Les adjectifs de repérage temporel : un troisième type ou un troisième emploi ?1
p. 179-199
Texte intégral
1. Introduction : vers un troisième type d’adjectif ?
1Pendant quelques décennies – grosso modo depuis l’article fondateur de Kalik (1967) et jusqu’à la publication de L’adjectif sans qualités (Schnedecker, 2002) – la recherche concernant l’adjectif est restée centrée autour de deux types fondamentaux : l’adjectif qualificatif et l’adjectif de relation (ou pseudo-adjectif, pour certains auteurs2), ce dernier ayant comme caractéristique essentielle le refus de la fonction attribut3, c’est-à-dire, un comportement strictement épithète. L’adjectif présidentiel peut être considéré comme un représentant typique de cette catégorie4. Personne n’ignorait cependant qu’un nombre important d’adjectifs peut avoir le même comportement strictement épithète, avec des valeurs sémantiques différentes de celle de l’adjectif de relation stricto sensu :
(1) Chanteur peut être un adjectif dans oiseau chanteur. C’est un adjectif strictement épithète.
(2) Le canard sauvage ne donnera pas Le canard (dont je parle) est sauvage. On dira : C’est un canard sauvage. (Berlan, 1981 : 13)
(3) La condition noire (des Noirs).
(4) Du vin blanc (il est en fait légèrement jaunâtre).
(5) Fichu temps, sacrée bagnole, brave Margot (...).
(6) Qu’est-ce qu’il a appris à l’école, cet idiot fini ? (Assima, F., Une femme à Alger, Arléa, 1995 : 114)5
(7) – Ah, j’ai perdu un bon kilo. Moi, en bon scientifique, je lui demande : – un bon kilo, c’est 1,1 kilo ou plutôt 1,5 ? (Google, le 14 octobre 2006)
(8) Sa boutique était une ancienne auberge. (Alain-Fournier)
2Certains auteurs6 considèrent que ces adjectifs sont eux aussi des adjectifs relationnels, au sens très large. Ils choisissent donc de négliger le caractère fondamentalement dénominal de cette catégorie qui met en relation deux substances (cf. note 3). D’autres envisagent cependant de créer une nouvelle catégorie d’adjectifs : ce sont les adjectifs sans qualités (Schnedecker, 2002), du troisième type (ibid.), ou encore non prédicatifs (Gross, 2005 ; Riegel, 2005), non-attributs (Marengo, 2007), le critère de base étant toujours leur refus de la fonction attribut. Le sémantisme de ce troisième type d’adjectifs, non prédicatifs comme les adjectifs relationnels, est très différent de ces derniers : on peut considérer les adjectifs des exemples (1) à (4) comme des adjectifs classifiants exclusivement épithètes ; la liste nous en paraît ouverte, quasiment illimitée7. Les exemples de (5) représentent, quant à eux, une classe des adjectifs que l’on pourrait qualifier d’affectifs8. Finalement, une troisième classe d’adjectifs du troisième type (exclusivement épithètes) regrouperait des adjectifs que l’on appelle parfois référentiels, c’est-à-dire qu’ils aident à « construire la référence » (Marengo, 2007 : 179). Ces derniers adjectifs refusent la fonction attribut parce que, contrairement aux adjectifs prédicatifs9, ils ne dénotent pas une propriété intrinsèque (grand, beau) ou transitoire (ivre) que l’on combine avec le sémantisme du nom tête sur le mode de la spécification (fonction épithète) ou de l’assignation (fonction attribut), mais modalisent plutôt la catégorisation référentielle du nom tête10. En d’autres termes, ils servent à interpréter le rapport occurrentiel entre le concept exprimé par le nom tête et son référent (ex. 06-08). Bolinger (1967) les a désignés comme des reference modifiers. Cette modalisation est souvent – mais non exclusivement – liée à l’antéposition de l’adjectif. Marengo et Léard (2005), puis Marengo (2007) proposent de distinguer entre adjectifs référentiels de quantité :
1. Quantification des entités : multiplicatifs (un double scotch) ; mesure (un grand kilo11 ; un nombre fou de livres, une faible dose, un plein wagon) ; ajout et restriction (un livre supplémentaire, un seul livre).
2. Quantification des propriétés (intensité)12 : un grand /tel /autre courage ; un gros con, un crétin monumental13, un parfait imbécile, un paresseux fini (cf. aussi ex. (7)) ; un grand mangeur, un grand voyageur ; un rhume carabiné ; l’autorité suprême, l’ultime trahison14, (voir aussi l’exemple (6))
3. Quantification des traits (conformité du référent à ses traits définitoires) : un vrai diamant, un musicien accompli, un grand politicien.
4. Quantification de l’assertion d’existence : un éventuel visiteur/un visiteur éventuel, un client potentiel.
5. Quantification du temps : un jeune marié, un conducteur occasionnel, une réunion annuelle15.
et adjectifs référentiels de repérage (cf. aussi ex. (8)) :
1. Repérage temporel : un ancien château, la défunte compagnie des Indes, le regretté Marion Brando.
2. Repérage dans un ensemble : mon frère aîné, cadet, mon bras gauche ; premier, deuxième, le chapitre précédent, suivant ; j’ai acheté le mauvais livre (vs. un mauvais livre [qualificatif])
3. Repérage indéfini : un certain Gaston a téléphoné, un adjectif donné, un livre quelconque
3Tout semble donc indiquer que l’on devrait distinguer trois types d’adjectifs (qualificatifs, relationnels, du troisième type) au lieu de deux. Dans cet article, nous nous attacherons cependant à montrer qu’il serait sans doute préférable de distinguer un troisième emploi de l’adjectif, très lié au contexte dans lequel il apparaît. Nous illustrerons notre propos avec les adjectifs dits « de repérage temporel » (Marengo et Léard, 2005 ; Marengo, 2007).
2. Un troisième type ou un autre emploi ?
4Si le classement des adjectifs du troisième type en classifiants, affectifs et référentiels permet incontestablement un traitement plus homogène des cas où l’adjectif est exclusivement épithète, la question se pose donc de savoir s’il s’agit d’un troisième type d’adjectif, ou plutôt d’un troisième type d’emploi adjectival. Si l’on distingue un « troisième type » d’adjectif, l’on aurait affaire à plusieurs lexies16 différentes, chacune « faisant l’objet d’un article complet dans le Dictionnaire explicatif et combinatoire » (Mel’čuk, cité par Marengo, 2007 : 16). Autrement dit, les adjectifs du troisième type seraient distincts des adjectifs qualificatifs et des adjectifs relationnels.
