La complexité de la professionnalisation du rugby à XV
p. 33-71
Texte intégral
L’histoire d’un mythe
1Le 26 août 1995, l’International Rugby Football Board (IRFB), réuni à l’hôtel parisien l’Ambassador, s’exprime par la voix de son président, Bernard Lapasset, et annonce que les règles de l’amateurisme sont désormais caduques. Le rugby peut devenir un jeu ouvert sans interdiction de paiement ou de toute autre forme de profit pour les personnes y participant. Ces propos, qui apparaissent pour certains comme un fait sportif anodin, simple compte rendu d’un comité directeur fédéral, sont ressentis par d’autres comme un véritable cataclysme. Comment pardonner aux adultes qui détruisent, en quelques heures, cent soixante douze années d’histoire et de légende [...], dire qu’on leur en a voulu serait peu dire : on les a maudits, détestés, haïs1. Ces propos venant d’un journaliste sportif, spécialiste de la balle ovale, soulignent toute la singularité et le paradoxe contenus dans l’histoire du rugby à XV. Pourquoi ce jeu a-t-il tant tardé à devenir professionnel, alors que bon nombre d’autres sports ont franchi le pas du professionnalisme bien avant lui2 ? Comment celui-ci a-t-il réussi à contenir, dans le temps, les assauts répétés des partisans du professionnalisme qui se sont déclarés dès ses premières années d’existence et qui se sont, parfois, constitués en d’importants groupes de pressions ? Cette énigme mérite que l’on tente de l’élucider à la lumière de phénomènes datés et situés qui semblent avoir influé sur le cours de l’histoire du rugby quinziste soit comme freins, soit comme accélérateurs de son processus de professionnalisation. La filiation britannique et bourgeoise de ce jeu et son codicille : la mise en place d’une sorte d’obligation transcendantale affirmée comme originelle : un sport pur ne peut-être qu’amateur, sont autant d’événements qui ont agi dans le sens d’un maintien à l’état initial. Les autres obstacles à la professionnalisation du rugby à XV gravitent autour des mécanismes qui le lient à son homologue treiziste et des oppressions figées et changeantes que ses institutions ont fait subir à tous ceux qui ont ou auraient pu contrevenir. Paradoxalement à cela, le processus de popularisation du rugby, notamment lors de son acmé, a participé très activement aux tentatives de déstabilisation des institutions dirigeantes en essayant d’infléchir leur définition de l’amateurisme. Enfin, l’accélération du processus de professionnalisation a été relayée dans sa phase ultime par la société du spectacle et de la consommation qui imprègne le temps du sport contemporain. Toutes ces variables ont agi de manière favorable ou défavorable à ce changement d’état et se sont déclinées de façon quasi identique sur différents territoires3 où le rugby a pris racine.
2Tout d’abord, nous postulons que, si le rugby à XV a mis si longtemps à devenir professionnel c’est, qu’au sein de cette organisation sportive, le groupe social coordonné qui avait le plus de pouvoir (les dirigeants) était celui qui était opposé au professionnalisme et aussi celui qui a réussi à contraindre stratégiquement les partisans du rugby open à adhérer à l’ethos amateur. Ce pouvoir institutionnel détenu par la fédération anglaise de rugby, la Rugby Football Union (RFU) depuis janvier 1871, puis par l’IRFB, à partir de 1890, s’est fondé sur une éthique qui a été élevée progressivement au rang de dogme : la pratique d’un sport purement amateur. Comme beaucoup de dogmes, celui-ci s’est appuyé sur un mythe, une légende : le geste d’un jeune lycéen, William Webb Ellis4, issu d’une famille bourgeoise, qui poursuivait ses études dans une public school de la ville de Rugby. Grâce à ce mythe, l’institution sportive rugbystique a réussi à s’approprier un jeu qui n’avait pas attendu 1823 et cet élève de Rugby pour être pratiqué en tant que folk football par les populations rurales du Nord de l’Angleterre et ce, depuis le XVIe siècle. Cette légende va servir à asseoir, durant plus d’un siècle et demi, le pouvoir des dirigeants du rugby anglais, puis mondial, légitimant celui-ci sur l’acte fondateur de l’un d’entre eux, un gentleman qui appartenait à leur classe sociale, à savoir la bourgeoisie de l’Angleterre victorienne.
3Cette domination et ce pouvoir exercés par les dirigeants du rugby pour préserver celui-ci des affres du professionnalisme n’ont pas toujours été aussi forts. Ils ont subi quelques attaques de la part des joueurs lorsque ceux-ci ont trouvé au sein même de l’organisation, ou dans son environnement, un levier suffisamment puissant pour ébranler et mettre à mal ce système dont ils contestent certaines règles de fonctionnement. Le succès populaire que connaîtra ce jeu à la fin du XIXe siècle dans le Nord de l’Angleterre ou, encore, son importante médiatisation dans l’Hémisphère Sud, un siècle plus tard, sont autant de leviers environnementaux qui augmenteront la puissance5 des joueurs face au pouvoir institutionnel. Cette remise en cause de l’éthos amateur et sa conséquence, devenir rugbyman professionnel, sont d’autant plus difficiles que l’institution qui s’oppose à eux a, petit à petit, mis en place une sorte de panopticon6 d’où elle surveille et punit tous ceux qui transgressent la règle. De plus, la préservation de ce rugby, considéré comme originel par ses membres dirigeants, a été facilité par le schisme de 18957 et la création du rugby à XIII, sport professionnel, qui va servir de refuge aux rugbymen quinzistes lorsque ceux-ci veulent faire de ce jeu leur métier. D’une part, cette échappatoire participe aux possibilités de marchandage et à l’augmentation de la marge de liberté des joueurs quinzistes qui améliorent, grâce à ce levier environnemental, leur position dans leur organisation sportive et obtiennent un peu plus de pouvoir. D’autre part, ce néo-rugby contribue parfois à amoindrir la puissance des joueurs restés fidèles au quinze, en accueillant ceux qui, parmi eux, étaient les plus en opposition avec l’ordre établi au sein de leur institution. Cette possibilité de se professionnaliser dans une activité dont les règles du jeu sont très proches de leur pratique d’origine, prive la communauté rugbystique de ses plus ardents défenseurs du passage au professionnalisme et permet ainsi à ses dirigeants les plus conservateurs de continuer à exercer en toute quiétude leur emprise sur ce sport, et ce, jusqu’en 1995.
4Les dirigeants du rugby défenseurs d’un amateurisme pur et dur ont fait valoir une forme de logique liée à leur culture bourgeoise et à leur position de dominants dans ce système d’action. Inversement, lorsque cette pratique sportive s’est démocratisée, les joueurs d’origine ouvrière ont revendiqué le droit d’être dédommagés pour le manque à gagner engendré par leur pratique sportive. Cette autre forme de logique est venue se heurter à celle que les dirigeants ont mise en place et essayé de faire admettre comme la doxa. Ces derniers se targuent d’être à l’origine de ce jeu et, en tant qu’inventeurs, ils s’approprient une des sources de pouvoir : la maîtrise des règles générales de l’institution. Ils peuvent ainsi créer des règles nouvelles censées réguler leurs relations avec les pratiquants. Ils arbitrent et interprètent le code existant en tolérant ou non les infractions faites à celui-ci. Cette tolérance régalienne au sujet du professionnalisme n’aura pas la même souplesse selon les périodes et les joueurs incriminés. Elle ira de la radiation du contrevenant des sphères rugbystiques à l’aman de celui-ci. À ce pouvoir sur le règlement institutionnel, les joueurs opposent leur pouvoir d’expertise, la maîtrise d’une compétence particulière : le jeu qui procure le spectacle sportif et remplit les caisses des clubs et des fédérations. La lutte pour le passage ou non au professionnalisme, entre ces deux groupes d’acteurs et leur source de pouvoir respective, sera arbitrée par une troisième source : la maîtrise des liens avec l’environnement8 que chacun tentera d’utiliser à ses propres fins. Depuis l’institutionnalisation du rugby à quinze, ces trois types de pouvoir s’affrontent sous forme de jeu avec plus ou moins d’intensité et de violence pour faire triompher l’aspect culturel dominant de l’un des deux antagonistes : l’amateurisme ou le professionnalisme.
5Pour essayer de comprendre les stratégies des différents acteurs qui ont partie liée avec ce jeu et les effets qu’elles ont produit sur la genèse de la professionnalisation du Rugby Union9, nous avons axé notre étude sur trois périodes de cette histoire : la deuxième moitié du XIXe siècle, les années 1920-1930 et enfin l’année 1995. En effet, ces périodes semblent avoir marqué, plus que d’autres, le processus de professionnalisation de ce sport. Tout d’abord, en Angleterre, le football-rugby se différencie du football association vers le milieu du XIXe. Il connaît alors un grand succès populaire dans les comtés du Yorkshire et du Landcashire. Un tel enthousiasme, pour ce jeu, engendre de graves conflits entre les défenseurs de l’amateurisme et leurs opposants. Cette lutte endémique concourt à l’apparition d’un deuxième rugby qui deviendra professionnel. Ensuite, les deux décennies, 1920 et 1930, correspondent à la popularisation du rugby français et au développement d’un certain laxisme fédéral vis-à-vis de l’argent qui circule dans le Championnat de France. Malgré l’étroite surveillance de l’IRFB, la Fédération Française de Rugby (FFR) est loin de respecter à la lettre les règles de l’amateurisme. Cette souplesse dans l’interprétation du code et de l’esprit du jeu entraînera la rupture des relations rugbystiques entre la France et les nations britanniques ainsi que l’apparition du rugby à XIII dans l’Hexagone. Enfin, dans l’Hémisphère Sud, l’année 1995 voit l’officialisation du rugby open. Elle est riche en suspens. En effet, de nombreux rebondissements nourrissent les négociations qui se sont engagées, parallèlement, entre les dirigeants et le groupe de télévision de Ruppert Murdoch, d’un côté, et entre les joueurs et le groupe télévisuel de Kerry Packer, de l’autre. Ces trois moments sont, selon nous, dans ces différents lieux, de bons analyseurs qui participent à l’élucidation et à la compréhension du processus de professionnalisation du rugby à XV.
6Si, dans un premier temps, la lenteur du processus de professionnalisation du rugby à XV peut trouver des explications dans l’analyse des relations qui s’établissent et se transforment entre les différents groupes d’acteurs et l’institution, c’est-à-dire dans l’identification historique des stratégies des dirigeants et des joueurs au sein de l’institution rugbystique, Il semble nécessaire, dans un deuxième temps, de repérer les rapports de forces et les luttes que produit l’imposition des représentations légitimes par la classe dominante. Une telle démarche doit nous permettre de comprendre comment les dominants, les dirigeants, ont imposé aux dominés, les joueurs, leur conception du jeu. Conception qui est devenue légitime, orthodoxe : l’amateurisme. La compréhension de ce processus d’imposition passe par un élargissement de notre champ d’investigation. Celui-ci ne doit plus être réduit à l’espace social du rugby, mais prendre en compte la société dans sa globalité. En effet, selon Pierre Bourdieu, ce sont les logiques de positionnement social qui sont les plus fondamentales dans la socialisation des individus. L’habitus comme système de dispositions intériorisé est toujours chez Bourdieu un habitus de classe10. Ce que nous appellerons également dynamique de classe, logique de classe correspond à ce système intériorisé qui est, selon nous, un des éléments constitutifs de la réponse aux questions posées en introduction à ce travail.
7Tout au long de cette étude, nous utiliserons une terminologie liée à une sociologie des organisations11. En effet, celle-ci nous paraît parfaitement adaptée en la circonstance, mais les concepts seront bourdieusiens. Nous ne nous situerons donc pas dans une sociologie des organisations individualisante mais dans une sociologie structuraliste. Cependant, la narration de l’histoire du rugby, de par l’existence de dialectiques diverses, laisse la porte ouverte à d’autres approches théoriques, individus/société, instituant/institué, telles l’institutionnalisme et l’ethnométhodologie12. Notre approche peut paraître ambitieuse et contradictoire, mais nous avons choisi cette solution pour tenter de faire émerger les ententes et les conflits qui traversent l’histoire de l’organisation rugbystique et essayer de démontrer qu’il y avait un peu de déterminisme dans le jeu des acteurs et un peu d’incertitude dans celui des agents sociaux13.
L’appropriation d’un jeu populaire par la classe bourgeoise ou l’opposition de deux dynamiques de classe
8Afin de regarder plus avant la structure du jeu qui s’est déroulé pendant plus d’un siècle et demi au sein du système rugby et afin d’essayer de comprendre la stratégie de ses principaux acteurs (dirigeants et joueurs), il nous paraît important de revenir sur les origines de ce sport né en Angleterre et qui porte le nom d’une petite ville du comté de Warwickshire14. En premier lieu, il semble intéressant d’examiner la fin de cette période, que Jean-Pierre Bodis qualifie de préhistoire du rugby15. Celle-ci s’étend du Moyen Âge jusqu’à 1871, année de la première rencontre internationale de football-rugby entre l’Angleterre et l’Écosse qui voit la création de la RFU. Tout au long du XIXe siècle, l’Angleterre, comme bon nombre de pays européens, subit une forte restructuration économique et sociale à l’origine d’un changement radical des mentalités et d’une redistribution des pratiques sociales. C’est à cette époque qu’apparaissent les fondements de ce construit historique qui va permettre la diffusion du football-rugby et l’amener lentement vers l’ère du professionnalisme.
9Le rugby à XV, comme beaucoup d’autres formes modernes de football, puise ses racines dans ce qui est appelé, en Angleterre, le folk football. Cette forme de jeu existe dans la société anglaise préindustrielle depuis le XVIIe siècle. A cette époque, le folk football est surtout pratiqué dans le Nord de l’Angleterre16, autour des grandes villes du Lancashire, du Yorkshire et du Nord Ouest. Ce jeu se pratique essentiellement les jours de fête et les jours fériés (à Noël, au jour de l’An, à Pâques) et est principalement l’apanage des populations rurales. Les règles du jeu varient énormément d’un endroit à l’autre. Selon le lieu, le jeu au pied est autorisé, il est possible de porter ou de jeter le ballon, parfois les deux. La partie se joue avec un nombre très important de participants dans chaque équipe, la majorité de la population masculine d’un village prend part au jeu. Tony Collins17 cite l’exemple de parties de folk football qui, à Derby, voient s’affronter environ un millier d’hommes ou encore à Sedgefield où se réunissent plus de 400 hommes dans chaque équipe. Si le nombre de participants est important, la distance qui sépare les buts l’est également. Entre Ahsbourne et Whitehaven par exemple, les cibles sont distantes d’environ trois miles, soit quatre à cinq kilomètres. Les matchs permettent aux membres de différentes classes sociales de se rencontrer. Très vite, la mise en place de telles rencontres demande une organisation relativement importante : la fermeture des routes qui traversent l’aire de jeu, une négociation sur l’utilisation des champs, la recherche de lots, des annonces publicitaires dans les journaux locaux et le démarchage des principaux propriétaires terriens pour obtenir leur soutien et leur patronage. Cette forme de football est à la fois très populaire et extrêmement violente. Elle entraîne, bien souvent, des effusions de sang, des os cassés et parfois mort d’homme18.
