Introduction. Débrouiller une culture atypique
p. 7-9
Texte intégral
1La plupart de nos contemporains ont un rapport avec le sport. Ils le regardent à la télévision, ils lisent ce que l’on peut en raconter, ils le pratiquent dans les stades ou dans les salles en tant que spectateurs, ils l’exercent sur le terrain selon différentes modalités, ils l’abandonnent, ils y reviennent autrement.... On peut difficilement préciser la relation que l’individu entretient avec le sport : c’est une pratique culturelle qui dépend effectivement autant d’une dimension écologique que de ce que l’acteur en fait ; c’est en cela qu’elle est proprement culturelle. Ainsi le sport figure une activité uniformément changeante, insaisissable si on la considère comme un tout. Il n’est pas question de rejeter des approches globales, fondations de la recherche en sciences humaines consacrée au sport. Que faut-il finalement en retenir ? La pluralité de l’objet, sa plasticité, sa complexité, sa variabilité. De fait il devient raisonnable de ne plus accorder l’exclusivité de sa compréhension à telle ou telle chapelle. Ses caractères se retrouvent à la fois dans l’Histoire du système des sports, dans sa sociologie, dans son économie, etc. Il faut bien maintenant parler d’un système des sports : s’ils possèdent des logiques endogènes, leur distribution relève de facteurs exogènes. Le sport ne constitue pas un monde à part.
2Pour pluriel qu’il soit, le sport reste cependant une activité très simple. Ne l’oublions pas. Nombre de pratiquants et de spectateurs le consomment, le vivent, sans y voir autre chose que l’usage qu’ils en font. Simplicité donc, mais complexité aussi puisque les engagements individuels ne sauraient être univoques. L’un des attraits du sport se situe là, dans de l’instantané inscrit dans un univers récréatif creusé de singularités. Il s’imprègne alors d’individuation, de particularités « en liberté » surveillée. Par quoi le serait-elle ? Par les appartenances sociales, par l’âge ou bien encore le genre, par le lieu de vie, etc. Mais il y a plus. Le cadre des pratiques elles-mêmes influence, comme il est influencé par les variables précitées. L’ouvrage ne comporte pas de quoi débrouiller cet écheveau. Il s’agit ici de tirer le fil d’une pratique, petite planète dans la galaxie des sports. En explorant le monde du rugby, les contributeurs s’engagent dans une aventure plus périlleuse qu’il n’y paraît. Bien sûr des expéditions précédentes ont ouvert des voies. Notre cordée va les emprunter pour aller plus loin. Pourquoi ? Parce que le monde du rugby change, parce qu’il est contrarié, parce que le professionnalisme peut recouvrir le socle mythique de cette ovalie du dimanche. Nous avons constitué une équipe de sherpas capables de guider le lecteur vers la terre du rugby d’aujourd’hui. Mais son sol est meuble. A l’historien de creuser, au sociologue de tamiser, à l’ethnologue d’infiltrer.
3De toutes les cultures sportives, celles qui entourent le rugby semblent devoir effectivement en faire un « monde à part ». Si une telle qualification comporte différentes significations, toutes ont en commun de voir le rugby comme une sorte de trublion au milieu de l’ensemble des pratiques sportives : on le dit rétif à l’évolution libérale du haut niveau, on le voit comme un monde à l’organisation clanique, on le croit toujours animé par des valeurs qui n’en feront jamais un ludion. Plusieurs influences animent cette singularité. Elles nous viennent des médias bien sûr, des acteurs du rugby et de ce qui les distingue des sportifs les plus exposés, de la répartition géographique des clubs, de leur histoire, de leur « esprit ». On pourrait allonger cette liste en évoquant les règles du jeu, la forme du ballon, le nombre de joueurs par équipe, etc. Bien sûr, tout cela participe des représentations classiques. Elles sont pourtant suffisamment tenaces et méritent d’être interrogées. La complexité de l’objet suppose alors plusieurs éclairages disciplinaires, des terrains différents et des enquêtes situées au plus près des acteurs.
4On s’intéressera dans une première partie aux catégories des singularités. Prévisibles mais revisitées elles concernent les particularités du processus de professionnalisation du rugby, sa position dans les politiques sportives, le club comme composante d’une culture locale, la part et le poids du rugby dans les relations sociales. La seconde partie interroge ces singularités à partir d’un terrain plus circonscrit, plus énigmatique également. Dans « sa petite histoire locale » et son rapport avec un football hégémonique, dans sa participation au sport scolaire, dans sa déclinaison au féminin, ce rugby en terre de football est une vraie curiosité.
5Tandis que la médiatisation du rugby s’accélère et que ses compétitions d’élite s’ajustent aux standards du sport spectacle (matches décalés, modification de l’architecture « historique » des championnats », mise en sommeil du rugby des villages, multiplication des rencontres...), cette publication collective peut rappeler certains fondamentaux. Elle devrait compléter une littérature déjà abondante car les éléments factuels présentés restent très récents. Elle le fera en chassant quelques stéréotypes, en précisant la place du rugby dans le système des sports français, en interrogeant au plus près ses singularités sans les renforcer davantage. Le recours à divers éclairages disciplinaires, le choix d’ouvrir une voie en explorant le rugby là où on ne l’attend pas devraient permettre d’éviter deux écueils. Le premier, emprunt de nostalgie, plongerait le lecteur dans un regretté rugby d’antan. Considérant le changement comme nécessaire, le deuxième risquerait de l’éloigner du monde de l’Ovalie. Car l’actualité du rugby plonge l’observateur dans l’incertitude et l’indécision, l’obligeant à choisir son camp. L’ambition de l’ouvrage n’est ni de donner le mal du pays ni de l’oublier tout à fait : c’est en nous libérant de nos affects que nous pourrons accéder à une compréhension objective.
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Rugby : un monde à part ?
Ce livre est cité par
- (2005) Librairie : Religion et laïcité. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no 87. DOI: 10.3917/ving.087.0211
Rugby : un monde à part ?
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