Chapitre II. Les années d’étudiant : l’entrée en idéalisme
p. 59-98
Texte intégral
1Bradley entre à University College, à Oxford en 1865 : il a dix-neuf ans. En choisissant Oxford, et ce collège en particulier, Bradley s’est plié en quelque sorte à une tradition familiale : son demi-frère George Granville Bradley avait été nommé Fellow de University College en 1844, et auparavant, son père avait suivi des études à St Edmund Hall. Par ailleurs, Francis Herbert avait auparavant été élève à Marlborough College, la Public School où George Granville exerçait les fonctions de directeur : qu’il ait suivi le conseil de son frère pour entrer à University College apparaît donc tout à fait plausible. Peut-être même que sa nomination en 1870 comme Fellow de Merton a aussi pu dépendre de l’appui de George Granville Bradley, voire de l’influence de réseaux particuliers du fait de l’appartenance du père de Bradley au groupe de Clapham, et de sa notoriété dans le mouvement de la Haute Église anglicane (Samuel Wilberforce, né à Clapham et membre le plus éminent de la Haute Église dans les années 1860, était évêque d’Oxford), mais il nous faut admettre que ce ne sont là que des conjectures. Cependant, le fait que Bradley fasse ses études à cet endroit correspond à une logique conforme à l’éducation que se devait de poursuivre le fils d’une famille intégrée dans des réseaux influents de l’époque ; et c’est aussi à cette logique que son frère Andrew s’est conformé peu de temps après lui.
2Il est difficile de dire quand Bradley a pris la décision de faire de la philosophie. Même s’il avait, selon les commentateurs, commencé à lire Kant dans le texte alors qu’il était encore à Cheltenham College (il a quitté ce collège pour Marlborough en 1861), nous disposons de trop peu de renseignements sur cette période de sa vie pour retracer un quelconque itinéraire philosophique avant son entrée à University College. Or, l’université d’Oxford, à l’époque, était encore dominée par un enseignement traditionnel, et l’étude de la philosophie ne s’effectuait vraiment que pendant les Literae Humaniores (Greats), après les Classical Moderations (Mods), centrés sur l’enseignement des auteurs antiques. Les travaux de Bradley dans cette période ont été par conséquent fortement influencés par la facture résolument classique des études à Oxford, et ils n’ont véritablement pu s’ouvrir à la philosophie contemporaine que grâce à la petite révolution opérée par T.H. Green au début des années 1860, qui a permis à la philosophie anglaise de commencer à se détacher de son insularité et de son classicisme, même si la permission d’illustrer la pensée des auteurs classiques par des auteurs modernes et contemporains avait été accordée depuis les années 1830 :
Le second changement important apporté en 1830 a été la permission de citer des auteurs modernes pour « illustrer » le sens des auteurs antiques, « si besoin est » [...] Le résultat le plus significatif de ce changement s’est fait sentir dans le domaine philosophique : il a signifié que l’enseignement philosophique des Greats pouvait finalement porter sur l’étude de questions philosophiques en tant que telles et non pas se réduire à l’étude textuelle et historique de ce que les auteurs antiques avaient à dire sur tel ou tel sujet.1
Un jeune homme de dix-neuf ans qui se destine à la philosophie à cette époque se retrouve devant un certain nombre de possibilités quant à la direction que ses études pourraient prendre. Il peut se diriger vers des études érudites, mais un tel choix ne semble pas correspondre au caractère de Bradley. Il peut être amené à choisir entre des courants dominants à l’époque, mais soit ils souffrent d’une absence totale de reconnaissance sur la scène internationale, soit ils se réduisent au courant matérialiste et scientiste illustré par le nom de Spencer, ou l’utilitarisme empiriste de la psychologie de Bain et de la logique de Mill2. Ou bien alors, il peut se tourner vers l’étoile montante d’un idéalisme enthousiaste et vigoureux, incarné à l’époque par T.H. Green, et rendu manifeste grâce à son influence sur les étudiants de la génération de Bradley. C’est bien entendu dans cette troisième voie que Bradley a choisi d’inscrire sa réflexion et d’orienter sa pensée.
Des travaux marqués par une solide formation classique
3De ses débuts philosophiques avant qu’il ne commence à écrire Les Présupposés de l’ Histoire critique, certains textes ont été conservés et récemment publiés par La Thoemmes Press3. Il s’agit pour l’essentiel (car tous n’ont pas encore été édités4) de notes de cours, de listes de lectures et de vingt-deux dissertations écrites entre 1865 et 1869, pour la plupart en rapport avec l’enseignement de T.H. Green, dont Bradley a vraisemblablement suivi les cours de 1866 à 1867.
4L’examen de la liste des livres et des auteurs dont on est sûr qu’il les a lus5 révèle la nette tendance classique des études à Oxford. Outre Platon et Aristote, on trouve Eschyle, Aristophane, Démosthène, Hérodote, Thucydide, Tite-Live et Virgile, Lucrèce, Marc-Aurèle et Diogène Laërce. On dénombre également quelques œuvres d’auteurs modernes comme Descartes, Spinoza, Hobbes, Locke, Hume, Berkeley, Kant, Joseph Butler, ainsi que trois ouvrages de Hegel au moins (Leçons sur la philosophie de l’histoire, Phénoménologie de l’esprit et Principes de la philosophie du droit), et certaines œuvres d’auteurs plus contemporains, parmi lesquels on notera Bentham, Carlyle, Darwin, Mill, Paley, Spencer, Stirling et Whewell6.
5Carol Keene remarque que Bradley a aussi lu beaucoup de poésie anglaise dans cette période, avec une prédilection pour Shelley, et qu’il a entamé la traduction de nombreux poètes en anglais parmi lesquels on dénombre Goethe, Heine et Schiller, mais aussi Catulle, Lucrèce, Ovide, Virgile et Sophocle. Cette remarque en appelle une autre, formulée dans la préface à ce premier volume d’inédits de Bradley : Bradley a traduit de la poésie pendant toute sa vie, et cela a représenté au final une activité particulièrement substantielle en volume. La littérature, ou l’émotion artistique, a signifié beaucoup plus pour Bradley qu’un simple divertissement :
Un certain nombre des frères Bradley ont eu en commun un amour de la poésie. Granville, un ami intime de Tennyson, clamait souvent des poèmes devant sa famille [...] Les frères Bradley – F.H., A.C., et John Hebert, ont témoigné de leur intérêt pour la poésie en traduisant des poèmes latins et allemands. Dans un cahier, compilé par A.C., on trouve environ une quarantaine de traductions, faites entre 1866 et 1868, contenant cinq traductions de A.C., une seule de John Hebert, du fait de son décès prématuré, et le reste effectuées par F.H. [...] Après la mort de Bradley, Mme de Glehn a offert le cahier des frères à H.W. Garrod, fellow de Merton, spécialiste en lettres classiques et auteur de plusieurs ouvrages sur les poètes anglais, et il a trouvé que les traductions de Bradley dénotaient une très grande sensibilité. Il a aussi révélé qu’il savait que Bradley avait continué ce type d’activité vers la fin de vie. Mais ces traductions, principalement de Goethe, Mme de Glehn a préféré les conserver.7
Bradley confirme l’importance de l’émotion esthétique en l’associant à la métaphysique dans l’introduction d’Appearance and Reality (« [...] lorsque le crépuscule n’aura plus de charme, alors la métaphysique sera sans valeur »)8, et il est donc nécessaire de signaler, avant même d’aborder l’étude des travaux philosophiques de Bradley, que l’horizon esthétique ne doit pas être négligé dans son œuvre, même si l’ensemble de ses écrits se sont centrés sur la logique et la psychologie, l’histoire, la métaphysique et l’éthique. Outre sa qualité d’écriture et la précision de sa langue philosophique qui témoignent de son activité de traducteur et de son amour des lettres, c’est cet horizon qui explique également son insertion intuitive dans le siècle.
6La liste des auteurs classiques qu’il étudie pendant ses premières années à Oxford est impressionnante. Même si ses notes sur les cours d’histoire de la philosophie grecque de Green n’ont pas (encore) été éditées, la lecture de ses textes disponibles montre qu’il possède une solide connaissance non seulement des auteurs classiques principaux, mais aussi des différentes écoles philosophiques de l’antiquité. On remarque aussi que Bradley s’est confronté directement aux textes grecs et latins, comme en témoignent les nombreuses citations grecques et latines qui parsèment ses travaux. Cela faisait bien entendu partie des pré-requis pour les Literae Humaniores que de maîtriser le grec et le latin9, mais c’est aussi une constante que l’on observe chez Bradley que de lire directement les œuvres dans le texte, sans passer par les traductions. Cette habitude est importante dans la mesure où Bradley ne s’est pas contenté d’attendre que la traduction des auteurs allemands, si importants au dix-neuvième siècle, soient disponibles pour se mettre à les étudier de façon sérieuse (et il ne faut pas oublier qu’il était lui-même un traducteur de textes latins et allemands). C’est un point qui n’a été que trop peu soulevé par la critique et qui semble déterminant dans la suite de sa carrière.
7On retrouve ainsi régulièrement Platon et Aristote dans ses travaux, mais aussi un très grand nombre d’autres auteurs antiques. Bradley a pu étudier leurs œuvres et reconstituer leur place dans l’histoire de la philosophie à travers sa lecture de Diogène Laërce, mais aussi (et surtout) grâce à la synthèse que T.H. Green avait établie en puisant généreusement dans la deuxième partie des Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel, et présentée dans le cadre de ses cours de philosophie morale et politique. Il est probable que Bradley, qui avait suivi les cours de Green, n’en soit pas resté à la lecture de son professeur et ait aussi directement lu le texte hégélien, comme l’atteste la liste de lecture de Bradley donnée précédemment. Sans entrer dans le détail de tous les auteurs apparaissant dans ses dissertations et ses notes de cours, il semble que Bradley ait étudié les présocratiques à partir des dialogues de Platon et qu’il a acquis une certaine connaissance de la plupart des écoles de l’Antiquité, que ce soient les cyniques et les cyrénaïques, les épicuriens, les sceptiques, les stoïciens ou les néo-platoniciens. On peut en conclure qu’il n’a pas travaillé les textes des auteurs classiques comme des œuvres isolées uniquement, mais qu’il les a étudiés également dans l’histoire du développement de la pensée, et dans le cadre d’une philosophie de l’histoire. Cette façon de lire les auteurs classiques a contribué à assigner une importance singulière à la philosophie de Platon, mais aussi à intégrer une présentation inédite de l’histoire de la philosophie à l’époque, qui ne s’est imposée que très progressivement, grâce à l’influence de l’idéalisme en général et de Green en particulier. En effet, l’étude des auteurs classiques à Oxford a été de plus en plus orientée vers une appréhension proprement philosophique de leurs travaux, et cette étude a été associée à des conceptions philosophiques contemporaines. Cela semble s’être fait graduellement au cours du dix-neuvième siècle, et essentiellement sous l’effet de l’influence idéaliste10.
Des dissertations révélant la tendance classique à Oxford et la nécessité d’une ouverture au monde moderne
8L’importance de la philosophie grecque dans l’enseignement philosophique à Oxford apparaît nettement dans les dissertations de Bradley : sur les vingt-deux qui ont été conservées, dix portent directement sur Platon et Aristote. Selon Carol A. Keene, les cinq premières ont été composées vraisemblablement en 1866, la sixième et la septième en 1867, et les trois dernières entre 1865 et 1869, sans qu’il soit possible de les dater de façon plus précise11 :
- « Relations of Moral and Political Virtue according to Plato and Aristotle »
(1866) - « Compare the Views of Plato, Aristotle (and Butler) on the Conceptions of the Good » (1866)
- « Plato and Aristotle’s Theory of Punishment » (1866)
- « Position of Opinion in the Ethical Systems of Plato and Aristotle » (1866)
- « Aristotle’s Application of Metaphysical and Scientific Ideas to Ethics » (1866)
- « Aristotle’s Conception of the Immortality of the Soul » (1867)
- « Plato and Aristotle in their Relation to the Lower Classes » (1867)
- « Connexion of the Logical and Metaphysical Views in Plato and Aristotle » (1865-9)
- « The Psychology of the Republic » (1865-9)
- « State and Compare the Views of Aristotle and Plato on the Sanctions of Morality and on the Moral Government of the World » (1865-9)
9Quant aux douze autres dissertations, quatre d’entre elles font référence sinon à Platon et à Aristote, au moins à la philosophie grecque ancienne :
- « Is the opposition between Reason and Conscience real ? » (1866)
- « Ancient Approximations to the Political Theory of Hobbes » (1866)
- « Plato’s Communism and Modern Communism » (1867)
- « Contrast Plato’s views on the position of women and population with modern views on the same subject » (1867)
10Enfin, huit échappent à la référence habituelle aux classiques : elles exposent en général une perspective idéaliste, d’inspiration parfois kantienne mais surtout hégélienne, et une opposition franche à l’empirisme et l’utilitarisme modernes :
- « The Contract as a Basis of Morality » (1867)
- « On the Right of the State to Enforce Conscription » (1867)
- « Influence of Forms of Government on Forms of Literature » (1867)
- « Connexion between Law and Philosophy » (1867)
- « A Révolution is a New Idea » (1867)
- « The Legitimate Use of Hypothèses in Science » (1865-9)
- « Nature of Progress Possible in Moral Science » (1865-9)
- « Utility as (1) an End or (2) Standard of Morality » (1865-9)
11On constate, après lecture de ces dissertations, que nombre d’entre elles ont été élaborées sur la base d’une comparaison entre la civilisation antique et la civilisation moderne, et que les huit dernières ne sont donc pas isolées dans un ensemble de travaux principalement centré sur les textes classiques. L’intitulé de certaines de ses dissertations, et leur orientation globale, est le reflet d’une tendance générale au comparatisme, influencée favorablement par les idéalistes, comme nous l’avons entraperçu précédemment. Ce paradigme éducatif semble provenir d’une évolution de l’enseignement à Oxford, qui demandait aux étudiants un effort particulier pour mettre en évidence des rapports ou des contrastes entre la civilisation ancienne et le monde moderne12. Certaines dissertations de Bradley, comme « Ancient Approximations to the Political Theory of Hobbes », « Plato’s Communism and Modern Communism » ou encore « Contrast Plato’s views on the position of women and population with modern views on the same subject », par exemple, indiquent qu’il s’est bien plié à l’exercice. En réalité, il n’y a pas lieu d’être surpris du fait que Bradley établisse aussi des comparaisons entre la Grèce antique et le monde dans lequel il vit et pense, même quand les intitulés ne l’indiquent pas clairement (« Is the opposition between Reason and Conscience real ? », par exemple). La perspective comparatiste en histoire et en philosophie dans les études classiques à Oxford l’a forcément engagé à réfléchir sur la valeur du progrès, ainsi que sur les conditions mêmes de la pratique de l’histoire et de la pensée philosophique, d’autant plus que l’influence de Green et de son exposé laudatif de la philosophie hégélienne ne pouvait que contribuer à accentuer sa réflexion sur la marche de l’histoire.