5Il existerait donc trois catégories différentes d’adjectifs, mais sont-ce des homonymes pour autant ? La terminologie même de Mel’čuk, adoptée par Marengo, indiquerait à première vue le contraire, étant donné que plusieurs lexies peuvent former un vocable : « Le vocable est un ensemble de lexies répondant aux deux critères suivants : elles partagent le même signifiant (lequel peut présenter des différences de flexion) ; chacune est reliée à au moins une autre par une composante sémantique commune » (Marengo, 2007 : 16, citant Mel’čuk et Polguère). « On dira qu’un vocable est monosémique s’il ne contient qu’une lexie, polysémique s’il en contient plusieurs » (Polguère cité par Marengo, 2007 : 16). La définition du vocable retenue ici est caractéristique de ce que l’on désigne par la notion de ressemblance de famille, étant donné que si chaque lexie est reliée à au moins une autre – mais pas à toutes – par une composante sémantique commune, cela implique que certaines pourraient n’avoir rien en commun les unes avec les autres. En d’autres mots, le « vocable » a des caractéristiques de la polysémie (lexies appartenant au vocable et ayant une composante sémantique commune) et de l’homonymie (lexies appartenant au vocable et n’ayant aucune composante sémantique commune) ; il constitue par conséquent une réponse peu satisfaisante, voire hybride, à la question de savoir si l’on a affaire à un adjectif ayant trois comportements, ou trois adjectifs différents17.
6Cette réflexion sur l’homonymie ou la polysémie adjectivale rejoint celle qui a été menée concernant l’ adjectif de relation ou pseudo-adjectif le fameux « deuxième type ». Bartning (1980) établit une relation d’homonymie entre populaire 1 (une démocratie populaire1, relationnel : « du peuple ») et populaire2 (une chanson populaire, qualificatif : « très aimée du peuple, de tous »). Leduc-Adine (1980) considère rouge et vert (dans l’armée rouge : l’armée des Rouges ; la politique verte : la politique des Verts) comme des pseudo-adjectifs de couleur. Finalement, Claudé (1981) estime que grand et furieux, dans grand fumeur et furieux menteur sont des adjectifs de relation18. L’on constate que pour les auteurs de ces travaux, l’adjectif de relation/ pseudo-adjectif inclut l’actuelle classe des adjectifs exclusivement épithètes/du troisième type. Or, comme nous l’avons indiqué dès le début de cet article, il nous semble plus judicieux de séparer l’adjectif de relation des autres adjectifs strictement épithètes (du troisième type) en fonction de la définition même de l’adjectif de relation : les adjectifs du troisième type ne peuvent être considérés comme des adjectifs de relation stricto sensu, c’est-à-dire un adjectif (dénominal) qui met en relation deux substances. Etant donné que tout adjectif dénominal est potentiellement un adjectif de relation19 et vu la régularité du passage entre les deux emplois, qualificatif et relationnel, il nous a paru préférable de considérer les adjectifs dénominaux en question comme polysémiques, en vertu précisément du principe que, dans leurs différents emplois, ils ont une composante sémantique commune20 (ainsi le populaire1 et le populaire2 de Bartning se partagent-ils les composantes [masse (nombreuse) + peuple]).
7Pour ce qui concerne le « troisième type », l’on peut également relever de nombreux glissements de sens de l’emploi qualificatif ou relationnel vers l’emploi affectif, classifiant ou référentiel et ceci en fonction du substantif support et de la place de l’adjectif par rapport à ce substantif : ainsi s’opposent pauvre fille (affectif) et fille pauvre (qualificatif) pour ce qui concerne les adjectifs affectifs. Le fait que tout adjectif peut revêtir une valeur nettement plus déterminative en postposition21 implique que les adjectifs classifiants adopteront majoritairement la structure substantif + adjectif22. Blinkenberg (1933 : 85) signale d’ailleurs qu’« il ne se trouve aucun adjectif qui ne puisse jamais avoir une valeur de détermination pure ». Tous les adjectifs sont donc potentiellement « classifiants ». En ce qui concerne les adjectifs dits « référentiels », la quantité apparaît préférentiellement avec des substantifs de quantité (un gros kilo ↔ un gros bonhomme)23, tandis que l’intensité apparaît surtout avec des noms de propriété intensifiables, (une grosse tristesse, un crétin monumental24). Il s’agit donc plus que probablement d’un effet de sens.
8Dans tous les cas, ce n’ est qu ’ avec un nombre relativement réduit de substantifs qu’un adjectif peut adopter un comportement « exclusivement épithète »25. En d’autres mots, tout adjectif est fondamentalement syncatégorématique dans la mesure où une partie de son sens dépend du porteur qu’il qualifie et de la façon dont s’opère cette qualification26 ; l’ (inter) locuteur fait un calcul interprétatif pour adapter son interprétation de la matière notionnelle de l’adjectif à la configuration notionnelle du support particulier. Notre hypothèse est donc qu’il y a plutôt trois types d’emploi de l’adjectif donnant lieu à des interprétations/emplois différents, plutôt que trois types d’adjectifs27. Nous avons donc affaire à une polysémie contextuelle plutôt qu’à trois adjectifs homonymes. Nous tenterons de justifier cette hypothèse dans la suite de cet article, sous-chapitres 3 et 4.
3. La question de l’adjectif du « troisième type » vue sous l’angle de la prototypie
9L’analyse des caractéristiques saillantes de l’adjectif nous a permis de construire une grille de critères qui en reflétait le prototype abstrait (Goes, 1999)28 Dans Goes (1999) également, nous étions arrivé à la conclusion que l’adjectif prototypique était susceptible de gradation dans toutes ses fonctions, qu’il se prêtait avec une certaine aisance au mouvement ANTEPOST29 et qu’il passait tout aussi allégrement en position attribut. L’analyse de nombreux exemples nous avait cependant conduit à prévoir dans la grille du prototype un certain nombre de comportements « exclusivement épithète » pour chaque adjectif. Cette constatation s’est faite en deux étapes.
