Avant propos
p. 7-17
Texte intégral
1La question de l’identité de l’éducation physique dans le second degré du système éducatif en France de 1945 à nos jours : son organisation, ses finalités et ses objectifs et enjeux éducatifs est toujours à l’ordre du jour, mais son élargissement à l’EPS en Europe aujourd’hui : organisation et objectifs, oblige à dépasser les frontières de l’hexagone et suggère fortement d’utiliser la méthode comparative. Dans cette perspective, la dialectique du semblable et du différent, du spécifique et de l’identique, s’avère utile à la compréhension des éducations physiques européennes, et ce n’est pas un hasard si plusieurs auteurs se sont référés à la dialectique de la conformité et de la différenciation chère à Jean-Paul Clément (1993). Il y a là un cadre général, véritable outil d’intelligibilité, compatible avec chaque cadre théorique particulier proposé par les auteurs, ce qui permet aux coordonnateurs de cet ouvrage d’indiquer qu’il est autant un ouvrage de préparation aux concours qu’une publication scientifique : en effet, dans chacun des articles, la prudence est de mise, les précautions épistémologiques sont présentes, les hypothèses clairement exprimées, le cadre théorique annoncé et surtout utilisé lors de l’exposé de l’argumentation. Enfin, les nombreuses notes de bas de page et références bibliographiques montrent que chaque article (qui n’engage que son auteur), loin d’être l’expression d’une impression première, est au contraire le produit d’une construction mûrement réfléchie.
2La matière de ce livre, en trois parties, est composée de neuf articles. Voyons maintenant, à propos de chacun d’eux pris dans l’ordre annoncé par le sommaire, quelques aspects essentiels. Il ne s’agit pas stricto sensu de réaliser un résumé mais plutôt de tenter de rendre compte de ce qui fait son originalité. Dans un premier temps, rien n’impose de lire d’abord le premier article de la première partie, mais dans un deuxième temps, la relecture sera d’autant plus fructueuse qu’elle recherchera l’éclairage réciproque.
Réflexions autour de l’identité de la discipline
3Quatorze ans après la publication par l’AFRAPS de l’ouvrage intitulé L’Identité de l’éducation physiques scolaire au XXe siècle sous la direction de Jean-Paul Clément et Michel Herr, Christophe Gibout enrichit la réflexion sur la « complexité de la question identitaire dans sa combinatoire avec l’éducation physique et sportive ». L’approche est sociologique, l’orientation théorique interactionniste et le modèle transactionnel. Sont mis en scène, principalement mais non exclusivement, les enseignants d’EPS et les élèves. Les expériences qu’ils vivent en commun participent à la construction-déconstruction-reconstruction d’une « identité d’élève et d’une identité enseignante au sein du monde de l’Éducation nationale et de la société globale, d’une refondation de l’identité disciplinaire de l’EPS dans le système scolaire ». Le sentiment de frustration relative des enseignants d’EPS est à plusieurs reprises exprimé et l’on peut se demander avec Christophe Gibout si les écrits d’histoire du SNEP1 (de Néaumet à Attali en passant par Véziers et Rouyer) ne participent pas à la construction d’une « identité professionnelle forte et partagée par un maximum d’enseignants de la discipline », voire ne concourent pas à leur faire recouvrer une certaine « fierté identitaire ». Enfin, une formulation attrayante des cinq points étudiés, à titre d’exemple « d’une identité repère à une identité repaire », retient l’attention et donne envie de connaître le contenu de l’argumentation.
