Introduction
p. 14-35
Texte intégral
« Les individus ne sont étudiés que dans la mesure où ils sont vecteur d’une intrigue, mais surtout dans la mesure où ils s’insèrent dans un tableau plus vaste. »
(Danilo Martuccelli, Sociologies de la modernité)
I
1La popularité du football et ses débordements. Voilà un thème de recherche inattendu. Incongru même. Mais puisque « l’intérêt de la sociologie – comme de toute discipline scientifique – se mesure à sa capacité d’expliquer des phénomènes à première vue obscurs pour l’esprit »1, ce livre contient au moins une des deux raisons susceptibles de le rendre intéressant. Bien qu’il ait fait l’objet de plusieurs études empiriques sérieuses, le succès parfois débordant du spectacle footballistique reste effectivement un fait social énigmatique. Plusieurs phénomènes nous échappent encore : pourquoi se signale-t-il par l’instabilité de son audience dans le temps ? Pourquoi attire-t-il plus ici et moins là au même moment ? Pourquoi déclenche-t-il des mobilisations partisanes aux formes hétérogènes et aux motivations parfois antagoniques ? Pourquoi dérive-t-il occasionnellement sur un désordre public manifeste ? Ce livre existe à cause de ces questions. Elles sont suffisamment problématiques pour que s’engage une réflexion sociologique à propos d’un objet de moins en moins méconnu, mais toujours en mal de reconnaissance.
2Je n’ai pourtant été confronté ni aux railleries ni aux tentatives de découragement au moment d’entamer cette écriture et surtout les enquêtes qui l’ont précédée. Bien sûr, des discussions ont pu m’échapper. Comme j’ai cru comprendre qu’elles m’invitaient à la conformité, c’est-à-dire à faire de la sociologie du spectacle sportif une forme de critique sociale2, je n’y ai guère prêté attention : ce n’est pas aux conventions d’établir les significations des loisirs de masse. Mon directeur de thèse3, du bon sens et deux lectures en particulier m’ont en tout cas dissuadé d’en faire, a priori, un principe actif de remède social4 voire d’en extraire à tout prix la manifestation et/ou la source d’une quelconque aliénation5. Si les frontières du domaine de la sociologie dépendent autant de la nature de ses objets que des manières de les interroger, il est donc vain de vouloir en arrêter les contours à partir de l’une ou de l’autre de ces deux conditions. Quoi qu’il en soit, la réalité contient suffisamment de raisons qui légitiment la rencontre du sociologue avec des acteurs particuliers du sport. Elles nous viennent du poids de la vie sportive dans la vie sociale, et plus encore de tout ce qui concourt à faire du stade de football l’une de ses principales cour de récréation. De passions. De déraisons même.
3Sans vraiment trahir l’une des pensées de Georg Simmel6, Christian Pociello a noté combien les questions sportives étaient devenues des questions de société derrière lesquelles le monde se donne à voir7. Sans doute est-ce une des raisons de sa popularité, le sport est plus qu’une activité physique. A ce titre, la « mise en ordre sportive » proposée par Pierre Parlebas ne manque pas de perspicacité : « Peut-on réduire un match de football, une finale olympique ou une étape du Tour de France à une seule dépense énergétique, ou à un simple désir de se dépasser en espérant faire mieux la prochaine fois ? Ce serait faire preuve d’une étonnante cécité sociologique »8. Aujourd’hui spectacle qui attire les foules et pratique pour des millions de personnes, le sport s’impose comme un fait majeur de la société française. Il est une rubrique dans la plupart des quotidiens, le thème principal de plusieurs magazines de la presse spécialisée, le sujet de nombreuses émissions de radio, la thématique centrale de plusieurs chaînes de télévision, un spectacle que l’on consomme et peut même provoquer plus singulièrement une hypermnésie comme chez Georges Pérec9. Comme rien ne semble actuellement en mesure de troubler la marche en avant du sport, pas même ses affaires10, nombreux sont ceux qui pensent par exemple que « le 21ème siècle sera sportif ou ne sera pas »11. Le fait est que la médiatisation outrancière de quelques spectacles sportifs aura immanquablement renforcé ce genre de tentation, dans un contexte culturel marqué par une progression généralisée des pratiques audiovisuelles domestiques mais surtout par l’augmentation du temps consacré à la télévision12. Le développement de la « culture de l’écran » n’a toutefois pas empêché la croissance de la plupart des activités de loisirs d’extérieur, ni éliminé la sociabilité sur laquelle elles reposent souvent. Du point de vue de la pratique, Jacques Defrance a remarqué une expansion séculaire du sport13. Nous serions ainsi passés de « 900000 personnes adhérant à des sociétés spécialisées dans les activités de type gymnastique ou sportif » en 1909 à environ 13 millions de licenciés « dans les associations sportives en tous genres » en 1990. Quant aux spectacles des sports, Christian Bromberger a souligné une popularité croissante qui concernerait surtout les supports participatifs14 dans un marché global saturé. D’après une enquête de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, les compétitions sportives consommées sur place auraient même touché près de deux fois moins de personnes entre 1967 et 198715. Or, s’agissant du football, nous savons qu’il n’en est rien puisque l’affluence moyenne dans les grands stades progresse ; suffisamment en tout cas pour que l’auteur du Match de football nous parle d’une « footballisation de la société »16.
4 Le football est le sport le plus mobilisateur qui soit : sans doute le « sport du siècle »17. Qu’il s’agisse de la presse ou de la télévision, les bonnes performances du sport sur de tels supports reposent surtout sur le « produit football »18 en raison de l’incertitude et de l’identification qui le structurent fortement. En France, depuis une dizaine d’années maintenant, la moyenne des spectateurs présents lors des rencontres ne cesse de progresser19. On est ainsi passé d’une moyenne de 11500 spectateurs en 1995 dans le cadre du championnat de première division (saison 1995/1996) au seuil des 18500 entrées payantes environ en 1998 (saison 1998/1999)20. Et que dire de la popularité de ce spectacle sportif dans d’autres pays ! Alors que l’on ne comptabilise pas plus de trois clubs français pour lesquels la moyenne de spectateurs atteint au moins la barre des 30000 personnes (le Racing Club de Lens, le Paris Saint Germain et l’Olympique de Marseille), l’Angleterre, l’Italie ou l’Allemagne en abritent au moins cinq. En Espagne même, l’affluence moyenne de certains stades dépasse 70000 spectateurs, une réalité qu’aucun club de l’hexagone ne pourra connaître avant longtemps. Pour autant, s’agissant d’une telle popularité, il convient de reconnaître le rôle déterminant de la configuration des lieux du spectacle footballistique. En effet, en dehors du rugby mais seulement dans quelques villes, aucune autre discipline sportive ne profite d’enceintes aussi vastes, aussi aménagées et aussi confortables que celles dont disposent les grands clubs français de football. L’idée n’est pas de dire que le vide ou l’espace appelle le trafic des passionnés, mais plutôt de reconnaître que les fabricants des spectacles du football bénéficient des meilleures ressources pour promouvoir leur produit.
5Malgré cela, il arrive que le football n’attire pas les foules. Au Portugal par exemple, l’équipe « première » du Benfica de Lisbonne dispose de l’un des plus grands stades européens mais ne parvient à le remplir qu’en de rares occasions. Dans bien des cas en effet, des clubs de football possèdent les principaux outils de promotion du spectacle mais ne parviennent pas à le rendre populaire. Que faut-il donc pour qu’un match de football constitue un « terrain privilégié à l’affirmation des appartenances collectives »21 ? Alors que le football représente un phénomène de masse dans la plupart des sociétés industrialisées, on constate une variation des engouements populaires d’un terrain à l’autre, d’un pays à l’autre. En Italie, dont la population équivaut à celle de la France, ils sont pratiquement 40000 en moyenne à se déplacer pour chaque match professionnel contre un peu plus de 20000 dans l’hexagone. Dans ce contexte, et c’est là un enseignement important, on remarque toute la singularité de quelques « cas français ». Avec une affluence moyenne dépassant les 30000 spectateurs dans le cadre du championnat de première division, le stade de Lens est une place forte du football français. Comment expliquer qu’un club d’un même niveau et d’un même pays ne soit suivi que par un peu plus de dix mille spectateurs ? C’est justement en comparant deux situations de ce type que j’énoncerai les déterminants de l’audience du spectacle footballistique. Car si certains parviennent à saisir globalement l’écart de popularité qui sépare les football français et anglais22, si on sait aujourd’hui que la rivalité sportive stimule les mobilisations collectives et se construit sur des conflits récurrents d’une autre espèce23, on n’explique pas encore les différences d’un club à l’autre dans une même culture, pour un même niveau et à la même époque. J’ai choisi d’entreprendre ce travail à partir d’une étude comparative du Racing Club de Lens et du Lille Olympique Sporting Club, dans la seconde moitié des années 1990, en me concentrant sur les supporters organisés.