10Tout d’abord, en partant de la fonction épithète comme fonction fondamentale de l’adjectif, l’on peut observer que :
11Dans le groupe de substantifs qu’il peut qualifier, chaque adjectif peut rencontrer :
Des substantifs par rapport auxquels il ne peut que s’antéposer ;
Des substantifs par rapport auxquels il peut faire un mouvement AS – SA avec variation de sens ;
Des substantifs par rapport auxquels il peut faire un mouvement AS – SA sans changement de sens (perceptible) ;
Des substantifs par rapport auxquels il ne peut que se postposer.
12La dimension des groupes 1-4 varie d’un adjectif à l’autre. Pour chaque adjectif, on peut donc faire un schéma :
(Goes, 1999 : 101)
adjectif [AS] | substantifs 1 | Ø |
adjectif [AS ↔ SA] | substantifs2 | adjectif [AS ↔ SA] |
adjectif [AS = SA] | substantifs3 | adjectif [AS = SA] |
Ø | substantifs4 | adjectif [SA] |
13L’on constate ensuite que le passage à la fonction attribut ne se fait de façon régulière que dans le cas de [AS = SA], tandis que pour les autres cas il existe des configurations où l’adjectif ne peut passer en fonction attribut sans perdre le sens particulier qu’il a adopté. La grille du prototype abstrait prend ainsi la forme suivante :
14Elle prévoit quelques zones d’emploi exclusivement antéposé [AS30], avec refus de la fonction attribut (lignes 1 -2), quelques cas d’opposition de sens entre antéposition et postposition avec un refus de la fonction attribut pour le sens en antéposition [AS] (lignes 3-4)31 et des cas d’emploi d’épithète postposée sans passage en fonction attribut (lignes 13-14). Ces zones « grises », définies assez intuitivement bien avant les premiers débats sur les « adjectifs du troisième type » correspondent globalement à ce type d’adjectifs : lignes (1-2) : un grand kilo, un méchant ordinateur (de piètre qualité)32, un ancien château vs un château ancien (3-4) ; une porte cochère, un charpentier grossier, une carte bleue (etc.) (13-14).
15Le prototype semble donc privilégier l’hypothèse de la polysémie, c’est-à-dire qu’un seul et même adjectif peut adopter à la fois un comportement d’adjectif qualificatif33 et un comportement exclusivement épithète34. Ceci renforce notre hypothèse que nous avons affaire à un troisième emploi possible de l’adjectif (polysémie) plutôt qu’à un troisième type d’adjectifs (homonymie). Dans la suite de cet article, nous illustrerons cette hypothèse avec une série d’adjectifs que Marengo (2007) a qualifiés d’adjectifs de repérage temporel.
4. Les types d’adjectifs de repérage temporel
16Parmi les adjectifs dits « référentiels » un certain nombre fournissent des indications temporelles : il en est ainsi pour un ancien château, l’actuel président, mon défunt collègue, un futur ministre, le regretté X, un vieil ami, un jeune marié, le train prochain. Or, comme l’indique la liste de Marengo et Marengo et Léard (ci-dessus), ils ne le font pas tous de la même façon. Nous essayerons donc d’établir une classification de ces adjectifs tout en continuant à nous demander s’il s’agit vraiment d’adjectifs « homonymes » des adjectifs qualificatifs ancien, actuel, vieux... Contrairement à l’hypothèse de « l’adjectif du troisième type » nous soutiendrons l’hypothèse d’un comportement syntactico-sémantique particulier des mêmes adjectifs, syncatégorématiques par définition comme nous l’avons vu35. Nous avons adopté le terme « adjectifs de repérage temporel36 » pour tous les adjectifs de la catégorie ; dans la plupart des cas (à l’exception de 4.4.), ils correspondent à ce que Bolinger (1967) a appelé des reference modifiers. Nous les subdiviserons d’après leur impact sur la référence et sur le substantif.
4.1. Les adjectifs de modalisation temporelle
(9) Rappelons que l’immense terrain où se retrouve ce commerce (ci-bas), jadis principalement occupé par les défuntes Galeries Sainte-Anne, a fait un jour... (quebecurbain.qc.ca, consulté le 14 mai 2009)
(10) Cette sélection traduite par le grand arabisant, le regretté Jacques Berque. (Monde diplomatique, octobre 1996 : 25)
(11) L’ancien château des comtes de Flandre a été transformé en usine au XIXe siècle.
(12) À votre droite vous voyez l’ancien château des comtes de Flandre.
(13) Sa boutique était une ancienne auberge. (Alain-Fournier)
(14) Mon grand père était ancien combattant, un ancien ministre, son ancienne petite amie...
(15) Le futur gouvernement du territoire sera multiethnique, (google)
(16) L’actuelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche est un futur ancien ministre, [exemple forgé – JG]37
17Le sémantisme de ces adjectifs (défunt, regretté, ancien, actuel, futur) ne se rapporte pas au nom tête comme le ferait un adjectif qualificatif : l’on ne peut dire que sa boutique est une auberge qui est ancienne (13). Le changement de sens en fonction attribut est moins radical pour regretté38 : l’on pourrait dire que le grand arabisant Jacques Berque est regretté (10) mais dans ce cas, le sème [défunt] s’atténue vers le regret d’une absence39.
18La paraphrase d’un grand nombre d’exemples est plutôt dénaturé adverbiale : sa boutique était anciennement une auberge (13), elle est actuellement ministre (16). Ces adjectifs ne spécifient pas leur nom tête, mais lui assignent un repérage temporel par rapport à un moment repère40, que l’on pourrait exprimer par les paraphrases : n ’est plus là/n’est plus la même chose [passé] vs est actuellement cela [présent] vs n ’est pas encore mais sera [futur]. Ils aident donc à construire la façon dont on aborde la notion exprimée par le nom tête dans le discours en lui assignant une période de validité (C’était une auberge, mais ça ne l’est plus ; il était un grand arabisant, mais il n ’est plus ; bientôt cette équipe sera un gouvernement). Le rapport de catégorisation/identification est limité à un laps de temps antérieur/contemporain/futur par rapport à la saisie discursive de ce référent. Riegel (2005) a adopté pour ce type d’adjectifs le terme de modalisateur de dénomination nominale (Mdn) :
L’adjectif Mdn est utilisé par le locuteur pour limiter la validité du rapport occurrentiel à une période révolue (ancien, ex-) ou non (vieil, jeune), concomitant (actuel, présent) ou à venir (futur) par rapport à un moment repère. (Riegel, 2005 : 120)
19Ils modalisent en effet le rapport de dénomination entre le reste du SN (galeries St Anne, château, auberge, combattant, ministre, gouvernement) et sa contrepartie référentielle. Ils indiquent en d’autres mots que le référent est une occurrence de galerie, château, gouvernement pour ce qui concerne un laps de temps révolu/présent ou futur41. Pour les opposer à d’autres types d’adjectifs modalisateurs de dénomination nominale (quantifiants par exemple, comme dans un bon kilo, mais aussi dans un jeune marié), l’on pourrait y ajouter que ce sont des « Mdn de repérage temporel »42.
