objet d’un travail considérable qu’il a mené pendant de très longues années, signe qu’il ne s’opposait pas par principe à retravailler sur ses œuvres, et qu’il mettait même un point d’honneur à fournir des explications détaillées sur sa propre philosophie ?
29Il semble que Bradley se soit principalement intéressé à mettre en place un système des premiers principes, à fonder une métaphysique donc, avec la publication de Principles of Logic. On pourrait penser qu’il fait preuve de modestie et qu’il s’estime insatisfait de son œuvre de jeunesse, qu’il pense qu’elle est immature du fait qu’elle n’intègre pas encore de système métaphysique, et que produire une œuvre sur l’éthique qui soit entièrement satisfaisante nécessite un travail de fond qui n’est pas encore achevé. Mais on peut ajouter que la tâche de Bradley pour y parvenir était immense au vu de la situation à la fois de la métaphysique et de la philosophie morale en Angleterre à son époque, et qu’il est compréhensible qu’il ne se soit pas senti totalement satisfait par ses premiers travaux, en ce qu’ils étaient des étapes, posant des jalons importants certes dans sa philosophie ultérieure, mais des étapes malgré tout, pendant lesquelles il lui a été nécessaire d’emprunter à des systèmes philosophiques différents et non authentiquement britanniques pour construire progressivement une philosophie originale répondant aux défis de son temps.
30Comment devient-on philosophe ? Dans Les Présupposés de l’Histoire critique et « Relativity », Bradley s’est interrogé sur les présupposés des débats intellectuels de son époque car il jugeait qu’il n’existait encore aucune métaphysique stable et cohérente, aucun système de pensée harmonieux qui aurait permis de donner un sens aux conflits philosophiques qui s’y jouaient, et donc de lui fournir une direction de pensée dans laquelle réfléchir à son tour. Étant donné son constat de l’incapacité de la pensée anglaise de son temps à ordonner les événements et les débats apparaissant dans un contexte de révolution des valeurs, Bradley s’est senti obligé d’entreprendre une réflexion philosophique radicale. Ce sentiment d’obligation, cette vocation ne se fait jamais jour sous la forme d’une décision brutale, formulée d’un coup en termes parfaitement rationnels à la suite d’une délibération clairement consciente. Nous n’avons pratiquement pas d’éléments biographiques sur le cheminement psychologique de Bradley, mais il nous semble possible, au vu des œuvres produites, des remarques éparses de l’auteur lui-même, de quelques lettres et de rares témoignages, de reconstruire l’hypothèse suivante.
31Certes, dans ses études Bradley est reconnu, passe pour un étudiant prometteur : lui-même est pris par le tourbillon enthousiaste d’un mouvement informel qui pense que son heure est venue puisqu’il se sent seul en possession des moyens de résoudre les problèmes de son temps. Il a à cœur de produire des œuvres qui feront avancer la cause qui est la sienne : mais il ne peut savoir si ce qu’il produit sera de qualité, si l’appétit qui est le sien, si les intuitions qu’il ressent feront de lui un excellent commentateur, ou peut-être un métaphysicien de la taille de ceux qu’il étudie et dont il se met à l’école tout en éprouvant qu’ils ne donnent pas, malgré leur grandeur, toute satisfaction quant aux problèmes du temps. Lorsque l’on écrit des œuvres dans ce contexte, on attend de son propre travail tant le fait qu’il soit utile à la progression des idées dans le débat que celui qu’il nous fournisse des confirmations sur son propre niveau, des informations sur sa capacité à résoudre les problèmes qui se posent. Bradley est déçu par ses Présupposés de l’Histoire critique : il constate sans doute qu’il manifeste une capacité à produire des analyses nouvelles, et son entourage lui fait peut-être quelque compliment en ce sens. Mais de toute évidence cela manque d’ampleur, cela ne répond pas au exigences du moment. Il entreprend en même temps des travaux sur des projet plus ambitieux, comme celui portant sur la relativité de la connaissance, mais il est clair que l’ambition ici dépasse ses moyens actuels.
32Avec Ethical Studies, sans aller jusqu’à dire qu’il réussit un coup de maître, du moins atteint-il un point qui justifie une foi en soi-même et l’autorise à se consacrer à plus difficile, même si cela demande du temps. Car tout de même, sept ans séparent cet ouvrage de Principles of Logic, sept années de travail où il ne produit rien d’important, où l’on attend sa participation. La réussite de Ethical Studies était indispensable pour s’autoriser moralement ce long temps de latence : par la valeur de ce texte, le Fellow qu’il était avait justifié de son devoir et légitimé le fait que pour faire mieux encore, pour aller plus loin, il fallait prendre le temps. Cela explique son attitude vis-à-vis de ce premier ouvrage. De toute évidence, il est insuffisant. Si par rapport aux œuvres futures, il présente déjà des avancées, c’est en quelque sorte en creux, par les directions qu’il dessine, par celles qu’il refuse. Mais d’un autre coté, il est possible d’éprouver pour ce premier essai réussi une certaine tendresse. Devant l’absence d’une métaphysique satisfaisante, devant le simplisme de la « philosophie populaire », il avait été conduit à définir de façon temporaire des théories, plausibles pour reprendre le terme qu’il employait. Sans pour autant qu’il ne s’y soit limité et qu’il l’ait suivi à la lettre, son choix méthodologique de suivre Green dans ses premiers travaux en demandant à la philosophie idéaliste allemande de fournir les outils intellectuels qui manquaient avait donné des résultats. Ethical Studies représente de ce point de vue un aboutissement de sa première période, en même temps qu’il propose une ouverture vers des travaux plus intensément dirigés vers la métaphysique, en sympathie avec l’hégélianisme mais cherchant aussi à s’en distinguer pour se réaliser dans une philosophie originale. Le fait qu’il soit devenu sceptique quant à l’utilité d’une réflexion sur la moralité comme réalisation de soi, tant il pensait que « la réalisation par l’individu de son idée du bien ou de la perfection » était une idée ambiguë53, et qu’il se soit concentré sur les recherches en psychologie et en logique quand il s’est mis à travailler sur Principles of Logic est bien l’indice de sa séparation progressive de l’hégélianisme et de la démarche en quelque sorte sceptique qui allait se renforcer par la suite.