II
6Le football est donc sans conteste le sport qui mobilise le plus en France. Depuis les pratiquants « sauvages « jusqu’aux licenciés officiels, ils sont plus de deux millions à frapper régulièrement dans le ballon. Et si on a pensé, un temps, que le tennis pouvait lui disputer son hégémonie sur le plan national, un examen de l’espace des clubs et quelques données comptables conduisent plutôt à inscrire le principal sport de raquettes dans une période de crise de recrutement24. Quant à l’engouement qui entoure les matchs des footballeurs professionnels, il semble réduire les promoteurs des autres spectacles à la portion congrue : du stade au salon, le football rythme l’ordinaire de la vie de millions de personnes. Pourtant, je le souligne encore, cette situation n’a pas franchement déclenché d’enthousiasme du côté des chercheurs en sciences sociales même si le thème même du football a déjà été traité comme on le verra. La question de la popularité parfois débordante du football serait-elle mal posée ? Faut-il envisager de la traiter en isolant le problème des affluences d’un côté, et celui des violences des spectateurs de l’autre ? Trois raisons m’ont conduit à ne pas dissocier ces deux dimensions, c’est-à-dire à partager une partie du point de vue d’Eric Durining25. Tout d’abord elles se confondent effectivement dans l’espace, elles procèdent a priori des mêmes catégories d’acteurs, elles se raccrochent à la passion du football et l’une des deux émerge rarement sans l’autre. Mais les heurts qui surviennent dans et autour des stades ne sont pas nécessairement concomitants de l’audience du spectacle offert par les footballeurs professionnels ; je crois plus spécialement que le peuple des tribunes se prête a priori à ce que Wolfgang Sofsky appelle l’incorporation. Du moins ai-je ainsi interprété l’un de ces fameux passages où l’auteur de L’organisation de la terreur explique que la masse court-circuite la raison et la conscience, qu’elle libère l’individu de lui-même, qu’elle est tout entière violente dès lors que sa majorité aplanit le terrain de la violence en restant silencieuse26. Ceci ne signifie pas que les publics des stades se signalent par une « unité mentale » pour reprendre une formule de Gustave Le Bon, ceci veut dire qu’un spectateur des violences commises par un autre spectateur est lui aussi et d’une certaine façon violent. Pourquoi alors vouloir séparer absolument les comportements de l’un de ceux de l’autre ? Mais cette lecture orientée à la manière de la théorie des « fenêtres brisées » n’explique pas tout. Prétendre pouvoir comprendre la popularité du spectacle footballistique à partir de ses partisans les plus engagés, les plus organisés, amène effectivement le chercheur à se pencher sur l’ensemble des attitudes de supporters. Aussi fallait-il mobiliser tout ce qui est significatif dans leurs conduites, depuis les plus festives jusqu’à celles qui semblent belliqueuses. Enfin comme je ne souhaite surtout pas mettre en scène cette recherche, j’insiste sur le fait que la volonté d’interroger de cette façon le monde des supporters repose sur une triple impulsion. Une série de rencontres, des motivations générées par des évènements de mon existence et un contexte particulier auront ainsi singulièrement façonné ce premier travail d’apprenti sociologue. C’est vrai pour ce qui concerne les questions qu’il pose, les méthodes et techniques qui le composent, le terrain sur lequel il s’appuie. J’aimerai pouvoir faire comprendre tout cela à la manière d’Olivier Schwartz, notamment parce que cet auteur a la pertinente modestie de ne pas d’emblée se présenter comme l’unique instigateur de ses recherches27.
7Ce livre a effectivement une histoire. Académique, personnelle, une histoire qu’anime le goût pour l’étude des activités récréatives contemporaines. Après des premières tentatives consacrées à l’apparemment gratuit28, je me suis investi dans l’examen des mobilisations collectives dans les stades29. Un environnement stimulant mêlé à quelques expériences biographiques passées sont à l’origine, sans doute, de cette envie de comprendre les phénomènes du supporterisme. Ainsi au milieu des années 1980, au cours d’une sortie organisée par l’association sportive à laquelle j’appartenais, j’ai pu vivre ma première expérience en tant que spectateur d’un grand match de football. C’était au stade Félix Bollaert de Lens, pour le compte d’une rencontre du championnat de France de première division opposant le meilleur club du Pas-de-Calais aux « Chamois niortais » sans doute. Je me souviens de la masse de supporters, des couleurs, des chants, du bruit, des cris. Regroupés dans les gradins placés derrière les buts, mes camarades et moi étions de tout cela. Un peu dedans, un peu au-delà. Je me souviens d’un voyage, d’une situation inconnue jusqu’alors, d’incertitudes et d’incompréhensions. Plus tard, une fois le match terminé, nous sommes allés voir les joueurs en espérant obtenir quelque chose. Un attaquant de l’époque m’a donné une écharpe aux couleurs du Racing Club de Lens et me l’a mise au cou. Je l’ai conservée plusieurs années, l’utilisant même parfois comme fichu lorsque mon oncle m’emmenait « au match ». J’avais onze ans. J’étais un enfant. J’ai été fasciné. Longtemps j’ai vécu avec le souvenir de cette foule agitée et passionnée, comme nombre de mes amis d’enfance. Mais alors que nous vivions dans un village situé en bordure du bassin minier et tandis que nous y pratiquions le football, nous ne sommes pas tous devenus des supporters fréquentant régulièrement les tribunes de Bollaert ou d’ailleurs. Quelques années plus tard, ma vie d’étudiant m’ayant amené à m’installer à Lille, je fus frappé de voir l’instabilité de la passion du football. Je ne comprenais pas pourquoi deux clubs, le Racing Club de Lens et le Lille Olympique Sporting Club, d’une même région et de niveaux de pratique équivalents ne mobilisaient pas les foules dans des proportions similaires. Je ne comprenais pas non plus, après avoir fréquenté les deux stades, comment un même spectacle sportif pouvait déclencher une telle variété de styles supporteristes.