4Toujours à propos d’identité, c’est « entre équilibre et instabilité identitaire » que Joris Vincent, se plaçant résolument dans la perspective d’une « histoire du temps présent »2, étudie l’EPS de 1981 à nos jours. Nous suggérons de lire, avant d’entrer dans le développement, l’introduction et la conclusion (concrètement le point 7 intitulé « de l’utilité d’une histoire du temps présent pour l’EPS ») afin d’être imprégné du cadre d’analyse et d’interprétation proposé par l’auteur. Ce cadre qui oscille au fond entre macro- et microsociologie articule habilement et principalement : histoire du temps présent, modèle homéostasique, structuralisme, jeu des acteurs et histoire institutionnelle. Ainsi, « l’étude a-t-elle pour objectif de comprendre les transformations de l’EPS d’aujourd’hui à la lumière du temps passé », ce qui est une forme d’histoire du temps présent. Le modèle homéostasique, en changeant ce qui doit être changé, est clairement exprimé : « l’histoire de l’EPS à la fin du XXe se caractérise par des phases dynamiques d’équilibration-déséquilibration-rééquilibration ». La référence au structuralisme est manifeste3 : « l’évolution de la discipline doit se comprendre à travers une dynamique d’adaptation et de régulation où certains composants disciplinaires sont structurants pendant que d’autres participent à une certaine déstructuration ». Les acteurs de l’EPS, qui tantôt subissent, tantôt agissent, sont mis en scène « dans une dynamique perpétuelle d’équilibration, face aux contraintes institutionnelles corporatistes ou sociales s’imposant à la discipline ». L’histoire institutionnelle de l’EPS est utilisée pour « construire des périodes délimitées par des évènements significatifs ». Outre la complexité du modèle mis en place, la particularité de l’article de Joris Vincent consiste « à considérer la discipline comme un système composé d’éléments structurants ». Dans cette perspective, l’histoire des « processus identitaires marquants de la discipline » dépend des « transformations axiologiques, structurelles et conceptuelles de l’EPS », lesquelles peuvent être repérées à travers l’histoire, relativement autonome mais toujours combinée de « chacun des éléments structurant la discipline ». Au total, « il ne s’agit plus alors d’une seule histoire de l’EPS, mais d’une combinaison d’histoires des différentes composantes de la discipline ». Sachant cela, la lecture des six formes identitaires exposées tout au long de l’article offre aux candidats aux concours un exemple de passage du descriptif à l’explicatif, sans tomber dans le prescriptif. Une mise en garde toutefois : il ne faudrait pas que la centration sur les transformations empêche de voir les permanences, l’identique de l’identité de l’EPS, à savoir son caractère physique, en opposition-complémentarité constante avec l’éducation intellectuelle.
Réflexions sur les aspects idéologiques de l’EPS
5« L’histoire de l’EPS telle qu’elle est présentée par les acteurs mêmes de la discipline n’a, parfois, décidément rien à voir avec l’Histoire de cette discipline trop souvent maltraitée ou ignorée ». Cette phrase conclusive de Jean Bréhon aurait pu être la phrase introductive d’un article à la fois politique, historique, méthodologique et finalement épistémologique car l’auteur s’intéresse aux différentes manières de faire l’histoire de l’EPS, en EPS et pour l’EPS. Il montre les dérives d’une histoire strictement endogène et surtout positiviste (au sens où l’EPS irait de mieux en mieux grâce aux actions de ses théoriciens et plus encore de ses praticiens). À cela s’ajoutent un certain nombre de clichés, de mythes, de tabous, de croyances, véritables fléaux pour Jacques Gleyse (2002), lesquels empêchent de construire une histoire dans les conditions d’exigences en vigueur dans la communauté scientifique des historiens. Sont étudiés de façon percutante et pertinente deux processus, la scientifisation de l’EPS et sa didactisation, dans une perspective stratégique qui place au centre de la réflexion les enjeux et les acteurs en jeu : en effet, comme l’écrit Jean Bréhon, « si aujourd’hui la question de l’identité semble acquise, c’est bien désormais la notion d’enjeu qui domine les débats actuels au détriment de toute objectivité ». Par conséquent, il convient de dépasser le cadre étroit d’une histoire « nombriliste » de l’EPS pour l’envisager plutôt en termes de « relations fécondes entre le politique, le culturel et l’éducatif ».