12Il est difficile de parler de ces dissertations sans commettre l’erreur de l’illusion rétrospective. Il est en effet bien tentant de mettre en évidence tel aspect, telle démonstration ou telle méthode de traitement des problèmes, qui résonne d’une importance singulière dans sa philosophie ultérieure : ne trouve-t-on pas des dissertations dont les arguments sont repris presque intégralement dans Ethical Studies13 ? Ne décèle-t-on pas à l’état embryonnaire un style philosophique qui s’affirmera par la suite14 ? Mais, outre le fait que Bradley ne connaissait pas son destin métaphysique à l’avance, une lecture rétrospective de ses dissertations risquerait d’occulter certaines données importantes de sa gestation intellectuelle, sous-estimer l’influence de Green, et passer à côté de preuves sur l’engouement général pour l’idéalisme à Oxford à partir des années 1860.
13Tout d’abord, il faut bien dire que la qualité de certaines dissertations (surtout les premières) est discutable, tant sur la forme que sur le fond : elles comportent de nombreux éléments descriptifs et sommaires des doctrines philosophiques antiques15, elles n’interrogent pas les écrits les plus difficiles16, et offrent un aperçu quelque peu scolaire et parfois embrouillé du sujet à traiter. Il est possible de dire que la qualité s’améliore avec le temps, que la réflexion se raffermit dans les dissertations ultérieures, mais il faut se rendre à l’évidence : ce n’est pas dans ces travaux qu’il est possible de découvrir les traces de l’œuvre d’un futur grand métaphysicien. Cela appelle tout de suite quelques remarques. En premier lieu, comme les distinctions qu’il obtient pour ses travaux laissent supposer qu’il était un des meilleurs étudiants de sa génération, sa piètre performance signifie que le niveau général des études philosophiques à Oxford n’était pas très élevé. On peut ensuite supposer que Bradley ait conçu assez rapidement qu’il lui serait nécessaire d’effectuer un travail considérable pour se hisser au niveau de la production extraordinaire des philosophes allemands : il avait commencé à les lire et il a sûrement comparé leurs œuvres à ce qui se produisait en Angleterre. Ce dernier point peut aussi aider à comprendre pourquoi il critique tant la philosophie de sa période, notamment l’utilitarisme, et dans quelle mesure l’exercice comparatiste auquel on le conviait lui a permis d’utiliser la philosophie grecque antique et la philosophie allemande contemporaine, deux moments d’intensité philosophique considérable, pour appuyer ses convictions. Enfin, ne pas se laisser aller à une explication à rebours de ses dissertations permet également de mettre en valeur la constance de certains thèmes, la récurrence de certaines observations et l’insistance sur quelques points de doctrine sans se référer autrement qu’à l’influence directe de l’enseignement classique et des acteurs de son époque.
L’importance de l’héritage grec comme horizon de la pensée
14En dépit des oppositions réelles entre Platon et Aristote, qu’il commente dans de nombreuses dissertations, Bradley semble déterminé à souligner leur profonde identité de vue sur un plan fondamental. C’est cette identité, qu’il examine, qu’il compare à l’esprit moderne, et qu’il critique, qui représente à ses yeux la valeur de l’esprit philosophique grec.
15Dans ses deux premières dissertations, par exemple, on remarque que Bradley oppose la vision des deux philosophes sur les questions de la moralité et du Bien, Platon estimant que la perfection morale se situe en-dehors de toute relation avec l’État, alors qu’elle ne se conçoit que par son implication dans le politique chez Aristote17. Bradley va jusqu’à ramasser en un paragraphe la métaphore solaire du mythe de la caverne (La République, 508-9) pour mettre en valeur la nature absolue du Bien chez Platon, et l’opposer à la conception relative qu’en avait Aristote. Essence substantielle absolue existant en soi et pour soi chez Platon, ou engagement dans la relation chez Aristote, le Bien est donc appréhendé de façon différente chez les deux philosophes18. Mais en fait, Bradley insiste surtout sur ce qui les rapproche, comme le montre l’étude sur la vertu comme finalité dans sa première dissertation, et son analyse de la conception grecque du bonheur dans la seconde. Que ce soit l’Idéal chez Platon ou le bien commun chez Aristote, la vertu est une finalité en soi, et elle est présentée chez les deux auteurs comme l’unité du particulier et de l’universel, une harmonie et une totalité qui se retrouvent autant dans l’idéal que chez l’individu vertueux. Et quant à leur conception du bonheur (eudaimonia) Bradley insiste sur ce qui les rapproche, sur l’idée de l’engagement de l’homme dans une activité (praxis) à la recherche de l’unification ultime :
Pour Platon comme pour Aristote, les Eudaimonia humains consistent dans l’exercice de la fonction propre à l’âme ; à l’un comme à l’autre, la connaissance du bien fournit à la fois les normes régulant la vie, et les caractéristiques du but de nos activités ; à l’un comme à l’autre, le Bien pour l’homme consiste à ressembler à Dieu.19
Ce n’est pas non plus ce qui distingue Platon d’Aristote qui apparaît central dans « Plato and Aristotle’s Theory of Punishment », sa troisième dissertation, mais plutôt le contraste entre la façon dont le mal et ses remèdes ont pu être abordés pendant l’Antiquité, et les conceptions modernes de la justice. La punition chez Platon et Aristote renvoie à une conception médicale du mal et des moyens de s’en débarrasser, non à une compensation ou à une revanche, comme c’est le cas dans la civilisation moderne : ainsi, ce n’est pas une amende, une peine donnée pour compenser un tort causé, que l’on découvre chez les penseurs grecs, mais une opération par laquelle les éléments malades sont soignés... ou éliminés. À l’opération chirurgicale directe et radicale chez Platon, Bradley oppose la prophylaxie aristotélicienne, qui élabore une pédagogie en corrigeant peu à peu les imperfections de la volonté humaine. Mais la véritable opposition réside plus dans le contraste entre la conception médicale et spiritualisée des penseurs antiques et la vision des sociétés modernes, qui accordent plus d’importance à la personne humaine20.
16Ne serait-ce que parce qu’il laisse paraître dans ses textes une certaine nostalgie pour l’idéal antique, on se rend compte que la valeur de l’héritage grec pour Bradley se manifeste fréquemment au détour d’une question portant sur la différence entre une conception antique de l’homme, axée sur une conception dynamique de la vie spirituelle, tournée nécessairement vers la vertu, et l’idée moderne de l’homme, plus matérialiste, qui insiste sur la volonté individuelle. Ainsi n’est-il pas surprenant de constater à quel point l’idée moderne de l’individu est relativisée à travers l’exposition des doctrines antiques. Dans « The Psychology of the Republic », par exemple, Bradley cherche à montrer que contrairement à la pensée moderne, qui achoppe sur la question de la personnalité, la question de l’unité de l’âme n’a jamais posé de difficulté dans la pensée grecque :
Bien que le problème de la Personnalité nous soit difficile à appréhender, il est remarquable de voir à quel point nous tenons à cette doctrine en concentrant la personnalité dans la Volonté ; alors que la philosophie grecque ne considère pas que l’unité de l’âme ou la distinction entre le personnel et l’impersonnel fassent difficulté, ou si peu.21
L’idée moderne de l’individu est encore relativisée, voire dénigrée, dans « Plato’s Communism and Modern Communism ». Bradley estime que le fondement de l’opposition entre les deux formes de communisme repose sur une différence d’objectif : il s’agit d’un égalitarisme réducteur dans le but d’améliorer la condition matérielle des individus chez les modernes, alors que Platon, ne croyant pas à l’égalité entre les hommes, valorise au contraire les aptitudes supérieures et vise l’élévation des individus hors du monde sensible. Enfin, Bradley analyse encore un thème proche, la recherche de l’universel en dehors de l’existence de l’individu particulier, dans sa dissertation « Aristotle’s Conception of the Immortality of the Soul » : l’âme est la cause formelle du corps et à ce titre, elle n’est rien sans le corps. S’il faut trouver ce qui est universel. ce qui est indépendant de l’existence particulière et qui survit dans le sujet, c’est dans l’esprit (noûs) qu’il faut le trouver. Seul l’esprit est immortel pour Aristote, et c’est pour Bradley le point qu’il faut souligner dans la philosophie aristotélicienne : aussi n’est-il pas surprenant de constater que Bradley appuie la défaveur de la matérialité auprès d’Aristote, de Platon, et des Hellènes en règle générale. Ainsi, dans « Plato and Aristotle in their Relation to the Lower Classes », il tente de montrer que les points de vue de Platon et d’Aristote sur cette question se ressemblent plus qu’ils ne diffèrent. En effet, les États platonicien et aristotélicien comportent tous les deux un idéal, transcendant chez Platon, et immanent chez Aristote ; et leur attitude vis-à-vis des classes inférieures en découle : quelles que soient leur conception de l’État, les classes inférieures sont soumises chez les deux philosophes à la vérité idéale qui les gouverne, et elles sont maintenues dans leur statut inférieur du fait qu’elles ne bénéficient pas de la formation intellectuelle et morale réservée à l’élite.
17Même si Bradley peut parfois donner l’impression que la vision grecque de l’homme, de l’État et de la philosophie, est préférable à la vision moderne du fait de son aspiration à l’universalité et à l’élévation spirituelle, il n’en souligne pas moins l’impossibilité de leur application contemporaine, ne serait-ce que du fait de l’extraordinaire ascension de l’idée de liberté. La stigmatisation du travail manuel, la division de l’humanité en hommes civilisés et barbares, et éventuellement en esclaves, rend toute proposition politique de ces Hellènes impossible à transposer dans le monde moderne. Chez les Grecs, le soi était entièrement sacrifié à l’Idéal : dans « State and Compare the Views of Aristotle and Plato on the Sanctions of Morality and on the Moral Government of the World », Bradley souligne le fait qu’il n’existe pas chez les Grecs de libre-arbitre, que la volonté est soumise à la nature et n’est que le désir de la raison. Ainsi, le monde est-il gouverné par la morale chez Platon parce que le monde est le travail de la raison, et parce que sa loi et sa finalité est l’idée du Bien. Il en est de même pour Aristote : être moral c’est être en acte ce que l’on est en puissance et passer de la puissance à l’acte est précisément la loi de la nature. La dissertation pourrait donner l’impression de se contenter de valoriser une conception purement formelle des représentations de la vertu chez Platon et chez Aristote, si Bradley n’introduisaitpas la perspective de l’homme moderne, qui centre sa compréhension de la moralité sur son interaction avec la volonté humaine. Le fait est que la question des contenus est devenue plus importante que la question purement formelle.
18C’est ainsi que Bradley en vient à dénoncer l’illusion substantialiste de la pensée antique dans « Connexion of the Logical and Metaphysical Views in Plato and Aristotle ». Il y développe une analyse plus technique de l’épistémologie de la connaissance des penseurs grecs qu’il ne l’avait fait dans « Position of Opinion in the Ethical Systems of Plato and Aristotle » et « Aristotle’s Application of Metaphysical and Scientific Ideas to Ethics ». Son premier but est de montrer qu’il n’existe pas de véritable différence entre la procédure socratique consistant à atteindre la vérité, et les méthodes plus élaborées (et de plus en plus techniques) préconisées par Platon tout d’abord, et par Aristote ensuite. Puis, Bradley s’applique à montrer leur erreur principale, qui consiste pour l’essentiel en une illusion substantialiste et une conception abstraite de la connaissance22. Bradley évoque des processus plus qu’une méthode proprement dite, et distingue deux mouvements en particulier : l’un ascendant, analytique, visant à travers son abstraction une détermination des universaux, et l’autre, descendant et synthétique, cherchant à appliquer, à substantialiser ces universaux. Il semble que Bradley ait surtout voulu défendre le principe de l’universel concret, absent des procédures socratique, platonicienne et aristotélicienne, qui consistent au contraire à séparer l’universel du particulier de façon abstraite :
Mais en réalité, dans la vraie pensée l’analyse et la synthèse sont inséparables ; ce sont les deux aspects d’un même processus, car analyser consiste à déterminer le vague, ce qui ne peut être effectué qu’en le distinguant, et cela implique la synthèse, et inversement23
En insistant sur l’importance des contenus et sur l’exigence d’universalité et de totalité, Bradley ne pouvait que se rapprocher de l’idéalisme allemand, contenant à la fois la critique kantienne de l’illusion substantialiste et la défense hégélienne de l’idée d’universel concret. C’est la deuxième grande direction de ces dissertations, et il importe de souligner le fait que l’idéalisme allemand n’est pas utilisé pour détruire ou minimiser l’héritage grec : Bradley l’utilise pour appuyer son opposition à une conception matérialiste et empiriste de la morale, de la raison, et du rôle de l’État, et pour rendre plus efficace la compréhension des questions de son époque à l’aide de l’enseignement de philosophes qui non seulement en sont plus proches, mais qui en sont également des acteurs.
L’aide stratégique de l’idéalisme allemand
19Une première remarque s’impose : Bradley s’oppose de façon franche à deux conceptions qui ont porté et consacré le triomphe de l’esprit des Lumières, l’idée contractuelle de l’État et la conception matérialiste et empiriste de la moralité.
