Préface
p. 7-11
Texte intégral
1Une mère qui s’acharne pour que son fils fasse des études secondaires, un père qui l’accepte du bout des lèvres après s’y être opposé, une mère d’origine bourgeoise, un père d’origine populaire, une mère compréhensive, un père soupçonneux, une tension existe dès les premières pages de ce livre. Le combat affleure, le conflit aussi. Il ne s’agit en rien d’en faire une quelconque grille d’explication. 11 s’agit seulement d’en montrer l’effet de profondeur et de sincérité. Christian Pociello sait bien que les « origines » ont un rôle. Le sociologue qu’il est ne peut pas l’ignorer. Il sait aussi qu’il est impossible d’en tirer des conclusions univoques et indiscutées. D’où l’importance première de la sincérité, cette authenticité qui court à travers ce livre et que la formule très empathique de l’entretien a su transformer en un récit aussi émouvant qu’éclairant. D’où aussi la présence d’interrogations fréquentes et hasardées sur les qualités personnelles, les défauts, les doutes, l’aveu du travail acharné, les réussites, les déceptions aussi. Les trahisons même quelquefois. Les fragilités « intimes » ne sont jamais masquées, ce qui accroît l’intérêt du texte, et, autant le dire, sa vérité. Le chercheur Pociello, comme le personnage d’ailleurs, sait avouer dans ce témoignage ses propres incertitudes, sa difficulté de croire à la réussite, alors même que la réussite est pourtant là. Ce qui est sans doute un des facteurs de son parcours et de sa détermination. Un seul exemple, Christian rappelle qu’après l’entrée à l’École normale supérieure d’éducation physique, où il est reçu premier, il a obscurément le sentiment de n’y être pas pris tout à fait au sérieux. Sa carrure physique ne semblerait pas être la plus athlétique, son succès ne serait pas le plus complet, ses manques apparaîtraient ici ou là, un des enseignants l’aurait même appelé « major d’opérette ». Toutes choses possibles bien sûr. Mais ces impressions confirmeraient à ses yeux un statut « d’éternel paysan plouc ». Comment alors ne pas avouer ma surprise en lisant ces lignes ? Élève moi-même dans la promotion suivante, comment ne pas dire le prestige qu’il avait à nos yeux ? Prestige confirmé puisqu’il est à nouveau sorti premier.
2C’est ce sentiment de volonté intense, cette tentative répétée de surmonter une réalité toujours rétive, qui donnent encore un vrai relief à ce texte. Les thèmes de recherche, par exemple, nombreux, renouvelés, accompagnés de collaborations tout aussi nombreuses, ont été systématiquement abordés « à bras le corps », avec la conviction immuable de leur exigence, celle de leur défi aussi, un peu comme l’étudiant des concours avait abordé ses programmes en y consacrant chaque heure de son temps, chaque facette de son intelligence, avant de sortir major de ces mêmes concours, lui sur lequel tel ou tel directeur n’aurait pas « parié ». Cette manière de s’engager « à bras le corps » mérite d’ailleurs une attention. Elle n’est pas étrangère à l’attitude fréquemment adoptée par Christian Pociello chercheur. Elle donne à son aventure intellectuelle les accents des travaux artisanaux : les effets du geste et du corps, l’attention systématique portée au « faire ». Une « position » s’y retrouve, d’ailleurs, évoquée jusqu’à l’explicitation par Christian Pociello lui-même : celle du praticien éclairé contre le théoricien trop abstrait, celle du chercheur de terrain contre le chercheur « spéculateur ». Cette « position » est centrale. Elle incarne le sens d’un travail. Elle le transforme même en revendication précise : un chalenge laborieux, éprouvant autant que salutaire. Elle mobilise tout simplement le statut des recherches sur les pratiques tel qu’il est entendu dans ce livre : anoblir des démarches mal reconnues, promouvoir des domaines insuffisamment pris en compte, structurer des savoirs trop négligés. Autant dire que Christian Pociello y a réussi. Ce qui donne à ses engagements scientifiques ce versant passionné. Ce qui avive aussi la saveur de ce texte. Ce qui me rappelle enfin les interminables échanges que je pouvais avoir avec lui, à l’INSEP, dans les années 1970, lorsque nous pensions que les sciences humaines allaient enfin changer le visage de la recherche dans les sciences de l’éducation physique et du sport.