6Un exemple convaincant d’une histoire de l’EPS en termes d’enjeux et de relations fécondes est donné par Jean-Pierre Bogialla qui étudie les liens unissant « idéal éducatif, institutions et EPS ». L’hypothèse avancée est la suivante : « la discipline (EPS) obéit avant tout à des choix philosophiques et politiques, reflétant la conception que la société se fait, à un moment de son histoire, de l’homme à venir ». Un retour « aux sources de l’idéal éducatif moderne » s’avère indispensable et permet de formuler quelques grands enjeux qui semblent perdurer depuis le XVIIIe siècle : « l’individu ou le collectif, l’instruction ou l’éducation, la masse ou l’élite, le savoir ou la démarche pour l’atteindre ». L’histoire de l’EPS de 1945 à nos jours est construite selon une forme de théorie du reflet puisque l’EPS, malgré sa spécificité physique, est conforme à l’institution qui l’accueille, l’École, laquelle est à l’image de la société civile, et surtout de l’État dont les principaux responsables mettent en œuvre une politique éducative qui ne peut pas faire abstraction des enjeux précédemment cités. La persistance des enjeux éducatifs originels est mise en évidence dans chacune des trois parties, non sans tenir compte des changements survenus depuis 1789, dans un article que d’aucuns pourraient qualifier d’idéaliste, étant donné le primat accordé aux idéaux éducatifs, donc aux idées.
7C’est presque à une démarche inverse que nous invite Jean-Marc Piwinski, en même temps qu’à un rétrécissement apparent du sujet étudié, dans sa contribution intitulée : « l’institutionnalisation en EPS de la conception matérialiste dialectique du sport (1934-1979) ». En son temps, Jacques Thibault (1992) avait rédigé un article polémique, « la face cachée de l’éducation physique en France », qui a donné lieu à une publication post mortem dans laquelle des propos très durs ont été tenus à l’égard du SNEP qui « s’érige en une syndicratie » et de la didactique qualifiée « d’énorme bluff », voire « d’escroquerie intellectuelle ». Point de tout cela dans l’article de Jean-Marc Piwinski qui aborde avec sérénité le rôle des appartenants (souvent proches du PCF) et des sympathisants de la tendance « FSGTiste » et de leur influence sur l’évolution du sport et de l’éducation physique en France depuis le milieu des années 1930. Le cadre théorique articule essentiellement deux sources : des emprunts à Georges Politzer (1946) pour le matérialisme dialectique, et à Serge Moscovici (1979) pour les minorités actives. Au-delà de l’étude des relations (du type alliance objective) entre une minorité active d’enseignants d’EPS militants, innovateurs, engagés politiquement (à gauche) et une majorité gouvernementale (de droite), l’un des aspects essentiels de l’apport de l’auteur réside dans sa capacité à monter que le sport de l’EPS n’est pas superposable au sport fédéral car tout dépend de « l’usage du sport et de son ressort motivationnel : la compétition ». Conjointement au versant politique de cet article, on ne saurait oublier l’étude de l’évolution du versant pédagogique, résumée dans la dernière phrase de la conclusion, sous la forme : « les animateurs de ce courant (sport éducatif) auront, à notre sens, favorisé en EPS le passage d’une pédagogie des résultats à une pédagogie des processus ».
8Des pédagogies, liées aux conceptions, il va beaucoup en être question pour Guy Dœuff, dans sa « tentative de compréhension des problématiques disciplinaires par leur intégration dans les conjonctures sociopolitiques ». Là encore, c’est une variante de la théorie du reflet qui est mise en place sous la forme d’une révélation double, en ce sens que « les pratiques et routines professionnelles, comme les conceptions qui les sous-tendent, d’un mot générique les pédagogies utilisées, révèlent, dans le même temps, et le fonctionnement du système éducatif, et celui de la société ». Le recours à Durkheim, même s’il n’est pas la seule référence, est primordial car le caractère social de l’éducation est clairement et fermement énoncé. Dans une perspective historique, Guy Dœuff s’efforce de montrer que « les grandes problématiques sociales se retrouvent dans la quotidienneté des pratiques et conceptions pédagogiques des enseignants d’EPS », cela au cours de quatre périodes « directement liées aux changements politiques » survenus en France depuis 1945. D’autres auteurs sont également convoqués comme Michel Foucault (1975), André Rauch (1983) et David Le Breton (1992)4. Il s’agit alors de rappeler l’importance des liens entre corps, techniques et politiques ce qui devrait nous conduire à considérer autrement l’exercice le plus banal et à comprendre comment, de façon implicite, « dans l’intimité de son fonctionnement, comme dans l’apparente simplicité de son organisation spatiale et temporelle [il] résume toutes les thématiques sociales ». Au total, de la pédagogie du modèle d’hier à la « pédagogie de la solitude » d’aujourd’hui en passant par différentes pédagogies, c’est en termes de « véritables mises en œuvre politiques » que nous sommes invités à les appréhender.