33Il nous faut noter ici que le détachement qui s’opère en Bradley vis-à-vis de cette première œuvre, et qui va parfois jusqu’à l’expression d’un dégoût. aura été facilité par ce que le débat de l’époque aura fait de ces thèses. Par la controverse, la polémique suscitée, on peut avancer que l’esprit du temps aura en quelque sorte confisqué l’ouvrage à l’auteur, l’insérant dans une vie de l’esprit où Ethical Etudiés a presque suivi une carrière autonome, échappant à son créateur qui le laisse d’autant mieux s’échapper qu’il s’intéresse moins à lui, ce qui est patent puisque le thème de l’éthique n’est plus central par la suite pour Bradley, s’il l’a même jamais été. C’est cette vie de l’ouvrage dans le contexte de l’époque qu’il nous faut examiner maintenant.
Une « époque éthique »
34Pour Stefan Collini, la constitution d’une identité culturelle autour de la question de la moralité a été cruciale dans la période victorienne tardive, et elle s’est construite sur la base d’un rejet des doctrines fondées sur l’individualisme et grâce à l’influence croisée de l’idéalisme et de la pensée évolutionniste54. La bibliographie pléthorique qu’il donne est l’indice que la réflexion sur la moralité dans cette période est prise au sérieux, peut-être même plus que les autres domaines de la philosophie, ce qui pourrait être de nature à fournir une justification supplémentaire au fait que Bradley ait écrit un livre sur les problèmes de l’éthique avant de s’atteler à ses travaux métaphysiques. Le problème moral est directement lié au déclin des morales traditionnelles, et un courant de critique récent mis en valeur par le « Bradley revisionist movement » a estimé que l’idéalisme a joué un rôle essentiel comme mouvement de réaction contre ce que James Allard a appelé la « crise de foi victorienne ». Mais il semble bien que cette influence n’ait été qu’un aspect de la formidable agitation intellectuelle de cette période, car les réponses à cette crise ont débordé l’influence exclusive des idéalistes pour régénérer la croyance religieuse.
35La création de « sociétés éthiques »55 est aussi contemporaine de ce déclin, et l’extension de ce mouvement a contribué à renforcer la situation de conflit des interprétations dans le contexte de « révolution des valeurs ». Leur but a été de rechercher de nouvelles théories du bien moral différentes de la morale chrétienne traditionnelle, voire de jeter les bases d’un ordre moral qui s’imposerait au monde entier, où morale ne rimerait pas avec religion ; un idéal moral séculier donc, en connivence avec les idéaux positivistes du dix-neuvième siècle, et globalement en accord avec l’idée comtienne d’une Religion de l’Humanité56. Comme l’expliquait Henry Sidgwick dans un discours que nous avons déjà évoqué, un des objectifs de ces sociétés était de rechercher une alternative à la doctrine chrétienne orthodoxe (« pour libérer l’idéal actuel sur ce qui est bien de tout ce qui n’est que traditionnel et auto-contradictoire, et ainsi de l’élargir et de le perfectionner »57) pour réintroduire le facteur moral à tous les niveaux de la société et préserver l’ordre social. En 1906, les sociétés éthiques anglaises étaient au nombre de 46 ; leur influence n’a commencé à décliner qu’après la première guerre mondiale, et elles ont cherché en particulier à instaurer un ordre collectif dominé par une morale générale renouvelée, même si leur connotation libérale implicite continuait d’attirer l’attention sur le développement moral individuel et non sur des mesures collectivistes de réforme sociale.
36La « déferlante éthique » de l’époque est donc minée par un conflit de théories qui, par ses enjeux sociaux et politiques débordant le cadre limité d’une réflexion sur la foi, a réclamé une résolution à laquelle la philosophie morale ne pouvait que difficilement parvenir. L’idée selon laquelle la moralité est un processus de réalisation de soi qui implique une attitude visant entre autres un certain conformisme moral, une idée que Bradley a partiellement défendue dans Ethical Studies, et qui allait devenir un des axes majeurs de la réflexion éthique dans les années 1880, n’en était encore qu’au stade de gestation dans les esprits en Angleterre. Précisément, l’horizon axiologique de ce que lan Mackillop a appelé T « époque éthique » (ethical epochi)58 s’est constitué sur la base d’un développement du concept de nation, où la reconfiguration de l’idée de moralité est passée par une attention accrue pour la notion d’une unité de la collectivité, renforcée à tous les échelons de la société, à commencer par l’institution progressive d’un système éducatif national59. On conçoit donc mieux dans quelle mesure la philosophie éthique de Bradley a pu exprimer le sens de son époque ; qu’il est, de ce point de vue, compréhensible historiquement parlant, et cela permet aussi de justifier l’importance que Ethical Studies a pu avoir pour toute une génération de philosophes.