10Ce jeu, essentiellement rural, commence à perdre de l’importance à partir du début du XIXe siècle ; l’industrialisation et l’urbanisation affaiblissent la base sociale dont cette pratique dépend. En effet, la révolution industrielle contribue largement à modifier la constitution sociale19 et les mentalités qui s’y attachent ; l’accent est mis sur l’organisation, la discipline, l’ordre. Tout ce qui semble appartenir à une époque révolue est mal perçu par les populations citadines. Le football est alors interdit sur les voies publiques. Les objections concernant cette pratique sont principalement religieuses et proviennent des non anglicans qui argumentent que le football conduit à la débauche et à la violence. De plus, en ce début de XIXe siècle, les liens qui existaient depuis longtemps entre les différentes classes sociales disparaissent petit à petit. Les classes moyennes et dirigeantes se méfient des classes populaires et ouvrières. Elles craignent que ces dernières fomentent une révolution à l’image de ce qui se passait, à cette époque, dans certains pays d’Europe. Les grands rassemblements populaires, comme par exemple une partie de football, étaient perçus comme un risque de trouble à l’ordre public. Le folk football va donc disparaître petit à petit, mais cette disparition ne s’opère pas au même moment dans toutes les régions. Des parties de ce jeu auront lieu, dans certains comtés, jusque dans les années 187020.
11Au moment où le folk football disparaissait des villes et des villages, il devenait paradoxalement très populaire dans les public schools. Contrairement à ce que leur nom anglais pourrait laisser supposer, ces établissements scolaires sont des écoles privées qui ont en charge l’éducation des futurs dirigeants de l’Empire britannique. Afin que ces derniers puissent, un jour, accomplir cette noble tâche, il faut, auparavant, qu’ils s’endurcissent. Le football, avec son côté viril, apparaît très vite, pour les enseignants de ces établissements scolaires, comme un élément pouvant contribuer à produire ce type d’élite. Il est tout à fait possible que la forme de football pratiqué, à partir de 1800 dans la public school de Rugby, trouve ses origines dans un type de football plus ancien joué dans cette même ville au XVIIIe siècle. En 1845, la public school de Rugby publie les règles de son football21 en mettant l’accent sur les différences entre le football pratiqué à Rugby et celui qui est joué dans certaines autres écoles privées anglaises. En effet, seul le règlement du football-rugby autorise les joueurs à courir en portant le ballon (comme c’était le cas dans certaines formes du folk-football). En effet, dans les autres codes footballistiques de cette époque, les joueurs n’ont pas le droit de se saisir du ballon à la main et ne peuvent pas courir avec. La publication de ce règlement institutionnalise, en les différenciant, deux jeux collectifs qui deviendront pour l’un le rugby et, pour l’autre, le football. Le premier restera, officiellement, une pratique amateur jusqu’en 1995, le second sera professionnel dès 1863 en Angleterre et il faudra attendre 1931 pour qu’il le devienne en France22.
12Les anciens élèves de Rugby et d’autres écoles qui avaient adopté le football-rugby ont continué à diffuser avec enthousiasme la philosophie de Thomas Arnold23 : le mens sana in corpore sano. Ils ont joué un rôle important dans la formation des clubs de football24 qui ont commencé à apparaître à partir des années 1860-1870. Le développement de la classe moyenne, associée à l’augmentation du temps libre, en ce milieu de XIXe siècle, fait émerger une demande croissante pour les activités de loisirs. Une importante demande pour ces activités émane de cette middle class dont les anciens élèves des public schools font partie. C’est à cette époque qu’apparaissent les clubs d’athlétisme et de football-rugby, premiers édifices d’une société sportive naissante. Au départ, ces clubs existent uniquement pour que leurs membres puissent jouer entre eux, la finalité n’étant pas d’attirer des spectateurs. Dans le Lancaster et le Yorkshire, la forme de football majoritairement jouée est celle de Rugby. Il y a alors très peu de soccer25 dans ces deux régions précurseurs sur le plan sportif. Malgré cette prédominance du football-rugby, il existe des différences dans les règles du jeu, par exemple sur le nombre de joueurs par équipe ou sur l’utilisation ou non du hacking26. Il y a parfois des rencontres entre clubs qui pratiquent le football-rugby et clubs qui jouent selon les règles du soccer. Dans ce type de confrontation, les deux équipes adoptent les règles de celle qui joue à domicile, ce qui permet très souvent à celle-ci de remporter la victoire. Mais, au fur et à mesure que la codification de ces deux sports s’est affinée, ce type de match a finalement disparu.
13À partir des années 1870, le public commence à s’intéresser de plus près au football-rugby et le cercle des spectateurs s’agrandit autour de ceux qui ont déjà pratiqué ce sport à l’école. Des reportages sur les matchs entre grandes villes apparaissent dans les journaux locaux et ces rencontres commencent à drainer un nombre important de spectateurs. Les joueurs, comme la grande majorité du public, proviennent exclusivement de la classe moyenne et l’intérêt que porte, à cette époque, au football-rugby la classe populaire et ouvrière, est quasi inexistant. Les rencontres de rugby sont très violentes, d’un point de vue physique, mais également d’un point de vue verbal. Certains capitaines n’hésitent pas à utiliser des menaces pour essayer de déstabiliser l’adversaire et vont jusqu’à commettre sciemment des actes d’antijeu. Ainsi, A. N. Monkey Hornby, capitaine de l’équipe d’Angleterre de cricket et de rugby devint célèbre par son comportement antisportif au match des roses, en 1878, qui oppose l’équipe du Yorkshire à celle du Landcashire27. Ce type de comportement est assez fréquent et remet sérieusement en cause le prétendu code de gentleman où l’on doit jouer pour jouer et non pour gagner. Il semble que les défenseurs d’un sport originel vertueux et désintéressé aient considérablement idéalisé la réalité du terrain dont le but essentiel est très vite devenu de gagner par tous les moyens, qu’ils soient légitimes ou non. Le sport, en général, et le football-rugby en particulier, commence à être plus populaire et devient une sorte de manifestation de fierté locale. Une rivalité entre les clubs des différentes villes se développe et s’ajoute à la rivalité économique qui existe déjà dans le Nord de l’Angleterre où l’industrie des textiles est très prospère : le coton dans le Lancashire et la laine dans le Yorkshire. Dans ce dernier quart du XIXe siècle, les clubs ne sont plus formés uniquement pour permettre aux gens d’occuper leur temps libre mais également pour représenter leur ville. C’est en mars 1870 qu’a lieu le premier match entre deux comtés, le Yorkshire et le Lancashire. Après la mise en place de matchs entre clubs, cette rencontre est une nouvelle étape de la marche en avant du système sportif compétitif qui prévaut encore aujourd’hui, à savoir une formule de championnat qui permet aux sportifs de représenter leur ville et, pour les meilleurs d’entre eux, leur province, voire leur pays. Avant le dernier quart du XIXe siècle, la rivalité territoriale qui s’est instaurée par le biais des rencontres sportives est circonscrite au plan local et ne s’étend pas encore aux niveaux national et international, mais le processus est bien en marche.
14Les années 1870 voient la création d’un grand nombre de clubs de football-rugby28 qui représentent leur ville dans des confrontations sportives. Ce sont très souvent des fils de propriétaires d’usines de textile qui sont à l’origine de ce type d’initiative29. Les membres qui constituent ces cercles sportifs sont essentiellement issus de la classe bourgeoise. Très peu d’ouvriers participent alors à ce mouvement de sportivisation urbaine. Cette période qui précède cette floraison rugbystique est le théâtre d’une forte urbanisation qui pousse les municipalités anglaises à créer des parcs et des aires de jeu sur lesquels les sportmen peuvent s’exercer à leurs pratiques favorites. Au même moment, le développement du réseau ferroviaire favorise les déplacements entre les villes, à la fois pour les joueurs et les spectateurs. Notons, comme le précise Christian Pociello, que la ville de Rugby qui était située au cœur d’un pays d’élevage, se trouve, dès 1830, au centre du premier réseau de lignes de chemin de fer reliant Londres aux régions industrielles du Nord et du Nord-Est de l’Angleterre30 ; une telle situation géographique et stratégique, couplée à un contexte urbain favorable, peuvent expliquer, en partie, le rayonnement rapide que ce jeu a pu avoir à cette époque dans tout le Nord du pays. Le rugby devient de plus en plus populaire et les rencontres qui opposent les meilleurs clubs attirent jusqu’à deux mille spectateurs. La décision des dirigeants de la RFU, en 1875, de réduire le nombre de joueurs de chaque équipe, de vingt à quinze, va jouer en faveur de ce sport en le rendant plus agréable à voir pour le spectateur. Cette initiative provenant de ceux qui ont le pouvoir de la maîtrise des règles générales de l’institution n’est pas la seule qui contribue à populariser ce sport, d’autres décisions plus locales participent à cette popularisation.
15Dans le Yorkshire. par exemple, la création en 1874 de Yorkshire County Football Club (YCFC) a aussi aidé à développer le football-rugby en lui donnant une structure et une dimension plus importantes. Le but de cette institution est d’organiser, d’une façon plus efficace, les rencontres dans le comté ainsi que la sélection de l’équipe qui représentera celui-ci. Ce qui a sans doute révolutionné ce jeu et, par la suite, accéléré son processus de spectacularisation et de professionnalisation, c’est la proposition faite par Arthur Hudson, fils d’industriel de la laine de Leeds et membre de ce YCFC : il propose que soit organisée une compétition réunissant les meilleures équipes du comté. La première Yorkshire Challenge Cup est organisée en décembre 1877 et seize équipes sont invitées à concourir pour ce trophée. Les organisateurs décident de ne pas offrir de médailles aux joueurs des meilleures équipes car en aucun cas, ils ne veulent pas être suspectés de professionnalisme par la RFU31. Très vite, cette compétition a obtenu un vif succès et le nombre de spectateurs a sérieusement augmenté puisque 12 000 spectateurs sont venus voir la finale de la seconde édition. Dès le début de ce championnat, le YCFC demande officiellement aux clubs de ne pas importer de joueurs spécialement pour cette compétition, mais il semble que cette mesure n’ait jamais été respectée. Les clubs abordent les rencontres avec davantage de préparation. Par exemple, certaines équipes s’entraînent la veille des matchs et les joueurs discutent des tactiques à adopter durant la partie, choses qui n’existaient pas auparavant. Cette nouvelle compétition a entraîné l’arrivée de nouveaux joueurs recrutés par les clubs participants, l’apparition de nouvelles méthodes pour préparer les rencontres et la venue d’un nouveau type de spectateurs, à savoir, des individus qui, auparavant, n’avaient jamais joué ou assisté à un match de rugby.
16La Yorkshire Cup fait de nombreux émules et suscite l’enthousiasme des joueurs et des spectateurs. De nouveaux clubs sont créés et ce challenge avive également l’intérêt que la classe populaire porte à ce jeu. Le rugby devient un moyen d’exprimer une identité locale, une sorte de fierté civique32, une manière de s’affronter par procuration. Les personnes qui s’intéressent à ce jeu, soit en tant que joueurs, soit en tant que spectateurs, sont majoritairement issues de la classe populaire. Ils proviennent d’une classe différente de ceux qui, jusque là, considéraient le rugby comme leur propre sport. Le rugby paraît être sur le point de devenir ce que le folk-football était dans la période préindustrielle, à savoir un jeu populaire et non plus une activité réservée aux classes moyenne et supérieure. Lentement et sûrement, la middle class semble être dépossédée de ce qui avait été, durant plus d’un demi-siècle, à la fois son fleuron et son exclusivité.
17Cependant, force est de constater que la désappropriation dont semblent être victimes les classes moyenne et supérieure est loin d’être totale. En effet, malgré l’intérêt croissant que la classe ouvrière porte à la pratique du football-rugby, très peu de clubs sont créés par des individus provenant de cette strate sociale. Ceux-ci se contentent, dans la majorité des cas, de devenir membres d’un club existant. Si la cohabitation de classes ne semble pas poser de problème au sein des équipes de rugby, il n’en est pas de même en ce qui concerne la direction que doit prendre ce jeu. La classe qui domine le jeu (des patrons d’entreprise et des anciens élèves des public schools) veut en conserver le contrôle et cherche à imposer aux nombreux nouveaux arrivants l’orientation et l’éthique qu’elle a instaurées, à savoir une pratique désintéressée. La participation toujours plus importante des basses classes à ce jeu, lui fait craindre un changement dans la nature même du football-rugby. Cette inquiétude amène des clubs à refuser de participer à certaines compétitions afin de préserver leur exclusivité sociale33 . Quelques clubs prestigieux du Lancashire vont même jusqu’à refuser de jouer avec des équipes qu’ils considèrent comme étant d’une classe sociale inférieure à la leur.
18Désormais, la préoccupation majeure des dirigeants du rugby se situe ailleurs. En effet, ils voient d’un très mauvais œil le nombre très important de paris qui sont engagés autour de l’issue des parties par une grande quantité de spectateurs. Il faut noter qu’à l’époque, les paris sur les résultats de courses à pied, de courses de chiens, de combats de coqs et même sur des combats de lutte connaissent un grand succès populaire. La grande majorité de ces parieurs provient de la classe ouvrière et ceux-ci font facilement l’amalgame entre le sport et l’argent. D’une part parce qu’ils sont habitués à miser sur le dénouement d’un affrontement et que le vainqueur, ou son propriétaire reçoit, en toute logique, une récompense, et que, d’autre part, ils ne perçoivent pas la différence qui peut exister entre le fait de se faire payer pour un travail fourni ou pour des prouesses sportives. Pour eux, le sport est synonyme de travail et également de rémunération. Une telle conception mercantile de la pratique sportive va à l’encontre de ce qu’ont pu imaginer ceux qui prétendent en avoir la paternité. Il n’est pas rare, également, que, lors de rencontres, les arbitres soient la cible d’attaques verbales et physiques. De tels actes sont-ils liés à l’enjeu que les paris donnent à la rencontre ? Certains hauts dirigeants34 le pensent et voient un rapport très étroit entre la violence qui entoure ces matchs et la popularisation de ce jeu, oubliant que, par le passé, certains capitaines d’équipe qui appartenaient à leur milieu et qui faisaient alors office d’arbitres, n’hésitaient pas à se menacer et à s’injurier afin de tenter de déstabiliser l’équipe adverse.