Réflexions sur les changements d’échelle de l’EPS
9Pour Jean Bréhon, l’une des manières d’étudier l’éducation physique en France consiste à interroger « sa trajectoire historique via le prisme du rapport qu’elle entretient avec les éducations physiques étrangères ». Cependant, une telle étude n’est pas facile et l’on comprend qu’au début comme à la fin de son article, l’auteur prenne un maximum de « précautions méthodologiques et historiographiques » et nuance ses conclusions tant « la fragilité des sources et travaux disponibles force, en réalité, à la prudence ». Le recours à l’histoire passée (à partir de 1868) permet d’avancer une hypothèse forte : « l’histoire de l’éducation physique française ne peut faire qu’une place prépondérante aux conceptions et pratiques venues d’ailleurs » et l’une des clés de lecture et de compréhension de l’article est inscrite dans la contraction « franceétrangère » dont la signification est par ailleurs précisée. Edmond Lipiansky (L’Identité française, 1991) fournit l’essentiel du cadre théorique constitué d’une dialectique de la « référence à l’autre » et de l’affirmation de ses différences pour chacun des pays européens dont il est question dans cette étude. Si chronologiquement trois parties sont construites, méthodologiquement il est possible d’en repérer deux, car s’agissant de l’histoire récente d’une éducation physique européenne (en gros à partir de 1978), « l’incertitude règne » en partie à cause d’un manque de travaux et recherches suffisants pour pouvoir engager une confrontation des points de vue. Au fond, Jean Bréhon explique comment nous sommes passés, en France, d’une Éducation physique nationaliste et patriotique en début de siècle, à une EPS qui, malgré son originalité, semble suivre « le chemin tracé par les instances européennes dirigeantes et tisse des relations étroites avec les Éducations physiques voisines ». Celles-ci, malgré un pouvoir européen qui « cherche à centraliser la problématique éducative et à fédérer les États autour d’un projet pour le moins ouvert », gardent leur spécificité car « aujourd’hui, l’hétérogénéité des systèmes d’éducation rend bien aléatoire toute perspective d’uniformisation » ; par conséquent « chaque curriculum se forge à partir des réalités nationales des systèmes d’éducation et des finalités fixées ». Enfin, la lecture de cet article pourrait être, pour les candidats aux concours, précédée ou suivie, en plus de la bibliographie indiquée, de la consultation de l’ouvrage de Jean-Paul Clément, Jacques Defrance, Christian Pociello, Sports et pouvoirs au XXe siècle, sous-titré enjeux culturels, sociaux et politiques des éducations physiques, des sports et des loisirs dans les sociétés industrielles (années 20- années 90).