37Il est conventionnel d’évoquer l’apparition d’un « Tournant Social » dans « l’imagination morale des victoriens »60, qui aurait débuté vers 1875 ; cela coïncide avec la publication du livre de Bradley, qui est donc bien, avec d’autres, à l’initiative de ce tournant qui s’amplifie à partir des années 1880. Cette expression a été utilisée pour rendre compte de la prise de conscience générale de l’importance de la moralité dans une société qui peinait à s’adapter aux transformations profondes des structures physiques, institutionnelles et intellectuelles d’un monde agricole vers un monde industriel. Le résultat principal de ce tournant a consisté en une remise en cause du libéralisme du laissez-faire, une opposition à l’utilitarisme et notamment à l’éthique de la réalisation personnelle qui s’exprimait dans Self-Help (1859), le célèbre livre de Samuel Smiles :
L’intervention de l’État était alors devenue un fait accepté ; le vrai problème, c’était la transition du capitalisme libéral au capitalisme de monopole qui se mettait alors en place. Face à une croissance urbaine et institutionnelle sans précédent, qui semblait avoir bouleversé les structures précédentes de cohésion sociale, Bosanquet a tenté de prouver qu’il existait une réelle « logique spirituelle » sous-jacente, garantissant l’unité sociale et la communauté de son idéal moral.61
Si l’accroissement de la législation dans le domaine social et industriel est un des indices directement observables de ce tournant, sur le plan moral il a aussi signifié une antipathie obsessionnelle grandissante à l’encontre de l’égoïsme, et une préoccupation pour la façon d’engendrer des motivations morales adéquates chez les individus. Structurée au départ par la dualité égoïsme / altruisme chez les positivistes, la jonction de la question morale et de l’importance de la collectivité a été favorisée par les nouvelles modes intellectuelles qu’étaient le darwinisme social et l’idéalisme philosophique62.
38Pour mettre en évidence une singularité « collectiviste » dans cette période, indexée sur la montée en puissance de l’idée d’État-nation, et insister sur la crise rencontrée par la conception individualiste de la morale, Collini a utilisé la division globale, par A.V. Dicey, de l’histoire des idées politiques en trois grandes périodes (« Old Toryism » jusqu’aux années 1830, « Benthamism » jusqu’en 1870, et « Collectivism » ensuite)63 et il a appuyé l’idée selon laquelle la domination de l’utilitarisme sur la pensée politique anglaise avait marqué le pas à la mort de J.S. Mill (1873), que les prémisses de la critique individualiste de l’État telles qu’elles avaient été établies dans On Liberty (1859) avaient commencé d’être discréditées. Il y a comme un paradoxe dans le fait que Mill ait fini par être traité comme un libéral passé de mode à partir des années 188064, puisqu’il avait lui-même été un farouche opposant à l’égoïsme. En l’occurrence, Mill avait estimé, dans Utilitarianism (1861), que c’était l’égoïsme qui était responsable des difficultés rencontrées par la société britannique, que l’avenir appartenait à une humanité qui avait le sens des intérêts collectifs65 et qui devait faire disparaître ses sentiments égoïstes derrière ses sentiments sociaux. De fait, Mill ne faisait que reproduire ce que Collini appelle « le problème Adam Smith »66, lequel avait écrit à la fois un livre qui justifiait l’égoïsme et la maximisation de l’intérêt individuel (Wealth of Nations) et un autre qui louait la compassion humaine (Theory of Moral Sentiments). En réalité, l’insistance de Mill sur la liberté individuelle, et le fait qu’il se soit attribué le rôle de champion de l’individualisme67 a contribué à ce que la réaction contre l’égoïsme se soit attaquée aux idées qu’il défendait.
39Paradoxe ? Contradiction ? Il reste que Mill a été la cible privilégiée de Bradley, et derrière l’œuvre de Mill se profilent la position hédoniste et les difficultés de la philosophie morale à trouver une solution aux conflits d’interprétation de la période. On peut avancer l’hypothèse que l’orthodoxie utilitariste, encore puissante quand Ethical Studies a été publié, avait commencé à souffrir d’une remise en cause progressive, juste avant que Bradley n’introduise sa réflexion sur la nécessité de penser la moralité sur le plan du collectif et n’infléchisse le cours de ses essais en direction d’une réhabilitation du sens religieux dans l’existence. C’est en ce sens que l’on peut dire, ayant à l’esprit que l’évolution de la société de l’époque allait se faire en direction d’un engouement pour l’action collective et pour l’idée d’État, que l’œuvre de Bradley a anticipé le renouveau de la réflexion morale, et n’a pas maigrement contribué, contre la philosophie empiriste et utilitariste, à la refondation de la philosophie morale, sur des bases idéalistes, et hégéliennes.
