Des politiques publiques de formation en français
p. 13-18
Texte intégral
1Tout d’abord, il y a lieu de considérer le sujet d’aujourd’hui, l’apprentissage du français pour l’intégration, comme une partie d’un tout que constituent les dispositifs publics d’apprentissage du français pour les adultes.
2Un premier constat est que la maîtrise du français, notamment à l’écrit, occupe une place prépondérante dans les politiques publiques de formation pour les adultes. Si l’on choisit de considérer les dispositifs, qui forment une architecture complexe, il convenait de distinguer jusqu’à peu dans ce domaine d’une part la lutte contre l’illettrisme et les savoirs fondamentaux ou savoirs de base (formation de base) pour des publics peu scolarisés et peu qualifiés, d’autre part l’apprentissage du français comme langue étrangère pour les personnes non francophones n’ayant pas été scolarisées en langue française. Un second constat est que les dispositifs sont évolutifs. Deux exemples illustrent ce constat pour la période récente :
les formations aux compétences clés viennent se substituer partiellement aux formations aux savoirs fondamentaux ;
le niveau de langue ciblé pour les personnes bénéficiaires des formations de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) est relevé.
3Cet article a pour objet l’examen des politiques publiques, la question posée étant de quelle manière elles répondent aux besoins de maîtrise de la langue française. Après un bref aperçu sur les différents dispositifs que nous venons d’évoquer, nous proposerons quelques éléments de compréhension sur la question de l’intégration linguistique des migrants adultes en France. Nous nous limiterons ici volontairement à l’intervention de l’État en laissant de côté, faute de temps, les collectivités territoriales (les régions pour l’insertion professionnelle des jeunes de 16 à 25 ans et les départements pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active en particulier, de même que les Plans Locaux Pluriannuels pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE) soutenus par le Fonds Social Européen). S’agissant de l’intervention de l’État, nous présenterons le cadre légal en 2009, quelques tendances à l’œuvre au cours des dernières années dans la mise en place du dispositif d’apprentissage, le nouveau dispositif en 2010 pour finir. L’exposé débouchera sur les perspectives ouvertes par les travaux du Conseil de l’Europe, une manière de rappeler la dimension européenne de notre sujet.
1. La maîtrise de la langue comme enjeu des dispositifs de formation publics
1.1. Les financements publics
4Considérons dans un premier temps les financements publics relatifs aux savoirs fondamentaux et à la lutte contre l’illettrisme. Comme on peut lire dans l’édition 2009 du Rapport au parlement sur l’emploi de la langue française1(p. 81), les crédits de l’État consacrés à la lutte contre l’illettrisme s’élevaient en 2007 à 24,3 millions d’euros, dont 7,3 millions au titre du Fonds Social Européen (FSE). Les ateliers de pédagogie personnalisée (APP), qui forment aux savoirs fondamentaux dans les domaines de la culture et des apprentissages technologiques, disposaient en 2006 d’un budget total de 84 millions d’euros. Le budget des APP enfin se répartissait en 2007 entre les financeurs suivants : ministère chargé de l’emploi 33,8 %, FSE 17,3 %, conseils régionaux 23 %, conseils généraux 4 %, communes et intercommunalités 2,5 %, ASSEDIC 0,5 %, employeurs (FAF/OPCA FONGECIF) 9,3 %, particuliers 2,1 %, autres 7 %.
5Par ailleurs, les dépenses de fonctionnement des conseils régionaux (hors Guyane, PACA et Languedoc-Roussillon) relatives à la maîtrise des savoirs fondamentaux et à la lutte contre l’illettrisme s’élevaient en 2007 à 9,9 millions d’euros.
6Ces quelques chiffres, pour incomplets qu’ils soient, font apparaître la diversité des organismes financeurs : État, collectivités territoriales, employeurs... qui est la preuve d’une préoccupation de la part des pouvoirs publics.
7Cette préoccupation vaut également pour l’administration pénitentiaire qui conduit auprès de la population carcérale des actions de repérage de l’illettrisme, de formation, d’accès à des bibliothèques et à des activités d’écriture enfin.