20La modalisation porte sur le syntagme nominal déjà construit dans sa totalité hormis l’adjectif, ce qui implique qu’elle peut également porter sur l’un des compléments du nom : dire qu’un ancien château n’est plus un château est, dans certains cas, en effet un peu hâtif (exemples 17 vs 18) :
(17) L’ancien château des comtes de Flandre, transformée en usine au XIXe siècle.
Les photos du XIXe siècle montrent en effet un château qui n’en est plus un, mais une ruine totalement cachée par les logements dans lesquels vivaient des ouvriers et par les bâtiments d’une usine de textile. Actuellement, le château étant restauré à l’identique, lorsque le guide touristique vous annonce :
(18) « À votre gauche l’ancien château des comtes de Flandre »,
il déclare en fait que c’est bel et bien un château, mais que les comtes n ’y sont plus. Il crée ainsi une restriction temporelle pour ce qui concerne la relation entre les comtes et leur château.
21On peut probablement incorporer dans la même classe un emploi exclusivement épithète de l’adjectif éternel :
(19) L’éternelle pipe de Maigret,
en ce qu’il crée un rapport temporel co-extensif entre le personnage Maigret et sa pipe.
22Il n’est donc pas étonnant que dans ce fonctionnement particulier, ces adjectifs n’acceptent pas la gradation étant donné que l’on peut difficilement graduer l’assignation d’un repérage temporel ; ils ne se prêtent pas à la fonction attribut non plus car la prédication attributive implique que « la propriété assignée est une partie constitutive de l’entité qu’elle caractérise » (Riegel, 1985 : 64), elle ne saurait donc restreindre ses occurrences à l’un ou l’autre laps de temps.
23On peut cependant constater que le sens prototypique43 des adjectifs modalisateurs de repérage temporel reste sous-jacent et qu’il réapparaît dès que l’on effectue la moindre opération syntactico-sémantique. Ainsi, lorsqu’on ajoute très, le sens qualificatif tend à réapparaître : si Le très regretté Jacques Berque, n’est à la fois plus parmi nous et qu’on le regrette vivement, étant donné ses qualités d’arabisant et ses qualités humaines tout court, le très ancien château des comtes de Flandre, quant à lui, est simplement très ancien (voir cependant l’exemple 28). Postposés, ou en apposition, les adjectifs concernés revêtent un sens tout à fait standard :
(22) Du jour au lendemain, tout le monde s’est retrouvé avec toutes les chaînes de télévision françaises (à l’exception de France 3, très regrettée), y compris Canal Plus, bien vite décodé et redécodé grâce au système D. (MD, mars 1993 : 2)
24Le contexte micro-syntaxique du troisième emploi est donc extrêmement rigide. L’argument clé pour considérer qu’il s’agit d’un emploi de l’adjectif en contexte et non d’un type d’adjectifs est cependant constitué par le fait que le comportement syntatico-sémantique particulier de ce petit groupe d’adjectifs44 est lié à leur antéposition à un nombre limité de substantifs : des noms de relation (mari, voisin, petite amie), noms de fonction (ministre), noms d’objets qui peuvent avoir un rapport épisodique avec des êtres humains (le château des comtes) ou changer de fonction, toujours en rapport avec leurs « utilisateurs » (une ancienne auberge). En d’autres mots, une partie du sens potentiel de l’adjectif apport45 est activée par la combinaison avec son support ; le locuteur se livre à un calcul interprétatif en fonction de cette interaction entre l’adjectif et le substantif et du contexte micro-syntaxique.
4.2. Les adjectifs de repérage temporel par rapport à un ensemble
(23) Actuel, aîné, ancien, avant-dernier, cadet, courant, dernier, droit, futur, passé, précédent, premier, présent, prochain, ...
(24) Son prochain départ [dans une série], le premier/prochain/dernier train, mais aussi le train prochain
(25) L’ancien /précédent/actuel/le futur locataire, président...
25Ces adjectifs localisent (parfois dans le temps, mais parfois également dans l’espace) les noms tête du syntagme nominal. Par le fait même qu’ils repèrent le nom porteur par rapport à un ensemble, ils s’apparentent aux adjectifs ordinaux46, dont ils adoptent généralement l’antéposition et le refus de la gradation. Contrairement aux ordinaux, ils refusent dans cet emploi spécifique la fonction attribut. La présence possible de ancien, actuel, futur, dans cette série47 indique que c’est encore le contexte qui décide du sémantisme de ces adjectifs et plus particulièrement le nom porteur et notre connaissance du monde : s’il est difficile de situer une ancienne auberge dans une série, c’est tout à fait probable pour un ancien président (ex. 25) ; on constate par contre que son prochain départ (à la retraite par exemple) n’est pas nécessairement lié à une série et que dans ce cas-là la fonction attribut devient possible. Il y a donc fort à parier que c’est là aussi l’adjectif qui permet un certain nombre d’interprétations en contexte, plus particulièrement en relation avec le nom porteur (cf. notes 27 et 45).
4.3. Les adjectifs de quantification temporelle
26Le fonctionnement syntactico-sémantique est encore un peu différent dans le cas des adjectifs – toujours appelés « du troisième type » dans nombre de publications – qui opèrent une quantification temporelle par rapport au nom porteur et contribuent ainsi à construire la référence :
(26) Un vieil ami, un jeune marié, un récent membre, un nouveau locataire, un éternel adolescent, un voyageur fréquent, un conducteur occasionnel, un fumeur invétéré, (etc.)
