Du FLE au FLP : quelles questions pour enseigner ? Témoignage
p. 57-68
Texte intégral
1Professeure et formatrice à l’Alliance française Paris-Île de France, je suis amenée, depuis presque trois ans maintenant (septembre 2007) à enseigner le Français langue professionnelle (FLP) auprès de groupes constitués de salariés d’entreprises du BTP, de la restauration collective ou, plus récemment, du secteur de la publicité urbaine.
2Ces nouveaux cours, ces nouveaux publics m’ont amenée à me poser un certain nombre de questions pour, à partir de mon expérience de l’enseignement du FLE, m’adapter au mieux à des besoins différents.
3Ces questions sont orientées par mon regard, lui-même influencé par mon parcours dans la profession. Le fait d’être à la fois professeur et formateur de formateur me permet de nourrir ma pratique de classe par la réflexion sur les processus d’enseignement/apprentissage et de construire des outils pour les transmettre à d’autres et, en parallèle, mes interventions en tant que formatrice s’appuient sur mes expériences et expérimentations de la classe.
4A l’Alliance française Paris-Île de France les professeurs investis dans les cours de FLP ont eu le choix de cet investissement, il s’est fait sur la base du volontariat. J’ai tout de suite été intéressée lorsque ces nouveaux types de cours ont été ouverts. Mon parcours professionnel explique peut-être l’intérêt que j’y ai porté.
5À la fin des années 90 j’ai été bénévole dans une association de femmes qui proposait, entre autre, des ateliers d’alphabétisation. J’étais à ce moment-là étudiante en lettres modernes puis j’ai repris un cursus en FLE. Surveillante dans un lycée, j’ai commencé à enseigner le FLE à des lycéens marocains primo arrivants. J’ai ensuite travaillé deux ans à Casablanca à l’Institut français où j’ai eu la chance de bénéficier d’un grand nombre d’heures de formation continue, notamment en évaluation et en observation de classe. Je suis devenue tutrice : j’accompagnais les nouveaux professeurs dans leurs pratiques, les recevais dans mon cours, observais leur classe et animais des ateliers pédagogiques. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir une pratique réflexive, à chercher des réponses aux questions soulevées par le quotidien de la classe. C’est aussi à cette période que j’ai commencé des cours de FOS en entreprise et ce qui était déjà du FLP (sans que je le sache), dans un supermarché.
6En 2003, de retour en France, j’ai commencé à travailler à l’Alliance française à Paris, pendant un an, en mettant l’accent sur les cours de FOS et l’évaluation. Un passage de 6 mois comme professeur de FOS au sein d’une importante entreprise pétrolière a complété ma pratique du FOS pour des métiers très variés.
7Puis pendant une autre année, j’ai été chargée du diagnostic linguistique dans le cadre d’un marché pour le Conseil Régional d’île de France et du FASILD1 au sein d’une association. J’ai côtoyé un public pas toujours scolarisé dans son pays d’origine. Nous avons fait partie des lieux d’expérimentation du D1LF : j’ai eu l’impression de vivre un moment important, où deux univers se rencontraient, les associations et l’université, le monde de l’insertion et celui de la recherche et j’ai pensé que quelque chose de fondamental était en train de changer. Je me suis souvenue des tâtonnements de mes débuts en tant que bénévole... Le DILF a permis aussi de tendre vers un langage commun, voire des pratiques communes, harmonisées.
8Je suis maintenant titulaire de mon poste à l’Alliance française Paris-Île de France.
9Le travail mené en FLP à l’Alliance a été dès le début accompagné par des moments de formation de l’équipe au CLP2, sous la responsabilité pédagogique de Mariela de Ferrari. Cet accompagnement a été primordial, il nous a permis d’avancer, de comprendre les nouveaux enjeux proposés par ces cours. Ces formations m’ont donné des pistes pour comprendre, pour faire des choix en classe et continuent à nourrir ma réflexion.
10C’est ainsi qu’il y a des questions pour lesquelles des réponses sont déjà trouvées, de fait parce qu’il faut « faire » et que les apprenants n’attendent pas... mais aussi pour lesquelles il y a encore des « bouts » de réponses à inventer et des réflexions à mener.