1.2. La formation des salariés
8Du côté des employeurs, on constate une prise en compte de la maîtrise de la langue, qu’il s’agisse de la fonction publique territoriale ou des entreprises cherchant à recruter pour des emplois dits à bas niveaux de qualification. Ainsi la loi du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale fait figurer les actions de lutte contre l’illettrisme et pour l’apprentissage de la langue française parmi les actions éligibles à la formation de ses agents. Dans les secteurs qui recrutent des salariés faiblement qualifiés, les petites et moyennes entreprises bénéficient dans la période récente d’accords de branche permettant des actions de formation dans le domaine des savoirs fondamentaux, souvent en lien avec les tâches professionnelles. C’est notamment le cas de la branche de la propreté, de l’artisanat du bâtiment et du BTP. Les grandes entreprises, quant à elles, ont parfois un service interne de formation, comme c’est le cas pour le spécialiste de restauration collective Avenance Enseignement et Santé. Enfin, une multinationale comme Veolia environnement propose à ses exploitations en France une démarche de formation aux savoirs fondamentaux et prévoit de la décliner sous un format approprié à l’international (Rapport au parlement sur l’emploi de la langue française, 2009, p. 82-83).
9En ce qui concerne la formation professionnelle continue, la circulaire du 3 janvier 2008 de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (ministère chargé de l’emploi) a pris en compte la recommandation 2006/962/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie2. 11 en résulte que les dispositifs de l’État relatifs à la lutte contre l’illettrisme et au soutien aux ateliers de pédagogie personnalisée ont été remplacés par le Programme Compétences clés. Ce programme s’appuie sur les cinq premières compétences clés énumérées et décrites par la recommandation européenne du 18 décembre 2006, dont la première est la communication en langue française.
10Les actions spécifiques de formation aux compétences clés qui en découlent représentent plus de 40 millions d’euros par an et ciblent les personnes ayant un faible niveau de qualification, les demandeurs d’emploi étant concernés au premier chef.
2. L’apprentissage du français pour les migrants adultes
2.1. Le cadre légal en 2009
11Nous savons qu’un certain niveau de maîtrise de la langue française est exigé par la loi et que l’intégration est envisagée comme un parcours comprenant différentes étapes, lesquelles sont au nombre de quatre (on se reportera à l’édition 2009 du Rapport au parlement sur l’emploi de la langue française, p. 88).
12À l’étranger, une évaluation du degré de connaissance de la langue française et, si besoin, une formation linguistique gratuite de 40 heures minimum sont réalisées pour les étrangers membres de famille sollicitant un visa (loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile). Le niveau visé est celui du DILF (Diplôme Initial de Langue Française délivré par l’éducation nationale) qui valide les premiers apprentissages en français oral et écrit.
13À l’arrivée en France, le Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI) est signé par les étrangers extra-communautaires âgés de 16 ans et plus qui sont orientés, en cas de besoin, vers une formation au français (loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration et décret d’application du 23 décembre 2006 relatif au CAI). Entièrement gratuite pour le bénéficiaire et d’une durée maximale de 400 heures, cette formation vise l’obtention du DILF. Près de 80 % des signataires obtiennent l’attestation ministérielle de dispense de formation linguistique (AMDFL) et sont donc dispensés de formation.
14Après une durée de résidence en France de cinq ans, la délivrance d’une première carte de résident est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de sa connaissance jugée suffisante de la langue française. Comme cela est prévu par le CAI, la réussite au DILF ou l’obtention de l’AMDFL sont les critères de l’intégration réussie dans la société, notamment au regard de la connaissance de la langue française (loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité).
15La dernière étape du parcours d’intégration étant l’acquisition de la nationalité française, les « conditions d’assimilation à la communauté française » sont actuellement appréciées par le Code civil au regard d’une « connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ».
2. 2. Un nouvel opérateur : l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII)
16Créé en 2007, le nouveau ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire a poursuivi la politique relative à l’apprentissage de la langue française mise en place par le gouvernement dès 2002. Il s’est appuyé pour cela sur deux établissements publics administratifs, l’Agence Nationale de l’Accueil des Étrangers et des Migrations (ANAEM) et l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Égalité des Chances (ACSE).
17Avec la création, en mars 2009, sur la base de l’ANAEM, de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), le dispositif d’apprentissage du français a été confié à ce nouvel opérateur en matière d’immigration et d’intégration qui met en œuvre le contrat d’accueil et d’intégration et organise la préparation du parcours d’intégration à l’étranger.
2. 3. Les grandes tendances à l’œuvre
18Parmi les tendances observables on relèvera ici l’introduction du code des marchés publics dans la procédure de sélection des organismes de formation, l’émergence d’une démarche qualité, une prise en compte des profils des apprenants enfin qui va de pair avec l’élévation du niveau de langue ciblé par les formations.