10La pluralité est confirmée par Olivier Chovaux qui « constate l’extrême diversité des situations d’enseignement et d’organisation de l’éducation physique et du sport dans les pays membres (de l’UE) » dans un article ayant comme point de départ de la réflexion un additif au programme de la première épreuve écrite d’admissibilité au CAPEPS : « l’éducation physique et sportive en Europe aujourd’hui : organisation et objectifs » (mai 2005). Cet ajout semble provoquer chez l’auteur trois types de réflexions : scientifiques, politiques et pédagogiques. Réflexions scientifiques d’abord, car l’extension territoriale du programme jointe au caractère actuel de la période à étudier, pose le problème de « la délimitation géographique du sujet » d’une part, et celui des risques de « présentisme » d’autre part. En effet, si l’étude du temps contemporain ne présente pas de difficultés méthodologiques pour les historiens, le fait de « proposer une réflexion sur les pratiques physiques dans l’Union européenne d’aujourd’hui accentue sans nul doute cette dérive présentocentriste récemment dénoncée par Jacques Gleyse (bulletin de l’AFRAPS, janvier 2002, p. 77- 79) ». À cela s’ajoutent les inévitables questions de terminologie puisque en chaque pays l’expression éducation physique, ou son équivalent, « recouvre, compte tenu de son histoire, une réalité propre ». Ensuite réflexions politiques, car c’est à la lumière du néolibéralisme, comme l’indique la référence à Christian Laval (2004), que sont interprétées « la libéralisation progressive des services et son extension à des secteurs tels la santé, la culture et l’éducation », « l’inexorable inclination des systèmes éducatifs européens vers le modèle libéral » et l’évolution des pratiques physiques scolaires dans chacun des pays de l’Union Européenne. Réflexions pédagogiques enfin, avec le souci d’apporter de la matière aux candidats comme l’attestent les données historiques récentes mobilisées et problématisées ainsi que les notes de bas de page qui les accompagnent, auxquelles nous ajouterions volontiers quelques apports de Pierre Seurin : L’Éducation physique et l’École (1946), chapitre III, livre premier, « ce qui existe à l’étranger », p. 55-72, le volumineux ouvrage à consulter L’Éducation physique dans le monde (1961), et dans Problèmes fondamentaux de l’éducation physique et du sport (1979), la troisième partie portant sur les organisations internationales d’EP, la FIEP, l’UNESCO et l’EP, p. 237-264, comme propédeutique à la compréhension actuelle.
11Toujours à l’échelon de l’Union Européenne, mais avec un autre regard et une autre sensibilité que les auteurs précédents, Nathalie Niedzwialowska construit sa réflexion à partir d’une question, un rien provocatrice, à propos d’une Éducation physique française « terriblement sportive ? ». Cette expression, le titre de l’article et son contenu doivent beaucoup à Gilles Klein, ce qui se conçoit aisément dans la mesure où « les quelques ouvrages disponibles sur le sujet (l’EP en Europe aujourd’hui) restent ceux de Gilles Klein ». Pour répondre à la question initiale, l’auteure utilise la méthode comparative, mais parce que « comparaison n’est pas raison », des précautions s’imposent. Suit l’annonce de la démarche qui consiste à « situer la position française parmi plusieurs tendances européennes plutôt que de chercher à comparer ce qui ne peut l’être ». Le plan en trois parties permet d’abord de préciser « la place allouée au sport depuis les années 60 » dans les deux Allemagnes, la Suède, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie et le Portugal ; ensuite de « situer l’Éducation Physique et Sportive sur cet échiquier européen » ; enfin, de « saisir la manière dont est prise en compte l’hétérogénéité du public scolaire », fidèle en cela à la problématique d’un « terriblement sportif » qui peut se comprendre, « non seulement par la prépondérance accordée à la culture sportive compétitive au détriment d’autres activités corporelles, mais également par la difficulté à gérer un public diversifié qui ne dispose pas forcément des motivations et des capacités inhérentes à la pratique sportive ». L’originalité de cet article tient d’abord à l’exploitation du constat fait par Gilles Klein d’une éducation physique qui, au niveau européen, est « en train de prendre ses distances avec le sport », l’hypothèse étant que « ce ne serait pas encore le cas en France en 1993 ». L’originalité, les lecteurs la trouveront également lorsque Nathalie Niedzwialowska déclare ce qui est au fond sa conception de l’EPS, faite d’une articulation entre « plus de motricité, plus de corps, plus de jeux, plus de danse, plus d’APPN, plus d’activités d’entretien corporel, plus d’apprentissages en phase avec les situations motrices quotidiennes, plus de plaisir, plus de recherche de développement personnel, plus d’égalité des chances » et un « attachement au socle culturel que constituent les APSA ». Originalité enfin, dans la prise de distance par rapport à l’opinion de Gilles Klein, car le « qualificatif de terriblement sportive mérite d’être nuancé » dans la mesure où, d’une part, « l’absence d’enquête de grande ampleur » sur les pratiques quotidiennes réelles de l’EPS scolaire en France « rend toute analyse hypothétique » et, d’autre part, « en 1967, les Instructions officielles prenaient déjà leur distances avec le sport en affirmant que l’Éducation Physique ne doit plus être confondue avec certains des moyens qu’elle utilise (les APS) ». Quant à la question des récents courants de l’EPS en France, évoquée et non développée (mais nul n’est soumis à l’exhaustivité), les candidats trouveront des explications dans l’ouvrage d’Annick Davisse, Michel Delaunay, Paul Goirand et Jean Roche, Quatre courants de l’EPS de 1985 à 1998, paru chez Vigot en 2005.