20Bradley analyse la notion de contrat chez Hobbes dans « Ancient Approximations to the Political Theory of Hobbes ». Les principes de la philosophie politique de Hobbes ne sont pas originaux, explique Bradley, en ceci que les Sophistes avaient déjà commenté les idées de convention et de loi, et donné des raisons pour lesquelles elles avaient été établies. Ce qu’il y a d’original chez Hobbes, et dans la conception moderne du droit, c’est la fondation de la loi sur l’idée de contrat. Bradley prend clairement position contre les déductions de Hobbes : sa doctrine est fausse, historiquement et théoriquement, et elle est absurde24. Comme pour Bradley la validité d’un contrat, d’une loi, provient de ce qu’elle est fondée sur un principe supérieur, il estime que le système de Hobbes ne peut reposer que sur la force.
21L’idée de contrat est encore abordée dans « The Contract as a Basis of Morality », mais à partir de ses justifications dans la philosophie empiriste en général. Dans cette dissertation, Bradley remet en cause l’idée de contrat en ce qu’elle part du principe que la validité de certaines règles morales repose sur l’expérience. Il commence par faire remarquer qu’il n’est pas possible d’établir l’idée de contrat sur la base de fondements historiques, que l’idée d’une égalité des hommes à l’origine de la société est fausse, et que l’unité politique de base est la famille et non l’individu. Il étudie ensuite la cohérence de l’idée de contrat et estime qu’elle repose sur une contradiction puisqu’il est impossible de fonder une règle ou une loi universelle à partir d’une loi empirique. La critique de l’idée de contrat de Bradley se fait donc en parallèle avec une critique de l’empirisme.
22Dans « Nature of Progress Possible in Moral Science », après avoir survolé diverses doctrines morales en cours à son époque pour montrer leurs insuffisances, notamment la théorie du sens moral et l’utilitarisme, Bradley suggère leur dépassement possible par la conception hégélienne, utile selon lui pour établir une finalité en science morale et insister sur la nécessité de l’État :
On trouve une autre théorie, différente des précédentes, qui considère que la finalité n’est pas le Plaisir mais la Liberté, c.-à-d. que l’Activité obéit à sa propre loi. Ceci est réalisé par l’homme rationnel obéissant au Rationnel, et c’est tout simplement parce que ce n’est pas en lui-même en tant qu’individu que ce rationnel existe que cette théorie maintient que pour le développement complet de la Liberté, un État est nécessaire.25
Toute science morale de l’homme doit partir de son activité, et elle passe donc par une intégration de l’homme dans son substrat social26. On retrouve par là-même l’horizon de l’esprit grec, que l’idéalisme allemand s’efforçait de ressusciter au dix-neuvième siècle, et selon lequel l’humanité, soumise à la finalité de la loi morale, est spontanément organisée par la Raison. L’universalité de la morale, l’importance de la Raison, des thèmes plébiscités par la philosophie grecque, se retrouvent ainsi revivifiés par l’idéalisme allemand. On peut alors comprendre que Bradley ait jugé opportun, sinon stratégique, de remettre en question l’empirisme anglais au nom de ce dernier.
23C’est dans cette logique que « Utility as (1) an End or (2) Standard of Morality » expose l’erreur de l’utilitarisme quand il se présente comme une finalité morale, et quand il revendique son pouvoir de fonder la loi morale. Bradley réduit la protestation des utilitaristes modernes, qui refusent qu’on les rapproche de l’utilitarisme ancien, arguant du fait que leur système n’est pas centré sur une conception égoïste de la personne, que le motif qui conduit à la vertu n’est pas selon eux le bonheur de l’agent individuel mais le plus grand bonheur du plus grand nombre. Il montre que ces deux systèmes utilitaristes sont fondés sur le principe du plaisir de l’individu (le seul déterminant de la volonté reste le sentiment subjectif, même s’il s’agit de se sacrifier pour le bonheur de tous), et qu’il ne peut y avoir de distinction qualitative des plaisirs (estimer qu’il existe des plaisirs plus nobles que d’autres, comme préférer la culture de l’esprit aux plaisirs corporels par exemple, c’est confondre le plaisir et ses représentations) ; en outre, ces systèmes sont contradictoires : comment affirmer que la débauche, qui peut être plaisante, est morale ? Bradley montre ensuite que l’utilitarisme repose sur la croyance en une morale a posteriori27, ce qui est impossible. Pour Bradley, qui utilise ici Kant pour critiquer Mill, une règle morale est impérative, universelle, et catégorique :
Une règle morale est Impérative universellement, donc objective, et elle est également catégorique, et s’oppose en cela aux maximes prudentes et aux préceptes pratiques, qui sont subjectifs et hypothétiques.28
Bradley stigmatise également l’idée de l’utilité comme norme morale parce qu’elle serait agréable à Dieu ; c’est-à-dire qu’une action pourrait être considérée comme utile car correspondant à la loi religieuse. Outre le fait que cette conception valorise l’égoïsme car les actions ne seraient entreprises qu’en vue d’un avantage post-mortem (et Bradley visait certainement les évangéliques), il existe également un problème dû au fait qu’il est difficile de savoir exactement ce que désire Dieu, et que toute interprétation peut se valoir dans la mesure où aucune n’est absolument certaine. En résumé, il est donc douteux que l’utilité puisse jamais donner un contenu à la loi morale formelle.
24En critiquant clairement le matérialisme, l’empirisme et une certaine conception du christianisme dans ses dissertations, Bradley semble donc s’opposer résolument à des théories et des doctrines dont l’influence était encore déterminante en Angleterre à son époque. Il n’est pas moins net qu’il utilise la pensée des idéalistes allemands pour le faire et pour suggérer parfois aussi une continuité avec la pensée antique. Deux idées particulières, déjà abordées, méritent que l’on en retrace les échos dans d’autres dissertations : l’importance de la Raison et le caractère fondamental de l’État.
25Dans « Is the opposition between Reason and Conscience real ? », Bradley part de la conception intuitionniste qui oppose la conscience morale à la raison en mettant en évidence sous ses présupposés l’antithèse classique entre moralité spontanée et moralité réfléchie. Il distingue de ce fait une différence de questionnement entre le monde ancien, qui a tenté de réfléchir sur la forme (le why) de la moralité, et le monde moderne qui réfléchit sur son contenu (le what). Selon Bradley, la question du choix est déterminante dans le monde moderne dans la mesure où la conscience morale, qui accepte le devoir comme principe et reçoit les contenus de ce devoir de façon spontanée, fait son choix en dépit des critiques qui peuvent être formulées contre le principe, alors que le monde ancien opposait la volonté subjective réfléchie à la volonté objective incarnée par l’État en réfléchissant sur des contenus donnés par la nature et non pas reçus par une subjectivité libre. Pour comprendre l’importance de la raison dans le processus de la conscience morale et ne pas la reléguer à une simple forme de réflexion, pour résoudre l’opposition entre conscience morale et raison, Bradley propose une explication hégélienne de son rôle dans le monde :
La Raison n’est pas seulement théorique mais elle est aussi pratique et créatrice. Le monde est l’œuvre de la Raison. La Nature a raison inconsciemment. Toutefois, dans la morale inconsciente il y a de la Raison pratique inconsciente. La Raison est l’énergie qui meut le monde vers soi comme finalité. Elle universalise le Désir et la Volonté dans la société et la morale individuelle dans un État [...] Ainsi, la Raison comme Devoir nous donne une forme qui est objectivement universelle et nécessaire, et dans le monde nous trouvons des universaux qui sont le fruit de cette même Raison [...] Si cela est correct, la Conscience en tant que non-réfléchie n’est pas opposée à la Raison mais est la Raison elle-même dans un état inconscient.29
Que la nature obéisse inconsciemment à la Raison est également le point sur lequel Bradley revient dans « Connexion between Law and Philosophy ». Un lien entre le Droit et la Raison ne peut se concevoir que si on envisage l’histoire comme croissance de la Raison :
Mais le rapport entre les deux est visible si l’on regarde l’histoire du monde comme la croissance de la Raison, se manifestant par des étapes successives depuis la Nature inconsciente jusqu’à l’homme conscient : avec le droit comme incarnation de la Raison.30
L’hégélianisme est donc tout aussi manifeste dans cette dissertation que dans « Is the opposition between Reason and Conscience real ? », comme s’il s’agissait pour Bradley de résoudre les oppositions philosophiques auxquelles il a été confronté pendant ses cours, et de trouver une solution à l’endiguement de la volonté subjective grâce à l’apport de la philosophie hégélienne :
En ceci, l’homme s’élève au-dessus de sa volonté subjective et, obéissant à la loi rationnelle en tant qu’elle est donnée ici sous une forme concrète, il fond sa volonté individuelle dans la volonté objective et devient ainsi pratiquement rationnel, et il est donc libre, en tant qu’il est le Rationnel obéissant à sa propre loi.31
L’hégélianisme est encore présent dans « A Révolution is a New Idea » mais il est moins visible, comme si Bradley l’avait suffisamment intégré pour ne plus se sentir obligé de citer des énoncés hégéliens complets. On le retrouve en germe dans l’idée de progrès que défend Bradley dans sa dissertation : le progrès n’est pas réductible à l’idée de révolution dans la mesure où il implique que l’ancien a été absorbé et non annihilé, accompli et non aboli (Matthieu, 5 : 17). Bradley insiste même pour dire que le terme de révolution, connoté négativement, consisterait en une dimension exclusivement négative du progrès, qu’il serait uniquement destruction et négation de l’ancien, alors que le terme de progrès, réunissant un aspect positif en plus de ce côté négatif, lui serait de ce fait supérieur en l’englobant.
26L’État, enfin et surtout, est envisagé de façon hégélienne, comme dans « On the Right of the State to Enforce Conscription », où le problème de la conscription semble n’être qu’un prétexte pour revenir sur le statut de l’État. Bradley insiste sur l’idée selon laquelle l’État est l’incarnation de la loi morale, et que la question de la liberté, de ce fait, ne peut se poser que par son lien à l’État. L’individu n’est libre qu’à travers son obéissance à l’État : la volonté de l’individu et la volonté de l’État doivent coïncider. Ainsi, l’État qui s’oppose à la loi est-il en contradiction et cesse d’être l’État : il ne lui reste que le pouvoir de sa force pour obliger les volontés subjectives, et il est de ce fait en-dessous de la volonté objective de l’homme moral. En ce cas, la liberté consiste à résister, et à continuer éventuellement le combat jusqu’à la mort. En tant que le but de tout gouvernement est d’améliorer le bien-être moral de la communauté, l ’État est en droit de requérir la conscription des citoyens si les intérêts moraux de la communauté en dépendent, comme par exemple dans le cas d’une action défensive. La situation devient discutable dans le cas d’une action colonisatrice ou d’une politique agressive. Mais pour Bradley, qui désire s’extraire de ces considérations trop contemporaines, le problème central réside à trouver une norme, un standard moral qui permette de juger de la moralité d’un État, et c’est une question difficile quand on s’en tient aux principes. Entre les écueils théoriques de l’État totalitaire et de l’anarchie (remise en cause radicale de l’existence d’un État), seule une règle pratique peut permettre de trouver une solution.
27Enfin, dans « Influence of Forms of Government on Forms of Literature », Bradley tente de répondre à la question de la possibilité d’un rapport de causalité entre les formes institutionnelles et la littérature en commençant par dire que toute littérature authentique ne saurait être que le reflet de l’esprit d’une époque et d’une nation. Mais plus encore, le ressort qui permet d’expliquer l’émergence d’une littérature d’importance est l’action jouée par les États au niveau de l’individualité. C’est-à-dire qu’un État libérant une partie de la communauté des travaux pénibles, et libérant les individualités tout en maintenant un cadre suffisamment clair pour qu’il n’y ait pas de débordements intempestifs permet l’éclosion d’une véritable littérature. Rechercher l’influence des États sur les formes de littérature revient à étudier les conditions de production de cette littérature et donc les possibilités d’expression des individualités. La tyrannie de la majorité en Amérique (Bradley a lu Tocqueville dans cette période) ou la dictature monarchique des Égyptiens, en bridant la liberté des individus, ont tué dans l’œuf les possibilités de constitution d’une littérature parfaite et harmonieuse, comme cela a été le cas en Grèce.
28L’esprit grec et la philosophie idéaliste allemande, particulièrement à l’honneur dans ces dissertations, coordonnent un message d’opposition au matérialisme ambiant et à l’utilitarisme de l’époque. Les thèmes que Bradley traite : la vertu comme une fin en soi, la loi morale universelle incarnée par l’État, la totalité et l’harmonie, et aussi une conception du progrès fondée sur le pouvoir de la raison, tous ces thèmes le situent à la marge de l’orthodoxie philosophique de l’époque. Or, cette orthodoxie, surtout représentée par Mill, avait commencé à se figer avec la publication, en 1863, de Utilitarianism. Après avoir été la philosophie dominante depuis la moitié du dix-neuvième siècle en rassemblant les traditions de l’empirisme et du réalisme du Common Sense avec le courant moral et politique de l’utilitarisme pour les cristalliser, elle commençait à se heurter à une opposition de plus en plus nette, qui allait prendre la forme de l’idéalisme, de tendance hégélienne plus particulièrement, à partir des années 1860. L’émergence de cette opposition idéaliste est assez paradoxale : elle semble avoir été une forme de pis-aller, choisie pour lutter contre l’action dévastatrice du positivisme et du matérialisme sur les formes orthodoxes de la croyance en Angleterre, alors que la grande majorité des personnalités anglicanes avaient instinctivement rejeté l’hégélianisme jusque dans les années 1850. Mais pour comprendre comment Hegel a été présenté, dans un premier temps tout au moins, comme le sauveur de la foi, et de quelle façon le mouvement idéaliste à partir des années 1860 a suscité un formidable engouement grâce à l’action de Green, il est nécessaire de revenir sur la genèse de l’idéalisme anglais au dix-neuvième siècle.