(27) La plupart des centenaires sont de jeunes centenaires, neuf sur dix ont entre 100 et 104 ans (BFMTV, Journal, le 27 oct. 2010, 14 h)
(28) Née Conquet, c’est une très ancienne riveraine : ses ancêtres sont inscrits depuis 1100 sur les registres de Carcassonne. (Le Monde 01/01/1994 : R03)
27Ici non plus, il ne s’agit pas d’une qualification sur le mode de la spécification mais plutôt de la modification d’un trait sémantique interne au nom tête – in casu la durée de l’amitié, du mariage, du fait d’être membre ou locataire ; la fréquence de la conduite, du voyage, de l’acte de fumer. Les personnages en question sont vieux/jeunes/occasionnels en tant que, respectivement, ami, marié, conducteur. Construire la référence équivaut ici à quantifier un trait sémantique, in casu, la durée ou la fréquence. Dans (28) et (29), c’est bien la durée de la présence familiale ou de l’amitié qui est indiquée, et non l’âge de la riveraine, respectivement l’ ami.
28L’interprétation de « quantification temporelle » ne semble plus être strictement liée à un seul et unique contexte syntactico-sémantique comme pour les cas précédents. Le refus de très est encore fréquent – une très jeune marié(e) est tout simplement très jeune ce que n’est pas nécessairement une eune mariée48 – mais il ne semble pas absolu, comme en témoignent les exemples (29 à 31) :
(29) Archéologie : le très vieil ami de l’homme. Minou ronronnait-il déjà sur les genoux de mémères néolithiques ? (http://www.lexpress.fr/informations le 19 avril 2004, consulté le 14 janv. 2010)
(30) Un très récent ami, précisa-t-elle. – Rien qu’un ami ? » Comme Augusta ne répondait pas, il posa le mazagran et se leva pour fouiller dans les placards (Jean-Paul Malaval, Les Encriers de porcelaine, google.books, le 14 janv. 2010)
(31) Je le lève en l’honneur du peuple norvégien, ami très ancien et très cher du peuple français. (www.Elysée.fr, allocution de Jacques Chirac, consulté le 16 janv. 2010)
29Contrairement à un vieil ami, qui peut encore être relativement jeune, un jeune ami est toujours jeune, ce qui n’est pas le cas d’une jeune amitié, qui peut être fraîche, récente, mais aussi « entre jeunes », voire tumultueuse. En outre, l’interprétation de quantification temporelle peut également se produire en postposition (cf. aussi 31) :
(32) Un ami ancien, un homme avec qui on est ami depuis longtemps. (www.mediadico.com, le 16 janv. 2010)
(33) D’abord, madame, je ne suis qu’un ami très récent de monsieur de... (Google books, consulté le 16 janv. 2010)
La postposition d’ancien et de récent à ami permet d’opérer la même quantification temporelle49 (31-33) qu’à l’antéposition, ce qui n’est pas le cas de vieux (30). On peut en conclure qu’il s’agit d’un effet de sens lié à la rencontre d’un adjectif et d’un substantif porteurs de sèmes particuliers, mais dans un contexte microsyntaxique moins contraignant que pour les cas précédents. L’adjectif ancien fait exception dans la mesure où il permet à la fois le repérage et la quantification : cependant, pour quantifier le temps, il doit obligatoirement être accompagné de très (28), sous peine de basculer, non dans la qualification, mais bien dans le repérage temporel. Vieux, quant à lui, présente une opposition entre sa valeur en antéposition (vieil ami) et en postposition (ami vieux). Lorsqu’ils quantifient le temps, les adjectifs concernés refusent la fonction attribut.
30Ces interprétations à « géométrie variable »50 indiquent que la quantification temporelle est le résultat de l’interaction de l’adjectif avec un sème [+ temps] du substantif porteur, ce qui impose un calcul interprétatif au locuteur. Nous estimons qu’il s’agit, là aussi, d’un emploi potentiel de l’adjectif permis par son sens global.
4.4. Adjectifs qualificatifs temporels : imminent, prochain
31Combinés à des noms désignant un procès, ces adjectifs en indiquent la borne d’ouverture. Imminent se comporte, comme un adjectif qualificatif prototypique, acceptant l’antéposition, la postposition, la gradation (plus difficilement) et la fonction attribut. Prochain, lui, a une certaine propension à la postposition, étant donné que, antéposé, il s’interprète préférentiellement51 comme un adjectif de repérage par rapport à un ensemble (son prochain départ ≠ son départ prochain), il accepte assez rarement la gradation et peut remplir la fonction attribut :
(34) Suite à imminent départ professionnel, vends [...]. (Google)
(35) Son départ est imminent/très imminent, (seulement sur Google)
(36) Déménagement très prochain du site, départ très prochain /très prochain départ, sortie très prochaine de la newsletter...
(37) Le Royaume de Dieu est prochain, son départ est prochain, le scandale est prochain. Sa chute est prochaine, la paix est prochaine, son arrivée est prochaine, ma fin est prochaine.
32Le comportement de ces adjectifs révèle qu’ils spécifient les substantifs en question comme le font les adjectifs qualificatifs, c’est-à-dire « spécifiant une dimension ouverte du sens nominal » (Riegel, 2005 : 111) : dans départ imminent le sens du substantif départ reste inchangé, mais s’enrichit d’une spécification (son « imminence ») qui sature une dimension ouverte (le temps) parmi bien d’autres (la vitesse, la manière...). L’incidence de ces adjectifs par rapport au substantif est celle d’un adjectif qualificatif et c’est pourquoi ils acceptent la fonction attribut. Comme tous les adjectifs qualificatifs, ils qualifient également l’hyperonyme du substantif en question : tout comme un ami vieux est également un être humain/homme vieux (ce que n’est nécessairement un vieil ami), un départ imminent est une action, un procès imminent. Il n’en reste pas moins qu’ils effectuent un repérage temporel.
5. Conclusion : un type d’adjectif, ou un type d’emploi ?
33L’analyse des adjectifs répertoriés (de 4.1 à 4.4) fournit une première réponse à la question de savoir s’il s’agit d’un troisième type d’adjectif ou d’un troisième type d’emploi. Nous l’avons déjà signalé : la question présente une certaine analogie avec la discussion sur l’adjectif de relation/dénominal qui nous avait amené à la conclusion qu’un même adjectif peut avoir des emplois différents selon le substantif porteur auquel il se rapporte : un escalier monumental (– très grand, qualificatif), le cunéiforme monumental (des monuments babyloniens, relationnel), un crétin monumental (adjectif référentiel de quantité exclusivement épithète, « troisième type »)52.