8Contrairement à une de mes camarades partie interroger un aspect de la condition féminine en Bolivie, j’ai toujours pu profiter d’un double privilège : la proximité de mon terrain d’enquêtes d’une part, l’audience du spectacle footballistique d’autre part. Si celle-ci facilite l’exercice de la recherche en sociologie puisque le football laisse rarement indifférent, elle le complique aussi car une question ne reste jamais longtemps sans réponse. L’anonyme, le curieux, l’accroché au zinc ont souvent à dire à propos du football. Ils soulignent ainsi que ce stade ne sera jamais aussi animé que tel autre, ils expliquent que cette ville est trop bourgeoise pour aimer le ballon rond tandis que celle-là est suffisamment ouvrière, ils racontent que ce terrain est truffé d’exploits mais que celui-là n’en supportera pas. Mais les remarques furtives ramassées ici ou là ne sont pas toutes à rejeter ; j’ai été très tôt en position de me demander si je ne perdais pas plus que je ne gagnais à ne pas les considérer du tout. Le terrain ne m’avait-il pas déjà suffisamment apporté au point que j’en fasse le principal vivier de mon explication ? Ce terrain m’a tout d’abord conduit à poser les questions de cette recherche, il m’a ensuite aiguillé sur la manière de les résoudre en privilégiant la méthode comparative, il m’a enfin permis d’apporter plusieurs éléments de réponse puisque je l’ai choisi comme lieu d’enquêtes en m’arrêtant sur les cas lensois et lillois. Ces enquêtes ont par ailleurs été facilitées, voire tout simplement produites, autour de l’équipe du Peuple des tribunes30 et au cours d’une recherche financée par l’Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure31. Je me suis nourri de ces expériences, j’y ai fait des rencontres, j’y ai connu des incertitudes, j’y ai poursuivi mon apprentissage du métier de sociologue, j’y ai trouvé les moyens de nouer des liens sérieux avec les supporters. En même temps, c’est au contact de mon objet qu’une grande partie de mes hypothèses de travail a été élaborée : en tenant compte des points de vue les plus communs, en observant les passionnés au stade ou lors des déplacements, en partageant quelques-uns de leurs espaces de sociabilité comme les cafés, en me faufilant parmi les membres des groupes les plus emphatiques. Bien sûr, la pratique du football en milieu amateur ainsi qu’une fréquentation erratique des tribunes ont préparé un accès plus facile aux terrains d’études. Mais ces divers chemins ne pouvaient suffire même en m’apportant de quoi partager ce que vivent les supporters ; trop rarement il m’a été donné de ressentir, à la manière de l’ethnographe, la tendance principale de la culture que j’étudiais. Si l’explication que je propose dans ce livre repose en partie sur un travail de type ethnographique, elle emprunte aussi à tout un ensemble de démarches qui n’ont pas nécessité de contact concret avec les passionnés. Les documents produits par d’autres chercheurs, des archives de supporters, des sommes de données issues des clubs, des informations enregistrées par des forces de l’ordre..., la liste est longue des sources utilisées pour expliquer la popularité parfois débordante d’une telle culture sportive.
9Mais il fallait multiplier les méthodes de travail, les angles d’analyse et les apports théoriques pour obtenir des résultats qui soient concluants. En choisissant de les présenter tous, y compris ceux qui n’apportent pas d’explication tout à fait convaincante, je fais de ce livre une retranscription fidèle de toutes les étapes par lesquelles je suis passé. Si certaines ont profité de quelques retouches, pour l’esthétique, la plupart n’a subi aucune modification de fond tandis que l’arrivée de nouvelles connaissances me poussait à revenir sur des éléments précédents. Cette manière d’exposer les faits colle assez bien au travail du sociologue comme artisan intellectuel, c’est-à-dire ce chercheur qu’il faut imaginer à la tâche : sur le terrain en train d’accumuler des données qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, dans les références bibliographiques qu’elles soient de sa discipline ou pas, dans les lectures théoriques et méthodologiques, dans les archives, dans son espace de travail à recomposer les pièces de son puzzle, à rassembler des éléments explicatifs, à reformuler ses conclusions, à se souvenir de ce qu’il a pu entendre, à relire des retranscriptions d’entretien, à ressasser ce que de bons conseils ont bien voulu lui « lâcher », à jouer avec la totalité de ce qu’il détient et à la faire jouer. Sans rentrer trop vite dans le détail des différentes options méthodologiques et théoriques retenues, on peut souligner que ce procédé permet d’éviter deux écueils en particulier : le premier consiste en une confusion des idées entre les causes du phénomène que l’on cherche à expliquer et ses conséquences, le second fait de leur interprétation la seule piste explicative possible.
10La popularité du spectacle footballistique et ses dérives me semblent admirablement bien se prêter à ce quelque chose de sisyphéen, à ce quelque chose d’iatrogène, à ce quelque chose de faussement heuristique. Pourquoi ? De façon générale, les chemins qui amènent à la passion sont variés et il est peu probable que l’on puisse tous les identifier ; qu’il s’agisse de supporterisme ou de toute autre activité. Surtout, on éprouve les pires difficultés à démêler ce qui explique et ce qui est à expliquer justement parce que, une fois dans son établi, l’artisan peine à reconstituer la chaîne des relations de causalité. Il choisira alors soit de se concentrer sur un terrain circonscrit, soit d’en élargir au maximum les contours. Or, l’explication des mobilisations partisanes ne peut pas faire l’économie d’une association de techniques de recherche amorcée à la fois par un angle macrosociologique et par un autre plus microsociologique. Il ne peut pas non plus se focaliser sur la dimension la plus accessible a priori de son objet, il doit s’attaquer à l’essentiel de ce qui le compose. Voilà pourquoi la compréhension du plus populaire des spectacles sportifs passe principalement par l’étude de ses pratiquants les plus assidus, pourquoi celle-ci ne les considère pas comme formant un monde éphémère sans lien avec la société, pourquoi elle contient aussi de quoi saisir ce qui amène les supporters à participer aux débordements dans et autour des stades.
III
11Le spectacle du football ne s’adresse pas qu’à quelques-uns uns mais aux foules. Des milliers, des dizaines de milliers d’amateurs se pressent aux portes des stades. Cette mobilisation anime beaucoup sur son passage : les rues et les lieux de rafraîchissement qu’elles offrent aux pèlerins, les gares, les routes et les autoroutes, les parkings, les aires de repos, les stations-service. Cette mobilisation détruit aussi, parfois, sur son passage. Ephémère certainement, rythmée par le calendrier des compétitions de professionnels, spectaculaire, agitée, festive, agressive parfois, la marche des supporters se présente facilement aux yeux du chercheur. Et c’est justement son succès et sa relative accessibilité qui perturbent, obligeant l’analyste à multiplier les pistes explicatives. Pourquoi ne pas en commencer le traitement par une entrée directe dans les tribunes du stade Bollaert (à Lens) ou dans celles de Grimonprez-Jooris (à Lille) ? Je le précisais, il faut éviter de donner au supporterisme une signification trop circonscrite. En faire une sorte d’activité sociale en suspension, aux fondations indépendantes des évolutions sociales me semble comporter un réel danger. Pour l’éviter, mais sans commettre l’erreur de s’en contenter, j’ai choisi de débuter l’explication des mobilisations de supporters par l’examen de deux énoncés d’ordre macrosociologique32 : le sport et le spectacle sportif représentent-ils de nouvelles formes de socialisation et sommes-nous au cœur d’un âge du sport ? Les éléments de réponse à ces questions ouvrent ce livre. La première hypothèse fait référence à la valeur sociale que Norbert Elias et Eric Dunning33 (pour ne citer que les pionniers de cette manière de voir) accordent aux loisirs en général, aux sports évidemment et au football en particulier. Elle est double : ce qui se passe dans l’espace des sports n’est pas indépendant de la structuration du social et la pratique supporteriste intervient dans un processus de « déroutinisation ». J’ai donc cherché à savoir si l’audience du spectacle footballistique et ses dérives se présentent « comme une réaction au changement social, comme la défense ou le maintien d’un équilibre passé mêlé au rêve d’un ordre nouveau »34 La première partie recense donc tout d’abord ce qui alimente l’affaiblissement des formes traditionnelles d’attachement social, en France, mais à un niveau très général : à ce stade, on ne considère pas encore spécialement les personnes qui assistent aux matchs de football. Les résultats issus de recherches en sociologie de la famille, de l’école, des religions et du travail constituent la base documentaire à partir de laquelle je m’engage davantage vers les significations du supporterisme. Poser qu’il représente une « résistance » nécessite effectivement, et au préalable, que soit définie l’altération des formes de cohésion sociale constatée à un niveau social plus général. Et si le recours au terrain me conduit à vérifier que le supporterisme ressemble à un moyen de retrouver une sociabilité insuffisamment présente par ailleurs, alors c’est Emile Durkheim qui aurait raison : « Les représentations, les émotions, les tendances collectives n’ont pas pour causes génératrices certains états de la conscience des particuliers, mais les conditions où se trouve le corps social dans son ensemble »35. Est-ce possible ?