19Comme cela a été observé à maintes reprises, l’introduction du code des marchés publics dans la procédure de sélection des organismes de formation a eu pour effet de transformer le secteur traditionnel de la formation pour les publics migrants adultes. Ce secteur, qui reposait jusqu’à peu sur des associations à but non lucratif, lesquelles concevaient leur activité comme un engagement social, a dû faire face à la mise en concurrence des organismes de formation. Pour autant, la marchandisation de ce secteur de la formation ne constitue pas une tendance intrinsèque mais concerne bien de la même manière les autres dispositifs de formation évoqués plus haut. En 2010, ce qu’il est convenu d’appeler le « marché de la formation linguistique » mis en place par l’OFII, est ainsi divisé en 99 lots, chaque lot correspondant à un département, à l’exception du département de la Réunion. Il s’agit donc d’un marché national pour lequel le cahier des charges stipule que les prestations des organismes de formation sont soumises à une évaluation ; on relève également que « la qualité des prestations sera appréciée au regard du taux d’entrée en formation des publics CAI, du taux de passation du DILF ou du DELF A1 de ces publics, et du taux de réussite aux examens ».
20Sur le plan des objectifs de formation, l’année 2010 marque l’introduction de parcours de formation diversifiés. Si le niveau A1.1 sanctionné par le DILF reste le niveau exigé dans le cadre du CAI, il est désormais possible de poursuivre l’apprentissage du français au-delà de ce premier niveau de base. Ce sont en tout quatre parcours qui doivent être proposés aux termes du marché de l’OFII pour l’année 2010 :
un parcours conduisant au DILF pour les publics non ou peu scolarisés ;
un parcours conduisant directement au DELF Al pour les publics scolarisés dans leur langue maternelle ;
un parcours conduisant du DILF au DELF A1 pour les publics non ou peu scolarisés, de niveau initial A1.1.
21Ces trois types de parcours seront proposés aussi bien dans le cadre du CAI que des formations dites « hors CAI ». Un quatrième type de parcours, conduisant au A2, sera proposé uniquement dans le cadre des formations « hors CAI ». Il s’adressera aux personnes ayant acquis le niveau Al au cours des formations précitées ou possédant ce niveau initial.
2. 4. La formation linguistique pour les migrants, un segment de la formation d’adultes
22Ces quelques éléments de compréhension ayant été fournis, il est maintenant permis d’esquisser à grands traits ce sur quoi l’action publique devrait s’intéresser afin de poursuivre la construction de ce segment particulier de la formation d’adultes que représente l’apprentissage de la langue aux fins de l’intégration. Les travaux que le Conseil de l’Europe (www.coe.int/lang) a consacrés à ce sujet au cours des dernières années, précisément en raison de son actualité politique, constituent une base de réflexion. On se reportera ici au compte rendu du séminaire intergouvernemental de juin 2008 sur « l’intégration linguistique des migrants adultes », et plus encore à celui qui fera suite au séminaire du même nom de juin 2010.
23L’examen des questions suivantes, telles qu’elles sont posées dans le cadre de ces travaux, s’avère non seulement utile mais aussi nécessaire :
Comment adapter l’offre de formation aux besoins des personnes en fonction de leurs caractéristiques (degré de scolarisation, proximité ou éloignement de la langue d’origine, situation personnelle et professionnelle) ?
Comment répondre aux besoins linguistiques préalablement analysés afin de définir un parcours d’apprentissage de la langue (situations de communication, niveaux de maîtrise de la langue) ?
De quelle manière prendre en compte la dimension interculturelle sous-jacente aux apprentissages ?
Comment évaluer les acquis ? Faut-il recourir à une certification ou au portfolio européen des langues ?
24Enfin, quelle démarche qualité mettre en place dans la conception et la mise en œuvre de ces formations ?
25A ces questions concernant l’ingénierie de formation et pédagogique, il convient d’ajouter un volet sur les formateurs : formation de formateurs et mise à disposition des ressources s’avèrent une urgence.
Notes de bas de page
1 www.culture.gouv.fr/culture/dglf/, rubrique publications.
2 Les 8 compétences clés sont : la communication en langue maternelle, la communication en langues étrangères, la compétence mathématique et les compétences de base pour les sciences et les technologies, la compétence numérique, apprendre à apprendre, les compétences sociales et civiques, l’esprit d’initiative et d’entreprise, la sensibilité et l’expression culturelles.
Auteur
Ministère de la Culture et de la Communication, DGLFLF
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