34Dans le cadre de nos recherches sur le prototype adjectival, il nous paraît envisageable de considérer le « troisième type » lui aussi comme un emploi potentiel de l’adjectif, prévu dans le cadre du prototype abstrait (les zones « grises », exclusivement épithètes) et qui s’explique par des mécanismes plus généraux, à l’œuvre pour tout adjectif. Tout d’abord, l’on a pu constater que l’emploi dit référentiel (modalisation, repérage, quantification) est globalement – mais non exclusivement, cf. monumental – lié à l’antéposition de l’adjectif, tandis que, on s’en souvient, l’emploi classifiant d’un adjectif est majoritairement lié à la postposition53. Certains auteurs ont d’ailleurs depuis longtemps soulevé la parenté de l’adjectif avec les déterminants et avec la quantification lorsqu’il est antéposé (Wilmet, 1981, 1986 ; Blinkenberg, 1933 ; Weinrich, 1966) et souligné sa valeur plus nettement déterminative lorsqu’il est postposé (Blinkenberg, cf. note 54 ; Waugh, 1977).
35En outre, depuis Blinkenberg (1933), l’on a constaté que, antéposé, l’adjectif a tendance à s’inscrire dans le sémantisme du substantif par le biais de ce que l’on appelle souvent « une visée interne » et à s’appliquer à un sème saillant du substantif : gros mangeur = quelqu ’un qui mange beaucoup « gros en tant que mangeur », de même : vieux joueur = quelqu’un qui joue depuis longtemps « vieux, en tant que joueur ». Cette tendance générale se trouve renforcée par le fait que l’apparition d’un sens temporel dépend, non seulement de l’antéposition54, mais aussi du type de substantif qu’accompagne l’adjectif et de l’interaction entre les deux entités. Cette dépendance par rapport au substantif porteur signifie que ce n’est qu’avec un nombre relativement réduit de substantifs que l’adjectif peut adopter un comportement exclusivement épithète, ce que les analyses faites sous (4.1. à 4.3.) tendent à confirmer. Lorsque l’inventaire des substantifs devient très ouvert (4.4.), les adjectifs adoptent le comportement d’adjectifs qualificatifs à interprétation temporelle (imminent, prochain). Finalement, même si les adjectifs primaires sont majoritaires, le repérage temporel concerne tous les types d’adjectifs, voire certains (anciens) participes.
36Le fait qu’il s’agit dans la grande majorité des cas de combinaisons avec des classes de noms particulières et souvent assez réduites nous incite à conclure que c’est le même adjectif qui est à l’œuvre, mais que ce qui fait la différence, c’est le point d’incidence de l’adjectif : il peut porter sur le syntagme en entier (modalisation) et changer ainsi la référence (adjectif référentiel, reference modifier), repérer le substantif dans un ensemble, quantifier un sème interne, ou encore qualifier et donc saturer une dimension ouverte.
37En outre, presque tous les adjectifs classifiants, affectifs ou référentiels ont non seulement une contrepartie qualificative55, parfois relationnelle, mais il existe également de multiples points d’intersection entre les différentes catégories d’adjectifs du « troisième type » :
(38) un conducteur occasionnel (classifiant, type de conducteur) +repérage temporel)
(3 9) donnez-moi un autre livre vs il fallait un autre courage (quantification d’une entité – intensité)56
(40) une sacrée somme (quantification) – un sacré musicien (quantification des traits (?)57 / intensité) – sacré bonhomme (affectif)
38Les adjectifs ancien et monumental permettent d’illustrer la dépendance de l’adjectif et de son fonctionnement par rapport au nom porteur. Prenons la panoplie d’emplois ancien et de monumental, dont le sens connaît des variations, mais jamais assez fondamentales pour distinguer des adjectifs homonymes, voire, « du troisième type » :
(41) Ancien : avec le substantif président, cet adjectif ne pourra que s’antéposer, mais avec grammairien, on peut constater une différence entre un ancien grammairien (devenu inspecteur des impôts), et un grammairien ancien (Denys le Thrace). Un ancien château offre la lecture préférentielle « ayant reçu une autre destination », mais est peut-être également « vieux », interprétation assurée pour une très ancienne riveraine (dont la famille y habite depuis longtemps) tandis que un château ancien n’offre que la lecture « vieux ». Il y a une indistinction de sens pour un proverbe ancien et un ancien proverbe, tandis qu’il n’y a pas d’antéposition possible pour les peuples anciens et l’histoire ancienne. Sauf que les Belges formeront peut-être bientôt un ancien peuple...
(42) Monumental peut revêtir un sens qualificatif (un escalier monumental), teinté cependant d’une quantification (une monumentale faillite, une dette monumentale), ou intensive (une colère monumentale, une erreur monumentale) tout en acceptant la fonction attribut ; il possède en outre un sens relationnel (richesse monumentale = en monuments), classifiant (art monumental, mais surtout cunéiforme monumental58) ; peut être adjectif argument (obsession monumentale = les monuments obsèdent59) et finalement revêtir une valeur intensive (un crétin monumental).
Bibliographie
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Cela implique qu’il faut envisager l’étude des adjectifs ensemble avec celle du substantif (en paires minimales par exemple), ce qui permettrait une hypothèse plus globale sur le fonctionnement syntactico-sémantique de l’adjectif.
Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Nous remercions nos deux relectrices pour leurs commentaires judicieux qui ont contribué à améliorer la première version de cet article.
2 Le terme « pseudo-adjectif » implique qu’il ne s’agirait pas vraiment d’un adjectif.
3 En outre, l’adjectif de relation ne s’antéposé pas au substantif, il est incompatible avec la gradation et a comme valeur sémantique fondamentale la mise en relation de deux substances. Tout adjectif dénominal est en d’autres mots potentiellement un adjectif relationnel (Mélis-Puchulu, 1991), ainsi sympathique, dans la seule combinaison d’ophtalmie sympathique (Bartning et Noailly, 1993 : 29). C’est pourquoi nous estimons qu’il vaut mieux parler d’adjectifs statistiquement relationnels (par exemple présidentiel) et d’adjectifs statistiquement qualificatifs (gracieux). Etant donné le flux et le reflux entre le qualificatif et le relationnel, l’on peut en conclure que les adjectifs dénominaux et les adjectifs relationnels forment une seule et même catégorie.
4 Même si nous avons enregistré récemment un premier emploi qualificatif, comme dans « Obama a adopté un ton présidentiel » (contrairement au ton plus décontracté qu’il adoptait avant son élection ; entendu, déc. 2008). Cela témoigne une fois de plus des nombreux passages entre le relationnel et le qualificatif (cf. Bartning et Noailly, 1993).