12La question de « l’âge du sport » est, elle aussi, délicate car elle implique d’associer plusieurs thématiques : temps libre, loisirs, loisirs sportifs, pratiques sportives codifiées, pratiques sauvages ou de pieds d’immeubles. Si le travail reste une valeur cardinale dans la société, plusieurs indicateurs montrent cependant que le temps libre représente en moyenne l’essentiel du temps de vie aujourd’hui. Mais peut-on dire que le système des sports tout entier (pratique et spectacle) a bénéficié du développement des temps libres ? Est-il juste de s’interroger sur la popularité du sport en général ou faudrait-il plutôt s’intéresser à celle du spectacle footballistique en particulier ? L’examen précis de plusieurs facteurs (l’évolution des effectifs de diverses fédérations sportives, des niveaux de médiatisation des spectacles sportifs et celle des mouvements collectifs qu’ils déclenchent...) dira si les mobilisations dans les stades de football s’apparentent à un phénomène isolé ou non. Mais que fait-on de la question des violences de supporters ? Peut-on les expliquer à partir d’une mise en perspective fondée sur l’ensemble des spectacles sportifs ? On ne peut guère l’imaginer : le problème des débordements dans les enceintes sportives concerne presque exclusivement les stades de football ; voilà une indication qui nous rappelle ce qui relie les deux dimensions de l’ouvrage.
13En rapportant les activités des supporters – le supporterisme – à un affaiblissement des formes traditionnelles de cohésion sociale et en les rapprochant d’un développement généralisé du système des sports, on fait donc disparaître – au moins pour un temps – l’acteur qui est le supporter. Plusieurs raisons expliquent ce choix. Tout d’abord, l’explosion des affluences dans les grands stades français et l’augmentation constante des retransmissions télévisées incitent à tenter l’expérience d’une explication valorisant le collectif : le lecteur jugera si le succès de ce spectacle sportif et les violences des supporters reposent sur une raison commune d’agir produite par une crise de la société. On le sait, l’hypothèse de la réaction aux pressions sociales place une partie de ce travail dans le sillage d’une « tradition sociologique fortement ancrée ». Or, comme l’a écrit Christian Bromberger, celle-ci est discutable : « Au fond, si un match de football captive, ce n’est pas parce qu’il nous distrait des grands problèmes de l’existence individuelle et collective... »36. Je m’interrogerai donc sur la validité d’une conception fonctionnaliste classique du supporterisme : pourra-t-on savoir si il appartient à ce qui résout « en imagination la tension entre l’égalité de principe des hommes et leur inégalité de fait »37 ? Il ne faut pourtant pas voir dans ce livre une tendance « à l’hypostase du collectif et de la société par rapport à leurs composants individuels »38, ni la démonstration qu’une analyse globale n’a aucune vertu explicative. En prenant la sociologie de Raymond Boudon comme point de référence, deux options interprétatives structurent a priori ce travail. Premièrement, on peut « atteindre » la logique du social en ramenant les données macrosociologiques à leurs composantes microsociologiques de nature individuelle : les actions des supporters. N’est-il pas compréhensible qu’ils recherchent dans le spectacle footballistique des moyens de retrouver ce que le quotidien n’apporte plus suffisamment ? La seconde façon d’appréhender le versant déterministe de la recherche revient à exclure le supporterisme du jeu de la demande39, c’est-à-dire à invalider la cause déterministe/fonctionnaliste. Faire l’hypothèse que des contraintes sociales participent à la compréhension du supporterisme ne transforme donc pas obligatoirement le supporter en jouet des structures sociales40. Selon l’individualisme méthodologique, les conduites des acteurs que l’on cherche à expliquer ne sont pas de nature atomistique : « Le sujet de l’action individuelle est toujours en même temps un acteur social, inséré dans un contexte culturel et collectif dont il a naturellement intériorisé certaines normes et dont surtout les structures se présentent à lui sous formes de contraintes limitant sa marge de jeu et s’imposant comme un cadre avec lequel il doit compter »41. Aussi, et c’est un point de vue défendu par Raymond Boudon, la caractérisation du contexte de l’action à interpréter fonctionne comme « un élément d’information indispensable à intégrer pour rendre compte du comportement de l’acteur qui n’est certainement pas doté d’un libre arbitre absolu »42. Mais la contextualisation ne constitue qu’une phase du travail ; ce n’est qu’à son terme qu’il sera possible d’en valider la justesse. En réalité, l’usage d’un versant déterministe à la manière de Raymond Boudon n’offre pas deux options interprétatives mais trois : soit les phénomènes supporteristes obéissent à un affaiblissement des formes traditionnelles d’attachement social, soit celles-ci conditionnent en partie les stratégies des supporters, soit elles n’influencent que quelques acteurs isolés. Ces remarques sont utiles pour signaler mon inscription dans le premier temps du paradigme actionniste. Mais je ne veux pas démontrer, par une contorsion du social, la faculté « socialisatrice » du supporterisme. L’ensemble de la recherche se fonde plutôt sur l’individualisme méthodologique, sur cette « doctrine tout à fait inattaquable selon laquelle nous devons réduire tous les phénomènes collectifs aux actions, interactions, buts, espoirs et pensées des individus comme aux traditions créées et préservées par les individus »43.
14C’est pourquoi les premières analyses globales laisseront place à un plan de travail plus modeste d’une certaine façon, plus empirique certainement, plus fragmenté aussi. Il sera question des supporters, des responsables de groupes partisans, des dirigeants de clubs de football et de leur structure organisationnelle, des données relatives à l’environnement social des lieux de mobilisation et de préparation du supporterisme. Globalisante et présentée sous la forme d’une série d’hypothèses, l’étape de contextualisation doit nécessairement laisser place à davantage d’empirie parce que l’apparente unité qui se dégage du monde des tribunes représente un piège pour le chercheur. Comme elle doit beaucoup à l’éloignement de l’observateur, il convient d’analyser le supporterisme du point de vue des acteurs, de leurs stratégies et de leurs interactions. Après avoir délibérément opté pour un regard distancié puisque fondé sur des considérations générales, j’ai choisi de consacrer les deuxième et troisième parties de ce livre aux explications centrées sur les supporters, à Lens et à Lille. Il y sera d’abord question du supporterisme dans les stades de ces deux cités, des pratiques et des expressions partisanes. Je présenterai ensuite une étiologie des violences des supporters, à partir du cas des autonomes du Racing Club de Lens. La popularité du spectacle footballistique, sa fabrication, les activités qu’elle dissimule, les foyers de sociabilité sur lesquels elle repose et les débordements de supporters ne peuvent être expliqués sans une démarche de travail de type « ethnographique ». En même temps, l’analyse sociologique doit se préoccuper de ce qui relie les dimensions microsociologique et macrosociologique : l’organisation générale du livre traduit bien ces deux nécessités ; elle le fait d’ailleurs d’autant plus facilement qu’une explication causale procède de la combinaison de ces dernières.
IV
15L’entreprise consistant à expliquer la popularité du football jusque dans ses dérives n’est concevable qu’à condition de circonscrire le terrain de recherches. Expliquer causalement les affluences dans les stades de football nécessite d’élargir le versant empirique de l’étude. En effet, au regard de données chiffrées relatives à la popularité du football, on remarque qu’il n’existe pas d’équivalence d’une situation à une autre. Entre les pays tout d’abord, on sait combien le football est plus populaire dans les grandes nations européennes qu’aux Etats-Unis par exemple. Et bien que l’on ne puisse plus parler d’exceptionnalisme au regard de la réalité Outre-Atlantique, il faut reconnaître que le spectacle du football ne mobilise pas autant ici ou là. Pour un même pays ensuite, on sait que d’une ville à l’autre le football mobilise plus ou moins. Ainsi, deux clubs évoluant dans une même compétition ne seront pas soutenus par autant de supporters. D’un stade à l’autre, l’observateur constatera toute la variation de ce qui se passe autour d’un match de football. L’ambiance diffère d’un stade à l’autre, la polyphonie d’une situation renvoie au quasi silence d’une autre, la polychromie de telles tribunes souligne la grisaille dans la représentation que l’on se fait de telles autres44. Du stade de Saint-Ouen à celui du Parc des Princes, du club de Reims Sainte Anne à celui du Stade de Reims, de Sedan à Charleville ou de Lens à Lille, le football occupe plus ou moins l’espace populaire. Il existe des différences que les seuls résultats sportifs n’expliquent pas, même si ceux-là attisent la mobilisation partisane.