19Selon les dirigeants du football-rugby, tous les maux qu’engendre ce jeu sont dus à l’arrivée massive d’individus issus des classes populaires. Un ouvrier, par définition35, ne peut pas être amateur, ou du moins, un véritable amateur est forcément un gentleman. L’exemple donné par le cricket et surtout le soccer36 fait craindre le pire aux gardiens du temple de l’amateurisme. Ceux-ci interdisent que quiconque ayant participé à un match de rugby soit récompensé de quelque manière que ce soit et tentent de mettre fin à la pratique de certains clubs qui consiste à offrir un emploi à un joueur, en échange de son adhésion au club. L’élite sociale anglaise a encore la mainmise sur la direction de ce jeu et considère le sportif professionnel d’origine ouvrière comme une sorte de prostituée dont il faut préserver le rugby afin qu’il ne soit pas contaminé. Pour parer à cette éventuelle contamination, les maîtres du jeu doivent édicter de nouvelles règles qui protégeront leur sport des méfaits du professionnalisme.
20Dès novembre 1879, le YCFC édicte la première loi contre le professionnalisme. Celle-ci impose que les joueurs qui participent aux compétitions organisées par cette instance régionale soient tous amateurs. La définition de l’amateur est la même que celle adoptée par le cricket37 ; le cricket distingue alors deux sortes de pratiquants : d’une part les gentlemen c’est-à-dire les amateurs et d’autre part les joueurs professionnels. Dans ce sport, un gentleman peut s’attendre uniquement à ce que ses frais lui soient remboursés, mais la définition des frais est tellement vaste et floue que cela peut englober toutes sortes de paiements. Dans le cricket comme dans le rugby, le mot professionnel est surtout associé à la classe populaire et a une certaine connotation péjorative. À l’époque, d’autres sports, tels que l’athlétisme et l’aviron ont, comme le cricket, une politique d’exclusion à l’égard de la classe ouvrière. Le rugby ne peut plus pratiquer une telle politique d’exclusion car il y a, maintenant, trop d’ouvriers qui s’adonnent à ce jeu. L’exclusion de cette classe inférieure n’est donc plus possible. À part le fait de légiférer dans la direction qu’ils veulent lui conserver, il ne reste plus guère de solutions aux dirigeants du rugby pour préserver « le sens originel » qu’ils ont attribué à ce sport, sens que Eric Hobsbawn identifie comme étant l’invention d’une tradition38 . Cet auteur montre que A. E. Hudson, le secrétaire du YCFC, ment lorsqu’il proclame que le football a toujours été amateur39 et qu’en faisant cela, il invente une tradition pour légitimer l’autorité que lui et ses pairs ont conquis sur le rugby.
21Les dirigeants du rugby savent légiférer, mais avoir la légitimité pour le faire est une tout autre chose. C’est sur ce deuxième point que ces gardiens du temple vont focaliser leur attention et leurs recherches. En s’autoproclamant inventeurs de ce jeu, ils ont tout naturellement hérité de la possibilité d’en modifier les règles. Le droit de propriété leur autorise de telles prérogatives. Cependant, tant qu’ils ne possèdent pas réellement l’acte de propriété de ce jeu, le pouvoir de la maîtrise des règles générales de leur institution peut leur être contesté par d’autres acteurs, en l’occurrence, les joueurs. Ceux-ci ont accédé progressivement à une position forte dans le système rugbystique et ce, grâce aux succès grandissants que connaissent les matchs entre clubs. En effet, ce sont eux les principaux acteurs de ce spectacle sportif, et en tant que tels, ils possèdent le pouvoir de l’expertise qui peut leur permettre de remettre en cause un pouvoir qui serait infondé au sein du système. L’expérience de ce qui s’est passé dans le football association40 pousse les dirigeants du rugby à la plus grande prudence pour se préserver des dangers du professionnalisme. Leur quête de légitimité trouvera un dénouement favorable lorsqu’en 1877, Matthew Bloxman41, homme de loi de la ville de Rugby et ancien élève de la public school de cette ville, se met en tête d’attribuer le geste fondateur du football-rugby à un jeune collégien, William Webb Ellis, un jour de 1823. Cette version des faits sera officialisée par une inscription sur les murs de cette public school : cette pierre commémore l’exploit de William Webb Ellis qui, avec un beau mépris pour les règles du football de son époque, prit le premier le ballon dans ses bras et courut avec lui, créant ainsi le trait caractéristique du jeu de rugby. A. D. 1823. Cette épigraphe est une véritable aubaine pour les dirigeants du rugby à XV, elle leur sert d’acte de propriété et permet une distanciation par rapport au football. Attribuer officiellement l’acte fondateur du jeu de rugby à un élève d’une public school anglaise, c’est exclure implicitement de cette paternité l’ensemble de la classe populaire car celle-ci n’a jamais fréquenté ce type d’établissements scolaires. Une telle exclusion légitime le pouvoir de ceux qui dirigent ce sport. N’appartiennent-ils pas, en effet, à la même classe sociale que son inventeur ? De plus, l’inscription souligne, pour qui veut bien l’entendre, que le rugby n’a rien à voir avec le football, que ce soit avec le folk-football ([...] avec un beau mépris pour les règles du football de son époque...) ou avec le football association ([...] créant ainsi le trait caractéristique du jeu de rugby). Un mythe est né : le rugby est une invention bourgeoise et il n’existe aucun lien de filiation avec le folk-football pratiqué par les classes populaires, ni avec le football association qui est professionnel. Le rugby est en quelque sorte l’archétype du sport originel, un jeu qui doit rester purement amateur puisqu’il l’a toujours été et que ses concepteurs l’ont voulu ainsi. Certes, comme le mentionne Jean-Pierre Bodis, l’épigraphie ne vaut pas preuve42, néanmoins, cette légende servira à légitimer la surveillance et les punitions de tous ceux, ou presque43, qui contreviendront à cette dynamique culturelle bourgeoise.
22Forte d’une légende faite à sa mesure, l’institution rugbystique, représentée tout d’abord par la RFU puis à partir de 1890 par l’IRFB, va imposer, de gré et/ou de force, l’éthos amateur à tous ses dirigeants et pratiquants. En effet, qui peut alors remettre en cause sa légitimité sur la gestion des règles du jeu ? Personne sans doute, mis à part les joueurs qui, en tant qu’acteurs d’un spectacle sportif qui connaît de plus en plus de succès, peuvent tenter d’infléchir ou de contredire les décisions prises par cette instance suprême. Une telle contradiction venant de la part de ceux qui possèdent l’expertise est d’autant plus puissante que ceux-ci trouvent dans l’environnement rugbystique un levier nécessaire pour tenter d’inverser la logique qui régit le système auquel ils appartiennent. Ce levier est plus ou moins efficace selon les périodes. En 1895, par exemple, la force de celui-ci est telle qu’il amène à une scission entre les clubs du Nord et ceux du Sud de l’Angleterre, entre les partisans d’un défraiement des joueurs et ceux qui y sont radicalement opposés.
23C’est sans doute à cause de l’intérêt que les spectateurs portent au rugby que celui-ci devient, assez rapidement, une véritable entreprise commerciale. De fait, les recettes enregistrées aux guichets des principaux clubs ne cessent de croître jusqu’aux années 1890. Une partie de cet argent sert à défrayer les joueurs, mais la plus grande partie est consacrée à l’achat et à l’entretien des terrains et des stades. À partir de 1885, les clubs veulent accueillir un maximum de spectateurs dans les meilleures conditions possibles. Avoir un beau stade est devenu une sorte de fierté locale pour les habitants d’une ville. Des grands clubs comme Bradford, Huddersfield et Leeds rivalisent pour avoir le plus beau stade du Nord de l’Angleterre. Cependant, malgré l’importante activité commerciale qu’engendre le sport à cette époque et plus particulièrement le football-rugby, aucun de ces clubs ne se considère ou n’est considéré comme une entreprise à but lucratif. Ces organisations sportives n’ont pas pour principal objectif de maximiser leurs profits, mais elles veulent être une source de fierté, d’honneur pour leur ville. Le standing de leur stade de rugby participe de cette notoriété tant recherchée. C’est pour acheter des terrains ou pour agrandir leur stade que les principaux clubs du Yorkshire et du Landcashire vont s’endetter en empruntant ou en s’associant à des sociétés privées. Compte tenu de l’augmentation de leur capacité d’accueil, les clubs qui optent pour cette formule deviennent plus populaires et organisent des rencontres encore plus importantes qu’auparavant. La nécessité de bien gérer un club est une chose admise par la majorité de ces dirigeants qui adoptent une attitude commerciale rigoureuse, comme ils sont amenés à le faire dans leur vie professionnelle. Les exigences économiques ne peuvent plus être ignorées et influencent leurs prises de décision. De fait, l’obligation de trouver des recettes, de contrôler les dépenses et d’attirer des spectateurs devient aussi importante que dans n’importe quelle autre entreprise commerciale. C’est la tension entre cette réalité économique du terrain et l’éthique ostensiblement amateur du sport qui est à l’origine de la dissension qui s’amplifiera entre la RFU et la plupart des clubs de rugby du nord de l’Angleterre.
24En effet, si les principaux clubs du Nord ont pu acheter des terrains de jeu ou agrandir leur stade, c’est parce que le rugby connaît, en ces lieux, un énorme succès. Bien que ce phénomène de popularisation ne soit pas uniquement attaché aux comtés septentrionaux de l’Angleterre, celui-ci y est très nettement amplifié car la concentration de spectateurs et de joueurs d’origine ouvrière est, ici, nettement plus forte que dans le reste du pays. Dans un tel contexte, les problèmes rencontrés par les dirigeants de club ne sont pas exactement les mêmes selon les régions. Cependant, quelle que soit leur région d’origine, ces dirigeants ont été, pour la plupart, éduqués dans les écoles privées du sud et sont patrons d’usines ou hommes d’affaires. C’est sans doute cette solidarité de classe qui les amène à voter presque unanimement en octobre 1886, lors d’une assemblée de la RFU, une loi anti-professionnalisme. Ils ne sont que quatre clubs du Nord à voter contre44 une telle mesure. Cette loi interdit à tout club de promettre et de trouver un emploi à de futurs joueurs, ainsi que le paiement ou le défraiement en argent ou en nature des entraînements et des matchs. En légiférant ainsi, les dirigeants du rugby viennent d’institutionnaliser les bases de la politique sur l’amateurisme que la RFU, puis l’IRFB vont mener successivement jusqu’à la fin du XXe siècle et ils contribuent ainsi à entretenir le mythe d’un sport pur auquel tout pratiquant doit faire allégeance.
25Cependant, de telles mesures coercitives remettent sérieusement en cause le mode de fonctionnement qu’a mis en place la majorité des présidents de clubs de rugby du Nord. En effet, pour être performants dans les différentes compétitions organisées dans leurs provinces, ces patrons de club n’hésitent pas à débaucher des joueurs d’autres clubs en leur proposant soit un travail, pour ceux qui n’en ont pas, soit un meilleur salaire pour ceux qui ont déjà un emploi. Cette démarche va de pair avec le remboursement du manque à gagner occasionné par la participation aux entraînements et aux rencontres qui doit compenser financièrement, chez le rugbyman, ses nombreuses absences au travail. Dans un tel contexte de marchandage, on peut s’interroger sur leur choix de vote lors de l’assemblée de la RFU. Cette prise de position en faveur d’une politique de défense de l’amateurisme peut s’expliquer par le fait qu’aucun dirigeant, qu’il soit du Nord ou du Sud, ne soit véritablement favorable au passage au professionnalisme. Leur divergence de point de vue réside dans le fait qu’au Nord, il paraît tout à fait logique qu’un ouvrier soit dédommagé pour la perte de salaire consécutive au temps passé à pratiquer le rugby alors qu’au Sud on pense qu’un individu qui ne peut jouer au rugby sans se faire payer doit tout simplement cesser cette pratique et chercher un autre sport plus lucratif. Sans pour autant être devenus des partisans du professionnalisme, certains dirigeants se rendent compte qu’appliquer à la lettre les règles édictées par la RFU, c’est éliminer de leur sport les joueurs d’origine ouvrière. Or, force est de constater que ce sont ces derniers qui sont devenus les maîtres du jeu, car c’est la qualité de celui-ci qui draine ces flux importants de spectateurs vers les stades, remplissant au passage les caisses des clubs. La preuve en est, que l’équipe d’Angleterre qui bat l’Ecosse en 1892 est composée de onze joueurs originaires du Landcashire et parmi eux figurent dix ouvriers. Bien qu’il n’occupe pas une place importante dans le rugby anglais, l’ouvrier contribue au développement de ce sport dont il est le principal interprète sur le terrain. En ayant investi majoritairement les équipes des comtés du Nord et l’équipe nationale, la classe ouvrière marque de son sceau le rugby britannique et impose implicitement que le cas du manque à gagner soit traité par ses instances dirigeantes. Depuis une dizaine d’années, le pouvoir issu des acteurs de terrain, les joueurs, affronte de manière récurrente et frontale celui de ceux qui édictent les règles organisationnelles générales qui vont dans le sens du maintien de l’amateurisme : le pouvoir des dirigeants.
26L’affrontement de ces deux dynamiques de classe atteint son paroxysme en 1891, les dirigeants et joueurs du Nord souhaitant le paiement du temps perdu et exigeant un retour à la situation qui existait avant 1886. Les demandeurs, joueurs du Nord auxquels s’est adjointe la majorité de leurs dirigeants, espèrent que l’abrogation de cette règle de 1886 apportera un juste milieu entre un amateurisme idyllique, quasiment impossible à préserver, du moins dans leur région, et un professionnalisme pur et dur. Ceux-là mêmes qui veulent cet assouplissement sont pour une limitation plus stricte des transferts entre clubs, et pour plus de sévérité dans les sanctions données pour fait de professionnalisme. James Miller, secrétaire de la Yorkshire Rugby Union (YRU), porte parole des clubs du Nord, qui défend un défraiement contrôlé, s’oppose aux autres dirigeants de la RFU qui ne veulent tolérer aucun paiement. Cette divergence tient en grande partie au fait que les grands clubs de Yorkshire et du Landcashire doivent faire face aux exigences économiques et financières qui incombent à de telles structures. Leurs comités de direction désirent consolider leur situation financière à long terme, aménager ou acheter des terrains en planifiant leur budget et en régularisant les paiements versés aux joueurs. Vu du côté septentrional, défrayer les joueurs permettrait une meilleure gestion financière et éviterait l’écueil du professionnalisme. La question du manque à gagner va être une nouvelle fois examinée et débattue lors de l’assemblée générale de la RFU qui se tient à Londres en septembre 1893 et les partisans du non l’emportent avec 286 voix contre seulement 136 voix pour. La RFU réaffirme, par ce vote, son intransigeance à l’égard de la classe ouvrière et ne prend pas en compte le particularisme du rugby nordiste. La tension monte entre les partisans de l’amateurisme pur et dur et ceux qui demandent un peu plus de souplesse. De nombreuses sanctions sont prises à l’encontre des meilleurs clubs du Yorkshire et du Landcashire qui sont soupçonnés de professionnalisme, ceux-ci étant suspendus pour un ou plusieurs matchs, voire déclassés. Ces sanctions ont de lourdes conséquences financières sur le budget des clubs concernés.