L’idéalisme britannique au dix-neuvième siècle entre passion grecque et stratégie allemande
29Dès la première page de la préface de son livre sur les hégéliens britanniques, Peter Robbins rappelait l’importance de l’horizon grec dans l’idéalisme anglais d’origine, avant que l’idéalisme allemand ne vienne s’immiscer dans cette tradition insulaire après y avoir été invité par Coleridge32. Son idéalisme, Coleridge est allé le puiser chez les Platoniciens de Cambridge du dix-septième siècle et chez certains auteurs scolastiques, en revivifiant l’héritage grec platonicien et néo-platonicien33 contre la tradition romaine des auteurs de l’« Age Augustéen » (The Augustan Age) ; et il n’aurait incorporé les noms et les idées de Kant et de Schelling qu’après avoir construit les fondements de sa pensée philosophique personnelle. Mais au-delà de la question des plagiats de Coleridge ou de la prégnance d’une tradition platonicienne chez les idéalistes britanniques au dix-neuvième siècle, la coexistence d’une tradition platonicienne et de la philosophie idéaliste allemande dans l’idéalisme britannique mérite d’être examinée, ne serait-ce que pour mettre en évidence une tension entre ces deux sources dans sa constitution progressive, et comprendre pourquoi on en trouve une forme coordonnée dans les premiers écrits philosophiques de Bradley.
30L’idéalisme britannique au dix-neuvième siècle a suivi les contours de la situation axiologique, et si Coleridge a fait le choix d’un retour à la tradition idéaliste platonicienne et néo-platonicienne en Angleterre tout en s’ouvrant à la philosophie idéaliste allemande, ce n’est pas uniquement parce qu’il s’opposait au classicisme de ses prédécesseurs et parce qu’il désirait raviver l’esprit de la civilisation grecque antique. En effet, on peut remarquer qu’un front positiviste-utilitariste-naturaliste existait des deux côtés de la Manche, luttant pour l’avènement de la religion de la science, et motivé dans ce choix par une reconnaissance et des échanges mutuels34. Or, après un moment d’enthousiasme, les romantiques anglais qui ont relancé la tradition idéaliste se sont opposés à ce front idéologique issu des Lumières, autant qu’à ce que représentait la France révolutionnaire : le jacobinisme iconoclaste de la Terreur, l’égalitarisme abstrait des droits de l’homme, la passion anti-religieuse et l’impérialisme napoléonien. Dès lors, il est possible de comprendre pourquoi leur pensée s’est exprimée en opposition à ce que la France représentait et qu’elle s’est tournée vers l’Allemagne, qui manifestait également un sentiment général anti-français. À ceci il faut ajouter que le Sturm und Drang et la révolution philosophique allemande du début du dix-neuvième siècle avaient également marqué les esprits, que le nationalisme fichtéen permettait d’appuyer les principes que Burke avait soulignés dans Reflections on the Révolution in France, et que la chose-en-soi kantienne arrangeait finalement ceux qui désiraient restaurer une transcendance en ces temps de chahut religieux. Par ailleurs, le souci allemand pour une connexion avec la Grèce antique, et l’ardeur métaphysique de ces mêmes allemands ne pouvaient pas longtemps rester inaperçus, dans un contexte de guerre d’indépendance de la Grèce et de philhellénisme exacerbé.
31Il apparaît donc que tout un ensemble de raisons a contribué à faire se rejoindre un retour vers l’horizon grec et une utilisation stratégique de la pensée idéaliste allemande dès le début du dix-neuvième siècle. Mais compte tenu de la faiblesse philosophique de la Grande-Bretagne face à la puissance métaphysique de l’Allemagne, il n’est pas surprenant qu’une déviation se soit instituée à l’intérieur de l’idéalisme britannique, privilégiant l’apport de la philosophie allemande et faisant passer au second plan les lectures anglaises de la tradition platonicienne. Cette déviation s’est solidifiée en un modèle idéaliste dominant, placé sous les auspices de la philosophie hégélienne, à Oxford au début des années 1860. On peut mettre en évidence une progression à l’intérieur de cette déviation, et présenter brièvement les conditions dans lesquelles les éléments philosophiques empruntés à l’idéalisme allemand, et à Hegel en particulier, ont été intégrés. Cela permet de compléter le découpage conventionnel de l’idéalisme britannique en plusieurs générations, découpage qui insiste sur l’idée de filiation mais masque les ruptures intellectuelles et la diversité de style et de pensée des différents auteurs du mouvement. En effet, l’idéalisme a été au départ cantonné à l’œuvre des non-philosophes avant de s’associer à certaines traditions philosophiques déjà existantes, et évoluer, à mesure qu’on avance dans le siècle, en direction d’une philosophie idéaliste à composante nettement germanique, et de plus en plus hégélienne. Qui plus est, il importe de signaler que ce mouvement d’intégration de la philosophie allemande ne s’est jamais départi d’un souci pour la tradition grecque, quand bien même elle a pu être réinterprétée à la lumière de l’apport philosophique hégélien.
32Il est possible de partir de l’analyse de Jean Pucelle, qui a distingué cinq générations d’idéalistes en Grande-Bretagne35. Si l’on écarte la dernière génération de notre propos, puisqu’elle a désintégré les monismes de Bradley et de Bosanquet en des pluralismes et produit l’idéalisme personnaliste et le néo-réalisme (la forme anglaise du pragmatisme), et que l’on s’abstient de traiter pour l’instant la génération de Bradley, où l’influence de Hegel est prédominante, on trouve dans les trois premières générations des éléments qui permettent de reconstruire l’évolution de l’idéalisme jusqu’à l’entrée de Bradley sur la scène philosophique, et de percevoir les points de doctrine qui ont eu une influence sur sa propre pensée.
33La première génération est celle des précurseurs, des poètes et des essayistes du mouvement romantique, surtout Coleridge et Carlyle, plus ou moins inspirés de Kant, Schelling et Fichte. Si leur aspiration spirituelle a présenté des affinités avec la philosophie idéaliste allemande, leur développement théorique est demeuré moindre et s’est surtout soldé par une révolte contre l’utilitarisme de leur période. Coleridge a adopté la distinction kantienne de la raison et de l’entendement et a valorisé la Raison comme lieu de contact avec la surnature, un point qui mérite d’être souligné dans la mesure où la conception initiale de Bradley de la raison, et son association à la moralité (unreflective morality) est un moment important dans ses débuts philosophiques36. De Carlyle on retient surtout qu’il a été un des premiers à introduire Hegel en Grande-Bretagne et qu’il a cherché à se dégager de l’orthodoxie doctrinale du christianisme de son époque ainsi que du matérialisme des utilitaristes, s’évertuant par son style hyperbolique à dépasser le conflit de la science et de la religion par un « surnaturalisme naturel »37. Bradley a aussi été sensible à l’influence de Carlyle, non seulement parce qu’il a fait sien le concept d’« Everlasting Yea »38, mais aussi parce que la foi de Carlyle dans l’ordre moral du monde et sa vision spiritualiste selon laquelle il existe par la volonté (et la foi qui l’anime) un infini présent dans le moi fini sont au cœur des écrits de Green et de Bradley, au moins, pour ce qui nous concerne dans cette étude, de l’aspiration à la totalité et à l’universel de ses premières dissertations à la conclusion de Ethical Studies39.
34La seconde génération d’idéalistes (James Ferrier, John Grote, Benjamin Jowett, et James Hutchison Stirling), habituellement présentée comme une génération de transition, s’inspire partiellement de Kant, notamment à travers la philosophie hamiltonienne, et découvre Hegel peu à peu, non sans certaines ambiguïtés. Mais il est possible de remarquer que cette génération introduit une forme de rupture avec la génération précédente, car elle s’affirme, selon James Bradley, contre les prétentions théoriques de Coleridge et de la littérature romantique, ces philosophes estimant qu’il maîtrisent mieux les enjeux philosophiques du siècle :
En fait, les idéalistes se voyaient comme les véritables héritiers théoriques de la tradition littéraire romantique ; l’utilisation constante de la poésie dans leurs œuvres n’est pas seulement une convention stylistique mais elle fait partie d’une tentative plus importante tendant à montrer que seule leur philosophie fournissait une base théorique justifiant les intuitions sans méthode d’écrivains comme Wordsworth et Browning.40
Ferrier s’est surtout distingué pour avoir été le premier idéaliste, au dix-neuvième siècle et avant Bradley, à tenter d’instruire théoriquement une métaphysique de l’absolu, dans une forme de kantisme qui rappelle quelquefois la philosophie hamiltonienne. Mais il ne se réfère pas à Hegel, qu’il ne semble pas avoir compris41. John Grote, frère de l’historien George Grote, est connu pour son attachement à la pensée spéculative, pour ses thèses proches de celles de Ferrier, et pour son hostilité vis-à-vis de l’hédonisme et du positivisme. Quant à Jowett, il est resté dans les mémoires pour avoir demandé à ses étudiants T.H. Green et Edward Caird de développer l’enseignement de la philosophie idéaliste allemande, notamment celle de Hegel, à Oxford, tout en recommandant un retour à l’œuvre de Platon. Enfin, alors que Ferrier et Grote étaient demeurés peu influents dans l’évolution de l’idéalisme en direction de l’hégélianisme, et que l’action de Jowett n’a jamais été qu’indirecte42, c’est plus souvent de Stirling qu’on se souvient, ne serait-ce que parce qu’il a longtemps été considéré comme l’homme qui a véritablement introduit Hegel en Angleterre, et comme le philosophe qui a présenté une version de l’idéalisme allemand qui convenait particulièrement au contexte troublé de l’époque.
35Pour James W. Allard, un des acteurs du « Bradley revisionist movement », l’œuvre de Stirling est capitale en ce que son succès démontre que l’idéalisme a été favorablement reçu parce qu’il présentait une réponse à la « crise victorienne de la foi » :
[...] L’idéalisme britannique a fourni une réponse à la crise victorienne de la foi. issue du conflit opposant le christianisme évangélique aux deux disciplines de la biologie évolutionniste et de l’étude critique des Écritures.43
Le livre principal de Stirling, The Secret of Hegel (1865), aurait contenu selon Allard une stratégie de défense de la foi, et présenté une réconciliation de la philosophie et du christianisme particulièrement utile compte tenu de la situation intellectuelle de la période victorienne. Allard met ainsi en évidence trois éléments dans le livre de Stirling susceptibles d’avoir conduit à une utilisation idéologique de l’idéalisme sous sa forme hégélienne, pressenti comme plus efficace que le kantisme pour combattre le mouvement de sécularisation :
- une situation de la pensée de Hegel dans l’histoire, montrant que Hegel achevait la pensée moderne de la même façon qu’Aristote avait achevé la pensée antique ;
- la réussite du projet hégélien là où Kant avait partiellement échoué (si Kant avait essayé de sauver Dieu, Hegel y est parvenu en réussissant à éliminer la chose-en-soi, le dernier rempart avant de convenir que la réalité était en accord avec la pensée rationnelle) ;
- la présentation de Hegel comme faisant l’apologie du christianisme : le monde est une matérialisation de la pensée rationnelle et cette pensée est la pensée de Dieu, donc aucune investigation ne peut se situer en dehors de la pensée de Dieu.
36Allard considère que l’utilisation de Hegel a été frauduleuse compte tenu des affirmations souvent erronées ou trop simplistes de Stirling sur la philosophie hégélienne, mais elles auraient donc selon lui été accueillies favorablement pour des raisons idéologiques. Pour appuyer cette idée d’une utilisation idéologique de l’ouvrage de Stirling, il est possible de constater qu’il a pu y avoir, comme en Allemagne, deux lectures de Hegel, une « de gauche » et une « de droite », et que c’est celle de droite qui s’est imposée avec la publication du livre de Stirling. Cette lecture « de droite » s’est opposée à celle que l’on peut mettre en évidence à travers les traductions, par George Eliot (Mary Ann Evans) de la Vie de Jésus de Strauss (1846) et de L’essence du Christianisme de Ludwig Feuerbach (1854). C’est en effet par ces traductions que Hegel avait vraiment commencé d’être introduit en Angleterre, et leur lecture « de gauche » n’était guère susceptible de montrer un Hegel favorable à la cause de l’orthodoxie religieuse :
Parce qu’elles constituaient des produits caractéristiques de l’hégélianisme de gauche et parce qu’elles remettaient sérieusement en question l’orthodoxie théologique dominante, ces œuvres, du fait de leur accumulation, ont fini par attirer l’attention sur la pensée et sur l’influence de Hegel. Effectivement, l’année suivante, une version anglaise d’une partie de la Logique paraissait, et en 1857 la Bohn Library éditait la Philosophie de l’histoire. Le traducteur était le Révérend John Sibree, un ami de George Eliot. Comme il le reconnaissait dans son introduction, sa principale motivation pour traduire l’Histoire provenait de ce qu’elle consistait en une introduction grand public au système de Hegel [...] Dès les années 1850 et en dépit de l’absence d’un fond réel d’intérêt pour son œuvre, Hegel entrait en Angleterre.44
S’il est possible de dire que l’introduction de Hegel en Grande-Bretagne a suivi les contours de la « révolution des valeurs » qui s’y jouait, il faut ajouter que l’enjeu de l’hégélianisme dépasse aussi la problématique de la « crise victorienne de la foi ». Que l’idéalisme anglais « hégélianisé » se soit développé à Oxford parce qu’il représentait un moyen de lutter contre la « crise victorienne de la foi » est une interprétation très limitative de l’idéalisme britannique, et de l’utilisation qui a été faite de l’œuvre de Hegel. En réalité, le livre de Stirling n’a pas joué le rôle que lui prête Allard car ce n’est pas le Hegel de Stirling qui s’est imposé, philosophiquement parlant. C’est d’autant plus vrai que Stirling n’a jamais été intégré dans le monde universitaire. Il faut reconnaître que son écriture enthousiaste et sa langue pittoresque demeurent souvent en-deçà de ce qu’une étude proprement universitaire de la philosophie de Hegel était censée réaliser. La première phrase du premier chapitre est très évocatrice, par exemple, du ton et de la nature du travail présenté par Stirling, et elle permet de comprendre pourquoi il n’a jamais totalement été pris au sérieux :
On s’approche de Hegel pour la première fois – comme le veut la rumeur, ainsi que la teneur des sujets qu’il aborde – comme on s’approcherait de quelque palais enchanté tiré des Contes Persans [...] Mais en vérité, si la promesse est enchanteresse, la difficulté n’est en pas moins magique ; et on flâne dans son livre – tel Aboulfaouaris dans un palais – irrito, sans succès, mais pas sans une bonne quantité de contrariétés.45
Robbins remarque que Stirling mélange en fait Kant et Hegel dans son livre et qu’il n’explique pas Hegel de façon correcte : c’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de dire que c’est grâce à lui que Hegel s’impose définitivement en Angleterre ; son œuvre, en un mot, a été surévaluée46. À travers Stirling, qui fait de Hegel un champion de Dieu, une sorte de Herr Teufeldröck à peine édulcoré, persiste une vision carlyléenne, irréconciliable avec le sens mesuré d’un compte-rendu réellement philosophique47. Par ailleurs, Mark Pattison n’a pas évoqué Stirling quand il a interprété l’essor de l’idéalisme comme une réaction contre l’incapacité des différents mouvements théologiques à Oxford à contrecarrer la domination empiriste et utilitariste48. Il faut donc voir dans la thèse de l’idéalisme de la deuxième génération comme vecteur d’un combat pour restaurer la foi un élément certes intéressant mais incomplet pour expliquer l’importance de l’introduction de l’œuvre de Hegel. Stirling n’a jamais obtenu de chaire de philosophie et il n’a pas pu ainsi imposer institutionnellement la philosophie de Hegel, même si le franc succès de son livre à l’époque lui a valu de confirmer définitivement la prégnance de la pensée hégélienne (« de droite ») en Angleterre49, et notamment à Oxford, après son introduction à Balliol College par Jowett.