40Notre perspective dans l’analyse des premières œuvres de Bradley était de comprendre, grâce à l’étude d’un auteur particulier, pourquoi et comment une philosophie étrangère (l’hégélianisme particulièrement, et plus généralement l’idéalisme allemand du début du dix-neuvième siècle) était apparue comme le recours nécessaire pour que la philosophie britannique, un demi-siècle plus tard, sorte d’une impasse. La double réussite de Ethical Studies, – d’une part c’est son premier ouvrage achevé qui travaille longuement, exhaustivement, sur plus de trois cents pages, sur un thème fondamental, d’autre part c’est un ouvrage qui connaît un succès réel dont les effets dépassent dans la durée celui de la controverse ponctuelle qu’il suscite – justifie l’analyse détaillée que nous proposons de conduire maintenant afin de voir ce qu’il en est précisément de ce recours à une métaphysique, certes importante, mais datée et qui en Allemagne même avait perdu de son influence au profit d’un retour au kantisme.
Notes de bas de page
1 « Si Ferrier a découragé les lecteurs par l’allure compacte de sa synthèse et par la hautaine assurance de sa déduction, à l’inverse, c’est plutôt par son allure fragmentaire et inachevée que l’œuvre de John Grote était condamnée à attirer peu de disciples », Jean Pucelle, L’Idéalisme en Angleterre de Coleridge à Bradley, op. cit., p. 75.
2 Ibid., p. 83.
3 ES, p. viii-ix. Pucelle établit implicitement une tradition qui relie Coleridge, Ferrier, Grote, Green et Bradley sur la question de l’éthique (voir p. 82-83).
4 Muirhead, The Platonic Tradition..., op. cit., p. 228-229.
5 PAP, p. 231. Il semble qu’il faut entendre par ce terme de « logique » ce que Hegel y mettait lui-même, c’est-à-dire plus que la logique traditionnelle et donc surtout la métaphysique. Bradley poursuit ici le dessein de Green, qui désirait « saturer » les anglais avec des idées venues d’Allemagne : « Il estimait qu’il était primordial de saturer les anglais avec des idées allemandes – de tenir bon sur les qualités solides et essentielles de l’esprit anglais en matière de politique et de piété, mais de leur imprimer aussi une vigueur et une intensité renouvelée, de les adapter à une Begriffsphilosophie » (lettre de J.A. Symonds à Mme Green, datée du 10 octobre 1882, citée par Melvin Richter dans The Politics of Conscience, T.H. Green and His Age, op. cit., p. 91).
6 Ce que l’on retrouve en revanche dans la préface de Ethical Studies (ES, p. viii-ix) est une version plus circonstanciée, même si, une fois ces notes à l’esprit, on comprend que l’essentiel y a été retenu : la référence à la philosophie de Hegel : « [...] des conceptions vieilles de plus d’un demi-siècle et dont la négligence compte pour beaucoup, il [l’auteur de la préface] en est convaincu, dans l’impossibilité de trouver une solution » ; le jugement selon lequel la philosophie morale en Angleterre n’est pas à un niveau satisfaisant : « [...] nombre d’idées fondamentales désormais en vogue à l’heure actuelle en Angleterre sont confuses et même fausses » ; et le rôle d’éducateur qu’il entend assumer : « [...] s’ils [les essais] apportent quelque élément nouveau dans le chaos de notre littérature philosophique, ils seront de quelque utilité pour ceux qui étudient ».
7 Cf. ces remarques de J.S. Mackenzie dans sa recension de la seconde édition de Ethical Studies : « Il est presque sûr que ceux qui manifestent quelque intérêt pour la philosophie l’ont lu ou l’auront lu. Il est bien connu, au moins, que ce livre a été le premier dans lequel la conception hégélienne de la vie morale a été présentée au public anglais sous une forme claire et intéressante, et où les conceptions anglaises courantes ont été critiquées à partir de cette perspective. Il était généralement admis que les précédents écrits de Hutchison Stirling manquaient de lucidité et d’envergure, et les travaux importants de Green en matière d’éthique n’avaient pas encore été publiés » ; (Mind, NS Vol. 37, n° 146, avril 1928, p. 233). Peter Nicholson insiste aussi sur l’importance de Ethical Studies pour comprendre toute la philosophie politique des idéalistes britanniques (« Bradley’s Theory of Morality », The Political Philosophv of the British Idéalists, op. cit., p. 6).
8 Jean Pucelle, L’Idéalisme en Angleterre de Coleridge à Bradley, op. cit., p. 243.
9 Henry Sidgwick, « A Critical Notice of F.H. Bradley, Ethical Studies », Mind, OS 1/4. 1876, p. 545-549.
10 Ibid, p. 549.
11 Richard Wollheim, « Introduction », ES, p. xiii-xiv.
12 En fait, Prolegomena to Ethics est la publication posthume (Green meurt en 1882) des conférences de Green à Oxford en 1877, un an après la publication de l’ouvrage de Bradley (Cf. MacKillop, The British Ethical Societies, op. cit., p. 3). Une fois encore, leur publication tardive explique l’importance de Ethical Studies, qui a donc été le premier livre des idéalistes sur la question éthique. On ajoutera que Green avait lu le manuscrit de Ethical Studies et qu’il en avait admiré la teneur dans une lettre adressée à Bosanquet en juillet 1876 (Cf. David O. Brink, « Introduction », T.H. Green, Prolegomena to Ethics, édité par David O. Brink, Oxford, O.U.P., 2003, p. xciii, note 62).