27C’est dans ce contexte que la RFU publie un manifeste en six points sur l’amateurisme. Le quatrième point annonce que, dorénavant, les clubs et les joueurs suspectés de professionnalisme devront prouver leur innocence. Un tel rajout va fédérer et liguer les clubs du Nord contre la RFU. Ceux-ci vont créer le 30 janvier 1895 la Northen Union (NU). Cette nouvelle institution a pour but de mettre en place une rencontre annuelle entre le club champion du Yorkshire et celui du Landcashire et de régulariser les transferts de joueurs entre les clubs membres de cette organisation. En juillet 1895, les principaux clubs du Yorkshire quittent le championnat de la YRU, marquant ainsi leur désapprobation de la politique menée par la RFU par le biais de ses organismes décentralisés. Le dénouement de cette lutte de pouvoir au sein de l’institution rugbystique anglaise a lieu le 29 août 1895 dans un hôtel du centre d’Huddersfield où les clubs dissidents décident de créer officiellement la NU et promettent d’établir le principe du paiement pour le temps perdu et uniquement pour celui-ci. C’est une véritable scission, au sens où l’entend Jacques Defrance45, qui vient de se produire au sein de ce sport. En effet, selon cet auteur, la scission est un exemple caractéristique de ces faits qui jalonnent la dynamique des institutions sportives. Il est possible de montrer comment la définition sociale d’une pratique change, alors que son organisation connaît une partition, donnant une illustration de ce que l’histoire religieuse appelle un schisme : à la fois clivage interne d’un groupe et divergences des façons de faire et des visions du monde (ou des choses), c ’est-à-dire séparation et division. Le rugby vient de changer de définition sociale, sa définition devient plurielle, il est irrévocablement scindé en deux entités institutionnelles qui ne s’appuient pas sur les mêmes valeurs.
28En 1895, la NU, qui donnera officiellement naissance au rugby à XIII lors de son assemblée générale de 1906, n’a pas trouvé de levier suffisamment puissant pour faire admettre ses revendications et renverser les fondements de la RFU. Ce n’est pas un renversement qui se produit au sein du rugby, c’est plutôt une fuite car le pouvoir de l’institution dirigeante a fait preuve de suffisamment de force pour préserver celle-ci de toute modification substantielle. Ainsi, le rugby à XV va toujours fonctionner selon ses propres normes et s’enraciner dans des valeurs qui, bien qu’elles semblent illusoires aux membres de la NU, continuent à exalter la classe bourgeoise anglaise. La déstabilisation semble pourtant bien effective dans le camp des quinzistes. C’est un véritable exode qui s’opère en faveur de ce néo-rugby. Par exemple, à l’été 1896, le Landcashire ne compte plus que 13 clubs adhérents à la RFU. Ceux qui se sont autoproclamés inventeurs de ce jeu ne changent ni de stratégie ni de philosophie, et ce malgré les lourdes pertes en effectif subies dans leurs rangs. Dans un tel contexte, l’effet de pouvoir de l’institution dirigeante amène les dissidents à créer leur propre organisation sportive en dehors du système existant. Celle-ci va donc se construire à côté de l’institution mère sans que cette dernière renonce à appliquer sa politique antiprofessionnelle. Cette scission met en danger toute l’organisation sportive rugbystique qui subit déjà, de manière outrancière, la concurrence du football association. Une telle partition stigmatise deux cultures en les opposant d’un point de vue social et territorial. Si l’aspect social a eu une très grande importance dans la genèse du conflit entre la RFU et la NU, lorsque celui-ci amène à la fracture, c’est la notion de territorialité qui fait débat et qui va desservir fortement l’image des futurs treizistes. En effet, cette séparation des deux rugbys intervient au moment où l’Etat centralisateur devient prépondérant au détriment d’un régionalisme sur le déclin. Parallèlement, l’Angleterre est encline à un changement structurel d’où émerge une ferveur nationaliste relayée par les journaux qui sont, eux aussi, devenus nationaux. Comment, dans un tel contexte, ne pas prendre parti pour ce qui est national et de surcroît pur -la RFU- et diaboliser une institution inter comté qui, quant à elle, va à l’encontre de l’identité nationale et ne peut qu’engendrer l’opprobre ? Même si ce nouveau rugby connaît un franc succès et que les spectateurs sont plus nombreux que jamais à fréquenter ses stades, son simple droit d’exister est perpétuellement remis en cause par ses détracteurs. Cependant, son existence va influer lourdement sur l’histoire de son homologue quinziste. Sa simple présence dans le système des sports46 va servir d’échappatoire aux rugbymen quinzistes qui ont maille à partir avec leur institution. En effet, elle permettra47 aux rugbymen qui veulent monnayer leurs prestations, de le faire en toute légalité ou de la rejoindre lorsqu’ils sont radiés de la Rugby Union.
29Malgré cette scission, la NU ne veut pas d’un rugby professionnel, ou du moins pas dans l’immédiat. Elle espère même, grâce au contrôle du défraiement de ses pratiquants, reculer son arrivée et ainsi mieux préparer le terrain afin d’éviter les situations désastreuses que connaît son homologue du football-association. Cette prise de position fait que, juste après son instauration, la nouvelle institution du jeu de rugby ne légifère pas dans le sens d’une libéralisation des défraiements. C’est le contraire qui se produit, elle fixe le plafond du remboursement journalier pour temps perdu à 6 shillings. Cette somme correspond exactement au maximum journalier autorisé par la RFU pour le paiement de ses joueurs blessés couverts par une police d’assurances. En septembre 1895, la NU va même jusqu’à rejeter les demandes d’adhésion de deux joueurs radiés par la RFU pour cause de professionnalisme. Celle-ci argue que le jugement est tout à fait justifié et qu’en conséquence ceux-ci n’ont rien à faire dans ses rangs. Dans ses premières années d’existence, le néorugby ne sert donc pas d’échappatoire aux joueurs exclus du football-rugby. En effet, ses dirigeants croient encore à la possibilité d’un rapprochement entre les deux organisations rugbystiques et ne font rien pour aller à l’encontre des intérêts de leurs homologues quinzistes. Cependant, le code de la NU offre aux individus appartenant à la classe ouvrière qui investissent en masse les loisirs sportifs, une possibilité de pratique qui prend en compte leur demande sociale : le remboursement du manque à gagner inhérent à leur pratique rugbystique. Une telle alternative absorbe une grande partie des flux de nouveaux sportifs provenant du milieu populaire et évite à la RFU de connaître la forte pression démographique qu’a subi, quelques décennies plus tôt son homologue du football association. L’existence de cette nouvelle instance sportive évite à sa collègue du quinze d’être envahie par des pratiquants qui ne fonctionnent pas sur la même logique qu’elle. Elle permet d’accueillir des individus qui, s’ils n’avaient eu d’autres options que le rugby à XV, auraient été pour celui-ci une source potentielle de conflits avec l’encadrement dirigeant.
30Là où le rugby à XIII existe, il attire à lui les pratiquants issus des classes populaires qui considèrent que leur investissement dans un sport mérite une contrepartie financière. La logique de fonctionnement au sein de cette organisation semble claire et bien comprise des postulants. Tant que le contexte économique reste favorable, durant l’ère du développement industriel, l’IRFB continue à développer son rugby sur le mythe du sport pur, propre et sans argent. Son recrutement se fait d’abord chez les anciens élèves des public schools puis il glisse vers des joueurs provenant d’institutions scolaires plus modestes. La concurrence faite par la Rugby League, qui a succédé à la NU dans le début des années 1920, agit surtout au niveau du choix initial de la pratique. En effet, rares sont les joueurs qui changent de rugby une fois qu’ils ont fait leur choix. Cependant, cette paix sociale ne résiste pas à la dépression qui atteint, dans ces mêmes années, les vallées minières du Pays de Galles48, par exemple. Toutes les activités professionnelles qui gravitent autour du charbon déclinent, mettant au chômage mineurs, dockers et ouvriers qui sont aussi joueurs de football-rugby. Certes, les clubs quinzistes du Sud de l’Angleterre viennent recruter dans ce vivier de personnes rendues inactives par la crise économique. Mais, dans un tel contexte économique, la principale bénéficiaire est la Rugby League qui fait signer un bon nombre d’anciens internationaux gallois. Les transferts vers le néorugby font légion dans ce pays. Je connais soixante-sept internationaux gallois qui passent le pont : quarante et un dans les années 1920 et vingt-six lors de la décennie suivante. Ce changement de Fédération ne se fait à peu près jamais, pour des raisons sportives. Et pas davantage de gaieté de cœur 49. En cette période de pénurie, le rugby à XIII est devenu une terre d’asile pour des joueurs qui sont en difficultés sur le plan professionnel. Mais ce refuge n’est pas ouvert à tous car ceux qui sont sollicités pour franchir le pas appartiennent généralement à l’élite sportive d’en face. Le rugby orthodoxe réagit à cette hémorragie en joueurs d’excellence en proposant des emplois de policiers aux rugbymen en mal de travail. Cette offre est discrète car circonstancielle. En engageant des joueurs de rugby, les responsables de l’ordre public se servent de leur notoriété pour mieux faire accepter les actions répressives qu’ils doivent souvent mener à l’encontre de la classe ouvrière pour protéger le patronat50. Ces offres d’emploi n’ont rien d’officiel et ne réussissent pas à contrebalancer la perte en effectifs humains que connaît la WRFU . En période de récession, le rugby à XIII peut se targuer de nourrir les rangs de son élite par l’apport des meilleurs acteurs de l’institution quinziste.
31Dans cette première partie, nous avons tenté d’apporter quelques explications à la genèse du jeu de rugby en Angleterre. D’origine populaire et rurale ce sport devient bourgeois et urbain en s’institutionnalisant et subit, de nouveau, les effets de la popularisation. Cependant, cette démocratisation reste partielle. En effet, celle-ci ne touche qu’une partie des acteurs du rugby : les joueurs. Les dirigeants, quant à eux, sont toujours issus de la haute société britannique51 et sont essentiellement des bourgeois ou des industriels. Une telle partition, très tranchée socialement, entraîne des luttes endémiques pour la reconnaissance du manque à gagner occasionné par la pratique intensive de cette activité physique qui, en parallèle à cela, draine de plus en plus de spectateurs payants autour de ses aires de jeu. Une autre particularité du processus de développement de ce sport vient s’ajouter à cela : le très inégal succès qu’il rencontre dans les populations du Nord et dans celles du Sud de l’Angleterre. De fait, sa popularisation est beaucoup plus importante dans les comtés septentrionaux. En conséquence, les dirigeants sudistes ne subissent pas la même pression de la part des joueurs et ne font pas face aux mêmes problèmes que leurs homologues nordistes. Cette scission géographique en amène une autre, idéologique cette fois. D’un côté, on trouve les défenseurs d’un sport purement amateur et de l’autre, les partisans du paiement du manque à gagner. Le rugby se déchire alors et devient pluriel. Le rugby du Nord quitte la RFU et donne naissance à la NU qui, dès sa création, défraie ses joueurs. Quelques dizaines d’années plus tard, ce nouveau sport dont les règles du jeu sont très proches du football rugby devient le rugby à XIII et sert d’échappatoire aux quinzistes qui sont en disgrâce avec leur fédération. Mais, par la suite, ce néorugby ne se contente pas de jouer le rôle d’une pratique refuge, il devient un véritable concurrent pour le rugby à XV.
32Ce bref rappel de l’histoire du rugby anglais nous amène à nous interroger sur ce qui se passe ailleurs. Le rugby subit-il les mêmes phénomènes que ceux décrits précédemment : conflits d’intérêt entre joueurs et dirigeants, processus de popularisation, influence du rugby à XIII ? Comment agissent et réagissent les inventeurs du jeu, les britanniques, face à d’éventuelles dérives concernant le respect de l’éthique amateur ? Ont-ils un réel pouvoir sur le jeu hors de leurs frontières et si oui, comment l’exercent-ils ? Pour essayer de répondre à cet ensemble de questions, nous avons choisi d’examiner ce qui s’est passé en France dans les années 1920-1930. Cette période est, selon nous, révélatrice de la surveillance et de la domination exercées par l’IRFB sur le rugby, quelque soit le territoire où ce jeu s’est implanté.
Le rugby français surveillé et puni
33Dans les années 1920, en France, l’alternative treiziste n’existe pas et le système rugby ne possède pas d’échappatoire. Le rugby français est confronté à un phénomène similaire à celui qui s’est déroulé dans les comtés du Nord de l’Angleterre dans les années 1890. La France enregistre avec quelques décennies de retard, par rapport à son voisin britannique, les conséquences du succès populaire du football-rugby52. Il faut souligner le fait que les tricolores n’ont pu rencontrer officiellement leurs homologues des Homes Unions, dans le cadre du tournoi des 5 nations53, qu’à partir de 1910 . Cependant, depuis cette date, le jeu n’a pas cessé d’attirer de nouveaux pratiquants. Cette massification entraîne les mêmes effets qu’outre-Manche. En effet, la diffusion d’une classe à l’autre du modèle sportif est, ici aussi, une période charnière pour les conflits entre défenseurs de logiques opposées. Les dirigeants de clubs des années 1920 ne sont plus, pour la plupart, des anciens joueurs issus des grands lycées parisiens où le jeu s’est initialement implanté. Ils sont majoritairement notables ou patrons d’entreprise et viennent quérir au travers de leur fonction de dirigeant un surplus de notoriété locale. Leur logique est basée sur la recherche de résultats, logique contraire à celle des responsables du mouvement sportif français qui appartiennent à l’Union des Sociétés Françaises des Sports Athlétiques (l’USFSA). Cette alma mater des sports français fonctionne de manière très manichéenne. Elle se méfie du football association qui est devenu rapidement professionnel en Grande-Bretagne et met beaucoup d’espoirs dans le football-rugby qui incarne, à ses yeux, toutes les vertus du sport originel. Plus les années passent et plus l’opposition croît entre ces deux groupes de dirigeants. L’Union s’évertue à gérer, tant bien que mal, les différentes disciplines sportives qui sont sous sa tutelle comme si tous les pratiquants étaient animés d’un même idéal, celui de la classe sociale dominante, à savoir, un sport totalement désintéressé. Loin de tous ces fantasmes aristocratiques et bourgeois, les patrons de clubs sont devant une autre réalité. En devenant spectaculaire, le rugby français a généré son lot de phénomènes connexes. Le plus décrié par l’institution mère est l’argent qui circule dans ce milieu. De plus, à cette circulation monétaire illicite, puisque le rugby est, d’un point de vue officiel, amateur, on associe volontiers la violence qui sévit sur de nombreux terrains gazonnés.