11La première est peut-être une évidence pour certains mais ne va pas de soi pour moi : qu’est-ce qu’enseigner le FLP ? Pour le professeur que je suis qui prépare son cours, qui l’anime... qu’est-ce que cela implique, qu’est-ce que cela change par rapport à un cours de FLE ? Le fait de travailler avec des salariés, identifiés comme tels, qui ne sont pas des étudiants mais des stagiaires qui sont là pour accroître leurs compétences professionnelles...?
12La deuxième question pour laquelle je cherche des réponses vient du fait que ces salariés sont parfois sans qualifications, qu’ils ont souvent été peu scolarisés, ou pas du tout, et que cette formation qu’ils suivent est pour eux parfois la première occasion d’être en situation d’apprenants, dans une salle de cours. Alors je me demande comment on apprend à apprendre, à lire, à écrire, à l’âge adulte ? Comment se positionne-t-on dans cet apprentissage ?
13La troisième question que j’évoquerai ici, et qui n’est sans doute pas la dernière dans les réflexions à mener, est celle qui concerne le déroulement du cours lui-même. Qu’est-ce que les cours de FLP changent dans la classe ? Les paramètres observables seront les mêmes, mais les observations ne seront pas celles faites dans un cours de FLE. Alors qu’est-ce que cela modifie dans mes pratiques, dans l’animation du cours, dans l’occupation de l’espace classe, dans l’utilisation du matériel, dans les échanges...?
14Je vais tenter ici de faire le point sur l’état de ma réflexion sur ces questions et j’essaierai le plus possible de partager mon vécu, notamment en illustrant mes propos par des exemples issus de mon expérience de professeur de FLP.
1. Former des professionnels, qu’est-ce que cela implique ?
15Pour chaque nouveau cours on entre dans un nouvel univers, une nouvelle entreprise, des salariés différents et ces paramètres changent ce que l’on pourra mettre en place en classe pour tenter de répondre au mieux aux besoins et aux attentes. On s’appuie sur l’analyse des situations de travail. La rencontre de l’équipe en amont est primordiale et la visite du lieu de travail (chantier, cafétéria, restaurant d’entreprise, usine...) fortement recommandée. C’est sur place que l’on identifie des besoins que l’on n’aurait jamais envisagés en partant juste de la fiche de poste et de la demande du responsable de la formation au sein de l’entreprise. Ma pratique du FLE et des cours basés sur le CECR m’incite à proposer des cours, des démarches qui s’appuient sur l’approche actionnelle. Les étudiants en FLE comme les stagiaires en FLP peuvent s’investir dans des projets, auxquels ils adhèrent en amont, qui souvent viennent d’eux, de leurs besoins, de leurs demandes : ils travaillent différentes activités langagières, liées à leur domaine, à leur vie et ils développent ainsi leurs compétences communicatives.
16Alors, bien qu’un premier programme ait été défini au début de la formation, je me rends compte qu’il est rarement suivi tel quel et que, si l’on est vraiment à l’écoute des stagiaires, on ne peut que le faire évoluer. Le lien entre ce qui se passe en classe et ce qui est vécu à l’extérieur, en l’occurrence au travail, doit selon moi être très étroit. En effet, les cours proposés sont rarement des cours intensifs, les apprenants retournent sur leur poste de travail entre deux : leur travail se nourrit de ce qui est vu en classe et le cours s’appuie sur ce qui est vécu à l’extérieur. Cela permet le réinvestissement en situation réelle, une plus forte motivation et une meilleure compréhension de la part du stagiaire du pourquoi le professeur fait ces choix pédagogiques. En conséquence la progression sera sans cesse ajustée, réévaluée en fonction de leur quotidien professionnel. Mon rôle de professeur change un peu de ce point de vue là aussi : je suis maître de ce que je fais en classe, de l’orientation que je donne à mon cours. J’ai une grande liberté d’action : puisque c’est moi qui suis en contact régulier avec les stagiaires, et pour cause, c’est à moi de dire ce dont ils ont besoin, c’est à moi de trouver les activités qui vont les faire progresser... Cette liberté et la confiance que l’on nous témoigne, nous professeur de FLP, est appréciable puisqu’il ne s’agit plus de suivre un manuel mais, en même temps, je doute souvent de mes choix et ça n’est pas toujours facile de porter ces choix-là : j’ai parfois peur de me tromper, de faire fausse route, de céder à la simplicité...