5 Fini est à l’origine un participe, ce qui explique probablement pourquoi l’antéposition est impossible dans ce cas.
6 Ainsi, Claudé (1980) écrit-il qu’un grandfumeur et un furieux menteur seraient grands, respectivement furieux, en relation avec les quantités de cigarettes qu’ils fument ou les quantités de mensonges qu’ils profèrent. Pour Leduc-Adine (1981), nous avons affaire à des pseudo-adjectifs de couleur dans la condition noire ou encore la politique verte (politique des verts) et dans l’armée rouge (l’armée des rouges).
7 Cf. cette offre d’emploi : vendeur électroménager blanc-brun-gris (www.erecrut.com/fr, le 07 avril 2008).
8 Le terme « affectif » a été employé par Gaatone (1988) et adopté par Marengo et Léard (2005). On le retrouve également dans la Grammaire Méthodique (1994 : 581).
9 Adjectifs prédicatifs dans le sens où ils acceptent la fonction épithète et la fonction attribut.
10 Riegel (2005 : 106) : « un adjectif épithète comme ancien antéposé ne dénote pas une propriété intrinsèque à combiner avec le sémantisme du nom tête sur le mode de la spécification comme le ferait par exemple l’adjectif prédicatif belle. Dans cet emploi particulier, le locuteur l’utilise comme une « enclosure » pour modaliser (préciser, restreindre, relativiser, etc.) le rapport de dénomination entre le reste du SN et sa contrepartie référentielle » (nous soulignons).
11 Dans un bon kilo, l’adjectif indique effectivement qu’il ne s’agit pas vraiment d’un kilo, mais d’un peu plus (cf. ex. 7).
12 Une série d’adjectifs limitée constitue la zone centrale. Ils accompagnent principalement des noms de propriétés intensifiables (cf. Marengo, 2007 : 163).
13 Exemple de Giry-Scheider (2005).
14 Ces deux derniers adjectifs sont à la fois des adjectifs intensifs et des adjectifs qui situent le substantif dans un ensemble.
15 Annuel est proche de l’adjectif relationnel.
16 « L’unité lexicale ou lexie, est une entité tripartite : elle est dotée d’un signifié, d’un signifiant (lequel peut présenter des différences de flexion) et d’un ensemble de traits de combinatoire (= le syntactique), cet ensemble incluant entre autres l’appartenance à une partie du discours » (Marengo, 2007 : 16, d’après Mel’čuk). Une lexie est « mémorisée comme signe individualisé » (Pottier, cité par Neveu, 2004, s. v. lexie).
17 Le passage suivant de Marengo explicite la relation qui existerait entre les adjectifs du troisième type et les autres, à l’intérieur d’un même vocable : « Si un signifiant associé à une combinatoire adjectivale accepte la position d’attribut dans certains cas alors qu’il la refuse ailleurs, il s’agit d’un indice potentiel de polysémie, voire d’homonymie. Autrement dit, une telle situation peut indiquer que l’on a affaire à deux lexies plutôt qu’à une seule » (2007 : 18).
18 Ils seraient grands, et furieux en relation avec la quantité de cigarettes qu’ils fument, ou de mensonges qu’ils profèrent. Mais, en relation avec quoi serait grand un grand danseur, un grand auteur ? Nous pensons que la paraphrase en tant que rend mieux le phénomène du sens à l’antéposition ; de plus, elle englobe grand fumeur, furieux menteur. Nous ne considérons donc pas que les adjectifs rouge, grand et furieux sont des adjectifs de relation ou pseudo-adjectifs.
19 Cf. Mélis-Puchulu (1991) ; Bartning et Noailly (1993) ; Goes (1999 : 251-260), également la note 4.
20 Je m’appuie sur la définition de la polysémie de Aarts et Calbert (cités par Heyndericks, 1993 : 13) : « [In the présent model], we hâve a polysemous item when we happen to be able to make a general statement about the relation between one sense of the item and another, so that we can incorporate both senses in the lexicon as parts of the same lexical entry ; when we are unable to observe any regularity in the relation between two senses realized by the same phonological form we enter the two senses in the lexicon as two separate lexical entries, that is, we consider the two lexical entries in question to be homonyms ».
21 Ainsi, si l’on oppose « La SNCF vous souhaite un agréable voyage » à « la SNCF vous souhaite un voyage agréable », l’on constate qu’ agréable, tout en restant un adjectif qualificatif, détermine plus nettement en postposition : ce n’est que dans ce cas que l’on pourrait comprendre qu’il existe aussi des voyages autres, « non-agréables ».
22 Cf. Goes, 1999 : 97-101.
23 En témoigne Marengo (2007 : 140) : « L’ensemble des correspondances entre types de noms de quantité et types d’adjectifs paraît cohérent : plus on avance à l’intérieur du deuxième module sémantique (construction de la référence) dans le cas du nom, plus les adjectifs qualificatifs se font rares et plus les adjectifs référentiels se font nombreux ».
24 En tant qu’adjectif dénominal, monumental peut avoir également un sens qualificatif (une carrière monumentale), relationnel (la richesse monumentale d’une région – en monuments), relationnel/typant (le cunéiforme monumental : type d’écriture cunéiforme archaïque utilisé exclusivement pour les monuments). Voir aussi l’exemple 42.
25 Voir ci-dessous, le schéma du prototype, et les conclusions de Goes, 1999.
26 Nous renvoyons ici à la distinction entre adjectifs intersectifs et subsectifs (un homme grand vs un grand homme).
27 Nous rejoignons ici une remarque intéressante de Larsson : « ce n’est pas en premier lieu l’antéposition qui crée la nuance de sens qu’on y associe normalement, mais plutôt le sens “total” de l’adjectif qui permet ou non l’antéposition » (Larsson, 1994 : 156). C’est bien son « sens total » qui permet les différents emplois.
28 Le prototype abstrait de l’adjectif est construit à partir de l’analyse de caractéristiques supposées saillantes de la catégorie en question (accord, gradation, épithète, attribut, sens à l’antéposition et en postposition). La grille de critères une fois construite, on peut vérifier si à cette entité abstraite correspond oui ou non une ou plusieurs unités concrètes. Ces dernières constituent alors des occurrences du prototype abstrait.