34Le rugby français54 est surveillé de très près par ses comparses britanniques. L’IRFB, dans laquelle la très conservatrice RFU est toute puissante55, ne voit pas d’un très bon œil la tournure que prend la popularisation de son jeu sur le sol français. Les mises en garde, venant de ces cerbères britanniques envers les contrevenants tricolores, pour non respect des règles de l’amateurisme, deviennent très pressantes dans la décennie des années 1920. Le pouvoir de l’instance internationale devient omniprésent et omniscient. Il se subdivise jusqu’à la plus infime partie de son territoire. Pour être efficace, la surveillance devient quasi universelle et s’appuie sur le dogme d’un sport purement amateur. Ainsi, par les mécanismes dualistes de l’exclusion, les joueurs normaux, les amateurs, sont séparés des anormaux, c’est-à-dire ceux qui, dans le jeu, ont eu un rapport avec l’argent. L’institution se donne pour tâche de mesurer, de contrôler, et de corriger les anormaux, faisant fonctionner des dispositifs disciplinaires56qu’appelle la peur du professionnalisme. Cette surveillance rappelle fortement les méthodes utilisées lorsque la peste se déclarait dans une ville. En effet, le professionnalisme a souvent eu, aux yeux des dirigeants du rugby, un statut analogue à celui d’une maladie contagieuse, difficile à éradiquer et qui demande, pour s’en préserver, une veille constante de la part de l’institution. En parodiant Michel Foucault, à propos de la surveillance du pathologique, nous pouvons dire que l’enregistrement du professionnalisme doit être constant et centralisé. Le rapport de chaque joueur à l’argent et au professionnalisme passe par les instances du pouvoir, l’enregistrement qu’elles en font, les décisions qu’elles prennent57. Ce système de surveillance ressemble fortement au Panopticon de Bentham58 d’où le prisonnier est vu, mais ne voit pas le gardien qui l’observe. Dans le cas qui nous concerne, le rugbyman français, qu’il soit joueur ou dirigeant, est étroitement surveillé et les responsables internationaux le lui font savoir. Ainsi, les responsables de la FFR, puis, certains dirigeants de clubs français, se sachant continuellement surveillés et exposés à des sanctions de la part de l’IRFB vont s’inscrire dans ce jeu de pouvoirs et devenir à la fois les dominés et les instruments de la domination. Ils vont, tour à tour, prendre les devants, soit en appliquant le code de l’amateurisme à outrance, soit en prenant de grandes mesures coercitives au sein de leurs propres organisations.
35Du côté des dirigeants de clubs, certains pensent que la popularisation du jeu exacerbe les vanités locales et entraîne la violence et le professionnalisme59. Le championnat national est alors très décrié par un groupuscule d’intégristes qui cherchent des solutions de remplacement. Ils lui reprochent d’être un lieu où le jeu ne se pratique plus dans le respect des règles de l’art et essayent de renouer au plus vite avec l’orthodoxie. C’est dans ce contexte qu’en 1929, la FFR est saisie d’une demande de tournoi entre six clubs appartenant à l’élite sportive française. Le requérant est le Baron de Luze, président du Stade Bordelais Université Club (SBUC) qui agit au nom de ses homologues de Pau, Bayonne, Perpignan, du Stade Français, et du Stade Toulousain. Sa sollicitation obtient l’aval60 de la Fédération et une nouvelle compétition voit le jour. Celle-ci se veut de haut standing et le classement se fait au nombre de points marqués. L’année suivante, elle s’ouvre aux équipes de Lyon, Grenoble, Limoges, Biarritz, Carcassonne et Nantes. Devenue une poule de douze, cette épreuve disputée en matchs aller-retour ne reflète plus véritablement l’état d’esprit qui a présidé à sa création. En effet, c’est une volonté affichée de revenir au fairplay et d’étudier une formule de championnat susceptible d’éviter les longs déplacements, incompatibles, selon les futurs unionistes, avec l’amateurisme, qui est à l’origine de ce premier tournoi à six. La formule à douze équipes est loin de réduire véritablement le kilométrage effectué par chacun des protagonistes durant la saison. Le 2 novembre 1930, les responsables de ces douze clubs envoient et cosignent une lettre de démission collective à la FFR. Leur départ est motivé par le refus de l’instance fédérale de supprimer son championnat61. Le 24 janvier 1931, ces scissionnistes fondent l’Union Française de Rugby Amateur (UFRA). Quatre autres formations62 les rejoignent dans cette dissidence qui coalise en elle les principaux clubs historiques des grandes villes, ceux qui ont conquis 27 des 33 titres nationaux qui ont été décernés depuis la création du championnat de France. Leurs représentants rêvent d’un rugby idéal, d’avant sa popularisation, ils se réfèrent à une pratique originelle, au dogme instauré par la RFU et entretenu par l’IRFB, ou du moins à ce qu’ils en imaginent. Ils veulent participer activement à l’arrivée de l’âge d’or de leur discipline sportive où tout ne serait que pureté et sincérité.
36La tentative de purification du rugby français par ces dissidents ne s’arrête pas aux frontières de l’Hexagone. Ceux-ci vont adresser une lettre aux Homes Unions pour faire état de leurs craintes vis-à-vis de ce qui se déroule dans le championnat français. Ainsi, ils font fonctionner la machine panoptique de l’intérieur, ils surveillent et rapportent ce qu’ils voient, se substituant à ceux qui en avaient initialement la charge, à savoir les responsables de la FFR. Les mécanismes de surveillance mis en place par l’IRFB servent à cela, [...] n’importe qui peut venir exercer dans la tour centrale les fonctions de surveillance, et que ce faisant, il peut deviner la manière dont la surveillance s’exerce63. En participant activement au dispositif de surveillance, les dirigeants de l’UFRA se subordonnent, de leur plein gré, au pouvoir institutionnel et en augmentent la force. Ils contribuent à mettre en difficulté la Fédération avec laquelle ils sont en disgrâce. Cependant, il semble que leur excès de zèle envers la défense de l’ethos amateur ne porte pas véritablement ses fruits. En effet, très vite, leur union vacille sous les réclamations des clubs qui ont des adversaires qui déclarent forfait lorsque les déplacements sont trop longs ou lorsqu’ils sont victimes de racolage. Loin d’être épargnée par les affres de la popularisation de son jeu, l’UFRA, comme sa sœur rivale la FFR, est contrainte de gérer avec une certaine souplesse l’amateurisme de ses joueurs. Certains dirigeants unionistes, comme Marcel Laborde64 ne se font guère d’illusions sur le respect de l’étiquette et mesurent tout le décalage qui existe entre le but qu’ils sont sensés poursuivre et la réalité du terrain. Ses propos traduisent parfaitement ce décalage : Au sein de notre Union, l’amateurisme, notre symbole, n’était plus qu’une illusion. Seul le Baron de Luze en rêvait la nuit et avait fini par y croire comme les âmes naïves et pures croient aux rêves bleus. En fait, pour conserver nos joueurs amateurs, nous étions obligés de les payer double65. En rapportant à l’Institution suprême les égarements de l’une des siennes les dirigeants de l’UFRA ont intégré la machine panoptique. Ils sont investis de ses effets de pouvoir qu’ils reconduisent eux-mêmes puisque ils en sont devenus un rouage66. L’IRFB a choisi d’exercer son pouvoir de manière disciplinaire et se sert d’une sorte de panoptisme pour le distribuer jusque dans son plus lointain territoire. Ainsi, l’organisation internationale du rugby a tissé autour d’elle un réseau de surveillance pour imposer à tout instant son pouvoir disciplinaire, ici et partout.
37Dans un tel contexte, on s’aperçoit que la machine de surveillance rugbystique commence à agir sur les surveillés. Si, comme nous venons de le voir, les responsables de l’UFRA ont intégré parfaitement les mécanismes de celle-ci, d’autres individus appartenant au même système vont endosser tour à tour le rôle de surveillé et de surveillant. C’est le cas des dirigeants de la FFR qui voient leur équipe nationale privée de rencontres avec les nations britanniques et qui, pour tenter de faire allégeance auprès d’elles, deviendront les pires des geôliers. Une lettre du 2 mars 1931 qui annonce à la FFR que les unions britanniques cessent tout échange rugbystique avec elle va servir de déclencheur. En effet, celle-ci met la France en situation de punie et d’exclue pour manquement aux règles de l’amateurisme engendrant de la violence dans son championnat et dans les rencontres internationales auxquelles elle participe. Le chef d’accusation est motivé par les faits rapportés par l’UFRA, mais également par l’épais dossier d’accusation que l’IRFB a constitué depuis plus d’une décennie à l’encontre de sa lignée française. Devant cette sanction, venant des maîtres du jeu, les responsables français vont s’évertuer à prendre des mesures coercitives allant dans le sens demandé par ceux qui les ont jugés et sanctionnés. La chasse est alors faite aux spécialistes du casuel sportif67 et les radiations de dirigeants et de joueurs vont bon train. La FFR dépasse largement les attentes britanniques dans le domaine disciplinaire. Elle devient, à son tour, partie intégrante du panoptisme en punissant sévèrement tous ceux qui sont soupçonnés de ne pas pratiquer dans le respect de l’esprit et des traditions de ce jeu. En 1934, le nombre de mesures disciplinaires prises à l’encontre de rugbymen français atteint son apex. Sanctions et radiations vont pleuvoir : après Galia, c’est Recaborde (Pau) pour brutalités, Porra (FC Lyon) et Deschavanne (NAC Roanne), puis Duhau (SA Bordeaux), Amila (AS Carcassonne), Lambert (Avignon), Cassagneau (Quillan), Barbazangues, Samatan, Nouel, Carrère (permis retiré pour Narbonne), Fabre (Lézignan, déjà suspendu deux ans pour brutalités), etc68. Tous ces joueurs, et pas des moindres, sont sacrifiés par l’instance nationale, pour tenter de négocier la reprise des relations avec les Homes Unions. Cependant, rien n’y fait et. non seulement ces sacrifices restent vains, mais ils contribuent d’une certaine manière à la naissance du néorugby sur le territoire français.
38Jusqu’en 1934, en France, les exclus du jeu à XV n’ont pas l’échappatoire du rugby à XIII. Ils négocient leurs prestations sportives au bon vouloir des dirigeants employeurs. Ceux-ci sont pour la plupart des patrons d’entreprises et sont loin d’être des candides dans le domaine des négociations salariales et autres défraiements. Cette situation perdure depuis les temps les plus anciens et chacun semble y retrouver son compte jusqu’à ce que le zèle de certains dirigeants vienne troubler cet état d’équilibre. Il faut dire que l’équipe de France qui est la vitrine du rugby hexagonal est loin de produire un jeu sportivement correct, au sens britannique du terme. Comme nous l’avons vu précédemment, la violence et le non-respect des règles de l’amateurisme vont être les prétextes à l’exclusion de beaucoup de joueurs appartenant à l’élite du rugby français. Ces joueurs radiés par leur fédération se trouvent dans l’impossibilité de pratiquer une activité sportive qui serait proche de la logique interne de leur ancien sport. L’absence de rugby à XIII n’offre d’autre alternative à ces parias que l’arrêt de leur carrière sportive. Cette vision des choses ne convient pas à tous ces joueurs, et surtout pas à ceux qui se sont déjà constitué un certain capital symbolique par le biais du rugby. Parmi eux, se trouve Jean Galia qui, quelques années avant sa radiation était considéré comme le meilleur avant d’Europe. Ce banni du quinze sera une des pièces maîtresses de la création de la Ligue Française de rugby à XIII. Les dirigeants treizistes d’outre-Manche le choisissent comme leur ambassadeur en France. C’est le 3 octobre 1933 que les premiers contacts sont noués par l’intermédiaire de Harry Sunderland, un australien, et de l’Anglais John Wilson, secrétaire de la Rugby League. L’organisation d’un match de démonstration Australie-Angleterre est fixée au 31 décembre 1933 au stade Pershing69 à Paris. Ce sont déjà70 des hommes de médias, Victor Breyer, directeur de l’Echo des sports et Maurice Blein, chef de rubrique au Sporting, qui sont à l’initiative de cette rencontre qui se veut spectaculaire avant tout. Malgré une campagne de contre-publicité menée par les dirigeants de la FFR, ce match se déroule devant 20 000 spectateurs et Jean Galia est enthousiasmé par le spectacle produit par les protagonistes des deux camps. A la suite de cela, Maurice Blein lui confie la formation de la première équipe de France à XIII. Le vide est comblé, dorénavant les joueurs quinzistes en indélicatesse avec leur fédération pourront se réfugier dans une activité qui est peut-être plus en adéquation avec leurs attentes. A aucun moment, si toutefois ils le voulaient, les joueurs exclus ou revendicatifs ne sont en mesure de mettre en péril le pouvoir établi. Ici, le panoptisme a parfaitement fonctionné. Il a séparé, une nouvelle fois, les anormaux des vrais joueurs : ceux qui sont amateurs et qui défendent, du moins dans les apparences, les vertus d’un sport pur.