17Le lieu du cours aussi change beaucoup de choses sur la perception des besoins. Quand je donne un cours en entreprise je vois comme eux les affichages qu’ils sont amenés à lire, près de la machine à café par exemple, je me rends mieux compte de l’organisation du travail, j’assiste à des interactions professionnelles ou informelles avec les collègues, avec le supérieur hiérarchique... Un jour par exemple, après la pause au milieu du cours, le chef d’atelier s’adresse aux magasiniers qui suivaient la formation avec moi, il parle à l’un d’eux en particulier et celui-ci lui répond « Ouais ouais ». Le chef d’atelier le reprend, énervé, « C’est pas "ouais" qu’on doit dire mais "oui", arrête de répéter toujours "ouais ouais" ! ». J’ai senti qu’il y avait une « crispation » de la part du chef d’atelier qui ne supportait plus que ce magasinier, et les autres aussi d’ailleurs, lui parle d’une façon trop familière alors qu’il était son supérieur hiérarchique. Le cours reprend et je demande au stagiaire s’il sait pourquoi son chef s’est énervé, il dit « Ouais, c’est parce que je dis "ouais" ». Moi : « Vous comprenez la différence entre "oui" et "ouais" ? » Lui : « Non mais s’il veut je vais dire oui... ». Lors du cours suivant, j’ai finalement décidé de travailler sur les registres de langues, à partir de phrases très familières entendues dans l’entreprise ou dans les échanges en classe, nous avons échangé sur la perception, l’effet produit, comment dire autrement, dans quelles situations...
18J’ai été amené à animer une formation sur la pédagogie de l’erreur et, comme souvent pour des missions de formation de formateurs, lorsqu’une question particulière de didactique est travaillée, cela donne un éclairage nouveau sur notre cours. J’ai donc expérimenté des « techniques », des activités pour permettre aux apprenants de travailler, de revenir sur leurs erreurs. J’ai d’abord commencé par mes cours de FLE, là où les ficelles me sont plus communes, puis j’ai aussi fait des tentatives en FLP. Je suis maintenant convaincue que les erreurs des apprenants orientent aussi la progression, le programme.
19Vient aussi la question de l’évaluation sommative qui est complexe, notamment parce qu’elle ne dépend pas que de nous. Dans notre société où le diplôme a son importance, les entreprises souhaitent souvent faire valider les compétences acquises grâce à la formation par une certification. La question est de savoir quelle certification choisir. Il ne faudrait pas que le cours perde ses objectifs premiers et s’oriente uniquement vers la préparation à la réussite d’un examen de langue...
20Dans le meilleur des cas, l’entreprise, investie pleinement dans la formation de ses salariés, joue le jeu et partage les documents utilisés sur le travail. Ces supports sont indispensables pour bien cerner les situations de communication vécues par les stagiaires. Il s’agit ensuite de monter des scénarios de classe qui s’appuient sur ces supports. Ces documents sont la plupart du temps écrits et il est difficile d’avoir accès à des supports oraux. On peut enregistrer des échanges lors des visites des lieux de travail mais ça n’est pas simple. Et puis, que doit-on enregistrer ? On peut bien entendu écrire, des dialogues reproduisant des interactions entendues ou imaginées mais, outre les questions techniques, de temps notamment, se pose le problème de l’authenticité des documents. Je crois que les activités de compréhension orale sont souvent négligées faute de supports sonores efficaces et adaptés et c’est vraiment dommage car la réception orale mériterait d’être travaillée au même titre que le reste.
