Conclusion
p. 133-135
Texte intégral
1Quel bilan pouvons-nous dresser des cultes locaux face aux dieux romains ? La situation dans les Gaules apparaît complexe, au premier abord. Il est clair que, sur le plan religieux, l’attitude des populations des provinces romaines face à la « romanité » offre de grands contrastes en fonction de leurs capacités d’adaptation, des facteurs locaux mais aussi en fonction des pressions plus ou moins forte de l’administration romaine.
2L’Afrique, et plus particulièrement l’Afrique Proconsulaire et la Numidie, peut apparaître comme un monde à part avec ses nombreux municipes et colonies qui ont entrainé à la fois la « romanisation » des institutions et celle du nom des divinités les plus importantes, tout en conservant une certaine continuité religieuse, comme dans les campagnes où certaines anciennes divinités locales perdurent encore au IIIe siècle après J.-C. Néanmoins, comme le souligne Elisabeth Smadja, « l’intégration dans l’ensemble impérial romain a provoqué une évolution significative »1, entre autres, avec l’introduction du culte impérial.
3Le facteur « temps » est important dans la compréhension des phénomènes religieux, notamment lors du processus d’implantation des sanctuaires. Ce dossier, présenté par Raphaël Golosetti à partir de l’examen de sites archéologiques, démontre que la continuité de certains espaces sacrés et de cultes celtiques, à l’époque romaine, n’a rien à voir avec une continuité apparente de cultes antérieurs. Cette continuité ne serait pas « synonyme d’immobilisme », dans la mesure où elle masque des ruptures, des évolutions, par la référence à la tradition, et la réoccupation des lieux de mémoire : « Un tel processus de localisation pourrait créer un lien au passé à même d’ancrer le culte renouvelé dans la tradition et les âges, et être source d’une légitimité »2. Par conséquent, seul un examen approfondi des sites de sanctuaires peut révéler une véritable continuité des cultes antérieurs à la conquête romaine.
4L’historien des religions ne peut faire l’économie du matériel archéologique. Ainsi, l’étude de ce matériel (inscriptions, statues, offrandes…) permet de mettre en évidence le fait que des dieux locaux ont souvent bénéficié d’hommages en latin, d’offrandes ou de représentation à la « romaine » sans que les dévots soient pour autant tous citoyens romains. Isabelle Fauduet évoque une « cohabitation apparente » car il n’est pas toujours possible d’analyser ces comportements religieux, d’autant plus quand les dédicaces ne sont pas toutes officielles. De fait, prêtres et magistrats ne sont pas les seuls à intervenir : dans un certain nombre de cas, le choix du mode de représentation des dieux, des offrandes offertes, dépend du dévot et des moyens matériels dont il dispose et la liberté est d’autant plus grande quand les dédicaces sont faites à titre privé ; sans oublier, dans ce cadre, le rôle des artisans locaux dans les choix iconographiques3. Il faut également tenir compte du fait que « les objets et l’usage des objets n’ont pas une signification univoque. Avoir chez soi de la céramique romaine ou un bronze de Corinthe ne voulait dire ni que la culture gréco-romaine était devenue dominante ni que les propriétaires étaient romanisés ou hellénisés ; marquer un certain attachement à des formes de culture matérielle ou spirituelle héritées du passé n’était pas nécessairement le signe d’une résistance. Enfin, les formes, les signes extérieurs n’expriment jamais qu’une part de la réalité »4.
5Ainsi, à partir de l’étude de ce matériel archéologique, nous pouvons en déduire qu’il n’existe pas de réelle « frontière » entre, d’une part, divinités locales / indigènes et, d’autre part, divinités romaines / citoyens romains. Les religions pratiquées dans ces provinces celtiques ne sont pas propres à tel ou tel groupe d’individus mais rassemblent un ensemble de croyants aux origines et aux statuts très divers. Comme le constate Monique Dondin-Payre, « hors les chefs-lieux de colonies, la mixité s’impose. Mixité dans le recrutement des dévots d’un même culte, mixité dans la nature stylistique des offrandes, mixité dans l’association des divinités célébrées »5. Dans ce domaine, l’épigraphie nous apporte une aide précieuse, mais ne résout malheureusement pas tous les problèmes, comme nous le montre l’exemple de la cité des Convènes.
6L’étude de cette cité témoigne de la présence d’un culte à un Jupiter romain, dans la mesure où rien n’atteste de la persistance d’un dieu indigène, identifié comme Jupiter capitolin. La plupart du temps honoré seul sur des monuments consacrés peut-être publice, Jupiter semble avoir reçu ici, selon les termes de Jean-Luc Schenck-David, « un culte fédérateur qu’il faut sans doute compter parmi les cultes officiels de la cité »6. à quelle époque ce culte a-t-il été instauré ? Y a-t-il un lien avec le changement de statut juridique de la cité des Convènes ? Il est normal qu’une colonie romaine rende un culte officiel à Jupiter capitolin (et qu’en est-il des dédicaces privées ?) mais la difficulté réside dans la datation des monuments dédiés au dieu et dans celle de l’octroi du titre de colonie. Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre. Néanmoins, Jean-Luc Schenck-David pense que « la diffusion du culte de Jupiter dans les Pyrénées centrales fut liée à une volonté de fusion religieuse fondée sur un dieu qui représentait la puissance de l’État »7.
7Ces études locales et régionales montrent un certain nombre de similitudes. Ainsi, nous n’avons pas d’un côté la romanisation plus ou moins imposée par l’impérialisme romain, et de l’autre côté, la résistance de certaines populations ; nous n’avons pas une mais des romanisations en fonction des époques, des provinces, mais aussi au sein des provinces où certains peuples s’accommodent mieux que d’autres de la présence romaine, évoluant vers un métissage culturel, notamment dans le domaine religieux, dans la mesure où les structures mises en place par Rome dans les territoires conquis n’ont pas remplacé totalement les habitudes et les pratiques des communautés indigènes. Il me semble que nous avons ainsi en partie répondu aux questions que nous nous étions posés concernant d’éventuelles différences de comportement religieux entre ceux qui célébraient les cultes officiels et ceux qui les célébraient à tire individuel ou communautaire, entre les élites urbaines et les populations des régions isolées ou peu urbanisées. Les études approfondies ont montré que ni le statut des cités ou des dévots, ni le choix du support cultuel, ni la localisation des sanctuaires ne permettent de discerner de véritable « fracture » entre les pratiques cultuelles des différentes populations des Gaules.
8Nous terminerons par cette réflexion de Patrick Le Roux :
9« Le poids des circonstances – c’est-à-dire la manière dont se déroula la conquête – fut déterminant pour la suite de l’histoire locale, mais plus encore les cultures préexistantes, dans un contexte où la soumission à la tradition et à l’ancienneté était un facteur primordial. La romanisation décrit ainsi un processus par lequel une communauté s’engageait dans une phase nouvelle, créative, de son histoire, élaborait un nouveau langage définissant les rapports de pouvoir, les relations sociales, les activités économiques, les identités culturelles collectives et individuelles »8.
Notes de bas de page
Auteur
Université d’Artois - CREHS
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