13 Ibid., voir pages xciii-xcvi. David O. Brink est revenu sur ce qui opposait Green et Bradley dans un article plus récent (« Self-Realization and the Common Good : Thèmes in T.H. Green », in William Mander & Maria Dimova-Cookson (dir.), T.H. Green : Ethics, Metaphysics, and Political Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 2006). Il estime que la position de Green concernant l’égoïsme psychologique est plus claire et plus critique que celle de Bradley (note 7 p. 22), que Green a emprunté à Bradley le thème central de « My Station and its Duties » (p. 36), et que Bradley a mieux développé que Green la question des éléments personnels et non sociaux de la réalisation de soi (p. 39 note 24). Pour une autre étude des points communs et des différences entre Green et Bradley, voir la conclusion de l’article de Peter Nicholson « Bradley’s Theory of Morality », The Political Philosophy of the British Idealists, op. cit., p. 49-51.
14 Prolegomena to Ethics, op. cit., § 11-12 (p. 15-17).
15 Ibid., § 30-34 (p. 34-39).
16 Ibid., § 67-72 (p. 76-83). Pour la doctrine de l’« eternal mind », voir les § 174-178.
17 Ibid., § 232 (p. 271-273).
18 Ibid., p. lxxviii-lxxix. J.S. Mackenzie a aussi souligné les limites de l’hégélianisme de Green dans son article « The Hegelian point of View » (Mind, NS vol. XI, 1902, p. 57). De même, James Bradley a insisté sur le fait que la métaphysique de Green devait plus à Kant et à Fichte qu’à Hegel, voir « Hegel in Britain, ... », op. cit., p. 13.
19 Pierre Dubois, Le Problème moral dans la philosophie anglaise de 1900 à 1950, Paris, Vrin, 1967. Voir notamment l’avant-propos et l’introduction, les remarques sur l’œuvre de Bradley étant disséminées dans le reste de sa thèse de doctorat et se rapportant essentiellement à ce qui est écrit en introduction.
20 C’est notamment ce que Damian Ilodigwe a cherché à montrer dans les premières pages de son livre Bradley and the Problematic Status of Metaphysics : In Search of an Adéquate Ontology of Appearance, op. cil., p. xvi-xvii. L’influence de Ethical Studies est patente à partir des années 1890, comme on peut le constater au vu de la place faite à l’éthique de Bradley dans les manuels de philosophie morale de l’époque (celui de Muirhead, Elements of Ethics [1892], et de MacKenzie, Manual of Ethics [1893], ont connu de nombreuses éditions).
21 F.H. Bradley, « Notes and Discussions : Mr. Sidgwick on Ethical Studies », Mind, OS 2/5, 1877, p. 122-126 ; « Hedonism and the Ultimate Good », ibid., p. 27-38.
22 F.H. Bradley, Mr. Sidgwick’s Hedonism : An examination of the main argument of The Methods of Ethics, Londres, Henry S. King, 1877, réédité dans les CE, p. 71-128.
23 Alfred Barratt, « The “Suppression” of Egoism », Mind, OS 2/6, 1877, p. 167-186.
24 Ibid., p. 167 (note).
25 Ibid., p. 186.
26 Voir Stefan Collini, Public Moralists : Political Thought and Intellectual Life in Britain (1850-1930), op. cit., p. 65 et suivantes. Il est à noter que Collini remarque que l’opposition à toute forme d’égoïsme est une tradition philosophique qui remonte à Hobbes et qui s’est développée à l’aune du mouvement évangélique pour connaître un caractère obsessionnel à partir de la période victorienne tardive.
27 « Je n’ai aucune intention de cacher ce que je dois à ses écrits ; mais je laisse à ceux qui seront meilleurs juges que moi le soin de fixer les limites dans lesquelles j’ai pu le suivre ». PL, p. x.
28 « Quant à l’“École hégélienne” dont on parle dans nos revues, je ne connais personne qui l’ait rencontrée ailleurs que dans celles-ci ». Ibid.
29 « Je ne pouvais pas accepter ce qui semblait être son principe central, ou au moins une partie de son principe ». Ibid.
30 R. Mackintosh, Hegel and Hegelianism, Edinburgh, T & T Clark, 1903, p. 88-89. Il ajoute (note 2 p. 88) que Ethical Studies est d’inspiration nettement hégélienne, et dans les pages suivantes que c’est surtout à partir des Principles of Logic que Bradley s’est vraiment émancipé de la pensée hégélienne.
31 Damian Ilodigwe, Bradley and the Problematic Status of Metaphysics : In Search of an Adequate Ontology of Appearance, op. cit. Ilodigwe reprend la thèse de Rudolf Kagey (The Growth of F.H. Bradley’s Logic, New York, s.e., 1931) selon laquelle la métaphysique de Bradley était déjà développée dans Ethical Studies, et même abordée dans Les Présupposés de T Histoire critique. Il est nécessaire d’ajouter que l’implicite n’est pas l’explicite, comme le remarque Ilodigwe ; et il existe des différences dans l’approche bradleyenne de l’absolu entre ces premiers écrits et Appearance and Reality, que nous avons discutées dans les chapitres précédents : elles sont dues pour l’essentiel au fait que Bradley ne pouvait, dans ses premières œuvres, disposer des connaissances et de la maîtrise technique dont témoignent ses œuvres ultérieures.