12Au moment de clore cet avant-propos, qu’il nous soit permis de formuler quelques remarques. Lorsque l’on constate les disparités, en France, des conceptions et des pratiques de l’EPS et du Sport, on ne peut qu’être extrêmement prudent dans l’interprétation de ce qui se passe, se fait et se dit à l’étranger parce que, en premier lieu, les mêmes mots, parfois intraduisibles littéralement, n’ont pas la même signification ; en second lieu, au-delà de l’apparence d’une même pratique, par exemple sportive, il y a le sens (orientation et signification réunies) que les acteurs donnent à leur pratique. Dans ces conditions, la compréhension de ce qu’est l’EPS en France, depuis 1945, reste encore difficile aujourd’hui car le simplisme historique continue à sévir : en effet, si le processus de scolarisation est à peu près compris de toutes les candidates et de tous les candidats aux concours, à condition de bien différencier ce qui s’est passé dans le premier degré (Édouard Solal, 1999, Dossiers EPS n° 45) et dans le second degré (la connaissance des premiers écrits de Pierre Arnaud à partir de 1981 est indispensable), il n’en est pas de même pour le processus de sportivisation voire de scientifisation5. L’École n ’est pas le Club, ne l’a jamais été. Certes, ici ou là des dérives ont existé mais pour la majorité des professeurs d’EPS français la fonction d’éducateur a constitué le noyau dur de leur identité professionnelle. Nous avons, dans l’article « Le sport aux portes de l’école », publié dans l’ouvrage de l’AFRAPS sous la direction de Thierry Terret6, parlé d’un « processus de déscolarisation caché » à propos de l’EPS en France durant la période 1969-1978. Pour les générations actuelles, le plus difficile à comprendre, et par conséquent à admettre, est que si l’EPS a failli être évacuée de l’École (pour des problèmes budgétaires), ce n’est pas par excès de sport mais bien par manque de sport : les enseignants d’EPS ont refusé de jouer la carte des autorités de la Jeunesse et des Sports qui attendaient d’eux davantage d’implication sportive dans et en dehors de l’École. Autrement dit l’attachement à l’identité EPS, dans sa différence avec l’identité Sport et malgré quelques similitudes, a été le plus fort. En ce sens, les enseignants d’EPS n’ont pas perdu leur identité, il aurait fallu pour cela qu’ils changent de nom, qu’ils deviennent des professeurs de Sport ou d’APS par exemple ; or force est de constater qu’il n’en n’a rien été et que depuis le Régime de Vichy, qui a réalisé et officialisé le rapprochement entre l’Éducation physique et le Sport en créant l’Éducation Physique et Sportive, l’identité formelle (institutionnelle) de la discipline scolaire EPS et des personnels enseignants qui en ont la charge est restée la même et ce n’est pas par hasard. La compréhension fine de ce qu’est et de ce qu’a été l’EPS en particulier en plein cœur de la sportivisation, se situe dans l’interprétation de l’écart entre le Sport et l’EPS, c’est-à-dire de l’usage7 de certains éléments empruntés au monde sportif par les enseignants d’EPS résolument contre la « championnite » comme l’ont écrit les enseignants du lycée de Corbeil-Essonnes dans : Revue EPS, mai 1965, n° 75, p. 16. Cette compréhension passe également par la prise en compte, pour ce qui concerne le Sport, des différences entre le sport de compétition athlétique olympique réservé à quelques-uns, le sport-loisir pour tous humaniste et sanitaire issu du Front populaire et le sport de la simple animation sportive ; sans oublier qu’Hébert en 1925 dans Le Sport contre l’Éducation physique différenciait « le sport dans sa conception vraie ou éducative et le sport dévié ou dévoyé » (chapitre III, p. 24-32). Pour exprimer ce qui précède en une formulation courte nous dirons, à la manière de Bourdieu, que l’EPS scolaire a été sportive jusqu ’au point où être sportive cesserait d’être scolaire.