29 C’est-à-dire qu’il était susceptible de passer de la postposition au substantif à l’antéposition et vice versa.
30 A = Adjectif, S = Substantif.
31 La ligne 3 se distinguant de la ligne 4 par le refus de la gradation (grad.).
32 Un ordinateur méchant ne serait possible qu’en science-fiction...
33 L’adjectif qualificatif prototypique accepte la gradation par très, en fonction épithète, il peut s’antéposer et se postposer et il passe facilement en fonction attribut.
34 On peut également établir une correspondance avec la notion de non intersective adjectives de Siegel (1980) ou encore la notion, assez vague à notre avis, d’adjectif subsectif.
35 Pour ce qui concerne l’adjectif, la nuance est assez ténue entre syncatégorématique, multidimensionnel, voire polysémique : quasiment tout adjectif est multidimensionnel dans la mesure où une partie de son sens dépend du porteur qu’ il qualifie ; les lexicographes recourent parfois à la polysémie pour mettre en relief certaines dimensions, dont parfois l’une peut être gradable, l’autre non : ainsi Paul est absent vs Paul est très absent (≈ distrait ; exemple de Whittaker, 2002 : 85). Le terme multidimensionnel, emprunté à Whittaker, correspond à syncatégorématique, au sens le plus large.
36 Sous-entendant qu’il s’agit d’un emploi de l’adjectif en question, pour éviter la répétition du terme « emploi » tout au long du texte.
37 Le cadre trop bref de cet article ne nous permettra pas d’analyser la possibilité de récursivité des adjectifs concernés ni la possibilité d’associations « contraires » que notre lectrice anonyme – que nous avons néanmoins reconnue – a bien remarquées.
38 Ce fait m’a été fort judicieusement signalé par l’une de mes relectrices.
39 Le Monde Diplomatique sur CD-rom 1987-1997 (MD) ne donne que sept exemples sur toute la décennie : le regretté Jacques Berque (7) ; le regretté François Partant (MD, nov. 1991, p. 29) ; sous la direction du regretté Patrick Rafroidi (MD, nov. 1991, p. 31) ; le regretté François Perroux (MD, sept. 1991, P- 16) ; De Maurice Agulhon au regretté Alfred Sauvy (MD, décembre 1990, p. 31) ; les très regrettés Barbara Ward et René Dubos (MD, oct. 1988, p. 11-12) ; Le regretté David Potter, grand historien américain (...) (MD, mars 1988, p. 28-29). Nous n’avons trouvé qu’un seul exemple de regretté postposé qui puisse être interprété comme un « regret » causé par l’absence de qqn ou qqchose : « Du jour au lendemain, tout le monde s’est retrouvé avec toutes les chaînes de télévision françaises (à l’exception de France 3, très regrettée), y compris Canal Plus, bien vite décodé et redécodé grâce au système D » (MD, mars 1993, p. 22- 23). Notons que la construction appositive a dû être employée.
40 « Ce repère peut être fourni par le moment de l’énonciation ou par tout autre moment saillant dans la réalité discursive » (Riegel, 2005 : 120).
41 Cf. Riegel (2005, note 3 : 107) : « Mon approche [...] part systématiquement du caractère non prédicatif de ces adjectifs pour l’expliquer par leur statut de modifieur non pas du sémantisme nominal, mais de rapport que j’appelle “occurrentiel” entre ce sémantisme et sa contrepartie référentielle ».
42 Pour éviter une cascade terminologique du type « adjectif modalisateur de dénomination nominale de repérage temporel », nous avons choisi de les appeler « adjectifs de modalisation temporelle » tout court.
43 Ce sens correspond dans la large majorité des cas à celui que l’on retrouve avec très + antéposition ou en postposition dans les cas où les adjectifs ont une variation de sens entre antéposition et postposition. Il correspond au sens ANTEPOST pour les cas où le sens ne varie pas entre l’antéposition et la postposition. Il y a donc un sens vers lequel l’adjectif converge, et qu’on peut qualifier de sens prototypique.
44 Il me semble cependant nécessaire de continuer la recherche dans deux directions : tout d’abord, quelle est l’extension de cette catégorie d’adjectifs (sans oublier que d’autres parties du discours peuvent les remplacer : on peut rapprocher ancien de ex-, de ci-devant, et regretté de feu) ; quels types de substantifs peuvent être accompagnés de ce type d’adjectifs ?
45 Nous nuancerios donc la remarque de Larsson (cf. note 27) en y ajoutant que le sens est cependant bel et bien créé par l’antéposition et la combinaison avec le substantif support.
46 On peut cependant douter du statut adjectival de ces derniers.
47 Établie par Marengo (2007).
48 Aucun exemple sur Google de très jeune marié (é) dans le sens de marié(e) très récemment, même si, en théorie, cela ne nous semble pas tout à fait impossible, cf. le très vieil ami (exemple 25).
49 Et sans la présence obligatoire de très, pour ce qui concerne ancien.
50 Étant donné qu’il est fondamentalement syncatégorématique/ multidimensionnel, l’interprétation de l’adjectif est toujours, dans une plus ou moins grande mesure « à géométrie variable ».
51 Mais non exclusivement, cf. son prochain départ à la retraite. L’interprétation dépend du contexte large et de nos connaissances du monde.
52 Exemple de Giry-Schneider qui spécifie que « Parmi les adjectifs à interprétation quantitive, il en existe un nombre considérable qui ne sont tels qu’en position épithète et avec les noms dits d’injure » (2005 : 174).
53 Rappelons que Blinkenberg (1933) considérait que tout adjectif pourrait avoir une valeur déterminative absolue. Tous sont donc potentiellement « classifiants » aussi !
54 Fréquente, mais non généralisée.
55 Le fait qu’un adjectif ait une fonction classifiante ne l’empêche d’ailleurs pas nécessairement d’exprimer une propriété : une petite cuillère est vraiment petite ; du beurre doux est assez... doux par rapport au salé.
56 Ces deux exemples sont de Marengo (2007).
57 Si on peut le considérer comme synonyme de « musicien accompli ».
58 C’est un type d’écriture cunéiforme archaïque utilisé exclusivement pour les monuments.
59 En tout cas dans le contexte assez spécial de l’exemple suivant : « la colonne géante crée une sorte d’obsession monumentale » (Le Monde, 28/03/1994 : S09).
Auteur
Université d’Artois, Grammatica, EA4521
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