En guise de conclusion...
p. 203-209
Texte intégral
1Cet ouvrage retrace le parcours biographique d’un « personnage » bien particulier. Pur produit de l’École républicaine et de ses ressorts méritocratiques, Christian Pociello présente une trajectoire professionnelle hors du commun qui a fait de lui l’une des figures marquantes dans le champ des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, un champ qu’il aura lui-même contribué à structurer : un parcours académique, des rencontres et « alliances » capitales, la construction des premiers objets de recherche, l’organisation de structures fédératives institutionnelles, l’obtention de grands contrats financés, la publication d’ouvrages, etc. Il est à la fois « représentatif » des premiers enseignants-chercheurs en STAPS issus de l’Éducation Physique et Sportive et « atypique » du fait du « caractère pionnier et a priori “improbable”1 » de sa trajectoire2. Finalement, seul un récit de vie le plus complet possible pouvait illustrer le « parcours exemplaire3 » d’un « Homo-Stapsien4 ».
2Né en 1937, d’origine sociale modeste, Christian a mené des études primaires puis primaires supérieures brillantes. Il faut renvoyer cette réussite aux investissements décisifs et successifs consentis par des personnes-clés de son entourage familial (sa marraine, ses oncles, sa mère puis sa grand-mère maternelle). Aiguillé par un premier initiateur, Marcel Vaillaud, Christian entre en classe préparatoire au concours d’entrée de l’ENI, concours qu’il réussira. L’ENI est à la fois considérée comme une réelle promotion sociale et un moyen d’échapper à l’influence paternelle qui le destinait plutôt à une carrière dans les PTT. Durant ces années de formation, Christian découvre l’EPS. Ce n’est pas tant le plaisir qu’il prend dans la pratique sportive que le charisme et la force vitale qui se dégagent de son professeur d’EPS qui vont l’orienter vers le professorat dans cette discipline. Ses excellents résultats scolaires lui permettent en effet d’envisager devenir professeur, plutôt qu’instituteur. En 1958, devenu interne au CREPS, Christian est toujours porté par des désirs d’ascension. Mais il se retrouve esseulé, sans pouvoir compter sur le corps professoral pour préparer le concours d’entrée à l’ENSEP. C’est un second initiateur, Jean-Pierre Bessaguet, qui va prendre en charge l’organisation de travail du binôme, laissant à Christian le soin d’assurer la préparation aux épreuves d’anatomie et de physiologie. Étonnamment, Christian n’a pas à l’époque de loisirs sportifs bien identifiés, il n’a participé qu’à une seule compétition en athlétisme, il n’est même pas « entraîneur ». De fait, il va essentiellement développer des compétences physiques et sportives en relation immédiate avec les épreuves du professorat. Il choisit de s’investir dans des pratiques bien spécifiques au regard des capacités physiques dont il pense qu’elles le caractérisent alors. Mais également dans des pratiques qui lui permettent d’espérer, avec un entrainement intensif et individuel, des progrès immédiatement significatifs, l’athlétisme et la gymnastique. En 1959, Christian entre Major à l’ENSEP des jeunes gens. C’est en reproduisant la même stratégie et en adjoignant un troisième homme à leur préparation, Bohrane Erraïs, que Christian devient Major au CAPEPS, qu’il obtient avec une excellente moyenne, la meilleure depuis la création du Concours.
3Cette réussite lui vaut, en septembre 1963, une nomination dans un établissement réputé, le Lycée Henri IV. Christian s’engage « à bras le corps » dans son activité de professeur d’EPS, accompagnant la sportivisation de la discipline et participant volontiers à cette période riche d’innovations pédagogique et didactique, nées « du terrain ». De fait, les années qui suivent font la part belle à ses qualités d’entraineur/ d’animateur : les élèves des classes de collège du Lycée Henri IV, les militaires du Bataillon de Joinville et les étudiant(e)s de la Faculté de Pharmacie en profiteront successivement. Des insatisfactions relatives aux conditions d’exercice du métier de professeur d’EPS vont amener Christian à être attentif à d’autres possibles professionnels. Par ailleurs, les compétences acquises à l’ENSEP l’ont engagé dans un processus réflexif sur ses méthodes d’enseignement, les premières publications parues dès sa nomination dans la Revue EPS en sont un parfait témoignage. La possibilité d’une reprise d’études offerte par l’ENSEPS, en 1970, huit années après l’obtention du CAPEPS, est vécue à la fois comme une échappatoire et comme un nouveau moyen offert d’ascension sociale. Christian va alors bénéficier d’un « contexte institutionnel extrêmement favorable » et ce, alors même qu’il pense avoir « vécu sous le signe du malheur, de la malchance5 ». Quelques exemples... La convention passée entre l’Université de Paris VII et l’ENSEPS lui permet de s’inscrire directement en thèse sans avoir à réaliser un cursus universitaire complet au préalable. Devenu professeur et co-directeur de sections à l’ENSEPS puis à l’INSEP, Christian va répondre, avant l’heure, aux missions qui incomberont plus tard aux enseignants-chercheurs en STAPS. La rencontre avec deux « Maîtres à penser », Georges Canguilhem en 1970 puis Pierre Bourdieu en 1978, va impulser et infléchir à deux reprises « son trajet intellectuel ». La publication de nombreux articles, surtout de deux ouvrages (1981 et 1983) et le fait d’honorer des contrats de recherches importants ont accru son capital social et symbolique, ont assis « sa réputation dans le milieu ».