21La découverte des documents de l’entreprise permet aussi d’entrer dans l’univers singulier de l’entreprise, de commencer à comprendre ses codes, sa culture, son fonctionnement. Je ne suis pas spécialiste du BTP, de la restauration collective et ça n’est pas ce que l’on me demande. Pourtant je dois vite comprendre l’entreprise pour laquelle je forme des salariés, Je me rends compte quelques fois que l’entreprise a développé des stratégies pour éviter les problèmes liés à la non maîtrise, ou imparfaite, de la langue. Elle développe par exemple des codes de couleur pour les consignes, les équipes sont constituées d’employés de même langue maternelle, une secrétaire bienveillante remplit les formulaires ou autres papiers administratifs... La formation peut aussi changer des choses à ces pratiques.
22Utiliser des documents de l’entreprise, construire des parcours, des séquences pédagogiques... toutes ces activités de préparation réclament beaucoup d’énergie. Comme en FOS, si on veut adapter la démarche aux spécificités de la situation, « cette perspective modifie largement le rôle de l’enseignant, qui devient alors concepteur d’un matériel pédagogique nouveau » (Mangiante et Parpette, 2004). On se demande alors comment ne pas tout recommencer à chaque fois ? La mutualisation semble être une bonne alternative. Chaque professeur crée des activités, invente des scénarios pédagogiques à mettre en œuvre dans sa classe et le fait de les mettre dans le « pot commun », d’avoir accès aux préparations des autres fait gagner du temps. Pourtant on est aussi auteur de ces fiches, de ces activités et la mutualisation implique que l’on cède son droit de propriété... Par ailleurs, tout n’est pas si simple puisque le principe est de s’adapter aux spécificités de l’entreprise, du groupe, des individus... on ne peut faire du « copié collé » de la fiche pédagogique du collègue.
2. Comment apprend-on à l’âge adulte ?
23Dans un cours de FLP on peut avoir des apprenants de profils très différents : pour certains le français est une langue étrangère, pour d’autres c’est une langue seconde, pour d’autres encore c’est la langue maternelle. Ils peuvent exercer le même métier mais avoir des besoins différents en fonction de leurs aptitudes à communiquer en français, à l’oral ou à l’écrit. Leurs aptitudes à communiquer dépendront aussi de leur parcours antérieur, dans l’apprentissage de la langue et dans l’apprentissage scolaire tout simplement. Quand on est face à un apprenant qui a l’habitude d’apprendre, qui est à l’aise avec la posture d’apprenant, qui maîtrise les codes de la classe, les choses sont plus faciles pour le professeur. Dans le cas contraire on doit se poser la question du comment on apprend à l’âge adulte. Il y a la question de l’écrit bien entendu mais pas seulement. Le professeur qui lui a été scolarisé doit déconstruire ses représentations. La lecture des écrits d’Adami m’a été très utile pour trouver des solutions. J’ai bien compris qu’il fallait comme en FLE partir du sens et aller vers les formes. J’en ai déduit que la démarche était la même, que l’on ne fait pas conceptualiser sur les mêmes formes, que les corpus observables ne sont pas forcément les mêmes mais que finalement le lien avec le réel, avec le quotidien du stagiaire et le sens sont le centre.
24On se heurte souvent aux représentations des apprenants sur l’apprentissage. Bizarrement ceux qui n’ont pas appris à lire et à écrire pendant l’enfance disent souvent savoir comment on fait pour apprendre : ils ont très fréquemment pour modèle l’apprentissage syllabique avec des supports hors contexte pas du tout une approche communicative, encore moins actionnelle. J’ai rencontré de nombreux stagiaires qui pensaient que lire signifiait déchiffrer. Convaincue du contraire, que lire ça n’est pas juste cela, notamment parce que je fais confiance aux universitaires qui ont écrit sur le sujet, à Adami notamment qui m’a énormément apporté, mais aussi parce que j’ai toujours pensé que lire c’est utile qu’on ne commence pas à l’âge adulte à lire pour lire mais parce que cela a une utilité sociale. Je m’efforce de leur démontrer qu’il y a une autre façon d’apprendre, une autre façon d’entrer dans l’écrit. J’avoue que ça n’est pas toujours aisé de convaincre les autres quand on est soi-même un peu hésitant non pas sur le principe mais plutôt sur la mise en œuvre, sur le comment faire pour y arriver, pour faire progresser chacun, à son rythme mais suffisamment rapidement aussi pour que l’intérêt porté à l’apprentissage reste présent, pour que la motivation soit là. Alors il faut montrer, démontrer les progrès réalisés, les faire mesurer, par le groupe, par l’apprenant lui-même.