Professionnalisme et opportunités environnementales
39Le panoptisme qui s’est mis en place dans le système rugbystique international71 va continuer à agir efficacement pendant plus d’un demi-siècle encore. Grâce à ce dispositif de surveillance, l’IRFB exerce sur ses subordonnés une domination institutionnalisée, sorte de transcendance de l’obligation, où ces derniers n’ont plus besoin de s’administrer une violence quotidienne pour obéir aux modèles et aux lois édictés par leur organisation. Le pouvoir est devenu invisible et les institués en acceptent les règles par crainte de répression. Ses techniques d’exclusion, qui sont l’expression d’un quadrillage disciplinaire efficace et efficient, font réfléchir à deux fois ceux qui seraient tentés de contrevenir. Le pouvoir institutionnel démontre sa force et son efficacité à chaque nouvelle affaire. Lorsque les joueurs ont des revendications, qu’ils estiment légitimes, à soumettre à leurs responsables : soit ils y mettent les formes par crainte d’un refus de leur part, soit ils les présentent telles qu’elles, se sentant suffisamment puissants pour le faire ainsi. Cette puissance, dont ils peuvent faire preuve dans certains cas, et qui peut s’opposer au pouvoir ne trouve pas obligatoirement sa source dans l’organisation sportive mais, le plus souvent, dans son environnement. En effet, [...] les « environnements pertinents » d’une organisation, c’est à dire les segments de la société avec lesquels elle est ainsi en relation, constituent pour elle toujours et nécessairement une source de perturbation potentielle de son fonctionnement interne, et donc une zone d’incertitude majeure et inéluctable72. La maîtrise de tout ou partie de cette zone d’incertitude est une opportunité, pour les acteurs, de trouver un levier qui leur permettra de modifier de manière significative ce qui se fait au sein de leur organisation. Ceux qui réussissent à domestiquer l’incertitude environnementale au profit de l’organisation bénéficient alors d’un pouvoir ou d’une puissance considérable dans celle-ci.
40Les premiers effets de puissance qui vont réellement inquiéter l’organisation mondiale du rugby apparaissent en 1982 avec le projet de création d’un circuit professionnel de rugby à XV. C’est un journaliste de Brisbane, David Lord, spécialiste du jeu à XIII sur Channel 9, qui en est à l’origine. Sa proposition est relayée auprès des joueurs par Graham Mourie, ancien capitaine des All Blacks. Lord et Mourie prennent contact avec de nombreux internationaux australiens et néo-zélandais auxquels ils soumettent l’idée d’une compétition professionnelle. Sous couvert de la confidentialité, ils collectent plus de 200 signatures de joueurs appartenant aux huit nations majeures du rugby mondial. Lord choisi d’essayer de mobiliser autour de son projet les individus qui détiennent la compétence du jeu. De fait, ces experts sont très réceptifs à l’idée d’un circuit professionnel dont une des épreuves serait la Coupe du monde. Ils y voient la possibilité de récolter, enfin, une partie des bénéfices engendrés par leurs prestations sportives. Il est vrai que les rencontres de rugby à XV attirent de plus en plus de spectateurs et de téléspectateurs, drainant ainsi d’importants flux d’argent qui remplissent les caisses des fédérations ou des clubs et les joueurs se sentent écartés du partage final. Les nouvelles propositions qui leur sont faites semblent tenir compte de leurs intérêts. Outre l’enjeu financier que la mise en place de ces nombreuses rencontres entre les joueurs de l’élite mondiale du rugby peut procurer, notamment aux joueurs, celle-ci devrait contribuer à améliorer la qualité du jeu et stimuler l’intérêt que les médias portent à ce sport. Les dirigeants des fédérations nationales et de l’IRFB se mobilisent contre ce projet de professionnalisation du jeu. Ils promettent de lourdes sanctions à tous les joueurs qui pourraient avoir une oreille trop attentive aux arguments pécuniaires de David Lord. Même si ce circuit professionnel ne voit pas le jour, l’idée a séduit les joueurs et déstabilisé les dirigeants. En effet, l’institution rugbystique n’en ressort pas indemne, elle est fortement ébranlée par l’annonce du journaliste australien. Les joueurs ont trouvé un point d’appui dans leur environnement, une sorte d’opportunité médiatique qui peut rendre matériellement possible le passage au professionnalisme. L’existence d’une telle possibilité et le fait que certains acteurs s’en soient saisis pour poursuivre leurs stratégies améliorent considérablement leur position au sein de leur organisation. Elle a montré aux premiers qu’ils avaient une véritable valeur marchande et qu’ils pouvaient représenter une forte puissance face au pouvoir institué. Mais elle a également remis en cause la légitimité et l’exclusivité du pouvoir fédéral sur l’organisation des rencontres internationales. La tentative de redéfinition de l’activité rugby par un agent extérieur à l’institution n’a pas abouti mais elle a démontré, si besoin était, que le rugby aurait, sans doute, dans les années à venir, de grosses difficultés à échapper à la rationalité marchande qui s’est emparée progressivement de la sphère sportive.
41Cette première secousse qui a traversé le rugby à XV va permettre aux joueurs de renégocier leurs casuels sportifs. Il semble que désormais, chez les quinzistes, la notion d’amateurisme se décline avec beaucoup plus de liberté qu’auparavant. Même si, officiellement, l’activité n’est toujours pas professionnelle, ceux qui la pratiquent à un haut niveau voient leurs émoluments évoluer fortement à la hausse. La concurrence du XIII, notamment en Australie, participe de cette hausse des salaires. Environ une décennie après l’affaire Lord73, juste avant la troisième coupe du monde de rugby, les dirigeants quinzistes de l’Hémisphère Sud s’interrogent déjà sur ce qui va se passer après la clôture de cette compétition. Combien de leurs joueurs céderont-ils à l’appel des sirènes treizistes ?
42Cette interrogation des responsables quinzistes souligne l’importance qu’a pris le rugby à XIII australien dans le système des sports. Importance médiatique et économique qui lui permettent de concurrencer sérieusement le quinze sur les territoires australs (notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande). C’est de ce sport australien en pleine mutation organisationnelle, et particulièrement sur le plan de ses compétitions nationales, que va naître la seconde opportunité environnementale pour les joueurs quinzistes de l’Hémisphère Sud et par extension pour ceux du monde entier. En effet, en ce début d’année 1995, le rugby à XIII australien remporte un grand succès populaire et il est en mesure de proposer d’importantes sommes d’argent à ceux qui voudraient signer dans sa maison. Les médias et la concurrence qu’elles se font pour l’obtention des droits de retransmission des rencontres contribuent à remplir allègrement les caisses de la League et de ses clubs. Kerry Packer et son consortium de télévisions avaient l’exclusivité sur la Rugby League74 jusqu’à ce que Ruppert Murdoch et sa News Corporation créent en mars 1995, un championnat concurrent : la Super League. Cette nouvelle épreuve, plus attractive et plus lucrative pour les joueurs, contrarie fortement les projets de Packer et l’amène à rechercher une solution pour contrecarrer les desseins de son adversaire. Un de ses collaborateurs, Geoff Levy, lui conseille d’oublier la Rugby League et de s’intéresser au rugby à XV, plus universel que le XIII. Mais, si l’idée paraît séduisante au magnat de la télévision, celui-ci craint que les responsables de la Rugby Union et les joueurs soient réticents à ce genre de propositions. Lévy se voit confier la mission de développer ce projet et de résoudre les difficultés inhérentes à sa mise en œuvre. Pour finaliser cette démarche, Lévy va se faire aider par Ross Turnbull, ancien international australien à XV et avocat. Turnbull peaufine le projet de Lévy et propose trois compétitions distinctes dans le monde, de mars à octobre et un championnat du monde tous les ans. Il souhaite un championnat relativement équilibré où, chaque année, il y aura un champion du monde non seulement au niveau des provinces, mais, également, au niveau des nations. Pour obliger les Unions à coopérer, Turnbull décide de contacter les joueurs afin de mettre celles-ci devant le fait accompli. Il pense qu’en faisant signer les joueurs, les différentes fédérations nationales n’auront d’autre possibilité que celle d’adhérer à ce projet. De son côté, Packer promet une réponse définitive sur son engagement financier lorsque ses émissaires auront fait signer tous les joueurs nécessaires à la mise en place de cette épreuve. Le procédé n’est pas nouveau, il ressemble fortement à celui utilisé par David Lord quelques années auparavant. Les dirigeants ne sont pas contactés, du moins le seront-ils en dernier lieu, parce qu’ils apparaissent toujours, aux yeux de l’opinion publique et des démarcheurs, comme des individus réfractaires à l’argent. Une réaction négative de leur part pourrait compromettre définitivement le projet. L’engagement des joueurs est recherché à double titre. D’une part parce qu’ils sont les principaux acteurs du spectacle sportif proposé et que, sans eux, rien n’est possible. D’autre part, étant sensibles à l’amélioration de leurs conditions de travail, ils risquent fort d’accepter unanimement la proposition. Leur acceptation sera alors un puissant élément pour la suite des opérations, notamment dans le marchandage avec les institutions.
43Parallèlement à cette démarche et, toujours en rapport avec l’argent que génère la Super League, les dirigeants quinzistes d’Australie et de Nouvelle Zélande échafaudent, sans le savoir, les bases de la troisième opportunité environnementale75 qui fera basculer leur activité dans la sphère du professionnalisme. Ces dirigeants se réunissent le 8 avril 1995 afin d’essayer de trouver le moyen d’empêcher leurs meilleurs joueurs d’aller dans la maison d’en face après le prochain mondial. Ils se mettent rapidement d’accord sur le fait qu’ils doivent proposer aux joueurs les mêmes sommes que leur promet la Super League. Mais, pour tenir une telle promesse, les fédérations ont besoin de rentrées d’argent et elles envisagent de faire appel à une chaîne de télévision qui pourrait sponsoriser une nouvelle compétition. L’idée se dessine alors de créer une compétition professionnelle dans l’Hémisphère Sud qui réunirait l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. et de démarcher la News Corporation de Murdoch. Rendez-vous est pris avec cette chaîne de télévision qui semble très réceptive à la proposition qui lui est faite et demande que celle-ci soit affinée. Quelques semaine plus tard, un accord de principe est signé à Londres entre les trois nations du Sud et News Corporation. La chaîne de télévision obtient les droits exclusifs de retransmission des principaux matchs internationaux concernant ces trois pays. Pour l’occasion. l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie créent une nouvelle institution : la SANZAR. Cette organisation a en charge la défense des intérêts sportifs et financiers de ces trois nations majeures du rugby mondial. La SANZAR promet, à la chaîne de télévision de Murdoch, de l’aider à créer de nouvelles compétitions76 et à en obtenir les droits de retransmission. Les négociations entre les deux parties se poursuivent et le projet doit être finalisé et évalué financièrement avant la fin du mondial.
44Pendant ce temps Turnbull et Lévy essaient de vendre leur projet aux télévisions des différents pays concernés par cette compétition. Ils démarchent même aux Etats-Unis où ils rencontrent les dirigeants du réseau de télévision ESPN277 qui semblent réagir positivement à leur proposition. Puis, le projet est présenté à Londres devant l’élite du rugby de l’Hémisphère Nord : 3 conférences de 10 équipes chacune avec deux championnats, l’un des provinces et l’autre international, chaque franchise engagée disposera de trente joueurs et de cinq membres d’encadrement. L’annonce de 704 heures de matchs télévisés pour environ 352 matchs engendre tout d’abord un certain scepticisme : qu’en pensera l’IRFB ? Qui va payer ? Puis, la réaction des auditeurs est plutôt favorable au discours tenu par Turnbull. Cependant, en cette fin de préparatifs de Coupe du monde, promesse est faite de ne rien dévoiler officiellement avant la fin de celle-ci. La stratégie de la Word Rugby Corporation (WRC), société créée par l’avocat australien pour l’occasion, est simple : faire signer un contrat d’adhésion au plus grand nombre de joueurs d’ici la fin de la Coupe du monde afin d’obtenir les fonds nécessaires auprès de Packer et d’être en position de force pour négocier avec les dirigeants fédéraux. Les contacts se multiplient et de nombreux contrats sont distribués pour signatures, notamment avec les nations du Sud où les capitaines et anciens joueurs de renom se font les relais de la WRC. Mais la SANZAR, contre toute attente, annonce, le jour de la finale de la coupe du monde entre l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande, qu’elle vient de s’engager avec News Corporation sur 10 ans pour un montant de 550 millions de dollars US. Malgré cela, la WRC et ses émissaires ne baissent pas les bras car, d’une part, ce projet ne concerne que les joueurs de l’Hémisphère Sud et, d’autre part, ces derniers n’apprécient guère que leurs dirigeants aient pu traiter ce type d’affaire sans les avoir consultés.
45Les responsables des trois unions appartenant à la SANZAR doivent maintenant faire des propositions concrètes à leurs joueurs afin qu’ils acceptent de participer aux nouvelles compétitions mises en place en collaboration avec Murdoch : le Tri-Series et le Super-Twelves. Les offres qui sont faites aux rugbymen sont bien en dessous de celles de la WRC. Par exemple, pour un joueur néo-zélandais le montant du cachet est cinq fois moins important que celui proposé par la WRC. De ce fait, les réactions aux propositions fédérales sont loin d’être enthousiastes et laissent les dirigeants pour le moins dubitatifs. En effet, ceux-ci sont loin de penser qu’un autre projet existe et, surtout, qu’il est aussi abouti que le leur. Le 25 juillet 1995, les principaux journaux mondiaux se font l’écho du projet WRC et certains joueurs contactés font état de leur sentiment à son propos et annoncent parfois les sommes qui leur sont proposées. La SANZAR et Murdoch commencent à y voir un peu plus clair et ont de bonnes raisons d’être inquiets. De fait, la plupart des joueurs de l’élite du rugby mondial semblent avoir signé un contrat d’engagement avec la WRC. Les nations australes peaufinent leurs contrats et revoient leurs salaires à la hausse mais rien n’y fait, aucune des trois nations n’obtient l’accord de ses joueurs. Le 28 juillet, veille de la Bledisloe Cup entre les Wallabies et les All Blacks, les journaux de ces deux pays font le bilan du projet WRC et annoncent que la quasi-totalité des meilleurs joueurs des deux équipes qui vont s’affronter a déjà contracté avec la société australienne de Turnbull. Le monde du rugby est atterré par cette nouvelle. Quoiqu’il arrive le rugby à XV ne sera plus comme avant, son mode de fonctionnement qui a tenu pendant plus d’un siècle et demi est en train de s’effondrer et son processus de professionnalisation semble bien enclenché. En effet, certains joueurs australiens ou néo-zélandais sont en train d’examiner cinq offres pour la saison prochaine : celle de leur union (SANZAR), de WRC, de anglicans Rugby League, de la Super League et de certains pays européens qui veulent s’attacher leurs services. News Corporation constate avec stupéfaction que la SANZAR n’a pas eu l’idée de faire signer ses joueurs et qu’ainsi, les nouvelles compétitions programmées pour la saison prochaine risquent de ne jamais voir le jour78. La chaîne de télévision de Murdoch somme les dirigeants de la SANZAR de faire les mêmes offres financières à leurs joueurs pour qu’ils restent au sein de leurs fédérations respectives. Ces contre-propositions ne suffisent pas à les convaincre de l’intérêt qu’ils ont à signer de nouveau avec leurs institutions d’origine. Il faudra toute la pression mise par certains dirigeants, notamment ceux d’Afrique du Sud79, conjuguée à la prise de position d’anciens joueurs emblématiques australiens et néo-zélandais contre le projet WRC, pour que tout bascule en faveur de celui de la News Corporation et de la SANZAR.