37En fait, il en va tout autrement avec Jowett, et son importance a même été largement sous-estimée : non seulement parce que ce sont ses étudiants (William Wallace, T.H. Green et Edward Caird) qui sont à l’origine de l’introduction définitive de Hegel en Grande-Bretagne, mais aussi parce que son attitude vis-à-vis de Hegel incarne toutes les ambiguïtés de l’idéalisme anglais du dix-neuvième siècle.
38Jowett a découvert Hegel en Allemagne même, lors d’un voyage en 1844, et son impression avait été si forte qu’il avait décidé de traduire la Science de la logique, avec Frederick Temple, avant d’abandonner ce projet quelques années plus tard. Alors que Hegel pâtissait d’une réputation exécrable parmi les théologiens depuis les années 1830, non seulement du fait de son intellectualisme exacerbé qui plaçait la philosophie au-dessus de la religion, mais aussi parce que les lectures « de gauche » qui en avaient été faites conduisaient à remettre en cause les principes mêmes de l’orthodoxie régnante, Jowett a estimé qu’il était extrêmement important d’introduire la philosophie hégélienne dans le cursus universitaire à Oxford, à commencer par Balliol College, ne serait-ce que parce qu’il la jugeait trop puissante pour être ignorée : se servir de la réflexion de Hegel était ainsi présenté comme essentiel pour élever le niveau philosophique. Mais si Jowett a lui-même utilisé Hegel dans ses réflexions sur la théorie platonicienne des idées, il ne s’est jamais départi d’une certaine réserve, voire d’une méfiance vis-à-vis de la systématicité hégélienne, ce qui l’a amené à critiquer l’action de Green, à qui il avait pourtant demandé de propager la philosophie hégélienne à Oxford :
Les lettres et les carnets inédits de Jowett établissent clairement qu’il en était venu à considérer Hegel comme un homme « enivré par la métaphysique » et capable d’un fanatisme métaphysique plus pernicieux que son équivalent religieux plus familier [...] Jowett a été particulièrement déçu par Green, qu’il avait choisi au départ pour être le pourfendeur des philistins empiristes comme Bain et Spencer. Malheureusement, dans l’optique de Jowett, Green a infecté les autres avec sa propre scolastique50
On atteint, avec Stirling et Jowett, les limites de l’utilisation stratégique de l’idéalisme allemand. Si dans le premier cas, il pouvait s’agir d’une manœuvre visant à lutter contre l’inexorable déclin de l’orthodoxie religieuse, l’insertion de Hegel dans les programmes universitaires par Jowett pour lutter contre le matérialisme et l’empirisme de l’époque a en quelque sorte achevé d’ouvrir la boîte de Pandore du renouveau métaphysique. Alors que l’hégélianisme prenait de l’ampleur, contre son gré, Jowett est retourné à la tradition platonicienne, non seulement en travaillant à une traduction et une étude des dialogues de Platon, qui a pendant longtemps été tenue en haute estime, mais également en contribuant au maintien et même à l’accentuation du philhellénisme en Angleterre :
[...] Dans la littérature critique et l’histoire de l’art de la période victorienne tardive, les Grecs ont pris l’avantage sur les Romains ; ceci est dû en partie à l’introduction du classicisme allemand par des universitaires influents comme Benjamin Jowett et par les hégéliens britanniques eux-mêmes.51
Si l’introduction de la pensée allemande et de Hegel en particulier a échappé au contrôle de Jowett et de ses prédécesseurs, il demeure que l’importance de la pensée grecque à Oxford a nécessairement joué un rôle en accompagnant l’hégélianisme, en l’empêchant par exemple de se substituer totalement à l’idéalisme anglais originel : il convient donc d’atténuer l’importance de Hegel dans ce qui a été appelé le néo-hégélianisme britannique. Dans le réveil philosophique porté par les idéalistes, il est préférable de voir une coordination des lectures anglaises de la tradition grecque et de l’idéalisme allemand plutôt que le triomphe absolu de l’idéalisme allemand à tendance hégélienne. Mais cela ne revient pas non plus à minimiser l’importance de l’introduction de Hegel dans le mouvement idéaliste, dans la décennie qui couvre le début de l’enseignement de Green à la publication de Ethical Studies de Bradley, ni à oublier l’impact du mouvement sur toute la vie culturelle de la Grande-Bretagne jusqu’à la première guerre mondiale :
À Oxford même, l’idéalisme est resté dominant pendant presque une génération. Dans la décennie 1866-1876, la concentration d’idéalistes provenant des rangs de Balliol College a atteint son point culminant [...] Son influence à Oxford ne se restreignait pas à Balliol College : F.H. Bradley, à University College, et Sidney Ball, d’Oriel College, ont fait partie de ses sympathisants. Vers la fin du dix-neuvième siècle, les cercles politiques et sociaux à Oxford étaient dominés par les idéalistes [...] Mais l’influence de l’idéalisme n’a jamais été restreinte aux salles de cours ou aux clubs. Je m’oppose catégoriquement à l’idée selon laquelle l’idéalisme n’a jamais dépassé les murs de l’université ou que son apport a plus constitué à répandre une atmosphère émotionnelle qu’à produire une justification intellectuelle pour des réformes sociales. L’idéalisme s’est fait sentir sous plusieurs formes à l’extérieur d’Oxford, dans des sociétés et des cercles de discussion comme la London Ethical Society ou la Synthetic Society. Qui plus est, les idées politiques issues des doctrines de Green ont servi de fondement pour un grand nombre de mouvements politiques et sociaux [...] En plus, l’idéalisme a exercé son influence au-delà du groupe d’individus dont nous avons déjà parlé. En plus de ses figures tutélaires, des fonctionnaires comme Robert Morant, Michael Sadler, des parlementaires comme Arthur Acland, Lord Milner, Herbert Samuel et même des premiers ministres comme Asquith : tous affirment devoir quelque chose à Green et à l’idéalisme.52
Le « Moment Greenien »53 de l’idéalisme en Angleterre
39À plusieurs reprises, Bradley a refusé l’idée de l’existence d’une école néo-hégélienne en Grande-Bretagne dont il aurait fait partie et dont il aurait été le fer de lance54. Mais il faut prendre ses remarques avec précaution et bien comprendre ce qu’il a voulu dire. Il est possible de lui accorder raison sur le fait que Hegel n’a pas fait école en Grande-Bretagne à son époque au sens où sa philosophie n’a pas été traduite, lue et étudiée dans sa totalité, et où son système philosophique même aurait été accepté entièrement et sans ambiguïté. On peut aussi ajouter, sans pour cela trop anticiper sur l’explication du mouvement de ses propres écrits philosophiques, que Bradley lui-même n’a pas consenti à suivre Hegel jusqu’au bout, et qu’il n’a jamais eu d’autre volonté que de constituer une philosophie anglaise authentique et non une simple transposition de la philosophie hégélienne. Mais il faut bien reconnaître, comme tous les commentateurs de cette période, y compris Matt Carter que nous avons cité à la page précédente, qu’il y a eu incontestablement une très forte concentration d’idéalistes, tout particulièrement inspirés par la philosophie hégélienne, pendant les années 1860, au moment où Green enseignait à Balliol College.
40L’idéalisme britannique du dix-neuvième siècle est passé, à travers ses différentes générations, par plusieurs phases qui vont des réactions lyriques du romantisme contre la raison triomphante de l’esprit des Lumières à l’utilisation stratégique de certains éléments doctrinaux d’un idéalisme allemand pris souvent comme un bloc pour contrer l’avance du matérialisme et s’opposer à l’inquiétante montée de l’agnosticisme : il nous semble nécessaire d’avancer ici l’hypothèse que ce mouvement est parvenu à une conscience de soi à partir des années 1860, et qu’il a pris la mesure de la lutte qu’il fallait entreprendre à travers la personne de Green tout particulièrement.
41C’est Green en effet qui, dans un article majeur, « Popular Philosophy in its Relation to Life »55, rend manifeste, visible, ce que d’aucuns pensaient et sentaient dans des cercles plus confidentiels. Dans cet article, Green a établi un parallèle entre l’époque de Protagoras et l’Aufklärung56, suggérant que la production philosophique du dix-neuvième siècle rappelait celle de la période des sophistes, quand la philosophie était devenue une philosophie populaire, réfractaire à la véritable spéculation et proposant à tout un chacun un « prêt-à-penser » qui esquivait toute critique de sa validité57. Voyant en Locke le père de cette philosophie58 à l’époque moderne, Green avait proposé d’en reconstruire le modèle en analysant ses origines naturalistes, qui se retrouvaient dans l’application de la théorie démocritéenne de la nature aux notions du bien, du beau et du juste. En établissant un parallèle entre la période antique et l’évolution de la philosophie moderne de la nature depuis Bacon et Locke, jusqu’à sa prise en charge par Hume, Rousseau et Priestley au dix-huitième siècle59, Green notait que Platon et Aristote avaient reconstruit la morale et l’éthique en opposition à une dérive naturaliste : parce qu’il a essayé d’analyser plus profondément la connaissance, Kant est présenté par Green comme un nouveau Platon, mais qui n’est pas parvenu à détruire l’Aufklärung, dont l’esprit est toujours présent. En bref, les théories de l’Aufklärung, pour Green, font partie de l’essence du monde moderne, au même titre que les idées de la Réforme et que les idées de 178960.
42Green procède alors à une analyse détaillée de l’œuvre de certains auteurs comme Joseph Butler, Hume, Rousseau, et Kant pour en conclure que la « philosophie populaire » du dix-neuvième siècle en Angleterre, celle des intuitionnistes du « moral sense » et des utilitaristes, n’est pas un système harmonieux et cohérent ; et il suggère qu’une reconstruction de l’éthique est pourtant à l’œuvre61.
43De la poésie de Wordsworth, qui selon Green a libéré la littérature de la philosophie naturaliste, à la philosophie de Hegel, par qui se termine l’article62, le mouvement de réaction contre cette « philosophie populaire », présentée par Green comme indigente et destructrice, comporte un certain nombre d’éléments qui, à l’instar du Réveil évangélique et du renouveau contemplatif des Romantiques, exigent un Réveil philosophique : la philosophie, qui ne se réduit pas à un raffinement sophistiqué, ne saurait faire l’économie de sa tendance profondément spéculative63. Green a donc tenté de commenter les changements en cours en Angleterre et de promouvoir la philosophie hégélienne, la seule selon lui capable d’expliquer le mouvement général hors de la tendance nominaliste et de la psychologie de l’introspection individuelle, fondée sur l’intuitionnisme du « moral sense »64. Après avoir expliqué comment la littérature s’est extirpée du naturalisme, Green a insisté sur la lutte orchestrée par les évangéliques, retournant à l’esprit de la Réforme et à une lecture paulinienne65, contre une philosophie perçue comme antagoniste, mais il a aussi insisté sur l’influence du rousseauisme dans la prise de conscience de l’identité nationale par opposition à l’égoïsme individuel. La conclusion de Green est que la philosophie, la religion, l’esprit national et les aspirations spirituelles ne peuvent se combiner dans le nouvel esprit qui se fait jour en Angleterre que par le biais d’une reconnaissance à la raison d’un pouvoir qui lui avait été peu à peu retiré depuis la fin du dix-septième siècle ; cette reconnaissance est de nature à susciter l’étude de la philosophie de Hegel66.
44Green a signalé qu’une convergence littéraire, religieuse et politique avait trouvé dans l’idéalisme allemand sa forme philosophique, une convergence aussi profondément marquée par l’esprit de la Réforme, comme l’avait remarqué H. Jaeger : « La Réforme s’achève dans la religion de l’idéalisme allemand, forme définitive du protestantisme »67. En fait, les thèses de Green cristallisent la pensée de ce que Jean Pucelle a appelé la troisième génération d’idéalistes.
45Cette dernière, composée de personnalités de renom comme Edward et John Caird, William Wallace et T.H. Green lui-même, a approfondi et repensé Kant à l’aide d’une lecture minutieuse et sérieuse de Hegel, et commencé à produire des œuvres où transpire la systématicité de l’entreprise hégélienne. Wallace, surtout connu pour ses traductions de Kant et de Hegel, a confirmé certaines thèses de Stirling, et a étendu la défense du christianisme en acceptant la doctrine de l’évolution, établissant en l’occurrence un parallèle entre la dialectique hégélienne et l’évolution de type darwinien en remplaçant les espèces par les concepts68. Un des points communs aux frères Caird et à Wallace est d’avoir produit de nombreux commentaires sur la philosophie de Hegel et d’être restés insatisfaits de sa philosophie de la nature69, mais aucun n’est parvenu à synthétiser la position idéaliste, ce qui a été l’apport indéniable de Green, le premier à en avoir fait une force dans la philosophie britannique et à l’avoir construite autour de la défense hégélienne du christianisme70.