16Puisque l’on « explique qu’en comparant », et que le niveau de fabrication du spectacle footballistique ne peut être significatif que par la prise en compte comparative des différences45, je me suis concentré sur deux clubs d’une même région et évoluant à un même niveau de jeu lors de mes investigations : le Racing Club de Lens (RCL) et le Lille Olympique Sporting Club (LOSC). Pour reprendre l’idée de Georg Simmel, il serait illusoire de penser que le chercheur peut aboutir à une prise en compte intégrale du discours des personnes. Aussi, afin de satisfaire au principe de faisabilité de la recherche, je ne pouvais retenir la totalité des stades français. De même, je n’ai pas tenu compte des raisons de l’ensemble des acteurs qui jouent un rôle à l’intérieur du football. Premièrement, j’ai distingué deux dimensions du football parce qu’elles contiennent des engagements individuels différents et des structures particulières : le football comme pratique et le football comme spectacle46. Il ne m’a pas semblé opportun de me tourner vers le monde de la pratique, du moins de façon empirique. Si la frontière entre les deux dimensions est claire, on ne doit pas nécessairement neutraliser le monde des pratiquants de notre propre analyse. On peut effectivement supposer qu’une partie des spectateurs du jeu sont eux-mêmes et par ailleurs les acteurs de ce jeu. C’est la raison pour laquelle j’ai émis l’hypothèse d’une corrélation entre le niveau de pratique du football et sa mise en spectacle. Sur ce point précis, je ne me suis pas intéressé aux discours des pratiquants. J’ai simplement comparé des données chiffrées de façon à mesurer l’influence de la variable « pratique sportive ». Les résultats de ce travail – effectué à propos de plusieurs disciplines et spectacles sportifs – confirmeront-ils l’hypothèse d’une relation de causalité entre pratique et spectacle ?
Tandis que la recherche des significations du supporterisme porte sur l’ensemble des personnes qui se rendent régulièrement au stade47, la vérification de la plupart des hypothèses concerne surtout les personnes dont la forme de soutien amène le chercheur à s’engager dans les tribunes des stades ; précisément vers celles et ceux qui lui permettent de réaliser son activité48 : les membres des réseaux officiels de supporterisme et les partisans qui s’affranchissent des modèles préfabriqués de soutien produits par les clubs professionnels c’est-à-dire les « autonomes ». Pour terminer ce rapide inventaire des acteurs sollicités dans ce travail, j’insiste sur le rôle prépondérant des dirigeants des clubs : l’explication des mobilisations collectives autour du football implique de s’intéresser aux comportements et à l’organisation des supporters ainsi qu’aux pratiques des clubs. Centrer la recherche sur le supporterisme organisé m’a obligé effectivement à mesurer tout le poids de son corollaire soit la politique des clubs en matière de gestion du public. Le football, compris comme spectacle organisé, représente une coproduction qui renvoie à la mobilisation de ces deux types d’acteurs. Par conséquent, la centaine d’entretiens effectuée porte logiquement à la fois sur les supporters organisés et les dirigeants des clubs. Si le caractère globalisant des premières pistes explicatives concerne la société dans son ensemble, la plupart des données empiriques se rapportent aux deux clubs ; la plupart, car en vertu des moyens dont je disposais pour expliquer les comportements « violents » des supporters, il m’était impossible de saisir le cas des partisans lillois. J’y reviendrai. Le deuxième temps de la recherche s’inscrit tout à fait dans un courant théorique et méthodologique de type wébérien49 : en premier lieu puisque j’explique le niveau de popularité du spectacle footballistique en le ramenant à des déterminants microsociologiques, en second lieu puisque ces causes sont dérivées des discours des supporters organisés et des dirigeants des clubs de Lille et de Lens. Alors j’assimile les causes aux raisons implicites et explicites des acteurs, à leurs stratégies et aux interactions. Enfin, en fonction des catégories que j’ai définies et choisies d’analyser, je respecte ce que l’on nomme prosaïquement le principe de la simplification réfléchie.
17Pour autant, le deuxième temps de cette recherche ne doit pas être uniquement caractérisé et rangé dans la tradition individualiste de la sociologie classique, je veux dire individualiste au sens fort. Comme une bonne partie de la recherche sera d’étudier les supporters et les relations entre les groupes auxquels ils appartiennent, on pourrait fort bien situer ce travail dans la perspective de l’interactionnisme symbolique. En effet, si l’on se réfère à la définition que donne Karl Popper de l’individualisme méthodologique, l’approche en terme de groupes est à exclure de ce courant50. Autrement dit, la notion d’acteur se réduit aux seuls individus et l’on ne doit pas considérer les groupes comme tel malgré l’unité de décision suffisamment homogène qu’ils forment parfois. En revanche, si l’on se rapporte encore une fois aux propos de Raymond Boudon, le problème du statut des groupes ne se pose pas et l’intérêt du recours à l’interactionnisme symbolique non plus. Prenant appui sur la méthode adoptée par Max Weber dans un de ses ouvrages, Raymond Boudon indique que l’individualisme méthodologique « n’interdit pas de regrouper les acteurs en catégories s’ils se trouvent dans une situation analogue et qu’on peut s’attendre à observer de leur part une attitude semblable sur tel ou tel sujet »51. Voici qui remet en cause l’une des critiques de l’individualisme méthodologique.
18Dans les sections consacrées à la question de l’audience du spectacle footballistique, l’étude sera comparative : pourquoi ferais-je l’économie d’une méthode aux propriétés démonstratives déjà avérées ? Le choix de deux clubs situés dans ce que l’on appelle parfois « une région sportivement prédestinée »52 exige le rappel de quelques facteurs. Tout d’abord, une forte implantation des jeux traditionnels dans la région a contribué à l’enracinement de formes de sociabilités collectives et ludiques. Le Nord – Pas-de-Calais a d’autre part été très tôt perméable à la diffusion de la pratique du football en raison d’une situation géographique privilégiée entre l’Angleterre, la Belgique et la région parisienne (création en 1898 de l’Union Sportive Boulonnaise, de l’Iris Club Lillois en 1899, du Racing Club de Roubaix en 1899, etc.). De plus, la présence de fortes « colonies » britanniques à Boulogne, Calais et dans les principaux centres industriels (Lille, Roubaix, Tourcoing) aura facilité l’apprentissage du jeu et des règles du football association. Si l’on ajoute enfin la multiplicité des lieux de pratique (les premières aires de jeu apparaissent dès 1892 dans des lycées à Cambrai et à Saint-Amand) et les 133.820 licenciés comptabilisés par la Ligue régionale53, l’emploi de la formule « terre de football » à propos du Nord – Pas-de-Calais n’étonnera personne. Même si les pratiquants amateurs n’ont pas les moyens d’être soutenus par d’authentiques foules partisanes, quelques clubs continuent de mobiliser un public fidèle dans des proportions significatives. Le Valenciennes Anzin Football Club (formation de Nationale 1) est régulièrement suivi par plus de trois mille spectateurs, l’Union Sportive de Boulogne Côte d’Opale ou le Racing de Calais (Championnat de France Amateur) intéressent chacun un bon millier d’individus en moyenne voire plus. Et si l’on s’enfonce un peu plus dans la hiérarchie des compétitions, certains stades accueillent parfois plus de cinq cents spectateurs le samedi ou le dimanche lors des matchs de haut niveau de ligue54. Mais si le spectacle du football a tendance à exister en dehors des grandes arènes réservées aux joueurs professionnels, les foyers de mobilisation des supporters sont rares : les stades Bollaert et Grimonprez-Jooris constituent les principaux lieux de manifestation des partisans au nord de la France. Ceci ne fait pourtant pas du Nord – Pas-de-Calais un « territoire exceptionnel » de football sur le plan international55.