46Les deux opportunités qui se sont affrontées trouvent leur origine dans le même segment pertinent de l’environnement rugbystique, à savoir les médias. Les dirigeants ont cherché à mobiliser cet appui extérieur, alors que les joueurs ont été sollicités par lui. C’est l’utilisation de ce levier environnemental qui a, en premier lieu, donné de la puissance aux rugbymen face à leurs institutions. La maîtrise de cette zone d’incertitude au profit d’un groupe d’acteurs a permis à celui-ci d’être en position de force pour négocier avec ceux qui détiennent le pouvoir d’édicter les règles organisationnelles. La stratégie mise en place par les fédérations australes aurait pu contribuer à renforcer considérablement leur pouvoir si, de leur côté, les joueurs n’avaient pas eu une opportunité aussi importante. Le rapport de forces qui s’était établi et plus ou moins stabilisé entre les deux groupes d’acteurs a été remis en cause par leurs nouvelles alliances dont chacun a essayé de tirer profit. Mais le dénouement du jeu qui s’est déroulé entre les dirigeants et les joueurs de l’Hémisphère Sud n’a pas épargné le reste de la planète. En effet, les responsables de la SANZAR ont caché leur jeu à leurs homologues septentrionaux et les ont mis devant le fait accompli : le contrat d’exclusivité signé avec la chaîne de télévision de Murdoch et les contreparties financières inhérentes à celui-ci. Les ressources que possédaient les premiers leur ont permis de passer outre l’avis des seconds et de réussir là où, jusqu’à présent, les joueurs avaient toujours échoué : faire basculer, officiellement, le rugby mondial dans l’ère du rugby open et non dans celle du professionnalisme. Cette nuance sémantique, due sans doute aux dirigeants britanniques de l’IRFB, rappelle, une dernière fois, qu’il y a des mots qui restent tabous dans le vocabulaire rugbystique. En effet, plus d’un siècle et demi de lutte et de répression contre le professionnalisme, au sein de cette institution, ne peut être effacé par la signature d’un contrat, aussi lucratif soit-il. Désormais, quel que soit le terme utilisé, le rugby à XV de haut niveau ne sera plus, dans les nations majeures, une activité amateur ou semi-amateur, les ressources financières générées par ce sport sont suffisamment importantes pour que certains joueurs puissent en vivre. Cependant, dans les deux hémisphères, les négociations ne sont pas arrivées au même stade, d’une part entre les joueurs et les dirigeants et d’autre part, entre les dirigeants et les médias. Une telle disparité, accentuée par la présence de fédérations plus ou moins fortes sur le plan sportif80, fait craindre l’arrivée d’un professionnalisme à deux vitesses : le Sud hériterait du processus le plus rapide, car mieux préparé au changement, semble-t-il, que son homologue du Nord. La suite nous montrera que les nations les plus conservatrices possèdent une forte propension à saisir les opportunités qui s’offrent à elles et à s’adapter aux changements environnementaux : la victoire de l’Angleterre lors de la cinquième Coupe du monde en est, sans doute, le parfait exemple.
Vous avez dit bouleversement(s) ?
47L’histoire du rugby à XV met en évidence l’apparition d’un football pluriel dans lequel le rugby affirme tout d’abord sa singularité avant de devenir pluriel à son tour. C’est cette pluralité rugbystique qui, alliée au conservatisme des hauts dirigeants de ce sport, contribue fortement, selon nous, au ralentissement de son processus de professionnalisation. En effet, contrairement au football qui devient très rapidement professionnel, le rugby à XV met plus d’un siècle et demi avant d’accepter officiellement la libre circulation de l’argent au sein de son organisation.
48Le football-rugby, et par extension le rugby à XV, trouve ses racines dans le folk football qui était essentiellement un jeu rural et populaire. La classe dominante de l’Angleterre victorienne s’approprie petit à petit cette activité en lui déniant toutes les valeurs liées à son origine culturelle et géographique. Ainsi, le football passe-t-il des champs aux public schools sans que ses nouveaux propriétaires reconnaissent aucun lien de parenté entre ces deux jeux. Le transfert de ce jeu traditionnel vers des classes sociales plus élevées n’est que temporaire. En effet, après s’être distingué de son comparse le football association, par un code du jeu différent, le football-rugby se popularise par l’arrivée massive de nouveaux pratiquants issus majoritairement des classes sociales inférieures. Cette restructuration de la population des joueurs de rugby entraîne quelques conflits entre les deux principaux groupes d’acteurs qui participent, chacun à leur manière, à cette transformation : les dirigeants et les joueurs. La démocratisation exacerbée de ce sport effraie quelque peu les responsables fédéraux qui craignent qu’un tel flux leur ôte toutes prérogatives sur ce jeu et, notamment, celle de le maintenir dans l’amateurisme pur.
49C’est dans ce contexte que le Nord de l’Angleterre devient le foyer d’une lutte endémique que se livrent dirigeants et rugbymen pour essayer de faire triompher leur logique de classe. À partir des années 1870, la popularisation de leur sport met en opposition deux logiques de classe : une qui ne voit en lui que pureté et désintéressement, logique de la classe dominante et des dirigeants de ce sport, et une autre qui le considère comme une activité ordinaire dans laquelle tout effort mérite salaire, ou, du moins, dédommagement, logique de la classe populaire et des joueurs. Les premiers possèdent le pouvoir de modifier les règles organisationnelles alors que les seconds ont la compétence du savoir-faire et de l’expertise du terrain. Les deux groupes d’acteurs qui s’opposent au sein de l’organisation rugbystique se servent de leurs sources respectives de pouvoir afin d’essayer de faire triompher leur logique au détriment de celle de l’autre groupe. L’environnement rugbystique est amené à jouer un rôle important dans cette quête de pouvoir. En effet, chacun des protagonistes recherche ou trouve spontanément des alliances qui tendent à renforcer son pouvoir.
50Les responsables de la RFU réagissent immédiatement à cette importante migration populaire vers leur sport qu’ils considèrent comme étant le pur produit de leur culture bourgeoise. Ils légifèrent pour le protéger des dérives potentielles liées à sa popularisation et légitiment leur action protectionniste sur une légende qu’ils érigent en véritable dogme : le geste novateur du jeune collégien de la public school de Rugby, William Webb Ellis qui osa, un jour de 1823, contrevenir aux règles footballistiques de l’époque. Ce qui aurait pu être considéré comme une simple anecdote devient, avec le temps, l’acte de propriété de la classe dominante sur un jeu, le football-rugby, qu’elle prétend avoir inventé par le biais d’un des siens. Ainsi, ce soi-disant geste fondateur lui permet de s’arroger tous les droits sur ce sport et, notamment, celui d’en exclure ceux qui ne respectent pas, selon elle, l’ethos amateur. Les dirigeants de la RFU, puis de l’IRFB préserveront durant plus d’un siècle et demi, non sans difficultés parfois, les fondements de cette éthique construite sur le mythe d’un sport originel vertueux.
51Que ce soit dans le Nord de l’Angleterre à la fin du XIXe siècle ou en France, dans les années 1920, l’Instance suprême du rugby est soumise à dure épreuve. En effet, ces deux périodes sont des moments forts de la popularisation du jeu dans ces deux pays. Les effets enregistrés de part et d’autre du channel sont sensiblement les mêmes. Certains dirigeants de clubs font acte d’intégrisme vis-à-vis du respect de l’ethos amateur. C’est le cas des présidents des clubs du Sud de l’Angleterre et de ceux qui en France créent l’UFRA. D’autres ont une vision beaucoup plus souple de la notion d’amateur, soit parce qu’ils subissent une forte pression venant de leurs joueurs : le Nord de l’Angleterre en est la parfaite illustration. Soit ils dirigent leur club comme leur propre entreprise et n’hésitent pas à récompenser financièrement ceux qui contribuent à son succès. En Angleterre, la divergence de point de vue entre les présidents des clubs du Sud et ceux du Nord produit le schisme de 1895. Cette scission donne naissance à un deuxième rugby qui prend, quelques décennies plus tard, le statut professionnel. Cette nouvelle présence dans l’espace des sports devient un lieu refuge pour tous les individus qui fonctionnent selon la logique populaire et épargne au rugby à XV une arrivée massive de contrevenants potentiels et son pendant : l’accélération de son processus de professionnalisation.
52Ainsi, la contamination populaire, tant redoutée par les dirigeants de l’IFRB, est évitée, ou, du moins, retardée, pour quelque temps. Mais l’existence du Rugby League n’est pas l’unique protection contre la professionnalisation quinziste. Les maîtres du rugby s’évertuent à légiférer contre toutes les mesures laxistes qui peuvent être prises, par les dirigeants de clubs ou les joueurs, à l’encontre du respect de l’amateurisme. Ils essayent de se prémunir au maximum de toutes dérives financières concernant leur sport et tissent, au fil du temps, une sorte de réseau de surveillance qui agit de manière panoptique sur l’ensemble de l’espace rugbystique. Cet instrument d’une surveillance permanente, exhaustive, omniprésente, capable de tout rendre visible, mais à condition de se rendre elle-même invisible81, fonctionne efficacement durant plus d’un siècle. Le panoptisme fédéral allié à la légende de William Webb Ellis autorise les responsables du rugby à XV à surveiller, puis, à légitimer leurs punitions.
53Cette alliance instrumentale permet à ses utilisateurs d’être à la fois les délateurs et les juges de ceux qu’ils surveillent. En 1930, la France est victime de ce terrible instrument de pouvoir. Le rugby français qui était surveillé depuis longtemps par l’IRFB, est mis au banc des accusés. Son championnat est désigné, par ses accusateurs, comme étant la pierre d’achoppement de ce conflit franco-britannique. Cette épreuve serait le théâtre de rares violences inhérentes à de graves manquements aux règles de l’amateurisme. Ainsi, les Homes Unions décident-elles de rompre toutes relations rugbystiques avec l’Hexagone tant que la FFR n’aura pas remis de l’ordre dans ses affaires intérieures. Devant une telle sanction, la fédération française s’efforce de démontrer à ses homologues britanniques qu’elle est en train d’épurer son rugby de tous les maux dont on l’accuse. Cette pugnacité à prouver son orthodoxie entraîne la FFR dans toute un série de radiations de joueurs soupçonnés d’amateurisme marron. Les joueurs exclus appartiennent, pour la majorité d’entre eux, au gotha rugbystique de cette époque. Une des principale conséquences de cet excès de zèle fédéral sera la création en 1934 de la Fédération Française de Rugby à XIII par un de ces bannis du rugby à XV français : Jean Galia.
54Tout comme pour le schisme de 1895 et la naissance de la NU en Angleterre, l’arrivée du rugby à XIII en France est dû à un effet de pouvoir de l’institution en place : à savoir la RFU dans le premier cas, l’IRFB par le biais de la FFR dans le second. En effet, dans les deux cas, le rugby à XV continue d’exister, aux côtés de son dissident, en s’appuyant sur le même dogme qu’auparavant. Ces dissidences ne changent que très superficiellement la logique de fonctionnement de l’organisation mère. Il faut attendre 1995 pour que l’on assiste à une véritable inversion des valeurs au sein de la Rugby Union.
55Le rugby à XIII joue un rôle obscur mais important dans ce bouleversement structurel. C’est pour, d’une part, contrecarrer le succès médiatique et financier qu’obtient la Super League dans l’Hémisphère Sud et d’autre part, annihiler la tentation qu’elle crée pour les meilleurs joueurs quinzistes que deux négociations financières s’engagent : l’une, entre le groupe de télévision de Murdoch et les dirigeants de la SANZAR et l’autre, entre le groupe de télévision de Packer et une grande majorité des meilleurs rugbymen internationaux. Les deux pourparlers sont menés dans le plus grand secret jusqu’à la fin de la troisième Coupe du monde de rugby. Là, contre toute attente, les responsables de la SANZAR annoncent qu’ils viennent de signer un accord d’exclusivité avec la New Corps Ltd pour les droits de retransmission des principaux matchs qui concerne les trois nations australes.
56Ce communiqué ne décourage pas les porteurs du projet concurrent qui poursuivent leurs investigations pour mettre en place un circuit professionnel de rugby à XV. Une grande majorité des rugbymen internationaux adhèrent à cette initiative qui a le mérite, contrairement à celle proposée par la SANZAR, d’avoir une vocation mondiale. Malgré une adhésion massive des joueurs, le projet Turnbull n’aboutira pas. En effet, les dirigeants de la SANZAR réussissent à convaincre leurs joueurs de les rejoindre. Ils décident de payer leurs internationaux avec l’argent du contrat Murdoch, mais il leur faut compléter leur argumentaire pour décider les plus récalcitrants : la menace de radiation devient alors un complément efficace. En ouvrant les vannes du professionnalisme afin d’éviter l’exil de leurs meilleurs joueurs, les fédérations du Sud ne laissent guère d’alternative à l’IRFB qui se réunit le 27 août 1995 et officialise la naissance du Rugby Open.
57La genèse du processus de professionnalisation du rugby à XV nous montre que les règles fondamentales d’une organisation, ne sont qu ’une institutionnalisation provisoire et contingente et le produit de rapports de forces antérieurs82. En effet, toute immuable qu’elle pouvait paraître, la règle sur le respect de l’amateurisme a fini par disparaître afin de satisfaire les objectifs de ceux qui avaient le plus de pouvoir au sein de l’institution. Cependant, force est de constater que le mythe d’un sport pur et désintéressé, allié au panoptisme, a résisté longtemps aux assauts de ses opposants. Ce constat démontre que, même fondé sur une illusion, le pouvoir institutionnel peut être fort et résister longtemps à la puissance des joueurs. Un appareil idéologique bien utilisé peut donc contenir aisément une masse importante d’opposants. Cependant, la facilité avec laquelle certaines fédérations de rugby se sont adaptées au professionnalisme nous amène à nous interroger sur le rapport exact qu’elles entretenaient avec l’argent avant le 27 août 199583. L’officialisation du rugby open a, semble-t-il, entériné une situation qui n’était pas propre à l’Hémisphère Sud. Derrière ce masque de pureté brandi de manière ostentatoire par les nations britanniques se cachait peut-être un professionnalisme larvé dont les fondements étaient déjà bien enracinés.