46Dans son article sur l’influence de Hegel en Grande-Bretagne, James Bradley estimait que trois raisons principales expliquaient la fortune du philosophe allemand : la fin d’une entente entre la science et la religion, l’importance grandissante de la question sociale et le déclin inexorable des traditions de la philosophie écossaise du Common Sense et de l’utilitarisme71. Dans ces trois cas de figure, Green apparaît comme celui qui a incarné la réaction d’un retour philosophique d’envergure et qui a posé les termes dans lesquels elle devait se développer. La première de ses raisons est peut-être la plus profonde, et elle mérite qu’on lui consacre quelques explications :
La première provient de l’essor des études historiques et, plus particulièrement, de l’impact du darwinisme. Cette évolution a été justement présentée comme destructrice des rapports autrefois bons entre la science et la religion et comme un véritable défi lancé à la croyance religieuse : la nature et l’esprit, l’évolution et la morale, l’histoire et la valeur sont devenus des paires d’opposés apparemment inconciliables. On en conclut alors que Hegel, de ce fait, a été utilisé pour « défendre la religion » ; cependant, c’est davantage une réinterprétation du christianisme que sa défense qui caractérise l’action des idéalistes britanniques.72
William Paley, et avec lui le projet d’une Natural Theology qui perdure avec les Bridgewater Treatises, incarnait encore un équilibre et un accord entre la science et la religion au début du dix-neuvième siècle ; dans sa perspective, les Ecritures et le Livre de la Nature coordonnaient un modus vivendi relativement stable. Mais c’est le nouvel esprit scientifique propulsé par les Lumières, et dûment critiqué par Green, qui a remis en question cet équilibre : il est compréhensible que la libération du Liber Naturae de sa cause première et la focalisation sur les causes secondaires dans l’ordre de la nature se soit vu opposer un retour à la Sola Scriptura de la part des évangéliques.
47Quand Green appuie l’idée selon laquelle il existe chez Wordsworth un ordre de la réalité au-dessus de la réalité naturelle73, il signifie qu’un surnaturalisme vient s’opposer au naturalisme strict et limitatif selon lequel il ne saurait y avoir qu’une science naturelle de l’homme. L’idéalisme transcendantal de Kant avait déjà esquissé un point de vue en-dehors de la nature en réagissant contre Hume qui faisait de la raison humaine l’esclave des passions et la confinait à du raisonnement démonstratif, mais c’est vraiment chez Coleridge que l’on trouve en Angleterre une réflexion sur le naturalisme et sur son dépassement par un « surnaturalisme naturel » ; c’est cela qui allait traverser le siècle et trouver dans l’idéalisme son mode privilégié d’expression. Finalement, plutôt que de se contenter de défendre la religion contre la science, l’idéalisme prôné par Green ne fait pas autre chose que tenter une réconciliation, et il s’inscrit de ce point de vue dans la continuité du mouvement idéaliste ré-initié par Coleridge et Carlyle.
48René Gallet a découvert une cohérence dans un grand nombre d’œuvres romantiques et postromantiques, où s’entremêlent « des enjeux philosophiques et théologiques, dits globalement métaphysiques, qui les débordent »74. Cette cohérence témoigne d’une tension constante qui, à travers le dix-neuvième siècle, a renouvelé les conditions d’apparition d’une christologie sur la base d’une réunion du Livre de la Révélation et du Livre de la Nature. Or, cette réunion de la nature et de la surnature n’est pas apparue comme si elle allait de soi ; elle a dû s’opposer à la fois à la focalisation de l’esprit des Lumières sur le Liber Naturae et celle des évangéliques sur les Écritures. Si l’idéalisme allemand a permis cette synthèse, il ne faut pas oublier que les Platoniciens de Cambridge, en effectuant un retour à la tradition patristique primitive, avant saint Augustin75, avaient fait resurgir un fond platonicien autochtone assimilé par l’héritage humaniste toujours présent et qu’ils avaient donc constitué une tradition disponible, prise en compte par Coleridge. La conjonction de cet idéalisme autochtone, profondément platonicien et néo-platonicien, et de l’idéalisme allemand, est finalement parvenu à prendre conscience de la nature de son enjeu à partir de Green. René Gallet a insisté sur le fait que « L’épisode romantique empêche donc d’identifier trop rapidement “modernité” et “sécularisation” »76, et il semble que la montée en puissance de l’idéalisme au dix-neuvième siècle réponde précisément à cette tendance de fond dans l’histoire des idées en Grande-Bretagne, qui non seulement a visé à réaffirmer la puissance de la raison mais a aussi travaillé à restaurer une vie spirituelle plus harmonieuse qui, par-delà le chaos de l’expérience sensible, perçoit l’action d’un principe spirituel, l’Eternal Spirit de Green, dans le monde :
Si l’on a besoin d’une philosophie, c’est à cause de la rupture de l’harmonie de la vie spirituelle, dont les différents facteurs ou éléments semblent agencés de sorte à s’opposer de façon irrémédiable ; la conscience religieuse, par exemple, la conscience de l’infini, lutte contre la conscience sécularisée, la conscience du fini ; ou bien encore, la conscience du soi s’oppose à la conscience du monde extérieur. On le voit bien quand on réfléchit sur la nature des controverses qui nous inquiètent tant de nos jours.77
49Green fut tout le contraire d’un philosophe en chambre : c’est surtout à travers son enseignement que, dès les années 1865-1867, l’hégélianisme a été intégré aux problématiques spécifiques de la pensée britannique. C’est tout le sens du « moment greenien » des années 1860-1870 : la philosophie de Green a été le moment de réflexivité du mouvement idéaliste, un moment de conscience de soi qui a conduit à un regroupement idéaliste et à la constitution d’un programme officieux de travail à partir de thèmes clairement exposés par Green.
50Il faut bien se rendre compte que professeurs autant qu’étudiants avaient l’impression de vivre, à cette époque, un moment important dans l’histoire de la philosophie anglaise, et que Green a été de ce point de vue le porte-parole d’une génération, fédérant sous son inspiration un cénacle idéaliste qui avait décidé de se mettre au niveau des philosophes allemands et de produire à son tour une véritable révolution philosophique :
À cette époque, Green lui-même était prêt à produire sa propre version de l’hégélianisme, une version qui reflétait l’esprit de l’original mais qui était élaborée en des termes et des principes que Green avait créés pour lui-même en gardant à l’esprit la nécessité de critiquer les doctrines nationales. Green était de loin l’enseignant de philosophie le plus influent à Oxford pendant la période victorienne ; sous son impulsion, la philosophie à l’université a non seulement connu un grand prestige mais elle a également pu acquérir son identité propre.78
Nous avons déjà souligné l’importance progressive accordée à l’œuvre de Hegel et son influence dans la structuration d’un programme de lutte contre les dérives intellectuelles du siècle : elle a en fait été constitutive dans la prise de conscience de l’idéalisme de sa force d’opposition. Dans une lettre datée de 1872, des étudiants (A.C. Bradley et F.H. Bradley faisaient partie des signataires) avaient demandé à Green de soutenir le projet d’une Essay Society dont le but était de faire véritablement de la philosophie, et de ne pas la réduire à une simple activité intellectuelle79. R.L. Nettleship, un des autres signataires de la lettre, a parfaitement retranscrit l’esprit dans lequel tous se trouvaient pendant ses cours :
Même s’il éprouvait de grandes difficultés à s’exprimer à cette époque, ses cours étaient extrêmement populaires, et ce dès le début : et tous l’appréciaient énormément. La raison en était évidente. Tous se rendaient compte de ce que son travail comprenait comme valeur et comme originalité ; et le simple fait qu’il avait du mal à s’exprimer donnait le sentiment qu’il échafaudait un système bien plus qu’il ne répétait les idées ou les expressions d’autres personnes. Nous avons souvent plaisanté au sujet de la perplexité dans laquelle nous plongeait ces premiers cours, mais c’était toujours dans un esprit de confiance et d’affection vis à vis du conférencier. En fait, nous concevions tous une sorte de fierté à poursuivre le processus difficile auquel il nous conviait avant de nous éclairer, comme si cette clarification avait été le produit de notre action collective80
Ce principe selon lequel il fallait faire de la philosophie, sans s’inféoder à aucune philosophie particulière, a aussi été souligné par Wallace dans la longue introduction à sa traduction de la petite logique de Hegel : et si la philosophie allemande ne peut pas, telle quelle, être importée en Angleterre81, il n’est pas interdit de s’en inspirer et d’en tirer les leçons qui importent. En l’occurrence, écrit Wallace, il s’agit de faire de la philosophie, et de ne pas se limiter aux tâches que se sont données les philosophes anglais récents, dont J.S. Mill, qu’il cite en exemple82.
51Qui plus est, et cela nous rapproche de la formation philosophique de Bradley, Hegel a été associé à la redécouverte proprement philosophique des textes grecs grâce à l’influence de Benjamin Jowett. Or, le retour à Platon de Jowett, et sa critique régulière de l’hégélianisme, montre qu’il y a eu une véritable tension entre ce que nous avons appelé un horizon grec et une stratégie consistant à utiliser la philosophie idéaliste allemande pour repousser les traditions matérialistes et empiristes de l’époque. Il y a donc eu oscillation et équilibre instable entre ces deux traditions chez les idéalistes du dix-neuvième siècle, et Bradley, nourri d’études classiques et familier de l’œuvre de Platon, ne pouvait insister sur la nécessité de se mettre à l’école de la philosophie allemande pour relancer la spéculation philosophique anglaise, sans garder à l’esprit l’importance de la tradition platonicienne. Un autre enseignement des premiers travaux de Bradley est que le niveau philosophique de l’époque se situe encore bien en-deçà de ce que la philosophie hégélienne était capable de produire. Si l’alternative à cette situation consiste à choisir la voie de l’idéalisme, il reste que Bradley n’est pas encore en mesure de choisir entre Kant, Hegel et la tradition platonicienne, d’autant plus que tous les commentateurs de Hegel de l’époque soulignaient la difficulté de sa philosophie. C’est là, nous semble-t-il, que réside l’enjeu de l’orientation de Bradley dans la pensée au début de sa carrière de philosophe.
Bradley et le « programme idéaliste »
52Les années d’étudiant de Bradley se déroulent donc dans un contexte tout à fait spécifique. Or, c’est bien à Green qu’il doit son entrée en idéalisme à cette époque. Nous avons déjà remarqué que ses dissertations tentaient de coordonner l’enseignement de la philosophie antique et l’apport de la philosophie idéaliste allemande, et que cette coordination est située dans l’histoire des idées de l’époque ; il est maintenant nécessaire d’insister sur le fait que leur perspective s’est orientée à travers l’idéalisme de Green.
53W.H. Walsh s’est demandé si Green n’avait pas formé Bradley lors de cours particuliers, et c’est une question légitime car ses dissertations s’intégrent parfaitement dans l’esprit des conférences que Green donnait à Balliol83. En fait, depuis la publication des inédits de Bradley par Carol Keene en 1999, il est maintenant confirmé que certaines dissertations de Bradley ont effectivement été corrigées par Green, et qu’il a également suivi ses conférences sur la philosophie politique et morale. En plus du fait que ces conférences sont un véritable miroir des réflexions et des problématiques de ses dissertations, les notes prises par Bradley sont utiles à plus d’un titre pour comprendre ses débuts philosophiques et justifier son entrée en idéalisme84. Elles proposent des définitions de l’éthique, de la philosophie morale et de la métaphysique qui illustrent la nécessité d’un passage par une philosophie de l’histoire pour comprendre le problème éthique. Elles établissent également un parallèle entre les conditions philosophiques de l’époque antique et la situation philosophique contemporaine, un point que les dissertations de Bradley, écrites dans la même période, avaient largement reflété ; mais ces notes permettent de constater que cette comparaison comprenait la thèse forte de la nécessité de ressusciter un discours philosophique plus analytique, plus profond que ce qu’il était devenu au dix-neuvième siècle en Grande-Bretagne. Enfin, leur orientation formule clairement l’idée selon laquelle le temps est venu pour une philosophie idéaliste, hégélienne de surcroît.
54Prenant le contrepied de la réduction de la question éthique à une opposition entre le vrai et le faux85, présentée comme caractéristique de la période et faisant de la philosophie morale une « science » parmi d’autres, Green a considéré, d’après les notes prises par Bradley, que l’éthique se rapporte plutôt à la richesse et la subtilité de ce qui est proprement humain, ce qui lui fait remarquer qu’il est nécessaire de lier l’étude de l’éthique à une compréhension du développement de la conscience historique. Mais avant d’entrer dans les détails de l’évolution politique et morale de la civilisation occidentale, et d’insister sur le lien fondamental de l’éthique et de la métaphysique, Green distingue trois écoles contemporaines reposant sur des présupposés métaphysiques différents pour établir l’enjeu de la question qui l’occupe. L’école de Joseph Butler, dominée par la théologie ; celle des matérialistes, enracinée chez les Sophistes grecs, représentée par une tradition anglaise qui part de Hobbes et va jusqu’à Mill, et aboutissant au concept contractualiste ; et les idéalistes enfin, qui font de la moralité un renforcement perpétuel de la Liberté, conduisant à la « machine étatique »86.
55Cependant, l’opposition philosophique véritable est située entre le courant matérialiste-utilitariste (que Green fait remonter à Protagoras) et le courant idéaliste, d’inspiration platonicienne (même si Green se réfère pour finir à Hegel)87. Au fil de ses conférences, et à travers l’analyse des moments clés de l’évolution morale et politique de la civilisation occidentale à partir des Grecs, qui reprend pour une bonne part les travaux de Hegel sur le monde grec dans les Cours sur la philosophie de l’histoire, Green établit en permanence des liens entre la philosophie antique et la philosophie moderne88. Ce faisant, Green en conclut que le temps est venu pour une nouvelle philosophie idéaliste, car la multiplication des visions sceptiques, cyniques et stoïciennes du monde contemporain ont intensifié un conflit des interprétations qui justifie l’émergence d’un idéalisme les intégrant toutes dans une conception unifiée89.