13Un mot à propos du processus de scientifisation pour rappeler qu’il s’agit là davantage d’une affaire de « théoriciens » que d’une préoccupation des praticiens de l’EPS. D’où l’intérêt de lire, ou de relire, l’article de Georges Vigarello (1985)8, « La science et la spécificité de l’éducation physique et sportive, autour de quelques illusions », ce qui nous renvoie au débat sur la (ou les) spécificité(s) de l’EPS sans jamais oublier que, selon nous, l’Éducation sera physique ou ne sera plus. Cette spécificité originelle9, comparativement à l’Éducation intellectuelle et l’Éducation morale dont l’Éducation physique est d’après Ulmann (1966, p. 11) « la propédeutique et l’accompagnement, le prélude et le contrepoint de toute entreprise éducative »10 constitue à n’en pas douter l’un des invariants de l’identité de l’EPS, l’autre étant qu’elle est une éducation11.
14Pour les candidats dans une copie de concours, le non-dit est parfois autant significatif que le dit car, si écrire c ’est choisir, surtout dans le temps imparti, le non-dit apparaît au jury comme jugé sans importance par celle ou celui qui rédige. Ce choix suppose un maximum de connaissances, lesquelles ne sont pas réductibles, même si elles sont indispensables, aux écrits les plus récents. Il impose une lecture active à la lumière des écrits passés dont ceux de première main. Un seul exemple : dans les Instructions officielles de 1945, deux méthodes sont explicitement citées : la méthode naturelle et la méthode française. Comment se fait-il que la méthode française soit « oubliée » par certains des historiens du sport et de l’EP alors qu’elle est connue dans bien des pays ? Ceci nous donne l’occasion de rappeler qu’en matière d’influences étrangères il ne faut jamais perdre de vue la réciprocité des perspectives d’une part, et le filtre à travers lequel sont perçues ces influences d’autre part. Ainsi en tout pays l’éclectisme triomphe-t-il, ce qui est une bonne chose puisqu’il s’oppose au dogmatisme12. Enfin, comme le recommandait Bourdieu (1995, p. 116), il convient de « ne prendre les concepts de l’histoire (ou de la sociologie) qu’avec des pincettes historiques »13.
Notes de bas de page
1 À propos du SNEP, outre l’article de Michaël Attali (2003) figurant parmi les références bibliographiques, on peut indiquer trois publications que les candidats pourront consulter facilement, parce que présentes dans la Revue EPS : J.-L. Martin, « Corporatisme, pédagogie et politique. Approche historique des stratégies des professeurs d’EPS », Revue EPS, 2003, n° 298, p. 9-19 ; J. Rouyer, « Action syndicale et histoire de l’EPS (1969-2000). L’action du SNEP : quelle cohérence pédagogique et politique ? », Revue EPS, 2003, n° 299, p. 13-21 ; M. Attali, « Le syndicalisme au cœur de l’EPS », Revue EPS, 2004, n° 306, p. 47-53. Ajoutons que le contenu de ces écrits dépend du statut social de leurs auteurs et de l’institution qui cautionne leurs productions.
2 D’après Henry Rousso, il s’agit « d’une nouvelle approche critique de la relation entre passé et présent, entre recherche et demande sociale », dans : L’Histoire, n° Anniversaire, « Trente ans qui ont changé l’Histoire », 2008, p. 18.
3 Comme l’atteste le recours à Claude Lévi-Strauss.
4 Pour une présentation brève et concise de la biographie et de la bibliographie de cet auteur, voir l’article de N. Truong, « David Le Breton à l’écoute des trash-adolescents », Le Monde de l’Éducation, novembre 2003, n° 363, p. 68-69.