32 « Ce que nous voulons à présent, c’est déblayer le terrain : de telle sorte que la philosophie anglaise, si elle devait prendre son essor, n’étouffe pas sous les préjugés [...] Et cette étude ne pourra que tourner court si nous négligeons ces conceptions qui, parce qu’elles sont étrangères, nous semblent si différentes des nôtres... ». PL, p. x.
33 « [...] Si nous ne sommes pas capables de nous en tenir à l’opinion commune, ni de donner de la voix dans la querelle opposant nos deux grandes écoles, il se pourrait bien qu’il nous soit profitable de nous souvenir que nous vivons sur une île, et qu’il se peut que notre esprit national, si nous ne l’élargissons pas, devienne également insulaire ; non loin de chez nous se trouve un monde de pensée qui, dans toute sa variété, ne ressemble ni à l’une ni à l’autre de nos deux philosophies, mais dont les batailles esquissent la bataille de la philosophie elle-même contre deux unilatéralités opposées et étemelles ; il s’agit d’une philosophie qui pense ce que l’opinion commune croit ; une philosophie, pour finir, que nous avons tous réfutée et que, maintenant que nous avons la conscience tranquille, quelques-uns d’entre nous pourraient entreprendre de comprendre ». ES, p. 41. On ajoutera que ce travail, qui fonde comme nous l’avons vu sa rationalité subjective depuis sa décision de se vouer à l’étude philosophique est donc aussi manifeste depuis Les Présupposés de l’Histoire critique et ses écrits sur la « relativité de la connaissance » ; mais compte tenu du fait qu’il ne commence véritablement à se faire connaître de la scène philosophique de son époque qu’avec la publication de Ethical Studies, il est logique que l’on accorde plus d’importance ici à la continuité de son travail depuis ce dernier ouvrage jusqu’à Principles of Logic. En outre, et c’est un point sur lequel il est nécessaire d’insister, Bradley a constamment critiqué l’attitude généralement anti-spéculative de son époque ; en l’occurence, et il est bien possible que le passage que nous venons de citer s’y réfère indirectement, G.H. Lewes avait dénigré la philosophie de Hegel, tout particulièrement dans la troisième édition de son livre The History of Philosophy front Thales to Comte (1870), que Bradley a lu vraisemblablement en 1873-74.
34 Pour souligner la continuité de son œuvre de Ethical Studies à Principles of Logic, on remarquera que les articles qu’il écrit dans la période qui sépare ces deux ouvrages ont pour objet l’éthique et non encore la logique ou la métaphysique : « Is Self-Sacrifice an Enigma ? », Mind, OS 8/30, 1883, p. 258-260 ; « Is there such a Thing as Pure Malevolence ? », Mind, OS 8/31, 1883, p. 415-418 ; « Sympathy and Interest », Mind, OS 8/32, 1883, p. 573-575.
35 llodigwe fait le point sur cette question dans un appendice consacré à Ethical Studies, « The Dialectical Structure of “Ethical Studies” », Bradley and the Problematic Status of Metaphysics, op. cit., p. 437-473.
36 Voir notamment, parce que son article est souvent cité, David Crossley, « Feeling in Bradley’s Ethical Studies », in Philip MacEwen (dir.) Ethics, Metaphysics and Religion in the Thought of F.H. Bradley, Queenston, The Edwin Mellen Press, 1996, p. 122- 178 ; mais aussi cet ouvrage en entier, consacré à la philosophie morale de Bradley, ainsi qu’au livre qui a ressuscité l’intérêt des chercheurs sur cette philosophie morale : Don MacNiven, Bradley s Moral Psychology, Queenston, The Edwin Mellen Press, 1987.
37 Henry Sidgwick, « Critical Notices : Ethical Studies. By F.H. Bradley », op. cit., p. 545. Sidgwick a contribué sans le vouloir à faire reconnaître l’importance de la philosophie de Bradley, mais il ne faut pas oublier qu’il l’a considéré comme un adversaire et que sa recension, dont les termes sont parfois violents et peu amènes, a tenté de le discréditer dès le départ auprès de la scène philosophique anglaise. On remarquera que Sidgwick a gardé en mémoire la polémique qui l’a opposé à Bradley et a continué à critiquer sa philosophie indirectement, même s’il n’a pas daigné répondre à l’opuscule de Bradley Mr. Sidgwick’s Hedonism lors de sa parution. Dans un discours devant les membres de la London Ethical Society, dont il était président, Sidgwick a insisté sur la nécessité d’ouvrir le travail des sociétés éthiques à des non-experts en philosophie morale, arguant du fait que les hommes ordinaires n’avaient pas besoin des sophismes de certains philosophes qui ne faisaient qu’entretenir la confusion, mais qu’ils avaient par contre besoin de l’avis d’experts en psychologie, en logique, en sociologie, etc. de véritables philosophes donc, s’investissant plus dans la société de leur temps que dans la vaine spéculation. En bref, il fallait selon lui revenir à la moralité du sens commun (the Morality of Common Sense) du fait que l’homme ordinaire avait une bonne connaissance des devoirs qui lui incombaient compte tenu de sa situation sociale. On ne peut s’empêcher de penser que Sidgwick pensait à Bradley en évoquant l’image du philosophe sophiste et embrouillé, et qu’il s’attaquait notamment à l’hégélianisme de l’Essai V de Ethical Studies, « My Station and its Duties », dans ce discours, justement intitulé « My Station and its Duties » (International Journal of Ethics, Vol. IV, n° 1 , Oct. 1893, p. 1-17 : voir notamment les pages 9 à 11). En réalité, Sidgwick donnait du philosophe une image à laquelle Bradley ne pouvait souscrire : voir à ce sujet les remarques de MacKillop sur cette conférence (MacKillop, The British Ethical Societies, op. cit., p. 6). En revanche, Sidgwick est resté en très bons termes avec Green, pourtant un idéaliste très critique de l’hédonisme et de l’empirisme ; le fait qu’ils aient fait leurs études en même temps à Rugby, et qu’ils aient été tous les deux des membres du parti libéral peut permettre de comprendre leur respect mutuel.