56Après avoir étudié et critiqué l’utilitarisme, l’empirisme90 et les différents mouvements qui lui sont associés, après sa condamnation de Butler, jugé limité et non-philosophique91 et son refus de la position kantienne92, Green présente sa préférence pour la philosophie hégélienne :
La cause finale du monde est la réalisation de la liberté par l’Esprit [...] Nous ne devons pas adopter la philosophie morale de l’Angleterre qui provient soit de Hobbes, soit de Butler ; et nous devons abandonner les théories mécanistes du gouvernement et de l’éthique. L’État est un organisme, c.-à-d. un corps avec une âme, qui se manifeste progressivement.93
En fin de compte, le véritable problème de la philosophie morale est de trouver un critère, et le meilleur est celui de la marche de la raison dans l’histoire dans la mesure où ce critère permet de mettre en évidence la manifestation progressive de la raison et son intégration dans l’universel94.
57La philosophie de l’histoire ébauchée par ces conférences est symptomatique d’un désir de trouver des repères. Elle suggère aussi que l’enseignement philosophique classique en Angleterre doit être orienté, du fait de la situation de l’époque, de sorte à s’ouvrir à des philosophies continentales. Cette volonté de restituer un ordre et une rationalité, de faire le point sur les tendances contemporaines prises dans le filet de l’évolution philosophique de la civilisation occidentale, telle qu’elle a été comprise par Hegel et Green, est à l’origine de la réflexion de Bradley sur l’histoire et la métaphysique. Après la mise entre parenthèses de la position théologique orthodoxe de Butler, seule une philosophie idéaliste peut relever le défi d’une philosophie puissante permettant à la raison de recouvrir son pouvoir : cela permet de comprendre l’impulsion initiale des premiers travaux philosophiques de Bradley.
58Cette influence indiscutable que Green a eue sur le jeune Bradley l’a profondément marqué, et elle insère donc notre auteur dans un groupe informel qui se retrouve sur un certain nombre de points dont nous pouvons maintenant faire le bilan et que nous qualifierons, avec toutes les précautions d’usage pour un mouvement qui n’a rien d’institutionnel, de « programme idéaliste ».
59Dans l’introduction de son édition de textes idéalistes, David Boucher95 a mis en évidence quelques thèmes principaux, discernables dans les écrits des philosophes idéalistes britanniques des années 1870 au début du vingtième siècle. Les textes sélectionnés, parmi lesquels figure le deuxième essai de Ethical Studies, accusent l’intérêt de l’éditeur pour la philosophie politique, mais cela ne l’empêche pas de discerner trois grandes perspectives dans les travaux des idéalistes : la question historique du progrès et de l’évolution, le souci politique et éthique, et une ré-interprétation philosophique du problème religieux ; des perspectives qui nous semblent correspondre aux préoccupations dessinées dans ce que nous avons choisi de présenter comme un programme officieux. En effet, derrière ce programme idéaliste se profilent les circonstances de la fin de l’entente entre science et religion, le déclin des philosophies qui avaient dominé dans la première moitié du siècle, et la lutte contre l’individualisme et l’égoïsme du laissez-faire libéral. On pourrait ajouter qu’apparaît aussi en filigrane le besoin de ces idéalistes anglais d’utiliser la systématicité de la pensée de Hegel pour parvenir à concrétiser en une philosophie puissante le sentiment qu’ils avaient de vivre, à Oxford dans les années 1860-70, un moment important sinon une petite révolution de la pensée.
60Mais le niveau philosophique de départ des idéalistes de cette période n’est pas encore assez avancé pour donner lieu à des publications de première importance, et on peut concevoir que le groupe d’idéalistes de l’Essay Society se soit donné pour objectif de se faire connaître au plus tôt, moyennant un travail de titan pour se hisser à la hauteur de la philosophie hégélienne. C’est dans ces conditions, nous semble-t-il, qu’il faut comprendre l’activité intellectuelle de Bradley, qui traite ces trois grandes perspectives à sa façon dans des travaux qu’il choisit de publier – c’est le cas de son opuscule sur l’histoire (Les Présupposés de l’Histoire critique) et de son ouvrage sur la philosophie morale (Ethical Studies) – ou bien de garder à l’état d’ébauche (« Relativity », « Progress »), le temps de gravir le chemin qui le mène à une meilleure compréhension de la philosophie hégélienne, pour mieux réaliser les objectifs du programme informel des idéalistes.
Notes de bas de page
1 W.H. Walsh, « The Zenith of Greats », in Trevor Henry Aston (dir.) The History of the University of Oxford : The Nineteenth Century, Oxford, O.U.P., Vol. VII Part 2, 2000, p. 312.
2 Voir à ce sujet la présentation de la philosophie anglaise par William Wallace avant l’introduction de Hegel dans les études philosophiques à l’université : « English Philosophy and Hegel », Prolegomena to the Study of Hegel’s Philosophy and Especially ofhis Logic, Oxford, The Clarendon Press, 1894 (deuxième édition, revue et augmentée) p. 22-23. Ces remarques avaient déjà été formulées dans l’introduction (Prolegomena) de sa traduction de la petite logique de Hegel, datée de 1874, et leur ton était plus critique encore : « À l’heure actuelle, en Angleterre, la philosophie est soit ignorée, soit ramenée au niveau d’une branche spéciale de la science, quand elle n’est pas réduite à un réceptacle des principes communs à toutes les sciences », The Logic of Hegel, Translated from the Encyclopedia of the Philosophical Sciences, with Prolegomena, Oxford, The Clarendon Press, 1874, p. xx. Rappelons que Wallace avait été nommé Fellow de Merton College en 1867, et qu’il aurait suggéré que Merton nomme Bradley comme Fellow en 1870 ; enfin, c’est Wallace qui a succédé à Green comme Whyte’s Professer of Moral Philosophy à Balliol College en 1882.
3 Les textes auxquels nous nous rapportons dans cette étude sont les suivants : « Undergraduate Essays (1865-1869) », PAP, p. 1-56 ; « Notes on Green’s Lectures on Moral and Political Philosophy (c. 1867) », PAP, p. 57-136.
4 Certains textes ont été exclus de la sélection de Keene : « Quelques essais ont été exclus de cette édition : un essai historique sur les Comices à Rome, un essai sur les théories du plaisir dans l’Ethique à Nicomaque d’Aristote [...] et quelques autres qui ne sont guère que des notes de lecture mises en forme pour ressembler à un essai, parmi lesquels on trouve une discussion de David Strauss sur Jésus [...] », PAP, p. 2.
5 Cf. Carol Keene, PAP, p. 493. Voir aussi la liste donnée par W.A. Spooner (qui avait passé ses Literae Humaniores en 1866) dans son autobiographie, et reproduite par Walsh dans son article « The Zenith of Greats », op. cit., p. 316. La liste de Spooner comporte aussi les noms de Mill, Hamilton, Mansel et Ferrier, les auteurs incontournables de la logique anglaise de l’époque.
6 Voir PAP, p. 494-496 pour la liste complète des auteurs et des ouvrages. Melvin Richter, dans son livre The Politics of Conscience : T.H. Green and his Age, op. cit., s’est de toute évidence trompé lorsqu’il a affirmé que Bradley avait rencontré la philosophie de Hegel pour la première fois à travers Baur, au début des années 1870, au moment où il travaillait sur les Presuppositions of Critical History (voir p. 36.)
7 Carol A. Keene, « Préfacé », PAP, p. xvii-xviii.
8 AR, p. 4. Voir également la fin de cette introduction pour une évocation du lieu de l’expérience hors du monde visible, comme l’écrit Bradley, où poésie, philosophie et mystique se rejoignent.
9 Cf. Walsh « The Zenith of Greats », op. cit., p. 311.
10 Walsh, Ibid., p. 316-317.
11 Sur ce point, voir les commentaires de Keene, PAP, p. 1-2.
12 Walsh, « The Zenith of Greats », op. cit., p. 316-317.
13 C’est, entre autres, le cas de « State and Compare the Views of Aristotle and Plato on the Sanctions of Morality and on the Moral Government of the World », et de « Utility as (1) an End or (2) Standard of Morality ».
14 Il s’agit notamment de sa tendance au soliloque digressif et de son jeu sur la connotation des mots. Voir les notes en bas de page de la dissertation « A Révolution is a New Idea » qui expriment le mécontentement du correcteur de cette dissertation, PAP, p. 34 & p. 36. Carol Keene pense que ce correcteur était Green.
15 Voir, par exemple, « Aristotle’s Application of Metaphysical and Scientific Ideas to Ethics », où Bradley expose la théorie des quatre causes (matérielle, efficiente, formelle et finale) d’Aristote et sa distinction de la puissance et de l’acte ; ou encore, dans « Position of Opinion in the Ethical Systems of Plato and Aristotle », quand il évoque la notion de doxa chez Platon en la positionnant entre la connaissance du Bien et l’ignorance sans se référer à la notion de dialectique, etc.
16 On ne trouve aucune référence au Parménide de Platon, par exemple, ni à la métaphysique d’Aristote.
17 PAP, p. 5 (« Relations of Moral and Political Virtue according to Plato and Aristotle »).
18 Ibid., p. 15 (« Compare the Views of Plato, Aristotle (and Butler) on the Conceptions of the Good »).
19 Ibid., p. 8. C’est nous qui soulignons.
20 Ibid, p. 13.
21 Ibid., p. 42.
22 Ibid., p. 40.
23 Ibid., p. 41.
24 Ibid., p. 40.
25 Ibid, p. 46.
26 Ibid.
27 Bradley donne l’exemple de la métaphore que Mill élabore dans Utilitarianism à partir du carnet de bord des navigateurs, son « Nautical Almanack » : un guide moral qui se constitue peu à peu dans le voyage constamment changeant de la vie.
28 PAP, p. 54.
29 Ibid., p. 7. Cf. Walsh, « The Zenith of Greats », op. cit., p. 318 note 28, qui remarque la tonalité hégélienne de cette dissertation, ainsi que celle que nous étudions juste après, « Connexion between Law and Philosophy ».
30 Ibid., p. 32. Ibid, pour Walsh.
31 Ibid.
32 Peter Robbins, The British Hegelians (1875-1925), New York & Londres, Garland Publishing, 1982. Voir les pages 27-29 pour son argumentation sur la pensée de Coleridge. Il s’agit bien entendu de la thèse centrale de Muirhead que défend Robbins, contre celle de René Wellek, très critique vis-à-vis des emprunts de Coleridge aux philosophes allemands. (Cf. les ouvrages de John H. Muirhead, The Platonic Tradition in Anglo-Saxon Philosophy : Studies in the History of Idealism in England and America, Londres, George Allen and Unwin Ltd, 1931, et René Wellek, Immanuel Kant in England 1793-1838, Princeton, Princeton University Press, 1931).
33 Pour une étude de l’importance de la théologie rationnelle des platoniciens de Cambridge et des auteurs scolastiques sur Coleridge, nous renvoyons à l’étude qu’en propose René Gallet dans le chapitre 2 (« Coleridge, la scolastique et l’idéalisme allemand ») de son livre Romantisme et post-romantisme de Wordsworth à Pater, op. cit., (p. 31-42). Voir également le numéro spécial des Archives de Philosophie : « Une métaphysique pour la morale / Les Platoniciens de Cambridge : Henry More et Ralph Cudworth », n° 55/3, 1995 (sous la direction de Yves-Charles Zarka) ; ainsi que les travaux de G.A. Rogers, J.M. Vienne, et Y.C. Zarka (dir.), The Cambridge Platonists in Philosophical Context, Archives internationales d’histoire des idées, Springer, 2008.
34 En Angleterre, on retrouve ce front dès le dix-huitième siècle, comme en témoigne par exemple la réaction d’Edmund Burke dans son célèbre ouvrage sur la révolution française. On le retrouve aussi parmi les signataires de la Westminster Review, de Jeremy Bentham à John Stuart Mill, en passant par James Mill, Harriet Martineau, George Eliot, Herbert Spencer, George Grote, Thomas Henry Huxley et George Henry Lewes, pour ne citer que les noms des plus connus.
35 On retrouve peu ou prou le même découpage en générations successives chez la plupart des commentateurs. Pour des renseignements plus détaillés sur l’histoire de l’idéalisme britannique, on consultera avec profit les ouvrages suivants, en plus de ceux de Muirhead, de Wellek, et de Robbins cités précédemment : Arthur Kenyon Rogers, English and American Philosophy since 1800 : A Critical Survey, New York, Macmillan, 1923 ; Rudolf Metz, A Hundred Years of British Philosophy, Londres, Allen & Unwin, 1938 ; la première partie de la thèse complémentaire de Kia Tcheng (François) Houang, De l’humanisme à l’absolutisme : l’évolution de la pensée religieuse du néo-hégélien anglais Bernard Bosanquet. Paris, Vrin, 1954 ; Jean Pucelle, L’Idéalisme en Angleterre de Coleridge à Bradley, Neuchâtel, éditions de la Baconnière, 1955 ; James Bradley, « Hegel in Britain : A Brief History of British Commentary and Attitudes », The Heythrop Journal, op. cit., qui adopte une position parfois opposée aux thèses de Muirhead et de Pucelle ; John Skorupski, English-Language Philosophy (1750-1945), Oxford, O.U.P., 1993 ; et les deux premiers chapitres de James W. Allard, The Logical Foundations of Bradley’s Metaphysics, Cambridge, Cambridge University Press, 2005. Enfin, signalons l’ouvrage d’Emmanuel Halais, Individualité et valeur dans la philosophie morale anglaise, Paris, P.U.F., 2006, surtout le deuxième chapitre, intitulé « L’idéalisme anglais et la réalisation de soi », et notamment les pages 49-53 pour une analyse de l’idéalisme anglais à partir de Coleridge, inspirée des travaux de Jean Pucelle et de John Passmore (A Hundred Years of Philosophy, Harmondsworth, Penguin Books, 1966).