19Eu égard à l’ancrage théorique privilégié dans la recherche et à ce qu’il commande d’accomplir sur le plan méthodologique56, le choix de ce terrain s’est malgré tout imposé à moi. On l’a supposé, au quotidien, il m’a offert de quoi multiplier les observations et le recueil des données quantitatives et qualitatives. L’utilisation de données empiriques n’a toutefois pas seulement offert de nouvelles explications du supporterisme (le rôle joué par les clubs, l’influence exercée par les responsables de groupe de supporters, la parole des partisans eux-mêmes, etc.) ; elle a débouché aussi sur un ensemble de tests utiles à l’évaluation du degré de corroboration des énoncés macrosociologiques57 insuffisants pour comprendre les bonnes raisons qu’ont les acteurs d’être des supporters. Tout d’abord, il était indispensable d’expliquer la création de ce l’on appelle les sections. C’est là en effet que s’organisent et s’enracinent la mobilisation au stade, la sociabilité entre supporters, la passion du football. J’ai donc traité le problème de la formation des associations de supporters : comment se constituent-elles ? La mise à jour des « rationalités » de groupes a reposé sur des énoncés empiriquement falsifiables (Raymond Boudon n’excluant pas d’avoir recours à l’individualisme méthodologique pour comprendre les orientations et les actions des groupes, l’adoption du modèle d’explication actionniste autorise d’étendre la notion d’acteur au-delà des seuls individus). Ainsi concernant l’explication de la constitution des groupes, c’est autant la rationalité des supporters, des responsables de section et des dirigeants des clubs que l’environnement socioculturel des groupements qui ont retenu mon attention. Dans quelle mesure l’emplacement d’une association de partisans résulte de caractéristiques socioculturelles environnantes ?
20En considérant ensuite l’expérience des supporters et celle des dirigeants de deux clubs, je propose un cadre d’analyse à plusieurs dimensions. Les explications que j’apporte ne sont effectivement pas fondées sur la seule analyse des discours de supporters. Si je prends l’exemple de la recherche des significations du supporterisme, plusieurs voies d’analyse ont retenu mon attention selon les principes posés par l’équipe du Peuple des tribunes : l’interprétation des points de vue de supporters bien sûr, l’étude des politiques de clubs en direction du public, la prise en compte de caractéristiques sociales propres aux lieux de vie des partisans. Plusieurs observations ont alors été menées : du côté de plusieurs dizaines de supporters, dans les cafés lors des réunions organisées par les sections ou avant les matchs, dans les tribunes des stades à Lille et à Lens, autour des terrains d’entraînements réservés aux joueurs professionnels du Racing Club de Lens (RCL) et du Lille Olympique Sporting Club (LOSC). Cette explication sociologique ne pouvait finalement pas délaisser ce que d’aucun croit être l’illustration la plus naturelle de la partisanerie58 sportive. Le livre s’achève donc sur une tentative de compréhension d’une manifestation particulière du supporterisme : les violences dans et autour des stades. Pour ce faire, j’ai travaillé à partir des discours et pratiques des supporters autonomes tout en investissant une fois encore les interstices de leur univers : stades, locaux privés, bus lors des déplacements, documents de première main. En outre, j’ai considéré les forces de l’ordre comme un déterminant possible du désordre public. Ceci m’a par exemple conduit à dépouiller les archives des Renseignements Généraux, des Polices Urbaines, etc.. Bien que le dernier volet de l’ouvrage ne concerne pas la totalité des supporters ni le terrain losciste59, on y trouvera plusieurs éléments d’interprétation relatifs au « désordre public » dans et autour des stades.
21Fondé sur l’exploitation de plusieurs éclairages, le livre propose donc une explication du supporterisme et de la plupart de ses manifestations à partir des terrains de Lens et de Lille. Il propose aussi une réponse à une question méthodologique à laquelle toute recherche en sociologie des loisirs ne peut échapper : une interprétation globale dérivée de l’usage d’hypothèses post factum (macrosociologiques ou non) est-elle heuristique ? Ce genre d’explication jette-t-il, comme l’affirmait Robert King Merton, « une lumière aveuglante sur l’obscur chaos des matériaux » ou fait-il naître « un sentiment de fausse sécurité au lieu de pousser à une enquête plus approfondie »60 ? On le verra au cours des sections consacrées au traitement des deux hypothèses macrosociologiques, l’interprétation post factum offre une « grande souplesse ». Quant à savoir si elle contient effectivement une « illusion logique »61, il faudra attendre de confronter les éléments de conclusion des différentes parties pour se prononcer. Mais cette confrontation ne servira pas seulement les seules validation et infirmation des énoncés de nature macrosociologique : l’épreuve du terrain doit aussi, et surtout, permettre au chercheur de revenir sur ses énoncés premiers afin de les rendre plus justes. De ce point de vue, ce livre veut montrer combien l’erreur interprétative a du sens y compris lorsqu’elle se rapporte à une série d’hypothèses globalisantes. On ne peut prétendre contribuer à la théorisation de son objet sans avoir le bon sens, double, de présenter puis de restaurer un versant explicatif dont le caractère inadapté aura été souligné par une démarche plus empirique. On pourrait même appliquer ce principe à cette démarche en particulier : cela nécessitera de confronter les éléments de conclusion de l’étude à d’autres terrains, c’est-à-dire à d’autres lieux de mobilisations collectives mais aussi à d’autres formes de passions liées à l’univers des activités récréatives. Comme « ce n’est jamais d’une observation particulière, d’une donnée isolée que procède la théorisation » mais plutôt « du mouvement permanent de comparaison, à tous les niveaux et entre toutes les données »62, l’objectif de l’ouvrage est de fournir un point de vue nouveau sur le supporterisme tout en contribuant à sa théorie dont l’une des fonctions est aussi de comprendre et d’expliquer autrement. Didier Demazière et Claude Dubar l’ont clairement démontré. Voilà une tâche difficile à mener, surtout parce que le fait de s’intéresser au plus populaire des spectacles sportifs peut sembler inintéressant aux yeux du profane. Et que dire de celui critiquant la culture de masse ? Et si une part non négligeable des raisons de désintérêt et/ou de critique semble légitime, elle n’annule pas ce travail. Ne rend-elle pas son objet plus énigmatique encore ?
22Un autre intérêt se dégagera, je l’espère, de ce travail. Il s’agit de participer au débat qui invite le sociologue à intégrer l’analyse des passions à celles de l’action. Je voudrais surtout tenter d’apporter ma contribution sur un point précis : le supporterisme ne traduit-il pas, en certaines situations, le fait qu’une rationalité de l’agissement peut fort bien échapper à l’individu dès lors que celui-ci se laisse glisser dans sa passion ? Est-ce bien au contact des autres que ce glissement s’opère ou ne se produit-il pas plutôt d’abord depuis l’individu ? Se peut-il que ces deux origines se combinent ? On a pu le comprendre grâce à Jean-Hugues Déchaux, « l’avenir de la théorie de l’action est dans ce difficile entre-deux : tenir bon le cap d’une sociologie compréhensive de l’action visant à reconstruire les raisons d’agir sans refouler tout ce qui, dans le cours même de l’action, limite sa maîtrise rationnelle sans jamais la réduire à néant »63. On sait que l’un des moteurs des engagements des supporters se trouve là, c’est-à-dire dans le plaisir de pouvoir s’abandonner ; de laisser et de lâcher, pendant un court instant de vie, l’obligation, la contrainte, le calcul, l’apparence. Les enquêtes sur lesquelles se basent cet ouvrage confirmeraient-elles cette connaissance ? Mais je sais en rédigeant cette introduction qu’une partie des supporters se mobilisent et s’organisent justement dans le but de saisir et de prendre, pendant un court instant de vie, l’obligation, la contrainte, le calcul, l’apparence. L’analyse sociologique du supporterisme peut nous montrer beaucoup : que la passion peut fort bien revêtir l’habit de la plus simple et rationnelle des actions, tandis que là elle se parera de la plus légère des étoffes. Elle doit montrer aussi toute l’épaisseur sociale des pratiques de divertissement puisque, entre autres, une récréation sociale n’a pas une seule signification comme elle ne repose pas sur des modalités de pratique homogènes.