38 C’est particulièrement le cas du livre de Don MacNiven, Bradley s Moral Psychology, op. cit., qui considère que les quatre stades de développement moral de l’individu (egotistical hedonism, institutionalism, personalism, religious-mystical) sont le modèle principal de Ethical Studies (voir sa classification résumée en appendice, pages 246- 248). Voir également l’article de James Bradley « Process and Historical Crisis in F.H. Bradley’s Ethics of Feeling », in Philip MacEwen, Ethics, Metaphysics and Religion in the Thought of F.H. Bradley, op. cit., p. 53-90, qui insiste sur l’importance du concept de processus dans la constitution du soi.
39 Richard Wollheim, « Introduction », ES. p. xv. Il faut remarquer que Sidgwick avait également insisté dans sa recension (« A Critical Notice of F.H. Bradley, Ethical Studies », op. cit., p. 548) sur le fait que Bradley énonce, à partir de l’Essai VI (« Idéal Morality »), des idées qui minimisent la position de l’Essai V (« My Station and its Duties ») ; mais ce point semble être passé inaperçu, à moins que l’on ne considère, comme Stewart Candlish, que Wollheim a mis en évidence l’insistance de Sidgwick sur l’Essai V en arguant du fait que la dialectique de Bradley continue au-delà de cet essai, ce en quoi il aurait eu tort. Cf. Stewart Candlish, « Bradley on My Station and its Duties », Australasian Journal of Philosophy, Vol. 56, n° 2, août 1978, p. 155-156.
40 « Dans notre critique du point de vue développé dans l’essai V, nous avons vu – bien que la doctrine principale de cet essai demeure vraie – qu’elle n’est pas suffisante pour répondre à la question “Qu’est-ce que la moralité ?” Guidés donc par cet échec partiel, nous devons tenter de trouver une solution moins unilatérale », ES, p. 214.
41 Pour une analyse de détail des caractéristiques de la métaphysique à venir de Bradley à partir de Ethical Studies, voir Ilodigwe, « The Dialectical Structure of “Ethical Studies” », op. cit.
42 « Troisième partie : Philosophie de l’esprit », in Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, Paris, Gallimard (trad. Maurice Gandillac), coll. Bibliothèque de philosophie, 1970.
43 Une édition abrégée de Ethical Studies, excluant les essais II, VI et VII a même été publiée : Ralph G. Ross (dir.), Ethical Studies : Selected Essays, New York. Liberal Arts Press, 1951.
44 Voir la conclusion de son appendice « The Dialectical Structure of “Ethical Studies” », in Bradley and the Problematic Status of Metaphysics, op. cit., surtout les pages 472- 473.
45 ES, p. 193.
46 Ibid., p. 65. C’est aussi en ce sens qu’il avait conçu son travail dans Les Présupposés de l’Histoire critique. Bien entendu, on peut aussi lire cette remarque comme l’annonce d’un programme de travail que se serait fixé Bradley.
47 Ce point a été, nous semble-t-il, suffisamment analysé par Ilodigwe dans son ouvrage. On se reportera aussi à ces articles, qui soulignent l’importance métaphysique de Ethical Studies : David Bell, « The Insufficiency of Ethics », The Philosophy of F.H. Bradley, Anthony Manser & Guy Stock (dir.), Oxford, Clarendon Press. 1984, p. 53-76 ; David Crossley, « Self-Realization as Perfection in Bradley’s Ethical Studies », Idealistic Studies, Vol. 7, n° 3, sept. 1977, p. 199-220.
48 Carol A. Keene, The Collected Works of F.H. Bradley, op. cit., Vol. 4 « Selected Correspondance », p. xxiii.
49 Ibid.
50 AR, p. 402, note 1. L’article auquel Bradley fait référence est « On Pleasure, Pain, Desire and Volition », Mind, OS 13/49, 1888, p. 1-36. Voir aussi le chapitre XXV (« Goodness ») en entier, où il laisse entendre que l’ouvrage continue de représenter son opinion concernant son opposition à l’hédonisme.