5 À propos des cinq processus de l’évolution de l’EPS, nous renvoyons à notre travail de thèse en Sociologie : Professeurs d’EPS : les ambiguïtés d’une discipline scolaire et d’un corps professionnel, Université des Sciences et Techniques de Lille, 1994. Une présentation succincte a été effectuée par Christian Dorvillé dans la Revue EPS, janvier-février 1997, n° 263, p. 84.
6 T. Terret (dir.), Éducation physique, sport et loisir (1970-2000), AFRAPS, 2000, p. 185-202.
7 Comme l’a écrit Jean-Paul Clément : « les différentes méthodes, doctrines et conceptions de l’EP scolaire sont immergées dans la culture mais n’en sont pas le reflet. La signification, la validité ou la portée que leur accordent, de façon contradictoire, les agents de l’EP sont plutôt liées aux différents usages que chacune des conceptions fait des “références culturelles” ». « L’enjeu identitaire », dans : J.-P. Clément, M. Herr, L’Identité de l’éducation physique scolaire au XXe siècle, AFRAPS, 1993, p. 13-25.
8 Dans : P. Arnaud, G. Broyer (dir.), La Psychopédagogie des activités physiques et sportives, Privat, 1985, p. 17-22.
9 C’est à dessein que nous parlons d’Éducation physique (et non pas d’éducation corporelle), cela pour trois raisons essentielles : la première est historique : l’EP a été conçue et réalisée en relation avec l’Éducation intellectuelle et l’Éducation morale. Cette relation triangulaire, véritable socle de l’Éducation intégrale, est d’ailleurs une constante dans tous les textes officiels qui régissent la pratique scolaire de l’EP depuis les premiers manuels d’hier jusqu’aux nouveaux Programmes d’aujourd’hui. La deuxième raison est philosophique : Ulmann (1966, p. 11-22) a montré que « loin de demeurer cantonnée au corps et d’avoir simplement pour fonction d’en assurer la conservation, l’éducation physique est conviée à participer à des faits de civilisation dans lesquels l’homme tout entier est engagé et non pas simplement son corps », dans : « Sur quelques problèmes concernant l’éducation physique », Revue EPS, 1966, n° 81-82. La troisième et dernière raison, est propre au domaine de l’EPS scolaire en France dans lequel on observe que la revendication du Corps est le plus souvent une revendication contre la méthode sportive, voire contre le Sport dans son entièreté.
10 J. Ulmann, op. cit., p. 11.
11 Au sens où pour E. Durkheim, dans : Éducation et sociologie, PUF, Coll. Quadrige, 2005, (rééd.) : « l’éducation, c’est l’action exercée sur les enfants par les parents et les maîtres. Cette action est de tous les instants et elle est générale ». À noter qu’Alain Hébrard et Gilles Klein se réfèrent souvent à Jacques Ulmann, lequel ne semble pas très éloigné de Durkheim dans sa conception de l’éducation envisagée comme l’action d’une culture sur une nature et trouvant sa raison d’être « dans le désir de communiquer à des générations montantes les legs de toute sorte que l’histoire à déposés », dans : Revue EPS, juillet 1966, n° 81, p. 8.
12 C. M. Prévost publie en novembre 1987 un article dans lequel il fait « l’éloge de l’éclectisme » dans : Dossier STAPS. Écrit 1. CAPEPS, p. 35-64.
13 P. Bourdieu, « Sur les rapports entre la sociologie et l’histoire en Allemagne et en France », Actes de la recherche en sciences sociales, mars 1995, n° 106-107, p. 108-122.
Auteur
Docteur en Sociologie et titulaire du CAPEPS. Ancien Maître de conférences en STAPS à l’Université Droit et Santé de Lille 2, Faculté des Sciences du Sport et de l’Éducation Physique ; ancien membre du laboratoire Sport-Identité-Culture de la FSSEP ; ancien expert de la revue STAPS ; ancien membre de la commission de spécialistes à l’IUFM du Nord – Pas-de-Calais ; ancien coordonnateur de la préparation à l’écrit 1 dans ce même IUFM ; ancien membre du jury d’écrit 1 du CAPEPS et de l’agrégation interne ; ancien responsable de la préparation à l’écrit 1 du CAPEPS à la FSSEP.
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