36 Voir notamment la dissertation « Is the opposition between Reason and Conscience real ? » (PAP, p. 5-7).
37 Cf. Le chapitre VIII (« Natural Supematuralism ») de Sartor Resartus.
38 « Utility as (1) an End or (2) Standard of Morality », PAP, p. 56.
39 Cf. ES, « Concluding Remarks », p. 328-330.
40 James Bradley, « Hegel in Britain, ... », op. cit., p. 17 note 39. Dans cette note, James Bradley donne un grand nombre de références montrant l’insatisfaction des idéalistes vis-à-vis des philosophies « littéraires » des romantiques. Cette conception contraste avec la façon traditionnelle de présenter l’évolution presque continue des générations d’idéalistes au dix-neuvième siècle ; elle est utile surtout pour montrer qu’il vaut mieux parler d’un fond idéaliste sous-jacent dans la pensée anglaise, appelé à se réaliser sous des formes variées, utilisant pour ce faire au dix-neuvième siècle des éléments de la philosophie idéaliste allemande.
41 Robbins rappelle une anecdote selon laquelle Ferrier, ne parvenant pas à comprendre Hegel, avait essayé de le lire à l’envers (Robbins, The British Hegelians, op. cit., p. 24 note 34.)
42 « L’importance de Jowett a certainement été cruciale quand il a attiré l’attention de ses élèves – les futurs meneurs du mouvement idéaliste britannique – sur la philosophie Allemande et sur Hegel [...] En revanche, on ne peut pas dire qu’il ait eu une influence particulière dans la façon dont les britanniques se sont approprié Hegel », James Bradley, « Hegel in Britain, ... », op. cit., p. 20 note 45.
43 James W. Allard, The Logical Foundalions of Bradley’s Metaphysics, op. cit., p. x. La préface ne fait qu’exposer la thèse de la « crise victorienne de la foi » : elle n’est vraiment développée que dans le premier chapitre.
44 James Bradley, « Hegel in Britain, ... », op. cit., p. 9-10. L’utilisation de cette distinction entre hégéliens « de droite » et hégéliens « de gauche » était présente à l’époque, comme en témoignent les premières pages des Prolegomena de Wallace dans sa traduction de la logique de Hegel. Il est notable que Wallace décide de ne prendre aucun parti. Voir à ce sujet William Wallace, The Logic of Hegel. Translated from the Encyclopedia of the Philosophical Sciences, with Prolegomena, Oxford, The Clarendon Press, 1874, p. xiii-xiv.
45 John H. Stirling, The Secret ofHegel, Being the Hegelian System in Origin, Principle, Form and Matter, Edinburgh, Oliver & Boyd, 1898 (Nouvelle édition revue et corrigée), p. 1. 11 faut ajouter que J.S. Mill s’était opposé à la candidature de Stirling en 1868 à l’université d’Édimbourg sous le prétexte que l’étude de Hegel aurait une mauvaise influence sur les étudiants (source : Hiralal Haldar, Neo-Hegelianism, Londres, Heath Cranton, 1927, p. 4).
46 Robbins, The British Hegelians, op. cit., p. 38. « Stirling a écrit la première étude complète de Hegel en anglais. Mais son succès, si on devait le comparer à la compréhension plus profonde et plus imaginative de l’hégélianisme produite par la critique universitaire et aux nouveaux départs en philosophie, a été négligeable », ibid., p. 40.
47 Ibid..
48 Mark Pattison, « Philosophy at Oxford », Mind, op. cit. Voir les pages 83 à 85 : Pattison y distingue deux phases de la pensée à Oxford. Il présente la première étape de la pensée à Oxford dans les trente premières années du dix-neuvième siècle comme un mouvement de l’esprit (movement of mind) à Oriel College (Dickson Hampden, John Keble, Thomas Arnold, J.H. Newman, Blanco White et Richard Whately) qui s’était donné pour objectif une certaine originalité intellectuelle, mais qui ne pouvait qu’échouer compte tenu de la méconnaissance par ses acteurs principaux de la situation philosophique de l’époque, et de leur grande hétérogénéité théologique. La seconde phase (elle va jusqu’aux années 1850 et a été dominée par Newman), qui a repris l’intellectualisme vague de la première période pour se cristalliser avec le mouvement tractarien, a aussi connu l’échec du fait de sa focalisation sur des intrigues et des querelles politiques. Pattison constate que les deux premières phases sont responsables de la faiblesse spéculative à Oxford et espère un renouveau ; il est intéressant de voir qu’il place indirectement le courant idéaliste dans l’optique d’une nouvelle phase de la pensée à Oxford, grâce à l’effet des forces conjuguées de Jowett, de Green et de Wallace (voir à partir de la page 94).
49 Cf. James Bradley, « Hegel in Britain, ... », op. cit., p. 18.
50 Robbins, The British Hegelians, op. cit., p. 44. Pour les commentaires de Robbins au sujet de Jowett, voir les pages 29-31 et 43-46.
51 Ibid., p. 10.
52 Matt Carter, T.H. Green and the Development of Ethical Socialism, Exeter, Imprint Academic, 2003, p. 11-14.
53 Le titre de cette sous-partie est une référence au livre de Denys P. Leighton, The Greenian Moment : T.H. Green, Religion and Political Argument in Victorian Britain, Exeter, Imprint Academic, 2004.
54 « Après tout, Bradley a pendant longtemps été considéré comme le symbole majeur du néo-hégélianisme britannique, même s’il a lui-même ostensiblement répudié l’étiquette néo-hégélienne, et s’il a nié avoir jamais connu une école néo-hégélienne en Grande-Bretagne ». Gary Bedell, « Bradley and Hegel », Idealistic Studies, Vol. 7 n° 3, Sept. 1977, p. 262.
55 « Popular Philosophy in its Relation to Life », in Works of Thomas Hill Green. Vol. 3 : Miscellanies and Memoir, édité par K.L. Nettelship, Londres, Longmans, Green and Co, 1888, p. 92-125.
56 L’utilisation de ce terme est le fait de Green.
57 « Elle prend certaines conceptions formelles pour argent comptant, sans critiquer leur origine ou leur validité », T.H. Green, « Popular Philosophy in its Relation to Life », p. 92.
58 Ibid., p. 93.
59 Ibid., p. 96.
60 Ibid., p. 93-94.
61 Ibid., p. 117.
62 Voir pages 118 à 122.
63 Ibid, p. 109.
64 Ibid., p. 124.
65 Ibid, p. 122.
66 Ibid, p. 125.
67 H. Jaeger, « La mystique protestante et anglicane », in La Mystique et les mystiques, dir. A. Ravier, Paris, D.D.B., 1965, p. 324, cité par René Gallet dans Romantisme et Postromantisme de Coleridge à Hardy : Nature et surnature, op. cit., p. 130.
68 Cf. James Allard, The Logical Foundations of Bradley’s Metaphysics, op. cit., p. 12.
69 Un autre point commun peut aussi se deviner derrière leur lecture non entièrement « de droite » de Hegel (Cf. James Bradley, « Hegel in Britain, ... », op. cit., p. 22-24).
70 James Allard, The Logical Foundations of Bradley s Metaphysics, op. cit., p. 13.
71 James Bradley, « Hegel in Britain », op. cit., voir le premier moment de sa deuxième partie : « The Usage and Critique of Hegel, 1865-1914 – British Idealism or Anglo-Hegelianism ? », p. 12-17.
72 Ibid., p. 12-13.
73 « Popular Philosophy and its Relation to Life », op. cit., p. 110.
74 René Gallet, Romantisme et Postromantisme de Coleridge à Hardy : Nature et surnature, op. cit., p. 7.
75 Ibid., p. 129-131. Voir également, du même auteur, Romantisme et postromantisme de Wordsworth à Pater, op. cit., p. 7-9.
76 Ibid., p. 9.
77 Edward Caird, « The Problem of Philosophy at the Présent Time », in Essays on Literature and Philosophy, Vol. 2, Glasgow, James MacLehose, 1892, p. 191-192.
78 Walsh, « The Zenith of Greats », op. cit., p. 318.
79 « Nous ne représentons, ni ne voulons représenter, aucun principe philosophique précis, à moins que la croyance en la possibilité de la philosophie constitue un principe ». Cette lettre, reproduite par Melvin Richter dans The Politics of Conscience : T.H. Green and his Age, op. cit., p. 160-161, se trouve dans le volume 4 des Collected Works of F.H. Bradley : Selected Correspondance, op. cit., p. 1-2. Richter ajoute en bas de la page 161 que A.C. Bradley a refusé la suggestion de Marian de Glehn d’écrire en introduction à la seconde édition de Ethical Studies que le livre de Bradley était la première formulation idéaliste dans le domaine de l’éthique, sachant que Bradley avait été auparavant formé à l’école de Green.
80 R.L. Nettleship, A Memoir of Thomas Hill Green, Londres, Longmans Green & Co., 1906, p. 91-92. Voir également page 97, au sujet de l’Essay Society : « L’enthousiasme n’avait pas été suscité dans le sens d’un projet prédéfini ou d’une idée préconçue, et les huit ou dix hommes qui s’étaient réunis n’avaient pas le dessein de propager aucune doctrine particulière de leur maître. Un bon mot les qualifiait de “société en quête de totalité”, et peut-être que le lien principal qui les unissait était une aversion commune pour la superficialité. Si on leur avait demandé en quoi ils croyaient, il n’aurait pu répondre que “en la philosophie” ; mais cette croyance n’était pas moins réelle parce qu’elle demeurait vague, et sa diffusion progressive à Oxford a inspiré une renouveau et un plus grand sérieux dans de nombreux enseignements ».
81 « Si la forme du régime politique de l’Allemagne n’est pas transférable de ce côté de la Manche, il ne saurait en être différent pour la philosophie allemande. Il est hors de question de procéder à une utilisation directe pour répondre à des buts anglais puisque le contexte est bien trop différent. Mais cela ne signifie nullement que l’étude des grandes œuvres de la pensée des autres pays soit inutile, pas plus que ne l’est l’étude des grandes réalisations des hommes d’État étrangers ». William Wallace, The Logic of Hegel, op. cit., p. xix.
82 Ibid., p. xxii.
83 Walsh, « The Zenith of Greats », op. cit., p. 314-315.
84 « Notes on Green’s Lectures on Moral and Political Philosophy », PAP, p. 57-136.
85 II s’agit d’une référence à Sir James Mackintosh (Dissertation on the Progress of Ethical Philosophy Chiefly during the Seventeenth and Eighteenth Centuries [1832]), qui définit l’éthique à de nombreuses reprises comme « the science of Right and Wrong », ibid., p. 61.
86 Ibid., p. 62.
87 « Donc, nous avons deux grandes divisions. On part du matérialisme et on finit dans un contrat et un État-machine », ibid., p. 64.
88 Green le fait à deux niveaux. A un niveau individuel, Hume et Swinbume sont rapprochés des philosophes cyrénaïques, le premier à cause de sa philosophie sensualiste, le second du fait de son insistance à exacerber les sentiments individuels (Ibid., p. 77 & p. 80), Helvetius de l’épicurisme (p. 81 ; Helvetius a eu une grande influence sur Bentham : il est à l’origine de son utilitarisme), Carlyle du stoïcisme parce qu’il se réfère incessamment à l’idée d’énergie, et Matthew Arnold du stoïcisme tardif, satirique et négatif à cause de sa critique du philistinisme et de sa conception négative de la culture (p. 84-85). À un niveau collectif, Green estime que les formes de l’autorité théologique (personnifiée par Joseph Butler) renvoient aux conceptions présocratiques voire homériques, où le théologique et le philosophique n’étaient pas encore dissociés ; que les utilitaristes, ou l’école matérialiste qui englobe l’utilitarisme et comprend aussi les économistes politiques, Hobbes, Mill et Humboldt, les scientifiques et les positivistes (p. 105) sont de nouveaux sophistes, et que la philosophie moderne prépare l’avènement d’une nouvelle métaphysique puissante. Il estime en outre que le platonisme, le néo-platonisme et le christianisme ont finalement émergé à la faveur de la confusion philosophique de l’époque antique (p. 62 & p. 73 & p. 78). On peut ajouter que J.S. Mackenzie, dans un article publié en 1902 dans Mind, effectue des parallèles entre le monde grec et le monde moderne pour mettre en valeur l’importance de la philosophie hégélienne dans un esprit et une argumentation proches de celle de Green : « Je considère donc que l’importance de la façon hégélienne de penser dans le monde moderne est très similaire à ce qu’était la façon aristotélicienne de penser dans le monde antique », in « The Hegelian Point of View », Mind, NS vol. XI, 1902, p. 62.
89 « Le monachisme et l’hermétisme à l’époque moderne sont une réponse au Cynisme. Tous consistent à créer un petit monde idéal. Vous pouvez attribuer toute la spiritualité que vous voulez à un principe, il demeure qu’il est nécessaire de donner un contenu à votre idée [...] », PAP, p. 82.
90 Ibid., p. 109-114.
91 « Butler est plus proche de la bonne façon de penser que ne le sont les partisans de l’associationnisme, mais il est limité et non-philosophique », ibid., p. 119. Green se réfère à The Analogy of Religion to the Constitution and Course of Nature (1736, l’édition que Green a utilisée aurait été celle de Joseph Angus, de 1855) et à ses nombreux Sermons, contenus également dans l’édition d’Angus. Il est important de signaler que l’ouvrage de Butler représentait l’orthodoxie en matière de philosophie chrétienne à Oxford, et que les remarques de Green sont bien la preuve qu’il y avait eu un transfert d’importance au cours du dix-neuvième siècle, que la philosophie séculière de Mill, et notamment son livre The System of Logic, avait fini par l’emporter au milieu du dix-neuvième siècle, provoquant une situation de crise qui s’est cristallisée autour de la question de la « relativité de la connaissance » que nous aborderons dans le chapitre IV.
92 « L’éthique de Kant semble impraticable ; c’est dû au fait qu’il se contente d’esquisser un schéma, de donner une forme : son éthique est entièrement abstraite et formelle, elle n’est pas concrète », Ibid., p. 126.
93 Ibid, p. 135-136.
94 Ibid, p. 127.
95 David Boucher (dir.), The British Idealists, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
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