3Incontestablement, Christian Pociello a contribué de façon majeure à un tel changement. Il y a contribué d’abord en renouvelant de part en part le contenu de la sociologie du sport. Pour la première fois, avec ses enquêtes à grande échelle, les pratiques pouvaient incarner des appartenances et des distinctions culturelles, l’espace des sports « redoublait » l’espace social, le « faire » sportif révélait une chair profondément collective. Ses enquêtes transformaient la vision du plaisir et du goût pour des sports différents. Non pas simplement le plaisir banal, cent fois évoqué, d’un « faire ensemble », non pas le plaisir, déjà moins étudié, de partager des espaces spécifiquement sociaux, mais le plaisir de partager des pratiques elles-mêmes très spécifiques, celles où chaque groupe social retrouvait des façons de sentir, de bouger, de mobiliser le corps et d’exister qui sont intrinsèquement les siennes. Celles, autrement dit, qui n’appartiennent qu’au groupe social et l’identifient C’est le physique qui, pour la première fois, révélait son incorporation sociale. C’est le physique qui, pour la première fois, correspondait dans la chair elle-même à chaque groupe social. Un vaste travail de recherche collective pouvait dès lors s’engager. Un élan était pris. Aucune critique ne saurait enlever à Christian Pociello l’impulsion de ce regard totalement inédit sur le « faire » sportif et son incarnation sociale.
4Un autre de ses travaux a contribué au changement du visage de la recherche dans les sciences de l’éducation physique et du sport : son exploration sur les recherches des « mécaniciens du mouvement », Marey et Demenÿ. Il y engageait une coupure définitive avec les antiques « histoires » de l’éducation physique, celles où les tout premiers initiateurs de « méthodes », Amoros, Hébert, Demenÿ ou Boigey demeuraient autant de totems inlassablement honorés par des « chercheurs » ignorant superbement les univers scientifiques, culturels et sociaux de tels initiateurs. Histoires dérisoires où il était impossible de comprendre par exemple pourquoi Hébert s’était passionné pour les sauvages et Demenÿ pour les moteurs animés. Or, c’est sur le contexte précisément que porte d’abord le travail de Christian Pociello : la physiologie des années 1870, en l’occurrence, celle de Marey, celle « puisant de nouveaux objets dans la réalité sociale, technique, industrielle ». Ce monde nouveau ne s’intéresse pas seulement aux mouvements mais aux machines et aux énergies. La préoccupation est aux « lois de l’économie du travail ». C’est bien de là que découle une observation totalement inédite sur le mouvement physique. Reste que l’intérêt de cette recherche porte également plus loin. Elle montre encore la spécificité de celui qui, longtemps, n’a été que l’applicateur de Marey. Elle souligne la particularité de Demenÿ, celui qui, plus proche du terrain, plus sensible à la thématique de l’action et de la pédagogie, invente à son tour en déplaçant progressivement ses investigations du « mécanisme » des mouvements vers leur « éducation ». Histoire totalement nouvelle, donc attentive aux contextes comme aux concepts. Seule condition pour que les pratiques anciennes soient « vues » autrement qu’elles ne l’étaient jusque-là.
5Il est un troisième type d’investissement dans lequel s’est lancé Christian Pociello : le projet d’un « site d’aventures sportives » permettant d’envisager un renouvellement des pratiques physiques, leur installation selon des modalités totalement inédites de formations, de rencontres, d’actions. Des jeux largement repensés y étaient imaginés à partir d’enquêtes précises. Ce projet a permis de financer nombre de recherches innovantes, de croiser nombre d’échanges entre chercheurs d’horizons les plus différents, d’initier nombre de programmes dont certains sont encore en cours. Il a failli être concrétisé dans plusieurs villes. Il n’a pas encore été appliqué. Un regret sans doute... mais qui montre combien les pratiques physiques peuvent résister au changement. Ces pratiques que Christian Pociello connaît comme personne et qu’il a étudiées comme jamais jusque-là.
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