25Une des solutions qui participe à faire adhérer les apprenants à ma démarche est d’en parler explicitement, de leur donner la parole, qu’ils puissent dire ce qu’ils pensent des cours pour pouvoir aussi à mon tour expliquer les choix faits. Par exemple, les stagiaires veulent souvent faire des dictées. Cet exercice a un côté rassurant pour eux. Je ne refuse pas systématiquement même si ce n’est pas un exercice auquel je pense de moi-même. La dictée de mot peut être un moyen de vérifier la mémorisation de l’orthographe. On peut profiter de cet exercice pour échanger sur la manière de mémoriser l’écriture d’un mot : « Et vous vous faites comment ? – Je compte le nombre de syllabes, le nombre de voyelles, le nombre de lettres, je sais comment ça commence et comment ça finit, je recopie le mot plein de fois, je le recopie avec des lettres en moins et je dois compléter... ». Chacun peut parler de ses stratégies, écouter celles des autres. Cet échange permet aussi de faire réaliser qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’apprendre, que chacun peut y arriver avec sa « technique » et que celle-ci n’est pas forcément adaptée aux autres. La dictée peut aussi être détournée ou retrouver sa fonction, proche de ce que l’on peut vivre hors du cours : prendre sous la dictée un numéro de téléphone, noter l’adresse d’un chantier sur lequel on doit se rendre. Les stagiaires adhèrent vite à ce genre d’activités car ils en voient tout de suite l’intérêt et comme ils disent souvent : « Si ça peut éviter d’aller passer le dimanche à chercher le chantier pour être à l’heure le lundi... »
26Je parlais plus haut de mes hésitations quant à la mise en œuvre. Elles sont renforcées par les publications, cahiers d’exercice ou autres outils « prêts à l’emploi » qui existent sur le marché de l’édition. Beaucoup proposent des activités que l’on croirait sorties de mon CP... Et de fait, quand on est dans l’urgence, dans le doute, on a tendance à aller vers ces exercices peu adaptés.
27Les représentations des apprenants sont aussi sur la place du « maître », sur celle de « l’élève » : certains pensent qu’il suffit d’être là, présent pour que ça marche, que l’apprentissage se fasse. Cette attitude passive face à l’apprentissage ne fonctionne pas, inutile de le rappeler ici sans doute. C’est pourquoi il est important aussi de parler explicitement en cours du rôle de chacun : le rôle du formateur, le rôle du stagiaire. Échanger sur les responsabilités de chacun, ce que le professeur peut faire et ce que l’apprenant doit prendre en charge. Je n’hésite pas à valoriser un stagiaire qui progresse et à lui demander comment il a fait, quel a été le déclic. Souvent il dit ce qu’il a compris en classe mais il explique aussi quel prolongement il a trouvé dans sa vie, dans son travail. Si un stagiaire du groupe est convaincu, s’il adhère à la démarche ça fonctionne bien et s’appuyer sur son témoignage participe à convaincre les autres qui sont admiratifs devant ses progrès.
28J’évoquais plus haut la place donnée au traitement de l’erreur dans l’adaptation du programme. Faire réfléchir sur les erreurs et dire qu’elles sont intéressantes va aussi à l’encontre des représentations des apprenants. A priori, quelqu’un qui apprend n’a pas envie de se tromper. Or, le fait même de les mettre au cœur du dispositif change aussi la perception que l’on a des erreurs, que l’apprenant en a : « Quelles sont les plus importantes dans la situation ? Qu’est-ce que je dois modifier ou faire évoluer en priorité par rapport aux objectifs fixés, par rapport à ma communication au travail ? ». Par exemple, quand un stagiaire arrive à lire et à comprendre un message écrit par un collègue même si l’orthographe est approximative le groupe valide l’écrit, je propose une nouvelle conceptualisation sur des formes erronées mais l’écrit est validé parce que le l’objectif de passer une information à un collègue est atteint. En revanche, j’attire leur attention sur l’importance de corriger certaines erreurs dans des écrits plus formels, je leur explique que l’effet produit par les erreurs dans ce type d’écrit ne sera pas le même et peut gêner la communication.