51 Lettre à G.F. Stout du 24 mai 1901, in Carol A. Keene, The Collected Works of F.H. Bradley, op. cit., Vol. 4 « Selected Correspondance », p. 197.
52 Ibid., p. xxiv.
53 The Collected Works of F.H. Bradley, op. cit., Vol. 3, p. 127. Voir aussi Carol A. Keene, dans le Vol. 4, p. xxiv.
54 Stefan Collini, Public Moralists, op. cit., p. 324-325. Voir notamment les chapitres 2 (« The Culture of Altruism ») et 8 (« From Dangerous Partisan to National Possession : John Stuart Mill in English Culture »).
55 Voir à ce sujet le livre de lan Mackillop, The British Ethical Societies, op. cit. En préface de son livre, MacKillop regrette de n’avoir pu insister sur l’influence de Bradley, une véritable source d’inspiration pour les idéalistes du mouvement éthique (voir p. vii), même s’il donne un ensemble d’indications utiles pour comprendre les voies par lesquelles ses idées sur l’éthique ont pu avoir une incidence sur le développement de la London Ethical Society en particulier. En l’occurrence, on apprend que la cheville ouvrière de cette société, Muirhead, a appuyé ses convictions idéalistes conservatrices sur l’essai V de Ethical Studies (p. 86), et que Bosanquet, un des piliers de la société à ses débuts, s’est précisément engagé dans l’action sociale concrète après avoir lu l’ouvrage de Bradley et décidé qu’il ne pourrait rien écrire de mieux dans ce domaine (p. 91).
56 On peut bien entendu tempérer cet idéal par les tonalités idéalistes conservatrices et anti-socialistes de la London Ethical Society, qui s’est de ce fait opposée aux autres sociétés éthiques de la période ; mais la dominante de cette société semble être restée dans les limites du libéralisme (Cf. MacKillop, The British Ethical Societies, op. cit., p. 92), même si le projet était de lui insuffler une nouvelle vitalité en puisant dans les traditions de pensée anglaise autant que dans l’ouverture intellectuelle pratiquée par l’introduction de Hegel dans les universités. C’est d’ailleurs pour relater l’âme de cette aventure intellectuelle que Muirhead a écrit son livre sur la tradition platonicienne dans la philosophie anglo-saxonne (The Platonic Tradition in Anglo-Saxon Philosophy, op. cit.) et pour insister sur le fait que l’impact de Hegel dans la société anglaise de l’époque avait surtout été le fait de l’action des universitaires : sur ces deux points, voir MacKillop, pages 95 et 82 respectivement.
57 Henry Sidgwick, « My Station and its Duties », op. cit., p. 5. On peut considérer Sidgwick comme une des personnalités marquantes de ce mouvement de sociétés éthiques en Grande-Bretagne (voir surtout son livre Practical Ethics : A Collection of Addresses and Essays, Londres, Swan Sonnenschein and Co, 1898 pour la présentation de ces sociétés, œuvrant pour « l’élévation et la purification de la vie sociale » [Préfacé, p. 5]). La lecture de ces discours permet de mieux comprendre à quel point Bradley, dans sa conception organiciste de l’État, dans l’importance qu’il accordait à la religion révélée, et surtout dans l’idée purement spéculative qu’il se faisait de la philosophie morale, ne pouvait que s’opposer aux conceptions éthiques, sociales et philosophiques de Sidgwick.
58 MacKillop, The British Ethical Societies, op. cit. : il s’agit du premier chapitre « Ethical Epoch », p. 3-40. Voir aussi les pages 84-92 pour comprendre comment la conception organiciste de la société centrée sur l’État-nation plutôt que sur l’individu s’est imposée grâce aux idéalistes, contre la pensée utilitariste dans ce domaine (notamment The Science of Ethics de Leslie Stephen [1882] et The Man versus the State de Spencer [1884]), et les penseurs de la Fabian Society (voir p. 31).
59 Le Elementary (Forster) Education Act date de 1870. Il convient de préciser que l’influence de Green, notamment de son texte « Lectures on Political Obligation », publié en 1885, a accompagné la montée en puissance de l’intervention étatique, et de ce qui a été appelé le « socialisme éthique » dans le Nouveau Libéralisme anglais. Voir à ce sujet le livre de Matt Carter, T.H. Green and the Development of Ethical Socialism, Exeter, Imprint Academic, Green Studies vol. 1, 2003, qui reprend et confirme la thèse de l’influence de Green, non seulement sur le socialisme chrétien mais aussi sur le socialisme britannique dans son ensemble, et celui de Maurice Chrétien (dir.), Le Nouveau libéralisme anglais, Economica, 1999, qui étudie aussi les œuvres de Leonard Trelawny Hobhouse et de John Atkinson Hobson dans ce contexte.
60 Cf. « The Social Gospel and Radicalism », in Denys Leighton, The Greenian Moment : T.H. Green, Religion and Political Argument in Victorian Britain, op. cit., p. 229 passim.
61 James Bradley, « Hegel in Britain », op. cit., p. 15.
62 Stefan Collini, Public Moralists, op. cit., p. 64-65.
63 Ibid., p. 326.
64 Ibid., p. 324.
65 Ibid, p. 68-69.
66 Ibid., p. 67.
67 Ibid., p. 68.
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