Notes de bas de page
1 Raymond Boudon, « Action », in Raymond Boudon (dir.), Traité de sociologie, Paris, PUF, 1992, p. 21.
2 Ce qui montre, au passage, que le sociologue des loisirs peut encore être soupçonné de « vol social » s’il ne raccroche pas son objet à une thématique plus digne comme celles du travail ou de l’éducation par exemple. Pour commencer à comprendre pourquoi, cf. Paul Yonnet, Travail, loisir. Temps libre et lien social, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, 1999, p. 13-33.
3 Ce livre s’inspire effectivement très largement de ma thèse pour le doctorat de sociologie de l’Université de Lille 1. Que le lecteur comprenne à quel point ma dette est grande à l’égard de M. le professeur Jean-Pierre Lavaud, directeur de la recherche, correcteur, lecteur attentif et critique. Cf. Essai de sociologie des supporters de football : une enquête à Lens et à Lille, Université des Sciences et Technologies de Lille, Institut de sociologie, CLERSé/CNRS, 11 décembre 2001, 435 p.
4 Le dernier acte du plus mythique des socialistes « français » ne traduit-il pas les limites, dans notre société, d’une perception hautement laudative de la liberté et des loisirs ? Comme Paul Lafargue « s’exécuterait » peut-être au moins de la même manière aujourd’hui, on peut toujours conseiller Le Droit à la paresse, Paris, Climats, 1994 (1880).
5 Voilà un procédé dont les limites – encore – ont été remarquablement tracées par Richard Hoggart à travers la notion de « consommation nonchalante ». Les exemples de la grande presse, des feuilletons et des films sont à ce titre particulièrement éclairants, cf. La culture du pauvre, Paris, Les Editions de Minuit, coll. Le sens Commun, 1998 (1957), p. 293-298 entre autres.
6 Celle-ci exactement : « Tous les faits sociaux ne sont pas (...) uniquement sociaux, mais ils comportent toujours un contenu d’ordre sensible ou spirituel, technique ou physiologique, qui est porté, produit ou reproduit socialement et qui fournit ainsi l’image d’ensemble de la vie sociale », cf. Georg Simmel, « Le domaine de la sociologie » in Sociologie et épistémologie, Paris, PUF, 1991 (1917), p. 101.
7 Cf. Christian Pociello, Les cultures sportives, Paris, PUF, coll. Pratiques corporelles, 1999 (1995), p. 10.
8 Cf. Pierre Parlebas, « La mise en ordre sportive », in Sport, relations sociales et action collective, actes du colloque d’octobre 1993 à Bordeaux, Talence, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 1995, p. 39.
9 Cf. Jacques Lecarme. « La page des sports », in Magazin littérative, « Georges Pérec », décembre 1993.
10 Cf. Pascal Duret, Patrick Trabal, Le sport et ses affaires. Une sociologie de la justice de l’épreuve sportive, Paris, Métailié, 2001.
11 Pour reprendre l’expression de Michel Dalloni dans « Le sport entre ombre et lumière », in Le Monde. Dossiers et Documents, 2001.
12 Cf. Olivier Donnât, Les pratiques culturelles des Français. Enquête 1997, Paris, La documentation Française, Ministère de la culture et de la communication, 1998, p. 309-316.
13 Cf. « Les pratiquants du sport », in Pierre Arnaud (dir.), Le sport en France. Une approche politique, économique et sociale, Paris, La documentation Française, p. 77- 79.
14 Cf. « Le sport et ses publics », in Le sport en France..., p. 97.
15 Cf. Jacques Defrance, Sociologie du sport, Paris, La Découverte, 2000, p. 65.
16 Cf. Christian Bromberger, « Il y a une footballisation de la société », Libération, mardi 12 mai 1998.
17 Pour reprendre l’intitulé d’un numéro de la revue Vingtième siècle, n° 26, 1990.
18 Par exemple, en 1990 le football représentait 47,5 % de la consommation d’images sportives alors qu’il ne constituait qu’un cinquième de l’offre. Voir Roland Faure, « Sport et télévision : un mariage préjudiciable ? », in Problèmes économiques et sociaux, n° 777, La documentation Française, 1996, p. 53.
19 Ce phénomène concerne les trois plus hauts niveaux du football français. Bien qu’il existe des clubs pour lesquels les affluences moyennes ne progressent pas, globalement le spectacle footballistique attire de plus en plus de personnes.
20 Pour la saison 1995/1996, calcul effectué à partir des affluences hebdomadaires publiées dans les numéros de France Football (n° 2580 à 2605, soit 50 % des rencontres jouées par les clubs au cours d’une saison, à plus ou moins un match). Pour la saison 1998/1999, données officielles produites par la Ligue Nationale de Football in France Football, « Spécial bilan », août 1999.
21 Cf. Christian Bromberger, « Passions pour la bagatelle la plus importante du monde : le football », in Christian Bromberger (dir.), Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard, 1998, p. 306.
22 Selon Alain Ehrenberg par exemple, si le football atteint outre-Manche des degrés de passion qui n’existent pas en France, c’est que « de nombreuses villes, surtout industrielles, possèdent deux clubs, parfois plus. Cette situation favorise l’éclatement des rivalités locales, sociales voire religieuses ». Cf. « Le football et la classe ouvrière britannique », in Autrement. n° 80. 1986, p. 151-153.
23 A Glasgow par exemple, les clubs du Celtic et des Rangers seraient pris dans un affrontement séculaire qui reposerait essentiellement sur des rivalités religieuses. Selon Bill Murray, l’adhésion au Celtic symboliserait la lutte pour l’indépendance de l’Irlande (l’emblème du trèfle représente des origines spirituelles irlandaises), la fidélité à l’église et le conflit des classes qui était censé opposer le prolétariat irlandais à tous les nantis de la Grande-Bretagne. Cf. « Celtic et Rangers : les irlandais de Glasgow », in Actes de la Recherches en Sciences Sociales, n° 103, 1994, p. 41-51.
24 Cf. Anne-Marie Waser, Sociologie du tennis. Genèse d’une crise (1960-1990), Paris, L’Harmattan, 1995.
25 Lequel considère que des thèmes comme « l’organisation formelle, la professionnalisation et la commercialisation des sports ne peuvent être traités séparément de la violence et de son contrôle ». Cf. « Culture, civilisation et sociologie du sport ». Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 26, 1996, p. 24.
26 Même si l’auteur se concentre sur les spectateurs de la violence, même si on ne se laisse pas emporter dans son élan homogénéisant, cf. Wolfgang Sofsky. Traité de la violence, Paris, Gallimard, NRF Essais, 1998 (1996), p. 101-104.
27 Voir Le monde privé des ouvriers, Paris, PUF, 1990 et le passage cité dans Henri Mendras et Marco Oberti, Le sociologue et son terrain. Trente recherches exemplaires, Paris, Armand Colin, coll. U, 2000, p. 50-58.
28 Mon « dossier de recherches » de troisième année concernait la consommation des « billets à gratter » distribués par La Française des Jeux (qui joue et pourquoi ?) et celui de l’année de maîtrise se rapportait aux combats de coqs dans l’arrondissement de Saint-Pol-sur-Ternoise (qu’est-ce qui distingue le coqueleux du membre de la Société Protectrice des Animaux ?).
29 Cf. L’affluence dans les stades de football : un type de mobilisation collective. Etude comparative des publics du Racing Club de Lens et du Lille Olympique Sporting Club, mémoire sous la direction de M. le professeur Jean-Pierre Lavaud pour le D.E.A. « Changement social », Institut de sociologie, Université des Sciences et Technologies de Lille, Villeneuve d’Ascq, 1996.