29Je crois que l’on doit clairement dire aux apprenants que c’est bien aussi de se tromper, que cela fait partie du processus d’apprentissage (Stirman-Langlois, 1995), que l’on avance avec ses erreurs. Par exemple, dans un exercice, beaucoup écrivent au crayon pour pouvoir gommer et ne garder que la réponse correcte. Je leur dis que c’est bien de garder une trace de l’erreur pour notamment la repérer, la comprendre et pour plus tard se rendre compte des progrès réalisés. Je me souviens d’un chef d’équipe que j’avais en cours particulier avec lequel on travaillait l’animation d’une réunion hebdomadaire sur le thème de la sécurité. Il n’aimait pas se tromper et quand, après l’avoir écouté parler en continu, lors d’une simulation d’animation de réunion par exemple, je revenais sur les points positifs puis sur ceux à améliorer, il s’excusait toujours de ses erreurs. Puis, à force d’en parler, de lui dire que ça faisait partie de l’apprentissage, un jour il a dit en se corrigeant, de lui-même : « Ça va finir par rentrer, j’ai la tête dure, mais je ne veux plus la faire cette erreur, je sais Emmanuelle que c’est comme ça que j’avance mais là celle-là c’est fini, je ne veux plus... ».
30La question du traitement de l’erreur amène celle de l’évaluation formative : comment mesure-t-on la progression pendant les cours ? Quelles activités pour évaluer ? Là encore je pense que l’évaluation doit être présente et partagée. Il est intéressant de proposer régulièrement des activités d’autoévaluation, d’inter évaluation, de leur faire prendre l’habitude de porter un jugement critique et constructif sur leurs productions.
31Toutes ces activités sont pensées en amont du cours, quelques fois on adapte aussi sa préparation pendant la classe, on pense à quelque chose de nouveau, qui pourrait aider, là au moment de le faire... Pendant la classe, je suis à la fois actrice et observatrice de ce que je mets en place. Pour avancer, pour valider ou revenir sur des choix, je dois analyser ce qu’il se passe, comment ça se passe. La réflexion sur l’observation de classe, énorme chantier, me semble indispensable pour essayer de mieux comprendre ces processus d’enseignement apprentissage en FLP.
3. Qu’est-ce qui change dans la mise en œuvre du cours de FLP en classe ?
32La classe de FLE, la classe de FLP : quelles différences noter ? Il y a des similitudes : un groupe, un professeur, un espace qui évolue, diverses modalités de travail, des directions d’échanges variées... pourtant la « mise en musique » est différente.
33Des réflexes du cours de FLE ne sont pas toujours adaptés à un cours de FLP : la grande variante est l’hétérogénéité. Le groupe n’est pas formé de la même manière : en FLE le groupe est fait à partir d’un test de positionnement basé sur le CECR. Là il se fait en amont du cours. En FLP, l’entrée étant souvent par métier, il n’est pas souhaitable ni possible de former les groupes selon leur niveau en langue. L’évaluation du niveau des stagiaires peut bien attendre les premières heures de formation puisque ce sont les objectifs liés à la situation de travail qui aura permis de former un groupe. Parfois, le seul point commun entre les stagiaires est d’avoir été identifiés par leur entreprise pour suivre une formation linguistique, à la même heure, et ce sont ces paramètres qui définissent le groupe...
