Scruter l’ovale au pays des beffrois
p. 87-88
Texte intégral
1En faisant de la France du Nord un véritable « monde à part », la géographie du rugby hexagonal offre à l’historien et au sociologue une véritable énigme. Curieux paradoxe en effet que ces terres froides et humides a priori imperméables à cette « matrice britannique » pourtant si proche. Si les raisons de la greffe dans le « quadrilatère de l’ovalie » sont connues, celles qui l’ont empêché de prendre au Nord de la diagonale mythique « la Rochelle/Bourg en Bresse » restent finalement bien étranges. Un climat peu propice, un homme du Nord rétif au combat physique, des habitus culturels hermétiques au jeu et aux sociabilités qu’il induit, la présence obsédante d’un ogre footballistique qui aurait dévoré un par un ses rivaux... À se contenter de tels lieux communs, on finit par se persuader de leur véracité. Car les motifs de cette « étrange distribution géographique » sont autrement plus complexes et ne peuvent se réduire à un ensemble de déterminismes, fussent-ils colportés par la mémoire collective. Deux éclairages ouvrent cette partie et se proposent, sinon de résoudre l’énigme, au moins d’apporter au lecteur un faisceau de présomptions qui prouvent que le septentrion n’est pas le désert rugbystique souvent décrit. Plutôt une terre de mission. L’histoire des sports athlétiques dans la région Nord – Pas-de-Calais à l’aube du XXe siècle prouve combien les explications convenues méritent d’être nuancées. L’hégémonie relative du ballon rond aura contrarié mais nullement empêché l’émergence de petits îlots de rugby, autour de clubs, d’hommes providentiels, de structures, de pratiquants et d’amateurs du jeu. Loin d’être recouvert par la vague footballistique, ce rugby insulaire épouse les contours de ses voisins méridionaux et s’en distingue à la fois. Deux exemples : sa pratique dans les établissements scolaires de l’Académie, sa déclinaison au féminin dans le comité des Flandres. Où l’on perçoit mieux l’importance déterminante des individus dans l’organisation. Où l’on s’aperçoit que ces formes de pratiques assez conventionnelles prennent dans la France du Nord un tour si singulier. Où l’on mesure aussi l’écart qui sépare le grand frère du petit dernier. Ainsi en est-il de ce rugby nordiste in situ. Moins végétatif qu’on le dit, plus atypique qu’il n’y paraît. Si proche et pourtant si différent. « Monde à part » dans un monde à part.
Auteurs
Est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université d’Artois. Ses recherches portent sur les pratiques et le spectacle sportif dans la France du Nord. Il a récemment coordonné un numéro de la Revue du Nord sur ce thème et a publié Cinquante ans de football dans le Pas-de-Calais (fin 19e-1940). Avec Williams Nuytens, il est co-fondateur de l’atelier Sherpas.
Est docteur de Lille 1 (CLERSé) et maître de conférences de sociologie à l’université d’Artois. Après avoir collaboré à l’ouvrage Le peuple des tribunes, il a dirigé avec Didier Demazière Un monde foot, foot, foot ! (Panoramiques, 61) et a récemment publié ses enquêtes consacrées au supporterisme (La popularité du football). Il « travaille » à présent le football du dimanche.
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Rugby : un monde à part ?
Énigmes et intrigues d’une culture atypoque
Olivier Chovaux et William Nuytens (dir.)
2005
50 ans de football dans le Pas-de-Calais
« Le temps de l’enracinement » (fin XIXe siècle-1940)
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2001
L’Idée sportive, l’idée olympique : quelles réalités au XXIe siècle ?
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