Notes de bas de page
1 Rey Jean-Paul, « L’argent du XV, faut-il en avoir peur ? », Midol Magazine, avril 1996, n° 4291.
2 2 Le football, par exemple, est devenu professionnel en 1863 en Angleterre et seulement en 1931 en France.
3 Pour illustrer nos propos, nous étudierons ce qui s’est déroulé en Grande-Bretagne et en France à des époques différentes. Nous verrons que les freins et les accélérateurs du processus de professionnalisation du rugby à XV sont récurrents dans les îles britanniques et en France avec, cependant, quelques petites différences que nous essaierons de mettre en avant : notamment, l’importance de la tutelle britannique sur le rugby français.
4 La légende prétend qu’un jour de 1823, William Webb Ellis aurait, lors d’une partie de football jouée dans la cour de la public school de Rugby, pris le ballon dans ses mains pour le porter vers le but adverse.
5 Nous utiliserons, parfois, le terme de puissance pour désigner le pouvoir des joueurs afin de le distinguer de celui du pouvoir institutionnel.
6 Foucault Michel, Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 2003, p. 233.
7 Dunning Eric et Sheard Kenneth, Barbarians, Gentlemen and Players, Oxford, 1982 (et spécialement « The Bifurcation of Rugby Union and Rugby League : a Case Study of Organizational Conflict and Change », IRSS, 1976) avec une traduction de Clément Jean-Paul, Defrance Jacques, Ohl Fabien, « La séparation des deux rugbys », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 79, 1989.
8 Notamment avec les médias
9 Le Rugby Union est le rugby à XV en opposition au Rugby League qui est le rugby à XV.
10 Bréchon Pierre, Les grands courants de la sociologie, PUG, 2000, p. 140.
11 Notamment celle utilisée dans le livre de Crozier Michel, Friedberg Ehrard, L’acteur et le système, Seuil, coll. Points série essais, St-Amand-Montrond, 2001.
12 Voir les travaux de Georges Devereux sur les concepts de transfert, contre-transfert et de Rémy Hess et René Lourau. Consulter Devereux Georges, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion, 1980 ainsi que Hess Rémy et Authier Michel, L’analyse institutionnelle ou encore Lourau René, L ’analyse institutionnelle, déjà cités.
13 La cohabitation de concepts bourdieusiens : déterminisme, agents sociaux, avec des concepts issus de la théorie de Crozier : incertitude et jeu des acteurs est faite pour montrer que nous essaierons de dépasser le cadre trop formel, selon nous, de chacune de ces deux théories.
14 Cette particularité mérite d’être signalée car la majorité des autres sports ne porte pas le nom d’une ville, quelquefois le nom d’un pays est, tout au plus, adjoint à celui de la pratique afin de distinguer les règles qui prévalent dans chacune d’entre elles. C’est le cas, par exemple, pour le football américain, le football australien, la boxe française etc...
15 Bodis Jean-Pierre, L’histoire mondiale du rugby. Toulouse, Privat, 1987, p. 27.
16 Les principales villes autour desquelles se pratiquait le folk football étaient : Hull, Huddersfield, Manchester, Rochdale, Whitehaven, Workington, York, voir à ce sujet Shearman Montague, Athletics and Football, Londres, 1887.
17 Collins Tony. Rugby’s Great Split : Class, Culture and the Origins of Rugby League Football, London-Portland, Frank Cass, 1999, p. 1.
18 Voir à ce sujet les récits de Lawson Joseph, Letters to the young on progress in Pudsey during the last sixty years, Stanningley, 1887, p. 58.
19 Cette période connaît une violente paupérisation d’une partie de la population. Voir à ce sujet : Vassort Patrick, Football et politique, Paris, Les éditions de la passion, 2002, p. 74.
20 A Sutton, un village situé à l’Est de Hull, le folk football a été joué jusqu’en 1871.
21 À partir des années 1850, cette forme de jeu est également retenue par d’autres écoles privées d’Angleterre (Clifton, Haileybury, Wellington, Marlborough et Cheltenham)
22 22 C’est le 17 janvier 1931 qu’à la surprise générale, le conseil fédéral de la Fédération Française de Football Amateur se prononce favorablement pour l’instauration d’un système professionnel. Cependant, il faut attendre le 17 juin 1932 pour que les textes instaurant le statut de joueur professionnel soient entérinés par ce même conseil fédéral.
23 Thomas Arnold était un ecclésiastique, directeur du Collège de Rugby de 1828 à 1842, qui contribua à une réforme du système éducatif en intégrant les jeux sportifs dans la scolarité des jeunes élèves de son collège.
24 À l’époque, ces clubs pouvaient jouer selon les règles du football association ou/et du football-rugby.
25 Le soccer est le mot anglais qui désigne le football actuel.
26 Coup de pied dans les tibias qui pouvait être donné sur un joueur de l’équipe adverse.
27 S’accrochant à un léger avantage au score, Hornby envoyait constamment la balle en touche. Nom de dieu, protesta Harry Garnett de l’équipe du Yorkshire, on est venu pour jouer au rugby, non pour te voir envoyer la balle dans la paroisse d’à côté. Va au diable Garnett, riposta Hornby, on a gagné ce match et on va assurer. On est loin de l’image du sportman des classes moyennes que décrit Richard Holt. Sportman qui respecte le code de bonne conduite des gentlemen pour qui jouer est plus important que le résultat. Holt Richard, Sport and the British, Oxford, 1989, p. 174.
28 Tels que Brighouse, Dewsbury, Halifax, Rochdale, Swinton et Skipton
29 Lire à ce sujet dans le See Halifax Guardian, 1er nov. 1873 et le Yorkshire Evening Post, 9 february 1901, où Sam Duckitt explique les motivations qui l’ont amené à créer le club d’Halifax (on peut noter que son objectif était bien précis : former une équipe qui soit le plus rapidement compétitive pour affronter les villes voisines ; après six semaines d’entraînement, son équipe affrontera Warrington.).
30 Pociello Christian, Le rugby ou la guerre des styles, A.-M. Métailié, 1983, p. 33.
31 Collins Tony, déjà cité, p. 22.
32 Collins, p. 60.
33 Un certain nombre de rencontres n’aura pas lieu car une des deux équipes, celle dont l’origine sociale des joueurs est la plus élevée, refusera d’affronter des individus issus des classes sociales inférieures. Les joueurs refusent de s’opposer à des individus qu’ils considèrent comme leurs inférieurs.
34 Les hauts dirigeants du rugby sont ceux qui ont un pouvoir décisionnel au niveau des règles générales de l’institution. À l’époque, il s’agit des membres du Yorkshire County Football Club et surtout, ceux de la RFU.
35 C’est la définition qu’en donne la classe bourgeoise de l’époque.
36 Le soccer est l’exemple d’un sport qui s’est professionnalisé précocement et qui rencontre, à cette époque, de grosses difficultés financières dont les journaux se font les échos. Les dirigeants du football-rugby craignent, par dessus tout, que leur activité ne subisse le même sort : que la pression populaire l’oblige à devenir professionnelle.
37 Le Marylebone Cricket Club (MCC) donnait cette définition de l’amateur : « That not gentleman ought to make a profit by his services in the cricket field, and that for the future, no cricketer who takes more than his expenses in any match shall be qualified to play for the Gentlemen versus Players at Lords ; but that if any gentleman feel difficulty in joining in the match without pecuniary assistance he shall not be barred from playing as a gentleman by having his actual expenses defrayed. » Yorkshire Post, 2 Dec. 1879.
38 Hobsbawm Eric, Ranger Terry, The invention of tradition, Cambridge, 1983, p. 9.
39 Le Yorkshire Post du 2 décembre 1879 donne des exemples de rencontres de folk football où les vainqueurs remportaient une coquette somme d’argent et ce, depuis la fin du XVIIe siècle.
40 Notamment les problèmes financiers liés à la professionnalisation : faillite de club, violence sur les terrains et dans les gradins...
41 Baker William, William Webb Ellis and the origins of rugby football : The life and death of a victorian myth, Albion, vol. 13, 1981.
42 Bodis Jean-Pierre, L’histoire mondiale du rugby, p. 27.
43 Certains contrevenants échapperont aux sanctions inhérentes à leur faute. Ceux-ci appartenaient à la classe bourgeoise et selon la logique institutionnelle : ils ne pouvaient être professionnels, cette pathologie étant réservée exclusivement à la classe populaire.
44 Lire à ce sujet le compte rendu de l’assemblée de la RFU du 4 octobre 1886.
45 Defrance Jacques, « Un schisme sportif, clivages structurels, scissions et oppositions dans les sports athlétiques », 1960-1980, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 79, 1989. p. 77.
46 46 Pociello Christian, Sports et société : Approche socio-culturelle des pratiques, Vigot, coll. Sport et enseignement. 1995.
47 À partir du moment où elle optera pour le statut professionnel.
48 Bodis Jean-Pierre. L’histoire mondiale du rugby, p. 179.
49 Bodis..., p. 179 et 180.
50 Bodis..., p. 179.
51 Comme à l’origine de l’institutionnalisation de ce sport.
52 Soulignons que la création du premier club de football en France date de 1872, c’était le Havre Athlétique Club et le football y était pratiqué selon les deux codes du football (association et rugby).
53 Le tournoi des 5 nations fut créé le 22 janvier 1910.
54 La FFR se sépara de l’USFSA et fonctionnera de manière autonome à partir du 1er janvier 1921.
55 La RFU possède la moitié des voix dans cette Fédération qui. au départ, n’a d’international que le nom. En effet seules les nations appartenant au Royaume Uni siègent dans cette institution.
56 Cf. Surveiller et punir, p. 233.
57 Surveiller et punir, p. 230 : « L’enregistrement du pathologique doit être constant et centralisé. Le rapport de chacun à sa maladie et à sa mort passe par les instances du pouvoir, l’enregistrement qu’elles en font, les décisions qu’elles prennent. »
58 Bentham Jeremy, Panopticon, Works, éd. Bowring, t. IV, p. 60-64. Cité par M. Foucault.
59 Augustin Jean-Pierre et Garrigou Alain, Le rugby démêlé. Essai sur les associations sportives, le pouvoir et les notables, Le Mascaret, 1985, p. 73.
60 Cet aval était conditionnel : les matchs de ce tournoi ne doivent pas venir en concurrence avec des rencontres du championnat régional ou d’excellence.
61 Ils sont 16 clubs contre environ 700 restés fidèles à la FFR.
62 Il s’agit de Tarbes, Narbonne, Croix-Rougier et Mâcon.
63 Surveiller et punir, p. 241.
64 Marcel Laborde était secrétaire général de la Chambre de Commerce des Pyrénées-Orientales, il fut dirigeant de l’UFRA et de l’US Perpignan. Il fut mis à l’écart lors de la fusion de ce club avec le club des arlequins de la même ville. Cette exclusion l’amena à s’investir dans le rugby à XIII lors de son implantation en France.
65 Gauthley Gilles, Seidler Edouard, Le rugby français. Ville d’Avray. Les auteurs. Le Monastère, Grande collection encyclopédique du rugby, 1961, 608 p.
66 Surveiller et punir, p. 253.
67 Accusations portées par Marcel Laborde. président de l’U.S. Perpignan et vice-président du comité du Languedoc, sur les dirigeants de clubs français, cité par Laffitte Jean-Louis, 80 ans de la Fédération Française de Rugby, éd. A. Barthélemy, 2002, p. 30.
68 Ibidem, p. 50.
69 Malgré les menaces que la FFR fait peser sur les clubs qui prêteraient leur stade pour une rencontre de sportifs professionnels, la Rugby League trouvera le stade Pershing. Sans doute parce que celui-ci ne dépendait pas d’un club mais des autorités militaires de l’époque.
70 Il est intéressant de noter que les médias sont à l’initiative de cet événement sportif, comme le sera plus tard, le groupe de télévision de Murdoch pour la création de la Super League, puis du tri nations et du super douze.
71 La surveillance britannique sur le rugby mondial, en général, et sur le rugby français, en particulier, continuera à s’exercer de manière quasi permanente en utilisant les mêmes mécanismes et ce, jusqu’en 1995. Cependant, on peut noter trois moments forts où la règle de l’amateurisme sera mise à rude épreuve :
- En 1952 ; l’IRFB menace la France d’exclusion pour le tournoi des 5 nations de 1953.
- En 1981, l’IRFB, par le biais des fédérations qui la composent, fait bloc contre le projet d’un tournoi de rugby professionnel élaboré par David Lord.
- Enfin, en 1986 où une tournée officieuse est organisée en Afrique du Sud par des All blacks, appelés cavaliers pour la circonstance. Cette tournée très rémunératrice, semble-t-il. pour ses participants recevra la désapprobation de l’IRFB et de la fédération néo-zélandaise.
Lire à ce sujet : Escot Richard, Rugby pro, histoires secrètes, Solar, 1998, p. 35 à 68.
72 L’acteur et le système, p. 86.
73 David Lord va entretenir le suspens sur la mise en place ou non de son circuit professionnel jusqu’en 1984.
74 Surtout parmi ceux des nations de l’Hémisphère Sud.
Championnat de rugby à XIII australien.
75 Cette troisième opportunité environnementale apparaît au même moment que celle que nous avons présentée au paragraphe précédent.
76 Dont un tournoi entre ces trois pays.
77 77 Fitzsimons Peter, The Rugby War, Harper Sports, Sydney, 1996, p. 39.
78 Ce sont 407 rugbymen qui, dans le monde entier, ont opté pour la WRC.
79 Louis Luyt, président la Fédération Sud Africaine de Rugby avertit que chaque rugbyman qui signera avec WRC ne pourra plus jamais pratiquer ce sport dans son pays. Cette déclaration a le mérite d’être claire.
80 Et par conséquence d’un point de vue économique et médiatique.
81 Surveiller et punir, p. 249.
82 Bréchon Pierre, déjà cité, p. 193.
83 Voir à ce sujet : Wyatt Derek, Rugby Disunion, Livres carrés de Trafalgar, 1996. Escot Richard, Rugby pro, histoires secrètes, déjà cité et Magnol Thierry et Dorian Jean-Pierre, L’argent secret du rugby, Plon, 2003.
Auteur
Est professeur certifié d’éducation physique et sportive à l’Unité de Formation et de Recherche des STAPS de Caen. Il est par ailleurs doctorant en sociologie, inscrit au Laboratoire PRINTEMPS de l’université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines.
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