34Une des difficultés rencontrée par un professeur est d’apprendre à gérer cette hétérogénéité. Alors, on part de ce qui les regroupe, leur métier, leur entreprise, le groupe de formation, le fait d’être là pour apprendre ensemble, c’est une donnée qu’il faut aussi exploiter, une sorte de pacte entre le groupe, les individus du groupe et le professeur : « Ensemble avec nos compétences différentes et sûrement complémentaires, on va progresser ». Je pense que le professeur doit passer du temps à démontrer que c’est ensemble qu’on y arrive, que, par exemple, d’avoir à expliquer des consignes à son voisin ça permet aussi d’avancer. Je suis convaincue qu’une classe hétérogène présente des aspects positifs. Pourtant, dans la pratique ça n’est pas toujours évident à gérer, notamment pour un professeur de FLE qui a l’habitude d’avoir face à lui un groupe formé, positionné à un niveau de l’échelle du CECR, parce qu’un test de positionnement a été réalisé en amont de la formation. Alors ce professeur, qui enseigne aussi le FLP se pose des questions sur comment faire pour que le cours soit bénéfique à tous, que chacun y trouve son compte. Comment faire pour qu’il y ait des moments communs, en grand groupe, qui font que le groupe est groupe ? À quel moment faire travailler les stagiaires par sous-groupe ? Pour quoi faire ? Quelles activités ?
35Par ces questions commence le travail sur l’observation de classe, je m’interroge alors sur les différents paramètres observables dans le déroulé du cours, dans la mise en œuvre de ce qui a été pensé et préparé. Ma collègue Monique Waendendries3 qui travaille depuis de longues années sur l’observation de classe m’a initié à cette discipline lorsque j’étais professeur à Casablanca et elle continue à nous guider, mes collègues formateurs et moi, dans ce travail notamment dans la formation de nouveaux professeurs.
36La phase de compréhension d’un support, oral ou écrit, peut se faire en grand groupe. En effet, nous sommes souvent amenés à comprendre des documents de l’entreprise ou des interactions liées aux besoins des stagiaires. Quelle que soit la complexité du document proposé, l’étape de compréhension globale, l’identification des paramètres de communication, peut se faire en grand groupe. Ensuite lorsque l’on affine puis finalise la compréhension, les tâches proposées peuvent être différentes en fonction des niveaux et des objectifs visés. A ce moment-là les sous-groupes sont formés par niveau. A d’autres moments, pour une activité de production orale par exemple, il peut être intéressant de former des sous-groupes regroupant des apprenants pas ou peu lecteurs avec des lecteurs : ces derniers peuvent aider à lire la consigne par exemple...
37Dans un cours de FLE, lors de la formation des sous-groupes, ce ne sont pas les mêmes questions qui se posent, on peut essayer de varier la composition des groupes, que les apprenants ne travaillent pas toujours avec les mêmes, ici en FLP c’est la même chose mais on croise aussi d’autres critères, dont celui du rapport à l’écrit.
38Le travail en sous-groupes est aussi intéressant pour travailler le « apprendre à apprendre ». On peut proposer des tâches différentes axées sur le comment apprendre : un groupe travaille sur le classement de documents, un autre sur le repérage d’informations principales, un autre sur la mémorisation... Le travail en sous-groupe qui permet aussi de multiplier le temps de parole des apprenants est aussi un bon moyen pour donner des pistes vers l’autonomie : des problèmes rencontrés peuvent être résolus sans forcément faire appel au professeur qui peut se mettre en retrait et laisser faire ce qu’il a mis en place. Les apprenants sont tous sollicités et ne peuvent rester passifs, en retrait puisque chacun compte sur ses « partenaires » de groupe pour accomplir la tâche commune.
39Un autre paramètre du cours peut être sensiblement différent dans un cours de FLP. Il s’agit de l’utilisation des outils matériels, ceux utilisés par le professeur mais aussi ceux des apprenants. Les outils cognitifs par conséquent ne seront pas forcément les mêmes non plus. Dans une classe d’étudiants ou de stagiaires habitués à vivre une situation d’apprentissage, scolarisés pendant leur enfance et adolescence, lorsqu’il y a par exemple une question de vocabulaire, un mot nouveau qui apparaît, le professeur peut le noter au tableau. Cette action est assez banale. Alors que, si dans le groupe classe, des apprenants sont peu lecteurs, ne sont pas habitués aux rituels de l’apprentissage, à l’utilisation du tableau comme lieu d’ancrage, ce mot noté peut compliquer, alors même qu’il avait été écrit pour clarifier. Alors que noter ? À quel moment ? Où ? Comment ? Je n’ai pas encore de réponses à toutes ces interrogations.