30 Cf. Didier Demazière, Catherine Carpentier, Yves Maerten, Williams Nuytens, Pascal Roquet, Le peuple des tribunes, Béthune, musée d’Ethnologie régionale, n° 10, 1998, 240 p.
31 Cf. L’insécurité dans et aux abords des stades de football : analyse sociologique à partir du cas des supporters autonomes à Lens, Paris, IHESI, 1998, 107 p.
32 Je précise le sens des termes macrosociologique et microsociologique. Ils représentent deux stades dans l’analyse sociologique. Le premier désigne des relations sociales ou des faits sociaux inscrits dans une perspective globale, le second désigne la même chose mais se rapporte à une réalité plus circonscrite.
33 Cf. Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Pocket, 1994 (1986), p. 281- 307.
34 Ce qui revient à vérifier si la théorie de la société de masse peut être utilisée pour expliquer les mobilisations collectives dans les stades. François Dubet, Sociologie de l’expérience, Paris, Seuil, coll. La couleur des idées, 1994, p. 57-58.
35 Cf. Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris. PUF, coll. Quadrige, 1990 (1937), p. 105.
36 Cf. Christian Bromberger, « La passion partisane chez les ultra », in Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 26, Paris, IHESI/La documentation Française, 1996, p. 43- 44.
37 Pour reprendre la signification du spectacle sportif donnée par Alain Ehrenberg, (1991), Le culte de la performance, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 1999, p. 42.
38 Selon la formule employée par Philippe Corcuff pour caractériser la sociologie d’Emile Durkheim, cf. Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan Université, coll. 128, 1995, p. 14.
39 A propos de l’action (innovation) dans une problématique du changement social : « ... il peut exister des situations ouvertes, (...) l’innovation n’est pas toujours déterminée par une demande », cf. Raymond Boudon, (1984), La place du désordre, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1998, p. 193.
40 Même si j’aboutis finalement à la vérification de l’hypothèse déterministe/ fonctionnaliste, cela ne m’empêchera pas de poursuivre la recherche à partir d’énoncés privilégiant l’acteur : « ... montrer que certaines données ont pu et même ont dû engendrer certain résultat existant, n’est pas suffisant pour prouver que ce résultat est la conséquence des données en question ; il faut encore démontrer qu’il n’existe pas et qu’il ne peut pas exister d’autres données capables de donner naissance au même résultat », cf. Edgar Poe cité par Georges Canguilhem, « Leçons sur la méthode », in Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon, Jean-Claude Passeron, (1963), Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1983, p. 270.
41 Cf. Alain Laurent, L’individualisme méthodologique, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1994, p. 112.
42 Ibid., p. 113.
43 Cf. Karl Popper, (1956), Misère de l’historicisme, Paris, Pocket, coll. Agora, 1988 (1956), p. 198.
44 Ceci pour reprendre les termes utilisés par Michel Pastoureau, cf. « Les couleurs du stade », in Vingtième siècle, numéro spécial intitulé « Le football, sport du siècle », avril-juin, Paris, 1990, p. 11-18.
45 Si il est clair que je me réfère ici à l’un des principes soutenus par Emile Durkheim, je m’inspire également de la méthode de travail de Christian Bromberger. Pour lui, le comparatisme permet d’éviter de « s’enliser sous l’accumulation de matériaux dont les propriétés distinctives ne peuvent jamais être établies », cf. Christian Bromberger, Alain Hayot, Jean-Marc Mariottini, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Coll. Ethnologie de la France. Regards sur l’Europe, Paris, 1995, p. 11.
46 Ceci pour reprendre la distinction établie et explicitée par Roger Chartier et Georges Vigarello, « Les trajectoires du sport. Pratiques et spectacle », in Le Débat, Paris, Gallimard, n° 19, 1982, p. 36-58.
47 La section consacrée aux significations du supporterisme ne repose pas uniquement sur le discours des supporters organisés. On pourra le constater en se rapportant à la liste des entretiens placée en annexe.
48 C’est ce que je précisais plus haut. On ne voit pas comment obtenir des informations rigoureuses à partir d’une population dont l’engagement dans le spectacle sportif est instable, irrégulier et non formalisé. C’est l’une des raisons qui légitiment le recours à l’étude du supporterisme « organisé ».
49 Comme défini par Raymond Boudon, in Traité de sociologie, p. 26.
50 Cf. Karl Popper, Misère de l’historicisme, Paris, Presses Pocket, coll. Agora, 1998 (1956), p. 171.
51 Cf. Traité de sociologie, p. 28.
52 Sur la notion de « prédestination sportive » et les quelques éléments historiques présentés ici, cf. Olivier Chovaux, Un demi siècle de football dans le département du Pas-de-Calais. Le temps de l’enracinement (fin XIXème /1914). Arras, Artois Presses Université. 2000.
53 Comptabilité au 30 avril 2000. Précisément : 128208 « joueurs libres » (des vétérans aux débutants), 2467 « féminines » (de la catégorie senior féminine aux débutantes), 2029 « joueurs corpo » (des vétérans aux « 17 ans ») et 1124 « joueurs loisir ». Soit une augmentation de 1,6 % par rapport à l’année précédente, cf. Maison des Sports du Nord – Pas-de-Calais, Angres, « service statistique ».
54 Le Cercle Sportif d’Avion par exemple, club phare d’une ville située à quelques kilomètres de Lens, établissait même des records d’affluence dans la région (plusieurs centaines d’entrées en moyenne dans le cadre du championnat de Division d’Honneur de Ligue, saison 1998-1999). En effet à ce niveau de compétition, la plupart des clubs n’évoluent que devant une faible affluence.
55 Outre-Manche par exemple, une seule ville peut compter jusqu’à cinq clubs de haut niveau, jusqu’à cinq stades aux tribunes bien remplies. Lors de l’exercice 1998/1999, on recensait cinq clubs de première division à Londres : Arsenal, Tottenham, West Ham United, Chelsea et Wimbledon. Selon un calcul effectué à partir des chiffres fournis par l’hebdomadaire France Football tout au long de la saison 1998/1999, on trouve les affluences moyennes suivantes : 37850, 32700, 22200, 33500 et 16800.
56 Il se structure autour de l’individualisme méthodologique et d’une sociologie interactionniste, revendique une filiation wébérienne, et exploite par intermittence une conception explicative empruntée à la théorie de la mobilisation des ressources. Je détaille tout ceci au cours des introductions des différentes parties du livre.
57 Compte tenu toutefois du niveau de globalisation de l’énoncé taisant du supporterisme le produit de l’affaiblissement des formes traditionnelles d’attachement social, je n’ai pas d’emblée la certitude de pouvoir le soumettre de manière efficace à l’épreuve des tests. Si tel devait être le cas, il ne serait donc pas conforme au principe élémentaire de la recherche scientifique. Sur le degré de corroboration d’une théorie et la possibilité de la soumettre à des tests, cf. Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1990 (1959), p. 270-279.
58 Néologisme utilisé et légitimé par Christian Bromberger, cf. Le Match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, déjà cité, p. 11 note 24.
59 Je me suis spécialement intéressé aux partisans autonomes du RCL et parfois particulièrement aux membres du groupe appelé Red Tigers. J’expliquerai plus loin les raisons de ce choix.
60 Cf. Robert King Merton, (1953), Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Armand Colin, 1997. p. 32-33.
61 Ce qui revient à dire qu’elle ne représente pas une preuve mais une illustration toujours possible : « L’interprétation post factum renferme une illusion logique, car elle repose sur plusieurs hypothèses primaires plus ou moins bien confirmées et appliquées à des groupes de données assez contradictoires. (…). Ainsi quelles que soient les observations on peut toujours trouver une interprétation qui colle aux faits », Ibid., p. 33.
62 Cf. Didier Demazière, Claude Dubar, Analyser les entretiens biographiques. L’exemple de récits d’insertion, Paris, Nathan, coll. Essais et Recherches, 1997, p. 54.
63 Cf. Jean-Hugues Déchaux, « L’action rationnelle en débat. Sur quelques contributions et réflexions récentes », Revue Française de Sociologie, 43-3, 2002, p. 578.
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