4Au milieu des années 80, Christian souhaite s’investir des mêmes missions mais avec un statut universitaire. Sans avoir « imaginé, conscientisé, une seconde, l’institutionnalisation des STAPS », ce sont les diverses ressources qu’il a accumulées depuis l’obtention du CAPEPS qui lui permettront d’accéder sans difficulté aux fonctions de Maître de conférences en STAPS. Son rapport heureux à l’École et son surinvestissement scolaire, largement motivé par la nécessité et l’urgence de « s’en sortir », ne l’ont jamais quitté ; d’où les surnoms que ses amis lui attribuent affectueusement, « le bon élève » ou encore « un homme pressé ». La carrière universitaire, longue de près de vingt-cinq années, est décrite comme une œuvre « certes modeste, mais vécue comme une œuvre d’art », du fait de son caractère hautement improbable, « 0,1 chance pour 1 000 de parvenir à ce statut pour un fils de ploucs né en 1937 ! ». Premier Maître de conférences, puis premier Professeur des Universités de sa composante, Christian va vivre les premiers émois de l’émergence d’une discipline universitaire, « véritable champ de productions et de concurrences ». Il va participer activement à la promotion et l’institutionnalisation de la recherche en sciences sociales sur le sport. Les rivalités seront nombreuses et variées, avec la communauté des enseignants d’EPS détachés de l’enseignement secondaire alors en situation de monopole dans les filières de formation, avec la présidence de l’Université, avec la direction de l’UFR STAPS, avec les collègues représentants des sciences expérimentales, etc. Ces conflits auront peu à peu raison de ses activités de recherche, qu’il concentrera autour de la production d’ouvrages6. Ils n’auront que peu d’impact sur ses activités d’enseignement, si ce n’est de démultiplier l’énergie que Christian leur consacrait déjà. En définitive, la carrière universitaire de Christian n’a pas été « un long fleuve tranquille », loin s’en faut. Arrivé au « dernier étage » de son ascension socio-professionnelle, profitant d’une conjoncture institutionnelle propice et au prix d’efforts de tout instant, Christian va progressivement se désinvestir, trouvant refuge dans la production d’ouvrages et dans son activité de prédilection, l’enseignement. Si, lors de la conférence-hommage qu’il a réalisée en 2004 durant le 2e Congrès de la Société de Sociologie du Sport de Langue Française, Christian en appelle à « une étrange torpeur neuronale qui estompe les vieux conflits et refoule les vieilles blessures au point même d’en oublier la mémoire des noms de nos anciens ennemis », les entretiens menés montrent qu’il n’en est rien. Les souvenirs « des combats » sont encore bien vivaces. Peut-être trop. Ils ont laissé un goût amer à celui qui les a si vigoureusement menés. Le départ à la retraite, vécu très douloureusement, a heureusement été l’occasion pour Christian de renouer avec de lointaines passions, la peinture et la sculpture notamment. Ce qui ne l’empêche pas de « remonter sur les planches » lorsque lui est offerte la possibilité de « faire cours », avec une vigueur et un plaisir toujours renouvelés.
5Interrogé sur la dernière phrase qu’il aimerait voir figurer dans cet ouvrage, Christian répond sur un ton mi-sérieux, mi-amusé, que l’« on ne pourra rien inscrire sur son tombeau puisque sa volonté, ultime et irréversible, est », dit-il, que « je donne mon corps à la science, c’est le moins que je puisse faire pour elle qui m’a tant donné ». Espérons que cet ouvrage lui permettra de « faire trace ». Autrement.
Notes de bas de page
1 Mierzejewski, Stephan, 2005, op. cit., p. 82.
2 Si les travaux de Michaël Attali, Pierre Chifflet, Jacques Defrance, Paul Irlinger, Pierre Leblanc, Bernard Michon, Stephan Mierzejewski, pour ne citer qu’eux, se sont intéressés à l’histoire sociale de la profession ou encore à la création des STAPS, comme nouvelle discipline universitaire, il n’existe pas, à notre connaissance, d’ouvrage entièrement consacré au parcours biographique de l’un des acteurs pionniers. Le dernier ouvrage de Jacques Thibault est l’exception, mais sous une forme autobiographique. Voir Jacques Thibault, 1992, op. cit.
3 Mierzejewski, Stephan, 2005, op. cit., p. 84.
4 Olivier Le Noé qualifie ainsi les « sédentaires », c’est-à-dire les acteurs appartenant au corps enseignant des UFR STAPS et dont l’ensemble de la trajectoire professionnelle s’inscrit dans l’univers de l’Éducation Physique et Sportive. Voir Le Noé, Olivier, « L’imagination bibliographique. Enquête bibliographique et construction d’un objet de recherche : les sciences sociales du sport », Terrains et Travaux, n° 5, 2003, p. 177-206.
5 Ce n’est que rétrospectivement que Christian a pris la mesure de « la série de coups-de-bol extraordinaires » qui ont marqué son existence.
6 Le lecteur n’aura pas été sans remarquer la concision du rapport des activités de recherche de Christian à partir des années 90, et ce, alors même qu’il s’agit d’une des périodes les plus récentes. Il s’agit sans doute ici des « zones blanches » dont parle Daniel Bertaux (2010, op. cit., p. 83), autrement dit, des périodes sur lesquelles peu d’informations sont données, volontairement ou non. Finalement, ce sont les moments douloureux constitutifs du parcours biographique de Christian que l’on peut identifier comme telles. L’enfance et les dernières années de la carrière universitaire en font partie. À force de relances, et ce lors de nombreux entretiens, nous pouvons nous risquer à dire que ces « zones blanches » ne sont pas le fruit d’omissions volontaires, mais plutôt le résultat du fait que l’intéressé ait véritablement « scotomisé » ces périodes.
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