40De même, si l’on se pose la question de la prise de note des apprenants, le degré d’autonomie et d’efficacité varie d’un stagiaire à l’autre dans un groupe de FLP. Le professeur doit mettre en place des activités, réserver du temps pour l’organisation du cahier, la mise en page des notes, des éléments copiés, intervenir aussi dans le choix des couleurs. J’explique par exemple que si j’utilise des couleurs au tableau c’est pour les aider à comprendre, à apprendre et que ce serait bien de reproduire ces codes de couleur, ces soulignés, encadrés, tableaux ou autres outils cognitifs. De la même manière il est utile de leur faire comprendre que le travail continue en dehors du cours : j’essaie de les convaincre que l’utilisation du cahier n’est pas juste pour réaliser l’activité, l’exercice, la tâche proposée le jour même mais que c’est utile de bien organiser, que l’ordre des pages suit la chronologie pour pouvoir y revenir, retrouver facilement les informations. Le cahier est la mémoire du cours, il laisse des traces du cheminement de l’apprentissage, en laissant apparaître les erreurs, les commentaires du professeur, les corpus qui aident à comprendre, à avancer...
41Il y a la question du temps aussi : je me rends compte encore aujourd’hui, malgré mes quelques années d’expérience, que je prévois toujours trop d’activités pour le cours, que sur le papier, au moment de la préparation, je suis trop ambitieuse et que la réalité de la classe est tout autre. L’explication de la consigne, sa vérification prend du temps. La mise en route et la réalisation de l’activité aussi... bref le cours de FLP enseigne la patience et si l’on retrouve le principe de l’apprentissage en spirale, celle-ci se déroule plus lentement, le tempo n’est plus le même. Le travail explicite, ou du moins plus prononcé, sur l’aspect cognitif de l’apprentissage, l’appel au vécu professionnel régulier et les échanges sur la relation cours/travail prend aussi du temps, mais cela est nécessaire et c’est au professeur de s’adapter.
42Pendant le cours, au cœur de l’action, on se rend compte, on fait l’expérience des changements dans ces paramètres mais le filmage de classe permet de s’arrêter pour mieux les observer, de se poser les questions différemment avec plus de recul et d’essayer de trouver des réponses.
43Face à ces nombreuses questions le travail d’équipe est fondamental. Là encore moins qu’ailleurs on ne peut avancer seul. Les lectures des publications des chercheurs m’aident à trouver des pistes, des solutions aux problèmes quotidiens de la classe. L’accompagnement de Mariela de Ferrari a été formatif au début, lorsque j’ai commencé ces nouveaux types de cours. Il continue à être très utile, primordial puisqu’il permet de ne pas se contenter de petites solutions trouvées ça et là mais de pousser la réflexion toujours plus loin. Il m’oblige aussi à me remettre en question, à me défaire de mes représentations après en avoir pris conscience.
44Pour ce qui est de savoir comment faire en classe : on expérimente, on tâtonne, on s’interroge, encore et toujours... L’observation et l’analyse nous font avancer, mes stagiaires et moi. Cela fait aussi partie de notre métier, ne pas se contenter de faire ce que l’on comprend et maîtrise complètement mais d’accepter aussi ses doutes, ses remises en questions qui sont constructives et nous montrent que l’on progresse aussi nous, professeur, grâce à nos erreurs.
Notes de bas de page
1 Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations.
2 Comité de Liaison pour la Promotion des migrants et des publics en difficulté d’insertion.
3 Waendendries, « Le guidage du dialogue en classe de langue », Les Carnets du Cediscor [en ligne], 4 | 1996, mis en ligne le 26 août 2009, URL : http://cediscor.revues.org/429 ; Profession : maître-accoucheur, Actes du colloque ANEFLE (Toulon, 1994), Didactique au quotidien, FDLM Recherches et applications, juillet 1995.
Auteur
Alliance française de Paris
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